Mardi 7 mai 2024

- Présidence de M. Jean-François Longeot, président -

La réunion est ouverte à 14 heures.

Transport ferroviaire - Audition de M. Jean-Pierre Farandou, président-directeur général de la SNCF

M. Jean-François Longeot, président. - Monsieur le président-directeur général, nous sommes heureux de vous accueillir aujourd'hui, comme nous le faisons chaque année depuis votre nomination à la tête du groupe SNCF en 2019, pour évoquer les enjeux et défis du transport ferroviaire en France, un secteur au coeur de l'actualité.

Je m'en tiendrai pour ma part à quatre thématiques principales.

Tout d'abord, je souhaite vous entendre sur la préparation des jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024. Comme vous le savez, moins de quatre-vingts jours nous séparent de cet événement mondial, qui devrait se traduire par un afflux massif de voyageurs sur nos réseaux de transport, et notamment sur les réseaux RATP et SNCF. Je précise que nous entendrons la semaine prochaine, dans le cadre d'une table ronde, Patrice Vergriete, ministre délégué chargé des transports, et Valérie Pécresse, présidente de la région Île-de-France et présidente d'Île-de-France Mobilités, sur cette question. Pourriez-vous dresser un bilan des dispositifs déployés par le groupe SNCF pour répondre à cette demande supplémentaire ? Estimez-vous que la SNCF sera prête d'ici à fin juillet ? Disposez-vous d'effectifs suffisants pour garantir l'ensemble de l'offre ? Comment appréhendez-vous les éventuelles grèves qui pourraient survenir pendant cette période ? Reste-t-il des difficultés à aplanir ? Enfin, de quelle manière anticipez-vous le nécessaire renforcement de la sécurité dans nos enceintes de transport ?

J'en viens à présent à l'accord collectif relatif aux dispositifs d'accompagnement de fin de carrière que la direction du groupe a signé, avec les quatre organisations syndicales le 22 avril dernier. Articulé autour de quatre axes principaux, et applicable à partir de janvier 2025, cet accord vise, entre autres, à améliorer et à simplifier les dispositifs d'aménagement de fin de carrière, notamment à travers la mise en place d'un dispositif de cessation anticipée d'activité et d'un dispositif de temps partiel de fin de carrière. Pour certains, cet accord va à rebours de la logique dans laquelle s'inscrivait la dernière réforme des retraites adoptée il y a tout juste un an, en avril 2023, en ce qu'il permettrait à certains salariés de bénéficier d'un dispositif de cessation anticipée d'activité. Pourriez-vous revenir plus précisément sur le contenu de cet accord, ainsi que sur les modalités de la négociation qui a conduit à sa conclusion ?

Ma question suivante, plus prospective, porte sur les perspectives de développement du transport ferroviaire. Comme vous le savez, nous avons inscrit dans la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite loi « Climat et résilience », des objectifs ambitieux de développement du transport ferroviaire de voyageurs et de marchandises. Certains textes, tels que la loi du 27 décembre 2023 relative aux services express régionaux métropolitains, ont confirmé cette ambition. En février 2023, l'annonce d'Élisabeth Borne, alors Première ministre, du déploiement d'un plan pour une nouvelle donne ferroviaire, doté de 100 milliards d'euros, avait suscité certains espoirs. Or nous attendons toujours le détail et la ventilation des dépenses envisagées, ainsi que les modalités de financement. Formons le voeu que la prochaine actualisation du contrat de performance entre SNCF Réseau et l'État réponde à nos attentes. Comment envisagez-vous, en tant que PDG de la SNCF, la déclinaison concrète de cette nouvelle donne ? À quelle hauteur les différentes sociétés de la SNCF seront-elles amenées à y participer ?

Enfin, j'avais prévu de vous demander d'établir un bilan de vos presque cinq années à la tête de la SNCF - je rappelle que vous avez d'abord été nommé aux fonctions de président du directoire de la SNCF fin 2019, avant d'être désigné président-directeur général de l'entreprise à la fin de l'année 2020 -, mais nous venons d'apprendre par un communiqué de presse du Gouvernement que votre mandat s'achèverait après les jeux Olympiques et Paralympiques. Que retirez-vous de cette mission ? Quels sont, d'après vous, les grands défis à venir pour le groupe que vous présidez ?

Avant de vous laisser répondre à ces premières questions, je vais céder la parole à Philippe Tabarot, en sa qualité de rapporteur pour avis de notre commission sur les crédits relatifs aux transports ferroviaires, fluviaux et maritimes.

M. Philippe Tabarot, rapporteur pour avis sur les crédits relatifs aux transports ferroviaires, fluviaux et maritimes. - Monsieur le président-directeur général, permettez-moi au préalable de vous remercier d'être venu de votre plein gré, sans contrainte, pour ce point d'étape ferroviaire auquel vous participez ici chaque année. Vous êtes un dirigeant droit et constant vis-à-vis de la représentation nationale ; nous avons toujours apprécié votre sincérité et la force de votre engagement en faveur de l'entreprise publique, dont vous avez étayé les lignes de force depuis votre arrivée. Cette audition, prévue depuis longtemps, débute, hasard du calendrier, deux heures après un communiqué du Gouvernement, pour le moins surprenant, qui annonce votre non-reconduction à la tête de la SNCF après les jeux Olympiques. Cette annonce, faussement martiale, cache une réalité et une volonté. La réalité, c'est que vous étiez touché par la limite d'âge et que la question de votre reconduction à la tête de la SNCF, que j'aurais souhaitée, se posait dans tous les cas de figure ; la volonté, que je regrette, était de faire du PDG le fusible d'une histoire pourtant écrite à quatre mains sur l'accord relatif aux fins de carrière.

Nous aimerions que vous nous expliquiez ce que cet accord comporte, car il nous a surpris. Cette audition sera-t-elle l'occasion de tenter de nous persuader du bien-fondé de celui-ci ? Cela me semble complexe, car, pour de très nombreux Français, cet accord d'avril ressemble à un miracle de Noël avant l'heure : il a été conclu sur le dos des contribuables, quand on sait que l'État a repris 35 milliards d'euros de dettes et verse chaque année une subvention d'équilibre de 3 milliards d'euros pour abonder le régime de retraite des cheminots ; il s'agit aussi d'un accord visant à faire face aux grèves à répétition ; enfin c'est un accord « quoi qu'il en coûte » à la SNCF, comme le titrait un journal national.

Le Gouvernement, par l'intermédiaire du ministre des transports et du ministre de l'économie, se révèle bicéphale dans ses discours et schizophrène dans ses prises de position : joue-t-il une stupeur feinte ou est-il le décideur complice et silencieux de cet accord, alors que le capital de la SNCF est détenu à 100 % par l'État ? Nous voulons connaître le rôle du Gouvernement dans cette négociation qui contribue, à notre sens, à faire éclater le principe d'égalité entre public et privé, les règles en matière de pénibilité au travail, ainsi que les codes en matière de sobriété financière, en pleine gabegie nationale. Les syndicats ont-ils pris leur revanche, à prix d'or, sur le dos de la SNCF, afin de revendiquer une principauté sociale exclusive en dépit de la réforme des retraites ? Est-ce un nouveau régime spécial dans un régime spécial ? Que répondez-vous à ceux qui trouvent que cet accord est généreux et dérogatoire, alors que le statut de cheminot a été supprimé en 2018, au prix, rappelons-le, de très nombreuses perturbations ? Quel est son vrai coût pour la SNCF ? Celui-ci sera-t-il totalement absorbé par le groupe, comme l'affirme le ministre des transports, ou perturbera-t-il les équilibres financiers de l'entreprise, comme le suggère Bruno Le Maire ? N'aurait-il pas mieux valu, pour le Gouvernement, ne pas tourner le dos aux propositions sénatoriales qui ont été votées, lesquelles s'attaquent véritablement au fond du problème : le chantage permanent et le détournement du droit de grève ? Il s'agit là de la clef que nous assumons : on ne pourra pas continuer indéfiniment à fermer les yeux et à baisser la tête face au pouvoir de nuisance colossal exercé par certains. Malgré cet accord sur les fins de carrière, nous avons ainsi appris qu'un préavis de grève avait été déposé pour le 21 mai prochain en vue des jeux Olympiques.

Permettez-moi également d'évoquer la question des investissements de la SNCF. Vous avez courageusement lancé la mobilisation générale pour le train en annonçant que les besoins en termes d'investissements s'élevaient à 100 milliards d'euros supplémentaires. Vous le savez, au Sénat, nous combattons une modernisation au rabais, qui ne ferait que déclasser le rail, lequel est pourtant une véritable fierté nationale. À la suite du rapport du Conseil d'orientation des infrastructures (COI), Élisabeth Borne a annoncé le lancement d'un plan doté de 100 milliards d'euros. Si nous avons salué la prise de conscience qu'il révélait, ce plan ne devait pas rester un effet d'annonce sans suite ; or le temps passe et nous craignons que nos réticences se confirment. Un sursaut est-il encore possible ? Avez-vous reçu des garanties de la part du Gouvernement à ce sujet ? La copie de l'exécutif sera-t-elle revue à la hausse ? Le financement du plan reposera-t-il sur les épaules de la seule SNCF ? Surtout, l'entreprise est-elle en mesure d'augmenter sa contribution pour suppléer un État qui se tiendrait en retrait ? Nous l'avons dit, il est impératif que l'État se réengage financièrement et tienne ses promesses, mais que, dans le même temps, la SNCF reste la garante d'un certain équilibre économique, qui cherche la performance et la qualité, en évitant tout arrangement catégoriel obtenu via des pratiques inavouables.

Monsieur le président-directeur général, il est injuste, compte tenu de votre action plus que positive durant près de cinq ans, que vous serviez de fusible à des personnes qui, par manque de courage ou par incompétence, n'assument pas leurs directives. Vous allez quitter l'entreprise, alors que les responsables vont rester : étrange, non ?

M. Jean-François Longeot, président. - À l'évidence, l'annonce du Gouvernement nous interpelle tous. Je vous cède la parole, monsieur le président-directeur général.

M. Jean-Pierre Farandou, président-directeur général de la SNCF. - Depuis mon arrivée à la présidence du groupe SNCF, je viens régulièrement devant vous pour parler de l'actualité et de l'évolution de la société et répondre à vos questions, notamment celles qui concernent vos territoires respectifs. Cette audition intervient par ailleurs dans le contexte de la récente signature d'un accord d'entreprise sur la gestion de la fin de carrière des agents de la SNCF. J'ai entendu à cet égard un certain nombre d'interrogations : elles sont légitimes. J'ai également entendu un certain nombre de critiques : je les ai parfois trouvées sévères ou injustes. Je vais tenter d'y répondre au mieux, car je suis convaincu qu'il s'agit d'un bon accord pour l'entreprise d'un point de vue tant économique que social.

Que de chemin parcouru depuis ma nomination !

Sur le plan économique, les chiffres sont éloquents. La trajectoire financière de la SNCF s'est assainie, conformément à l'engagement que j'avais pris en 2019 devant le Gouvernement, la représentation nationale et les Français. Le chiffre d'affaires du groupe s'élevait à 35 milliards d'euros en 2019 ; il a atteint 42 milliards d'euros en 2023, en augmentation de 20 %. En termes de résultat net, l'entreprise, qui présentait un déficit de 300 millions d'euros en 2019, a dégagé un excédent de 1,3 milliard d'euros en 2023. Le cash-flow libre, autrement dit l'argent dans les caisses, est quant à lui passé de - 2,3 milliards d'euros à + 2,5 milliards d'euros entre 2019 et 2023. Ces bons résultats permettent à la SNCF d'augmenter sensiblement sa participation au fonds de concours qui finance la régénération du réseau ferré national : en 2024, le groupe y versera au total 1,7 milliard d'euros. Entre 2024 et 2027, il l'abondera de 2,3 milliards d'euros supplémentaires par rapport aux engagements pris lors de la réforme de 2018.

Les travaux de régénération et de modernisation, dont témoignent les 1 600 chantiers ouverts partout en France par SNCF Réseau en 2024, constituent la seule réponse appropriée à la nécessaire amélioration de la qualité de service qu'attendent nos concitoyens dans les territoires. Au-delà du réseau ferré national, nous achetons 115 nouveaux trains à grande vitesse de nouvelle génération, dits TGV M, à Alstom ; par ailleurs, nous modernisons et nous construisons des technicentres de maintenance pour accompagner cet accroissement de la flotte.

Ainsi, tout en finançant sur ses fonds propres ces efforts d'investissement sans précédent sur le réseau et le matériel roulant, tout en assurant la croissance externe de Geodis, cette grande entreprise de logistique qui est l'autre poumon économique du groupe, par deux belles acquisitions aux États-Unis et en Allemagne pour un montant de 1 milliard d'euros chacune, le groupe est parvenu à stabiliser sa dette à hauteur de 24 milliards d'euros. J'ajoute que le ratio de solvabilité de cette dette nette sur le bénéfice avant intérêts, impôts, dépréciation et amortissement (Ebitda) contribue à réinscrire l'endettement du groupe SNCF dans la normalité. La SNCF a donc tourné le dos au déficit et à la spirale infernale de la dette. La réforme de 2018 fonctionne : c'est une bonne nouvelle pour les Français. Le groupe, si l'on tient compte de ses activités ferroviaires et de ses grandes filiales Geodis et Keolis, gagne de l'argent, qui est investi dans le ferroviaire français.

Ces résultats ont été obtenus alors que la SNCF a traversé plusieurs crises inédites majeures qui sont venues bouleverser la bonne marche des affaires : une première réforme des retraites au cours de l'hiver 2019-2020, qui a provoqué un conflit social dur d'une durée de deux mois ; la crise sanitaire et économique liée à la covid-19 - rappelons que les TGV étaient à l'arrêt en mars et avril 2020 - ; la crise économique et sociale due à l'inflation et aux problèmes de pouvoir d'achat, eux-mêmes liés à la hausse des prix de l'énergie à la suite de l'invasion de l'Ukraine par la Russie ; enfin, la deuxième réforme des retraites durant les premiers mois de l'année 2023, qui a entraîné de longues grèves ayant perturbé l'entreprise. Cette période se caractérise également par l'arrivée effective de concurrents dans le secteur du transport ferroviaire de voyageurs. Trenitalia et Renfe exploitent des TGV entre Lyon et Paris ou entre Lyon et Barcelone et Marseille et Madrid. Transdev a par ailleurs gagné deux appels d'offres TER, l'un dans la région Sud-Provence-Alpes-Côte d'Azur, l'autre dans la région Grand Est.

Premier enseignement, SNCF Réseau et SNCF Gares & Connexions ont su accueillir les nouveaux entrants en toute équité, sous le regard attentif de l'Autorité de régulation des transports (ART). Deuxième enseignement, cette transformation profonde de la SNCF bouscule les certitudes des cheminots, c'est pourquoi nous devons les accompagner. Troisième enseignement, SNCF Voyageurs résiste plutôt bien, puisque, à ce jour, la société a gagné quatre appels d'offres TER ou Transilien sur six et n'a pas perdu de voyageurs sur la ligne Paris-Lyon.

Je souhaite désormais évoquer les aspects sociaux de l'entreprise.

Ma première conviction en tant que dirigeant est que l'on ne peut pas transformer contre ses salariés une entreprise publique de 150 000 cheminots, un groupe qui possède une forte culture interne. Il faut donner du sens et embarquer les salariés dans un projet d'entreprise attractif. Deuxième conviction : nous devons associer les salariés aux bons résultats de l'entreprise. Il faut toujours chercher le bon équilibre entre l'économique et le social : je fais de cette ligne de conduite une constante depuis le début de ma présidence. Avec la fin du recrutement au statut voulue par la réforme de 2018, la SNCF a cherché, dans le cadre d'un marché du travail très compétitif, à attirer et à retenir les nombreux talents dont elle avait besoin pour garantir à ses clients un service de qualité dans les territoires. Troisième conviction : la grève est un droit constitutionnel que personne ne souhaite remettre en cause. Le dialogue social est essentiel pour l'éviter chaque fois que c'est possible, car la grève prive les Français du service attendu et abîme l'image et les comptes d'une entreprise qui est au service de ses clients. Un accord social équilibré, trouvé à froid, est toujours meilleur qu'un conflit larvé ou déclaré, à l'issue incertaine. En termes de conflictualité, si l'on met de côté les deux grèves interprofessionnelles liées aux réformes des retraites, qui dépassaient la seule SNCF, on n'a recensé que deux mouvements sociaux nationaux visibles propres à la SNCF en quatre ans et demi. Le premier a eu lieu le week-end de Noël 2022 au cours duquel deux TGV sur trois ont malgré tout roulé ; le second s'est déroulé en février 2024 : nous sommes parvenus à transporter 85 % de nos clients et, surtout, 100 % des voyageurs qui se rendaient dans les vallées alpines. Je ne minimise pas les conséquences de ces mouvements pour nos clients, et je les regrette. Pour autant, on connaît la réactivité des syndicats de notre entreprise : j'estime que ce résultat est honorable au regard des difficultés économiques causées par l'arrêt des TGV durant la crise de la covid-19, des enjeux sociaux liés aux risques sanitaires suscités par cette même épidémie, de la hausse très importante des prix qui a miné le pouvoir d'achat des salariés, de l'inquiétude légitime causée par l'ouverture à la concurrence et de la discontinuité décidée par la Commission européenne qui affecte Fret SNCF. Le dialogue social est vivant depuis mon arrivée dans l'entreprise et vous m'avez déjà entendu le dire : je suis un infatigable du dialogue social.

J'en viens maintenant à l'accord sur les fins de carrière récemment signé à la SNCF. J'ai entendu les doutes et les critiques. Ma conviction est qu'il s'agit d'un bon accord, qui ne contourne pas la loi sur les retraites et qui est conforme aux pratiques des grandes entreprises publiques ou privées. Son coût est raisonnable et sera bénéfique à l'entreprise : il ne coûtera rien aux contribuables, aux clients ou aux caisses de retraite. L'accord lui-même existe depuis 2008, sa renégociation a été engagée à la demande des pouvoirs publics et conduite avec responsabilité et en toute transparence. D'abord, tout accord social est par définition un compromis. Son résultat tient compte des demandes des salariés, tout en respectant les équilibres économiques. Cet accord se divise en deux volets, tous deux en ligne avec la réforme des retraites votée en 2023.

Le premier volet comporte deux dispositifs destinés à accompagner les salariés qui travailleront plus longtemps du fait de l'entrée en vigueur de la loi : le premier offre de nouvelles perspectives de carrière et de rémunération à ceux qui entendent rester dans l'entreprise au-delà de 60 ans. La grille indiciaire historique était conçue pour des cheminots partant à la retraite à 55 ans ; ceux-ci partent désormais à 60 ans et plus. Le second propose des possibilités de reconversion professionnelle à des agents exerçant des métiers pénibles qui souhaitent poursuivre et terminer une carrière plus longue sur des emplois moins pénibles. Ces deux premiers dispositifs s'inscrivent totalement dans l'esprit de la loi en prévoyant un allongement des carrières et un départ à la retraite plus tardif ; leur coût s'élève à 20 millions d'euros par an, ce qui est très raisonnable, puisqu'une telle somme ne représente que 0,2 % de la masse salariale de la SNCF.

