Mercredi 12 janvier 2011
- Présidence de M. Jean-Paul Emorine, président -Audition de M. René Ricol, commissaire général à l'investissement
M. Jean-Paul Emorine, président. - Monsieur Ricol, nous vous avions reçu comme médiateur du crédit. Aujourd'hui commissaire général à l'investissement, pouvez-vous nous présenter les perspectives ouvertes par le « grand emprunt » pour la relance économique ainsi que l'ensemble de votre action ? Votre rôle est essentiel dans la sélection des pôles de recherche et des pôles industriels.
M. René Ricol, commissaire général à l'investissement. - Notre pays traverse une crise et, comme tous les pays de la zone euro, subit des attaques financières. Interrogé par votre commission lorsque j'étais médiateur du crédit, je vous avais indiqué que la crise à mes yeux était loin d'être terminée et qu'il faudrait de longues années avant de parvenir à mettre au pas les spéculateurs.
La médiation du crédit a sauvé 220 000 emplois et ceux-ci ont aujourd'hui la même sinistralité que la moyenne des autres emplois dans notre pays. La médiation du crédit est périodiquement objet de débats, mais j'en suis un fervent défenseur pour cette raison. Elle ne consiste pas seulement à pousser les banques à accorder du crédit, mais à pousser les entreprises à améliorer leur gestion, éventuellement à changer de dirigeant, etc.
J'en viens au commissariat général à l'investissement (CGI). L'ouverture des crédits du « grand emprunt » a été réalisée et figure en exécution dans le déficit 2010. En pratique, l'Etat a isolé 35 milliards d'euros en son sein. Si, à travers la médiation du crédit, on cherche à sauver tout ce qui peut l'être, ici, en revanche, on sélectionne les projets les meilleurs, porteurs d'emplois dans le futur. Les 35 actions décidées représentent entre 100 millions d'euros et 8 milliards - pour les initiatives d'excellence. En juillet dernier, toutes les conventions qui nous lient avec les opérateurs ont été signées : nous avons gagné cinq mois sur le calendrier fixé par le Parlement.
Les conventions fixent le cadre dans lequel nous intervenons. Nous avons apporté quelques changements à la feuille de route initiale, ce qui nous écarte du cadre de la loi : au terme de subvention, j'ai voulu substituer celui de co-investissement et cela concerne l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME), les démonstrateurs et les énergies renouvelables, mais aussi bien d'autres domaines, les véhicules du futur par exemple. Nous ne voulons pas distribuer de subventions pures, afin de bénéficier d'un éventuel retour financier. En 2014, 2015 et 2016, nous aurons encore besoin de financer la modernité et serons dans une phase de restriction budgétaire. Le ministère de la culture lui-même a accepté que la numérisation des ouvrages de la Bibliothèque nationale de France (BNF), dès lors qu'elle évite aux utilisateurs de se rendre sur place - où ils ne peuvent photocopier des ouvrages entiers ! - donne lieu à la perception de sommes modiques. L'équivalent de quelques tickets de métro pour imprimer les livres consultés, ce n'est pas un effort insoutenable, mais un process vertueux, qui nous aide puissamment !
Sur la biomasse et les démonstrateurs, nous avons considérablement progressé. Des scientifiques brillants, accompagnés de parlementaires réputés et de représentants du monde socio-économique, nous ont présenté des projets fascinants. Cependant, nous les avons interrogés sur les retours financiers, et il n'y en avait pas réellement ; nous avons donc écarté ces projets.
Nous avons introduit cette notion de retour financier, donc de co-investissement, et je vous demande votre soutien sans réserve, car les industriels se livrent à un lobbying fou en faveur des subventions. Grâce à celles-ci, ils seraient en mesure de distribuer un peu plus de dividendes à leurs actionnaires, des fonds offshore généralement ; mais cela tuerait notre système. J'espère votre aide face à ceux qui viendraient se plaindre à vous ! Les discussions ont été vigoureuses, mais le Premier ministre nous soutient fermement.
