Direction de la séance |
Projet de loi Programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030 (1ère lecture) (PROCÉDURE ACCÉLÉRÉE) (n° 52 , 51 , 32, 40) |
N° 63 22 octobre 2020 |
Question préalableMotion présentée par |
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Mme BRULIN, MM. OUZOULIAS, BACCHI et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste TENDANT À OPPOSER LA QUESTION PRÉALABLE |
En application de l’article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération du projet de loi de programmation, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, de la recherche pour les années 2021 à 2030 et portant sur diverses dispositions relatives à la recherche et à l’enseignement supérieur (n° 52, 2020-2021).
Objet
« Un budget européen en trompe-l’œil pour la recherche » écrivait le Monde le 4 octobre dernier expliquant que le Conseil européen aurait décidé de diminuer de 5 milliards d’euros (-6 %) les investissements de l’Union européenne dans la recherche, contre l’avis de la Commission européenne.
Dans ce contexte, en tant qu’élus, il nous faut être vigilants quant aux investissements nationaux à destination de nos chercheurs. En effet, il semblerait que le projet de loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR) pour les années 2021 à 2030 mérite également le qualificatif de « trompe-l’œil ». Et pour cause, sous couvert d’annonces ambitieuses du président de la République affirmant que la recherche publique française se trouverait dotée d’ici à 2030 de 5 milliards d’euros supplémentaires, il semblerait que ses propos soient des effets d’annonces dépourvus de toutes concrétisations.
En préambule, rappelons que le groupe de travail n° 1 consacré au financement de la recherche[1] a estimé à 4,9 milliards d’euros le montant de dépenses qui permettrait d’atteindre les objectifs fixés par la stratégie de Lisbonne. Aussi, il faudrait élever la dépense intérieure de R&D des administrations (DIRDA) à 1 % du PIB. Or comme le souligne le bureau de la Commission permanente du Conseil national des Universités (CP-CNU), 5 milliards d’euros sont nécessaires, immédiatement, pour atteindre 1 % du PIB en DIRDA et non 10 années. En effet, dans 10 ans (avec une hypothèse de croissance à 1 % par an), le PIB aura augmenté de 10 % et les 5 milliards d’euros auront perdu 10 % de leur valeur (avec une inflation contenue à 1 % par an). Selon eux, le besoin supplémentaire à l’horizon 2030 sera alors plutôt de l’ordre de 10 à 13 milliards d’euros. Plus encore, une projection de la commission des finances du Sénat confirme qu’en euros constants, la LPPR prévoit une hausse du budget de la recherche avoisinant 1 milliard d’euros et non 5 milliards d’euros comme annoncés à qui veut l’entendre.
L’insincérité de cette LPPR est également engendrée par la diversité des véhicules d’investissements dans la recherche (crédits budgétaires, plan de Relance, PIA4). Le manque de lisibilité est flagrant. La représentation nationale doit s’alarmer de l’impossibilité qui découle de cet éclatement des crédits, rendant impossible la mission de contrôle de la dépense qui échoit au Parlement.
Le calendrier parlementaire nous invite à examiner cette loi de programmation dans un contexte ubuesque, si bien que nous devrons voter à peine quelques jours plus tard les crédits de la mission « Recherche et Enseignement supérieur ». Finalement, vous nous demandez par ce projet de loi, notamment à l’article 2, de renoncer à toute ambition budgétaire en matière de recherche pendant près d’une décennie, et ce, juste avant d’examiner les investissements pour 2021.
Sachant que vous nous contraignez à entamer l’examen des crédits budgétaires avant l’heure, nous allons vous démontrer pour quelles raisons vos prévisions, déjà bien en deçà des besoins réels du monde de la Recherche, ne se traduiront pas réellement en actes.
En premier lieu, parce que vous nous présentez un budget de la MESRI en diminution de 0,61 % en crédits de paiement par rapport à la loi de finance initiale 2020. Cela se traduit par une diminution de 104,8 millions (-12,39 %) des dépenses de personnel. Les dépenses d’investissement, elles, sont contractées de près de 16,69 %.
Au regard du périmètre du projet de loi de programmation, les programmes 150 et 172 souffrent de vos incohérences. Aussi, alors que vous augmentez de 165 millions d’euros les crédits du programme 15 « formations supérieures et recherche universitaire » par rapport à 2020, 75 % de ces crédits sont affectés à l’action 1 « Formation initiale et continue du baccalauréat à la licence ». Or, alors que 48 000 bacheliers supplémentaires sont arrivés dans des filières déjà en tension, aucune dépense de personnel supplémentaire n’a été prévue sur ces nouveaux crédits. Les grands gagnants seront les établissements d’enseignement privés qui bénéficient de la principale augmentation du programme (+10,60 %). C’est une inexorable privatisation de l’enseignement qui se poursuit, toujours un peu plus à chaque loi de finances.
