Mardi 23 février 2010

- Présidence de M. Jean-Jacques Hyest, président -

Audition de M. Jean-Paul Delevoye, Médiateur de la République

La commission a procédé à l'audition de M. Jean-Paul Delevoye, Médiateur de la République, à l'occasion de la remise de son rapport annuel.

M. Jean-Jacques Hyest, président, a rappelé que jusqu'à présent le Médiateur présentait son rapport annuel dans l'hémicycle du Sénat mais que, en accord avec le Président du Sénat et le Médiateur, il avait paru plus interactif d'organiser cette année une audition publique devant la commission des lois, audition ouverte à l'ensemble des sénateurs et à la presse.

Il a ajouté que le Médiateur était régulièrement entendu par les commissions ou les rapporteurs à l'occasion de l'examen de certains projets de loi et que ses recommandations fournissaient fréquemment la matière d'amendements parlementaires.

Il a enfin relevé que le Médiateur présentait probablement son dernier rapport annuel, eu égard à l'évolution prochaine de l'institution en un Défenseur des droits, doté de pouvoirs plus étendus et d'un champ de compétences élargi. Le Sénat se prononcera prochainement sur la prorogation du mandat du Médiateur jusqu'à la mutation de l'institution.

M. Jean-Paul Delevoye, Médiateur de la République, a précisé que ses compétences étaient articulées autour de trois actions :

- la résolution des litiges avec les services publics, les réclamations portant sur quatre thèmes principaux : le surendettement, la santé, les relations locataires-propriétaires et les aspects sociaux ;

- la proposition de réformes aux ministres et parlementaires ;

- la défense des droits de l'homme.

Insistant sur la nécessité de « replacer l'humain au centre du système », il a mis en avant les facilités d'accès et la capacité d'écoute de son institution, au travers :

- de la mise en place, en 2005, d'une cellule d'urgence, capable de traiter des dossiers en quelques heures ;

- de l'existence d'un réseau de 281 délégués présents sur 419 points d'accès, dont 275 dans des structures de proximité, telles que les Maisons de justice et du droit ou les points d'accès au droit, souvent situés dans des quartiers sensibles, les délégués traitant eux-mêmes plus des deux tiers des saisines ;

- de la création, en janvier 2009, d'une plateforme téléphonique pour le pôle « santé et sécurité des soins » ;

- de la possibilité, ouverte en septembre 2009, de saisine en ligne ;

- de la création, le 10 février 2010, d'une plateforme d'échanges et de débats www.lemediateuretvous.fr.

Il a indiqué que le pôle « santé et sécurité des soins » avait reçu 5000 dossiers en 2009 ; nombre d'entre eux portent sur la maltraitance, l'impossibilité d'accès au dossier médical ou encore sur des maladresses commises par les personnes chargées de l'accueil dans les structures médicales.

Présentant ensuite sa plateforme « lemediateuretvous », il a souligné qu'elle avait reçu, depuis sa création, 4 000 visiteurs, 180 contributeurs et plus de 40 experts. A titre d'exemples, elle a permis d'aborder la question du radicalisme religieux, en particulier sous l'angle des droits des agents hospitaliers ou encore celle de l'opportunité de mettre en place une action de groupe administrative.

Sur le plan budgétaire, il a indiqué que la Cour des comptes avait récemment salué la bonne gestion des crédits de l'institution, qui a su, à budget constant, traiter 20 % de dossiers supplémentaires depuis 2004.

Il a également relevé que l'indépendance et la neutralité de l'institution constituaient ses principaux atouts et garantissaient des relations confiantes avec ceux qui la saisissent.

Présentant les « pathologies du service public », il a regretté le passage de la « force du droit » au « droit à la force », la loi n'apparaissant plus comme le bouclier du plus faible contre le plus fort, mais comme une nouvelle arme aux mains du plus fort pour asseoir sa domination contre le plus faible.

Il a également déploré :

- une rupture du contrat de confiance entre la population et les dépositaires de l'autorité publique ;

- une dégradation de la qualité de la décision publique et de son acceptation, conséquence d'un défaut de pédagogie des enjeux et d'une culture du chiffre trop marquée ;

- un report sur le service public, par exemple le SAMU social, de responsabilités individuelles qui ne sont pas assumées.

Abordant l'action internationale de son institution, M. Jean-Paul Delevoye, Médiateur de la République, a souligné être un acteur majeur au sein des différents réseaux de Médiateurs ou Ombudsmans en Europe et dans le monde, réseaux qui sont autant de lieux d'écoute et de dialogue, qui permettent, par exemple, un rapprochement de ses homologues en Israël et en Palestine.

Il s'est par ailleurs réjoui que nombre de ses préoccupations en matière de malendettement et de consommation aient été prises en compte par le législateur, citant le projet de loi sur le crédit à la consommation, en cours d'examen par le Parlement, la loi du 17 décembre 2007 sur les assurances vie en déshérence, et la récente initiative dans ce domaine du sénateur Hervé Maurey.

Il a également souligné la nécessaire évaluation par le Parlement de la loi sur les tutelles, adoptée en 2007, qui semble rencontrer de nombreuses difficultés d'application dans les départements.

En outre, il a appelé le Parlement à prendre une décision politique claire concernant l'état civil des enfants nés sans vie, soulignant que la peur de relancer le débat sur l'avortement ne devait pas dispenser le législateur de lever les doutes actuels sur cette question éminemment sensible et complexe.

Abordant la réforme annoncée des retraites, il a insisté, d'une part, sur la nécessité d'améliorer les modalités de calcul du salaire annuel moyen pour la détermination de la pension de retraite, d'autre part, sur la modicité des retraites perçues par de nombreuses femmes.

En conclusion, il s'est réjoui de la création prochaine du Défenseur des droits, Ombudsman à la française qui sera capable d'apporter des repères à une société marquée par la violence verbale, le règne de l'immédiateté et la disparition de la conscience de l'intérêt général.

M. Jean-Jacques Hyest, président, a déclaré partager les analyses du Médiateur sur l'état de la société française tout en jugeant difficile d'y remédier par la seule voie législative. Il a souligné que certains différends pouvaient trouver une solution simple et rapide si les parties en présence faisaient preuve de bon sens et de bonne volonté. Il a également rappelé que la commission des lois avait décidé de confier aux sénateurs M. Laurent Béteille et Richard Yung une réflexion sur l'action de groupe. Enfin, il a relevé que le Médiateur insistait dans son rapport sur son pouvoir de recommandation en équité. Ce pouvoir figure dans la loi de 1973 portant création du Médiateur et dans le projet de loi organique sur le Défenseur des droits. Le rapport annuel explique que ce pouvoir permet de revenir sur une décision administrative qui, bien que conforme à la règle de droit, « vient heurter les droits de la personne ». S'il a reconnu qu'un droit suprême pouvait se révéler une injustice suprême, conformément à l'adage « Summum jus, summa injura », M. Jean-Jacques Hyest, président, s'est demandé si ce pouvoir de recommandation en équité n'était pas délicat à mettre en oeuvre dès lors qu'il porte sur une décision dont la légalité ne peut être contestée. Il s'est demandé comment, dans ces conditions, ce pouvoir pouvait reposer sur des critères objectifs. Enfin, il s'est étonné que le Médiateur présente la loi « comme une nouvelle arme aux mains du plus fort pour asseoir sa domination contre le plus faible », alors que la loi avait, au contraire, vocation à protéger les plus faibles, comme l'a écrit Lacordaire : « Entre le fort et le faible, c'est la liberté qui opprime, c'est la loi qui affranchit ».

M. Jean-Claude Peyronnet a indiqué avoir rencontré, en tant que rapporteur pour avis du budget des autorités administratives indépendantes, de nombreux délégués du Médiateur et constaté leurs qualités et leur dévouement. Il a relayé leurs inquiétudes concernant l'évolution du Médiateur en un Défenseur des droits, les délégués craignant, d'une part, de voir leurs fonctions de médiation dénaturées en défense des droits, d'autre part, de devoir à l'avenir exercer également les missions des délégués des autres autorités administratives indépendantes intégrées au Défenseur. Il a également douté que la création du Défenseur des droits génère de quelconques économies par une meilleure mutualisation des moyens en termes de locaux, de ressources financières et de personnel, eu égard à la grande spécificité des missions des différentes autorités. Enfin, il s'est demandé si la création de collèges au sein du Défenseur des droits, proposée par le projet de loi organique, était la meilleure solution pour préserver les savoir-faire particuliers des autorités fusionnées, insistant en particulier sur les méthodes très rigoureuses de la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS) en matière d'instruction des dossiers.

M. François Zocchetto s'est demandé s'il serait souhaitable de donner un caractère plus contradictoire au rapport annuel d'activité du Médiateur, comme il est envisagé pour la CNIL, autrement dit s'il était envisageable que, préalablement à la présentation du rapport, le Médiateur fasse connaître aux ministres, personnes et organismes concernés les observations qui les concernent et sont susceptibles d'y figurer. Sauf opposition de leur part, leurs réponses aux observations formulées par le Médiateur seraient annexées au rapport.

M. Patrice Gélard a rappelé être l'auteur d'une proposition de loi prorogeant le mandat du Médiateur, afin de faciliter son intégration au sein du futur Défenseur des droits. Il a relevé que le rapport du Médiateur soulignait, cette année encore, que, dans le domaine des infractions au code de la route, certains officiers du ministère public (OMP) se prononcent directement au fond sur les contestations sans les transmettre au juge. Pourtant, une circulaire du 7 avril 2006 relative à la politique pénale en matière de contrôle automatisé de la vitesse a rappelé aux OMP qu'ils ne pouvaient s'arroger le pouvoir de juger eux-mêmes les contestations, sauf à méconnaître l'article 530-1 du Code de procédure pénale. Par ailleurs, notant que le Médiateur ne pouvait actuellement intervenir dans une procédure engagée devant une juridiction, il a rappelé que le projet de loi organique sur le Défenseur des droits prévoyait la possibilité pour ce dernier de présenter des observations devant les juridictions, soit à la demande du juge ou des parties, soit d'office. Il s'est demandé si ce pouvoir était conforme à la vocation du Défenseur des droits, étant précisé que ce dernier devrait exercer des compétences plus larges que celles qui sont actuellement reconnues au Médiateur.

M. Jean-René Lecerf s'est prononcé en faveur de la possibilité d'intervention des autorités administratives indépendantes devant les juridictions eu égard à l'autorité morale qui s'attache à leurs prises de position.

M. Alain Anziani a signalé que le rapport du Médiateur exprimait certaines craintes concernant la mise en oeuvre de la RGPP (révision générale des politiques publiques) dans les départements : en effet, les directions départementales traditionnelles, comme Jeunesse et Sports, Équipement ou Agriculture, seront totalement fondues dans de nouveaux organigrammes qui ne correspondront plus à ce que connaît le public. L'ensemble des appellations, sigles, interlocuteurs et coordonnées seront modifiés, ce qui devrait déboussoler les usagers, au moins dans un premier temps.

Mme Michèle André a indiqué avoir dénoncé, en tant que rapporteur spécial des crédits de la mission « Administration générale et territoriale de l'Etat », certaines lourdeurs administratives : en particulier, elle s'est étonnée que l'Etat ait décidé de recueillir huit empreintes digitales pour l'établissement du passeport biométrique, alors que deux seulement sont nécessaires. En outre, elle a regretté certaines tracasseries administratives pour l'établissement de la preuve d'identité nécessaire à la production de titres. Elle a enfin remercié le Médiateur pour son examen attentif du niveau de pauvreté des femmes, sujet que la Délégation parlementaire aux droits des femmes, qu'elle préside, suit particulièrement.

Après avoir salué le travail accompli par le Médiateur, M. Pierre-Yves Collombat a déclaré que les dysfonctionnements administratifs relevés résultaient des choix politiques, voire philosophiques opérés par les pouvoirs publics depuis longtemps.

M. Jean-Pierre Sueur s'est demandé si la CNDS ne devait pas rester autonome eu égard à sa spécificité.

Après avoir mis en avant l'utilité du Médiateur pour le règlement des différends et salué la justesse de ses analyses sur les dysfonctionnements administratifs et les évolutions de la société, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s'est interrogée sur le périmètre de compétence et l'étendue des pouvoirs du futur Défenseur des droits.

M. Jean-Jacques Hyest, président, a rappelé que le Défenseur des droits pourrait être saisi directement par toute personne alors que le Médiateur ne peut actuellement être saisi que par un parlementaire.

En réponse aux différents orateurs, M. Jean-Paul Delevoye, Médiateur de la République, a indiqué :

- au sujet de la recommandation en équité, qu'il était nécessaire d'interpréter la loi « comme si législateur était présent » ;

- que le législateur n'entendait jamais protéger le fort par rapport au faible mais que l'application de la loi profitait souvent au plus fort, capable d'exploiter les failles du système et d'engager des recours pour faire valoir ses positions ;

- que le glissement sémantique « Médiateur/Défenseur » devrait être bien expliqué aux délégués ;

- qu'il souhaitait intervenir d'office devant une juridiction, et non être saisi par une partie à un procès ;

- que le futur Défenseur des droits, non seulement préserverait les spécificités des autorités fusionnées, au travers de collèges ou de tout autre système, mais également renforcerait leur efficacité et la synergie entre les différentes instances ; il a toutefois reconnu la nécessité pour le Parlement de suivre avec attention la mise en place du futur Défenseur des droits afin d'évaluer la pertinence des choix opérés ;

- qu'il approuvait la proposition de donner au rapport annuel du Médiateur un caractère plus contradictoire ;

- qu'il remerciait M. Patrice Gélard pour sa proposition de loi ;

- qu'il était regrettable que certains OMP méconnaissent le code de procédure pénale en matière d'infractions au code de la route ; il a ajouté qu'en tout état de cause il n'était pas certain que le droit en vigueur soit conforme aux exigences de la Convention européenne des droits de l'homme en matière d'accès au juge ;

- à propos de la RGPP dans les départements, que la France savait fixer des objectifs de changement mais était moins douée pour la conduite du changement ;

- que la protection des femmes était au coeur de ses préoccupations ;

- que l'administration devait modifier son « rapport au temps », citant le cas des allocations compensatrices versées en tenant compte des revenus d'années antérieures.

Mercredi 24 février 2010

- Présidence de M. Jean-Jacques Hyest, président -

Application de l'article 13 de la Constitution - Examen des amendements au texte de la commission

Au cours d'une première séance tenue dans la matinée, la commission a tout d'abord examiné un amendement du rapporteur au texte n° 281 qu'elle a établi pour le projet de loi organique n° 244 (2009-2010), adopté avec modifications en deuxième lecture par l'Assemblée nationale, relatif à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution.

M. Patrice Gélard, rapporteur, a indiqué que cet amendement avait pour seul objet d'expliciter les dispositions des articles 56 et 65 de la Constitution qui renvoyaient respectivement la nomination des membres du Conseil constitutionnel et celle des personnalités qualifiées membres du conseil supérieur de la magistrature à la procédure prévue au dernier alinéa de l'article 13. Il a relevé que ce renvoi concernait non seulement les nominations auxquelles procédait le Président de la République mais aussi celles qui revenaient aux présidents de chaque assemblée et qu'il convenait donc de transposer la lettre de la deuxième phrase du dernier alinéa de l'article 13 prévoyant que le Président de la République ne pouvait procéder à une nomination lorsque l'addition des votes négatifs dans chaque commission permanente représentait au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés au sein des deux commissions.