Le deuxième volet de la négociation a été l'occasion d'adapter l'accord en vigueur depuis seize ans, lequel prévoyait des mécanismes complexes de cessation progressive de l'activité, alors que la retraite était encore fixée à 55 ans pour les cheminots statutaires. Les pouvoirs publics, peu après le vote de la réforme des retraites de l'an dernier, ont demandé aux branches et aux entreprises de travailler sur le volet pénibilité dans un contexte où la loi prévoit un allongement des carrières. Au cours du printemps 2023, à la demande des pouvoirs publics, nous avons donc proposé aux organisations syndicales de revoir ce vieil accord qui ne tenait compte ni de la réforme Fillon de 2010, ni de la réforme Touraine de 2014, ni de la réforme de 2023. Les négociations sont entrées dans une phase active à l'automne 2023. Elles ont abouti à la fois à une simplification et à une amélioration de six mois des dispositifs existants, tenant compte de la pénibilité des métiers exercés à la SNCF. Ce sujet, qui est un enjeu propre à la SNCF, me tient particulièrement à coeur. Nous sommes une entreprise industrielle, ouvrière, de production, qui travaille 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, du 1er janvier au 31 décembre. 91 000 cheminots, soit deux cheminots sur trois, exercent un métier pénible au sens de la réglementation, et ce pendant de longues années, tout au long de leur carrière. Parlons du vécu des salariés de la SNCF et partons des réalités : dans les ateliers, dans les postes d'aiguillage et de gestion de l'énergie électrique, dans les dépôts, dans les gares, dans les trains, sur les voies, ils travaillent de nuit, en horaires décalés, font les trois-huit. Tout cela est usant ! Je pense aussi aux personnels roulants, qui travaillent en horaires atypiques et découchent parfois plusieurs fois par semaine. Enfin, il ne faut pas oublier les agents travaillant en extérieur, quelles que soient les intempéries et la température : la maintenance des voies, par exemple, est quasiment exclusivement assurée la nuit. J'ajoute que la maintenance des matériels se fait de moins en moins de jour. Quant aux agents de la surveillance générale, ces personnels armés et formés pour nous protéger, ils travaillent à toute heure, de jour comme de nuit. Le coût net de ce deuxième volet consacré à la pénibilité est de 15 millions d'euros par an, soit 0,15 % de la masse salariale. Il s'agit du solde entre le coût brut du dispositif, correspondant à la prise en charge par l'entreprise d'une partie de la rémunération pendant la période non travaillée, et les économies réalisées sur la masse salariale. Ces économies résultent de l'effet générationnel ou effet de noria, d'une part, et du non-remplacement systématique des salariés partant à la retraite, d'autre part. En effet, grâce au nouvel accord, l'entreprise n'est plus obligée de recruter un nouveau salarié en cas de départ. En somme, il sera désormais plus simple de gérer les effectifs : pour ce qui est des fonctions support par exemple, il est probable que l'essor de la numérisation et de l'intelligence artificielle réduise les besoins de recrutement de nouveaux agents.

Le volet « cessation anticipée de l'activité » de l'accord emportera également des effets bénéfiques sur l'absentéisme et sur la gestion de l'inaptitude très pénalisante dans les métiers de sécurité, car pénibilité et absentéisme sont des sujets connexes. À la SNCF, la courbe est très nette : entre 60 et 65 ans, l'absentéisme est multiplié par deux ; au-delà de 65 ans, il l'est par trois. Il est donc indispensable de mieux accompagner les agents en fin de carrière. L'accord permettra enfin une meilleure gestion prévisionnelle des emplois, puisque nous saurons plus tôt à quelle date les salariés partent à la retraite. Aujourd'hui, lorsqu'un conducteur quitte l'entreprise, le délai de préavis est de six mois. Or il faut plus d'un an pour former un nouveau conducteur : ce décalage nous est préjudiciable et crée un certain nombre de difficultés.

Je m'engage à compenser le coût de cet accord sans le répercuter sur le prix des billets et en préservant les marges du groupe. La SNCF a de l'argent et peut très bien financer le coût de ces mesures grâce à ses 1,3 milliard d'euros de résultat net. Les plans prévisionnels dont nous disposons me rendent par ailleurs confiant dans notre capacité à financer cet accord dans la durée. S'agissant de l'argument consistant à redouter la répercussion du coût de l'accord sur le prix des billets, on frise le ridicule : 35 millions d'euros rapportés à 122 millions de billets, cela ne représenterait que 29 centimes d'euro ! Croyez-vous vraiment que la SNCF augmentera le prix de ses billets ? Dernier point, l'accord ne rognera pas les marges financières de l'entreprise. Je m'y suis engagé devant le Gouvernement.

Évoquons les seniors, les 42 000 salariés âgés de plus de 50 ans, soit un agent sur quatre. Notre philosophie consiste à leur donner des perspectives. Grâce à cet accord, les cheminots seront considérés et aidés par l'entreprise pour réussir leurs dix à quinze dernières années de carrière et nous entendons nous appuyer sur leur expérience et leur savoir-faire. L'accord est également positif pour nos clients, parce qu'il permet de maintenir la motivation de nos personnels, ce qui contribue à la production d'un service de qualité, et parce qu'il permet de disposer des effectifs adéquats pour assurer les services attendus.

Abordons maintenant la question de la méthode. Je le redis, la négociation sur les fins de carrière liée à la pénibilité s'est engagée l'an dernier à la demande des pouvoirs publics. Je l'ai conduite en toute transparence : il serait étonnant que le Gouvernement n'en ait pas été informé, d'autant que Laurent Berger s'était plaint à l'époque de l'absence de prise en compte de la pénibilité. Depuis mon arrivée à la tête du groupe SNCF, une tutelle à deux branches s'exerce sur la stratégie sociale de l'entreprise : une tutelle technique, celle du ministère des transports, une tutelle sociale et politique, celle du ministère des transports et de Matignon, et une tutelle économique exercée par Bercy. Par ailleurs, je rends compte régulièrement des grands dossiers sociaux à mon conseil d'administration - qui compte d'ailleurs des représentants de l'État, et notamment de Bercy - , ex ante pour ce qui est de la stratégie et des objectifs, ex post pour ce qui concerne les résultats des négociations. S'il fallait une preuve supplémentaire de la totale transparence dont j'ai fait preuve au cours des négociations qui ont abouti à la conclusion de cet accord, je citerais la longue interview que j'ai donnée dans le journal Le Monde le 23 février dernier, qui m'a permis d'exposer ma conception du dialogue social. J'y mentionne explicitement l'ouverture de négociations sur les fins de carrière et la pénibilité : je ne comprends donc pas les critiques émises sur l'opacité supposée de cet accord... J'espère qu'à travers ces précisions j'aurai apporté des réponses à vos préoccupations légitimes. Je suis prêt à répondre à toutes vos questions à ce sujet.

Enfin, je ne peux pas achever mon propos sans vous rappeler l'importance de l'enjeu des transitions écologique et énergétique et du rôle clef que peut et doit jouer le secteur ferroviaire. Vous connaissez mon engagement pour le « fois deux » : deux fois plus de voyageurs et deux fois plus de marchandises dans les dix à quinze ans à venir. Je suis profondément attaché au report modal des modes de transport polluants vers le ferroviaire français : c'est un mode non polluant, parce qu'il fonctionne à l'électricité et que l'électricité est décarbonée dans notre pays - merci EDF ! Le groupe SNCF est une entreprise innovante, qui s'est lancée l'an passé dans la production massive d'électricité solaire à travers sa nouvelle filiale SNCF Renouvelables, pour consolider la souveraineté énergétique du pays. Nous allons déployer des panneaux solaires sur tous nos terrains et bâtiments : la production d'énergie solaire de la SNCF lui permettra de couvrir 15 % de ses besoins en 2030 ; l'objectif du groupe est d'être totalement autonome en 2050. Il s'agit évidemment d'une excellente nouvelle pour la souveraineté énergétique de notre pays, sans compter que la SNCF est le premier consommateur d'électricité de notre pays et que cette autonomie contribuera à réduire drastiquement la sollicitation de notre système de production d'électricité. Le groupe a également lancé un certain nombre de projets de nouveaux trains régionaux décarbonés et moins coûteux un peu partout sur le territoire : en Alsace, en Haute-Vienne, en Loire-Atlantique, en Charente-Maritime, et ce, pour desservir tous les territoires, dans leur diversité.

Je suis fier d'être à la tête de cette grande entreprise publique qui s'engage au service de la Nation et du rayonnement de notre pays, une entreprise qui apporte un contingent de 1 000 réservistes à la garde nationale, qui a accueilli des réfugiés ukrainiens dans ses gares, qui a très vite organisé des convois vers l'Ukraine avec la protection civile et qui, pendant la pandémie de la covid-19, a transformé des TGV en hôpitaux pour transporter et sauver des malades. Les cheminots ont réussi à assurer la continuité du service lors de la Coupe du monde de rugby ; ils ont lancé vendredi dernier un nouveau RER baptisé Eole (Est-Ouest liaison express) ; ils se préparent aujourd'hui, à travers tout le pays, pour que la France gagne la médaille d'or du pays organisateur des jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024.

J'ai été choisi en novembre 2019 par le Président de la République et le Premier ministre, M. Édouard Philippe, pour mettre en oeuvre la réforme de 2018 pour un nouveau pacte ferroviaire. En responsabilité, j'ai mené une transformation profonde du groupe SNCF : j'ai fait évoluer sa gouvernance, en le faisant passer d'un établissement public industriel et commercial (Épic) à une société anonyme ; je l'ai également fait évoluer sur les plans économique, industriel, environnemental et social. Avec certains d'entre vous et de vos collègues députés, ainsi qu'avec les présidents de région, nous avons remis le ferroviaire au coeur du débat public. Les projets de services express régionaux métropolitains (Serm) avancent dans les métropoles. Les nouvelles lignes à grande vitesse (LGV) ont repris de la vigueur. 10 milliards d'euros sont investis chaque année dans le ferroviaire. J'ai replacé, et vous m'y avez aidé, les territoires et les clients - autorités organisatrices, voyageurs, chargeurs, nouveaux entrants - au coeur de notre projet d'entreprise, avec l'ambition d'encourager les Français à prendre le train, d'améliorer la qualité de service, mais aussi de réussir l'ouverture à la concurrence. Ma responsabilité n'a pas changé. Face aux défis nombreux et lourds que connaît notre pays, le mandat qui m'a été confié consiste à conduire la transformation et la modernisation durables de cette entreprise. Pour ce faire, je dois rechercher en permanence la convergence entre l'économie, l'humain et la transition écologique, au service des Français et des territoires. Je remercie le Président de la République pour m'avoir proposé en 2019 pour cette belle fonction, et les deux commissions, au Sénat et à l'Assemblée nationale, pour m'avoir confirmé à mon poste par deux fois. J'ai agi, j'agis et j'agirai toujours dans le respect et la considération de tous les partenaires et de tous les salariés de l'entreprise. C'est mon style, ce sont mes valeurs : j'ai le service de la Nation, de l'intérêt général et du bien commun chevillé au corps.

Après ce propos liminaire, je tiens à répondre en détail aux questions du président Longeot et du rapporteur pour avis Tabarot.

S'agissant des jeux Olympiques et Paralympiques, sachez-le : je ne minimise pas les enjeux, mais je suis confiant dans la capacité du groupe SNCF à être prêt à temps et à relever le défi. Nous serons en mesure de desservir les très nombreux sites olympiques se situant en province - à Lille, à Marseille ou à Châteauroux. En effet, l'été, année olympique ou non, tous nos TGV circulent ; aucun ne reste au garage. L'offre estivale que nous sommes habitués à proposer sera la même l'été prochain et les trains seront aussi bondés que d'habitude. Cela étant, une attention particulière sera accordée à l'accueil et à la prise en charge des clients dans les villes olympiques. En revanche, en Île-de-France, les choses seront plus complexes sur un plan opérationnel et logistique. Ainsi, c'est la première fois que le Stade de France se remplira et se videra deux fois dans une même journée, avec les allers-retours que cela implique pour les usagers des transports. C'est du jamais vu en termes de flux ! Par ailleurs, de nombreuses gares franciliennes seront nettement plus fréquentées qu'à l'accoutumée, comme celle de Vaires-sur-Marne, où se dérouleront les compétitions d'aviron, qui accueillera 30 000 passagers chaque jour durant les jeux Olympiques, soit dix fois plus qu'en temps normal ou comme les gares de la ligne C du RER, dont la fréquentation sera également multipliée par dix. Aussi, alors que l'offre ferroviaire est traditionnellement réduite en Île-de-France en période estivale du fait des vacances, elle sera maintenue cet été au même niveau que le reste de l'année, ce qui signifie que les personnels n'auront pas de congés. Vous admettrez que cette contrainte supplémentaire appelle naturellement un certain nombre de compensations. Pour relever ce défi, nous avons prévu des modalités d'organisation très précises ; nous avons également prévu un nombre significatif de renforts : 10 000 vacataires - volontaires de la SNCF, extérieurs, enfants de cheminots - seront mobilisés ; nous avons consenti un important effort d'anticipation qui nous a conduits à recruter davantage pour combler les besoins, mais aussi pour compenser en septembre et en octobre les congés qui auront été ajournés. Les efforts ont aussi concerné la maintenance des matériels roulants : le parc sera totalement opérationnel cet été. Idem pour les voies ferrées : il n'y aura pas de travaux sur les infrastructures durant toute la durée des jeux Olympiques et Paralympiques, de telle sorte que les techniciens travaux vont devenir des dépanneurs : en vingt minutes maximum en cas de panne, nous pourrons projeter une équipe de dépannage pour intervenir. Bref, nous serons prêts !

Pour ce qui est du dialogue social en prévision de cet événement, un groupe de travail a été mis en place en novembre 2023. Nous discutons prioritairement de l'organisation, de l'emploi et des besoins avec les organisations syndicales. Une table ronde se tiendra le 22 mai prochain : j'espère que les points de vue convergeront, même si j'ai noté qu'un appel à la grève avait été lancé pour la veille. Je n'oublie pas que les jeux Olympiques permettront de léguer un héritage durable à notre pays : j'ai à l'esprit la mise en accessibilité des gares, l'ouverture de la ligne Eole, la rénovation de la gare de Saint-Denis, mais aussi une application de traduction instantanée, qui permettra aux touristes étrangers d'obtenir de l'aide dans l'une des cent à cent cinquante langues prévues. En somme, nous serons au rendez-vous. Je m'implique personnellement et mets toute mon énergie au service de cette cause.

J'en viens au plan de 100 milliards d'euros annoncé par Élisabeth Borne : près de 70 % de son montant sera consacré à des projets comme les Serm ou les nouvelles LGV. Chaque projet fera l'objet d'un tour de table qui permettra de boucler son financement. La SNCF, que ce soit SNCF Réseau ou SNCF Gares & Connexions, a vocation à être maître d'ouvrage, mais pas à être financeur. La LGV Bordeaux-Toulouse, par exemple, représente un investissement de 14 milliards d'euros : les collectivités concernées, au premier rang desquelles on trouve les régions Occitanie et Nouvelle-Aquitaine, ont fédéré les efforts des différents territoires pour trouver les financements nécessaires, en complément du concours de l'État. Pour ce qui est des 30 milliards d'euros restants, la SNCF est en revanche contributrice, car il s'agit de remettre en état le bien commun national que constitue le réseau ferroviaire français. SNCF Réseau a pour mission d'entretenir et de gérer les infrastructures au nom de la cohésion technique et de la sécurité de l'ensemble du réseau. Signalons que ce réseau a été sous-entretenu durant des décennies : c'est l'envers de la politique de développement des lignes à grande vitesse qu'a menée notre pays. Celle-ci a coûté 100 milliards d'euros au total, dont 90 % ont été pris en charge par la SNCF. Ce sont en quelque sorte 90 milliards d'euros qui n'ont pas servi au réseau ferroviaire classique. Comme toute infrastructure, un réseau ferroviaire commence à décliner et à connaître de grandes difficultés au bout de vingt à trente ans : nous y sommes. Certes, grâce à la réforme de 2018, les sommes allouées à l'entretien du réseau ont augmenté de 2,8 à 2,9 milliards d'euros par an, mais cela ne suffit toujours pas. Les experts estiment qu'il faudrait consacrer au moins 1,5 milliard d'euros supplémentaires chaque année pour régénérer le réseau et le moderniser : l'âge moyen du réseau français est de trente ans, contre dix-sept ans pour le réseau allemand. L'effort à fournir pour rajeunir le réseau national est colossal et devra se maintenir dans la durée. Actuellement, nous n'avons que partiellement résolu ce besoin de financement de 1,5 milliard d'euros par an. D'ici à 2027, 2,3 milliards d'euros seront consacrés à l'entretien des voies - 300 millions d'euros cette année, 400 millions d'euros en 2025, 600 millions d'euros en 2026, 1 milliard d'euros en 2027, le tout financé par la SNCF. À ce stade, les discussions n'ont pas abouti pour parvenir à un financement de 1,5 milliard d'euros par an à compter de 2028, même si le ministre des transports de l'époque envisageait, en fin d'année dernière, une clause de revoyure en 2025 pour une montée en charge plus ambitieuse. Le débat derrière cet enjeu, qu'il ne me revient évidemment pas de trancher, est naturellement de nature fiscale.

M. Didier Mandelli. - Monsieur le président-directeur général, je ne pensais pas que cette audition, dont la date a été fixée il y a quelques semaines, se transformerait en une cérémonie d'au revoir. Je considère la décision prise ce matin par le Gouvernement, à quelques heures de notre audition, comme brutale, n'est pas sans rappeler, pour le Vendéen que je suis, l'éviction du général Pierre de Villiers de ses fonctions de chef d'état-major en 2017. La politique du fusible ou du bouc émissaire a ses limites qui, en l'espèce, ont été franchies aujourd'hui. Je voudrais vous remercier pour le travail que vos équipes et vous-même avez réalisé depuis votre nomination. La SNCF se porte plutôt mieux qu'à l'époque de votre entrée en fonction : la stratégie de l'entreprise est plus claire et lisible, pour ce qui concerne tant les projets que les financements. Je vous remercie plus particulièrement de l'ensemble des actions qui ont été engagées depuis le vote de la loi du 10 mars 2023 relative à l'accélération de la production d'énergies renouvelables, un volet auquel je suis très sensible, comme beaucoup de mes collègues ici présents.

Vous avez évoqué les accords de 2008. Selon vous, à l'automne 2023, les pouvoirs publics vous ont incité à mettre en oeuvre cette évolution interne à la suite de la réforme des retraites. Vous avez évoqué une double tutelle, pourriez-vous préciser quel ministère vous a sollicité pour vous engager dans cette voie ? Le Gouvernement et l'Élysée jurent leurs grands dieux qu'ils n'étaient pas au courant de l'accord relatif aux fins de carrière à la SNCF. Je trouve que ces déclarations sont à la fois indélicates et irresponsables ; elles dénotent en tout cas une incapacité à assumer les décisions ou les engagements pris. Il est inimaginable qu'aucun collaborateur ou aucun ministre n'ait pris connaissance de l'interview que vous avez donnée au journal Le Monde. Soyons clairs : chacun doit assumer ses responsabilités, de l'Élysée à Matignon en passant par le ministère des transports et le ministère de l'économie. Vous avez conduit une réforme et contribué à la transformation de la SNCF : je considère que vous n'êtes pas remercié aujourd'hui comme vous auriez dû l'être et qu'aucun dirigeant d'une grande entreprise d'État ne mérite le sort qui vous est réservé. Ce n'est pas ainsi que l'on redonnera confiance dans la chose publique et dans le Gouvernement.

