B. UNE POLITIQUE DE L'HÉBERGEMENT D'URGENCE QUI PEINE À ATTEINDRE SES OBJECTIFS

1. Le nombre de places dans le parc d'hébergement se stabilise mais la demande est toujours en croissance

Après plusieurs années de baisses, le taux de chômage en France métropolitaine semble repartir à la hausse en France. En effet, alors qu'il atteignait 7,1 % au sens du Bureau international du travail au deuxième trimestre 2024, il est de 7,5 % en 2025 à la même période.

Cette hausse n'est qu'un des indices prouvant la croissance progressive de la pauvreté en France, dont l'un des corollaires est la progression de la demande d'hébergement d'urgence. L'INSEE relève une augmentation très nette du taux de pauvreté entre 2022 et 2023, passé de 14,4 % à 15,4 %, du jamais vu depuis au moins 2016.

Évolution du taux de pauvreté et du seuil de pauvreté mensuel en France métropolitaine

(en pourcentage et en euros)

Source : commission des finances, à partir des projets annuels de performance

L'évolution du parc d'hébergement et de la demande afférente demeurent cependant l'un des indicateurs les plus sûrs de la détresse sociale. En effet, en application du principe d'accueil inconditionnel12(*), le parc d'hébergement d'urgence a l'obligation d'accueillir toutes les personnes qui en ont besoin, sans demander de justificatif ni de papiers. C'est donc le point de convergence de nombreuses situations difficiles, des personnes qui font face à des accidents de la vie aux femmes victimes de violences et aux personnes à droits incomplets ou aux réfugiés qui ne trouvent pas de place dans le système d'accueil et d'hébergement spécifique du ministère de l'intérieur.

Le nombre de places d'hébergement tend ainsi à s'accroître d'année en année. Depuis 2017, près de 52 000 places ont été créées. Si au 31 décembre 2024, le parc d'hébergement comptait 203 758 places, ce chiffre s'élevait à 201 361 en moyenne annuelle. Depuis 2024, il est prévu une stabilisation autour de 203 000 places du parc. Cet engagement de l'État est maintenu en 2026.

Évolution du nombre de places dans le parc généraliste

(en nombre de places)

Note : les CHRS sont des centres d'hébergement et de réinsertion sociale ; les CHU sont des centres d'hébergement d'urgence.

Source : commission des finances, à partir des projets annuels de performance

La hausse tendancielle des nuitées hôtelières, de 15 556 places depuis 2017, est à mettre en regard avec leur baisse en tendance à partir de 2020. Ainsi, la mise en oeuvre d'un plan de réduction a conduit à 7 665 nuitées de moins en 2024 par rapport à 2020. Cependant, le réalisé 2024 semble montrer que la dynamique s'essouffle. Le rapporteur spécial met donc en garde pour que cette évolution reprenne. En effet, le mode d'hébergement en hôtel est particulièrement inefficace dans la réintégration des hébergés.

Malgré l'accroissement de la taille du parc, les services intégrés de l'accueil et de l'orientation (SIAO), dont le rôle est de placer en hébergement les personnes qui en font la demande, ne réussissent pas à pourvoir à la demande : le taux de demandes non pourvues (DNP) est en hausse de 14,8 % entre 2022 et 2025, soit près de 7 points de pourcentage13(*).

Évolution mensuelle du taux de demande d'hébergement d'urgence non pourvu

(en pourcentage moyen quotidien des personnes en demandes non pourvues)

Note : les CHRS sont des centres d'hébergement et de réinsertion sociale ; les CHU sont des centres d'hébergement d'urgence.

Source : commission des finances, à partir des projets annuels de performance

Dans ce contexte, les SIAO, en particulier en Île-de-France, établissent des critères de priorisation pour filtrer les demandes d'hébergement14(*), en porte-à-faux avec le principe d'accueil inconditionnel inscrit dans la loi.