M. Jean-Jacques Hyest, président, a estimé qu'il importait en effet, conformément à l'esprit du Constituant, de lever toute ambiguïté sur le sens des dispositions des articles 56 et 65.

La commission a adopté cet amendement tendant à insérer un article additionnel après l'article 3 du projet de loi organique afin de préciser que le Président de l'Assemblée nationale ou du Sénat ne pourrait procéder aux nominations qui lui revenaient lorsque les trois cinquièmes des suffrages exprimés au sein de la commission permanente compétente de l'assemblée concernée auraient été négatifs.

Puis la commission a examiné les amendements au texte n° 282 qu'elle a établi pour le projet de loi 245 (2009-2010), adopté avec modifications en deuxième lecture par l'Assemblée nationale, relatif à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution.

Elle a examiné un amendement de son rapporteur tendant à compléter l'article premier (commissions permanentes compétentes pour émettre l'avis sur les nominations) afin de prévoir que l'audition de la personne dont la nomination est proposée ne pouvait avoir lieu moins de quinze jours après que le nom de cette personne avait été rendu public.

M. Jean-Jacques Hyest, président, a jugé préférable que ce délai soit ramené à huit jours.

La commission a adopté cet amendement ainsi modifié.

Au même article, elle a donné un avis favorable à l'amendement n° 1 présenté par M. Bernard Frimat et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, tendant à prévoir la publicité de l'audition sous réserve de la préservation du secret professionnel ou du secret de la défense nationale.

La commission a demandé le retrait de l'amendement présenté par M. Bernard Frimat et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, prévoyant que cette audition donnait lieu à la publication d'un compte rendu.

M. Jean-Jacques Hyest, président, a jugé souhaitable de ne pas anticiper sur les résultats de la réflexion actuellement en cours au Sénat sur les modalités de compte rendu des réunions de commission.

Sur l'ensemble des amendements, la commission a adopté les avis suivants :

Article ou
division

Objet

Numéro d'amendement

Auteur de l'amendement

Avis de la commission

Article 1er

Commissions permanentes compétentes pour émettre l'avis sur les nominations

1

M. Bernard Frimat et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés

Favorable

2

M. Bernard Frimat et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés

Défavorable

Internet et vie privée - Examen du rapport et du texte proposé par la commission

Puis la commission a examiné le rapport de M. Christian Cointat et établi le texte qu'elle propose pour la proposition de loi n° 93 (2009-2010), présentée par M. Yves Détraigne et Mme Anne-Marie Escoffier, visant à mieux garantir le droit à la vie privée à l'heure du numérique.

M. Christian Cointat, rapporteur, a rappelé que la proposition de loi de M. Yves Détraigne et Mme Anne-Marie Escoffier faisait suite au rapport d'information des mêmes auteurs, publié au nom de la commission des lois le 27 mai 2009, et traduisait plusieurs recommandations formulées dans ce rapport.

Après avoir relevé que les sujets abordés par ce texte sont sensibles et complexes, il a insisté sur la nécessité pour le législateur de trouver un équilibre entre l'accompagnement du développement des nouvelles technologies, facteur de progrès indiscutables, et un encadrement juridique destiné à combattre ses dérives, en particulier au regard de la protection des données personnelles et, plus généralement, de la vie privée, protection réclamée par les citoyens. A cet égard, il a regretté que de nombreux représentants d'entreprises et d'administrations aient, au cours de leur audition, plaidé pour le statu quo dans ce domaine.

Il a souhaité que la proposition de loi soit perçue à l'étranger comme un nouveau signal fort de la France en faveur d'un renforcement de la protection des données personnelles, à l'heure où des initiatives sont lancées pour faire évoluer le cadre juridique communautaire - et à terme international - de cette protection, trente ans après la loi « informatique et libertés » du 6 janvier 1978, texte précurseur en la matière.

Tout en souscrivant largement aux objectifs de la proposition de loi, il a souhaité la modifier afin qu'elle soit mieux comprise par les entreprises et par l'administration. Ainsi :

- sur l'article premier, il a indiqué que celui-ci complétait l'article L. 312-9 du code de l'éducation afin que l'initiation des élèves à l'usage d'Internet intègre autant les questions liées au téléchargement illégal que celles, tout aussi essentielles, de la protection des données personnelles et, plus généralement, de la vie privée. Son amendement n° 1 tend à en aménager la rédaction afin, en particulier, de prévoir que les enseignants ne doivent pas être « préalablement formés » sur la question de la protection des données mais « expérimentés en la matière ». En effet, la sensibilisation aux enjeux de la protection de la vie privée relève moins d'une discipline académique que d'une expérience et d'une appétence particulière de certains enseignants pour ce type de problématique. En conséquence, il s'est déclaré prêt à retirer son amendement au profit de celui déposé par Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteur pour avis au nom de la commission de culture, de l'éducation et de la communication, tendant à inscrire la sensibilisation des élèves aux enjeux de la protection de la vie privée dans le cadre de l'éducation civique et non dans celui des cours consacrés aux nouvelles technologies. Ce rattachement est tout à fait cohérent avec le rapport d'information sur la vie privée à l'heure des mémoires numériques qui estime que cette sensibilisation peut être dispensée à l'occasion des cours d'éducation civique, dès lors qu'il s'agit de transmettre des valeurs plus que des connaissances techniques ;

- il a rappelé que l'article 2 visait à clarifier le statut de l'adresse IP. En effet, cette adresse constitue, selon le rapport d'information précité, un moyen indiscutable d'identification, fût-elle indirecte, d'un internaute, au même titre qu'une adresse postale ou un numéro de téléphone. Il a souhaité modifier la rédaction de cet article afin de faire clairement apparaître que l'adresse IP ne permet pas à elle seule d'identifier un internaute et ne constitue que l'élément d'un « faisceau d'indices » permettant d'identifier une personne physique ;

- il a expliqué que l'article 3 rendait obligatoires les correspondants « informatique et libertés » (CIL) lorsqu'une autorité publique ou un organisme privé recourt à un traitement de données à caractère personnel et que plus de cinquante personnes y ont directement accès ou sont chargées de sa mise en oeuvre. Il a approuvé le principe posé par cet article, considérant que ce correspondant ne devait pas être perçu comme « un espion » qui entrave l'action de la structure dans laquelle il est désigné, mais comme une aide, une garantie et un conseil qui permet, d'une part, la diffusion de la culture « informatique et libertés » dans les structures dans lesquelles il a été désigné, d'autre part, et symétriquement, la diffusion de la culture « administration » ou « entreprises » au sein de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL). Il a souhaité apporter quelques aménagements à l'article 3 jugeant fondées certaines craintes dont celle que la mutualisation des CIL serait dorénavant exclue. En conséquence, il a souhaité, d'une part, préciser que la désignation obligatoire du CIL pourrait intervenir dans un cadre mutualisé, d'autre part, maintenir la possibilité de mutualisation lorsque la création du CIL n'est pas obligatoire.

En outre, il a contesté que la mise en place de CIL soit coûteuse pour les structures dans lesquelles ils seront obligatoires, entreprises comme administrations pouvant respecter cette nouvelle obligation à moyens constants.

Enfin, s'agissant du seuil de 50 salariés ayant accès à un traitement de données personnelles, il a indiqué que celui-ci constituait une incitation pour les entreprises et administrations à limiter les accès aux fichiers tout en se déclarant ouvert à des amendements visant à relever ce seuil ;

- il a rappelé que l'article 4 réservait au législateur la compétence exclusive pour autoriser les catégories de fichiers nationaux de police et pour définir les principales caractéristiques de ces catégories (services responsables, finalités et durée de conservation des informations traitées), alors que les fichiers de police peuvent actuellement être autorisés par arrêté ou, s'ils comportent des données sensibles, par décret en Conseil d'Etat. Il a souhaité s'écarter de la rédaction proposée par la proposition de loi, pour deux raisons principales :

- d'une part, la rédaction de l'article 4 pourrait être dépourvue de caractère normatif, le législateur ordinaire n'étant pas susceptible de définir pour l'avenir sa propre compétence ;

- d'autre part, l'Assemblée nationale a adopté, le 2 décembre 2009, un article 29 bis lors de la première lecture de la proposition de loi de simplification et d'amélioration de la qualité du droit, présentée par M. Jean-Luc Warsmann. Cet article modifie l'article 26 de la loi « informatique et libertés » dans un sens qui préserve un équilibre entre la garantie des droits et libertés et la souplesse nécessaire pour permettre au Gouvernement de mettre en oeuvre des fichiers opérationnels dans des délais raisonnables. Le dispositif prévoit que tout fichier créé par arrêté ou par décret doit répondre à l'une des finalités qu'il énumère. A défaut, seul le législateur serait compétent.

Dans un souci de compromis, face aux objections du Gouvernement, le rapporteur s'est déclaré prêt à reprendre, sous réserve de quelques adaptations, ce dispositif qui présente l'avantage de mieux encadrer les fichiers de police au regard du droit actuel ;

- il a rappelé que l'article 6 apportait deux modifications importantes au régime juridique des « cookies ». D'une part, il renforce l'obligation d'information incombant au responsable du traitement. Tel qu'il est actuellement rédigé, l'article 32 de la loi « informatique et libertés » dispose que l'information doit être « claire et complète ». La rédaction proposée demande une information « spécifique, claire, accessible et permanente ». D'autre part, il impose le consentement de l'utilisateur avant tout stockage de « cookies » sur son ordinateur. Il a indiqué avoir cherché à assouplir ce dernier principe qui, appliqué de manière trop rigide, obligerait les internautes à réitérer trop fréquemment leur choix d'accepter ou de refuser les cookies pour chaque site, voire chaque page web, consultés. Les utilisateurs se verraient ainsi contraints en pratique d'interrompre leur navigation pour cliquer sur des fenêtres ou « pop-up » sur leur écran, ce qui, d'une part, constituerait une entrave à la navigation fluide et rapide des internautes, d'autre part, mettrait en grandes difficultés les professionnels du commerce en ligne. En conséquence, il a souhaité, d'une part, prévoir une information globale, et non au cas par cas, en matière de « cookies », d'autre part, que cette information renvoie l'utilisateur aux possibilités de paramétrage du navigateur Internet afin qu'il puisse exprimer un choix préalable, quel qu'il soit, en matière de « cookies », ce qui semble conforme aux choix récents du législateur communautaire ;

-  il a rappelé que l'article 8 concernait le droit à l'oubli : il permet à chaque individu, pour des motifs légitimes, de demander à retirer d'Internet des données personnelles, qu'elles aient été livrées par la personne elle-même ou par des tiers. Il a expliqué que, n'ayant pu trouver une rédaction de nature à ne créer aucune difficulté d'interprétation, il avait jugé plus prudent de ne pas revenir sur la notion de « motifs légitimes », qui figure dans la proposition de loi tout en précisant, à l'inverse, que le droit à la suppression des données ne pourrait être exercé dans quatre nouveaux cas de figure :

- lorsque les données sont nécessaires à la finalité du traitement : il s'agit d'éviter que les données soient effacées dans le cas, par exemple, où un bien est toujours sous garantie ou n'a pas été entièrement payé par le consommateur ;

- lorsque le traitement est nécessaire à la sauvegarde, la constatation, l'exercice ou la défense d'un droit ;

- lorsque le droit de suppression porte atteinte à une liberté publique garantie par la loi : il s'agit essentiellement de protéger la liberté de la presse ;

- lorsque les données constituent un fait historique : le droit de suppression ne peut avoir pour objet ou pour effet de réécrire ou de falsifier l'histoire ;

- il a rappelé que l'article 10 rendait systématiquement publiques les audiences de la formation restreinte de la CNIL alors que les audiences ne sont aujourd'hui publiques qu'à la demande des parties. Toutefois, il a estimé que la CNIL ne pouvait être regardée comme une juridiction et qu'elle n'avait donc pas à se conformer à toutes les exigences du procès équitable. En conséquence, il s'est prononcé en faveur de la suppression de cet article.

Mme Anne-Marie Escoffier a remercié le rapporteur pour le travail accompli en tenant informés les auteurs de la proposition de loi de l'avancement de ses travaux. Elle a souligné que, face aux nouvelles menaces qui pèsent sur la protection des données, la première réponse réside dans la responsabilisation d'individus éclairés sur les enjeux pour leur propre protection.

Saluant à son tour la qualité du travail du rapporteur, M. Yves Détraigne a souligné que, si la proposition de loi pouvait apparaître comme technique, voire ésotérique, elle n'en était pas moins au coeur d'enjeux fondamentaux. Il a indiqué avoir reçu comme Mme Anne-Marie Escoffier de très nombreuses sollicitations (demandes d'entretiens, de participation à des colloques, conférences...) à la suite de la publication du rapport d'information et de la proposition de loi, car ces questions suscitent de nombreuses attentes mais aussi certaines inquiétudes. En conséquence, il a plaidé pour un dispositif équilibré qui tienne compte des différents intérêts en présence.

Mme Catherine Troendle s'est déclarée défavorable à l'obligation de désignation des CIL, jugeant préférable d'en rester au système actuel basé sur le volontariat.

M. Alain Anziani a demandé quelles conséquences juridiques s'attachaient à la qualification de l'adresse IP en donnée personnelle. Il a par ailleurs souligné que la question du droit à l'oubli ne se posait pas que sur Internet, prenant l'exemple d'une photographie qui pouvait être diffusée sur un support papier trente ans après sa réalisation. Enfin, il s'est interrogé sur l'opportunité de légiférer en matière de « cookies », les navigateurs actuels permettant tous aux utilisateurs de les refuser a priori ou de les effacer a posteriori. En revanche il est important que les navigateurs offrent un réglage fin permettant aux internautes de gérer des préférences en fonction des caractéristiques des « cookies » qui sont généralement différentes d'un site à l'autre.

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur, s'est interrogé sur les moyens de lutte contre les courriels non sollicités.

Mme Virginie Klès a mis en garde contre une pratique consistant à transférer des courriels comportant « des chaines » d'adresses mails.

M. Christian Cointat, rapporteur, a indiqué :

- que l'obligation de désignation des CIL constitue une des mesures les plus importantes de la proposition de loi. Or, le principe d'indépendance du CIL n'est pas incompatible avec le statut de la fonction publique, pas plus que ne le sont, dans les ministères, les corps d'inspection, de contrôle ou de comptables publics. Enfin, il est essentiel de resserrer les liens entre la CNIL et le réseau des CIL ;

- que la clarification du statut juridique de l'adresse IP permet d'apporter à celle-ci la protection de la loi « informatique et libertés » ;

- que l'amendement qu'il propose consacre la pratique actuelle en matière de possibilités de paramétrage des navigateurs ;

- que la captation des courriels, responsables du phénomène des « spams », peut notamment résulter de la pratique des chaines décrite par Mme Virginie Klès.

Il a souligné que le droit à l'oubli devait couvrir toutes les hypothèses, y compris la suppression des liens persistants des moteurs de recherche. En effet, même quand les pages Internet ont disparu, les moteurs de recherche continuent à donner en quelques mots l'information contenue dans ces pages. Il importe donc que les moteurs de recherche améliorent leur système de désindexation automatique des pages Internet supprimées et qu'à défaut ils fassent droit rapidement aux demandes d'opposition qui leur sont adressées.