M. Jean-François Longeot, président. - La décision de votre non-reconduction est effectivement totalement indécente.

M. Olivier Jacquin. - Monsieur le président-directeur général, votre audition restera dans les annales tant la brutalité de l'annonce faite à votre endroit traduit celle d'un management caractéristique de la haute fonction publique. Vous êtes un cheminot apprécié de ses collègues, dont le bilan est très satisfaisant. L'accord sur les fins de carrière que vous venez de détailler, signé il y a quelques jours, en est un témoignage supplémentaire. La réussite économique de la SNCF, c'est sa réussite sociale. Cet accord est la preuve que le dialogue social est fructueux lorsqu'il n'est pas instrumentalisé. Dès lors, il n'y a pas à rendre de comptes à ce sujet ni à diaboliser la plateforme de progrès social que vous avez construite, ou pire, à en sanctionner les résultats, quand les administrateurs de cette sanction sont ceux qui voulaient faire de la SNCF une entreprise comme les autres. Je tiens donc à vous féliciter.

Ma première question porte sur le climat social. Comment appréhendez-vous les prochaines négociations au vu de celles qui viennent de s'achever ? Comment faire perdurer ce climat de confiance et d'écoute mutuelle, qui a semblé avoir été fragilisé ces derniers mois avec le développement des collectifs et qui semble être remis en cause aujourd'hui par le Gouvernement ?

Ma deuxième question a trait aux péages. Nous avons eu maintes fois l'occasion de débattre ici du modèle économique de financement des infrastructures ferroviaires. Je considère pour ma part qu'il est à revoir de fond en comble, à commencer par la politique des péages : les nôtres sont les plus chers d'Europe. Jusqu'à quand SNCF Voyageurs acceptera-t-elle de financer seule le réseau ferroviaire français, moyennant un réinvestissement complet de ses bénéfices, une contrainte qui n'est pas imposée à ses concurrents étrangers, alors même que ceux-ci bénéficient de rabais sur le prix des péages ? Que pensez-vous du modèle italien ? Ne devrions-nous pas nous en inspirer pour créer le choc d'offre en matière d'infrastructures nécessaire au choc d'offre en matière de services ferroviaires que nous réclamons tous ?

Ma troisième et dernière question concerne la ligne de trains d'équilibre du territoire (TET) Nancy-Lyon, qui devrait être mise en service en 2029. Un accord a été conclu entre l'État, la métropole de Nancy et le département de Meurthe-et-Moselle. Combien d'allers-retours par jour SNCF Voyageurs pourra-t-il assurer après que les rames commandées seront livrées et mises en service ? Depuis le rapport sur les TET de 2021, avez-vous mené des études sur la viabilité économique d'une telle ligne ? Pourquoi proposer des offres ferroviaires reposant sur le financement de collectivités irresponsables - les départements et les métropoles en l'occurrence -, dès lors que c'est l'État, seul compétent, qui devrait intervenir ?

M. Franck Dhersin. - Monsieur le président-directeur général, votre mandat ne dure que cinq ans, et sa première moitié est consacrée à la gestion des décisions prises par votre prédécesseur. Il aurait donc été intéressant que vous en fassiez un second, ce qui nous aurait permis de juger véritablement de l'ampleur de la réforme que vous avez mise en place. C'est bien dommage, même si vous auriez de toute façon bientôt atteint la limite d'âge.

La SNCF gagne davantage d'argent, c'est à mettre à votre crédit, mais je rappelle que les projets ferroviaires coûtent de plus en plus cher aux régions. Je ne dis pas pour autant que la SNCF est l'ennemie des collectivités : à mon sens, l'adversaire se trouve à Bercy, qui ne nous donne pas l'argent nécessaire pour exercer efficacement nos responsabilités et n'alloue pas à la SNCF les sommes dont le groupe aurait besoin pour remettre en état le réseau.

Vous parlez d'ouverture à la concurrence : parfait ! L'Espagne et l'Italie s'implantent en France, et vous-même intervenez dans ces pays avec un certain succès. J'ai toutefois une inquiétude au sujet des 115 rames que vous avez commandées à Alstom, qui a du retard - ce qui vous concerne, ainsi que les régions. Je regrette que vous ne les ayez pas attendues pour supprimer une centaine de TGV. Ce sont autant de trains de moins sur le réseau, donc des milliers de places, alors que les Français ont envie de grande vitesse. D'où une augmentation du prix du ticket.

M. Jacques Fernique. - Fin de carrière : la formule est polysémique aujourd'hui... L'accord sur la gestion des fins de carrière est le fruit du compromis des partenaires sociaux pour prendre en compte la réforme des retraites et les autres changements intervenus depuis 2008 - de tels accords existent dans bien d'autres secteurs, publics et privés. En faire une polémique à l'emporte-pièce, alors qu'il est le produit d'un dialogue social qui fonctionne et en même temps vouloir réduire les grèves, pose une question de cohérence.

Ma question porte sur l'investissement pour l'avenir du ferroviaire - je souscris aux propos de mes collègues sur la brutalité gouvernementale. Depuis l'annonce du plan d'investissement de 100 milliards d'euros dans le réseau, ne procrastine-t-on pas alors que le nouveau Gouvernement n'a guère mis en valeur cet engagement, et que la programmation concrète est à la traîne ? Depuis des mois, seules des propositions de loi parlementaires alimentent notre agenda, la fameuse loi de programmation des transports s'étant évanouie. Ne faut-il pas actionner la fiscalité carbone, pour rétablir l'équilibre avec le routier et l'aérien ? Ne devrait-on pas parfois prévoir l'obligation réglementaire d'utilisation du fret ferroviaire, comme en Autriche ? Ne pourrait-on pas en finir avec l'exception française des péages ferroviaires très élevés, qui entravent le nécessaire choc d'offre ? L'Italie a, à cet égard, adopté une démarche gagnante.

Nous parlons tous de régénération - vous avez mentionné le tiers des 100 milliards d'euros -, mais je m'interroge sur la volonté de modernisation, que ce soit avec le système européen de surveillance du trafic ferroviaire (ERTMS), pour réduire les intervalles entre les trains, ou la commande centralisée du réseau, pour gérer les flux sur de grands bassins. Notre réseau est loin d'être saturé, bien moins qu'en Allemagne, au Royaume-Uni ou en Italie. La principale déficience n'est-elle pas l'incapacité à concevoir la modernisation comme une urgence pour optimiser l'usage du réseau ?

M. Pierre Barros. - Je vous remercie de votre travail, qui illustre votre engagement envers les usagers, les agents et l'entreprise. Je suis surpris par votre convocation à Bercy, alors que les ordonnances Macron sont censées favoriser les accords d'entreprises au détriment des accords de branche : il semble que ceux qui les prônaient ne les acceptent pas lorsque le rapport de forces est en leur défaveur. La question des négociations collectives est de plus en plus occultée, alors que les propositions de loi encadrant le droit de grève se multiplient, au Sénat comme à l'Assemblée nationale. Ne faudrait-il pas renforcer les moyens du dialogue social pour garantir des cadres de négociation collective pertinents ?

Fret SNCF a été affaiblie par plusieurs plans de restructuration, alors que la part modale du ferroviaire sur le transport de marchandises est passée de 14,6 % en 2009 à 10,7 % en 2021, et que l'entreprise en assure la moitié. Elle a perdu 10 000 emplois sur cette période, et est menacée par le plan de discontinuité issu d'une injonction européenne. Les conséquences sont catastrophiques : abandon pour dix ans de vingt-trois lignes alors que le transport combiné est en net développement ; report sur le wagon isolé, plus difficile à opérer. Le choix du Gouvernement risque de réduire à peau de chagrin la part du fret ferroviaire en France, à rebours de l'urgence écologique. L'ambition de doubler la part du fret d'ici à 2030 est-elle compatible avec le plan de discontinuité ? En l'état, ne risque-t-on pas la disparition du fret ferroviaire en France ?

M. Daniel Gueret. - Nous assistons ce matin à un camouflet qui ne grandit pas nos gouvernants et joue contre le ferroviaire au moment où nous aurions besoin d'un signe. Bercy prépare des lendemains difficiles à vos successeurs et je regrette ce procédé.

Je salue votre mandat, enserré entre les décisions des Gouvernements successifs et de nombreuses contraintes : analyses du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec), demandes des élus, besoins financiers considérables, ajustements budgétaires fréquents. Cette belle mission, du fret au TGV en passant par l'entretien du réseau, n'est-elle pas irréalisable en l'état, et ce malgré votre volonté et celle de vos équipes ?

Au-delà des postures, il faut parler du temps ferroviaire, qui n'est pas le temps politique. Tout le monde le sait, mais tout le monde exige d'aller plus vite. Ne faut-il pas changer de logiciel et définir des objectifs essentiels plus restreints, moins coûteux, moins médiatiques, pour que les politiques que nous sommes évitent les demandes impossibles ? Il convient d'éviter de proposer au Gouvernement des options irréalisables. Ma foi dans le ferroviaire est totale, mais il faut des objectifs concrets, sans quoi nos discours n'auront plus de crédit.

Je reprends les propos du Haut-commissaire au plan, François Bayrou : il faut revenir à une politique du temps long. Cela pourrait se traduire par un contrat de plan ferroviaire sur dix ans, ne variant pas selon les postures politiques, climatiques ou énergétiques. Je vous rends hommage, on ne pourra pas vous reprocher de n'avoir rien fait à la tête d'une SNCF que vous avez contribué à remettre sur ses rails. J'ai un espoir : que ce qu'on vous applique aujourd'hui fasse jurisprudence pour certains ministres, qui ont cumulé les maladresses depuis trente ans sans rendre de comptes à personne - notamment le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

M. Hervé Gillé. - Le jeune Bacalanais que vous avez été a sans doute une haute conscience des réalités sociales. Vous avez mentionné la culture d'entreprise, à laquelle vous avez donné corps par votre action. Parmi les Girondins, nous sommes nombreux à avoir une profonde estime pour votre travail. Au-delà des résultats demeurent des injonctions paradoxales. Il y a des réalités économiques, mais aussi tarifaires : les billets de la SNCF sont souvent plus chers que ceux du transport aérien. Olivier Jacquin a mentionné les péages : leur hausse continue, notamment pour les TER, est insoutenable pour les régions, alors qu'elle est souvent supérieure à l'augmentation des péages pour les TGV. Le TER ne doit pas être la variable d'ajustement qui finance la régénération du réseau. Sur les 100 milliards d'euros, la balance entre 70 % pour les grands projets et 30 % pour l'entretien du réseau n'est-elle pas déséquilibrée ? Vous n'avez pas arbitré cette situation, restant dans un équilibre politique. Les régions veulent distinguer les coûts fixes des coûts marginaux, pour plus de visibilité et une véritable comptabilité analytique. Le 5 mars dernier, le Conseil d'État, dans le cadre du recours de la Nouvelle-Aquitaine et de sept autres régions sur les péages, a donné raison aux collectivités en annulant les tarifs des péages ferroviaires en raison du manque de transparence et de délais trop courts. Quel est votre regard sur cette décision ? Comment SNCF Réseau reverra-t-elle sa copie ? La révision du contrat de performance prendra-t-elle en compte cette évolution des péages ? Quelles sont les pertes ? La LGV Bordeaux-Paris, avec LISEA, accuse des pertes financières de dizaines de millions d'euros malgré son succès commercial. Le péage imposé par cette société n'est pas absorbable en l'état.

M. Michaël Weber. - Vu le contexte, je joins ma voix à celle de mes collègues quant à votre bilan. Peut-être cela vous laissera-t-il davantage de liberté de ton.

Vous avez beaucoup parlé du fret. Puisque l'entité succédant à Fret SNCF ne pourra pas exploiter vingt-trois des sillons les plus rentables, alors que ses concurrents le pourront, le respect de l'engagement du doublement de la part modale du fret ferroviaire semble compromis, comme la décarbonation du transport de marchandises en général. SNCF, premier transporteur routier de marchandises, réussira-t-elle ce pari dans les conditions actuelles ? En l'absence de stratégie sur les trains complets cadencés, activité la plus rentable, le wagon isolé, moins profitable, menace-t-il le fret ferroviaire ? Comment le prioriser par rapport au transport de voyageurs, tant l'exigence de rentabilité est favorable à ce dernier, plus rémunérateur ? Quelles sont les garanties associées à la discontinuité, qui vise à éviter des sanctions européennes au détriment de nos engagements climatiques, et qui compromet la soutenabilité économique du nouvel opérateur New Fret ?

M. Jean-Pierre Farandou. - L'encouragement à négocier sur la pénibilité et les fins de carrière venait de Matignon, qui conduisait la réforme des retraites et restait en contact avec les partenaires sociaux, et voulait une perspective de sortie de crise en invitant les branches et les chefs d'entreprise à ouvrir de telles négociations. Alors que nous avions un vieil accord, qui remontait à 2008, le moment n'était pas mauvais pour tenir compte des réformes des retraites successives - Fillon, Touraine et la plus récente. Je n'ai pas peur des choses compliquées, comme le climat social à la SNCF - quand je suis arrivé, il était même très compliqué : on pouvait parler de rupture, de glaciation. Je ne peux pas gérer 150 000 cheminots, en pleine période de transformation, sans organisations syndicales. Sinon, c'est la porte aux collectifs anonymes, qui fonctionnent en boucle WhatsApp, sans corps intermédiaire responsable. C'est une enveloppe impalpable de toutes les demandes : on n'arrive pas au compromis. Les deux difficultés sociales que nous avons connues étaient liées à un collectif ; je défends les organisations syndicales, sans lesquelles on ne peut pas piloter. J'ai rétabli le dialogue, qui commence par le respect. Les élections professionnelles sont très suivies, il y a une vraie représentativité, avec des numéros un, deux, trois, quatre, et je travaille avec tout le monde. Les avis des organisations syndicales ne sont pas toujours les miens, il faut trouver des équilibres, mais la conflictualité abîme l'image de la SNCF ; les Français ne supportent plus de ne pas avoir de train. Elle est aussi très mauvaise pour le fret : après une rupture du contrat de confiance, qui met des entreprises en difficulté, celles-ci passent à la route et sont définitivement perdues. Le voyageur râle, mais il revient ; ce n'est pas le cas du fret. La grève reste un droit, mais mieux vaut l'éviter. En février, je n'ai pas pu le faire, car les revendications étaient inatteignables. Le compromis est donc essentiel : si l'on est radical, la confrontation s'installe. Je vais faire preuve d'idéalisme : les partenaires sociaux sont des partenaires ! Par exemple, pour la covid, nous n'avions pas plus de masques que les autres, et la SNCF aurait pu devenir un vrai bazar, car le droit d'alerte est possible, s'agissant d'un sujet sanitaire. Dès le premier jour, j'ai lancé des conférences sanitaires, auxquelles j'invitais les syndicats. Je ne leur cachais rien. C'est dans ce climat de confiance qu'on a ajusté, avec eux, les gestes barrières aux gestes métier : comment pratiquer la distanciation lorsque l'on est cinq dans un poste d'aiguillage de vingt mètres carrés, ou deux dans une nacelle pour réparer une caténaire ? Pour les jeux Olympiques, ce sera la même chose. Je suis heureux que notre pays les organise, mais des questions se posent : sachons les résoudre ensemble pour réussir. Je ne suis pas pour autant un Bisounours, des sujets demeurent compliqués, comme la concurrence, à laquelle tous les syndicats de la SNCF sont opposés. Il est donc difficile de discuter des décrets d'application face à une position idéologique, mais respectable, de leur part.

L'accord sur les fins de carrière, c'est du progrès social, ce n'est pas interdit ! Parfois, des sujets sont plus douloureux : jamais un syndicat ne soutiendra la discontinuité du fret, alors que mon travail est de la mettre en oeuvre. Cependant, le respect est là, la volonté que la SNCF rebondisse aussi. J'aurais voulu être encouragé après avoir progressé en évitant les grèves, mais j'ai été critiqué pour cela - j'ai une difficulté de compréhension, mais certains éléments me dépassent peut-être.

Les péages sont un sujet de fond. Je suis un vieux cheminot, je connais l'historique : les péages sont apparus avec la création de RFF et la concurrence. La propriété des rails a été transférée à RFF, comme la dette ; il fallait donc que la SNCF, qui utilise les rails, acquitte un péage, pour éviter la « laisse maastrichtienne ». En 1997, la dette de RFF, pour ne pas devenir trop importante, devait être celle d'une entreprise commerciale, c'est-à-dire dont le chiffre d'affaires doit être égal à au moins la moitié des coûts. Or le chiffre d'affaires de RFF découle des péages. C'est ainsi que leur niveau a été calculé ; c'est pourquoi il est élevé. En France, plus qu'ailleurs, on a fait payer l'usager du train : 20 euros sur un billet de TGV à 50 euros, soit 40 % - contre moitié ou trois fois moins en Espagne et en Italie. Mais alors, le budget de l'État doit compenser, ce qui renvoie aux débats budgétaires actuels. Le calcul du péage répercute les coûts, sans marge. Avec l'Ukraine, le coût de l'énergie s'est accru, donc celui de l'acier et du ciment aussi. Les coûts de maintenance ont augmenté de 10 %, l'index TP01 a pris dix points, et les péages sont donc en hausse de 8 % - une hausse décriée par les conseils régionaux, mais qui reste inférieure à ce qu'elle pourrait être. C'est une répercussion mécanique, validée par l'ART.

La ligne Nancy-Lyon est soutenue par les élus concernés. La SNCF n'avait pas le matériel pour la couvrir, car il manque des TGV, elle a donc estimé que l'équilibre économique n'était pas garanti. Une solution entre l'État et la région a été trouvée : faire entrer cette ligne dans les TET, dont l'autorité organisatrice est l'État. Celui-ci paie alors la SNCF et assume le déficit d'exploitation. En 2029, l'État assure que la ligne sera bien prise en compte dans les commandes en cours d'automotrices, après Clermont et Limoges. À court terme, la région Grand Est dépanne, avec son propre matériel.

Sur l'ouverture à la concurrence, en effet, la SNCF est présente en Espagne, mais pas encore en Italie.