Il résulte de ce constat de hausse de la demande non pourvue un accroissement depuis plusieurs années du nombre de morts à la rue. Les chiffres pour 2024 indiquent une croissance très inquiétante du nombre de personnes recensées sans chez-soi ni logement personnel au moment du décès. Cet indicateur a été multiplié par presque 2 entre 2020 et 2024.

Évolution du nombre de morts sans chez-soi ni logement personnel
au moment du décès

(en nombre de morts)

500

550

600

650

700

750

0

50

800

850

900

950

450

569

535

623

611

735

511

500

497

482

912

566

Source : commission des finances, à partir des données du collectifs Les Morts de la Rue

Cette évolution de la mortalité à la rue n'est que l'un des symptômes de la difficulté de la politique d'hébergement. De même, selon les chiffres présentés par la Fédération des acteurs de la solidarité et le Fonds des Nations unies pour l'enfance (UNICEF), le nombre d'enfants à la rue et s'étant vu opposer une impossibilité de prise en charge dans un hébergement d'urgence s'élevait à 2 159 fin août 202515(*), un chiffre en hausse.

Dans ces conditions, le maintien du parc d'hébergement à un niveau haut de 203 000 places est à la fois une nécessité à court terme et le symptôme d'une incapacité à formuler une voie de sortie.

Le rapporteur spécial note que cette impasse pourrait mener l'État à être condamné, car 40 associations ont saisi conjointement le tribunal administratif de Paris en février 202516(*) pour faire reconnaitre trois carences de l'État en matière d'hébergement d'urgence :

- le non-respect du principe d'inconditionnalité ;

- le non-respect du principe de continuité

- le non-respect du « cahier des charges » qualitatif de l'accompagnement, en particulier pour les personnes hébergées à l'hôtel.

2. La politique d'hébergement d'urgence ne parvient toujours pas à enclencher un retour durable des personnes vers le logement

Le manque de places au sein du parc est lié à la difficulté à sortir les personnes accueillies de leur hébergement pour accéder à un logement conventionnel. Plusieurs causes peuvent être identifiées.

D'une part, après la réussite du premier plan Logement d'abord, qui a permis à 550 000 personnes d'être relogées entre 2018 et 2023, la pérennité de ce dispositif manque d'objectifs chiffrés d'envergure. En effet, outre la promesse de 30 000 places en intermédiation locative dans le parc privé et de 10 000 places en pensions de famille mentionnée supra, les ambitions de construction de logements très sociaux ne sont pas définies dans le deuxième plan. Or, c'est avant tout par ces logements en prêt locatif aidé d'intégration (PLAI) que peut avoir lieu la réintégration des hébergés.

D'autre part, le développement des centres d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) suit une pente bien moins élevée que celle des centres d'hébergement d'urgence (CHU) ou des nuitées hôtelières. Leur progression permet en effet de loger 7 172 personnes de plus qu'en 2017, alors que les places en CHU ont cru de 34 222 unités et celles en hôtel de 15 556. Or, c'est dans les CHRS que les personnes accueillies sont les plus susceptibles de reconstruire un parcours vers un logement durable. Si ces places sont plus chères à ouvrir, en raison du coût de l'accompagnement social afférent, elles sont néanmoins les plus efficaces sur le long-terme.

Le rapporteur spécial relève en outre que la signature des contrats pluriannuels d'objectif et de moyen (CPOM) entre les CHRS et l'État, prévu par l'article 145 de la loi ELAN17(*), est loin d'arriver à son terme. En effet, les CHRS auraient dû avoir signé chacun un CPOM au 31 décembre 2022. En 2024, ce n'est encore que 45 % d'entre eux qui y sont arrivés.