Nous voulons bannir les mauvaises habitudes de gestion. C'est un autre élément que nous avons introduit dans les conventions. Nous allons lancer un fonds d'amorçage de 400 millions d'euros, pour intervenir au plus près des régions et du terrain. Mais nous avons posé une condition à la Caisse des dépôts et consignations (CDC) : nous refusons de financer des fonds dont les gestionnaires ne renonceraient pas, sur l'ensemble de l'activité, à leur carried interest - ils perçoivent généralement entre 20 et 25 % des dividendes.
Ces trente dernières années, on a fait des découvertes médicales formidables en France. On finance les quelques millions d'euros nécessaires pour pousser la recherche jusqu'au brevet. Puis on a l'obsession de vendre, car « un tient vaut mieux... ». Nous sommes prêts, pour notre part, à verser des bonus à ceux qui auront poussé le projet du dépôt de brevet jusqu'à l'industrialisation.
L'élaboration des conventions était achevée en juillet, toutes ont été publiées au Journal officiel avant le 31 décembre et les fonds sont à présent chez les opérateurs. S'ouvre désormais le deuxième temps, celui des appels à projets. La sélection se fera en plusieurs vagues : ce fut un sujet de discussion, mais nous sommes convaincus que c'est la meilleure solution.
Ce sont 8 milliards d'euros qui seront consacrés aux initiatives d'excellence. Décider d'un coup ne laisserait pas aux projets le temps parfois nécessaire à leur mûrissement. Certains pourtant de grande valeur seraient exclus, au profit d'autres déjà prêts mais qui présentent un intérêt moindre. La première vague de décisions sera achevée entre juillet et septembre prochains. Ces décisions, à la demande de la communauté universitaire, seront prises par des jurys internationaux. Lorsque nous les constituons, je demande aux services spécialisés de l'Etat de m'indiquer si la présence de tel ou tel représente un risque et je suis parfois conduit à rayer un nom. Quant aux décisions qui seront prises par les jurys, afin de ne pas décrédibiliser notre pays, je ne les remettrai pas en cause. Les projets sont nombreux, un travail incroyable est effectué dans les régions. Sauf cas exceptionnel, je n'écarterai pas les jurés internationaux choisis.
Les procédures de guichets uniques tels qu'OSEO sont bien sûr plus rapides : 750 contrats de développement participatif ont été conclus. La première sélection des projets concerne les équipements d'excellence. Nous sommes dans chaque cas sensibles aux perspectives d'emploi, emplois sauvés, créés ou à créer... Nous travaillons avec la Délégation interministérielle à l'aménagement du territoire et à l'attractivité régionale (DATAR) et les secrétaires généraux pour les affaires régionales (SGAR). Pour que le système tourne bien, trois partenaires doivent coordonner leurs efforts, le commissariat général, les préfectures - et le SGAR - et enfin les collectivités locales. Nos liens sur le terrain sont excellents.
M. Daniel Raoul. - Les scientifiques qui exerceront leur expertise n'auront pas un raisonnement d'aménagement du territoire : comment combiner les deux ? Comme universitaire, je comprends l'intérêt de cinq ou six grands équipements. Mais je crains que les grands campus et les initiatives d'excellence n'induisent pas une désertification de larges pans du territoire. Les collectivités ont beaucoup travaillé et investi pour soutenir le développement économique lié à l'innovation, à la recherche dite « appliquée », à l'enseignement supérieur, y compris dans les technopôles. Comment les initiatives d'excellence s'articuleront-elles avec l'aménagement du territoire ?
M. Hervé Maurey. - Quand le « grand emprunt » portera-t-il ses premiers fruits ? L'année 2010 a été celle de sa mise en place. Peut-on attendre des effets dès 2011 ? S'agissant du volet numérique, les règles ont été posées par l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep) et les services de l'Etat en 2010. Le volet A comprend 1 milliard d'euros de prêts aux opérateurs pour la couverture des différentes zones. Le volet B se monte à 750 millions d'euros, à distribuer aux collectivités locales. Quant au volet C, il a été annoncé un peu rapidement que les 250 millions correspondants financeraient le satellite ; on s'est ensuite rendu compte que le choix de la technologie retenue était un peu prématuré.