Monsieur Dhersin, certes, il paraît étrange d'avoir arrêté une centaine de trains. Je ne souhaite pas me défiler, mais cette décision a été prise en 2015-2016. Il y a dix ans, elle semblait rationnelle, car en comptabilité d'entreprise, les commissaires aux comptes obligent à une dépréciation des actifs lorsque ceux-ci ne sont pas assez rentables. La recette en 2015 était insuffisante, les trains n'étant pas assez pleins, il a fallu déprécier. La réponse managériale logique a donc été de réduire le parc, puisqu'il y avait trop de TGV - même si, quelques années plus tard, on s'en mord les doigts... SNCF Voyageurs m'a proposé de garder les vieux TGV, en plus des 115 nouveaux, qui auront certes du retard, j'ai accepté. Au lieu de radier ces anciennes rames, nous allons dépenser pour assurer leur maintien, afin que les nouveaux trains ajoutent une capacité au lieu de remplacer les anciens. Cela joue sur les prix. En moyenne, selon l'ART, le prix moyen du billet de TGV n'a pas bougé, remontant à peine au niveau de 2019, à 45 euros, soit le prix du taxi pour aller à Roissy. Certes, il y a d'importants écarts-types. Les trains étant très remplis, le lean management joue à plein : il est parfois difficile de trouver des places, qui sont parfois à prix élevé. La capacité supplémentaire rééquilibrera l'équation, avec, je l'espère, une amélioration de la perception des Français.

Sur le financement des investissements et la fiscalité, il faut bien mettre de l'argent public sur le réseau ferroviaire français si l'on veut allier les actes au discours. Pour développer vraiment le ferroviaire, il n'y a pas d'autre solution. Sans cela, nous n'atteindrons ni la capacité nécessaire, ni la fiabilité, ni la modernisation - ERTMS, commande centralisée. La SNCF prendra sa part. Sur le très long terme, après 2027, j'ai annoncé en fin d'année dernière, dans le cadre du plan stratégique à dix ans, que j'étais prêt à augmenter durablement de 500 millions d'euros par an la part de la SNCF, sur le total de 1,5 milliard d'euros. Reste un milliard d'euros par an à trouver.

Pour alimenter le débat, même si le choix ne m'appartient pas, je propose deux pistes. Premièrement, à partir de 2027, une fiscalité européenne visera les sociétés de camions, qui ne sont aujourd'hui pas taxées alors qu'elles polluent. Ainsi, les camions qui vont de la Roumanie à l'Espagne nous infligent toutes les nuisances - émissions, usure des routes - et font le plein au Luxembourg, puis en Espagne, sans même acheter un sandwich en France. De même, les compagnies aériennes seront aussi soumises à une taxation carbone. On estime le produit total de ces taxes à 20 milliards d'euros pour l'Europe, dont 10 % pour la France, soit 2 milliards d'euros : pourquoi ne pas en prélever la moitié ? La seconde idée est de mobiliser, à partir de 2030, la « manne autoroutière » de 3 milliards d'euros par an. Pourquoi ne pas prélever un milliard d'euros pour boucler la remise en état et la modernisation du réseau français ?

L'intérêt de l'entreprise est d'avoir des syndicats représentatifs, formés, rompus à l'économie, comprenant un bilan et une stratégie. Pour dialoguer, il faut partager des prérequis. À la SNCF, nous savons organiser les parcours : les syndicalistes, lorsqu'ils veulent abandonner leurs fonctions syndicales, sont les bienvenus dans l'entreprise, et beaucoup acquièrent des fonctions de cadre ou de cadre supérieur, ce qui est normal. En Allemagne, la maturité du dialogue social n'empêche pas les grèves - mon collègue allemand sort de plusieurs semaines de grève. La démocratie sociale est un élément de la démocratie tout court, c'est-à-dire de l'équilibre du pouvoir et de la discussion. C'est la synthèse qui fait progresser.

Le fret est peut-être le sujet le plus difficile, avec le financement du réseau. On a laissé passer les décennies, nous ne sommes plus qu'à 9 ou 10 % de part de marché et nous subissons une discontinuité difficile à gérer. En la matière, j'ai la foi du charbonnier. Certains pays, comme l'Espagne ou l'Italie, sont passés au tout-camion. J'habite le sud-ouest : l'autoroute vers l'Espagne est une file ininterrompue de voitures ! C'est la même chose au départ de Lille, avec les Britanniques et l'Europe du Nord, et en Alsace : puisqu'il y a un péage en Allemagne et pas de notre côté, les camions passent par la France et font même vibrer les maisons. Le débat sur les méga-camions, les mega-trucks, est à tomber par terre : d'un côté, la Commission européenne vante le Green Deal ; de l'autre, le Parlement européen autorise des camions de trente mètres de long - je rappelle qu'un bus articulé à Paris mesure vingt mètres - et de 60 tonnes ! Cela représente un gain de 20 % de productivité : va-t-on le laisser passer ? Il y a un problème de cohérence entre les ambitions et les décisions politiques. À mon sens, il faut non seulement sauver, mais aussi développer le fret ferroviaire. Les entreprises le demandent, car elles seront confrontées à la comptabilité et au bilan carbone, qui comprend les fournisseurs : livrer en train plutôt qu'en camion réduit les émissions. Les entreprises frappent à la porte : il y a du potentiel.

Certains ont laissé tomber le fret ferroviaire, comme l'Espagne et l'Italie, mais aussi l'Europe de l'Est. D'autres avancent, comme la Suisse, l'Autriche, l'Allemagne, les Pays-Bas, peut-être en raison d'une sensibilité écologique forte. Pour cela, il y a deux conditions nécessaires et quasiment suffisantes. Tout d'abord, il faut investir dans les infrastructures de fret : chantiers, terminaux, sillons de qualité. Les ports de Marseille et du Havre sont mal connectés au plan ferroviaire : si on les développe, cela passera par le camion. Si l'on veut éviter cela, il faudra bien les équiper en ferroviaire.

Il faut, ensuite, aider le wagon isolé, qui a le même tonnage qu'un camion : 40 tonnes. Pour rouler d'un point A à un point B, il faut un petit locotracteur, avec deux cheminots, qui amène le wagon au triage, pour former un train, puis un nouveau triage pour l'amener au consommateur, le tout sur quatre jours. Dans le même temps, le camion a fait quatre allers-retours, et ne paie pas l'usure des routes. Si on laisse faire le marché, le wagon isolé, consubstantiellement plus cher que le camion, disparaîtra. Si l'on veut garder cette activité, il faut l'aider. C'est ce qui se passe en Autriche et en Suisse, et ce dont on parle en Allemagne. Un système d'aide s'est mis en place avec le plan de relance, à 170 millions d'euros par an pour l'ensemble du secteur, SNCF et hors SNCF : nous demandons 200 millions d'euros dans la durée. Si ces deux conditions sont remplies, alors le fret ferroviaire se développera.

Je suis un optimiste, la volonté fait le chemin. Parlons de transition écologique. J'ai deux petites filles, âgées de cinq et trois ans : quel monde vais-je leur laisser ? Quatre ou cinq degrés de plus, des tornades, des inondations, des sécheresses, ou allons-nous vraiment agir ? Alors, il faut traiter le secteur de la mobilité, le seul à avoir vu ses émissions augmenter. Sous le capot de la mobilité, une solution est à notre portée, le report modal : moins de voitures, d'avions et de camions polluants. Il faut bien sûr verdir ces derniers, car le ferroviaire ne pourra pas tout faire - mais cela prendra jusqu'à quarante ans ! En attendant, la transition passe obligatoirement par le ferroviaire.

On parle de souveraineté énergétique : une tonne transportée en train consomme six fois moins d'énergie qu'en voiture, pour de simples raisons physiques : le frottement du pneu sur le goudron. En effet, si la Formule 1 a un pneu lisse, un pneu normal doit accrocher le goudron, pour ne pas aller dans le décor. La beauté du train, c'est qu'il s'agit de roues en acier sur un rail en acier : dans le Morvan, si vous coupez le moteur du TGV, il arrive tout seul à la gare de Lyon, sans consommer d'énergie ! Quand on parle de souveraineté énergétique et décarbonation, cela donne envie.

Quant à l'usage du sol, pensez-vous que nous allons encore construire beaucoup d'autoroutes et faire grossir les aéroports dans ce pays ? Je ne le crois pas. Nous avons peut-être une chance de construire des voies ferrées, parce qu'elles sont écologiques, mais ce n'est pas facile. Comment absorber les besoins de mobilité sur les autoroutes et les aéroports s'il n'y a pas d'augmentation des capacités ? Sur les emprises au sol, on ne fait pas mieux que le RER ou les Serm ! Comment faire entrer chaque jour des centaines de milliers de personnes dans les centres-villes ? Si vous répondez « par la voiture », je vous souhaite bon courage ! La voiture électrique ne résout pas les problèmes de congestion, et il faut des points de charge en ville ; le train offre sécurité, fiabilité, vitesse et fréquence. Les décideurs ne peuvent donc que prendre la décision du ferroviaire. J'ai cet optimisme chevillé au corps.

Le long terme est essentiel. Nous avons souffert, mais nous ne sommes pas les seuls. Ainsi, ce qui s'est passé sur le nucléaire est incroyable : lorsque j'étais jeune ingénieur, le secteur démarrait, de grandes écoles étaient tournées vers ce sujet, nous avions un savoir-faire mondial, nous étions les premiers avec les Américains. Quarante ans plus tard, piteusement, la moitié de nos centrales ne fonctionnaient plus, et nous devions importer notre électricité, parce que le temps long avait été oublié. Pour corriger, il faut dix à quinze ans, comme c'est le cas avec le plan décidé par le Président de la République ; il en va de même pour le ferroviaire : il y a quarante ans, la décision implicite a été prise d'investir beaucoup moins d'argent. Le rattrapage est douloureux et, en attendant, la qualité du service s'en ressent. Il est facile d'attaquer la SNCF, mais espérons que le temps long revienne en politique : il est indispensable pour le militaire, l'énergie, les transports, l'éducation. Ces questions se traitent à l'échelle d'une génération.

Sur la discontinuité, la concurrence est arrivée dans le fret en 2007. Au niveau européen, la direction générale de la concurrence - ou DG Comp - est très sourcilleuse. Or depuis 2007, l'activité fret de la SNCF est en déficit, de 200 millions à 300 millions d'euros par an. La maison mère a compensé et la Commission européenne, après quelques coups de semonce, a estimé que cela était constitutif d'une aide d'État illégale faussant la concurrence, l'État étant actionnaire de la SNCF. La procédure a été ouverte, avec une machine juridique puissante. Le Gouvernement pouvait contester l'analyse de la Commission, avec le risque d'aller devant le tribunal. Dans ce cas, c'était quitte ou double : en cas d'échec, l'entreprise aurait dû rembourser 5 milliards d'euros, ou faire faillite, laissant 5 000 personnes sur le carreau. Estimant que le dossier n'était pas assez solide, le Gouvernement a accepté d'entrer dans la négociation de discontinuité, l'équivalent d'un « plaider coupable » avec, pour punition, une réduction volontaire d'activité, soit vingt-trois flux - les meilleurs - abandonnés aux concurrents. La deuxième punition est la disparition de l'objet porteur de la dette, Fret SNCF, qui doit renaître, tel un phénix, sous la forme de deux sociétés, sous un nom différent, avec peut-être un investisseur privé. Avec l'arrêt des vingt-trois flux, 500 cheminots n'ont plus de travail. Je me suis engagé à les reclasser, c'est en cours. Ni les syndicats ni les cheminots n'en sont satisfaits : les discussions ne peuvent être que compliquées.

M. Fabien Genet. - Je vous remercie pour cet exercice de transparence sur les conditions de préparation de l'accord sur les fins de carrière, que vous serez le premier à appliquer en prolongeant votre mandat jusqu'à la fin des jeux Olympiques, même si votre liberté de ton pourrait pousser le Gouvernement à y mettre un terme plus tôt... Nous apprécions aussi la médaille d'or du cynisme et du double langage que vous attribuez, indirectement, au Gouvernement et à son ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Je me joins aux compliments qui vous sont adressés, sur votre foi en la SNCF et en son rôle déterminant pour les mobilités et les transitions.

Je souscris à votre plaidoyer pour la révolution des mobilités, et vous propose donc un cas pratique. Ainsi, il y a quelques semaines, le Parisien titrait sur les pires lignes régionales de France avec, en deuxième position, la ligne entre Lyon et Paray-le-Monial, dont la pérennité suscite des inquiétudes, particulièrement avec le retrait du poste d'aiguillage de Lamure-sur-Azergues, qui condamne à un cadencement ralenti ne correspondant pas aux trajets des usagers se rendant sur la métropole lyonnaise. Or cette ligne contribue au développement d'un territoire et au desserrement de la grande couronne lyonnaise - je sais que vous avez exercé dans la région. Compte tenu de l'immobilisme des acteurs régionaux, les territoires concernés ont financé une étude concluant à l'opportunité d'un renforcement de cette ligne. Usagers et élus locaux se sont mobilisés samedi matin en Saône-et-Loire. Vous avez indiqué avoir de l'argent et de l'ambition, et n'avoir pas peur de la complexité, je vous propose donc de gérer des choses simples : vous engagerez-vous à remettre en place le poste de Lamure-sur-Azergues ?

M. Sébastien Fagnen. - La concertation publique sur la ligne nouvelle Paris-Normandie (LNPN) s'ouvre, avec ses deux axes hiérarchisés comme prioritaires Rouen-Barentin et Mantes-Nanterre. Mon collègue Pascal Martin et moi-même sommes conscients de l'importance vitale que représente la réalisation de cette LNPN pour les 3,3 millions d'habitants de la région Normandie, parent pauvre du ferroviaire français. À l'issue de la concertation publique, sera-t-il possible de réévaluer les investissements nécessaires, notamment pour sécuriser la traversée des villages entre Barentin et Rouen, afin de ne pas pénaliser les communes riveraines ? Cela vaut aussi pour la desserte de l'ouest de la région, notamment la Manche, car le Cotentin va accueillir de nouveaux grands chantiers essentiels à la souveraineté énergétique, sur le site d'Orano. Dans les années 1980, le trajet entre Cherbourg et Paris prenait 3 heures, contre 3 heures 15 aujourd'hui. Au-delà de la LNPN, il s'agit de la pérennité des lignes normandes, notamment Paris-Granville, essentielle au désenclavement du sud de la Manche et de l'Orne, sur laquelle nous manquons de visibilité. Vous évoquiez le Havre et Marseille : il existe une ligne de TGV en Normandie qui relie ces deux ports. Sera-t-elle pérennisée, alors qu'elle se dégrade ? Elle est aussi indispensable au désenclavement de la région et à la connexion entre ces deux sites.

En outre, l'accueil physique dans les gares tend à se réduire. À Cherbourg-en-Cotentin, principale commune d'un bassin de vie de 200 000 habitants, seuls deux guichets sont ouverts sur quatre, mais sont fermés le week-end, et les bornes n'acceptent que les espèces. C'est un obstacle à la démocratisation du train. Quelles sont les orientations du groupe en ce qui concerne l'accueil en gare ?

J'ai été saisi, avec Philippe Bas, d'un contentieux entre une commune et SNCF Réseau au sujet d'un aqueduc sur la ligne Paris-Cherbourg - une dizaine de communes seraient concernées en France. Le tribunal administratif de Caen a donné raison à la commune de 1 200 habitants avec une pénalité pouvant dépasser 1 million d'euros. SNCF Réseau a fait appel devant la cour administrative d'appel de Nantes, laissant ainsi une épée de Damoclès au-dessus de la commune, dont les investissements sont gelés, et l'accès aux prêts, dégradé. Existe-t-il des protocoles pour un traitement plus juste, transactionnel, avec les collectivités concernées ?

Enfin, tout en regrettant le traitement injuste et arbitraire dont vous faites l'objet, je vous saisis du cas du licenciement, largement relayé, d'une personne chargée de l'entretien de la gare Montparnasse, car elle aurait subtilisé un euro. Cette société a partie liée avec SNCF Gares & Connexions. Un audit interne a-t-il été lancé pour mettre fin à la relation contractuelle avec les entreprises ne respectant pas les pratiques élémentaires du droit du travail ?

M. Guillaume Chevrollier. - Vous mettez en avant le slogan « deux fois plus de transport ». Mais la réalité, c'est une hausse forte de l'attente d'une mobilité décarbonée, donc de plus de trains à des prix abordables, ce qui n'est pas encore une réalité pour tous. Sur le fret, la situation reste compliquée. Quel bilan faites-vous de la politique d'intermodalité ? J'ai rencontré il y a quelques semaines les représentants du transport routier de mon département de la Mayenne, qui font état de difficultés d'accès aux ports - Marseille et Le Havre, mais aussi Saint-Nazaire. Pour l'intermodalité entre port, fret ferroviaire et camion, il reste beaucoup à faire. Notre commission est particulièrement mobilisée sur ce sujet.

Lors d'une précédente audition, je vous interrogeais sur les ralentissements liés à la signalétique du réseau, avec des retards et des limites à la circulation de plus de trains. Qu'en est-il depuis ?

Enfin, nous vous avions adressé, avec ma collègue du département de la Mayenne, un courrier sur la suppression, en 2025, d'un arrêt quotidien en gare de Laval. Je vous avais déjà interpellé à ce sujet il y a quelques années, parce qu'il n'y a plus de convention de desserte. Vous disiez alors vouloir vous débarrasser de ce corset, ce que je regrette, car une desserte pérenne de nos territoires est importante. La Mayenne doit avoir au moins 8 allers-retours quotidiens directs pour la capitale. Le ministre Béchu indiquait à l'Assemblée nationale qu'aucune suppression n'était envisagée. Le confirmez-vous ?

M. Jean-Claude Anglars. - Je vais vous parler d'une ligne que vous connaissez bien : le train de nuit Rodez-Paris. Comme vous le savez, il y a 280 000 Aveyronnais en Aveyron, et 320 000 à Paris. La ligne connaît des difficultés depuis plus d'un an, mais le ministre nous disait, la semaine dernière, qu'il appellerait M. Farandou, et que le problème serait réglé... On nous parle de locomotives non remplacées et de feuilles mortes sur les voies : c'est incompréhensible en 2024 !

M. Rémy Pointereau. - Je vous remercie pour votre travail à la tête de la SNCF : vous êtes celui qui a ramené les comptes de la SNCF dans le vert. Hélas, vous servez de fusible en raison d'une compétition interne au Gouvernement.

Pour autant, tout n'est pas rose : le Grand Centre Auvergne est la « patate vide » des mobilités. Ainsi, pour la ligne Paris-Orléans-Limoges-Toulouse (Polt), la livraison des nouvelles rames est tardive, avec des restrictions de circulation annoncées. Comment la SNCF y répondra-t-elle ? Pour les jeux Olympiques, Châteauroux accueillera les épreuves de tir, ce qui amènera des voyageurs. Comment réglerez-vous le problème en vue de cette période ?

Le Paris-Nevers-Clermont rencontre aussi de grandes difficultés, notamment avec les épisodes du 18 juin 2023 et du 19 janvier 2024, qui ont entraîné des retards de plusieurs heures. Que fera la SNCF pour améliorer cette ligne ?

Bourges a été désignée capitale européenne de la culture. Nous attendons jusqu'à 2 millions de visiteurs. Or la desserte est très réduite, puisqu'il faut aller jusqu'à Vierzon. Qu'est-il prévu pour l'améliorer ?