M. Jean-Jacques Hyest, président, s'est étonné que le Gouvernement semble parfois accueillir avec circonspection les initiatives parlementaires. De même, certains représentants d'entreprises qualifient ces initiatives de « sympathiques » mais vouées à ne pas être appliquées.

La commission a ensuite examiné les amendements, déposés par le rapporteur, Mme Catherine Morin-Desailly, au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, M. Charles Gautier et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, M. Alex Türk et le Gouvernement.

A l'article premier (sensibilisation des jeunes aux enjeux de la protection de la vie privée sur Internet), le rapporteur a retiré son amendement n° 1 au bénéfice de l'amendement n° 36 de Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteur pour avis au nom de la commission de culture, de l'éducation et de la communication, tendant à inscrire la sensibilisation des élèves aux enjeux de la protection de la vie privée dans le cadre de l'éducation civique et non dans celui des cours sur les nouvelles technologies.

Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteur pour avis de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, a souligné la nécessité de former les élèves au développement d'une attitude critique et réfléchie vis-à-vis de l'information disponible et à l'acquisition d'un comportement responsable dans l'utilisation des outils interactifs, lors de leur utilisation d'Internet, que cela soit pour la recherche d'informations ou pour échanger avec leurs amis. Cet objectif fait partie intégrante de l'acquisition de la maîtrise des nouvelles technologies demandée à chaque élève au titre du socle commun de connaissances et de compétences défini par la loi du 23 avril 2005.

M. Jean-Jacques Hyest, président, a douté du caractère législatif de nombreuses dispositions figurant dans le code de l'éducation.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat a regretté que la culture générale des élèves ne passe presque plus que par l'éducation civique.

La commission a adopté l'amendement n° 36.

La commission a ensuite examiné l'amendement n° 3 du rapporteur, tendant à insérer un article additionnel après l'article 2. Le rapporteur a expliqué que cet amendement avait deux objets :

- d'une part, il donne un caractère contradictoire au rapport public annuel de la CNIL ; il prévoit le recueil des observations des ministres, personnes et organismes concernés avant la publication du rapport annuel de la CNIL : cette dernière ferait connaître les observations provisoires pour lesquelles elle estime nécessaire de susciter les remarques des personnes susvisées, remarques qui auraient vocation à figurer en annexe du rapport annuel. Cette procédure contradictoire permettrait de mettre en place un dialogue formalisé qui ne pourra qu'améliorer les relations entre la CNIL et les responsables de traitement concernés ;

- d'autre part, il assure une représentation pluraliste lors de la désignation, par les présidents des assemblées parlementaires, des membres de ces assemblées appelés à siéger dans cette commission.

M. Alex Türk s'est déclaré défavorable au premier objet de l'amendement, estimant que la procédure contradictoire qu'elle imposait, d'une part, rendrait très complexe l'établissement du rapport annuel de la CNIL, d'autre part, n'était pas conforme à la nature de la CNIL, qui n'est pas une juridiction, à la différence de la Cour des comptes.

Rejoignant cette analyse, M. Jean-Pierre Michel a souligné en outre que l'adoption de cet amendement conduirait à étendre cette procédure à toutes les autorités administratives indépendantes, ce qui ne lui a pas paru souhaitable.

En conséquence, le rapporteur a retiré son amendement n° 3 et la commission a adopté l'amendement n° 35 de M. Charles Gautier, tendant à assurer la représentation pluraliste de la CNIL.

La commission a ensuite examiné l'amendement n° 4 rectifié du rapporteur, tendant à insérer un article additionnel après l'article 2. M. Christian Cointat, rapporteur, a expliqué que cet amendement visait à permettre la mise en oeuvre plus rapide des traitements soumis à déclaration préalable. Dans sa rédaction actuelle, l'article 23 de la loi « informatique et libertés » subordonne la mise en oeuvre d'un traitement soumis à déclaration à la transmission par la CNIL d'un récépissé. Or, ce récépissé retarde la mise en oeuvre du traitement. En conséquence, l'amendement prévoit que « le demandeur peut mettre en oeuvre le traitement dès réception de la preuve de l'accomplissement de la formalité préalable ».

M. Alex Türk s'est déclaré favorable à cet amendement, même s'il a relevé que les responsables de traitements continueraient sans doute, en pratique, à réclamer ledit récépissé « par sécurité ».

La commission a adopté l'amendement n° 4 rectifié.

A l'appui de ses amendements n°s 28, 29, 30 et 31 tendant à confier à la CNIL le contrôle et l'évolution de l'ensemble des systèmes de vidéosurveillance, M. Charles Gautier a fait valoir qu'ils formalisaient une recommandation de son rapport d'information élaboré conjointement avec M. Jean-Patrick Courtois, consacré à la vidéosurveillance et adopté à l'unanimité par la commission des lois en décembre 2008. Cette recommandation rejoint celle formulée dans le rapport d'information consacré à la vie privée à l'heure du numérique des auteurs de la présente proposition de loi, adopté par la commission des lois en mai 2009.

M. Christian Cointat, rapporteur, a souligné, d'une part, que de nombreuses dispositions concernant la vidéosurveillance avaient été adoptées lors de l'examen par l'Assemblée nationale en première lecture du projet de loi sur la sécurité intérieure, dite « LOPPSI », d'autre part, que le dispositif proposé était incomplet : il ne précise pas, notamment, de quelle manière et selon quelles procédures s'exercerait le contrôle de l'installation des systèmes, confié à la CNIL, ni la nature de l'évaluation qui serait réalisée. Il a indiqué que, si l'amendement, après avoir été précisé et complété, était redéposé à l'occasion de l'examen du projet de loi dit « « LOPPSI », il y serait, à titre personnel, favorable.

M. Charles Gautier a retiré ses amendements n°s 28, 29, 30 et 31.

La commission a ensuite examiné l'amendement n° 5 du rapporteur portant sur les correspondants « informatique et libertés » (CIL).

M. Alex Türk a indiqué que les correspondants étaient en augmentation constante : au 1er janvier 2010, ils étaient 1466, représentant quelque 5951 organismes. Ils sont toutefois faiblement implantés dans les collectivités territoriales et les ministères, cette situation semblant résulter d'une certaine hostilité des autorités publiques à l'égard de personnes reconnues comme indépendantes dans l'exercice de leurs fonctions, indépendance qui s'accorderait mal avec le principe d'obéissance hiérarchique de la fonction publique.

Il a souligné que :

- les CIL sont obligatoires en Allemagne depuis près de quarante ans, sans que cela soulève d'objection particulière ;

- la désignation d'un CIL permet la dispense de déclaration préalable auprès de la CNIL ;

- le CIL a l'obligation de dresser un inventaire de tous les traitements effectués dans la structure dans laquelle il se trouve, ce qui est une mission très utile au regard de la protection des données ;

- aucune entreprise ayant désigné un CIL depuis sa création en 2005 ne l'a ensuite supprimé, ce qui tend à prouver que le système donne satisfaction ;

- la CNIL entretient des liens privilégiés de conseil et de formation avec les CIL ;

- la désignation obligatoire des CIL marquait l'aboutissement du processus engagé en 2003-2004, à l'occasion de l'examen de la loi transposant la directive de 1995 sur la protection des données. Il a indiqué qu'alors qu'il était rapporteur pour la commission des lois du Sénat de ce texte, M. Dominique Perben, alors garde des sceaux, avait indiqué en séance que les CIL avaient vocation à devenir un jour obligatoires.

M. Jean-Pierre Vial a noté qu'une réglementation excessive conduirait à complexifier le droit et a jugé que le CIL risquait de se transformer en inspecteur. Il a souligné l'impact de l'amendement proposé tant pour les entreprises, compte tenu du nombre encore limité des CIL, que pour la CNIL elle-même, qui aurait à gérer un réseau considérable de correspondants. En outre, il a indiqué que l'adoption de l'amendement conduirait à doter le CIL d'un statut très précis. En conséquence, il s'est déclaré très réservé quant à l'opportunité d'adopter l'amendement du rapporteur, et a souhaité, à tout le moins, relever sensiblement le seuil déclenchant l'obligation de désigner un CIL.

Mme Catherine Troendle a réaffirmé son opposition à la désignation obligatoire des CIL, mettant en avant le risque de passage progressif d'une mission de conseil à un rôle de contrôleur. Elle a souligné, en outre, que le CIL représentait une charge de travail supplémentaire pour les entreprises.

M. Jean-Jacques Hyest, président, a souligné que l'obligation de désignation d'un CIL dans les collectivités territoriales permettrait, dans l'intérêt de ces derniers, d'examiner attentivement l'ensemble des traitements utilisés et de se prémunir contre toute poursuite. Il s'est réjoui que le rapporteur propose de rétablir le texte actuel de la loi « informatique et libertés » qui prévoit un avis simple de la CNIL, et non un avis conforme comme le proposait la proposition de loi, en cas de démission d'office du correspondant. Ce rétablissement répond ainsi aux critiques craignant de voir le CIL perçu comme un espion ou un nouveau salarié protégé.

A son tour, M. Jean-Pierre Michel a jugé nécessaire la désignation obligatoire d'un CIL dans les collectivités territoriales, soulignant qu'en tant que membre de la CNIL pendant dix ans, il avait pu constater de nombreuses irrégularités, faites le plus souvent de bonne foi, dans les fichiers détenus par ces dernières. Il a estimé satisfaisant le seuil de 50 salariés ou agents inscrit dans la proposition de loi.

M. Christian Cointat a réaffirmé que le dispositif proposé devait être perçu comme une garantie compte tenu des enjeux.

M. Yves Détraigne a insisté sur l'intérêt de désigner un CIL, qui permet de diffuser la culture « informatique et libertés » au sein des entreprises et des administrations et de leur apporter une plus grande sécurité juridique dans ce domaine.

La commission a adopté l'amendement n° 5 du rapporteur.

La commission a ensuite examiné l'amendement n° 18 du rapporteur, tendant à réécrire l'article 4 de la proposition de loi (autorisation de création des fichiers de police).

M. Bernard Frimat a exprimé la crainte que la présente proposition de loi ne soit jamais inscrite à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale, et que les dispositions de l'amendement concernant les fichiers de police, reprises de la proposition de simplification et d'amélioration de la qualité du droit de M. Jean-Luc Warsmann, ne puissent donc pas être adoptées dans ce cadre.

Il a toutefois estimé que les dispositions en cause ne relevaient en aucun cas de la simplification du droit, et souhaité que la proposition de loi de M. Jean-Luc Warsmann précitée puisse être transmise au Conseil Constitutionnel afin que celui-ci puisse se prononcer sur sa constitutionnalité.

M. Jean-Jacques Hyest, président, a regretté que plusieurs textes importants adoptés par le Sénat ne soient pas encore inscrits à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale, dont la proposition de loi relative à l'exécution des décisions de justice et aux conditions d'exercice de certaines professions réglementées de M. Laurent Béteille.

Répondant à M. François Pillet, qui l'interrogeait sur les modifications apportées par l'amendement n°18 au régime des fichiers concernant la sûreté de l'Etat ou la défense, M. Christian Cointat, rapporteur, a indiqué que ces fichiers pourraient toujours, comme dans le droit en vigueur, bénéficier d'une dispense de publication par décret en Conseil d'Etat. Par ailleurs, il a estimé que la modification de l'article 4 qu'il proposait rendent plus probable son inscription à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale.

La commission a adopté l'amendement n° 18 du rapporteur.

A l'appui de son amendement n° 7 à l'article 6 (obligations d'information du responsable de traitement), M. Christian Cointat, rapporteur, a expliqué qu'il visait à assouplir le principe de consentement préalable en matière de « cookies » en renvoyant l'utilisateur aux possibilités de paramétrage du navigateur Internet afin qu'il puisse exprimer un choix préalable, quel qu'il soit, ce qui semble conforme aux choix récents du législateur communautaire.

M. Alex Türk a souligné que la proposition de loi opérait une évolution profonde en passant de la logique actuelle d'opposition dite « d'opt-out » à une logique de consentement dite d' « opt-in ». Il est en effet très différent d'avoir un droit de refus des « cookies » ou d'avoir un droit au consentement. Dans le premier cas, le silence de l'utilisateur vaut acceptation ; dans le second, il vaut refus. En conséquence, il a souligné que l' « opt-out » était moins protecteur que l' « opt-in », illustrant son propos de la polémique actuelle autour de « Street View », l'application que la société Google a mise en place sur la base d'un « opt-out ». En revanche, il a reconnu que l' « opt-in » pouvait constituer une entrave au développement d'Internet et des outils innovants et conviviaux.

M. Christian Cointat, rapporteur, a indiqué que son amendement n'avait pas tranché le débat « opt-in »/« opt-out » mais laissait aux acteurs le soin de débattre de ces questions.

A l'article 7 (notification des failles de sécurité), M. Alex Türk a indiqué qu'il convenait de rappeler que le responsable de l'entreprise avait la charge de rétablir la situation en cas de faille de sécurité.

Sur l'article 13 (dispositions relatives aux actions juridictionnelles), la commission a examiné les amendements n°16, tendant à supprimer un alinéa inutile, et l'amendement n°43 du Gouvernement tendant à supprimer l'article.

M. François Zocchetto s'est déclaré favorable à la suppression de l'article, jugeant inopportune l'intervention de la CNIL devant les juridictions, fût-ce en tant qu'expert.

M. Pierre Fauchon s'est interrogé sur l'opportunité de légiférer sur cette question, considérant qu'il était possible pour les magistrats de solliciter toute expertise jugée utile.

M. Jean-Jacques Hyest, président, s'est étonné que l'exposé des motifs de l'amendement de suppression du Gouvernement mette en avant l'objectif de stabilité de la norme, objectif quelque peu démenti par la multiplication d'initiatives gouvernementales dans certaines branches du droit, notamment du droit pénal.

M. Christian Cointat a indiqué que les dispositions de l'article 13, en facilitant l'intervention de la CNIL devant les juridictions, avaient pour but de permettre à ces dernières de disposer d'un avis technique dans une matière souvent complexe et à laquelle les magistrats sont peu familiarisés. Il a également souligné que ces dispositions s'inspiraient de celles retenues pour la HALDE et de celles qui sont insérées dans le projet de loi relatif au Défenseur des droits.

La commission a adopté l'amendement n° 16 et rejeté l'amendement n° 43.

La commission des lois a ensuite adopté la proposition de loi ainsi rédigée.

Le sort de l'ensemble des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :

Article premier
Sensibilisation des jeunes aux enjeux
de la protection de la vie privée sur Internet

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

M. Christian Cointat, rapporteur

1

Modifications rédactionnelles

Retiré

Mme Morin-Desailly, rapporteur pour avis

36

Insertion des dispositions de l'article 1er modifiées dans la partie du code de l'éducation consacrée à l'éducation civique

Adopté

Article 2
Qualification juridique de l'adresse IP

M. Christian Cointat, rapporteur

2

Rédactionnel

Adopté

Gouvernement

38

Suppression de l'article

Tombé

Articles additionnels après l'article 2

M. Christian Cointat, rapporteur

3

Caractère contradictoire du rapport public annuel de la CNIL et composition pluraliste de la commission

Retiré

M. Charles Gautier et les membres du groupe socialiste apparentés et rattachés

35

Composition pluraliste de la commission

Adopté

M. Christian Cointat, rapporteur

4 rect.

