Mardi 12 novembre 2013
- Présidence de M. Daniel Raoul, président -Loi de finances pour 2014 - Audition de M. Guillaume Garot, ministre délégué auprès du ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, chargé de l'agroalimentaire
La commission procède à l'audition de M. Guillaume Garot, ministre délégué auprès du ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, chargé de l'agroalimentaire, sur le projet de loi de finances pour 2014.
M. Daniel Raoul. - Nous vous recevons, Monsieur le Ministre, à l'occasion de l'examen du projet de loi de finances pour 2014, pour faire le point sur la politique menée par le Gouvernement en matière d'industrie agroalimentaire. Ce secteur constitue l'un des fleurons de l'économie française avec un chiffre d'affaires de 161 milliards d'euros, près de 500 000 salariés employés par 13 500 entreprises, et une contribution positive au commerce extérieur de près de 9 milliards d'euros. Il apporte également une contribution intéressante au maillage du territoire.
Vous nous rappellerez les orientations stratégiques de votre politique, centrée sur une logique de filières. Au-delà, les crises régionales ou sectorielles conduisent à nous interroger sur la « durabilité » du modèle économique de cette industrie et sur les évolutions de fond à mettre en oeuvre pour que ce secteur conserve son rôle de leader. La France a, j'en suis persuadé, tous les atouts pour y parvenir à travers la diversité et la richesse de ses ressources naturelles et de ses productions agricoles de qualité. L'étape de la transformation est cruciale pour intégrer de la valeur ajoutée, peut-être en revenant sur la recherche systématique de baisse des prix des produits alimentaires. Il faut des propositions ambitieuses pour adapter ce modèle économique.
M. Guillaume Garot, ministre délégué auprès du ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, chargé de l'agroalimentaire. - Il y a un an, je suis venu exposer devant vous les grandes options de notre politique de développement de l'agroalimentaire. Je reviens faire le point avec vous sur ce que nous avons obtenu en matière de compétitivité, d'emploi et de qualité alimentaire, et ce qui reste à faire pour remplir les grands objectifs que nous avions énoncés.
Le 19 juin dernier, nous avons établi un contrat de filière, feuille de route écrite en commun avec les entreprises dans le cadre des Assises pour l'avenir de l'agroalimentaire qui se sont tenues dans les territoires au cours de l'hiver dernier, ainsi qu'avec les collectivités. Ce contrat de filière a retenu des objectifs que j'exposerai en trois points principaux.
Premier point : la compétitivité de nos entreprises. Elle se joue sur le facteur coût mais aussi sur la capacité à investir, à innover et enfin à exporter.
Les crises sont aussi des crises de sous-investissement. Le Gouvernement a créé la Banque publique d'investissement (BPI) et j'ai plaidé pour qu'un dossier relevant de l'industrie agroalimentaire fasse l'objet d'un traitement spécifique. L'encours total des prêts de BPI-France pour le financement des entreprises de l'agroalimentaire, toutes régions confondues, est aujourd'hui de 600 millions d'euros, qui doivent être tournés vers la modernisation de l'outil de production.
S'agissant de l'innovation, nous savons que la montée en gamme est la clé de la compétitivité des entreprises. Dans le cadre du programme des investissements d'avenir (PIA), nous avons fait en sorte que l'agroalimentaire soit également pris en compte : 2,9 milliards d'euros seront disponibles en particulier, mais non uniquement, pour les entreprises agroalimentaires. Mais le tissu de l'agroalimentaire se distingue de l'automobile, où les opérateurs innovants sont peu nombreux. Nous voulons mobiliser aussi bien les crédits de la recherche publique et privée autour de grands objectifs structurants : l'alimentation fonctionnelle, celle qui est adaptée par exemple aux sportifs ou aux seniors ; l'emballage intelligent, qui conserve les aliments plus longtemps et apporte des indications supplémentaires, source de compétitivité à l'export ; l'abattoir du futur, à la fois plus productif et respectueux des exigences sanitaires tout en améliorant la qualité du travail des salariés.
