B. LA RÉNOVATION ÉNERGÉTIQUE DU PARC PRIVÉ ENTRE REVIREMENTS, DÉBUDGÉTISATION ET MANQUE DE CAP CLAIR
1. Une restructuration du soutien public à la rénovation énergétique
La dotation de l'État à l'Agence nationale de l'habitat (Anah) serait réduite de 19,2 % en crédits de paiement et de 28 % en autorisations d'engagements, soit une baisse de respectivement 500 et 750 millions d'euros. Cette contraction importante répond à deux évolutions : un recentrage des aides et une débudgétisation.
· Le « recentrage » des aides de l'Anah, à la suite des réformes intervenues en septembre 2025 notamment sur le parcours accompagné de MaPrimeRénov'3(*), mais aussi sur le parcours « par gestes »4(*), permettra, selon le ministère du logement, d'économiser environ 500 millions d'euros en crédits de paiement et 700 millions d'euros en autorisations d'engagement.
· Le recours accru aux certificats d'économies d'énergie (CEE), par la mobilisation de 500 millions d'euros de CEE supplémentaires, permet de « débudgétiser » une partie du soutien à la rénovation énergétique du parc privé. La part des CEE dans le budget de l'Anah passerait ainsi de 10 % en 2024 à 34 %. Si cet outil « extrabudgétaire » est intéressant compte tenu de l'état des finances publiques, la rapporteure souligne qu'il n'est pas exempt de conséquences sociales, économiques et politiques. En effet :
ü Le recours aux CEE fait peser le coût du soutien à la rénovation énergétique non sur le contribuable, mais sur le consommateur : les CEE représentent environ 4 % de la facture d'énergie, soit environ 165 € par an en moyenne. Cela n'est pas neutre en matière sociale puisque le coût de l'énergie représente une part plus importante du budget des plus modestes ;
ü La débudgétisation réduit le contrôle parlementaire sur l'ampleur et les modalités du soutien public à la rénovation énergétique ;
ü Par ailleurs, les CEE restent un mécanisme de marché, certes étroitement surveillé par le ministère de l'économie, mais qui peut souffrir de variations en fonction de l'offres et de la demande - c'est arrivé en 2022, où un surstock a fait plonger les prix ;
ü Enfin, les CEE sont sujets aux fraudes : des acteurs auditionnés par la rapporteure ont exprimé leurs préoccupations quant à une recrudescence des fraudes du fait de la hausse du volume mobilisable. Si la loi du 30 juin dernier5(*) contre toutes les fraudes aux aides publiques a introduit plusieurs avancées pour renforcer les contrôles en la matière, elle n'est pas encore totalement applicable.
2. Un manque de cap de la politique du Gouvernement en matière de rénovation énergétique
La fermeture temporaire de MaPrimeRénov' entre juin et septembre 2025 puis sa réouverture partielle témoignent, selon la rapporteure, d'un manque de cap, voire de l'incohérence de la politique du Gouvernement en faveur de la rénovation énergétique.
La rapporteure a pu en mesurer les conséquences concrètes auprès des artisans et des élus lors d'un déplacement dans l'Audomarois (pays de Saint-Omer, Pas-de-Calais) le 17 novembre organisé conjointement avec la Confédération des artisans et des petites entreprises du bâtiment (Capeb).
Si la fermeture du guichet puis les changements de règles d'éligibilité des travaux et de plafonds d'aides intervenus en septembre dernier ont évidemment eu des effets dévastateurs en termes de lisibilité pour les ménages, ils sont aussi sources de découragement pour les artisans et les entrepreneurs : ces derniers avaient investi, recruté et formé leurs équipes pour répondre aux objectifs ambitieux annoncés en 2021. Avec ces revirements successifs, ils ont le sentiment de n'avoir pas été entendus, de n'avoir pas été considérés.
Au-delà de l'instabilité, c'est la stratégie elle-même qui manque de cohérence. Après avoir privilégié la massification des rénovations d'ampleur, le Gouvernement les restreint aujourd'hui. Quant aux rénovations par gestes, elles sont indispensables, encore faut-il qu'elles soient organisées, hiérarchisées, mises en cohérence. Il est contre-productif de soutenir des travaux dans le désordre, de proposer à un ménage de changer son système de chauffage s'il n'a jamais changé ses fenêtres ou isolé ses murs. C'est pourquoi la rapporteure plaide auprès du Gouvernement pour élaborer, conjointement avec la filière, un véritable « parcours de rénovation par gestes », pour rendre chaque euro dépensé plus efficace et faire de la pédagogie auprès des consommateurs.
3. L'importance du pilotage budgétaire
Les auditions de la rapporteure ont mis en évidence que, loin de se résumer à une question de fraudes, la fermeture du guichet en juin dernier résulte surtout d'un afflux de dossiers, supérieur de 20 % aux prévisions, qui résulte paradoxalement du succès de la rénovation d'ampleur. Cet afflux était incompatible avec les crédits ouverts en loi de finances et avec les moyens humains de l'Anah. Cela l'a conduite à accumuler un stock important de dossiers non traités. À ces difficultés, se sont ajoutées les fraudes, qui ont contribué à rallonger les délais.
En résumé, même si les fraudes sont de plus en plus prégnantes, la fermeture était bien, aussi, une décision budgétaire non assumée.
La réouverture, fin septembre, est restée extrêmement limitée : elle a été calibrée pour 13 000 dossiers seulement, pour ne pas saturer l'exercice 2026 déjà encombré de milliers de demandes en attente. Selon l'Anah, le stock de demandes déposées en 2025, mais qui seront engagées en 2026, représenterait déjà 40 % de l'objectif 2026 !
La rapporteure rappelle l'importance de la programmation budgétaire, car les stop and go qui peuvent découler d'un pilotage défaillant sont dévastateurs.
* 3 Recentrage du dispositif accompagné sur les logements de classe DPE E à G, baisse des plafonds de travaux éligibles, suppression du bonus sortie de passoire, alignement des taux de subvention pour les ménages aux revenus « intermédiaires » et « supérieurs » sur ceux en vigueur pour les sauts de deux classe DPE.
* 4 Notamment suppression des aides pour les travaux d'isolation des murs et de changement de chaudière biomasse.
* 5 Loi n° 2025-594 du 30 juin 2025 contre toutes les fraudes aux aides publiques.