Mise en oeuvre plus rapide des traitements soumis à déclaration préalable

Adopté

M. Charles Gautier et les membres du groupe socialiste apparentés et rattachés

34

Publicité des avis de la CNIL

Rejeté

28

Contrôle et évaluation de la vidéosurveillance par la CNIL

Retiré

Division additionnelle après l'article 13

M. Charles Gautier et les membres du groupe socialiste apparentés et rattachés

29

Rédactionnel

Retiré

Article additionnel après l'article 13

M. Charles Gautier et les membres du groupe socialiste apparentés et rattachés

30

Suppression des dispositions sur la vidéosurveillance dans la loi du 21 janvier 1995

Retiré

 

31

Coordination avec le n°28

Retiré

Article 3
Renforcement du correspondant « informatique et libertés »

M. Christian Cointat, rapporteur

5

Obligation de création des correspondants « informatique et libertés »

Adopté

Gouvernement

39

Suppression de l'article

Tombé

Article 4
Autorisation de création des fichiers de police

M. Christian Cointat, rapporteur

18

Nouveau régime des fichiers de police

Adopté

Gouvernement

40

Suppression de l'article

Tombé

M. Charles Gautier et les membres du groupe socialiste apparentés et rattachés

32

Autorisation par la loi des fichiers ou catégories de fichiers de police

Tombé

33

Mention figurant dans les lois autorisant des fichiers de police

Tombé

Articles additionnels après l'article 4

M. Christian Cointat, rapporteur

25

Coordination

Adopté

21

Création d'une formation spécialisée « fichiers de police » au sein de la CNIL

Adopté

19

Intervention du bureau de la CNIL dans la nouvelle procédure expérimentale pour les fichiers de police

Adopté

20 rect

Inscription des durées maximales de conservation des données et des modalités de traçabilité des consultations dans les actes réglementaires

Adopté

22

Transmission à la délégation au renseignement des actes réglementaires de création de fichiers « sûreté/défense »

Adopté

23

Renforcement du contrôle judiciaire des fichiers de police

Adopté

24 rect

Droits de la défense dans les comparutions immédiates

Adopté

Article additionnel après l'article 5

M. Alex Türk

26

Publicité des avis de la CNIL

Adopté

Article 6
Obligations d'information du responsable de traitement

M. Christian Cointat, rapporteur

6

Assouplissement de l'obligation d'information sur la durée de conservation des données

Adopté

7

Assouplissement du principe de consentement préalable en matière de cookies

Adopté

Article 7
Notification des failles de sécurité

M. Christian Cointat, rapporteur

8

Champ d'application de l'obligation de notifier les failles de sécurité

Adopté

9

Information sur les failles de sécurité

Adopté

10 rect

Exclusion des fichiers de police de l'obligation d'information sur les failles de sécurité

Adopté

Gouvernement

41

Suppression de l'article

Tombé

Article 8
Droit d'opposition à un traitement

M. Christian Cointat, rapporteur

11

Clarification

Adopté

12

Clarification de l'exercice du droit de suppression des données

Adopté

13

Rédactionnel

Adopté

Gouvernement

42

Suppression de l'article

Tombé

Article 9
Obligation pour le responsable de traitement
d'indiquer l'origine de la donnée

M. Christian Cointat, rapporteur

14

Clarification

Adopté

Article additionnel après l'article 9

Gouvernement

37

Possibilité d'effectuer
des visites inopinées

Adopté

M. Alex Türk

27

Possibilité d'effectuer
des visites inopinées

Retiré

Article 10
Publicité des audiences
de la formation restreinte de la CNIL

M. Christian Cointat, rapporteur

15

Suppression de l'article

Adopté

Article 13
Dispositions relatives aux actions juridictionnelles

M. Christian Cointat, rapporteur

16

Suppression des dispositions prévoyant que les observations écrites de la CNIL sont recevables quelle que soit la procédure applicable

Adopté

Gouvernement

43

Suppression de l'article

Tombé

Article additionnel après l'article 13

M. Christian Cointat, rapporteur

17

Clarification sur l'application outre-mer de la loi « informatique et libertés »

Adopté

Nomination d'un rapporteur et communication sur le programme des travaux de la commission

M. Jean-Jacques Hyest, président, a annoncé que les groupes politiques avaient émis leurs souhaits d'inscription à l'ordre du jour de la semaine d'initiative sénatoriale du mois d'avril. Il a constaté que la commission des lois était compétente au fond pour la plupart d'entre elles : la proposition de loi n° 268 (2009-2010) visant à réformer le champ des poursuites de la prise illégale d'intérêts des élus locaux, dont Mme Anne-Marie Escoffier avait été nommée rapporteur, la proposition de loi n° 2 (2009-2010) relative aux contrats d'assurance sur la vie, présentée par M. Hervé Maurey, et dont M. Dominique de Legge est le rapporteur, la proposition de loi n° 201 (2009-2010) présentée par Mme Alima Boumediene-Thiery et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, portant réforme de la garde à vue et la proposition de loi n° 277 (2009-2010) sur le recours collectif, présentée par Mme Nicole Bricq, M. Richard Yung et plusieurs de leurs collègues.

La commission a désigné M. François Zocchetto rapporteur de la proposition de loi n° 201 (2009-2010) présentée par Mme Alima Boumediene-Thiery et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, portant réforme de la garde à vue.

M. Jean-Jacques Hyest, président, a déploré que la proposition de loi n° 277 (2009-2010) sur le recours collectif, présentée par Mme Nicole Bricq, M. Richard Yung et plusieurs de leurs collègues soit demandée par le groupe socialiste avant que le groupe de travail de la commission sur l'action de groupe, dont les co-rapporteurs sont MM. Richard Yung, signataire de la proposition de loi, et Laurent Béteille, n'ait rendu ses conclusions.

M. Richard Yung a indiqué que la proposition de loi avait été en fait redéposée s'agissant d'une proposition déposée trois ans auparavant et frappée de caducité. Il a convenu que son inscription à l'ordre du jour était sans doute prématurée et a indiqué qu'il proposerait à son groupe de la reporter.

Enfin, M. Jean-Jacques Hyest, président, a annoncé qu'il conduira une délégation de la commission des lois qui se rendra à St-Pierre-et-Miquelon et dont les membres seront MM. Christian Cointat et Bernard Frimat.

Saisie et confiscation en matière pénale - Examen du rapport et du texte proposé par la commission

La commission a ensuite examiné le rapport de M. François Zocchetto et établi le texte qu'elle propose pour la proposition de loi n° 454 rectifié (2008-2009) adoptée par l'Assemblée nationale, visant à faciliter la saisie et la confiscation en matière pénale.

M. François Zocchetto, rapporteur, a indiqué que la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale le 4 juin 2009, constituait l'aboutissement d'un travail de réflexion engagé depuis plusieurs années avec l'ensemble des acteurs de la chaîne pénale. Il a relevé que ce texte s'inscrivait également dans un ensemble de réformes globales initiées par l'Union européenne et tendant à améliorer la lutte contre le blanchiment de capitaux et la coopération internationale en matière de lutte contre le crime organisé. Après avoir constaté que le droit français des saisies pénales garantissait mal l'exécution des procédures de confiscation, il a précisé que la proposition de loi tendait à élargir le champ des biens susceptibles d'être saisis et confisqués, à créer une procédure de saisie pénale aux fins de confiscation et à instituer une agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués. Il a souligné que ce texte, qui fait l'objet d'un large consensus parmi l'ensemble des acteurs de la chaîne pénale, avait été adopté par les députés à l'unanimité.

M. François Zocchetto, rapporteur, a rappelé que, en France, la peine de confiscation ne pouvait être prononcée que dans le cadre d'une procédure pénale et qu'elle ne pouvait être exécutée qu'une fois la décision de condamnation devenue définitive. Dès lors, plusieurs années séparant l'ouverture de la procédure judiciaire de la décision définitive de confiscation, la personne mise en cause dispose du temps nécessaire pour organiser son insolvabilité ou faire disparaître les éléments de son patrimoine acquis grâce à des activités illicites.

M. François Zocchetto, rapporteur, a indiqué que le régime juridique de la peine complémentaire de confiscation avait été réformé en 2007. Son champ d'application a été élargi : sont en effet susceptibles d'être confisqués tous les biens meubles ou immeubles, quelle qu'en soit la nature, divis ou indivis, ayant servi à commettre l'infraction ou qui étaient destinés à la commettre, tous les biens qui sont l'objet ou le produit direct ou indirect de l'infraction, à l'exception des biens susceptibles de restitution à la victime, et enfin, tout bien meuble ou immeuble défini par la loi ou le règlement qui réprime l'infraction (il a cité en exemple les dispositions relatives au proxénétisme qui permettent de confisquer le fonds de commerce en cas de condamnation). Enfin, il a indiqué que, dans certaines hypothèses, tout ou partie du patrimoine du condamné pouvait être confisqué.

M. François Zocchetto, rapporteur, a estimé que le régime juridique de la peine complémentaire de confiscation, en permettant de priver les condamnés de la jouissance des biens acquis grâce à des activités illicites, apparaissait très dissuasif. Néanmoins, il a noté que son application était largement privée d'effectivité dès lors que les biens n'avaient pu faire l'objet d'une saisie ou d'une mesure conservatoire, dès le stade de l'enquête, pour empêcher la personne mise en cause de les dissiper. Sur ce point, notre législation présente des lacunes incontestables.

M. François Zocchetto, rapporteur, a en effet indiqué que, à l'heure actuelle, seul l'article 706-103 du code de procédure pénale permettait au juge des libertés et de la détention d'ordonner des mesures conservatoires sur l'ensemble des biens d'une personne mise en examen, afin de garantir le paiement des amendes encourues, l'indemnisation des victimes et l'exécution de la confiscation. Néanmoins, ces dispositions ne peuvent être mises en oeuvre qu'en cas d'information ouverte pour l'une des infractions relevant de la criminalité organisée. En outre, le juge des libertés et de la détention ne dispose d'aucune prérogative de puissance publique pour ces mesures conservatoires qui sont ordonnées selon les modalités prévues par les procédures civiles d'exécution, lesquelles peuvent s'avérer complexes à mettre en oeuvre, particulièrement en matière immobilière. De ce fait, une intervention du législateur est souhaitée par les acteurs de la chaîne pénale et elle est rendue d'autant plus nécessaire par les réformes engagées depuis quelques années, tant par les pouvoirs publics que par l'Union européenne, pour tenter de mieux appréhender les profits générés par les activités illicites.

M. François Zocchetto, rapporteur, a fait valoir que, depuis 2002, les pouvoirs publics avaient mis en place des structures permettant, par une approche pluridisciplinaire et un décloisonnement des services, de mieux identifier, en amont des procédures, les profits générés par les activités illicites. Ainsi, des groupements d'intervention régionaux (GIR), créés en 2002, regroupent au sein d'unités opérationnelles des agents de la police nationale, de la gendarmerie, des services fiscaux, des douanes et de l'inspection du travail. Depuis septembre 2005, la plate-forme d'identification des avoirs criminels (PIAC) permet d'améliorer l'identification des patrimoines des délinquants, d'accroître leur saisie et confiscation et de systématiser l'approche financière des investigations contre les organisations criminelles et les délinquants. Enfin, la loi du 9 mars 2004 a créé les juridictions inter-régionales spécialisées (JIRS), afin de regrouper des magistrats du parquet et de l'instruction disposant d'une expérience en matière de lutte contre la criminalité organisée et la délinquance financière. Ces efforts ont porté leurs fruits, dans la mesure où le montant total des saisies et mesures conservatoires réalisées par les juridictions est passé de 51 millions d'euros en 2005 à 93 millions d'euros en 2008. Ces évolutions ont été encouragées par l'Union européenne qui, depuis 2001, s'est dotée de plusieurs décisions-cadre tendant à améliorer l'efficacité des dispositifs nationaux de lutte contre le blanchiment de capitaux et la coopération internationale en matière de lutte contre le crime organisé.

Il a toutefois estimé que l'ensemble de ces efforts n'avaient permis d'appréhender jusqu'à présent qu'une faible part de l'ensemble des profits générés par la délinquance et le crime organisé et a de ce fait salué l'initiative prise par les auteurs de la proposition de loi, estimant qu'elle permettrait de doter les enquêteurs et les magistrats des moyens nécessaires pour mieux lutter contre de telles formes de délinquance.

M. François Zocchetto, rapporteur, a indiqué que la proposition de loi tendait tout d'abord à élargir le champ des biens susceptibles d'être saisis puis confisqués. Elle comprend des dispositions permettant d'élargir la peine de confiscation aux biens et droits incorporels. L'article 3 de la proposition de loi tend à créer une procédure spéciale de saisie pénale aux fins de confiscation. Celle-ci tend à doter le juge pénal de prérogatives de puissance publique lui permettant de déroger largement aux règles du droit commun afin de permettre d'assurer rapidement l'indisponibilité des biens susceptibles d'être ultérieurement confisqués, des voies de recours à l'encontre des décisions prises et des dispositions permettant de préserver les droits des tiers étant prévues à chaque étape de la procédure.

L'article 3 bis de la proposition de loi crée une agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués, qui sera un établissement public administratif présidé par un magistrat de l'ordre judiciaire et aura vocation à assurer, sur mandat de justice, la gestion des biens saisis et confisqués.

Cette gestion était déficiente et constituait une charge pour les juridictions et pour France Domaine. Enfin, la proposition de loi inclut un certain nombre de dispositions tendant à faciliter l'entraide judiciaire internationale en matière de saisies et de confiscations.

En conclusion, M. François Zocchetto, rapporteur, a fait valoir que la proposition de loi semblait constituer un texte consensuel, très attendu par les acteurs de la chaîne pénale. En conséquence, il a proposé à la commission de l'adopter tout en lui apportant quelques modifications tendant principalement à renforcer son efficacité.

M. Jacques Mézard s'est inquiété des dispositions prévoyant que la publication préalable d'un commandement de saisie sur un immeuble ne fait pas obstacle à la publication de la saisie pénale immobilière. Il a attiré l'attention sur le fait que de telles dispositions dérogeaient largement au droit commun et qu'elles conduiraient à paralyser les droits des créanciers de bonne foi.

M. François Zocchetto, rapporteur, a indiqué que la proposition de loi tendait effectivement à instituer une procédure de saisie pénale dérogatoire au droit commun des procédures civiles d'exécution, en prévoyant notamment une priorité des saisies pénales sur les procédures civiles, y compris sur celles qui auraient été engagées à une date antérieure. Ces dernières seraient suspendues pendant le temps de la saisie pénale. Néanmoins, il a indiqué que des voies de recours seraient ouvertes à l'ensemble des personnes ayant des droits sur les biens concernés. En outre, la proposition de loi permet au juge d'autoriser un créancier de bonne foi à reprendre une procédure civile d'exécution lorsque le maintien du bien en la forme n'apparaît pas nécessaire. Le juge pourrait également autoriser la poursuite d'une vente engagée antérieurement à la saisie pénale lorsque la vente n'apparaît pas frauduleuse eu égard à ses conditions et au prix obtenu. Il a néanmoins convenu des difficultés que pourraient susciter, pour les créanciers de bonne foi, ces dispositions.