Enfin, la tierce expertise de la ligne Paris-Orléans-Clermont-Ferrand-Lyon (Pocl) doit préciser le tracé, puisqu'il en existe deux aujourd'hui. Avons-nous encore des raisons d'espérer ?

M. Pierre Jean Rochette. - Je me joins à ce qui a été dit, sur le contexte, mais aussi sur les rames détruites évoquées par Franck Dhersin.

Quel est votre point de vue sur le tram-train ? Sur les lignes locales, comme l'étoile ferroviaire stéphanoise, avec Saint-Étienne-Montbrison-Boën-sur-Lignon, nous avons toujours du ferroviaire lourd, avec d'importantes contraintes matérielles. Nous avons besoin d'amplitude et de cadences. Quant à l'interopérabilité et la billettique, dans la Loire, entre Saint-Étienne et Montbrison, il existe trois possibilités : le car de la région, qui coûte deux euros ; le train régional, bien plus cher ; enfin, à certains horaires, le train régional remplacé par des cars, avec un autre tarif, sans aucune fongibilité ou interopérabilité des tickets. Quelle est votre vision ? Il faut progresser sur ces sujets pour faire gagner le transport public !

Mme Marta de Cidrac. - Je vous remercie, monsieur le président-directeur général, pour la présentation de votre bilan, pour toutes les réflexions que vous avez accepté de partager avec nous, ainsi que pour la clarté de vos explications sur l'accord relatif aux fins de carrière à la SNCF. Je retiens de vos propos que le Gouvernement ne pouvait pas ignorer la teneur de cet accord ni le calendrier des négociations.

Ma question concerne un sujet local. La SNCF a présenté le 30 avril dernier la future concertation qui doit se tenir autour du projet de LNPN à compter du 6 mai prochain. Je souhaite vous interpeller sur le tracé de cette ligne qui suscite beaucoup d'inquiétudes dans mon département, les Yvelines. C'est plus particulièrement le tronçon rapide Nanterre-Mantes, prévu en 2035, qui est en cause, puisqu'il est envisagé un passage par la forêt de Saint-Germain-en-Laye, ainsi que par de nombreuses communes du territoire. Comment comptez-vous traiter cette question qui, au-delà même de son impact écologique, devrait affecter durablement les Yvelines et, évidemment, le cadre de vie des Yvelinois et de millions de Franciliens ?

Ma deuxième interrogation porte sur la méthode, que je déplore, tant sa mise en oeuvre auprès des élus locaux de mon département traduit un manque de concertation et d'accompagnement. La SNCF travaille sur des tracés qui, en certains points, feraient l'objet d'une préemption du domaine public, sans que les maires en aient été informés préalablement. C'est le cas à Saint-Germain-en-Laye, alors qu'il existe des alternatives qui mobiliseraient du foncier appartenant à la SNCF. Au regard de ces critiques et de ces inquiétudes, envisagez-vous de revoir cette concertation, voire le tracé de ce projet ?

M. Franck Dhersin. - Permettez-moi tout d'abord de vous dire combien j'ai apprécié nos échanges. Nous devrions presque remercier le Gouvernement d'avoir publié son annonce juste avant votre audition. Ces dernières semaines, nous avons en effet vu un Jean-Pierre Farandou outragé, un Jean-Pierre Farandou martyrisé ; nous avons aujourd'hui un Jean-Pierre Farandou libéré, ce qui est le plus important ! (Sourires.)

Changeons de sujet : la ligne Amiens-Paris est la pire de toute la région Hauts-de-France en raison de retards à répétition et d'un manque de régularité. Pas un jour ne passe sans que les usagers y soient confrontés. En 2011 déjà, cette ligne faisait partie des douze lignes les plus malades de notre pays. Treize ans plus tard, elle se classe toujours parmi les dix pires lignes ferroviaires françaises. Les Hauts-de-France ont pourtant investi dans les infrastructures via le projet de ligne nouvelle Roissy-Picardie, dans le matériel roulant, avec l'achat de cinquante-deux nouvelles rames pour un total de 600 millions d'euros. Mais l'argent ne peut pas tout. En novembre 2019, Élisabeth Borne, alors ministre des transports, avait promis des mesures pour améliorer les trajets sur cet axe. Cette promesse n'a visiblement pas été suivie d'effets de la part de la SNCF. Dès lors, quelles mesures le groupe compte-t-il mettre en place pour améliorer le quotidien des usagers de cette ligne qui, chaque jour, vivent un enfer pour aller travailler ou se rendre à l'école ?

M. Jean-François Longeot, président. - Notre collègue Hervé Reynaud, qui a, hélas, été obligé de nous quitter, m'a chargé de vous interroger sur la pérennité du projet de ligne TGV directe entre Saint-Étienne et Paris.

Ma collègue Sylvie Vermeillet et moi-même souhaitons également vous questionner sur le développement de l'offre dans la gare TGV de Mouchard, dans le département du Jura. Cette gare est une étoile ferroviaire qui rayonne du nord au sud sur un axe Belfort-Lyon et d'est en ouest avec la ligne TGV Lyria Lausanne-Paris. Il s'agit d'un outil majeur en matière d'aménagement du territoire pour l'ensemble des Jurassiens, ainsi que pour une large part des habitants de mon département, le Doubs, puisque le TGV s'arrête à Frasne. Or, depuis six ans, le TGV ne s'arrête plus dans la ville-préfecture du Jura, Lons-le-Saunier. L'ensemble des habitants de ce territoire espèrent une offre TGV correcte à Mouchard, ville située à quarante-cinq kilomètres. Actuellement, le TGV Lyria ne s'arrête qu'une fois le matin et le soir à Mouchard, alors qu'il y passe quotidiennement six fois dans chaque sens. L'offre actuelle n'est pas satisfaisante et mériterait d'être doublée avec un arrêt dans les deux sens le matin et un autre dans les deux sens le soir. Cette demande d'arrêts supplémentaires est très forte dans le Jura. D'ailleurs, Eric Dehlinger, directeur général de Lyria, a pu en juger par lui-même à l'occasion de l'assemblée générale de l'association Mouchard TGV-TER le 29 avril dernier, qui a réuni une assistance particulièrement impressionnante de plus de deux cents personnes. Pourquoi ne pas accéder à la demande des Jurassiens et accepter d'ajouter au moins deux dessertes quotidiennes supplémentaires dans les deux sens en gare de Mouchard ?

M. Jean-Pierre Farandou. - Comme vous le savez, depuis ma nomination, je plaide sans relâche en faveur d'une amplification des actions de la SNCF dans les territoires.

Le train entre Lyon et Paray-le-Monial circule sur une voie unique, ce qui complique une situation déjà complexe en tant que telle, puisque deux régions et, donc, deux autorités organisatrices, sont concernées. J'admets bien volontiers que la SNCF rencontre des difficultés pour tenir un poste d'aiguillage à Lamure-sur-Azergues. J'ai donc demandé à SNCF Réseau de résoudre rapidement ce problème.

Comme certains d'entre vous l'ont rappelé, le projet de ligne nouvelle Paris-Normandie avance. L'année 2024 est une année de concertation. Il est temps de retenir l'itinéraire par lequel cette ligne passera, ce qui permettra de régler les problèmes relatifs au foncier. Un certain nombre de rencontres ont déjà eu lieu. À la demande du président du Sénat lui-même, qui se dit très concerné par ce projet, le président de SNCF Réseau et moi-même avons pris le temps d'expliquer et d'écouter. Nous avons bien compris que la concertation devrait être de qualité. À cet égard, sachez que le préfet, qui donne le rythme des réunions de concertation, a été mandaté par le Gouvernement pour que celles-ci s'achèvent d'ici à la fin d'année. Concernant la préservation de la forêt de Saint-Germain-en-Laye, madame la sénatrice, il s'agit bien évidemment d'un acquis, puisque cette forêt est classée. J'ai d'ailleurs cru comprendre que les études passaient en sous-terrain sous la forêt. Sachez que vos préoccupations rejoignent celles des élus normands, qui ont attiré notre attention sur les conséquences de la nouvelle ligne pour un certain nombre de villages. Si cette nouvelle infrastructure est très attendue et s'il faut donc aller vite, il faut aussi prendre le temps suffisant pour que la concertation se déroule sereinement. Le projet est double. Il s'agit de faire en sorte que l'on puisse se rendre plus rapidement en Normandie, mais aussi d'accroître les capacités de transport de l'ouest de l'Île-de-France.

Je souhaite écarter une autre inquiétude : nous n'avons pas l'intention de remettre en cause la ligne Le Havre-Marseille.

Vous m'interrogez par ailleurs sur un projet de réduction des dessertes TGV de Laval. Je note qu'il en reste tout de même sept, auxquelles il faut ajouter celles qui ne desservent pas Paris, mais des gares de la région parisienne. Au total, vingt TGV desservent Laval et la région francilienne chaque jour, ce qui n'est pas si mal. Cela étant, comme vous le redoutez, le sujet est sur la table, car, de manière générale, nous manquons de rames, de matériel roulant, ce qui nous oblige à allouer nos trains aux endroits où la demande est la plus forte.

Vous m'avez interrogé sur le fret et l'intermodalité. Nous avons encore d'énormes progrès à réaliser dans ce domaine à la fois pour le transport des marchandises et des voyageurs. L'articulation entre les différents modes de transport est complexe d'un point de vue tant logistique que billettique. Tout le monde doit coopérer en vue d'organiser les offres de mobilité et de promouvoir l'intermodalité : autorités organisatrices, collectivités, mais aussi transporteurs.

Vous avez en outre parlé de signalisation. En la matière, la solution consiste à adopter l'ERTMS (European Rail Traffic Management System) pour faire circuler plus de trains. Il faudra y consacrer au moins 500 millions d'euros sur les 1,5 milliard d'euros que j'évoquais tout à l'heure. L'ERTMS permet de réduire de façon importante l'intervalle entre les trains via une nouvelle génération de dispositifs de signalisation, et de gagner 30 à 40 % de capacités supplémentaires en termes d'infrastructures. Plutôt que de construire de nouvelles lignes, parfois coûteuses en temps et en argent, il me semble qu'il serait intéressant d'accroître les capacités sur les lignes existantes.

Monsieur Anglars, vous m'interrogez sur les difficultés rencontrées par les usagers de la ligne Paris-Rodez. Comme vous le souhaitiez, le ministre m'a en effet saisi de ce sujet. La solution consiste pour nous à retirer les feuilles mortes présentes sur les voies. Sachez que nous n'utilisons plus de glyphosate aujourd'hui et que cela nous complique singulièrement la tâche. Par ailleurs, le changement climatique, l'accentuation de la chaleur et de l'humidité renforcent le développement de la végétation. Ces facteurs aggravants nous empêchent de proposer une gestion optimale de certaines lignes ferroviaires comme celle entre Paris et Rodez. Concernant les locomotives diesel, ces lignes sont gérées par l'État depuis 2010. Aujourd'hui, nous avons de vieilles locomotives, peu nombreuses et fragiles ; à partir de Brive, la locomotion est diesel, avec une dizaine d'arrêts jusqu'à Rodez. Il faut donc trouver une solution avec l'État. Accélérer la desserte sur Rodez est possible, mais il faudra un arbitrage sur les arrêts à éviter. Comptez sur moi pour trouver les meilleures solutions : vous aurez compris que je garde un petit faible pour l'Aveyron.

Sur les lignes Paris-Châteauroux, Paris-Clermont, Polt, sur le centre du Massif central, nous ne sommes pas très fiers de ce qui se passe sur ces territoires, qui souffrent. Le ministre en est conscient, il n'y a pas de citoyen de seconde zone. L'histoire ferroviaire a fait que ces territoires n'ont pas de TGV, dont acte, pour autant, ils doivent disposer d'un train de qualité. Nous gérons une situation compliquée, peut-être du fait d'un manque de décisions claires prises assez tôt, mais les décisions de fond sont enfin prises. Mauvaise nouvelle toutefois : le matériel roulant prendra encore un an, et près d'un milliard d'euros est dépensé sur les infrastructures. Quand ces investissements seront réalisés, il y aura du mieux, avec des automotrices roulant à 200 kilomètres par heure, presque un standard TGV. D'ailleurs, les lignes seront équipées comme s'il s'agissait de LGV, avec des clôtures pour éviter la pénétration de gibier sur les voies. Je regrette le retard de livraison du matériel roulant, mais il sera de grande qualité. En attendant, les usagers souffrent, les cheminots aussi, car ils font ce qu'ils peuvent avec les moyens du bord. J'ai été à Clermont-Ferrand avec Christophe Béchu, à la suite d'un incident malheureux entraînant plusieurs heures de retard. Nous avons deux idées simples : réduire les pannes et mieux les traiter, d'où des clôtures pour éviter les chocs, pour un coût de plusieurs dizaines de millions d'euros.

Quant aux difficultés d'alimentation électrique rencontrées entre Paris et Nevers, le voltage y passe de 1 500 à 25 000 volts et la transition se fait avec le pantographe baissé. Lors de l'incident que vous évoquez, le conducteur n'a pas réussi à amorcer le disjoncteur au changement parce que le compteur avait été monté non en parallèle, mais en série avec le disjoncteur principal. C'est le disjoncteur de cet appareil lui-même qui a sauté. Il faut traiter ces problèmes. Ensuite, nous avons déployé des locomotives nouvelles. Entre Montargis et Nevers, la zone est mal équipée et nous suivons les trains avec des locomotives prêtes à intervenir en cas de panne. Lors du dernier incident, nous sommes donc intervenus en quarante minutes au lieu de quatre heures. Nous nous donnons les moyens, y compris financiers, de réduire l'impact des pannes, sans oublier les mesures de communication auprès des usagers. Nous continuerons à nous battre en attendant les solutions de fond.

Dans le cadre des jeux Olympiques, un train spécial desservira Châteauroux depuis Paris. Avec Bourges, un cinquième aller-retour est prévu dès 2025.

Je suis d'accord, monsieur Rochette, le tram-train est parfois une solution, comme dans les Pays de la Loire. En Alsace, un tram-train dessert le centre-ville de Mulhouse et la vallée de la Thur. Nous innovons : avec de petites entreprises, la SNCF finance de nouveaux trains régionaux électriques plus légers, moins coûteux, moins consommateurs d'infrastructures : le TELLi, près de Limoges, le DRAISY, fabriqué par Lohr en Alsace, et, pour les territoires non connectés, le Flexy, sorte de monospace de vingt places qui, à un passage à niveau, peut prendre le rail et devenir un train. France 2030 nous y aide. Nous progressons vers la fréquence, souvent plus critique que la vitesse quand les distances sont courtes.

Vous avez évoqué le Y picard : les branches qui commencent à Amiens et à Saint-Quentin se rejoignent à Creil pour arriver à la gare du Nord à Paris. Ce sont de gros porteurs, jusqu'à 2 300 places, pour des trajets longs, parfois une heure et quart : ces passagers sont sensibles à la fiabilité et au confort. Le goulet d'étranglement se trouve à la gare du Nord, l'une des plus chargées de France, avec de redoutables effets boule de neige. Nous disposons de plans d'action avec la région, M. Dhersin le sait. La concurrence pourrait d'ailleurs faire venir un nouvel opérateur, ce que la région sait utiliser pour nous inciter à être plus inventifs. Je sais que les passagers de ces lignes comptent sur nous.

Monsieur le président Longeot, le Saint-Étienne-Paris sera bien maintenu.

J'entends votre demande sur Lyria. Je formulerai une réponse plus approfondie. J'en sais l'importance pour le Jura, mais, de l'autre côté, les Suisses veulent arriver vite à Paris, alors que les arrêts allongent le temps de parcours. Nous répondrons à votre courrier.

M. Jean-François Longeot, président. - Je m'associe à mes collègues pour déplorer l'ingratitude du Gouvernement, et saluer votre bilan. Nous avions prévu cette audition depuis des semaines : je ne m'attendais pas à ce que, deux heures avant, un communiqué de presse laconique annonce la fin de votre mandat. Je trouve cette méthode épouvantable et je rends hommage à la qualité de notre relation de travail. À travers votre expérience, qui transparaît dans vos réponses techniques, j'ai beaucoup appris.

La question de votre reconduction se posait, au vu de la limite d'âge prévue pour cette fonction, mais je considère que cette décision est ingrate et j'écrirai à Matignon en ce sens. Il est abominable, de la part du Gouvernement, de ne pas assumer ses responsabilités, et de désigner ainsi un fusible. Je n'ai pas d'atomes crochus particuliers avec Sud Rail, mais même eux le déplorent. Le Président de la République aurait pu proposer votre reconduction au titre de l'article 13 de la Constitution : en ce cas, le Parlement se serait prononcé. Au lieu de cela, on se moque du Parlement, et le président-directeur général de la SNCF pourra de nouveau servir de fusible en cas d'incident pendant les jeux Olympiques. C'est déplorable et hypocrite, je regrette ce manque d'humanité, alors que les hommes et femmes politiques doivent être capable d'en faire preuve - comme de fermeté, lorsque c'est nécessaire. Je me réjouis que mes collègues aient unanimement reconnu votre travail, que vous poursuivrez jusqu'à la dernière minute, grâce à votre conscience professionnelle. (Applaudissements)

M. Jean-Pierre Farandou. - Je vous remercie de ces propos, monsieur le président. Pour moi, l'humain est en effet essentiel et devrait se trouver au fondement de toute politique et de toute entreprise, surtout quand celle-ci est publique.

À mon sens, tous les sujets comptent, qu'ils soient nationaux ou locaux. Tous les territoires comptent. Je veillerai, dans le temps qui me reste à la présidence de la SNCF, à ce que les liens noués entre mon groupe et les membres de votre commission se perpétuent. Ensemble, nous avons su faire bouger les lignes et je suis convaincu que, dans les mois qui viennent, nous pouvons continuer à les faire évoluer dans le bon sens. Merci à vous tous pour le dialogue sincère et riche que nous avons eu.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo disponible sur le site internet du Sénat

La réunion est close à 16 h 50.

Projet de loi d'orientation pour la souveraineté en matière agricole et le renouvellement des générations en agriculture - Demande de saisine pour avis et désignation d'un rapporteur pour avis

M. Jean-François Longeot, président. - Mes chers collègues, j'en viens désormais au second point de notre ordre du jour. Nous devons procéder à la désignation d'un rapporteur pour avis sur le projet de loi d'orientation pour la souveraineté en matière agricole et le renouvellement des générations en agriculture, qui est en cours d'examen à l'Assemblée nationale.

Maintes fois annoncé, plusieurs fois remanié, ce texte se veut une réponse aux crises que traverse notre agriculture : défi du renouvellement des générations, baisse de l'attractivité de la profession auprès des jeunes générations, concurrence internationale exacerbée, difficultés pour les agriculteurs de tirer un revenu décent de leur activité, attentes sociétales de plus en plus fortes pour produire une nourriture qui concilie qualité et durabilité, etc.

Pour tenter de répondre à ces défis multifactoriels, l'article 1er du projet de loi dispose, entre autres, que « l'agriculture, la pêche et l'aquaculture sont d'intérêt général majeur en tant qu'elles garantissent la souveraineté alimentaire de la Nation ». Les articles suivants sont consacrés à des mesures en faveur de l'orientation, de la formation, de la recherche et de l'innovation, ainsi qu'à des mesures en matière d'installation des agriculteurs et de transmission des exploitations.