La compétitivité dépend aussi de l'exportation. Nous exportons aujourd'hui un milliard d'euros de plus qu'en novembre 2012 et l'excédent commercial a augmenté d'un milliard également. Certains secteurs se portent bien : vins, produits laitiers et céréales, mais il y a de vraies marges de progression sur les autres. Quel doit être le travail de l'État ? Nous avons avancé sur l'ouverture des marchés : le Japon s'est ouvert à la viande de boeuf et la Corée à la charcuterie de porc française. L'Asie est une priorité pour le ministère.
Encore faut-il que les entreprises soient prêtes à exporter. Il faut donc rapprocher Ubifrance et Sopexa : le processus est en cours pour mutualiser les moyens et mettre en commun les stratégies. Il faut aussi mobiliser les entreprises sur les territoires : notre programme de soutien à l'export pour 250 petites et moyennes entreprises (PME) et entreprises de taille intermédiaire (ETI) doit accompagner ces entreprises du lieu de production au magasin du pays considéré. Il faut aussi développer une culture de l'export en France : nous organisons des séances de formation communes pour les entreprises et les services de l'État.
Deuxième point : l'emploi. Nous veillons à suivre en permanence les entreprises qui connaissent des difficultés en anticipant le plus possible, de manière à les accompagner avant qu'il ne soit trop tard.
Le groupe Doux était en dépôt de bilan en juin 2012 et, au mois d'août, l'hypothèse de la liquidation du pôle « frais » était envisagée. Nous avons sauvé la filière avicole sur la région Centre. 850 emplois ont été préservés sur 1 500 grâce à cette action. Toutefois, le site de Pleucadec a été fermé. Nous veillons à consolider la position du groupe comme opérateur de la filière grand export ; un plan de continuation sera présenté à la fin du mois au tribunal de grande instance de Quimper. S'agissant du groupe Gad, la fermeture du site de Lampaul-Guimiliau a été annoncée. Il faut préserver cet opérateur à travers ses autres activités, notamment sur le site de Josselin.
Un accord interbranches sans précédent par son ampleur a été signé au mois d'octobre pour la filière alimentaire sur la question de l'emploi et de la mise en oeuvre du contrat de génération. 90 000 embauches sont prévues d'ici à 2016 ; 30 000 seront réservées à des jeunes, ce qui permettra d'actionner le contrat de génération. Grâce à la mobilisation des entreprises, 150 000 jeunes pourront accéder à un contrat en alternance dans la filière.
Troisième point : la qualité alimentaire. Par-delà l'affaire de la viande de cheval, un doute permanent s'est installé concernant la qualité des aliments. Nous sommes en train de mettre au point, avec les entreprises, des engagements qui permettront l'amélioration de la qualité. Par exemple, les boulangers prennent un engagement sur la réduction de la teneur en sel, qui passera de 22 grammes par kilogramme de farine à 18,5 grammes.
M. Alain Chatillon. - J'ai fait cela pendant quarante ans de ma vie. Le problème est qu'on a, face à l'industrie agroalimentaire, une industrie pharmaceutique. Il faudrait d'abord régler le problème des allégations avant de réformer l'industrie agroalimentaire.
M. Guillaume Garot, ministre délégué. - Cet engagement des boulangers est un vrai progrès. Le même travail est en cours pour la charcuterie, pour les boissons rafraichissantes. Le pacte qualité alimentaire concernera sept familles alimentaires d'ici à la fin de l'année ou au début de l'année prochaine.
Après avoir fait ce bilan, je tracerai trois directions de travail pour l'avenir.
Pour consolider nos filières, il faut continuer à avancer sur la filière grand export, mais aussi sur la filière porc : celle-ci, comme la filière volaille, a un besoin patent de structuration, qui doit être organisée par les professionnels.
En deuxième lieu, le dumping social existe en Europe : la directive sur le détachement des travailleurs est utilisée abusivement. Michel Sapin portera la voix de la France sur cette question au Conseil européen du mois de décembre.