M. Jean-Pierre Vial a rappelé que, autrefois, les procédures pénales conduisaient systématiquement à bloquer les procédures civiles et que de nombreuses réformes avaient été engagées depuis dans le but de mieux garantir les droits des tiers. Il a de ce fait estimé que la proposition de loi allait à l'encontre de telles réformes et regretté un retour à des dispositions permettant de bloquer les procédures engagées par les tiers devant les tribunaux. Il a estimé préférable d'instituer une priorité des procédures civiles d'exécution sur les saisies pénales postérieures tout en ouvrant au juge pénal la possibilité de déroger exceptionnellement à cette priorité lorsque des circonstances particulières le justifient.

M. François Zocchetto, rapporteur, a souligné que les dispositions de la proposition de loi ne prévoyaient la saisie pénale qu'à titre conservatoire et que les tiers pourraient demander au juge pénal de lever la saisie afin de reprendre une procédure civile d'exécution. Il s'est néanmoins déclaré ouvert à des amendements tendant à mieux concilier l'intérêt général et les droits des créanciers de bonne foi.

Mme Anne-Marie Escoffier a souhaité connaître la position du rapporteur sur les dispositions, figurant dans le projet de loi de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (LOPPSI), tendant à permettre l'affectation des véhicules confisqués aux services de police, de gendarmerie et des douanes.

M. François Zocchetto, rapporteur, s'est déclaré réservé à l'égard de telles dispositions.

La commission a examiné douze amendements proposés par son rapporteur, M. François Zocchetto.

A l'article 3 bis (création d'une agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués), à l'initiative de son président, la commission a souhaité modifier la rédaction de l'amendement n° 7 afin de supprimer l'adverbe « notamment » des dispositions relatives aux ressources de l'agence.

M. Alain Anziani s'est interrogé sur le bien fondé des dispositions relatives aux ressources de l'agence, qui permettent aux collectivités territoriales de lui apporter un concours financier.

M. François Zocchetto, rapporteur, a indiqué que de telles dispositions avaient été inspirées par des textes législatifs antérieurs instituant des agences de statut comparable mais a convenu qu'un débat pouvait être ouvert sur l'opportunité d'autoriser les collectivités territoriales à contribuer aux ressources de l'agence.

M. Jean-Jacques Hyest, président, a estimé que les réformes tendant à clarifier les compétences des collectivités territoriales rendraient peu probable toute contribution de ces dernières au financement de structures telles que l'agence de gestion.

Le sort de l'ensemble des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :

Article premier
Extension des saisies de droit commun à tous les biens susceptibles de faire l'objet d'une confiscation - Instauration de perquisitions aux fins de saisie

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

M. François Zocchetto, rapporteur

1

Exigence d'une autorisation expresse du procureur de la République pour la réalisation des perquisitions aux fins de saisie dans le cadre de l'enquête de flagrance

Adopté

Article 2
Mesures conservatoires susceptibles d'être ordonnées
en matière de criminalité organisée

M. François Zocchetto, rapporteur

2

Coordination avec l'article 3 de la proposition de loi et extension du champ de l'article 706-103 du code de procédure pénale aux infractions d'appropriation frauduleuse punies de trois ans d'emprisonnement

Adopté

Article 3
Règles applicables aux saisies pénales

M. François Zocchetto, rapporteur

3

Compétence donnée au JLD pour statuer sur les actes ayant pour conséquence de transformer, de modifier substantiellement le bien ou d'en réduire la valeur

Adopté

4

Clarification

Adopté

5

Saisie pénale des contrats d'assurance-vie

Adopté

Article 3 bis
Création d'une agence de gestion
et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués

M. François Zocchetto, rapporteur

6

Clarification des missions de l'agence

Adopté

7

Suppression de dispositions de nature réglementaire et modification des dispositions portant sur les ressources affectées à l'agence

Adopté après modification

Article 7
Exécution des décisions définitives de confiscation

M. François Zocchetto, rapporteur

8

Amendement rédactionnel

Adopté

Article additionnel après l'article 9

M. François Zocchetto, rapporteur

9

Alignement de la peine de confiscation encourue par les personnes morales sur celle applicable aux personnes physiques

Adopté

Chapitre III (avant l'article 10)
Dispositions relatives à la coopération internationale,
à l'outre-mer et de coordination

M. François Zocchetto, rapporteur

10

Amendement rédactionnel

Adopté

Article 10 ter
Coopération internationale aux fins d'exécution des décisions de confiscation

M. François Zocchetto, rapporteur

11

Possibilité donnée au tribunal correctionnel de surseoir à statuer lorsque le bien concerné fait l'objet d'une saisie aux fins d'enquête

Adopté

Article 12
Application de la proposition de loi dans les collectivités d'outre-mer

M. François Zocchetto, rapporteur

12

Application de la proposition de loi à Wallis-et-Futuna, en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie

Adopté

La commission a adopté l'ensemble de la proposition de loi ainsi rédigée.

Garde à vue - Examen du rapport et du texte proposé par la commission

La commission a ensuite procédé à l'examen du rapport de M. François Zocchetto et établi le texte qu'elle propose pour la proposition de loi208 (2009-2010) présentée par M. Jacques Mézard et plusieurs de ses collègues, tendant à assurer l'assistance immédiate d'un avocat aux personnes placées en garde à vue.

M. François Zocchetto, rapporteur, a relevé qu'en dix ans le nombre de gardes à vue avait doublé. Les conditions de garde à vue restent déplorables comme l'a souligné, en 2009, le premier rapport annuel du Contrôleur général des lieux de privation de liberté. Les évolutions de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme fragilisent le régime actuel de la garde à vue, créant ainsi une insécurité juridique préoccupante. A l'initiative de M. Jacques Mézard, le Sénat a déjà eu l'occasion de débattre de ce sujet le 9 février 2010. Les plus hautes autorités de l'Etat se sont émues de la situation actuelle de la garde à vue, le Président de la République appelant de ses voeux, lors de l'audience solennelle de rentrée de la Cour de cassation en 2009, la mise en place d'un « véritable habeas corpus à la française ».

Le rapporteur a ensuite évoqué les principaux aspects du régime juridique de la garde à vue en observant que, depuis 1993, une dizaine de lois d'une portée variable en avaient modifié les caractères. Les lois du 4 janvier et du 24 août 1993 en ont fait une mesure créatrice de droits. La durée de la garde à vue, fixée à vingt-quatre heures au maximum, peut être renouvelée pour une même durée sur autorisation écrite du Procureur de la République. Le législateur a néanmoins prévu des prolongations supplémentaires dans deux hypothèses :

- pour les infractions de criminalité organisée, la garde à vue peut être prolongée de deux fois vingt-quatre heures ;

- en cas de risque sérieux de l'imminence d'un acte de terrorisme, la garde à vue peut être prolongée de deux fois vingt-quatre heures supplémentaires.

M. François Zocchetto, rapporteur, a relevé que le procureur de la République ou, s'il s'agissait d'une commission rogatoire, le juge d'instruction, devait être informé dès le début d'une garde à vue.

M. Jean-Jacques Hyest, président, a observé que le principe d'une information immédiate du magistrat avait constitué un progrès et impliquait aussi que l'autorité judiciaire prenne toutes ses responsabilités pour garantir un déroulement correct de la garde à vue.

Parmi les droits de la personne gardée à vue, le rapporteur a relevé la possibilité de faire prévenir par téléphone un proche ainsi que le droit de demander à s'entretenir avec un avocat dès le début de la garde à vue puis, le cas échéant, dès le début de la prolongation. Cependant, dans les régimes dérogatoires concernant la criminalité organisée, ce droit peut être reporté au début des prolongations de la garde à vue. Depuis la loi du 5 mars 2007, les auditions en garde à vue, en matière criminelle, font l'objet d'un enregistrement.

M. François Zocchetto, rapporteur, s'est inquiété de la progression considérable du nombre des gardes à vue qui, selon les statistiques officielles pour 2009, s'élevaient à 580 108, chiffre qui ne tenait cependant compte ni des gardes à vue effectuées outre-mer, ni de celles concernant les infractions routières, l'ensemble pouvant être estimé entre 850 000 et 900 000 gardes à vue. Il a noté que le choix de retenir, dans le cadre de la LOLF, le nombre de placements en garde à vue comme l'un des indicateurs de performance de la police et de la gendarmerie nationale, n'était pas étranger à cette évolution. Estimant que la garde à vue restait une mesure utile, il lui est apparu d'autant plus nécessaire qu'il y soit recouru à bon escient.

Le rapporteur a également attiré l'attention sur les conditions souvent déplorables dans lesquelles étaient effectuées les gardes à vue insistant sur des mesures telles que la confiscation des lunettes ou l'obligation faite aux femmes de retirer leur soutien-gorge, vécues comme des humiliations par les intéressés. Les personnes sont ainsi placées dans un état de vulnérabilité ou de dépendance psychologique encore aggravé par le fait que, bien souvent, elles ignorent les raisons réelles justifiant la garde à vue.

M. François Zocchetto, rapporteur, a rappelé, par ailleurs, que la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme avait mis en exergue certaines fragilités du régime juridique français de la garde à vue. Ainsi, l'arrêt Salduz du 27 novembre 2008 précise que la personne gardée à vue doit bénéficier de l'assistance d'un avocat dès « le premier interrogatoire par la police » tandis que l'arrêt Dayanan du 13 octobre 2009 exige que l'action des avocats s'exerce « librement ». Sans doute ces arrêts ne sont-ils applicables qu'à l'Etat -en l'espèce la Turquie- partie à l'affaire jugée, néanmoins, certains tribunaux français ont été conduits à annuler des actes accomplis pendant des gardes à vue sur le fondement de la contrariété du droit français à la Convention européenne des droits de l'homme. Aussi, dans l'attente des décisions des cours d'appel et, sans doute, de la Cour de cassation, la situation actuelle est source d'une insécurité juridique préoccupante.

Evoquant alors les pistes de réforme actuellement envisagées, M. François Zocchetto, rapporteur, a relevé que le comité de réflexion présidé par M. Philippe Léger avait proposé, dans le rapport remis au Président de la République le 1er septembre 2009, le renforcement de la présence de l'avocat pendant la garde à vue, d'une part, avec la possibilité d'un nouvel entretien avec l'avocat à la douzième heure, l'avocat ayant alors accès aux procès-verbaux des auditions de son client et, d'autre part, la présence possible de l'avocat si la garde à vue était prolongée. Ce rapport, a-t-il indiqué, recommandait également l'extension de l'enregistrement obligatoire à toutes les gardes à vue ainsi que la limitation de la garde à vue aux infractions punies d'une peine d'emprisonnement supérieure à un an.

Le rapporteur s'est montré réservé sur l'une des propositions du rapport, également évoquée par la ministre de la justice et des libertés lors du débat sénatorial sur la question orale, concernant le principe d'une audition de la personne d'une durée de quatre heures qui pourrait avoir pour effet de différer en pratique la reconnaissance des droits reconnus dans le cadre de la garde à vue et, en particulier, l'accès à l'avocat.

M. Pierre Fauchon a observé, sur ce sujet, que cette audition devait être clairement présentée à l'intéressé comme une alternative à la garde à vue.

M. François Zocchetto, rapporteur, s'est dit particulièrement intéressé par la proposition présentée par la garde des Sceaux, prévoyant que, en matière criminelle et correctionnelle, aucune condamnation ne puisse être prononcée sur le seul fondement de déclarations faites par un gardé à vue qui n'aurait pu bénéficier de l'assistance d'un avocat.

Présentant alors la proposition de loi de M. Jacques Mézard et de plusieurs de ses collègues du groupe RDSE, le rapporteur a indiqué qu'elle reposait sur le principe selon lequel la personne gardée à vue ne saurait être entendue sans être assistée de son avocat. Ainsi, au début de la garde à vue, l'intéressé serait assisté d'un avocat pour la première audition s'il en faisait la demande et, en conséquence, l'audition pourrait être différée jusqu'à l'arrivée de l'avocat. A l'issue de cette audition, la personne ne pourrait être entendue, interrogée ou assister à tout acte d'enquête hors la présence de l'avocat, sauf si elle renonçait expressément à ce droit. Il a observé, par ailleurs, que la proposition de loi visait à supprimer les régimes dérogatoires relatifs à la grande criminalité, à l'exception du report à la soixante-douzième heure de l'intervention de l'avocat pour les crimes et délits constituant des actes de terrorisme.

M. François Zocchetto, rapporteur, a jugé que la proposition de loi abordait un sujet d'actualité important et complexe qui devait également être examiné à la lumière de la réforme de la procédure pénale annoncée par le Gouvernement, dont le régime de la garde à vue constituerait nécessairement un volet important. Il a noté à cet égard que l'avant-projet de réforme serait très prochainement soumis à une concertation et qu'un texte devrait être présenté au début de l'été au Parlement. Il n'a pas écarté, pour sa part, qu'une initiative consensuelle puisse être prise par le Sénat sur la question spécifique de la garde à vue, et a souhaité que, dans cette perspective, le débat et la réflexion se poursuivent encore. Il a ainsi invité la commission à ne pas établir de texte et à adopter une motion tendant au renvoi en commission de la présente proposition de loi.

M. Jacques Mézard a rappelé que la proposition de loi avait pour objet de lever une insécurité juridique née d'une situation devenue intolérable. Il a observé que s'il était admis, comme l'avait indiqué la garde des Sceaux, qu'aucune condamnation ne pourrait être prononcée sur le seul fondement de déclarations faites par un gardé à vue, des dispositions écartant la présence de l'avocat pendant le déroulement de la garde à vue n'avaient plus de justification. Il a marqué la nécessité, pour le Sénat, de prendre une initiative dans ce domaine compte tenu de sa tradition de garant des libertés publiques.

M. Jean-Jacques Hyest, président, a d'abord rappelé que l'influence du Sénat dans ce domaine pouvait s'exprimer indépendamment d'une proposition de loi et prendre, par exemple, la forme d'un amendement. Il a estimé que la prochaine réforme de la procédure pénale pourrait, en raison de son ampleur, faire l'objet de plusieurs textes distincts dont l'un serait consacré à la garde à vue, cette question pouvant être, selon lui, traitée de manière relativement indépendante de la suite de l'enquête.

M. Jean-Pierre Michel a souhaité qu'un état des lieux puisse être dressé sur les évolutions législatives ayant déjà concerné la garde à vue et, en particulier, sur l'intervention de l'avocat, qui avait permis un réel progrès par rapport à l'état de droit antérieur. Il a jugé, en outre, indispensable que le parquet assume effectivement l'intégralité des responsabilités qui lui sont confiées par le code de procédure pénale pour assurer le contrôle de cette mesure. Il a ajouté que la réforme de l'instruction changerait profondément la nature de la garde à vue, le procureur de la République étant susceptible de mener l'enquête directement dès l'interpellation de la personne. M. Jean-Pierre Michel s'est interrogé sur l'aide judiciaire et les modalités actuelles du fonctionnement des barreaux pour garantir une permanence afin d'assurer l'intervention des avocats dans le cadre des gardes à vue. Il a enfin rappelé que la commission lui avait confié ainsi qu'à M. Jean-René Lecerf une mission sur la réforme de la procédure pénale dont le champ concernait également la garde à vue.