En outre, la forte demande de simplification qui s'est exprimée en début d'année à la suite des colères agricoles française et européenne a incité l'exécutif à modifier les contours du texte qu'il avait préparé. Il me semble à cet égard que, si nous voulons nous aussi répondre à cette préoccupation, il nous faudra agir de façon pragmatique et efficace à l'occasion de son examen ici, au Sénat, et éviter de multiplier les amendements.

Ce projet de loi tente de répondre à la demande de simplification des agriculteurs, à travers un titre IV consacré à la sécurisation, la simplification et la libération de l'exercice des activités agricoles, qui prévoit notamment la mise en cohérence du régime de protection des haies, l'encadrement des contentieux agricoles en matière d'ouvrage de stockage des eaux, la possibilité pour le département d'intervenir en matière de production et d'acheminement d'eau potable.

Nombre de ces sujets relèvent de façon univoque du champ de compétence de notre commission. L'exposé des motifs du projet de loi corrobore d'ailleurs cette interprétation : il y est affirmé que « nos politiques publiques doivent être pensées [...] au regard de deux défis intrinsèquement liés, et qu'il nous faut absolument relever pour préserver notre souveraineté alimentaire : celui du changement climatique et de la préservation de la biodiversité, d'une part, et celui du renouvellement des générations, d'autre part ».

C'est la raison pour laquelle il m'a semblé indispensable que notre commission se saisisse pour avis de l'ensemble de ce projet de loi et apporte son expertise en complément de celle des affaires économiques.

Nous avons également demandé des délégations au fond pour l'examen de quatre articles : l'article 13 relatif au régime de répression des atteintes à la conservation d'espèces sauvages, l'article 14 sur la protection des haies, l'article 15 sur les contentieux des ouvrages de stockage d'eau et l'article 18 sur la possibilité pour le département d'assurer la maîtrise d'ouvrage en matière de production, de transport et de stockage d'eau potable. Nous dialoguons à ce sujet avec la commission des affaires économiques et je ne manquerai pas de vous tenir informés du périmètre des délégations qui pourraient nous être accordées, dès lors que le texte aura été transmis par l'Assemblée nationale.

Il n'est point trop de deux commissions pour remporter la « mère des batailles » ainsi que l'a baptisé le Président de la République, en consolidant notre souveraineté alimentaire et en réussissant les transitions agroécologique et climatique avec les agriculteurs, les collectivités et les citoyens.

Notre commission aura ainsi à coeur, en vertu de sa démarche pragmatique, réaliste et ambitieuse, de contribuer à ce nouvel édifice normatif, afin de répondre aux défis climatiques du siècle et d'aider les agriculteurs à faire face à un avenir qui n'a jamais été aussi incertain et à des changements environnementaux d'ampleur inédite.

En vue de cet examen, j'ai reçu la candidature de Jean-Claude Anglars. Je vous propose donc de le désigner en qualité de rapporteur pour avis.

La commission demande à être saisie pour avis sur le projet de loi n° 2436 (A.N., XVIe lég.) d'orientation pour la souveraineté en matière agricole et le renouvellement des générations en agriculture, sous réserve de sa transmission, et désigne M. Jean-Claude Anglars rapporteur pour avis.

La réunion est close à 16 h 50.

- Présidence de M. Jean-François Longeot, président, et de M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes -

La réunion est ouverte à 17 heures.

Audition de M. Wopke Hoekstra, Commissaire européen chargé de l'action pour le climat, en commun avec les commissions des affaires européennes du Sénat et de l'Assemblée nationale ainsi que la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire de l'Assemblée nationale

M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes du Sénat. - Il est rare de réunir ensemble les commissions des affaires européennes et les commissions de l'aménagement du territoire et du développement durable des deux chambres du Parlement français. Mais il s'agit d'une occasion unique d'entendre, avant les élections européennes du 9 juin prochain, le commissaire en charge d'une priorité européenne majeure : l'adaptation au changement climatique. Nous le remercions d'être venu jusqu'à nous aujourd'hui.

Monsieur le commissaire, vous avez succédé à Frans Timmermans, dont vous ne partagez pas exactement la ligne politique... Il incarne le pacte vert, cette réponse volontariste que l'Union européenne a apportée au défi climatique et dont la mise en oeuvre fait grand bruit. Il s'agit d'un engagement politique majeur pris en 2019 : avec le pacte vert, l'Union européenne vise la neutralité climatique à l'horizon 2050, dans le droit fil de l'Accord de Paris de 2015. La loi européenne sur le climat est venue ensuite, en 2021, transformer cet engagement politique en obligation contraignante. Sa déclinaison concrète a pris la forme du paquet législatif « Ajustement à l'objectif 55 », qui implique une transformation profonde de nos économies et de nos sociétés : le Sénat s'est positionné à ce sujet par une résolution en avril 2022, élaborée à plusieurs commissions. Le moins que l'on puisse dire, c'est que cette déclinaison des objectifs climatiques de l'Union ne s'est pas faite sans heurts ni critiques.

Les critiques ont porté sur la manière dont la Commission européenne entendait conduire le pilotage de la trajectoire menant vers cette neutralité climatique à l'horizon 2050. Je rappelle ainsi que le Sénat, à l'initiative de sa commission des affaires européennes, avait adopté en 2020 un avis motivé sur la proposition de loi européenne sur le climat, afin de dénoncer sa non-conformité au principe de subsidiarité : par cet avis, le Sénat s'opposait à ce que la Commission européenne puisse recourir à des actes délégués pour définir la trajectoire de réduction des émissions de gaz à effet de serre en vue d'atteindre la neutralité carbone entre 2030 et 2050, alors même qu'aucun objectif intermédiaire à l'horizon 2040 n'était alors envisagé. Déterminer la trajectoire n'a rien de technique ni de mécanique. Les débats sont éminemment politiques, y compris dans la manière d'apprécier la capacité d'absorption par les États membres et les secteurs économiques des mesures envisagées.

Les critiques ont également porté sur la faiblesse, voire l'absence d'études d'impact circonstanciées sur des politiques pourtant essentielles. Je pense évidemment à l'agriculture. Même si le Sénat a sonné l'alarme à plusieurs reprises, les conséquences du pacte vert en ce domaine n'ont pas été correctement évaluées ni anticipées : rien d'étonnant à ce que les agriculteurs manifestent depuis plusieurs mois dans une grande partie de l'Europe.

Je pense également aux débats compliqués que nous avons eus, lors de l'examen du paquet « Ajustement à l'objectif 55 », sur la fin du moteur thermique à l'horizon 2035, mais aussi sur les imperfections regrettables du mécanisme d'ajustement carbone aux frontières.

Je pense enfin, de manière plus générale, à la manière dont la Commission européenne a abordé la question de la neutralité technologique. Il a fallu une crise énergétique majeure pour qu'elle assouplisse, non sans mal, sa position sur la place du nucléaire, y compris dans le domaine de l'hydrogène vert. Or, nous aurons besoin de toute l'énergie décarbonée pour atteindre la neutralité carbone à l'horizon 2050 et nous défaire de nos dépendances, sans en créer de nouvelles.

L'Union européenne doit être plus attentive à l'impact social, économique et territorial des mesures qu'elle adopte, sans quoi la transition climatique se heurtera à des oppositions croissantes. Cette audition nous offre l'occasion de dresser, avec vous, un bilan critique de la mise en oeuvre de ce pacte vert. Selon vous, qu'est-ce qui a bien fonctionné ? A contrario, qu'est-ce qui doit être revu ou amélioré, sur la méthode aussi bien que sur le fond ? Enfin, quel avenir lui promettez-vous après les élections européennes ?

M. Jean-Pierre Pont, au nom de M. Pieyre-Alexandre Anglade, président de la commission des affaires européennes de l'Assemblée nationale. - Au nom de la commission des affaires européennes de l'Assemblée nationale et de son président, Pieyre-Alexandre Anglade, qui regrette de ne pouvoir participer à cette réunion et m'a demandé de le suppléer, je vous souhaite à mon tour la bienvenue.

En tant que commissaire européen à l'action pour le climat, vous avez la charge de mener les réformes dont l'Union européenne a besoin pour réussir sa transition énergétique. Vous êtes membre d'une Commission européenne qui, depuis 2019, porte un projet ambitieux en faveur de la transition écologique au bénéfice des citoyens européens, de la planète et de l'humanité.

Cette volonté politique d'une Europe neutre sur le plan climatique pour 2050 a été portée par votre prédécesseur, Frans Timmermans, à travers le pacte vert européen. L'action européenne, menée depuis le début de la législature, entend faire de l'Union européenne le premier continent climatiquement neutre. Vous êtes chargé d'impulser des réformes visant à engager la mutation de notre système agricole, énergétique, industriel. Vous êtes aussi responsable de l'action internationale de l'Union dans ce domaine comme en témoigne votre participation à la récente COP28 et la diplomatie active des vingt-sept en faveur de la sortie des énergies fossiles.

Vous avez également eu la mission, à la demande d'Ursula von der Leyen, de réaliser une évaluation des plans nationaux énergétiques et climatiques des États de l'Union. Cette évaluation s'inscrit dans le cadre de la loi européenne pour le climat, adoptée en juillet 2021, qui instaure, pour les États membres, le respect des objectifs climatiques à horizon 2030 et 2050.

Enfin, vous avez joué un rôle majeur, ces derniers mois, dans la négociation et l'adoption par les co-législateurs, d'un certain nombre de textes européens faisant l'objet de négociations importantes. Avant la fin de cette législature, nous pouvons nous féliciter que le Parlement ainsi que le Conseil se soient mis d'accord sur des textes dont l'importance revêt un caractère stratégique pour notre santé, nos habitats et notre environnement. Je pense notamment au règlement sur la certification de l'élimination permanente du carbone, adopté le 20 février 2024.

M. Jean-François Longeot, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable du Sénat. - Monsieur le commissaire européen à l'action pour le climat, je vous remercie d'avoir accepté de venir vous exprimer devant les commissions permanentes compétentes de l'Assemblée nationale et du Sénat.

En tant que président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable du Sénat, j'aurai plusieurs questions à vous adresser.

La première concerne le mauvais état de santé de nos forêts. Selon les estimations du Gouvernement français, notre pays pourrait atteindre son objectif de réduction des émissions sectorielles de gaz à effet de serre mais manquerait sa cible climatique en 2030 en raison d'une dégradation de ses puits de carbone. Cette tendance particulièrement alarmante, qui est également observée dans les autres États membres de l'Union européenne, compromet-elle le respect de l'objectif de réduction de 55 % des émissions de gaz à effet de serre d'ici 2030 ? L'Union européenne s'est donné pour cible une augmentation de la capacité d'absorption par ses puits de carbone naturels de 15 % d'ici 2030...

Ma deuxième question porte sur l'objectif climatique à l'horizon 2040. Dans une communication du 6 février dernier, la Commission européenne a proposé un objectif de réduction nette des émissions de gaz à effet de serre de 90 %. En réponse à cette communication, la France a fait certaines propositions, notamment l'idée d'une fourchette d'objectifs ou encore de distinguer un objectif brut et un objectif net, afin de tenir compte de l'évolution des puits de carbone. Notre pays a également suggéré d'étendre plus largement le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, pour protéger nos industries face aux risques de fuite carbone. Quel regard la Commission européenne porte-t-elle sur ces pistes ?

M. Jean-Marc Zulesi, président de la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire de l'Assemblée nationale. - Monsieur le commissaire, vous avez récemment déclaré, en usant d'une comparaison sportive, que nous en étions, en matière de transition écologique, à la mi-temps.

L'Europe a concilié politique climatique et politique de croissance. Les émissions de gaz à effet de serre ont diminué de 32 % depuis 1990, tandis que le PIB augmentait de 60 %. Mais le match est loin d'être gagné. L'Europe est le continent qui se réchauffe le plus rapidement, deux fois plus vite que la planète, depuis les années 1980.

L'Agence européenne de l'environnement vient de publier sa première évaluation des risques climatiques en Europe. Elle conclut que l'ensemble des politiques existantes au niveau de l'UE ne progresse pas suffisamment pour gérer la plupart de ces risques. Quelles actions faudrait-il conduire en priorité pour renforcer notre adaptation au changement climatique ?

Vous défendez une stratégie offensive, qui s'articule autour du triptyque : réduction des émissions, compétitivité industrielle et action pour une transition juste. Un élément important de cette stratégie est la prévisibilité de la trajectoire qui doit conduire à la neutralité climatique en 2050.

La principale échéance intermédiaire était celle de 2030, avec le paquet « Fit for 55 ». La Commission européenne a recommandé, début février, de réduire les émissions nettes de gaz à effet de serre de 90 % d'ici à 2040 par rapport aux niveaux de 1990, conformément aux engagements pris par l'UE dans le cadre de l'accord de Paris.

Il reviendra à la prochaine Commission de présenter une proposition détaillée en ce sens. Alors que certains des objectifs actuels continuent de faire débat, par exemple la fin programmée des ventes de voitures thermiques neuves en 2035, quels sont les leviers les plus stratégiques pour atteindre ce nouvel objectif intermédiaire ?

Enfin, une des priorités de la COP 29 sera d'approfondir la question du financement de l'adaptation au changement climatique et de la transition écologique. Le marché européen des quotas carbone, qui y joue un grand rôle, doit être complété d'un mécanisme d'ajustement carbone aux frontières. Comment la Commission se mobilise-t-elle pour convaincre d'autres pays de développer une tarification du CO2 ?

M. Wopke Hoekstra, commissaire européen chargé de l'action pour le climat. - Merci pour votre invitation. C'est un honneur pour moi de parler devant vos commissions parlementaires. La France tient une place particulière dans mon coeur. J'ai de très beaux souvenirs de mes nombreux voyages dans votre pays avec mes parents et, ensuite, avec mon épouse et mes enfants. J'ai également étudié et habité à Fontainebleau. J'admire la France pour beaucoup de raisons, y compris sa langue malgré mes difficultés à progresser en ce domaine !

J'admire la France pour son leadership, pour son histoire, son patrimoine et ses valeurs européennes et universelles - et c'est à cette aune que je me réjouis de débattre avec vous, d'entendre votre vision et vos idées pour l'avenir. Où en sommes-nous et vers où allons-nous ensemble sur le plan climatique ? Les changements climatiques sont bien réels : les scientifiques sont unanimes sur ce constat. 2023 a été l'année la plus chaude jamais enregistrée. L'Europe est le continent qui se réchauffe le plus vite, deux fois plus vite que les autres. Les conséquences sont considérables à tous les niveaux. Sur le plan économique, le changement climatique pourrait réduire le produit intérieur brut européen d'environ 7 % d'ici la fin de ce siècle. Un exemple parmi d'autres : le coût des inondations de 2022, en Slovénie, s'est élevé à 16 % du PIB slovène. Il nous faut donc agir ; nous n'avons guère le choix et nous savons aussi que la situation va empirer avant de s'améliorer.

Merci pour vos questions. Vous avez rappelé nos objectifs d'ensemble, la neutralité carbone en 2050, et les objectifs intermédiaires pour 2030 et 2040 - nous sommes cette année sur une trajectoire qui permet raisonnablement d'espérer les atteindre aux échéances fixées. Cependant, notre succès tient à plusieurs facteurs. Nous avons besoin, d'abord, d'une politique climatique ambitieuse ; c'est la raison pour laquelle nous nous concertons aujourd'hui. Dans le même temps, nous devons maintenir la compétitivité européenne, qui n'est pas toujours celle que nous voudrions et qui est confrontée à une concurrence déloyale de l'extérieur. Enfin, nous devons assurer que la transition énergétique soit juste et équitable. Voilà donc les trois piliers de notre action, qui sont nécessaires pour réussir.

Où en sommes-nous à présent ? Nous avons adopté une loi européenne sur le climat. Nous disposons d'une série de mesures dans le cadre du paquet « Fit for 55 ». Nous avons mis en place un système d'échange de quotas d'émissions, ainsi que le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (MACF), qui constituera une source de financement très importante pour les politiques climatiques européennes. En 2022, 30 milliards d'euros ont été collectés pour financer les dépenses d'adaptation au changement climatique des États membres et investir dans les technologies vertes. Autre innovation, nous avons communiqué sur la gestion des risques climatiques. Nous savons désormais que face à l'ampleur du changement climatique, nous devons nous adapter à l'échelle de l'Union et du continent - même si nous devons faire davantage en ce sens. Les 27 États membres y travaillent et la Commission européenne les aide à élaborer leurs plans énergétiques ; la France déploie beaucoup d'efforts en ce sens et chacun des gouvernements des ving-sept présentera ses objectifs le mois prochain.

Beaucoup a déjà été fait, mais beaucoup reste à faire au niveau européen. Ce qui est essentiel, c'est que notre action climatique ambitieuse soit conduite aux échelles continentale aussi bien que nationale et locale, avec ces trois principes à concilier que sont l'ambition climatique, la préservation de notre compétitivité et le caractère juste et équitable de la transition.

Beaucoup doit être réalisé, également, en dehors de l'Union, : notre continent ne représente en effet que 7 % des émissions de gaz à effet de serre mondiales. Le changement climatique ne connaissant pas de frontière, il faut agir aussi sur les 93 % d'émissions qui se situent hors d'Europe, ou bien nous connaîtrons toujours plus de dérèglements climatiques. C'est pourquoi, vous l'avez dit, nous avons besoin de davantage de diplomatie climatique. Nous avons besoin de travailler aux côtés de nos partenaires pour améliorer la situation d'ensemble. Nous pouvons chercher à obtenir, par exemple, que la taxe carbone s'applique hors de l'Union : il s'agit d'un outil très efficace pour diminuer les émissions et sa généralisation éviterait qu'on ne fasse qu'exporter nos émissions carbone hors d'Europe. Nous avons besoin également que les règles du jeu soient équitables entre les acteurs économiques : c'est à ce prix que nous conserverons notre compétitivité. Il faut tirer les enseignements de ce qui s'est passé dans le secteur de l'énergie solaire. Les règles doivent être les mêmes pour tous et nous devons y veiller plus que nous ne l'avons fait par le passé.

Autre échéance importante, les prochaines COP. L'an passé, la COP de Dubaï s'est bien passée. Elle a été une réussite diplomatique, en particulier parce que nous avons su y agir en tant qu'Européens, et parce que nous sommes parvenus à faire partager notre vision ambitieuse pour le climat, avec des avancées qui vont dans le sens de nos intérêts, et de celui des industries européennes. La prochaine COP se tiendra, à l'automne, en Azerbaïdjan, et se concentrera sur les questions financières, avant la COP plus générale qui se tiendra, l'an prochain, au Brésil.

En résumé, beaucoup a été fait à l'échelle européenne et internationale ; beaucoup reste encore à faire Je me réjouis d'échanger à ce propos avec vous.