Six conventions ont été signées pour lancer les expérimentations. Peut-on espérer du concret en 2011 ? S'agira-t-il d'un dispositif de prêts ? Les opérateurs n'ont pas vraiment besoin de prêts ! Les 750 millions du volet B seront-ils suffisants ? Les fonds du volet C pourront-ils financer le soutien à la montée en débit ?
Outre les 2 milliards d'euros affectés aux infrastructures, il y aura aussi 2,5 milliards pour les contenus. Or les projets ne sont pas si nombreux. Peut-on dès lors imaginer un réexamen en fin d'année pour envisager une réaffectation possible au sein de l'enveloppe du numérique ?
M. François Patriat. - Je partage le souci de Daniel Raoul au sujet des initiatives d'excellence. Les projets cohérents, porteurs, sont présentés par des régions qui sont déjà en pole position. Dans des territoires plus éloignés - Bourgogne, Franche-Comté, Champagne-Ardenne, Lorraine - on se groupe, en espérant un accueil favorable de votre part, sinon dans la première vague, du moins à l'occasion de la deuxième. Dès maintenant, cette perspective stimule la démarche technopolitaine, depuis la détection et l'incubation jusqu'à l'intervention des fonds d'amorçage, en passant par les pépinières. Le but en est avant tout la création d'emplois innovants, dans la recherche académique ou privée ou dans d'autres domaines. La région Bourgogne a créé un millier d'emplois dans la filière éolienne, mais elle ne finance pas les projets économiquement non viables. La Franche-Comté, elle, développe un projet de génération électrique à partir du bois qui me paraît une hérésie, or il est aujourd'hui éligible !
Devant l'association des régions de France, vous avez évoqué l'amorçage. Pouvez-vous nous confirmer aujourd'hui que la CDC interviendra pour conforter les régions qui pratiquent l'amorçage au profit des filières que je viens d'évoquer ?
Enfin, sur le très haut débit, quelle est votre position aujourd'hui ?
M. Marcel Deneux. - Je vous félicite d'avoir instauré des règles de gestion nouvelles pour l'Etat. Quelles garanties a-t-on de leur pérennité ? Des règles de gouvernance complètent-elles cet avènement du co-investissement ? Comment les faire respecter dans la durée ? Sur quelles bases s'est déroulée l'émission du « grand emprunt » ? Quelle est la répercussion convention par convention ? Des grands axes prioritaires se dégagent déjà. Mais pouvez-vous indiquer comment se répartissent les 35 milliards d'euros entre grands secteurs ?
M. René Ricol. - L'aménagement du territoire est une question centrale, mais qui ne figure pas dans mes attributions ! Je gère des initiatives d'excellence, mais je vois bien les problèmes qui découleraient d'une concentration de toutes les initiatives à Paris, par exemple. Mon équipe comprend un préfet de région chargé de cet aspect. La Bretagne et les Pays-de-Loire ont réparti intelligemment sur leur territoire les équipements scolaires et universitaires. Ils se trouvent en conséquence disqualifiés lorsqu'il s'agit de créer des « campus d'excellence ». Voilà précisément pourquoi nous avons remplacé cette dénomination par les « initiatives d'excellence », qui ouvrent le jeu aux régions que vous avez citées. Nous travaillons en collaboration étroite avec la Datar et son nouveau délégué. J'ajoute que si je devais faire une seule exception au respect des décisions prises par les jurys internationaux en matière d'équipements d'excellence, ce serait pour préserver notre souci de l'aménagement du territoire. Et c'est du reste un signal que nous donnerons peut-être dans quelques jours. Un classement sera produit par les jurys. Nous ne pouvons l'ignorer - vous connaissez les universitaires et vous n'imaginez donc pas qu'ils l'accepteraient sans broncher - mais entre deux projets, premier chacun dans leur groupe, celui qui favorise l'aménagement du territoire aura notre préférence.