M. Jean-René Lecerf s'est déclaré réservé, pour sa part, sur la communication du dossier à l'avocat, dès lors que celui-ci serait présent pendant le déroulement de la garde à vue. Il a déploré les modalités actuelles de déroulement des gardes à vue et, en particulier, la confiscation de certains objets ou encore la pratique des fouilles dont les conditions présentaient moins de garanties que celles désormais reconnues par la loi pénitentiaire aux personnes détenues, ce qui lui paraissait particulièrement choquant.

M. Alain Anziani s'est interrogé sur les raisons qui conduisaient encore à différer l'examen d'un texte sur un sujet dont chacun s'accordait à reconnaître l'urgence dans un contexte d'insécurité juridique. Il a souhaité que le législateur puisse traiter, en particulier, de la communication du dossier à l'avocat, du statut du gardé à vue ainsi que des moyens dévolus à l'indemnisation de la défense.

Sur la proposition de son rapporteur, la commission a décidé de ne pas établir de texte et d'adopter une motion de renvoi en commission.

Médiateur de la République - Examen du rapport et du texte proposé par la commission

La commission a ensuite examiné le rapport de M. Jean-Pierre Vial et établi le texte qu'elle propose pour la proposition de loi n° 267 (2009-2010) présentée par M. Patrice Gélard, visant à proroger le mandat du Médiateur de la République.

M. Jean-Pierre Vial, rapporteur, a rappelé que la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 avait inséré dans la Constitution un article 71-1, relatif au Défenseur des droits. Indiquant que cette nouvelle institution, chargée d'une mission de protection des droits et libertés, avait vocation à succéder au Médiateur de la République et à regrouper d'autres autorités administratives indépendantes intervenant dans le même domaine, il a souligné que le projet de loi organique et le projet de loi ordinaire relatifs au Défenseur des droits n'avaient pas encore été examinés par le Sénat, première assemblée saisie.

Relevant qu'aux termes de l'article 2 de la loi n°73-6 du 3 janvier 1973 instituant un Médiateur, le mandat de cette autorité était d'une durée de six ans, il a expliqué que M. Jean-Paul Delevoye, Médiateur de la République depuis le 13 avril 2004, devait exercer ces fonctions jusqu'au 12 avril 2010, son successeur devant par conséquent être nommé avant cette date.

Considérant que la création prochaine du Défenseur des droits conduirait toutefois le nouveau titulaire des fonctions de Médiateur de la République à n'exercer cette mission que pendant quelques mois, il a jugé que la désignation d'un nouveau Médiateur pour une période aussi brève ne constituait pas la meilleure solution pour garantir le bon fonctionnement de cette autorité.

Il a estimé qu'il était préférable que la mutation vers le Défenseur des droits soit assurée par le Médiateur de la République dont le mandat est en cours, plutôt que par une personne qui aurait à peine eu le temps de s'installer à la tête de cette autorité indépendante.

Précisant que la prorogation envisagée par la proposition de loi serait soumise à une date butoir, marquant la prise en compte du principe de proportionnalité, il a indiqué que son article unique prévoyait que le mandat du Médiateur de la République nommé en avril 2004 serait prorogé jusqu'à l'entrée en vigueur de la loi organique relative au Défenseur des droits et, au plus tard, jusqu'au 31 décembre 2010.

Relevant que les projets de loi organique et ordinaire relatifs au Défenseur des droits n'étaient pas, à la date d'adoption du présent rapport, inscrits à l'ordre du jour du Sénat, il a jugé que rien ne garantissait que ces textes seraient promulguées à temps pour permettre au Président de la République de nommer le Défenseur des droits avant le 31 décembre 2010.

M. Richard Yung a expliqué que si le principe de la prorogation du mandat du Médiateur de la République, afin de faciliter la transition vers le Défenseur des droits, ne suscitait pas d'opposition de sa part, la mise en oeuvre de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 souffrait d'un retard important, obligeant à prolonger le mandat de plusieurs organes et autorités. Il a jugé que cet engorgement reflétait une organisation déficiente du pouvoir exécutif.

M. Jean-Jacques Hyest, président, a indiqué que plusieurs textes relatifs à la mise en oeuvre de la révision constitutionnelle votée depuis plus d'un an et demi étaient encore en cours d'examen, tels que les projets de loi relatifs à l'article 13 et à l'article 65 de la Constitution, les projets de loi relatifs au Défenseur des droits et le projet de loi organique relatif au Conseil économique et social environnemental (CESE). Il a déploré que ce retard ait conduit en 2009 à proroger le mandat des membres du CESE et entraîne aujourd'hui la prorogation des mandats du Médiateur de la République et du Conseil supérieur de la magistrature.

La commission a ensuite adopté, à l'article unique de la proposition de loi, un amendement de son rapporteur, prévoyant que le mandat du Médiateur de la République nommé en avril 2004 serait prorogé jusqu'au 31 mars 2011 au plus tard.

M. Jean-Pierre Vial, rapporteur, a estimé que cette modification garantirait un délai suffisant pour éviter, dans l'hypothèse où la procédure parlementaire conduirait à la promulgation des lois organique et ordinaire relatives au Défenseur des droits au début de l'année 2011, la nomination d'un Médiateur de la République pour quelques jours seulement. Il a précisé que ce délai restait raisonnable, puisque la durée maximale de la prorogation du mandat du Médiateur ne pourrait excéder un an.

Article unique

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

M. Jean-Pierre Vial, rapporteur

1

Prorogation du mandat
du Médiateur de la République

Adopté

La commission a adopté la proposition de loi ainsi rédigée.

Audition du candidat proposé par le Président du Sénat à la nomination au Conseil constitutionnel

Au cours d'une deuxième séance, qui s'est tenue dans l'après-midi, la commission a procédé à l'audition de M. Hubert Haenel, candidat proposé par M. le Président du Sénat à la nomination au Conseil constitutionnel.

M. Jean-Jacques Hyest, président, a rappelé qu'en raison de l'expiration du mandat de trois membres du Conseil constitutionnel le 12 mars 2010, il appartenait au président de la République et aux présidents des assemblées parlementaires de nommer chacun un nouveau membre appelé à siéger au sein de cette institution. Il a regretté que le projet de loi organique relatif à l'application de l'article 13 de la Constitution n'ait pas encore été adopté par le Parlement, privant de ce fait les commissions des lois de l'Assemblée nationale et du Sénat de la possibilité d'utiliser les nouveaux pouvoirs que leur a confiés la réforme constitutionnelle. Il a ensuite indiqué que M. Gérard Larcher, président du Sénat, lui avait fait savoir qu'il proposerait la candidature de M. Hubert Haenel et qu'il avait en conséquence invité la commission des lois à entendre ce dernier. Il a rendu hommage à la richesse de la biographie et du parcours de ce dernier, insistant sur le fait qu'il s'était distingué au cours de sa carrière pour son intérêt pour de nombreuses problématiques.

M. Hubert Haenel a fait part de son émotion face à l'honneur que représente pour lui cette nomination, considérant que cet honneur rejaillissait sur l'ensemble du Sénat dont il est membre depuis 24 ans. Conscient que d'autres que lui présentaient l'expérience, les compétences et le sens de l'éthique requis pour exercer les fonctions de membre du Conseil constitutionnel, il a remercié M. Gérard Larcher, président du Sénat, ainsi que l'ensemble des sénateurs, pour avoir porté sa candidature au cours des récentes semaines. Considérant que les diverses fonctions qu'il a exercées au sein du Sénat au cours de ces nombreuses années l'avaient enrichi tout comme elles lui avaient permis de faire ses preuves, il a affirmé vouloir faire honneur au Sénat en exerçant ses nouvelles fonctions.

Revenant sur son parcours personnel et professionnel, M. Hubert Haenel s'est présenté comme un juriste, rappelant que, dès sa réussite au baccalauréat, il avait souhaité étudier le droit et devenir magistrat. Il a affirmé que sa formation lui avait notamment servi lorsqu'en 1986, jeune sénateur membre de la commission des lois, il avait été nommé rapporteur de la proposition de résolution tendant à créer une commission d'enquête sur les circonstances de la disparition de Malik Oussekine. Rappelant que la proposition de résolution paraissait irrecevable dans la mesure où une enquête judiciaire avait été ouverte afin d'enquêter sur ces faits, il avait proposé que la commission d'enquête soit créée afin de réfléchir sur les causes des affrontements étudiants de décembre 1986, permettant ainsi de faire droit à la demande de création de la commission d'enquête.

M. Hubert Haenel a ajouté qu'à sa sortie de l'école nationale de la magistrature, il avait été affecté à la Chancellerie. Alors qu'il était d'usage que le major de promotion soit affecté à la direction des affaires criminelles et des grâces ou à la direction des affaires civiles et du Sceau, il avait souhaité prendre un poste au sein de la direction des services judiciaires, conscient de l'importance des problématiques traitées par ces services. Il a indiqué qu'il avait par la suite été nommé conseiller auprès du secrétaire d'Etat chargé de la fonction publique, avant d'être nommé secrétaire administratif du Conseil supérieur de la magistrature tout en exerçant, parallèlement, les fonctions de conseiller technique à la présidence de la République.

M. Hubert Haenel a indiqué qu'après avoir ainsi relevé de la Chancellerie pendant huit ans, il avait été nommé maître des requêtes au Conseil d'Etat. Là, il avait compris ce que représente la participation à un délibéré, qui nécessite avant tout une réelle humilité et une excellente connaissance de la jurisprudence. Cette expérience lui serait très certainement utile dans l'exercice de ses nouvelles fonctions. Il a rappelé que, membre du Conseil d'Etat, il avait été tout d'abord affecté au contentieux général puis au contentieux fiscal avant de rejoindre la section des travaux publics au sein de laquelle il avait rapporté un certain nombre de déclarations d'utilité publique. Il a également indiqué s'être occupé de contentieux électoral.

Elu sénateur en 1986, il a tout d'abord été nommé membre de la commission des lois. Il y avait été rapporteur de la réforme constitutionnelle de 1993 portant sur le Conseil supérieur de la magistrature et avait regretté, à l'époque, le caractère inachevé de la réforme adoptée. Il s'est d'ailleurs réjoui que les lacunes qu'il avait alors perçues aient été comblées par la réforme constitutionnelle de 2008. Il a également rappelé qu'il avait été rapporteur de la réforme des assurances, notant qu'alors que le Sénat était dans l'opposition, M. Pierre Bérégovoy, ministre d'Etat, s'était engagé à ce que l'Assemblée nationale se prononce par un vote bloqué sur le texte adopté par le Sénat. Il a par ailleurs évoqué ses fonctions de président de la commission d'enquête sur le fonctionnement de la justice. Il a rappelé qu'il avait présidé trois commissions d'enquête au cours de sa carrière et a indiqué qu'à chaque reprise, il avait tenu à ce que les rapports soient adoptés à l'unanimité, afin de mieux faire entendre la position du Sénat.

M. Hubert Haenel a ensuite fait valoir qu'après sa nomination en tant que membre de la commission des finances, il avait continué à s'intéresser aux questions relatives à la justice en France, en exerçant les fonctions de rapporteur spécial des crédits de la Justice. Dans ce cadre, il a notamment été l'auteur d'un rapport sur les infractions sans suite. Il a noté que le rapport de la commission d'enquête sur le fonctionnement de la SNCF, qu'il avait présidée, avait été adopté à l'unanimité et avait ouvert la voie à la régionalisation ferroviaire.

Enfin, M. Hubert Haenel est revenu sur son expérience d'élu local, rappelant qu'il avait été maire pendant 24 ans, membre de structures intercommunales pendant 18 ans et membre du conseil régional d'Alsace pendant également 18 ans. En outre, il a enseigné en tant que professeur associé pendant plusieurs années au sein de la faculté d'Aix-Marseille III et a exercé les fonctions de membre suppléant de la commission de Venise du Conseil d'Europe. En tant que membre de la commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité, il a pu mesurer la difficulté de concilier l'intérêt de l'Etat avec les droits de la personne. Enfin, il est revenu sur ses fonctions européennes, rappelant que, parallèlement à ses fonctions de président de la délégation sénatoriale pour l'Union européenne (devenue depuis 2008 la commission des affaires européennes), il avait été membre du groupe de travail chargé d'élaborer la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne puis de l'Assemblée plénière de la Convention sur l'avenir de l'Europe. Il s'est également félicité d'avoir obtenu la création d'un emploi d'administrateur du Sénat en poste à Bruxelles.

En conclusion, M. Hubert Haenel a rendu hommage à ses parents, à ses instituteurs et maîtres, ainsi qu'à l'ensemble des collaborateurs qui l'ont assisté au cours de ses différentes fonctions.

Mme Catherine Troendle, ayant relevé que M. Hubert Haenel exerçait les fonctions de Président de la Commission d'harmonisation du droit local alsacien-mosellan, l'a interrogé sur sa conception des relations entre ce droit local et le droit français.

Ayant rappelé qu'il avait succédé à Marcel Rudloff en tant que président de cette commission lorsque celui-ci fut nommé membre du Conseil constitutionnel, M. Hubert Haenel a estimé que le droit alsacien-mosellan ne devait pas être conservé indéfiniment dans son état actuel mais devait au contraire évoluer progressivement. Il a noté que le Conseil constitutionnel n'avait pas jugé contraire à la Constitution la non-applicabilité en Alsace-Moselle de la loi du 11 août 2009 sur le travail dominical. Selon un récent sondage, la grande majorité des habitants d'Alsace et de Moselle reste attachée à ce droit spécifique, qu'ils considèrent comme une part de leur histoire et de leur identité. Ainsi, la tentative faite en 1918 de mettre fin à cette particularité a suscité une vive opposition. M. Hubert Haenel a par ailleurs souligné qu'une confusion était souvent faite entre le droit concordataire et le droit alsacien-mosellan proprement dit, dont le champ d'application, hérité du droit allemand, comprend notamment des dispositions concernant la sécurité sociale, la chasse, les associations, l'organisation des juridictions. Il a rappelé que le nouveau code de procédure civile s'était inspiré de ce droit local, pour finalement l'absorber. Il a enfin estimé que de nouvelles évolutions auraient probablement lieu lorsqu'une partie à un procès soulèverait l'inconstitutionnalité de dispositions de ce droit local au regard des libertés fondamentales.

M. Jean-René Lecerf a rappelé que le Conseil constitutionnel, qui n'avait censuré aucune disposition législative avant 1971, avait ensuite, et d'autant plus après la réforme de 1974, perdu sa timidité originelle. Il a fait valoir que l'introduction de la question prioritaire de constitutionalité renforcerait encore ses pouvoirs. Jugeant en outre restrictive l'interprétation, par le Conseil, de la notion de « lois organiques relatives au Sénat », il s'est interrogé sur la pérennité de la souveraineté parlementaire.

