III. LA BAISSE DE L'EFFORT DE L'ÉTAT DANS LE PROGRAMME 135 « URBANISME, TERRITOIRES ET AMÉLIORATION DE L'HABITAT » COMPROMET LA SORTIE DE CRISE DU SECTEUR DU LOGEMENT
Le programme 135 porte des crédits consacrés à des actions diverses liées à la construction et l'habitat. Les crédits budgétés sont en très forte hausse, en lien avec des mesures de transferts structurantes. Ces crédits ne représentent cependant qu'une partie de l'effort qui est mis en oeuvre pour le logement et la construction. En effet, les politiques concernées passent également par les dépenses fiscales, les fonds de concours et l'action d'opérateurs bénéficiant du produit de taxes affectées.
A. UNE BAISSE DES CRÉDITS LARGEMENT PORTÉE PAR LA RÉDUCTION DE LA DOTATION À L'ANAH
Les crédits budgétaires relevant du programme 135 sont de 1 923,3 millions d'euros en AE, soit une baisse massive de 748,5 millions d'euros et de - 28,9 %. En CP, la baisse est tout aussi importante : - 483,1 millions d'euros soit une diminution de - 20,3 %, corrigé de l'inflation. Les CP ouverts en 2026 atteignent 2 030,4 millions d'euros en crédits de paiement.
Évolution des crédits par action du
programme 135
en prenant en compte les évolutions de
périmètre
(en millions d'euros et en %)
|
LFI 2025 |
PLF 2026 |
PLF 2026 / LFI 2025 |
FDC et ADP |
||||||
|
en valeur |
en % |
corrigé inflation |
|||||||
|
01 - Construction locative et amélioration du parc |
AE |
16,0 |
17,8 |
+ 1,8 |
+ 11,0% |
+ 9,6% |
500,0 |
||
|
CP |
87,7 |
79,0 |
- 8,7 |
- 10,0% |
- 11,1% |
391,8 |
|||
|
02 - Soutien à l'accession à la propriété |
AE |
4,6 |
6,6 |
+ 2,0 |
+ 43,0% |
+ 41,2% |
|
||
|
CP |
4,6 |
6,6 |
+ 2,0 |
+ 43,0% |
+ 41,2% |
|
|||
|
03 - Lutte contre l'habitat indigne |
AE |
15,5 |
11,2 |
- 4,3 |
- 27,8% |
- 28,7% |
|
||
|
CP |
15,5 |
11,2 |
- 4,3 |
- 27,8% |
- 28,7% |
|
|||
|
04 - Réglementation, politique technique et qualité de la construction |
AE |
2 323,5 |
1 575,1 |
- 748,4 |
- 32,2% |
- 33,1% |
|
||
|
CP |
2 093,5 |
1 604,0 |
- 489,5 |
- 23,4% |
- 24,4% |
|
|||
|
05 - Innovation, territorialisation et services numériques |
AE |
43,4 |
45,4 |
+ 2,0 |
+ 4,7% |
+ 3,3% |
|
||
|
CP |
43,4 |
45,4 |
+ 2,1 |
+ 4,7% |
+ 3,4% |
|
|||
|
07 - Urbanisme et aménagement |
AE |
268,9 |
267,4 |
- 1,5 |
- 0,6% |
- 1,8% |
|
||
|
CP |
268,9 |
284,3 |
+ 15,4 |
+ 5,7% |
+ 4,4% |
|
|||
|
Total programme 135 |
AE |
2 671,8 |
1 923,3 |
- 748,5 |
- 28,0% |
- 28,9% |
500,0 |
||
|
CP |
2 513,6 |
2 030,4 |
- 483,1 |
- 19,2% |
- 20,3% |
391,8 |
|||
Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires
1. Les crédits engagés pour la rénovation des logements sont en nette baisse, en raison d'une mobilisation accrue de la trésorerie de l'ANAH
Le fait majeur du budget 2026 pour le programme 135 est la réduction importante de la dotation de l'État en faveur de l'Agence nationale pour l'habitat (ANAH). En effet, après une année 2025 où la budgétisation visait à mettre en cohérence les crédits reçus avec la réalité des actions menées, l'exercice 2026 table sur une mobilisation conséquente de la trésorerie de l'Agence pour continuer à mener la rénovation au rythme actuel.
Les crédits passent ainsi de 2 035,3 millions d'euros en LFI pour 2025 à 1 535,3 millions d'euros dans le PLF pour 2026.
Cette subvention accorde à l'ANAH des crédits qui répondent à plusieurs besoins :
- principalement, la rénovation thermique des logements privés ;
- plus accessoirement, l'adaptation des logements au vieillissement, dans le cadre de la mise en place depuis le 1er janvier 2024 d'un nouveau système d'aide intitulé MaPrimeAdapt' ;
- enfin, les besoins en fonctionnement et en investissement de l'agence.
Cette diminution des crédits budgétaires alloués à l'Anah, fait suite à plusieurs années de forte hausse, notamment depuis 2021. On assiste ainsi à une réduction marquée de l'engagement de l'État depuis 2024.