Il nous faudra, entre juillet et septembre prochains je pense, effectuer un « arrêt sur image », pour faire le point. Les projets sont plus nombreux que ce à quoi nous nous attendions, et de qualité supérieure ! La chose est particulièrement notable pour les instituts de recherche technologique (IRT) et les instituts hospitalo-universitaires (IHU). Nous avons aidé les porteurs de projet et encouragé des regroupements. Je ne regretterai jamais d'avoir demandé un examen par vagues.
Je suis bien incapable de chiffrer les fruits à attendre de nos investissements sur la croissance ; je suis expert-comptable, pas économiste. D'ores et déjà, nous influons sur les organes de recherche, instillant l'obsession des applications de la recherche et faisant découvrir aux intéressés que la gestion n'est pas une préoccupation absurde ! Qu'ils puissent mettre en avant la création de trois start-up ne m'impressionne pas : il s'en est créé 30 000 en trente ans aux Etats-Unis, et seulement trois ont connu un succès considérable. Ce qu'il ne faudrait pas rater, c'est le saut technologique sur le photovoltaïque, qu'on doit au Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) à Grenoble.
Nous encourageons OSEO, lorsqu'il est saisi de demandes d'aides par des très petites (TPE) ou moyennes (PME) entreprises du même secteur, à suggérer une fusion ; sinon, nous ne constituerons jamais de groupes solides. Expert-comptable depuis trente ans, j'estime que la société civile immobilière (SCI) est un poison à ce sujet. Souvent, l'usine n'est pas la propriété de l'entreprise, mais d'une SCI dont les actionnaires sont le dirigeant et ses enfants. Ils s'opposent à toute fusion par crainte d'une délocalisation de l'usine. Je déplore cette mauvaise maladie française qui est de croire plus en la pierre qu'en l'entreprise. OSEO ne respecte pas vraiment la demande que nous lui avons faite de demander une fusion en cas d'aides sollicitées au titre de projets identiques par des entreprises du même secteur - quitte à organiser l'équité fiscale pour les actionnaires des SCI.
J'en viens au développement du numérique. Il a été décidé un peu vite que les 250 millions d'euros iraient au satellite. Ce n'était pas du reste ce que vous aviez voté. Mais les projets présentés en ce domaine ne nous ont pas paru impressionnants. Nos interlocuteurs prétendaient couvrir, avec un budget de 250 millions d'euros, 20 % des zones désertiques, mais en réalité ils ne couvraient que 10 % de ces 20 %, et pendant quinze ans seulement ! Aussi nous avons refusé.
Sept expérimentations nous ont formés à comprendre ce que l'on nous dit. Je crois à présent qu'il n'est pas dans nos moyens de nous doter du très haut débit partout. Nous avons besoin de schémas directeurs sur lesquels puissent s'accorder les acteurs nationaux et régionaux, et les opérateurs, réservant le très haut débit aux zones d'activité, aux écoles, aux universités ; le « haut débit + » me semble suffisant pour les autres utilisateurs, et a le mérite d'emprunter les réseaux existants, en cuivre. Du reste, avant de se préoccuper du « haut débit + », il faudrait résoudre les lacunes du haut débit « tout court », faute de quoi, dans peu de temps, nombre de personnes âgées ne pourront plus regarder la télévision... Il convient d'élaborer un plan directeur en fonction de ce que nous pouvons faire sur les circuits d'avenir. Et de déterminer les responsabilités de chacun. Les opérateurs ont-ils besoin d'un milliard d'euros ? Nous voulons d'abord les réunir. Et comprendre pourquoi, par exemple, les boîtiers doivent contenir quatre sorties, une par opérateur. Et si un cinquième arrive, on greffera quelque chose en plus ! Je leur demanderai pourquoi ne pas utiliser un seul câble. Un important travail de préparation technique a déjà été conduit avec la Secrétaire d'Etat à l'économie numérique, devenue depuis numéro quatre du Gouvernement.