M. Hubert Haenel a souligné, citant M. Jacques Robert, ancien membre du Conseil constitutionnel, que la mission du Conseil constitutionnel ne consistait pas à apprécier le caractère bon ou mauvais, utile ou inopportun, moral ou immoral des lois, ni à se substituer au Parlement dans son rôle de législateur. Il a néanmoins reconnu que le Conseil s'était beaucoup transformé depuis l'époque où il se contentait de vérifier que le Parlement respecte l'article 34 de la Constitution et n'empiète pas sur la compétence du Gouvernement. La révision constitutionnelle de 1974, qui a élargi la saisine du Conseil constitutionnel aux parlementaires, a constitué une évolution importante en faisant émerger l'un des droits majeurs de l'opposition. La mise en oeuvre de la question prioritaire de constitutionnalité aura probablement également des effets très importants, notamment dans le domaine de la garde à vue et en matière pénale. Enfin, il a estimé que la présence de deux anciens sénateurs au Conseil constitutionnel permettrait à celui-ci de mieux comprendre la spécificité de la Haute assemblée.

M. Jacques Mézard, évoquant les fonctions de président du groupe sénatorial France-Saint-Siège exercées par M. Hubert Haenel, l'a interrogé sur ses positions en matière de bioéthique.

M. Hubert Haenel a souligné que son rôle en tant que membre du Conseil constitutionnel serait de vérifier la conformité des lois à l'ensemble du bloc de constitutionnalité et notamment aux libertés fondamentales visées par le préambule de la Constitution et par la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, sans égard à ses opinions personnelles. Il a constaté que les extraits publiés des archives du Conseil constitutionnel montraient que les membres du Conseil constitutionnel prenaient des positions lors de leurs débats qui pouvaient surprendre par rapport à ce que leur profil personnel pouvait laisser supposer. Concernant le groupe sénatorial France-Saint-Siège, celui-ci permet, selon lui, d'étudier cet Etat singulier mais également, par le truchement de l'ensemble des ordres et des congrégations réparties dans le monde entier, d'acquérir des connaissances précieuses sur la situation internationale.

M. Patrice Gélard a regretté que le Conseil constitutionnel n'ait pas à connaître des questions de conventionalité, alors que les relations entre le droit constitutionnel et, en particulier, le droit européen, constituent selon lui un sujet de grande importance. Par ailleurs, certaines décisions du Conseil constitutionnel ayant été adoptées par un vote à la majorité, il a souhaité savoir si M. Hubert Haenel était favorable à l'expression des opinions divergentes. Rappelant que le Conseil avait entendu des représentants du gouvernement mais pas des parlementaires, il l'a également interrogé sur la possibilité d'instaurer le caractère contradictoire de la procédure. Enfin, il lui a demandé s'il considérait que la Charte de l'environnement faisait partie du bloc de constitutionalité.

M. Hubert Haenel a souligné que l'article 61 de la Constitution ne permettait pas l'exercice d'un contrôle de conventionalité mais a rappelé que la Conseil avait récemment considéré qu'une loi transposant une directive pouvait être censurée lorsqu'elle était manifestement en contradiction avec cette directive. Une évolution future conduira peut-être à confier expressément au Conseil constitutionnel la vérification de la conformité des lois au droit européen. Concernant l'expression des opinions divergentes, il a relevé que cette pratique ne pourrait être instaurée pour le Conseil constitutionnel sans que le Conseil d'Etat et la Cour de cassation n'y soient également soumis, et a estimé que l'introduction de cette innovation méritait encore réflexion. Il s'est par ailleurs dit favorable à l'audition des rapporteurs des commissions compétentes par le Conseil constitutionnel dans la mesure où ils sont à même d'expliquer exactement l'intention du législateur. Enfin, il a relevé que le Constituant avait entendu intégrer le Charte de l'environnement au bloc de constitutionnalité, même si le Conseil Constitutionnel garde une marge de manoeuvre importante dans l'interprétation qu'il peut faire de ce texte.

Ayant souligné que cette audition était une initiative inédite, mais « tronquée », puisqu'elle ne serait pas suivie d'un vote, et s'étant réjoui qu'elle soit néanmoins ouverte à la presse et permette ainsi au grand public de découvrir les futurs membres du Conseil constitutionnel, M. Bernard Frimat a posé deux questions à M. Hubert Haenel :

- en premier lieu, il a souhaité connaître sa position sur la présence des anciens présidents de la République au sein du Conseil constitutionnel. Dans ce cadre, il a rappelé que, lors des débats préalables à la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, le Sénat avait adopté un amendement qui mettait fin à cette pratique. Il a regretté que cette proposition n'ait finalement pas été retenue, notamment dans un contexte où, sous l'effet des dispositions de l'article 61-1 de la Constitution, le Conseil tend à devenir une véritable cour constitutionnelle ;

- ayant estimé que la nomination des membres du Conseil constitutionnel relevait avant tout de choix politiques, il a ensuite interrogé M. Hubert Haenel sur la nécessité de rénover sa composition.

Jugeant que la lecture des archives du Conseil constitutionnel entre 1958 et 1983 démontrait que MM. Vincent Auriol et René Coty avaient exercé leurs fonctions de manière indépendante et s'étaient démarqués des autres membres du Conseil par leurs prises de position originales, M. Hubert Haenel a toutefois estimé anormal qu'aucune prestation de serment ne soit imposée aux anciens présidents de la République. Il a déclaré que le Constituant devrait, tôt ou tard, aller au bout de la logique de juridictionnalisation du Conseil constitutionnel en supprimant la possibilité pour les anciens présidents de la République d'en être membres de droit.

Par ailleurs, concernant le caractère « politique » des nominations au Conseil constitutionnel, M. Hubert Haenel a exposé que les membres du Conseil devaient, quelle que soit l'autorité qui les a désignés, respecter la déontologie inhérente à leurs fonctions et incarnée par leur serment, par lequel ils s'engagent à délibérer en toute indépendance, à ne pas porter atteinte au secret du délibéré et à adopter une attitude qui les place au-dessus de tout soupçon. Observant que, dans la plupart des autres États de l'Union européenne, les modalités de désignation des membres des cours constitutionnelles étaient très différentes de celles retenues par la Constitution française, il a cependant relevé que ces nominations donnaient souvent lieu à des débats de nature politique et que l'impartialité des décisions des instances en charge du contrôle de constitutionnalité découlait de leur fonctionnement collégial, plutôt que du mode de nomination des personnalités qui y siègent.

S'étant interrogé sur la manière dont le fort engagement européen de M. Hubert Haenel se traduirait dans l'exercice de son office de juge constitutionnel, et plus précisément en quoi cet engagement lui permettrait de promouvoir une meilleure articulation entre le droit constitutionnel français, d'une part, et le droit européen et communautaire, d'autre part, M. Richard Yung a également questionné le candidat afin de déterminer sa réaction s'il était amené à statuer, en tant que membre du Conseil constitutionnel, sur des textes sur lesquels il avait pris position au cours de ses vingt-quatre ans de présence au Sénat.

Faisant valoir que ce problème s'était déjà présenté lorsqu'il siégeait au Conseil d'Etat, et qu'il s'était alors déporté, M. Hubert Haenel a indiqué qu'il adopterait la même conduite au Conseil constitutionnel et qu'il s'abstiendrait de se prononcer sur les textes dont il avait eu à connaître en tant que sénateur. En outre, il a estimé que le problème des relations entre le droit constitutionnel national et les droits européens se posait d'une manière particulière en France puisque, contrairement à des États comme l'Allemagne, celle-ci ne disposait pas d'une cour suprême unique. Il a ainsi déclaré que, en tant que juge constitutionnel, il s'attacherait à vérifier que les lois de transposition des directives communautaires respectaient non seulement la lettre, mais aussi l'esprit de ces dernières, et que, s'il avait à apprécier la conformité d'un traité communautaire à la Constitution, il tâcherait de dialoguer avec les autorités européennes afin d'éviter, dans la mesure du possible, de faire obstacle à la construction de l'Union.

Ayant marqué son accord avec les remarques formulées par M. Bernard Frimat, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat a observé que le Parlement ne disposait pas du pouvoir d'empêcher la nomination de M. Hubert Haenel et que l'audition de ce dernier n'aurait que des effets platoniques. Elle s'est ensuite déclarée vivement opposée à la présence des anciens présidents de la République au sein du Conseil constitutionnel et a déploré que l'amendement adopté par le Sénat en première lecture du projet de loi constitutionnelle portant modernisation des institutions de la cinquième République, auquel il avait déjà été fait allusion, ait finalement été rejeté.

À ce titre, M. Jean-Jacques Hyest, président, a noté que cet amendement prévoyait la suppression immédiate, et non pas seulement pour l'avenir, de la possibilité pour les anciens présidents de la République de siéger au Conseil constitutionnel.

Soulignant que le nouvel article 61-1 de la Constitution avait pour effet de transformer insidieusement le Conseil constitutionnel en cour suprême et que le fonctionnement et l'organisation du Conseil lui-même, mais aussi des juridictions judiciaire et administrative, n'avaient pas été repensés à cette aune, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat a estimé que cette situation soulevait le nombreux problèmes dans un contexte où le Conseil constitutionnel était dénué de légitimité démocratique et où ses membres ne représentaient pas l'ensemble des courants d'opinion.

Ayant déploré que la commission des lois ne puisse sanctionner son audition par un vote et ayant jugé que le dispositif de « veto » prévu par l'article 13 de la Constitution aurait un effet positif sur les autorités de nomination, en les dissuadant de désigner des personnalités dont la compétence et les qualités ne faisaient pas l'objet d'un consensus, M. Hubert Haenel a marqué son désaccord avec les critiques exprimées par Mme Nicole Borvo Cohen-Seat : ainsi, il a observé que les membres du Conseil constitutionnel tiraient leur légitimité de la Constitution, et donc d'un vote du peuple souverain ou du Congrès, ce qui leur conférait une indéniable légitimité démocratique, et que l'application du principe de pluralisme à la composition du Conseil constitutionnel reviendrait à mettre en cause la nature juridictionnelle de ce dernier, le pluralisme devant être réservé à des instances politiques.

En réponse à une question de M. Jean-Pierre Sueur sur la publication des archives du Conseil constitutionnel, M. Hubert Haenel a déclaré que les archives déjà mises à disposition du public révélaient l'existence d'un véritable délibéré, c'est-à-dire d'un dialogue interactif au cours duquel les opinions de chacun des membres évoluaient. En outre, il a jugé que la forme publiée de ces archives, qui présente un résumé des débats et non un compte-rendu intégral, était satisfaisante.

Constatant l'abandon récent, par certains membres du Conseil constitutionnel, de leur devoir de réserve, M. Nicolas Alfonsi a souhaité savoir si M. Hubert Haenel était partisan d'une telle évolution ou s'il prônait plutôt le retour à une conception plus rigoureuse de cette exigence.

M. Hubert Haenel a fait valoir que les membres du Conseil constitutionnel doivent se tenir à une réserve stricte non seulement pendant leur mandat mais aussi jusqu'à leur mort. Il a par ailleurs indiqué que le secret gardé sur les délibérations est une condition de la liberté de chacun dans la délibération.

Sur la déontologie applicable aux membres du Conseil constitutionnel, M. Hugues Portelli a rappelé que, dans un passé récent, la question s'était posée non seulement de la participation d'un membre à une élection ou à une campagne électorale mais aussi du maintien du président de l'institution dans ses fonctions alors qu'il était engagé dans une procédure pénale. Il a considéré que les nouvelles attributions du Conseil constitutionnel en matière de question prioritaire de constitutionnalité appellent la définition de nouvelles obligations déontologiques portant notamment sur les activités professionnelles de leurs membres. Soulignant que la commission des lois avait estimé qu'il revenait au Conseil constitutionnel le soin d'en préciser le contour, M. Hugues Portelli a souhaité connaître l'opinion de M. Hubert Haenel sur ce point.

Après avoir précisé que d'ores et déjà, la loi du 19 janvier 1995 avait renforcé les incompatibilités frappant les membres du Conseil constitutionnel, pour remédier à certains excès, M. Hubert Haenel a considéré que cette fonction doit être exclusive de toute autre fonction professionnelle et notamment, s'agissant de la question prioritaire de constitutionnalité, de l'exercice de la profession d'avocat. Il a par ailleurs jugé justifié que le Conseil soit chargé d'élaborer lui-même son code de déontologie.

Audition du candidat proposé par le Président de la République à la nomination au Conseil constitutionnel

La commission a ensuite procédé à l'audition de M. Michel Charasse, candidat proposé par M. le Président de la République à la nomination au Conseil constitutionnel.

Après avoir rappelé la demande formulée par le Président de la République tendant à ce que M. Michel Charasse puisse être entendu par la commission des lois, M. Jean-Jacques Hyest, président, a proposé à l'intéressé de présenter succinctement son parcours avant de répondre aux questions que les commissaires souhaiteraient ensuite lui poser.

Présentant les différentes fonctions qu'il avait occupées, notamment au Sénat, M. Michel Charasse a considéré que ses interventions comme ses votes au cours des vingt-huit années pendant lesquelles il a été sénateur, donnaient à ses collègues une bonne illustration des opinions qui étaient les siennes.

Soulignant combien les interventions ou les propositions de M. Michel Charasse suscitaient l'attention ou l'intérêt de ses collègues, M. Patrice Gélard a souhaité connaître, avant que le devoir de réserve ne lie sa parole, son opinion sur les modifications qu'il convenait d'apporter au fonctionnement du Conseil constitutionnel.

M. Michel Charasse a indiqué que la liberté des autorités de nomination de membres du Conseil constitutionnel était absolue mais que leur choix devait se porter sur les personnes susceptibles d'exercer pleinement la fonction qui devait être la leur, celle de gardien de la loi constitutionnelle. Il a observé à cet égard que le rôle actuel du Conseil constitutionnel ne correspond plus à l'intention initiale de ses promoteurs qui souhaitaient uniquement en faire une garantie contre le régime d'assemblée.

S'attachant aux modifications qu'il pourrait être souhaitable d'apporter au fonctionnement du Conseil constitutionnel, il a considéré qu'il fallait tout d'abord lever une ambiguïté relative à la nomination du président du Conseil constitutionnel, dont il n'est pas établi qu'elle doive être soumise à la procédure de consultation prévue à l'article 13 de la Constitution.

Sur la question plusieurs fois évoquée des membres de droit du Conseil constitutionnel, il a estimé que tant le rajeunissement des titulaires de la fonction que le raccourcissement de la durée du mandat présidentiel, avaient pour conséquence que le Conseil constitutionnel pourrait à l'avenir compter plus de membres de droit que de membres nommés. Il a rappelé que, par le passé, plusieurs solutions avaient été envisagées -comme celle de prévoir que les anciens Présidents de la République soient membres de droit du Sénat- sans qu'aucune n'ait abouti.

Enfin, sans se prononcer sur la question de savoir s'il fallait ou non lier le pouvoir discrétionnaire des autorités de nomination des membres du Conseil constitutionnel, M. Michel Charasse a relevé que la lecture des débats tenus au sein du Conseil constitutionnel enseigne que les positions adoptées par certains membres s'avèrent souvent très différentes de celles auxquelles leurs détracteurs auraient pu s'attendre.

M. Christian Cointat évoquant l'évolution du rôle du Conseil constitutionnel, accélérée par l'introduction de la question préjudicielle, a interrogé le candidat proposé, tout en en doutant lui-même, sur le développement possible d'un « gouvernement des juges ». Il a souhaité savoir si les changements non expliqués de jurisprudence du Conseil constitutionnel n'impliquaient pas l'adoption des moyens permettant une véritable compréhension de l'évolution intellectuelle des décisions du Conseil. Il a enfin désiré connaître quel vent frais M. Michel Charasse porterait au Conseil constitutionnel compte tenu de sa personnalité.