Le retard pris par la conclusion des CPOM s'explique, selon la DIHAL, par différents facteurs :

- la gestion de la crise sanitaire au moment du lancement de la démarche

- le manque global de temps au regard des nombreuses sollicitations des dernières années, comme la crise Ukrainienne, la mise en oeuvre des revalorisations salariales « Ségur » et la revalorisation du point d'indice ;

l'ampleur du changement de pratique qu'implique la contractualisation au sein du secteur de l'accueil, de l'hébergement et de l'insertion (AHI) ;

Évolution du nombre de CHRS faisant l'objet d'un CPOM

(en pourcentage)

Source : commission des finances, d'après les réponses au questionnaire budgétaire

Le rapporteur spécial note cependant la dynamique haussière de la contractualisation. Après un démarrage lent, l'accélération constatée en 2021 s'est intensifiée en 2022 et 2023 et s'est poursuivie en 2024 et 2025. Il appelle à une action résolue pour mener à bien ces signatures qui permettront aux centres de bénéficier d'une vision pluriannuelle et de favoriser une prise en charge efficace des personnes hébergées. L'objectif affiché dans les documents budgétaires est l'achèvement en 2027 de la contractualisation : le rapporteur spécial y sera attentif.

Enfin, la question migratoire et de l'asile n'est pas étrangère aux difficultés que connaît le parc d'hébergement d'urgence.

En premier lieu, les Ukrainiens arrivés en nombre après l'invasion déclenchée par la Russie en février 2022, ont été accueillis en partie grâce à des crédits issus du programme 177.

En 2024, plus de 9 600 ménages ukrainiens, soit 24 700 personnes, étaient encore accompagnés par les dispositifs du programme :

- 20 500 en intermédiation locative ;

- 4 000 en hébergement citoyen.

La DIHAL indique que la dynamique suit celle d'une extinction progressive des dispositifs exceptionnels d'intégration des déplacés d'Ukraine. La réintégration dans le droit commun de près de 3 500 ménages en 2024, dont une part significative grâce à un glissement de bail, en est la preuve.

En second lieu, le rapporteur spécial déplore les effets de la réduction de la prise en charge des réfugiés et demandeurs d'asile d'autres pays, qui ont vocation à être accueillis par le dispositif national d'accueil (DNA).

Ce dispositif, qui relève du ministère de l'intérieur, est engorgé et pousse le public éligible à se tourner vers les dispositifs d'hébergement d'urgence de droit commun du programme 177.

Or, le rapporteur spécial constate un risque d'accroissement de ce phénomène. En effet, en LFI 2025, un plan d'économie de 71 millions d'euros prévoyait la suppression de 6 094 places dans le DNA.

Pour 2026, le PLF prévoit en outre une réduction nette de 1 403 places dans le DNA. En particulier, l'hébergement d'urgence des demandeurs d'asile (HUDA) est particulièrement ciblé : il est prévu de passer de 40 011 places en 2025 à 27 711 places en 2026, soit 12 300 places d'HUDA en moins l'an prochain18(*).

Ces suppressions, conjuguées avec plusieurs évolutions réglementaires ou de politique publique qui tendent à restreindre l'accès à l'hébergement du DNA pour certains publics relevant de l'asile, risquent d'accroître la pression sur le parc généraliste.

Le rapporteur spécial alerte donc sur le report du public des demandeurs d'asile vers l'hébergement d'urgence classique : ce dernier étant déjà saturé, cette politique risque d'accroître la présence à la rue ou en squats.


* 12 Article L. 345-2-2 du code de l'action sociale et des familles.

* 13 En janvier 2022, en moyenne 46,9 % des demandes d'hébergement d'urgence n'étaient pas pourvues. Ce chiffre s'accroît pour atteindre 53,9 % en janvier 2025.

* 14 Ces critères officieux et mouvants en fonction des contextes peuvent parfois amener des agents à devoir prioriser certaines femmes en fonction du nombre de mois de grossesse, par exemple.

* 15 Sixième baromètre Enfants à la rue, UNICEF France et Fédération des acteurs de la solidarité, 29 août 2024.

* 16 Fédération des acteurs de la solidarité, Communiqué de presse : 40 associations attaquent l'État en justice pour non-assistance à personnes mal logées, février 2025.

* 17 Article 125 de la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique.

* 18 Le DNA est composé d'autres types de places, notamment dans les centres d'accueil des demandeurs d'asile (CADA), dont le nombre devrait croître en 2026 : les places fermées pour l'HUDA sont pour partie transformées en places en CADA.

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