Financement de l'ANAH par l'État
(en milliards d'euros)
Source : commission des finances, à partir des documents budgétaires
La réduction prévue pour l'année 2026 est permise par deux évolutions notables.
D'une part, il est prévu en 2026 une mobilisation importante de la trésorerie de l'ANAH. En effet, celle-ci s'est beaucoup accrue jusqu'en 2023 en lien avec la sous-consommation chronique des crédits ouverts et l'objectif affiché de conserver un fonds de roulement prémunissant l'agence de risques de tension financière qui ralentirait le rythme de versement des aides. Cette situation de surbudgétisation a été accentuée par la une mise en oeuvre plus lente qu'attendue des rénovations, notamment globales, des logements ayant obtenu un financement des travaux.
Évolution de la trésorerie de l'ANAH depuis 2019
(en millions d'euros)
Source : commission des finances, d'après les réponses au questionnaire budgétaire
On constate néanmoins une chute visible de la trésorerie au cours de l'exercice 2024, qui montre une sollicitation forte des réserves de l'Agence. Au premier semestre 2024, la réforme du parcours d'accompagnement, qui privilégie les rénovations d'ampleur, a réduit de près de 50 % le nombre de rénovations en mono-geste. Par conséquent, l'exercice avait été particulièrement atypique.
D'autre part, la baisse des crédits budgétaires est compensée par l'intégration au budget de l'ANAH de sommes issues des certificats d'économie d'énergie (CEE). Cette ressource, qui représentait 10 % du budget en 2025, s'élèverait à 34 % en 2026. Il s'agirait, en montant brut, d'un passage d'environ 300 millions d'euros de CEE captés en 2025 par l'ANAH à un montant proche de 900 millions d'euros prévu pour 2026.
En 2025, deux évolutions notables ont eu lieu :
- la dynamique de rénovation s'est accrue très significativement à la fin de l'année 2024, de nombreux dépôts de dossiers ayant eu lieu au mois de décembre, ce qui a engendré une embolie dans le traitement des dossiers qui ont continué à croître en 2025 ;
- l'importance de la fraude sur ce guichet d'aide25(*) et les nouveaux moyens de contrôle accordés à l'Agence ont ralenti le rythme de versement des aides.
Le gouvernement a même interrompu leur versement entre le 23 juin et le 30 septembre 2025, invoquant le risque de fraude trop important. Pour la Fondation du logement, il s'agit surtout d'une mesure de restriction budgétaire : « l'insuffisance des budgets a amené l'Anah à prioriser les ménages très modestes pour la rénovation performante et à contingenter à 13 000 le nombre de ces rénovations à l'automne 2025. Si bien que de nombreuses demandes en attente en 2025 seront traitées en 2026 et que bien peu de demandes de rénovation auront des chances d'être acceptées l'an prochain26(*) ».
L'ANAH a indiqué qu'il pourrait manquer, en 2026, environ 200 millions d'euros de recettes pour que le stock de dossiers restant puisse être traité tout en atteignant les objectifs de rénovation fixés pour 2026. Le risque d'une fermeture temporaire du guichet ou d'un ralentissement des décaissements pour les nouveaux dossiers demeure donc pour l'exercice à venir.
Le rapporteur spécial considère que la rénovation énergétique des logements est indispensable et doit se poursuivre. Les bâtiments sont responsables de près de 30 % des émissions mondiales de CO2 liées à l'énergie27(*). Les activités résidentielles sont aussi à l'origine de 44 % des émissions de particules fines (PM2.5) en moyenne dans les pays de l'OCDE.
Or l'effort de rénovation du parc de logements est encore largement devant nous. Sur les 30,6 millions de résidences principales, seules 2,2 millions d'entre elles environ, soit 6,6 % du parc, seraient peu énergivores (étiquettes A et B du diagnostic de performance énergétique)28(*). Environ 4,2 millions de logements, soit 13,9 % du parc, seraient des « passoires énergétiques » (étiquettes F et G du DPE) et seront donc concernés par l'interdiction de location dès 2025 (classe G) et 2028 (classe F).
Le rapporteur spécial souligne que l'accroissement des rénovations énergétiques doit s'accompagner d'un travail fin pour déterminer quel est le bon rythme de décaissement pour l'ANAH, au vu de ses moyens humains : accélérer la transition sans rogner sur les mesures empêchant la fraude de prospérer.
2. L'absence de crédits pour abonder le Fonds national des aides à la pierre rend improbable la relance de la construction de logements sociaux
Dans son rapport d'information29(*) de juillet dernier, le rapporteur spécial avait appelé à ce que, dans le projet de loi de finances pour 2026, un niveau de recettes pour le Fonds national des aides à la pierre (FNAP) équivalant à au moins 250 millions d'euros soit sécurisé. Cela devait permettre de poursuivre les opérations engagées.
Le PLF pour 2026 ne prévoit pas de crédits budgétaires fléchés vers le FNAP mais, grâce aux cotisations des bailleurs payées à la Caisse de garantie du logement locatif social (CGLLS), le niveau des fonds de concours apportés atteint 391,8 millions d'euros. Cette évolution permet donc de maintenir, facialement, les capacités d'investissement du FNAP.
