B. LE LÉGER REBOND DE LA CONSTRUCTION PRÉVU EN 2025 NE PERMET PAS DE CONCLURE À UNE SORTIE DE CRISE
La crise du logement reste, en 2025, très prégnante malgré quelques motifs de satisfactions, comme la hausse probable du nombre de logements sociaux agréés ou encore l'arrêt de la chute de la production d'offre nouvelle30(*). Cependant, les difficultés structurelles, qui concernent autant l'accès au logement pour la population que la production de logements, demeurent.
1. Le manque d'offre de logements reste un frein à la détente du marché immobilier
a) L'activité immobilière a atteint un niveau historiquement bas en France en 2024 et la reprise légère en 2025 ne permet pas d'anticiper un renversement de dynamique
Le secteur de la construction de logements en France a connu, en janvier 2025, un niveau bas jamais atteint, en lien avec plusieurs difficultés qui se conjuguent et limitent l'activité des promoteurs.
D'une part, le coût des matériaux, qui a augmenté en lien avec le conflit en Ukraine et les épisodes d'inflation, reste important. D'autre part, la capacité de financement des entreprises est réduite par le maintien de taux d'intérêts hauts. Enfin, les contraintes liées à la raréfaction du foncier rendent plus coûteuses les opérations. Par conséquent, la Fédération française du bâtiment indique qu'environ 100 000 emplois salariés et intérimaires seraient menacés dans le bâtiment en 2025.
Les chiffres de janvier 2025 pour l'autorisation de construction de logement sont les plus mauvais depuis 20 ans. S'il apparaît un léger regain depuis le début de l'année 2025, il reste que la situation du marché demeure très précaire.
Autorisations de logements sur les douze derniers mois
(en nombre de logements autorisés)
Source : commission des finances, données INSEE
À long terme, le nombre de logement autorisés et commencés diminue, alors que dans la même période, la population française s'est accrue et que le nombre moyen d'occupants dans les logements est passé de 2,42 en 1999 à 2,15 en 2022. Ces dynamiques inverses, entre un besoin qui ne cesse de croître, que ce soit pour des raisons démographiques ou sociales, et un rythme de construction qui diminue en tendance, expliquent la tension très forte sur le marché immobilier.
Cette tension est accrue par l'allocation inadéquate entre l'offre et la demande de logements. En effet, il est possible de noter un développement des logements vacants, qui concernent 8,3 % du parc en 2023 contre 7,9 % en 1982. En valeur absolue, ce sont ainsi 3 millions de logements qui ne sont pas habités.
Évolution de la population et du nombre de
logements
et de logements vacants
(base 100 en 1982)
Source : commission des finances, à partir des données de l'INSEE.
Ces logements vacants sont principalement situés dans des zones en déprise démographique et loin des grandes aires urbaines. Ainsi, bien que nombreux, ils sont par conséquent souvent éloignés des bassins d'emploi et ne constituent qu'une partie de la solution.
Ainsi, le rapporteur spécial relève que c'est plutôt par la construction dans les zones tendues que la problématique du manque de logements pourra être résolue.
Néanmoins, cette accélération souhaitée de la construction ne peut s'extraire d'une réflexion sur les moyens de respecter l'objectif de « zéro artificialisation nette » (ZAN). Le rapporteur spécial considère que le ZAN ne doit pas entraver le nombre d'opérations et réduire la construction de logements. En revanche, il doit permettre aux promoteurs de développer des solutions de construction plus économes en foncier et axées sur une densification des zones construites. La préservation des continuités écologiques doit aussi être prise en compte dans l'utilisation du sol dans la politique d'aménagement de nouvelles zones construites.
Une telle politique ne peut être menée qu'au plus près des territoires, et doit pouvoir s'adapter aux besoins locaux. C'est le sens de la proposition de loi visant à instaurer une trajectoire de réduction de l'artificialisation concertée avec les élus locaux31(*), déposée par le rapporteur spécial et qui devrait être examinée à l'Assemblée nationale au début de l'année 2026.
b) Le logement social connaît une crise durable
Alors que l'on constate un accroissement des opérations mixtes, entre logement privé et logement social, il est logique que la faiblesse de l'activité sur le marché classique ait pour corollaire une difficulté importante pour le logement social.
