C. UNE CHRONOLOGIE DES MÉDIAS TOUJOURS MENACÉE
La chronologie des médias constitue un pilier du financement du cinéma français : elle lie le niveau du financement offert par les diffuseurs avec la faculté pour ceux-ci de proposer au public l'oeuvre financée plus tôt. Négociée dans la douleur et signée le 24 janvier 2022 pour une durée de trois ans, la chronologie a été renouvelée par un nouvel accord conclu au début de 2025 après d'âpres négociations.
Deux acteurs ont souscrit des engagements significatifs :
· Canal + maintient son statut de premier financeur (160 millions d'euros par an) et conserve corrélativement son positionnement à 6 mois avant de pouvoir diffuser un film sorti en salle ;
· Disney + a conclu un accord lui permettant de proposer les films à 9 mois (contre 17 auparavant), en contrepartie d'un engagement renforcé4(*).
L'arrêté d'extension de la chronologie, pris par la ministre de la culture, a cependant été contesté devant la justice administrative par les nouveaux entrants, Netflix et Prime Video. L'affaire ne devrait pas être audiencée devant le Conseil d'État avant la mi 2026. L'enjeu est la fenêtre d'exploitation des films de ces deux plateformes américaines, qui commence respectivement à 15 et 17 mois, mais qu'elles souhaiteraient voir avancer à 12 mois. Ce recours constitue un levier dans une négociation dont les paramètres sont à la fois les fenêtres de diffusion de ces acteurs américains et le volume de financement de Canal +. Il est possible qu'un compromis finisse par être obtenu, mais il existe toujours un risque que l'ensemble de la machine s'enraye, d'autant que l'Autorité de la concurrence s'est autosaisie de la question le 25 septembre 2024.
Le rapporteur pour avis ne peut préjuger des décisions judiciaires à venir, mais rappelle le caractère essentiel de la chronologie pour la vitalité du cinéma français, vitalité à laquelle toutes les parties prenantes de la discussion, y compris les acteurs américains, ont intérêt.
D. LA DIRECTIVE SMA TOUJOURS EN COURS D'ÉVALUATION, LE DÉCRET SMAD ÉTENDU À L'ANIMATION
Transposée en droit français par l'ordonnance du 21 décembre 2020, la directive SMA5(*) a rendu possible l'insertion dans notre paysage audiovisuel des plateformes en ligne, qui supportent dorénavant des obligations d'investissement dans le cinéma français. Dans le cadre de cette réglementation, les trois grands éditeurs de services de vidéo à la demande étrangers (Disney +, Netflix et Prime Video) ont globalement respecté leurs obligations de contribution au développement de la production avec 866 millions d'euros de dépenses totales déclarées entre 2021 et 2023.
1. Une avancée récente pour l'animation
Les investissements des plateformes se concentrent toutefois sur les oeuvres de fiction (89 % des investissements audiovisuels), au détriment des autres genres comme l'animation, le documentaire, ou le spectacle vivant capté.
En particulier, le secteur de l'animation, un des fleurons du cinéma français, est en sérieuse difficulté en 2025. Plusieurs sociétés, comme Cyber Group ou TeamTO, ont dû déposer le bilan. Dès lors, le CNC et le ministère de la culture ont obtenu de la Commission européenne un feu vert pour une modification du décret SMAD6(*), afin de fixer à au moins 20 % de la contribution à la production audiovisuelle des SMADs la part des dépenses réalisées au profit des oeuvres appartenant aux autres genres que la fiction, dont l'animation. Cette obligation devrait entrer en vigueur le 1er janvier 2026 et permettre de flécher vers ces autres genres entre 20 et 30 millions d'euros par an, ce qui est très substantiel. Cette nouvelle obligation de financement créée par le CNC devrait ainsi constituer un bol d'air pour le secteur de l'animation française.
2. Une révision à haut risque de la directive SMA
L'article 33 de la directive SMA prévoit une évaluation par la Commission européenne du dispositif au plus tard le 19 décembre 2026. Cette réflexion a été lancée courant 2025. Dans ce cadre, la directive fait l'objet de vives critiques des pouvoirs publics américains. Ceux-ci insistent sur les « barrières non tarifaires » que constituerait la directive, tandis qu'un contentieux a été ouvert par Netflix et Disney + contre le dispositif d'obligations d'investissement des autorités de Belgique wallonne.
Le rapporteur pour avis appelle le Gouvernement à oeuvrer avec constance, dans ce contexte d'attaques récurrentes de la part des pouvoirs publics américains, à la préservation des acquis de la directive SMA en termes d'obligations d'investissement.
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La commission de la culture, de l'éducation, de la communication et du sport a émis, lors de sa réunion plénière du 26 novembre 2025, un avis favorable à l'adoption des crédits consacrés au cinéma au sein de la mission « Médias, livre et industries culturelles » du projet de loi de finances pour 2026.
* 4 Son obligation globale est de 25 % de son Chiffre d'affaires (CA) contre 20 % auparavant et 14 % de son CA consacré au cinéma contre 4 % jusqu'à présent.
* 5 Directive du 14 novembre 2018 sur les Services de médias audiovisuels (SMA).
* 6 Décret n° 2021 793 du 22 juin 2021 relatif aux Services de médias audiovisuels à la demande (SMAD).