Mme Marta de Cidrac, sénatrice. - L'atténuation du changement climatique et l'adaptation à ses conséquences sont des priorités que plus personne ou presque ne conteste en Europe. L'Europe doit accélérer sa décarbonation, pour des raisons aussi bien environnementales que stratégiques, économiques ou encore sanitaires. Le Green Deal est ambitieux, mais il a été conçu avant la crise sanitaire et le déclenchement de la guerre en Ukraine, avant les perturbations croissantes sur les chaînes de valeurs mondiales, avant l'augmentation des taux d'intérêt, de l'inflation et de l'endettement public. Ajoutez à ce panorama, la pénurie de matériaux, de technologies ou de compétences essentielles et vous comprenez aussitôt que la mise en oeuvre du Green Deal sera bien plus complexe qu'anticipée. Ses défis structurels et son coût économique se précisent, tandis que son acceptabilité s'amenuise. N'oublions pas les craintes toujours vives de nombre de secteurs industriels quant aux modalités finalement retenues pour le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, entré dans sa phase expérimentale il y a six mois. Rappelons-nous aussi l'exaspération exprimée, il y a quelques semaines, par les agriculteurs de toute l'Europe quant aux charges et aux contraintes supplémentaires induites par le Green Deal, tant dans ses volets biodiversité que climat. Et n'évacuons pas les sérieux doutes émis, il y a quelques jours, par la Cour des comptes européenne sur la faisabilité de l'interdiction des véhicules thermiques à partir de 2035. Alors que les efforts de décarbonation entrepris par nos principaux partenaires et concurrents internationaux restent parfois très largement en-deçà des nôtres et que nos concurrents mènent des politiques industrielles, commerciales, technologiques ou fiscales agressives sans se préoccuper de l'environnement, la transition écologique de l'Europe semble au milieu du gué. Une réévaluation stratégique du Green Deal et de plusieurs politiques européennes parait donc inévitable. Monsieur le commissaire, la Commission a-t-elle d'ores et déjà engagé une réflexion dans ce sens, en préparation de la nouvelle législature ? Quels seraient les grands axes d'inflexion ou d'action complémentaires pour mieux concilier la haute ambition environnementale avec la performance comme avec la souveraineté économiques, que nous devons impérativement renforcer ?

M. Damien Adam, député. - Au nom des députés Renaissance de la commission du développement durable de l'Assemblée nationale, je vous remercie d'être parmi nous aujourd'hui afin de discuter des politiques environnementales européennes. L'action européenne est essentielle pour atteindre la neutralité carbone. Notre continent a une responsabilité particulière en étant le troisième plus grand responsable des émissions de gaz à effet de serre en cumul depuis la révolution industrielle, juste derrière les États-Unis et la Chine. Si nous sommes le troisième contributeur, notre continent est aussi le plus engagé pour résorber les effets de notre développement économique passé sur le climat. En effet, l'Union européenne a fixé une trajectoire ambitieuse avec une réduction des émissions de 55 % d'ici 2030, 90 % d'ici 2040 et la neutralité carbone en 2050. Agir pour baisser nos émissions et limiter les effets du réchauffement climatique est un devoir. Depuis les années 1980, l'Europe se réchauffe deux fois plus rapidement que la moyenne mondiale : nous sommes le continent qui se réchauffe le plus vite sur Terre. Cela engendre de nombreux risques que nous subissons avec une occurrence et une gravité de plus en plus fortes. Ce sont des canicules et des extrêmes chauds qui impactent l'état des écosystèmes et la santé humaine, des pénuries d'eau qui ont des conséquences néfastes pour l'agriculture et l'économie, ainsi que des pluies extrêmes, des débordements de cours d'eau ou des submersions littorales. Pour répondre à ces défis et atteindre ses objectifs, l'Union européenne a adopté le pacte vert durant cette mandature 2019-2024, qui vise à faire de l'Union européenne le premier continent neutre pour le climat. Pour suivre nos objectifs climatiques et mettre en place un plan cohérent ainsi que pour assurer sa mise en oeuvre sans oublier la question des ressources et de la biodiversité, la France s'est dotée d'un secrétariat général à la planification écologique. À l'heure où nous devons entrer dans la mise en oeuvre du pacte vert et du « Fit for 55 », ne pensez-vous pas qu'il serait utile que l'Europe s'inspire de cette initiative française ? Quels sont les chantiers de la prochaine mandature pour atteindre nos objectifs climatiques ?

M. Michaël Weber, sénateur. - Le pacte vert est assailli de toute part. L'ambition climatique et environnementale européenne est largement remise en cause par les plus conservateurs. Les extrêmes droites, dont les sondages prévoient la montée en force, vont tout faire pour détruire le pacte vert, qui est devenu l'objet politique à abattre. Au regard des négociations des derniers mois, nous ne pouvons que nous inquiéter du sort réservé aux textes en matière d'environnement et de climat. La présidente de la Commission a pourtant annoncé l'objectif ambitieux d'une baisse de 90 % des émissions d'ici 2040. Cependant, le rapport de force ne semble pas jouer en faveur d'un renoncement programmé des investissements dans les énergies fossiles et la réduction drastique de leurs usages.

Les demandes d'une pause réglementaire surgissent de toutes parts, mais combien de temps la « pause » peut-elle durer sans mettre en péril l'objectif de neutralité carbone en 2050 et l'avenir même du pacte ? À quoi ressemblera donc l'acte II du pacte vert ? Ne sera-t-il pas vidé de sa substance pour répondre à la peur des industriels d'une perte de compétitivité ou à la fronde d'une partie du monde agricole contre les normes environnementales ?

Le pacte vert souligne aussi l'enjeu crucial de la transition juste. Quel accompagnement social garantit-il pour permettre la décarbonation de l'économie ? La montée en puissance des marchés carbone sur les énergies fossiles risque de faire augmenter les prix des énergies et de provoquer des troubles sociaux si elle n'est pas doublée d'un accompagnement social à la hauteur. Quels sont les outils qui seront déployés pour assurer une transition socialement équitable, en d'autres termes, peut-on compter sur un pilier social du pacte vert ?

M. Matthieu Marchio, député.- Une révision de la directive européenne « poids et dimensions des camions de marchandises » autorise, depuis mars dernier, la circulation transfrontalière des méga-camions de marchandises. Ces véhicules, pouvant atteindre jusqu'à 25 mètres de long et peser 60 tonnes, posent de sérieuses questions en matière de sécurité routière, d'impact sur les infrastructures et de conséquences écologiques. Ces méga-camions, par leur taille démesurée, compromettent la sécurité sur nos routes. Ils représentent un danger pour les usagers, notamment dans les zones urbaines et périurbaines où les infrastructures ne sont pas conçues pour accueillir de tels mastodontes. Leur difficulté de manoeuvre comporte un risque inacceptable d'accident et l'impact de ces véhicules sur les infrastructures routières ne peut être ignoré. Leur poids et leur taille exacerbent l'usure des chaussées, des ponts et des tunnels. Ils nécessitent des investissements publics conséquents pour la réparation et l'entretien des routes à un moment où les ressources financières doivent être orientées vers le transport durable comme le fret ferroviaire, par exemple - or le fret ferroviaire public français a été démantelé par la « Macronie » à la demande de la Commission européenne. L'argument selon lequel les méga-camions réduiraient les émissions de CO2 par l'optimisation des chargements est une vision à court terme qui occulte la menace réelle pour la stratégie européenne de décarbonation des transports. Encourager le transport routier de marchandises au détriment du fret ferroviaire et fluvial va à l'encontre total des engagements de l'Union européenne en faveur de la transition écologique. Le développement du fret ferroviaire représente une alternative durable et écologiquement responsable au transport de marchandises. En conséquence, avez-vous l'intention de soutenir le fret ferroviaire et de laisser aux États qui le souhaitent la possibilité de le faire ?

M. Stéphane Demilly. - Ma question porte sur le transport aérien, un domaine déterminant pour la souveraineté européenne. Le règlement « ReFuel EU Aviation » prévoit une augmentation exponentielle de la proportion des carburants d'aviation durables (CAD) dans les avions, qui passerait de 6 % en 2024 à 70 % en 2050. Pour atteindre un tel objectif, il faudrait créer de toutes pièces une filière de production de tels carburants, car nous n'en possédons pas, ni nos voisins européens. Même avec toute la bonne volonté du monde, nous ne sommes pas en mesure de respecter ces normes d'incorporation, contrairement aux États-Unis par exemple, où se développe une filière très forte, avec des mesures de soutien à l'amont, au niveau de la production, et à l'aval, pour réduire la différence de prix entre les carburants durables et le kérosène traditionnel.

Quelles mesures européennes faudrait-il prendre pour soutenir le développement d'une filière de carburants durables en France et de façon générale, dans nos États membres ?

Ma seconde question concerne la compétitivité des compagnies européennes par rapport à la concurrence des compagnies du Golfe ou de la Turquie. Ces compagnies n'ont pas les mêmes obligations en matière de carburants durables et bénéficient d'un soutien public très puissant. On observe déjà des abandons importants de parts de marché des compagnies européennes en faveur de ces compagnies étrangères. C'est un réel détournement de trafic qui provoque des « fuites de carbone », car ces vols se détournent des grands « hubs » européens en passant par Dubaï ou le Qatar, des destinations qui ne respectent pas nos règles européennes de décarbonation.

Il faut également appeler à la plus grande vigilance concernant l'accord de ciel ouvert entre l'Union européenne et le Qatar, qui n'a pas encore été ratifié par les États membres, trois ans après sa signature. La taille des deux marchés n'ayant rien de comparable, donner un plein accès aux aéroports européens à Qatar Airways n'est pas équitable.

Monsieur le commissaire, quelles mesures européennes devraient être prises pour protéger les compagnies européennes de la concurrence déloyale ?

M. Wopke Hoekstra. - Merci pour ces questions et ces idées.

Madame de Cidrac, vous avez tout à fait raison de souligner l'incidence des questions stratégiques. Effectivement, notre sécurité n'est jamais garantie, ni gratuite, et nous devons faire davantage pour que notre continent dispose d'un accès aux matières premières critiques et essentielles qui est essentiel pour son autonomie stratégique. Nous avons encore beaucoup à faire pour être indépendants. C'est le cas pour les Pays-Bas par exemple, qui est un pays très dépendant de l'extérieur, mais aussi de l'Union européenne Vous avez aussi souligné les critiques qui sont faites aux politiques de transition. Comment les prendre en compte ? En démocratie, les solutions ne sont jamais unidimensionnelles. Notre obligation consiste à définir la meilleure des trajectoires, mais aussi à la faire accepter. Or, nous savons que si 4 Européens sur 5 veulent plus d'actions climatiques, ils sont aussi nombreux à s'inquiéter des effets de la transition sur leur emploi et sur leurs ressources. C'est à nous de résoudre ces contradictions.

Monsieur Weber a évoqué le programme de travail de la prochaine mandature. Je crois qu'il importera de continuer l'action climatique et qu'il faudra la concilier avec le développement de nos industries - ce qui suppose que nous aidions financièrement les secteurs industriels à décarboner, au premier chef les secteurs en difficulté. Les entreprises minières, par exemple, devront changer de business model. Je crois, ensuite, qu'il faudra renforcer notre diplomatie climatique au service de la planète - de même qu'il faudra agir pour défendre la démocratie, l'État de droit et les institutions créées au lendemain de la deuxième guerre mondiale qui sont critiquées et même menacées. Comment assurer que la transition soit équitable ? Nous avons déjà des outils allant dans ce sens : le fonds innovation, pour financer des emplois, le fonds transition juste. Ces outils sont-ils suffisants ? C'est difficile à dire. Il faut être souple et prêt à changer de rythme si c'est nécessaire.

Je suis sensible à la question de la sécurité routière, Monsieur Marchio, même si je n'en suis pas un spécialiste. Je ne connais pas l'ampleur du problème que vous soulevez et ne sais pas à quelle échelle ces camions produisent les effets que vous indiquez. Cependant, je constate que si les frontières sont ouvertes à l'intérieur de notre continent, les déplacements ne s'y font pas avec la même facilité selon les modes de transports. Le train, en particulier, peut être bien plus long que la route, et le service ferroviaire varie fortement selon les destinations. Ainsi, aller de Paris à Amsterdam prend trois heures en train, mais il faut six heures entre Amsterdam et Berlin, alors que la distance est équivalente. Nous avons donc besoin de plus d'interconnexions au sein de l'UE.

Enfin, Monsieur Demilly, vous posez une très bonne question sur l'aviation. En ce domaine, je crois qu'il faut mobiliser trois principes : en application du principe pollueur-payeur, il faut faire payer les passagers pour faciliter la transition ; il faut plus d'équité dans les règles du jeu et dans les contraintes imposées aux entreprises - les compagnies aériennes nous le demandent à raison ; enfin, nous devons aider le secteur du transport aérien à faire sa transition, notamment en recourant à des combustibles durables.

Mme Danièle Obono. - Selon une étude récente de l'Institut Rousseau, nous avons besoin d'investir 40 milliards d'euros d'ici 2050 pour décarboner l'économie de l'Union européenne. Les trois quarts de ces fonds peuvent être sécurisés en réaffectant des dépenses courantes, soit superflues, soit préjudiciables, au processus de transition. Ainsi, la somme à trouver serait de 10 milliards d'euros, soit environ la moitié de ce que l'Union européenne a dépensé en importation de combustibles fossiles en 2022. Il faudrait également doubler les dépenses publiques, de 250 à 510 milliards d'euros, pour catalyser l'investissement privé et financier dans des solutions de décarbonation non rentables. Cet investissement est bien moindre que les subventions des vingt-sept aux combustibles fossiles. Monsieur le commissaire, vous avez dit que la fin des subventions aux énergies fossiles était un des grands chantiers de votre mandat. Comment, concrètement, comptez-vous atteindre cet objectif, le plus tôt possible ?

Le doublement des dépenses publiques, de 250 à 510 milliards d'euros par an, nécessaire face au changement climatique, se heurte directement au pacte de stabilité, qui renforce l'austérité en imposant deux contraintes budgétaires qui n'ont aucun fondement sérieux : la règle du déficit public annuel inférieur à 3 % du PIB et celle de la dette inférieure à 60 % du PIB. Ces deux règles limitent grandement la capacité d'action des États et donc cet investissement public pourtant nécessaire. À la France Insoumise, nous dénonçons ces règles budgétaires qui ont été fixées de manière arbitraire et nous pensons qu'il faut, à minima, en exclure les dépenses écologiques et sociales, voire les abroger : qu'en pensez-vous ? Les années à venir seront décisives., L'Union européenne devrait être à la pointe de la lutte pour la sauvegarde des écosystèmes et la transition écologique. Elle en a les moyens financiers, techniques et humains. Il manque, depuis trop longtemps, la volonté politique : cette volonté est nécessaire et plus urgente que jamais.

Mme Nadège Havet, sénatrice. - Quelles ont été les impulsions données à l'échelle continentale pour soutenir les avancées environnementales des 27 États membres ? Vous avez cité la taxe carbone aux frontières, la redéfinition de la taxonomie européenne... Sur le fondement du pacte vert, de nombreuses législations nationales ont vu le jour pour viser la neutralité carbone en 2050. En France, nous avons connu, l'an passé, une baisse record des émissions de CO2 de près de 5 % : c'est autant qu'entre 2012 et 2017. Les explications sont, en partie, structurelles et, en partie, liées aux effets méconnus du plan de relance européen de 750 milliards d'euros. Du fait de la guerre d'agression russe en Ukraine, de la situation dramatique du Proche-Orient et de la baisse du pouvoir d'achat, nous avons mis de côté l'analyse des bienfaits de ce plan de relance, pourtant historique. La part revenant à la France et qui est de plus de 40 milliards se décline en de nombreux projets, tout comme les budgets alloués à l'Italie ou à l'Espagne. Il faut souligner que ce plan de relance européen oblige de dédier au moins le tiers des dépenses des plans de résilience nationaux à l'action climatique et au moins 20 % à la transition numérique. Grâce à ce plan, l'Espagne devrait accéder, en 2026, à 80 milliards d'euros de fonds non remboursables et autant en prêts. Cela avait fait dire à la gauche espagnole, il y a trois ans, que cet engagement marquait la fin d'une logique néolibérale.

Monsieur le commissaire, mesure-t-on déjà les effets de ce plan d'inspiration keynésienne sur les politiques nationales environnementales ? Avez-vous des exemples concrets à citer dans plusieurs pays ?

M. Emmanuel Maquet, député. - L'avenir du pacte vert - ou Green Deal - se joue en partie lors des élections européennes. Les manifestations des agriculteurs, en début d'année, l'ont montré : les Européens sont prêts à faire des efforts pour le climat, à condition que ceux-ci soient justifiés. Au cours du dernier mandat, notre famille politique a défendu les mesures du pacte vert qui fixait un cap utile et raisonnable, telle la taxe carbone aux frontières, pour lutter contre la concurrence déloyale de certains produits importés. En revanche, nous nous sommes opposés aux textes qui prêchaient la décroissance en Europe sans résoudre le problème environnemental. La stratégie du Farm to Fork, ou la loi de restauration de la nature, sont une catastrophe pour nos agriculteurs. L'interdiction du moteur thermique en 2035 est une absurdité pour nos constructeurs et le soutien aux énergies renouvelables, un accélérateur de notre dépendance à la Chine. Dans le cadre des élections européennes, nous dénonçons cette écologie de la décroissance, bureaucratique et punitive, qui crée de plus en plus de normes et dicte de plus en plus d'objectifs, sans se préoccuper des moyens de les atteindre. L'Union européenne ne pourra pas sortir seule le monde du marasme climatique. Les buts et les contraintes qu'elle se fixe ont-ils seulement encore valeur d'exemple ? Aujourd'hui, l'Europe prescrit et les États subissent. Beaucoup d'idées que nous portons depuis des années ont ainsi soudainement été reprises par nos adversaires par pur électoralisme. Tout d'abord, sur la nécessité d'un pacte vert moins complexe et mieux adapté aux réalités des entreprises et des ménages, qui laisse le temps de digérer les normes existantes avant d'en créer de nouvelles. Cessons de multiplier les règlements qui nourrissent un sentiment d'insécurité administratif pour nos forces productives. Ensuite, sur l'investissement en faveur de la réindustrialisation et de la souveraineté - en mobilisant l'épargne des Européens, comme le propose notre candidat. Ce n'est qu'en renforçant son économie que l'Europe réussira sa transition écologique : elle doit s'appuyer davantage sur les entreprises, la recherche et l'innovation. Enfin, sur le volet social, où il faudra des financements pour aider les ménages et les petites entreprises, si nous voulons éviter une crise des gilets jaunes européenne. Avec la Commission, vous avez proposé une baisse de 90 % des émissions en 2040. Attention aux objectifs irréalistes et injustes qui nous dirigent vers un décrochage durable vis-à-vis des États-Unis ou encore de la Chine. L'objectif de neutralité carbone est déjà complexe et ambitieux, ne l'alourdissons pas par du fardeau supplémentaire.