J'attends aujourd'hui de savoir combien coûtera l'implantation sur le territoire du très haut débit et du « haut débit + ». Je pourrai alors évaluer les montants à la charge de l'Etat, des régions, des autres collectivités et des opérateurs.
Sur le projet global, nous sommes fondamentalement d'accord. Comme nous voulions valoriser la recherche au plus près des universités, nous avons monté des sociétés par actions simplifiées (SAS) et avons alors eu du mal à intégrer les régions. C'est pourquoi j'ai surtout parlé de l'amorçage, phase où, pour ne pas répéter la même erreur, nous tenterons d'intégrer les régions à chaque fois qu'elles sont d'accord et que les collaborateurs du fonds d'amorçage acceptent nos règles.
Les garanties des règles du jeu doivent être posées. Il s'agit tout de même de 35 milliards d'euros ! Bien sûr, certains nous en ont voulu; bien sûr, il y a eu des réactions ; mais des points d'entente se dessinent. Il semble qu'il y ait aujourd'hui un accord unanime ; nous travaillons avec tous et tentons d'avancer du mieux que nous pouvons. Concernant par exemple Frédéric Mitterrand, ministre de la culture, je n'ai pas une ligne à changer aujourd'hui à ses déclarations. Car si nous dépensons tout d'un seul coup, nous n'aurons plus rien dans cinq ans. Et aucun responsable politique ne pourra alors consacrer 35 milliards d'euros à des investissements d'avenir. Notre chance est que le Président de la République ait eu cette idée il y a un an et demi. Aujourd'hui, nous ne pourrions plus la lancer : tous les spéculateurs fondraient sur la France. Alors, ne gâchons pas ces 35 milliards ! Je voulais que ce soit géré par un commissariat général et non un ministère, pour pouvoir travailler de façon républicaine, ensemble : sur le terrain, il n'y a plus de partis politiques, tout le monde est d'accord.
M. Michel Teston. - Pour l'attribution des crédits du « grand emprunt », vous avez décidé ne pas accorder de subventions pures, au motif qu'il faut disposer de retours financiers pour continuer à financer la modernité. Si on applique ce principe au très haut débit, comment cela se passera-t-il ? Deux milliards étaient prévus, essentiellement pour les zones moyennement ou très peu denses. Sachant que les collectivités locales seront, une fois de plus, fortement sollicitées, comment envisagez-vous ces montages juridiques et financiers, en l'absence de subventions pures ?
M. Bruno Retailleau. - Malgré vos déplacements et vos efforts, le sujet du grand emprunt est encore trop parisien et l'information a beaucoup de mal à redescendre vers les territoires. Je pense notamment au dispositif que gèrera OSEO en direction des PME et des entreprises de taille intermédiaire.
Lyautey disait : « Seule l'inaction est infamante ». Sur le très haut débit, il va falloir passer à l'action et je vous remercie d'avoir sélectionné six ou sept projets en zones très peu denses. Mais quels seront les critères de sélection ? Car nous avons deux fonds : le fonds national pour la société numérique (FSN), que vous gérez, et le fonds d'aménagement numérique du territoire (FANT), à gestion paritaire, créé par la loi du 17 décembre 2009 relative à la lutte contre la fracture numérique, dite « loi Pintat ». Qui décidera au final ? Ces deux fonds auront-ils des critères différents ? En tout état de cause, aucune subvention ne devra aller à un projet qui ne s'inscrirait pas dans un schéma directeur général. Il ne faut ni doublon, ni gaspillage.
M. Bruno Sido. - J'approuve tout à fait vos choix du co-investissement et du retour financier nécessaire plutôt que de la subvention. Si ce « grand emprunt » n'avait pas été fait il y a 18 mois, il ne le serait pas aujourd'hui et les temps seront durs demain ; il n'est donc pas question de gâcher ces 35 milliards.
Avez-vous déjà les premiers résultats des évaluations dont vous êtes chargé ? Où en est la mise en place du fonds national d'amorçage destiné à soutenir les sociétés innovantes ?