Cependant, il convient de veiller à ce que l'effet de la réduction de loyer de solidarité, qui devrait remonter à 1,4 milliard d'euros en 2026 après une année 2025 où cette dernière avait été plafonnée à 1,1 milliard d'euros, ne grève de trop les capacités d'investissement des bailleurs.
3. Les autres actions du programme 135 sont nombreuses et portent des problématiques variées
Les actions 04 et 07 rassemblent à elles deux plus de 95 % des crédits de paiement du programme.
L'action 04 « Réglementation, politique technique et qualité de la construction » finance principalement, en autorisations d'engagement et en crédits de paiement :
- l'Agence nationale de l'habitat (ANAH) pour la rénovation énergétique des logements privés (voir infra) ;
- le contentieux de l'habitat (mise en oeuvre du droit au logement opposable ou DALO, recours de bénéficiaires de l'aide personnalisée au logement, application des règlementations en vigueur dans le domaine de l'habitat) à hauteur de 51,9 millions d'euros.
L'action 07 « Urbanisme et aménagement » finance certaines actions en lien avec l'urbanisme et l'aménagement, notamment dans le cadre des opérations d'intérêt national (OIN) et de manière plus générale de la politique d'aménagement de l'État, qui bénéficie de 63,3 millions d'euros en AE et autant en CP. Depuis 2021, toutefois, ses crédits sont constitués pour une très grande part, soit 185,4 millions d'euros en 2026, par la compensation budgétaire des effets de la réforme de la fiscalité locale pour les établissements publics fonciers et autres organismes locaux assimilés.
Principaux postes du programme 135 en crédits de paiement
(en millions d'euros et en pourcentage)
Source : commission des finances, à partir du projet annuel de performances
Les autres actions portent sur des politiques auxquelles l'État ne contribue que de manière marginale par des crédits budgétaires :
- l'action 01 « Construction locative et amélioration du parc » porte en loi de finances initiale des crédits réduits de 17,8 millions d'euros en AE et de 79,0 millions d'euros en CP, destinés notamment à la rénovation des cités minières et à l'accueil des gens du voyages. Cette action est principalement alimentée par le Fonds national des aides à la pierre (FNAP), qui prévoit un concours de 500,0 millions d'euros en AE et 391,8 millions d'euros en CP (cf. supra).
- l'action 02 « Soutien à l'accession à la propriété » comprend des commissions de gestion versées à la société de gestion des financements et de la garantie de l'accession sociale à la propriété (SGFFAS), car cette politique passe par des dispositifs fiscaux et des crédits extra-budgétaires ;
- l'action 03 « Lutte contre l'habitat indigne » retrace certaines dépenses prises en charge directement par l'État, cette politique étant mise en oeuvre à titre principal, au niveau national, par l'Agence nationale de l'habitat (ANAH).
Enfin, l'action 05 « Innovation, territorialisation et services numériques » regroupe des crédits d'étude, de médiation, de communication, ainsi que des crédits liés aux applications informatiques et à la formation des personnels.
4. Les actions budgétaires ne représentent qu'une fraction des politiques conduites pour le logement par l'État
Bien que le programme 135 ait pour objectif la construction et la rénovation de logements, il ne porte que 40,1 millions d'euros de crédits d'investissement (titre 5), correspondant au développement de certains dispositifs de l'action de soutien et non à des projets de construction ou d'aménagement.
L'action de l'État passe en réalité principalement par des voies indirectes :
- par des dépenses fiscales reliées directement à la mission, d'un montant de 11,7 milliards d'euros en 2025 ;
- par des crédits destinés à des dépenses d'intervention (titre 6) principalement pour financer les opérateurs, notamment l'ANAH et les établissements publics fonciers ; ces dernières atteignent 1,7 milliard d'euros dans le PLF 2026, contre 2,4 milliards d'euros en LFI pour 2025, en lien avec la baisse nette de la subvention à l'ANAH ;
- par l'affectation de taxes à ces mêmes opérateurs, en particulier l'ANAH qui reçoit 700 millions d'euros de la mise aux enchères des quotas carbone.
* 25 En 2023, Tracfin avait identifié un risque de fraude à hauteur de 398 millions d'euros sur les 3,12 milliards d'euros d'aides distribuées par l'agence. Cette évolution a conduit le Parlement à adopter la loi n° 2025-594 du 30 juin 2025 contre toutes les fraudes aux aides publiques qui renforce les moyens de l'ANAH pour lutter contre les faux dossiers.
* 26 Réponses au questionnaire du rapporteur spécial.
* 27 En tenant compte des émissions indirectes attribuables à la production d'électricité. OCDE, Pierre par pierre : Bâtir de meilleures politiques du logement, 2021.
* 28 Ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires, Tableau de suivi de la rénovation énergétique dans le secteur résidentiel, 21 mars 2025.
* 29 Jean-Baptiste Blanc, Quel bilan pour le Fonds national des aides à la pierre (FNAP) ?, rapport d'information n° 804 (2024-2025), déposé le 1er juillet 2025.


