Proposition de loi Renforcer la lutte contre les violences sexuelles et sexistes

Direction de la Séance

N°4

28 mars 2025

(1ère lecture)

(n° 483 , 482 )


AMENDEMENT

C Défavorable
G  

présenté par

Mmes BILLON et ANTOINE, MM. Jean-Michel ARNAUD, BONNEAU et CANÉVET, Mme de LA PROVÔTÉ, M. DELCROS, Mmes DEVÉSA, GACQUERRE, HERZOG et JACQUEMET, MM. LAFON et LAUGIER, Mme LOISIER, M. MENONVILLE, Mmes PATRU et PERROT, M. PILLEFER et Mmes SOLLOGOUB, TETUANUI et VERMEILLET


ARTICLE 1ER (SUPPRESSION MAINTENUE)

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Rétablir cet article dans la rédaction suivante :

À la fin du second alinéa de l’article 2226 du code civil, les mots : « prescrite par vingt ans » sont remplacés par le mot : « imprescriptible ».

Objet

Cet amendement propose de rétablir l’article premier, visant à rendre imprescriptible l’action en responsabilité née d’un dommage corporel résultant d’actes de torture, de barbarie, de violences ou d’agressions sexuelles commises contre un mineur.

La Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (CIIVISE), dans sa recommandation n° 60, préconise de » déclarer imprescriptibles les viols et agressions sexuelles commis contre les enfants ». L’abolition des délais de prescription représente la demande la plus formulée par les victimes, soit 35 % des témoignages recueillis par la CIIVISE.

Par ailleurs, l’auteure de cette proposition de loi explique dans l’exposé des motifs que « si la question de l’imprescriptibilité en matière pénale soulève de nombreux obstacles, – notamment la crainte de faire des « procès de l’impossible », c’est-à-dire des procès qui ont de très faibles chances d’aboutir à une condamnation de l’auteur en raison du délai écoulé entre les faits et le procès -, l’imprescriptibilité en matière civile ne soulève pas ces obstacles. ».

Le procès civil est en effet réputé pour offrir une plus grande souplesse procédurale que le procès pénal, et ce pour plusieurs raisons : 

  1. Une charge de la preuve allégée : contrairement au procès pénal, où la culpabilité de l’auteur doit être prouvée « au-delà de tout doute raisonnable », le procès civil repose sur un niveau de preuve moins strict : il suffit de démontrer la vraisemblance du préjudice pour obtenir une réparation. Ainsi, même en l’absence de preuves irréfutables ou de témoins directs, des éléments de contexte, des expertises médicales ou psychologiques, et des témoignages indirects peuvent suffire à établir un dommage.

  2. Un objectif différent, la réparation et non la sanction : le procès pénal vise à punir l’auteur des faits par une sanction. À l’inverse, le procès civil a pour but d’indemniser la victime pour le préjudice subi. Cette différence a pour conséquence que l’auteur des faits peut être reconnu responsable même en l’absence de condamnation pénale, par exemple si les preuves sont insuffisantes pour un procès pénal mais suffisantes pour démontrer un préjudice civil.

  3. Une procédure plus rapide et moins formelle : les procédures pénales sont souvent longues et complexes, alors qu’en comparaison :

    • Un procès civil peut être engagé même si le parquet a classé l’affaire sans suite au pénal ;

    • Les délais de procédure sont souvent plus courts, car l’instruction est moins lourde ;

    • Par ailleurs, une action civile peut être intentée même après un acquittement ou un non-lieu pénal, donnant aux victimes une seconde chance d’obtenir justice. 

Actuellement, les délais de prescription diffèrent selon le type de poursuite :

  • Au pénal, les crimes de torture, de barbarie, de viol et les délits d’agression sexuelle commis sur un mineur se prescrivent 30 ans après la majorité de la victime (article 7 du code de procédure pénale).

  • Au civil, l’action en responsabilité pour ces mêmes faits se prescrit 20 ans après la date de consolidation du dommage (article 2226 du code civil).