En réponse, M. Michel Charasse a tout d'abord estimé que l'élargissement de la saisine du Conseil opérée en 1974, avait constitué un changement institutionnel, par rapport à la tradition de la Vème République, par l'intervention d'une nouvelle catégorie de saisine d'une autre nature que celles prévues jusqu'alors par la Constitution. Il a estimé, en revanche, que la saisine par le citoyen ne changerait pas la nature du Conseil mais son mode de fonctionnement en cas de dépôt de centaines de recours auxquels la Haute institution n'était pas préparée. Il a estimé, en tout état de cause, que ce changement dépendrait du filtrage opéré par les juridictions suprêmes. Il a rappelé que le Conseil constitutionnel traitait déjà de contentieux de masse en matière électorale mais que de nombreux recours déposés dans ce cadre étaient comparables et soulevaient des questions déjà tranchées par le Conseil. Il s'est déclaré confiant dans les précautions introduites par le Constituant et précisées par la loi organique, notamment au Sénat, pour instituer le filtrage.

M. Michel Charasse a douté de l'évolution du Conseil constitutionnel vers un gouvernement des juges. Il a noté qu'il serait amené désormais à examiner les lois non contrôlées avant leur promulgation. Il a estimé, en conséquence, qu'il n'y avait pas de raison, pour le Conseil, de changer de jurisprudence. Il a rappelé que le Conseil constitutionnel avait toujours déclaré qu'il n'avait pas le même pouvoir d'appréciation que le Parlement et veillé à ne pas substituer une souveraineté qu'il ne possède pas à celle issue du suffrage universel qui est à la base de notre République. Il a considéré qu'il n'y avait pas de raison que le Conseil change de position et que, dans l'hypothèse contraire, il ne l'accepterait pas. Il a souligné que cette institution avait été très critiquée à ses débuts, y compris par François Mitterrand, lequel avait changé d'avis à la fin de son second mandat présidentiel. Il a considéré que par sa jurisprudence, le Conseil constitutionnel était devenu une instance respectée car il n'était pas « sorti des clous », obligation à laquelle le Parlement se devait de le rappeler constamment.

Enfin, il s'est interrogé sur la possibilité, pour le Conseil, de changer de jurisprudence sans une modification préalable de la loi. Il s'est déclaré réservé sur l'intrusion des juges dans un domaine qui n'est pas forcément le leur. Pour des raisons de stabilité juridique, il ne convenait pas, pour le Conseil, de se lancer dans des changements constants qui entraîneraient le désordre dans la République.

Sur l'apport de sa nomination au Conseil constitutionnel, il s'est dit nourri par les débats auxquels il avait participé au Sénat. Il a estimé qu'il importait, dans ces fonctions, de faire montre de sens pratique, d'équilibre, ce à quoi son mandat sénatorial l'avait initié.

M. Jean-Pierre Sueur, évoquant les déclarations publiques récentes de M. Pierre Joxe, encore membre du Conseil, a interrogé M. Michel Charasse sur la publication des opinions dissidentes et sur sa capacité à les taire durant tout son mandat de membre du Conseil constitutionnel. Abordant la question des archives, il a interrogé le candidat proposé sur le respect du délai de vingt-cinq ans avant leur publication et sur la possibilité d'une publication intégrale des débats. Enfin, il a souhaité connaître l'attitude du candidat proposé face à un recours introduit par un justiciable sur une loi à l'élaboration de laquelle il aura participé dans ses fonctions parlementaires ou ministérielles.

M. Michel Charasse, sur ce dernier point, a indiqué que le conseiller avait, dans ce cas, l'obligation de se déporter.

Sur le principe de la publication des opinions dissidentes, il a estimé qu'il s'agissait d'une question qui ne pourrait qu'être commune à toutes les juridictions françaises. En conséquence, si ce principe devait être introduit au Conseil constitutionnel, il conviendrait de l'étendre à la Cour des comptes, à la Cour de cassation et au Conseil d'Etat.

Il a évoqué les décisions de la Cour européenne des droits de l'homme, en notant que la publication en annexe d'une opinion dissidente qui constitue un éclairage du jugement, excluait, en général, tout autre commentaire de l'intéressé. Pour le reste, il s'est déclaré opposé à tout bavardage et commentaire. Il a précisé que si la publication des opinions dissidentes devait être retenue, il serait personnellement amené à en publier peu et s'abstiendrait de tout commentaire à leur sujet.

Il a estimé que pour les travaux du Conseil constitutionnel, seul comptait le compte rendu intégral. Il a noté que, contrairement à la pratique usitée au Sénat, les membres du Conseil constitutionnel n'étaient pas appelés à relire la transcription de leurs propos ; il a déclaré que s'il en devenait membre, il demanderait à en être saisi et à les viser. En cas de refus, il demanderait que ses propos ne soient ni notés, ni publiés. Il a approuvé la durée de vingt-cinq ans retenue par les deux assemblées dans la dernière loi sur les archives.

Adoption par les partenaires liés par un pacte civil de solidarité - Examen du rapport

La commission a ensuite examiné le rapport de Mme Marie-Hélène Des Esgaulx et établi le texte qu'elle propose pour la proposition de loi  168 (2009-2010) présentée par M. Jean-Pierre Michel et plusieurs de ses collègues, autorisant l'adoption par les partenaires liés par un pacte civil de solidarité (PACS).

Après avoir rappelé l'objet de la proposition de loi, Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, rapporteur, a précisé que l'adoption est une institution conçue dans l'intérêt de l'enfant pour lui apporter la protection dont il est privé, ce qui impose d'apprécier si les différences existant, à cet égard, entre les régimes juridiques respectifs du mariage et du PACS, justifient ou non de réserver aux seuls époux la possibilité d'adopter conjointement.

S'attachant à la pratique de l'adoption en France, elle a indiqué que l'adoption plénière et l'adoption simple répondaient à des projets différents, la première étant principalement employée pour des adoptions internationales, et la seconde concernant plutôt les adoptions intrafamiliales, la personne adoptée étant le plus souvent l'enfant du conjoint. Elle a souligné l'important décalage existant entre les demandes d'adoption et le nombre d'enfants disponibles à l'adoption.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, rapporteur, a jugé que le but de l'adoption est avant tout d'offrir une sécurité juridique et affective à des enfants en détresse qui ont connu une première rupture dans leur filiation. L'adoption pour eux et pour leurs parents est autant une chance qu'un défi. A cet égard, elle a indiqué que la filiation recouvrait trois composantes, biologique, juridique et psychique, et que l'absence dans l'adoption de la première impose de mobiliser plus fortement les deux autres. Par conséquent, il est nécessaire de construire l'adoption de manière à prémunir l'enfant, autant qu'il est possible, de toute rupture future. Ainsi les textes nationaux et internationaux posent le principe du primat de l'intérêt de l'enfant. De ce point de vue, il n'existe pas de droit à adopter.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, rapporteur, a considéré qu'il convenait d'examiner si l'exigence de sécurité pour l'enfant justifie ou non de réserver aux couples mariés la possibilité d'adopter ensemble. Après avoir souligné que le statut conjugal des candidats à l'adoption, comme la nature, homosexuelle ou hétérosexuelle, de leur couple, ne préjugent en rien de leurs qualités affectives et éducatives, elle a estimé qu'en revanche, il définit le degré de protection juridique apporté à chacun des membres de la famille ainsi constituée. Or, de ce point de vue, mariage et PACS diffèrent.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, rapporteur, a ainsi relevé que le PACS est avant tout un contrat patrimonial, au formalisme réduit, sans destination familiale spécifique, à la différence du mariage qui est une institution de filiation. Elle a en outre jugé le mariage plus protecteur en cas de séparation des parents, dans la mesure où le juge aux affaires familiales, obligatoirement saisi, est appelé à se prononcer, en considération de l'intérêt de l'enfant, sur les conditions de l'exercice de l'autorité parentale par les parents après le divorce, tandis que sa saisine n'est que facultative dans le cas de la séparation de deux partenaires d'un PACS, ce qui fait reposer la préservation de l'intérêt de l'enfant uniquement sur la clairvoyance de ses parents. Rappelant en outre que le jugement de divorce inclut, le cas échéant, une décision sur le versement d'une prestation compensatoire, ce qui permet, contrairement au PACS, de limiter la position de vulnérabilité éventuelle du parent le plus faible, elle a considéré que le souci de garantir la sécurité affective et juridique de l'enfant impose de privilégier le mariage sur le PACS.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, rapporteur, a par ailleurs souligné qu'un certain nombre de dispositifs, comme la délégation-partage d'autorité parentale ou la tutelle testamentaire, permettent d'ores et déjà d'apporter une réponse au souhait, plusieurs fois exprimé au cours des auditions, de reconnaissance juridique du rôle du beau-parent dans l'éducation de l'enfant de son partenaire. Elle a estimé que la proposition de loi qui ne prévoit pas l'adoption simple de l'enfant du partenaire crée une situation potentielle d'empilement ou de substitution des filiations alors qu'il importe, avant tout, de garantir le statut du tiers beau-parent auprès de l'enfant. A cet égard, elle a précisé qu'une réflexion avait été engagée sur ce point par la Défenseure des enfants et poursuivie par un avant-projet de loi et le rapport remis par M. Jean Léonetti, député, au Premier ministre, et qu'elle doit aboutir prochainement, comme le lui ont confirmé, lors de leur audition, les représentants de Mme Michèle Alliot-Marie, Garde des sceaux, et de Mme Nadine Morano, secrétaire d'Etat chargée de la famille et de la solidarité.

Enfin, Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, rapporteur, a relevé que la proposition de loi n'est compatible ni avec les engagements internationaux de la France en matière d'adoption, et notamment la Convention de La Haye du 29 mai 1993 qui ne prévoit l'adoption que par deux époux ou une personne seule, ni avec la pratique observée en matière d'adoption internationale, les pays d'origine des enfants adoptés refusant dans leur très grande majorité l'adoption par des partenaires non mariés.

Après avoir remercié le rapporteur pour son exposé, M. Jean-Pierre Michel a considéré que la question de l'autorité parentale et du droit des tiers était étrangère à l'objet de la proposition de loi, la question étant moins celle d'un enfant déjà présent dans le foyer que celle d'un enfant à accueillir dans un nouveau foyer. Il a rappelé qu'en tout état de cause le jugement prononçant l'adoption prenait en compte l'intérêt de l'enfant. Soulignant la différence de statut légal entre les concubins et les partenaires d'un PACS, il a indiqué que le choix de ne pas doter le pacte civil de solidarité d'une vocation familiale était transitoire, ses promoteurs ayant renvoyé à une réforme ultérieure l'évolution sur ce point. Il a dénoncé le fait qu'on autorise un célibataire en couple à adopter un enfant sans le permettre au couple lui-même et souligné que la proposition de loi déposée par le groupe socialiste vise à mettre fin à cette hypocrisie. Faisant valoir qu'il conseillait aux couples qui se séparaient de toujours saisir le juge aux affaires familiales pour qu'il se prononce sur les conditions d'exercice de l'autorité parentale, il a évoqué la possibilité de rendre cette saisine obligatoire.

Marquant son accord avec le rapporteur, M. Patrice Gélard a regretté que la procédure d'adoption simple soit si peu utilisée, notamment parce que les effets qu'elle produit rendent nécessaire le consentement de l'autre parent, alors qu'elle pourrait constituer, si elle était revue, une solution adaptée au véritable problème soulevé par la proposition de loi. Rappelant par ailleurs qu'il ne fallait pas leurrer les citoyens par des lois inapplicables et constatant à la fois la rigueur de certains services sociaux dans la délivrance d'agréments et l'opposition de la majorité des pays d'origine des enfants à l'adoption par des couples non mariés, il a estimé qu'il serait nécessaire en la matière de bénéficier d'une étude d'impact.

M. Jean-Jacques Hyest, président, a jugé que la question posée était celle de l'adoption plénière conjointe par les partenaires d'un PACS et qu'il ne fallait pas confondre le cas des enfants déjà nés d'un des membres du couple et celui des enfants à adopter par un couple lui-même sans enfant. Il a rappelé en outre que le mariage et le PACS se distinguaient par la force de l'engagement de ceux qui choisissaient l'un plutôt que l'autre.

M. François Zocchetto a marqué son accord avec l'idée qu'en matière d'adoption seul prime l'intérêt de l'enfant et que la situation conjugale des parents ne préjuge en rien de leur capacité à accueillir et éduquer convenablement l'enfant. Estimant cependant que la question devait être envisagée sous l'angle du droit, il a considéré que le PACS, plus aisé à rompre, n'offrait pas, pour les enfants, les mêmes garanties que le mariage en cas de séparation. Saluant les considérations louables qui inspirent la proposition de loi, il a jugé que d'autres voies juridiques permettent de répondre aux problèmes qu'elle cherche à résoudre.

Tout en déclarant son accord avec le rapporteur, M. Christian Cointat a estimé que la proposition de loi renvoyait à un problème de société. Convaincu que l'évolution envisagée était inévitable, il a jugé préférable qu'elle s'accomplisse sous la forme proposée par le texte plutôt que par l'ouverture du mariage à l'ensemble des couples. Il a par ailleurs souligné la nécessité d'apporter une protection suffisante à l'enfant dont l'unique parent vit en couple.

Mme Catherine Troendle a indiqué que, pour ceux qui le concluent, la facilité d'engagement et de rupture du PACS constitue un de ses principaux intérêts. Cependant, elle a mis l'accent sur les risques auxquels s'exposent, parfois sans le savoir, les partenaires en cas de dissolution du pacte civil de solidarité, et elle a mis en garde contre le danger qu'il y aurait à confronter un enfant adopté à cette insécurité.

M. Laurent Béteille a fait valoir que la raison pour laquelle l'adoption conjointe est réservée aux couples mariés est la plus grande stabilité dont ils bénéficient. Il s'est interrogé sur le paradoxe consistant à traiter plus favorablement l'enfant adopté d'un couple non marié que l'enfant naturel du même couple.

En réponse à ces différentes interventions, Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, rapporteur, a précisé que la question du statut du beau-parent n'était pas étrangère au problème posé et qu'elle faisait partie des points soulevés par les associations qu'elle avait entendues. Appelant à prendre suffisamment la mesure de la situation d'un enfant adopté, qui a déjà connu une rupture dans sa filiation, elle a jugé nécessaire de lui apporter un surplus de protection. A cet égard, elle a regretté que la proposition de loi n'ait pas pris en compte l'intérêt de l'enfant.

Marquant son accord avec la position exprimée par M. Patrice Gélard sur l'adoption simple, elle a considéré que celle-ci, dans sa forme actuelle, était mal adaptée aux mineurs et qu'elle avait avant tout une destination successorale. Elle a estimé que cette question méritait un large débat.

Enfin, elle a indiqué que la proposition de loi visait en particulier la question de l'adoption par les couples homosexuels, les couples hétérosexuels ayant la possibilité de se marier s'ils souhaitent adopter ensemble un enfant et manifester ainsi leur engagement à son égard.

La commission a décidé de ne pas établir de texte. La proposition de loi sera débattue en séance publique sur la base du texte initial de la proposition de loi.