Cette crise s'installe dans le temps : depuis la crise sanitaire en 2020, le nombre de logements sociaux agréés et mis en service n'a jamais réussi à retrouver les niveaux qui la précédaient. Ainsi, depuis cinq ans, le nombre de logements financés est systématiquement en dessous de 100 000, celui de mis en service sous les 75 000. Le chiffre de 2025, non encore connu, pourrait être meilleur mais ne saurait à lui seul inverser la dynamique.
Logements sociaux financés et mis en service
(en nombre de logements)
Source : commission des finances, d'après les réponses au questionnaire budgétaire
Ce faible niveau de construction, alors que la demande est au plus haut, a un effet cumulatif sur les besoins : l'Union sociale pour l'habitat estime aujourd'hui les besoins annuels à près de 200 000 logements par an, soit plus du double du nombre effectif des autorisations.
Alors que le logement social, traditionnellement, a un rôle contracyclique dans la construction, il semble que la crise du secteur n'a pas pu être lissée, depuis cinq ans, par un regain de mise en travaux de logements sociaux.
Une des causes de cette évolution pourrait venir du fait que le nombre de bailleurs sociaux possédant les compétences en maîtrise d'ouvrage nécessaires à la gestion des constructions ne cesse de se réduire. Par conséquent, ces derniers sont obligés de s'associer avec des promoteurs privés qui, frappés par la crise du logement conventionnel, ne sont pas en mesure d'initier des investissements.
Néanmoins, la difficulté des bailleurs sociaux à engager des actions de construction est d'abord portée par le fait que le coût unitaire de la construction d'un logement social est en croissance de même que la part de fonds propres à apporter.
Or, l'augmentation du besoin en fonds propres pour la construction de logement social touche encore plus durement les bailleurs sociaux, en comparaison avec les promoteurs privés. En effet, la mise en oeuvre de la réduction de loyer de solidarité (RLS) depuis 2018 a eu pour principal effet de les réduire.
Pour mémoire, la RLS consiste à imposer une diminution concomitante des loyers et de l'aide personnalisée au logement, de sorte que son coût repose sur les bailleurs. Ainsi, les fonds propres des bailleurs se sont réduits.
Le coût annuel de la RLS a augmenté pour atteindre en 2021 un plafond à 1,3 milliard d'euros. Si, en 2025, la RLS avait été capée à 1,1 milliard d'euros, cette dernière pourrait revenir à son niveau d'origine, de 1,3 milliard d'euros en 2026.
Évolution du montant de la RLS
(en millions d'euros)
Source : commission des finances, à partir des données de l'étude Perspectives de la Caisse des dépôts et des réponses au questionnaire budgétaire
Si la Cour des comptes32(*) a montré que l'incidence sur les capacités d'investissement des bailleurs de la RLS n'avaient pas été objectivées, il n'en demeure pas moins que la légère hausse en 2024 des agréments ne saurait cacher l'effondrement de la production, notamment depuis 2017.
Le rapporteur spécial salue, cependant, la baisse du taux du livret A, passé de 3 % en janvier 2025 à 2,4 % en février 2025, puis à 1,7 % le 1er août 2025. Dans la mesure où c'est principalement l'épargne qui permet aux bailleurs de financer leurs opérations, ces baisses successives du taux facilitent fortement l'accès aux fonds d'épargne pour les bailleurs.
La légère hausse en 2024 du nombre de logements agréés et celle, potentielle, en 2025, pourrait indiquer qu'une reprise commence à s'opérer.
Or, cette reprise est urgente. La Banque des territoires, en effet, dans son étude annuelle sur la situation du secteur33(*), considère qu'à politique inchangée, le nombre de logements sociaux que le secteur sera capable de construire en vitesse de croisière devrait se stabiliser autour de 90 000 entre 2026 et 2038. Ceci est bien loin du nombre nécessaire à une résorption de la demande en logement sociaux. Le nombre de personnes attendant un logement social monte en effet fin 2024 à 2,7 millions, un niveau record.