Dans le cadre du « Grenelle de l'environnement », nous avons affirmé la volonté de la France de développer les biocarburants de deuxième génération. Le CEA a le projet de transformer le bois en kérosène et en naphte. C'est un projet construit et porteur d'avenir : il s'agit de l'indépendance énergétique de la France ! Ce projet semble pourtant se heurter à un problème de tour de table parce que sa rentabilité immédiate n'est pas prouvée. Dans les jurys qui sélectionnent et choisissent les projets, le critère de l'avenir de la France et de son indépendance à moyen et long termes sont-il pris en compte ? Ainsi que le caractère non délocalisable des emplois ? M. Bernard Bigot, administrateur général du CEA, nous expliquait que, si on avait parlé rentabilité au moment où le Gouvernement français avait décidé de développer une industrie nucléaire, celle-ci n'aurait jamais vu le jour. Aujourd'hui, sommes-nous capables de prendre la hauteur suffisante pour sélectionner des projets, certes porteurs d'avenir, mais seulement à moyen et long termes ?
M. Marc Daunis. - Je ne reviendrai pas sur la nécessaire consolidation de la démarche technopolitaine, mais je vous alerte sur le danger qu'il y aurait, après avoir fait un effort en un lieu et à un moment donnés, à passer à un autre projet, délaissant toute démarche de fond. Le risque est celui d'un « zapping territorial ».
Vous vous êtes à plusieurs reprises présenté comme comptable des deniers publics. Certes, mais votre rôle de commissaire général à l'investissement renvoie forcément à des stratégies - la politique industrielle de la France par rapport à l'Europe, la capacité d'ouverture de nos PME à l'international ou encore l'aspect d'aménagement du territoire de ces projets. Ces stratégies sont-elles suffisamment lisibles pour permettre au comptable que vous êtes d'avoir les choix les plus éclairés ?
Avec mon collègue Michel Houel, nous avons rédigé un rapport sur les pôles de compétitivité, où nous proposions la mobilisation des PME. Est-ce vraiment stratégique ? Nous recommandions également une meilleure articulation avec les régions. Dans votre pratique, comment jugez-vous cette articulation ? Est-elle suffisante ?
M. René Ricol. - Dans les textes votés par le Parlement, les subventions s'élevaient à 10 milliards. Nous avons banni ce terme de « subventions ». Cela signifie que nous allons gagner 60 % de la mise. D'ores et déjà, nous avons gagné 5 à 6 millions, mais nous savons bien que nous serons obligés, ça ou là, d'accorder des subventions.
Sur le développement du numérique : pourquoi faisons-nous des expérimentations ? Pour comprendre comment cela peut marcher. Après ces expérimentations, je n'exclus pas que nous passions des accords avec les opérateurs et que nous acceptions de perdre de l'argent dans des co-investissements. La zone - 1, 2 ou 3 - est un critère auquel je ne crois plus : il y a des zones 3 à Paris et des zones 1 en milieu rural ! L'expérimentation permettra d'élaborer un schéma directeur, puis nous discuterons avec les opérateurs. Certains viennent nous demander de financer du cloud computing ; on peut leur demander en contrepartie de faire plus d'efforts dans certaines zones. Nous faisons jouer à fond tous nos effets de leviers. Nous négocions. Au final, nous donnerons sans doute de l'argent aux collectivités, directement ou en co-investissement.
M. Benoit Loutrel, directeur du programme numérique du CGI. - Pour le numérique, vous avez deux fonds d'investissement. D'abord, le FSN, doté de 2 milliards pour le très haut débit - dont 1 milliard en prêt pour les opérateurs télécom, 750 millions pour les projets des collectivités territoriales et 250 millions dont nous sommes en train de décider l'affectation. Ensuite, le FANT, institué par la « loi Pintat » précitée. Il y aura une procédure unique et les deux fonds vont se succéder. Le FSN, déjà doté, a de quoi financer les projets pendant plusieurs années. Le FANT lui succèdera mais on l'associera dès le début aux prises de décision du FSN pour que la continuité soit parfaite. Dans les deux cas, les fonds sont gérés par la CDC, où sont présentés les dossiers.