M. Pierre Barros, sénateur. - Je repose une question qui vient de vous être posée, parce qu'il me semble, Monsieur le commissaire, que vous n'y avez pas répondu. Le pacte vert vise à réduire les émissions nettes d'au moins 55 % en Europe d'ici 2030 afin que celle-ci devienne le premier continent neutre pour le climat d'ici 2050. La décarbonation du transport en est l'un des grands chantiers. Il est essentiel de travailler à une meilleure complémentarité des différents modes de transport, à savoir le ferroviaire, le fluvial et la route. Chaque mode a sa pertinence et c'est l'intérêt du transport combiné que de les articuler. Il semble pourtant que l'Europe ait décidé de défendre un choix inverse. En effet, en imposant, avec l'aval du gouvernement français, un plan de discontinuité à fret SNCF, principal opérateur en France de fret sur le rail, vous obérez la capacité du fret français à se développer. Alors qu'un train peut transporter en moyenne l'équivalent de 50 camions, c'est intéressant, l'Europe a fait clairement le choix de la route. Une directive européenne, récemment adoptée par le Parlement européen, prévoit ainsi d'autoriser la circulation des « méga-camions », pouvant mesurer jusqu'à 25 mètres de long et peser jusqu'à 60 tonnes. De tels camions réduiront certes de 20 % les émissions de CO2 par tonne de marchandises transportées, mais ils resteront au moins 9 fois plus polluants que le fret ferroviaire. Par ailleurs, cette décision pourrait engendrer une multiplication des camions sur les routes européennes, ce qui augmenterait finalement les émissions de CO2. Un cabinet indépendant chiffre cette hausse à 6,6 millions de tonnes de CO2 par an. Ces camions supplémentaires pourront de surcroît continuer à fonctionner au diesel jusqu'en 2035 en France. On risque donc, dans toute l'Europe, d'assister à un report modal inversé, du rail vers la route. Dans ces conditions, comment espérez-vous atteindre la décarbonation du secteur des transports ?

M. Pierre-Jean Rochette, sénateur. - La Commission européenne a pris la main sur le Green Deal et défini des règles qui nous engagent pour les 25 prochaines années. Le Rhône, ce fleuve qui longe mon département de la Loire, est concerné par ce qu'on appelle les polluants éternels - les substances polyfluoroalkylées, ou PFAS -, soient quelque 12 000 substances de niveaux de dangerosité variable, et dont les pollutions auraient un coût de l'ordre de 84 milliards d'euros par an en Europe. Les Pays-Bas se sont engagés sur ce dossier. La Commission européenne a reçu en février dernier une proposition pour interdire ces polluants éternels. Quelle suite allez-vous lui donner ? Avez-vous un calendrier et des méthodes de travail ? Enfin, et parce que c'est le nerf de la guerre, avez-vous réfléchi à un outil financier afin d'aider les entités infra-étatiques à faire face au coût des pollutions subies ?

M. Wopke Hoekstra. - Mme Obono pose la question qui ponctue immanquablement tout débat politique et qu'on ne peut éviter : qui va payer ? C'est une question toujours difficile. En ce qui concerne le climat, il faut reconnaître que le secteur public manque de ressources et que nous avons besoin de fonds provenant du secteur privé. Nous avons aussi besoin que des pays non membres de l'Union européenne agissent davantage pour le climat. Ceux qui peuvent contribuer devraient le faire, en particulier ceux qui polluent. La responsabilité doit donc être partagée. Une manière d'avancer consisterait à s'assurer d'avoir les prérequis pour que des fonds privés soutiennent les investissements verts. Quant au pacte de stabilité, il résulte d'un compromis politique qu'il ne m'appartient pas de remettre en cause.

Madame Havet, pour ma part, j'estime que les fonds verts européens sont une très bonne idée ; c'est, à mon sens, un moyen de refaçonner nos économies.

Vous avez évoqué la guerre en Ukraine : il y va non seulement de la liberté des Ukrainiens, mais de l'avenir de l'Europe tout entière. Notre effort en faveur de l'Ukraine doit-il mobiliser des fonds européens ? Bien entendu. J'ajoute que, pour préserver sa sécurité, l'Europe doit rester soudée.

Monsieur Maquet, comme vous, je suis contre la décroissance, qui nuit tout particulièrement aux classes populaires et moyennes. Il faut privilégier une croissance économique durable. Vous insistez, avec raison, sur la simplification : les entreprises critiquent l'Union européenne pour la complexité de ses normes, et dans une certaine mesure ces reproches sont fondés. Cela étant, j'observe que, dans bien des cas, on raisonne à tort à l'échelle nationale : bon nombre de défis doivent être relevés aux échelles nationale et européenne.

Monsieur Barros, personne ne veut un retour du rail vers la route, mais il faut explorer toutes les solutions possibles. Je ne connais pas bien le cas spécifique de la SNCF. Toutefois, j'insiste sur le fait que, dans le domaine des transports, nous nous efforçons de privilégier les solutions durables, ce qui suppose de lever un certain nombre d'obstacles.

Monsieur Rochette, c'est la prochaine Commission européenne qui répondra à votre question relative aux polluants éternels. Face à ce fléau, on a beaucoup fait au cours des dernières années. Je suis certain que nous continuerons de lutter contre les polluants éternels : il y va de la santé de nos concitoyens et le débat se pose peu ou prou dans les mêmes termes dans tous les pays de l'Union européenne, y compris aux Pays-Bas. Aucun État n'est épargné.

Mme Anne-Cécile Violland, députée. - Avant tout, je tiens à remercier nos collègues sénateurs de nous accueillir aujourd'hui au sein de la Haute Assemblée.

Le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (MACF) est un des piliers du Green Deal, voté l'an dernier par le Parlement européen. Indispensable pour penser notre trajectoire de réduction carbone, cet outil vise à réduire, d'ici à 2030, les émissions de l'Union européenne de 55 % par rapport à 1990. À ce titre, comment voyez-vous l'alignement des États membres ? Ne pourrait-on pas être plus ambitieux encore, en relevant le taux de réduction à 60 %, voire à 65 % ?

En phase de test depuis octobre 2023, le MACF doit entrer en vigueur en 2026. À l'heure de la simplification, il place les industriels face à une véritable paperasserie... Surtout, comme vous le soulignez vous-même, il convient de développer des outils justes et équitables : comment éviter les effets de bord - contournements, iniquités ou encore distorsions de concurrence ? Mon collègue député Horizons, Henri Alfandari, s'est penché sur l'extension de ce mécanisme aux produits finis et semi-finis : la compétitivité des entreprises du secteur aval s'en trouvera mécaniquement dégradée. Que pensez-vous d'une telle extension, que certains souhaitent mettre en oeuvre le plus rapidement possible ? Enfin, comment concevoir la trajectoire de montée en puissance ? Plus encore qu'une harmonisation tarifaire, ne pourrait-on pas aller dans le sens de la territorialisation afin de prendre en compte les spécificités des divers États membres ?

Mme Mathilde Ollivier, sénatrice. - Aujourd'hui, six limites planétaires sur neuf sont dépassées ; les ravages du dérèglement climatique sont bien là et les problèmes ne vont pas aller en s'arrangeant.

L'écologie, l'environnement et le climat sont des sujets foncièrement européens ; sous la pression des mouvements pour le climat et des écologistes qui se sont mobilisés aux quatre coins de l'Europe, ils ont été inscrits au coeur de l'agenda européen. La législature qui s'achève aurait pu être celle de l'action contre la crise climatique : pourtant, main dans la main avec les gouvernants français, vous semblez désormais vouloir ralentir, voire reculer, qu'il s'agisse des nouvelles explorations fossiles, de la restauration de la nature, du glyphosate ou encore des pesticides.

Or l'Europe doit faire face aux enjeux du siècle avec force et ambition. Il y a quelques semaines, la présidente de la Commission européenne s'est engagée - enfin - en faveur de la loi sur la restauration de la nature : voilà des mois que le Parlement européen l'avait interpellée à ce sujet. Son soutien arrive bien tard. De tels atermoiements mettent en danger ce texte essentiel à la protection de la biodiversité, à l'heure où le consensus atteint est remis en cause par plusieurs pays. Je rappelle que, dans l'Union européenne, 81 % des habitats naturels sont en situation critique et que plus de 1 500 espèces sont menacées d'extinction. Comment comptez-vous avancer pour défendre cette loi essentielle ?

De même, pour la réduction des émissions, certains domaines restent à la traîne, notamment l'agroalimentaire - je vous renvoie sur ce point à un récent rapport de la Banque mondiale. Sous couvert de défendre notre souveraineté alimentaire, la Commission a abandonné la stratégie dite de la ferme à l'assiette : quel bilan tirez-vous des politiques européennes en la matière ? Quels combats la prochaine Commission devra-t-elle mener ? En particulier, qu'en est-il des importations d'engrais russes, dont nous restons dépendants et qui sont, au passage, 50 % à 60 % plus émetteurs de CO2 que les engrais produits en Europe ? Avec de tels exemples, on mesure les contradictions de l'exécutif européen dans les domaines géopolitique, environnemental ou encore climatique.

L'écologie est un combat, pour notre génération comme pour les générations suivantes, et nous devons mener ce combat à l'échelle européenne.

M. Ahmed Laouedj, sénateur. - L'Union européenne est entrée dans une nouvelle ère d'approvisionnement en énergies décarbonées. L'agression russe contre l'Ukraine a mis en lumière la dépendance de l'Europe au gaz russe, fragilité instrumentalisée par le Kremlin, qui a entraîné une hausse démesurée des prix de l'électricité.

Auparavant, la politique de l'Union européenne en matière d'énergie et de climat avait connu des progrès notables, notamment sous l'effet de la crise covid. Le plan de relance européen a en partie comblé le déficit d'investissement public vert et l'effort a encore été accéléré par l'agression russe : les Européens se sont accordés en faveur d'une sortie rapide des énergies fossiles ; ils ont adopté un cadre réglementaire rehaussant les objectifs de déploiement des énergies renouvelables.

Toutefois, il n'y aura pas d'ambition commune sans un budget commun de la zone euro : Emmanuel Macron l'a rappelé dès 2018. En tant que ministre des finances des Pays-Bas, vous vous êtes opposé à ce budget commun. Or, aujourd'hui plus que jamais, nous avons besoin d'une politique budgétaire commune plus ambitieuse pour prévenir de nouvelles crises.

Christine Lagarde, présidente de la Banque centrale européenne (BCE), a récemment évoqué la nécessité d'un nouvel emprunt européen pour financer la transition énergétique : sur ce sujet, quelle est votre position en tant que commissaire chargé de l'énergie et du climat ? Comment les institutions européennes pourront-elles soutenir très concrètement la mise en oeuvre du Green Deal européen ?

Mme Cyrielle Chatelain, députée. - L'Europe a toujours su faire face aux crises qui ont percuté le continent, qu'il s'agisse de la crise des subprimes, de la pandémie de covid ou de l'invasion de l'Ukraine par la Russie. Chaque fois, elle a su repenser certaines de ses règles et déployer les budgets nécessaires, parfois quoi qu'il en coûte. Je vous interroge à mon tour : où est le « quoi qu'il en coûte » face au plus grand défi que l'humanité ait jamais relevé, à savoir le défi climatique ?

Vous avez pris l'engagement de réduire au minimum les émissions de gaz à effet de serre de 90 % d'ici à 2040 par rapport à 1990, ce qui suppose des changements structurels - sortie des énergies fossiles, développement des énergies renouvelables, rénovation des logements, etc. Au total, il faudrait 620 à 1 000 milliards d'euros supplémentaires chaque année d'ici à 2030 pour accompagner les ménages dans cette transition et s'adapter à des impacts déjà palpables - perte de production agricole, inondations ou encore sécheresses.

Ces problèmes risquent encore de s'accentuer, car les politiques d'atténuation actuelles ne sont pas à la hauteur : en Gironde ou en Île-de-France, pour ne parler que de l'Hexagone, de nouveaux forages pétroliers sont autorisés par le gouvernement. L'Europe, notamment la France, continue d'importer du gaz naturel liquéfié (GNL), notamment en provenance de Russie. Nous ne sommes pas sur une trajectoire de 90 % de réduction des émissions de gaz à effet de serre.

Comme vous l'indiquez, il faut réorienter les moyens privés en ce sens ; mais il faut également mobiliser les moyens publics pour que l'Europe soit à la hauteur. J'attends des précisions de votre part.

Mme Lysiane Métayer, députée. - Le transport maritime représente aujourd'hui 3 % des émissions carbone mondiales et 85 % des marchandises européennes s'échangent par la mer.

Le secteur s'est engagé à atteindre la neutralité carbone d'ici à 2050. À ce titre, le gouvernement français a signé, le 28 mars dernier, un pacte vélique destiné à soutenir la conception et la production de systèmes performants pour la propulsion de navires par le vent. Cette initiative répond aux engagements de la France pour décarboner le secteur maritime.

Avec le Green Deal, l'Union européenne se mobilise pour accompagner la transition bas-carbone ; une taxonomie verte est mise en oeuvre pour identifier et encourager des investissements verts, ainsi que des activités économiques soutenables.

Bien que prometteuse, la filière vélique souffre d'un manque de soutien à l'échelle européenne. Pour les entreprises concernées, l'accès aux financements européens s'en trouve restreint.

Le règlement délégué (UE) 2021/2139 fixe un certain nombre de critères permettant de déterminer à quelles conditions une activité économique peut être considérée comme contribuant substantiellement à l'atténuation du changement climatique ou à l'adaptation à ce dernier. Alors que la filière vélique propose des solutions concrètes par le recours à cette énergie renouvelable qu'est le vent, les navires à propulsion vélique ne sont pas éligibles à la taxonomie verte : en effet, leurs émissions de CO2 à l'échappement ne sont pas nulles. Quelles initiatives la Commission pourrait-elle prendre pour accompagner le développement de cette filière et poursuivre, ce faisant, la décarbonation du secteur maritime ? C'est un enjeu important, notamment dans ma circonscription.

M. Pierrick Berteloot, député. - À la suite de Mme de Cidrac, j'insiste sur l'interdiction des ventes de véhicules à moteur thermique neufs dès 2035. Il s'agit, en effet, d'un grave sujet de préoccupation pour les Français.

Bientôt, les Européens n'auront d'autre choix que la voiture électrique ou à hydrogène, du moins pour les véhicules neufs. Or, à en croire un rapport publié il y a quelques semaines par la Cour des comptes européenne, la mise en oeuvre de cette mesure est déjà compromise.

L'Union européenne manque d'une véritable feuille de route relative aux carburants alternatifs. Surtout, elle souffre de sa grande faiblesse sur le marché de la voiture électrique : elle n'abrite que 10 % de la production mondiale de batteries, contre 76 % pour la Chine. Cette problématique était bien connue lorsque l'interdiction évoquée a été décidée : l'Union européenne réalise une enquête afin de déterminer si les constructeurs de voitures électriques chinois à qui des subventions sont accordées respectent bien les réglementations européennes en matière de concurrence.

Quelques subventions européennes ont été récemment votées - 902 millions d'euros pour construire une usine de batteries en Allemagne, ou encore 600 millions d'euros pour aider l'usine Verkor à s'implanter dans le Dunkerquois. À cet égard, on invoque le climat ; mais l'Europe devrait également défendre le progrès économique et social en son sein. C'est même une de ses missions premières.

On ne saurait sacrifier l'indépendance et la puissance économique de l'Europe sur l'autel du « zéro CO2 ». L'Europe est déjà très dépendante de pays tiers pour certaines ressources. Il ne faudrait pas aggraver la situation. C'est le quotidien de vingt-sept pays et de 447 millions de personnes qui s'en trouvera touché ; et je ne parle pas du coût d'installation des bornes de recharge, lesquelles devront être uniformément réparties sur le territoire européen pour avoir une véritable efficacité.

Pour ces diverses raisons, le parti populaire européen (PPE) a annoncé qu'il ferait tout son possible pour retarder l'interdiction décidée. La date de 2035 n'est pas décemment envisageable.

Comment la Commission européenne a-t-elle pu se prononcer en ce sens ? Quelles mesures va-t-on prendre pour rendre cet objectif atteignable sans affaiblir l'Europe, sans aggraver sa dépendance face à ces géants que sont la Chine et les États-Unis ?

M. Wopke Hoekstra. - Madame Violland, il est difficile de prédire la manière dont le MACF va se développer ; mais j'insiste sur l'utilité de ce mécanisme, que ce soit au sein de l'Union européenne ou en dehors. Le meilleur MACF serait celui qui ne dégagerait aucun profit : cela signifierait que, suivant l'exemple de l'Union européenne, toutes les entreprises du monde auraient réduit leurs émissions de carbone. C'est notre espoir. Nous fixons des cibles ambitieuses à horizon 2030, 2040 ou encore 2050. Les États membres peuvent bien sûr aller au-delà, mais il faut à tout le moins respecter ces objectifs. C'est indispensable, non seulement pour nos entreprises, mais pour nos sociétés.

Madame Ollivier, vous avez totalement raison de le souligner : notre terre est notre meilleure amie. Elle fait partie intégrante de la solution à trouver en matière climatique. Il faut donc transformer notre agriculture : la Finlande et la Suède ont déjà progressé en ce sens. Dès lors que nous aurons élaboré un nouveau modèle économique, directement lié aux solutions fondées sur la nature et le climat, nous serons sur la bonne voie. Tel est le conseil que j'adresse à la prochaine Commission européenne.

Monsieur Laouedj, Madame Chatelain, vous m'interrogez tous deux sur les enjeux financiers. De manière générale, les crédits européens devraient évidemment être fléchés vers nos priorités-clefs, dont le climat et l'environnement font partie. C'est précisément pourquoi 30 % des fonds du plan de relance ont été réservés au climat. En outre, que ce soit en Europe ou dans le reste du monde, il faut assurer une meilleure mobilisation des investissements privés. Je suis favorable à une augmentation des crédits publics en la matière, mais il faut dépenser cet argent à bon escient et avec prudence, car c'est l'argent des Européens et des entreprises européennes.

Madame Métayer, vous déplorez que certaines entreprises, pourtant actives dans le secteur de l'innovation, n'aient pas suffisamment accès aux aides européennes. Nous avons encore beaucoup à faire dans ce domaine, car le verdissement de nos entreprises est un véritable enjeu. Le fonds d'innovation permet déjà de financer différents volets de la transition verte, notamment l'installation de panneaux solaires ; bien sûr, nous pouvons aller encore plus loin.

Enfin, Monsieur Berteloot, au sujet des transports automobiles, je me suis récemment entretenu avec de grands constructeurs automobiles, notamment français. Ils ne souhaitent pas repousser les échéances fixées, et désirent disposer d'une plus grande prévisibilité quant au déploiement des véhicules électriques. À ce titre, les infrastructures restent sous-développées dans l'Union européenne. En parallèle, il est indispensable d'investir dans le réseau. Cela étant, la tendance globale est positive : on investit dans les infrastructures et le prix des véhicules électriques devient plus abordable.

Je précise que les camions font l'objet de problématiques spécifiques, qu'il s'agisse de la longévité des véhicules, du rechargement des batteries ou des déplacements internationaux. On achète une voiture avec son porte-monnaie ; on achète un camion avec une calculatrice.

M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes du Sénat. - Merci, monsieur le commissaire, d'avoir répondu à nos questions, souvent complexes, à la veille des élections européennes.

M. Wopke Hoekstra. - C'était un grand honneur d'être aujourd'hui au Sénat français.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 18 h 35.