Le rapporteur spécial rappelle enfin que l'exigence de production de logement social ne doit pas empêcher la mise en oeuvre de la rénovation du parc de logements sociaux existants. Il salue donc le maintien de 50,5 millions d'euros dans le fonds pour la rénovation énergétique du parc social. Après deux exercices, 2024 et 2025, où 178 millions d'euros ont été investis annuellement dans cette politique, il s'agit néanmoins d'un recul.
2. La solvabilité des potentiels propriétaires est réduite, ce qui ne favorise pas une reprise par la demande
La crise du logement, qui pâtit d'un manque d'offre en lien avec un double objectif de rénovation et de construction difficilement compatibles à moyens constants, est renforcée par les capacités moindres des acheteurs et des locataires. La demande est ainsi insuffisante pour encourager la reprise.
a) La crise de la demande perdure, en raison d'une faible solvabilité des acheteurs et de prix d'acquisition toujours élevés
Selon la Fédération des promoteurs immobiliers, les ventes de logements neufs sont au plus bas en 2025, en particulier s'agissant de l'investissement locatif privé. La disparition du dispositif Pinel34(*) devrait mener à un solde de seulement 9 000 logements locatifs neufs commercialisés à des investisseurs privés en 2025, soit une baisse de 85 % par rapport à la production annuelle habituelle de 60 000 logements locatifs privés.
La demande est grevée, au niveau des acheteurs, par des conditions de crédit qui se sont dégradées à une vitesse exceptionnelle. Le taux d'intérêt annuel moyen des prêts à l'habitat à 25 ans aux particuliers est remonté de 1,3 % en février 2022 à 3,45 % en novembre 2025.
Au niveau du parc social, l'incapacité des locataires à revenir dans le logement classique est mise en évidence par la dégradation du taux de rotation dans les habitations à loyer modéré (HLM).
Évolution du taux de rotation dans le parc social
(en pourcentage)
Source : commission des finances, d'après les réponses au questionnaire budgétaire
La dégradation très visible depuis 2020 s'explique par une moins grande solvabilité de l'ensemble des ménages, dans un environnement de taux peu favorable ainsi qu'un coût du logement qui ne diminue que peu.
La conjoncture économique globale, en outre, liée à la hausse des coûts de l'énergie et à l'épisode inflationniste de l'année 2023 expliquent aussi cette difficulté pour les populations du logement social à rejoindre le parc classique.
Le rapporteur spécial se montre ainsi attentif, comme l'an dernier aux solutions qui pourraient permettre de faciliter l'accès à la propriété des personnes qui, aujourd'hui, ne le peuvent pas.
Au niveau du logement social, cela pourrait passer par un développement du bail réel solidaire (BRS), qui permet à des ménages modestes de n'acheter que le logement et pas le terrain sur lequel il est bâti. La dissociation du foncier et du bâti permet ainsi de baisser le prix des logements de 20 % à 40 % selon les zones géographiques. Le terrain est ainsi loué à un Organisme foncier solidaire (OFS) pour un loyer faible, en signant un BRS, d'une durée comprise entre 18 et 99 ans.
De même, l'élargissement du prêt à taux zéro (PTZ)35(*) à l'ensemble du territoire pour le neuf a déjà porté des fruits : au second trimestre 2025, près de 16 500 prêts avaient été émis, soit un volume d'émissions qui a plus que doublé par rapport à celui observé sur la même période en 2024, qui s'élevait à environ 7 600.
En outre, la part du neuf a progressé de 10 points, sur la même période, pour atteindre 60% des prêts accordés, confirmant que la mesure a soutenu la relance de la construction et des acquisitions dans le neuf. La direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP) indique ainsi que le retour du PTZ dans les zones où il avait été supprimé a un effet d'entraînement sur la demande de logements neufs.
b) Le statut de bailleur privé ne pourrait résoudre, à lui seul, la pénurie d'offre locative
Une solution portée par le gouvernement, dans ce projet de loi de finances, et qui semble poussée par le secteur de la promotion immobilière, est celle de la création d'un statut du bailleur privé.