M. René Ricol. - Pour l'instant, nous travaillons avec l'Agence nationale pour la recherche (ANR) et l'ADEME pour leur proposer systématiquement des procédures d'évaluation et nous avons recruté une personne spécifique, M. Jean-Louis Levet, pour élaborer de telles procédures.
Sur le fonds national d'amorçage, nous finissons de négocier avec Bruxelles ; cela se passe bien et les premiers fonds seront sélectionnés en mars.
S'agissant des biocarburants, il est nécessaire d'avoir un démonstrateur qui détermine à partir de quel prix du baril de pétrole on lance des formules alternatives. Pour la première fois dans l'Histoire, les forêts ne s'étendent plus et les industriels du bois se heurtent déjà à un problème de raréfaction. Nous sommes pour le démonstrateur mais, plutôt que d'en avoir un de très grand format, nous pourrions, pour le même prix, en faire trois ou quatre sur des technologies différentes.
En tout état de cause, pour les populations qui subissent les inconvénients de l'enfouissement des déchets radioactifs, des engagements de contrepartie ont été pris et ils seront tenus.
Nous mettons en place les procédures de suivi de façon à ne pas être critiquables, demain, par la Cour des comptes par exemple.
Pour la détermination de nos stratégies, nous nous sommes dotés, contre vents et marées, de comités consultatifs dans tous les grands secteurs d'activité. Ces comités, dont on ne parle jamais, sont composés de gens compétents qui complètent notre réflexion. Et on élimine là tout conflit d'intérêt : quand quelqu'un est en situation de conflit, il s'en va.
La question des PME est devenue pour nous quasi obsessionnelle. C'est la deuxième fois - après Édith Cresson - qu'on crée des liens entre politiques et socioprofessionnels, et cela fonctionne plutôt bien. La médiation du crédit a permis de réaliser, à ma demande, la médiation de la sous-traitance, laquelle permet à certaines PME de mieux se porter. Nous avons bien entendu maintenu les liens de ces deux médiations avec le CGI. Les PME sont au centre de nos préoccupations et les relations avec les régions sont permanentes. Le plus bel exemple en est ce que nous avons réalisé à Montpellier, toutes tendances confondues.
Dans la phase actuelle, nous mangeons notre pain blanc car, lorsque les décisions tomberont, il faudra non pas tant gérer les déçus qu'éviter les pertes de valeur. J'en veux pour exemple les IHU et IRT. Il y a des projets extraordinaires, que les jurys ne retiendront pas : ce n'est pas l'argent qui leur manquera le plus, c'est le label. Cela me préoccupe et nous y réfléchirons après la première vague. Il y des personnes qu'on pourra rebasculer sur un appel à projets « Laboratoires d'excellence » (Labex). D'où l'intérêt pour la deuxième vague. Trois Labex rapportent quelquefois davantage qu'un IRT.
M. Jean-Jacques Mirassou. - Vous avez dit que vous vous sentiez fondamentalement comptable, alors que tout votre propos a été politique. Ce n'est pas un reproche. Envisager la substitution des actuelles énergies par les énergies du futur, c'est éminemment politique. Expliquer que sur l'IHU de Toulouse, on est capable de prendre en compte le devenir des gens en fin de vie, c'est traiter d'un sujet sociétal, donc politique.
Reste que tous les modes de financement évoqués constituent un maquis difficilement compréhensible pour le commun des mortels, et que toutes les parties prenantes devraient faire un effort de vulgarisation. D'autant que, même s'il y a coresponsabilité, en cas de refus du projet, celui qui, en dernier ressort, sera considéré comme responsable, c'est l'élu local. Raison de plus d'expliquer ces mécanismes de financement.
M. René Ricol. - Tout à fait d'accord.
M. Jean-Paul Emorine, président. - Maintenant, Monsieur Mirassou, vous faites partie des initiés : nous comptons donc sur vous pour informer sur la mise en oeuvre du « grand emprunt ».