En deuxième lieu, face aux défis que nous traversons, votre budget et votre loi de programmation pluriannuelle auraient pu servir à graver de nouveaux engagements. Nous nous devons d’investir à long terme dans les secteurs qui subissent des crises profondes. Aussi, nous regrettons qu’au moment où nous devons mobiliser nos laboratoires dans la recherche pour comprendre et enrayer l’épidémie de covid-19, les crédits de l’action « Recherches scientifiques et technologiques en sciences de la vie et de la santé » n’augmentent que de 1,32 %. Ce n’est bien évidemment pas à la hauteur des enjeux. De la même manière, comment expliquer que le budget de l’Institut national pour la recherche en agriculture, alimentation et environnement (INRAE) n’augmente que d’1 % alors que vous nous contraignez à réintroduire les néonicotinoïdes pour sauver la filière betterave. Il ne faut pas financer la recherche par à-coups via des plans successifs, mais en accroître les crédits budgétaires durablement afin de rendre possible l’émergence de programmes à long terme en mobilisant les acteurs de la recherche public et ceux de l’écosystème.
L’alinéa 3 de la LPPR programme les financements de projets de recherche attribués par l’Agence nationale de la recherche (ANR), mais la trajectoire est prévue en autorisations d’engagement. Or, si l’objectif du Gouvernement est d’atteindre un préciput de 40 % (contre 19 % actuellement), nous n’avons pas confiance dans l’accroissement de cet indicateur. En 2021, si pour se conformer par avance à la loi de programmation, le budget de l’ANR augmente de 21 % en autorisations d’engagement, la variation n’est que de + 4,74 % en crédits de paiement. Pour les mêmes raisons, l’ANR avait déjà connu un écart entre les crédits de paiement inscrits en loi de finances et ceux réellement exécutés en 2019 de 7,3 %, soit 62,2 millions non consommés.
En dernier lieu ce texte constitue une précarisation de l’emploi. La Cour des comptes, en septembre 2020, nous alertait sur le fait que dans la fonction publique d’État (FPE), les agents contractuels sont avant tout des personnels travaillant dans des missions d’enseignement et de recherche. Sur un total de 416 000 agents (en effectifs physiques), 61,4 % relèvent du périmètre ministériel de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche et de ses établissements publics.
Notre préoccupation pour l’emploi concerne également les emplois hors plafond qui continuent de constituer une possibilité trop couramment usitée. Le programme 172 « Recherche scientifiques et technologiques pluridisciplinaires » connaît une augmentation de +1219 ETPT pour seulement 14 emplois sous plafond et +1205 emplois hors plafond. Ce sont donc des augmentations qui portent sur des contrats limités dans le temps, financés par le privé, ou via des fonds publics mais potentiellement incertains, et augmentant encore le nombre de contractuels. Ce n’est pas de ce modèle dont nous voulons.
Ce que nous craignons encore davantage ce sont les emplois non consommés. Si vos projections nous paraissent plus qu’optimistes (à +700 ETPT pour 2021), nous estimons que la priorité est déjà de pourvoir aux emplois qui sont déjà ouverts. La Cour des comptes, dans sa note d’analyse sur l’exécution budgétaire pour 2019, regrette la faible consommation en ETPT des universités qui demeurent en exécution à 9271 ETPT sous le plafond.
L’insincérité est donc patente, présente dans chaque recoin de l’article 2 et sous-jacente à toutes les données avancées dans cette loi de programmation. Il ne suffit donc pas de prendre des engagements, il faut les tenir. Nous n’avons pas confiance dans ce Gouvernement pour définir l’horizon de la Recherche. Pas plus, dans sa capacité à donner du sens aux 10 % des français actifs qui exercent dans ces métiers, on ne peut plus utiles en ces temps troublés.
Pour l’ensemble de ces raisons qui attestent de la profonde inadéquation entre les ambitions nécessaires et l’insincérité manifeste du contenu de cette loi de programmation, nous vous proposons donc d’adopter cette motion.
[1] Petit A, Retailleau S, Villani C., Rapport du groupe de travail 1. Financement de la recherche, 23 septembre 2019, p.80.