Reprenant certaines idées développées dans le rapport parlementaire sur la relance de l'investissement locatif36(*) de MM. Daubresse et Cosson, l'amendement37(*) déposé par le gouvernement à l'Assemblée nationale prévoit de mettre en oeuvre une déduction des revenus fonciers de 2 % par an de la valeur du bâti pour les investissements en neuf en vue d'une location nue.
Or, le rapport prévoyait un taux d'amortissement de 5 %, avec une bonification en cas de location dans une vocation sociale, par exemple avec un niveau de loyer plus bas que le marché. Un amendement38(*) a été déposé en ce sens à l'Assemblée nationale par M. Cosson : il est plus ambitieux que celui du gouvernement et reprend directement les recommandations du rapport.
Le rapporteur indique que la création d'une nouvelle dépense fiscale doit être proportionnée à son objectif : par conséquent, il convient de mesurer finement l'effet d'entraînement possible avant d'entériner une telle mesure.
Dans tous les cas, elle ne pourrait permettre, à elle seule, de relancer l'ensemble du marché.
c) La fiscalité actuelle réduit la fluidité du parc
Le rapporteur spécial, enfin, rappelle que la fiscalité qui pèse aujourd'hui sur le logement tend à réduire la fluidité du marché.
Le rapport du Conseil des prélèvements obligatoires de décembre 202339(*) met notamment en avant deux sujets :
- les avantages fiscaux des plus-values immobilières liés à l'abattement pour durée de détention alimentent des phénomènes de rétention immobilière ou foncière qui pourraient être corrigés en tenant compte de l'érosion monétaire et des travaux d'amélioration du bâti ;
- le niveau élevé des droits de mutation à titre onéreux (DMTO), qui peut être relevé par les départements depuis l'adoption de la loi de finances initiale pour 202540(*), mène de même à réduire la mobilité des logements.
Le rapporteur spécial rappelle ainsi que la sortie de la crise du logement ne pourra se faire qu'en mobilisant l'ensemble des leviers existants, autant la fiscalité que l'engagement budgétaire.
* 30 Fédération des promoteurs immobiliers, Les chiffres de la promotion privée, 2ème trimestre 2025, septembre 2025.
* 31 Proposition de loi n° 124 (2024-2025) de MM. Guislain Cambier, Jean-Baptiste Blanc et plusieurs de leurs collègues, visant à instaurer une trajectoire de réduction de l'artificialisation concertée avec les élus locaux, déposée au Sénat le 7 novembre 2024 et adoptée en première lecture au Sénat le 18 mars 2025.
* 32 Cour des comptes, Suivi approfondi des recommandations relatives à la conception et à la mise en oeuvre de la réduction de loyer de solidarité (RLS), juin 2025.
* 33 Étude « Perspectives », édition 2025.
* 34 Le dispositif Pinel ouvrait droit à une réduction d'impôt sur le prix d'achat d'un logement mis en location, sous conditions. Il n'est plus possible d'en bénéficier pour des investissements réalisés à compter du 1er janvier 2025.
* 35 Article 90 de la loi n° 2025-127 du 14 février 2025 de finances pour 2025.
* 36Marc-Philippe Daubresse et Mickaël Cosson, Rapport parlementaire sur la relance de l'investissement locatif, 30 juin 2025.
* 37 Amendement n° I-3763 du gouvernement.
* 38 Amendement n° I-3557 de M. Mickaël Cosson et plusieurs de ses collègues.
* 39 Conseil des prélèvements obligatoires, Pour une fiscalité du logement plus cohérente, décembre 2023.
* 40 Article 116 de la loi n° 2025-127 du 14 février 2025 de finances pour 2025. En métropole, seuls 10 départements n'avaient pas usé, en juin 2025, de leur capacité d'accroître de 4,5 % à 5 % le taux de DMTO.