En revanche, la notion de consolidation, bien qu’adaptée à la majorité des dommages corporels, apparaît inopérante lorsqu’il s’agit de préjudices psychiques liés à des violences sexuelles subies durant l’enfance. Cette notion médico-légale ne fait notamment pas de distinction entre les atteintes physiques et psychiques et n’a jamais été définie par le législateur.

Selon la Cour de cassation, la consolidation du dommage correspond à » la date à partir de laquelle l’état de la victime n’est plus susceptible d’être amélioré de façon appréciable et rapide » (Crim. 21 mars 1991, n° 90-81.380). Le rapport Dintilhac (2005) précise quant à lui qu’elle » correspond à la fin de la maladie traumatique, c’est-à-dire à la date, fixée par l’expert médical, de stabilisation des conséquences des lésions organiques et physiologiques ».

Or, les préjudices psychiques liés à des violences sexuelles subies durant l’enfance échappent à cette logique de stabilisation. Contrairement aux atteintes physiques, ils n’évoluent pas de manière linéaire et définitive. Nombre de victimes souffrent de troubles psychologiques persistants, qui peuvent réapparaître ou s’aggraver à des moments clés de la vie (au moment de la parentalité par exemple). 

D’autant que l’amnésie dissociative touche 40 % des enfants victimes et 50 % des victimes d’inceste, retardant la prise de conscience et la révélation des faits de plusieurs décennies. Dans ces situations, fixer un point de départ du délai de prescription sur la base d’une consolidation médicale est une aberration : le traumatisme peut ressurgir bien après l’expiration du délai de prescription, privant ainsi la victime de toute possibilité d’agir en justice. Surtout qu’en pratique, les dossiers ne sont pas rouverts en cas de rechute. Cette rigidité prive les victimes d’un droit fondamental : celui d’obtenir réparation pour les préjudices qu’elles continuent d’endurer.

Enfin, de nombreux pays ont déjà supprimé ou assoupli les délais de prescription pour les violences sexuelles sur mineurs :

  • La Suisse, les Pays-Bas, le Danemark et la Belgique ont voté l’imprescriptibilité des crimes sexuels sur mineurs.

  • Le Canada et le Royaume-Uni ont voté l’imprescriptibilité de toutes les infractions sexuelles, quel que soit l’âge de la victime.

  • En Espagne, le Congrès a approuvé en novembre 2024 une réforme du code pénal visant à instaurer l’imprescriptibilité des délits sexuels graves contre les mineurs.

Au niveau européen :

  • La résolution 2230 du Conseil de l’Europe (2020) appelle à supprimer la prescription pour les violences sexuelles sur mineurs.

  • Une étude du Conseil de l’Europe (septembre 2023) souligne une tendance à la suppression ou à l’assouplissement des délais de prescription dans plusieurs pays.

  • L’avis du Comité de Lanzarote (juin 2024) définit la suppression de la prescription comme » un moyen efficace de garantir un délai suffisant pour engager des poursuites ».

Aujourd’hui, 18 des 43 États parties à la Convention de Lanzarote, soit 41 %, ne prévoient plus de prescription pour tout ou partie des violences sexuelles sur mineurs.

En résumé, considérant :

  –  Les particularités de la procédure civile, plus accessible que la voie pénale ;

  –  L’inadéquation de la notion de consolidation ;

  –  La forte demande des victimes ;

  –  Les avancées législatives observées à l’étranger ;

Cet amendement propose de rendre imprescriptible les l’action en responsabilité née d’un dommage corporel résultant d’actes de torture, de barbarie, de violences ou d’agressions sexuelles commises contre un mineur.

Enfin, la commission a également fait valoir que « l’action en responsabilité civile peut être transmise aux héritiers de la victime ». Or, ces derniers ont la faculté de renoncer à la succession (Code civil, articles 804 à 808), les exonérant ainsi du recouvrement des dettes civiles du défunt. Ils peuvent également l’accepter à concurrence de l’actif net, ce qui leur permet d’éviter de supporter des dettes excédant la valeur des biens hérités (Code civil, articles 787 à 803). En acceptant la succession, ils disposent donc d’un mécanisme de protection.