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Direction de la séance

Projet de loi

Reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages

(2ème lecture)

(n° 578 rect. , 577 , 569)

N° 57 rect.

12 mai 2016


 

AMENDEMENT

présenté par

C Demande de retrait
G Demande de retrait
Tombé

MM. LABBÉ et DANTEC, Mme BLANDIN, M. POHER

et les membres du groupe écologiste


ARTICLE 51 QUATERDECIES


Rédiger ainsi cet article :

I. – La section 1 du chapitre III du titre V du livre II du code rural et de la pêche maritime est complétée par un article L. 253-1-… ainsi rédigé :

« Art. L. 253-1-... – L’utilisation des produits phytopharmaceutiques contenant des substances actives de la famille des néonicotinoïdes, y compris les semences traitées avec ces produits, est interdite à partir du 1er septembre 2018.

« Un arrêté conjoint des ministres chargés de l’agriculture, de l’environnement et de la santé définit, après avis de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, de l'Institut national de la recherche agronomique, et de l'Institut technique de l'agriculture biologique,  les solutions de substitution suivantes à l’utilisation des produits mentionnés au premier alinéa :

« 1° Les produits phytopharmaceutiques alternatifs aux produits mentionnés au premier alinéa, adaptés à chaque usage ;

« 2° Les pratiques culturales durables permettant de limiter le recours aux produits phytopharmaceutiques, qu’il s’agisse de solutions de substitution biologiques ou physiques ou de pratiques agronomiques qu’il est souhaitable de développer à long terme, telles que la rotation des cultures ou la plantation de cultures pièges. »

II. – L’arrêté prévu à l’article L. 253-1-… du code rural et de la pêche maritime est pris dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi.

III. – À la seconde phrase du second alinéa du I de l’article L. 254-7 du code rural et de la pêche maritime, après les mots : « 91/414/CE du Conseil » sont insérés les mots : « et des produits dont l’usage est autorisé dans le cadre de l’agriculture biologique ».

Objet

Dans l’absolu une interdiction rapide est souhaitable mais la date de septembre 2018 votée par l’Assemblée Nationale permet la mise en place des alternatives aux néonicotinoïdes en laissant un temps raisonnable aux agriculteurs pour adapter leurs pratiques.

De nouvelles études scientifique sont régulièrement publiées sur l’impact des néonicotinoïdes sur les abeilles, les pollinisateurs sauvages, les invertébrés aquatiques, les oiseaux, etc. L’avis1 du 7 janvier 2016 de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement valide et confirme ces éléments. Il ne fait plus aucun doute que ces produits sont néfastes pour notre environnement et les premiers signaux d’alarme apparaissent sur la santé humaine.

De la contamination généralisée de l’environnement découle une contamination de l’alimentation humaine. Déjà, en 2008, la commission européenne constatait que l’imidaclopride était une des cinq molécules les plus rencontrées dans les fruits et légumes. Une étude américaine et néo-zélandaise2 montre que la totalité des fruits et légumes et 90 % des échantillons de miel sont contaminés par les néonicotinoides. On ne peut donc dissocier l’impact sur l’environnement d' un effet sur l'homme du fait de la pollution des milieux, et l'imprégnation de la nourriture, qui conduisent à la contamination humaine comme démontrée par une étude japonaise3 : dans les échantillons d’urine de sujets exposés à la contamination environnementale, les auteurs ont retrouvé des résidus d'imidaclopride, de thiamethoxam, et de clothianidine chez 90 % des sujets, et d’acétamipride chez plus de 50 %.

L'EFSA en 2013 a émis un avis, dans lequel elle reconnaît le danger de l’imidaclopride et de l’acétamipride qui peuvent affecter de façon défavorable le développement des neurones et des structures cérébrales associées à des fonctions telles que l'apprentissage et la mémoire. L'Agence canadienne ARLA considère la clothiadinine, l'acétamipride, le thiametoxam comme des perturbateurs endocriniens, et indique des effets suspectés sur la reproduction chez l'animal. Les dernières études publiées mettent en évidence une perturbation endocrinienne chez les mammifères et l'oiseau pour l'imidaclopride; une génotoxicité et cytotoxicité humaines des thiaclopride, clothiadinine, imidaclopride ouvrant la voie à la cancérogenèse et à la mutagenèse et une carcinogènicité du thiaclopride, classé C2 par l’agence européenne ECHA.

Les conséquences de l’usage des néonicotinoïdes sont encore plus brutales que celles des autres insecticides : la toxicité, la systémie et la persistance dans les sols et l’eau, combinée à une utilisation sur des millions d’hectares et sur de nombreuses cultures, conduisent à une contamination généralisée de tout l’environnement et ce tout au long de l’année.

L’Union européenne a restreint certains de leurs usages en 2013, mais ils sont encore très largement utilisés. En France, plus d’une centaine de produits à base de néonicotinoïdes sont autorisés pour de très nombreux usages, tant phytosanitaires que vétérinaires (désinsectisation et traitement des animaux domestiques).

Les propriétés de systémie et persistance des néonicotinoïdes font que les mesures de réduction des risques mises en pratique (par exemple les déflecteurs sur semoirs pneumatiques) ou d’interdiction partielle (Gaucho sur tournesol et maïs, ainsi que la suspension européenne de 3 molécules) n’ont pas eu d’effet suffisant pour réduire l’intoxication chronique de l’environnement toujours alimentée par les usages maintenus.