M. Dominique Braye. - Merci de cet exposé qui nous a rassurés. Nous constatons que le robinet n'est pas grand ouvert, mais que le contrôle est sérieux. En tant que président de l'Agence nationale de l'habitat (ANAH), je me réjouis du programme « habiter mieux » sur la rénovation énergétique. Il ne peut être mis en oeuvre que grâce à un cofinancement de 500 millions au titre des investissements d'avenir et de 750 millions de l'Agence. J'appelle l'attention des collègues des territoires ruraux sur ce programme, destiné aux propriétaires occupants les plus modestes - revenus inférieurs à 50 % du plafond PLUS. Nous avons ainsi signé dans le Bas-Rhin un contrat local d'engagement qui permet à ces propriétaires de voir leurs travaux totalement financés. Le but n'est pas de faire passer leur logement de la note G à A mais, à partir d'une enveloppe optimisée, d'effectuer les travaux les plus pertinents pour diminuer au maximum la facture énergétique. Je vous remercie de permettre à 300 000 foyers, d'ici 2017, d'améliorer leur confort tout en diminuant leur facture énergétique.
M. René Ricol. - En effet, nous avons fait ensemble un excellent travail et nous en surveillerons ensemble les suites, car il ne faudrait pas que ceux qui font les diagnostics ou les travaux en profitent pour en tirer un bénéfice excessif. Nous discutons avec la chambre des métiers car il ne serait pas scandaleux que les artisans s'engagent à employer quelques centaines d'apprentis supplémentaires.
Les investissements se feront dans les cinq à sept ans qui viennent ; il faut donc les gérer de façon dépolitisée.
Il y aura des déçus. Mais je me suis aperçu qu'aujourd'hui les universitaires sont habitués aux refus et ne les vivent pas si mal. Ce qui m'importe davantage, vu la qualité des projets, c'est que nous ne détruisions pas de la valeur. C'est pourquoi nous ferons une sorte d'« arrêt sur image » après la première vague d'appels à projets. Les discussions entre chercheurs, universitaires et industriels sont passionnantes. Il ne faudrait pas que ce bouillonnement retombe.
M. Jean-Paul Emorine, président. - Merci d'être venu devant notre commission. Merci pour votre clairvoyance et pour un pragmatisme qui correspond bien à la philosophie de cette commission. Nous nous reverrons sans doute prochainement pour suivre la mise en oeuvre de ces « investissements d'avenir ».
Nomination d'un rapporteur
M. Jean-Paul Emorine, président. - Nous devons maintenant nommer un rapporteur, sous réserve de son adoption, sur la proposition de résolution européenne, présentée au nom de la commission des affaires européennes, sur la proposition de directive E 4026, relative aux droits des consommateurs. Je propose la candidature de Gérard Cornu.
Il en est ainsi décidé.
Avis sur une candidature à la présidence du Conseil d'administration de La Poste - Résultat du scrutin
M. Jean-Paul Emorine, président. - En application du 5ème alinéa de l'article 13 de la Constitution, nous avons auditionné, le 21 décembre 2010, M. Jean-Paul Bailly, candidat aux fonctions de président du conseil d'administration de La Poste. A l'issue de cette audition, le scrutin s'est déroulé à bulletin secret et sans délégation de vote. Le dépouillement a eu lieu, au Sénat comme à l'Assemblée nationale, le 21 décembre au soir. Notre commission a voté en faveur de M. Bailly par 12 voix contre 4. Ce résultat a été transmis au président du Sénat. Nos collègues de la commission de l'économie de l'Assemblée ont également élu M. Bailly par 11 voix, l'opposition n'ayant pas participé au vote.
M. Daniel Raoul. - En réalité, à titre personnel, j'aurais préféré ne pas participer au vote pour la présidence d'une structure que mon groupe politique n'accepte pas. Ni la personne ni les compétences de M. Jean-Paul Bailly ne sont en cause.