La seule décision efficace est l'interdiction totale de leur utilisation. C'est ce qui a été fait en Italie entre 2008 et 2012, ce qui a permis une diminution des mortalités de ruches de 37,5 % à 15 % en trois ans sans néonicotinoïdes. Cette interdiction n'a pas eu de conséquences sur la production de maïs.

Économiquement, au-delà de la survie de la filière apicole, ce sont les services écosystémiques vitaux rendus par les pollinisateurs domestiques et sauvages, et par les organismes des milieux aquatiques et des sols, qui sont en jeu. Les détails pratiques pour la mise en place de la fin de l'utilisation des néonicotinoïdes peuvent être définis par arrêté ministériel, en lien avec l'ANSES, il est cependant nécessaire d'envoyer un signal clair en inscrivant formellement dans la loi leur interdiction pour enclencher une véritable recherche d'alternatives.

Par ailleurs, de nombreuses études montrent que l’utilisation de ces insecticides ne provoque pas d’augmentation de rendement par rapport aux mêmes cultures non traitées. On dispose de comparaisons intéressantes pour le Royaume-Uni, le Canada, l’Italie, les Etats-Unis, et l’Union Européenne4. L’Allemagne en a interdit l’usage sur céréales d’hiver et continue d’être le second producteur européen de céréales. Leur interdiction ne provoquera pas la catastrophe annoncée par certains.

Nul besoin de rappeler qu’il existe des alternatives pour toutes les productions, puisque de nombreux agriculteurs cultivent sans utiliser les néonicotinoïdes. Pour que le changement vers des modes de production plus respectueux de la santé et de l’environnement devienne une réalité, il est impératif de réorienter des fonds publics destinés à l’agriculture vers le soutien de ces pratiques.

La réglementation européenne ne s’oppose pas à ce qu’un Etat membre interdise l’utilisation de certains produits phytopharmaceutiques sur son territoire. Si la France n’a pas de compétence pour interdire les « substances actives » néonicotinoïdes, elle est souveraine pour interdire les « produits phytopharmaceutiques » contenant ces substances. En vertu du règlement européen n° 1107/2009 (article 69), lorsqu’il apparaît qu’une substance active ou un produit phytopharmaceutique est susceptible de constituer un risque grave pour la santé humaine ou animale ou l’environnement, un Etat membre ou la Commission européenne peut engager une procédure visant à restreindre ou interdire l’utilisation et la vente. Le même règlement (article 1.4) dispose que « les États membres ne sont pas empêchés d’appliquer le principe de précaution lorsqu’il existe une incertitude scientifique quant aux risques concernant la santé humaine ou animale ou l’environnement que représentent les produits phytopharmaceutiques devant être autorisés sur leur territoire. » Ainsi, l'interdiction française des semis de semences de colza « traitées avec des produits phytopharmaceutiques à base de la substance active thiaméthoxam »5 n’a pas été remise en question, ni l’interdiction des « produits phytopharmaceutiques contenant la substance active fipronil »6. Par ailleurs, l’usage des produits phytopharmaceutiques Gaucho (imidaclopride), Régent (fipronil), Cruiser et Cruiser OSR (thiaméthoxam) a été interdit ou suspendu en France soit par la justice soit par décision du ministre. Dans tous ces cas, l'État n'a pas interdit des néonicotinoïdes, mais des produits contenant une substance active de la famille des néonicotinoïdes. L’interdiction des « produits contenant des néonicotinoïdes » relève donc bien du champ de compétence de l’État français et n’empiète pas sur celui de l’Union Européenne. La France peut donc voter leur interdiction totale sans être en désaccord avec la réglementation européenne.

Aujourd’hui, la France dispose des éléments pour interdire ces produits à très courte échéance.

Le III. permet la correction d'une erreur de rédaction issue de la loi de transition énergétique.

 

1https://www.anses.fr/fr/system/files/SUBCHIM2015SA0142.pdf

2Chen M1, Tao L, McLean J, Lu C. Quantitative analysis of neonicotinoid insecticide residues in foods: implication for dietary exposures. J Agric Food Chem. 2014 Jul 2;62(26):6082-90.

3 Ueyama J 1 , Nomura H , Kondo T , Saito I , Ito Y , Osaka A , Kamijima M. Biological Monitoring Method for Urinary Neonicotinoid Insecticides Using LC-MS/MS and Its Application to Japanese Adults. J Occup Health. 2015 Jan 19;56(6):461-8.

4FranceAgriMer – Note de conjecture Oléoprotéagineux : http://www.franceagrimer.fr/content/download/37200/341634/file/MEP_SMEF_UGC_panorama-oleopro-mars2015.pdf

5Arrêté du 24 juillet 2012 relatif à l'interdiction d'utilisation et de mise sur le marché pour utilisation sur le territoire national des semences de crucifères oléagineuses traitées avec des produits phytopharmaceutiques contenant la substance active thiametoxam

6Arrêté du 6 avril 2005 interdisant la mise sur le marché de semences traitées avec des produits phytopharmaceutiques contenant la substance active dénommée « fipronil »


NB : La mention « Tombé » signifie qu'il n'y avait pas lieu de soumettre l'amendement au vote du Sénat dans la mesure où soit l'objectif poursuivi par l'amendement a été atteint par l'adoption d'un autre amendement (ex. : amendement de rédaction globale incluant la modification proposée), soit, au contraire, l'amendement était incompatible avec un amendement précédemment adopté (ex. : l'adoption d'un amendement de suppression fait tomber tous les autres).