Enfin, les relations entre les producteurs, les transformateurs et la grande distribution sont conflictuelles en France, alors qu'elles ne le sont pas en Grande-Bretagne et en Allemagne. Nous avons posé les premières pierres d'un nouveau modèle de régulation dans le projet de loi relatif à la consommation. C'est un enjeu majeur afin de soutenir l'appareil de production et la compétitivité des entreprises, de manière à corriger les effets négatifs de la loi de modernisation de l'économie (LME).
La filière alimentaire reste une grande filière. Elle doit être demain un fleuron industriel pour notre pays.
Mme Renée Nicoux. - Je vous remercie pour la qualité et la précision de votre présentation. Avec une contribution positive de 9 milliards d'euros à notre commerce extérieur, les industries agroalimentaires occupent une place privilégiée dans notre économie. Avec 36 milliards d'euros de valeur ajoutée produite et près de 500 000 emplois, ce secteur contribue pleinement à la vitalité économique de nos territoires puisque ses entreprises se situent dans l'ensemble des régions. L'agroalimentaire fait ainsi l'objet de toute notre attention mais aussi de notre inquiétude. Il n'y a pas si longtemps, la France était à la première place européenne dans de nombreuses filières. Or, aujourd'hui, notre pays est rattrapé voire dépassé par l'Allemagne, les Pays-Bas, et d'autres. Certains de nos concurrents européens pratiquent le dumping social dans l'agroalimentaire. Comment faire face à ce phénomène ? Une réponse en termes de compétitivité est apportée par le crédit d'impôt compétitivité emploi (CICE). À quel niveau les entreprises de l'agroalimentaire bénéficient-elles de ce dispositif ? En Bretagne, l'agroalimentaire est en difficultés, avec des fermetures d'entreprises, des licenciements, un vieillissement de l'outil de production. Certains industriels n'ont pas modernisé leur outil de travail et ont leur part de responsabilité. Je souligne que l'État n'est pas resté inactif face aux difficultés des industries agroalimentaires. La signature du contrat de filière alimentaire le 19 juin 2013 en est la preuve. Pouvez-vous préciser le contenu du volet export de ce contrat et préciser comment se décline l'enveloppe de 100 millions d'euros sur trois ans prévue ? Enfin, dans le secteur de la volaille, plutôt que de privilégier l'export et les bas coûts, encouragés par des restitutions aux exportations, ne peut-on pas monter en qualité ?
M. Alain Chatillon. - Je vous avais reçu à Toulouse pour la visite du pôle de compétitivité, Monsieur le ministre, et je souhaite encore attirer votre attention sur quelques enjeux majeurs pour l'agroalimentaire. Les médecins sont formés à la nutrition à travers deux heures de cours par semaine durant leurs deux dernières années d'étude tandis que les vétérinaires suivent huit heures de cours par semaine durant tout leur cursus. Sur le plan de la nutrition, les vétérinaires sont mieux outillés que les médecins. Notre médecine est ainsi axée sur les produits durs, à l'inverse de ce que l'on observe dans les autres pays européen, en Asie ou aux États-Unis. Il serait bon que nous puissions relever le défi de la prévention des maladies par l'alimentaire. Lorsque j'ai sorti les premiers produits pour sportifs en 1978, étaient intégrés dans ces produits du magnésium, après avoir étudié les effets du magnésium sur le muscle pendant trois ans. Aucune étude n'avait été faite sur les produits vendus en pharmacie. Je déplore que l'on ne puisse pas communiquer, non pas sur les propriétés thérapeutiques, mais sur le confort alimentaire apporté par les produits nutritionnels, alors que les laboratoires pharmaceutiques peuvent le faire.
La question de la compétitivité peut être travaillée dans le cadre des pôles de compétitivité. On peut gagner 5 à 6 points de valeur ajoutée sur les produits par l'innovation. Mais l'enjeu essentiel est de regrouper des PME pour en faire des ETI. Nous en avons quatre fois moins qu'en Allemagne, et elles génèrent 12 à 14 % de valeur ajoutée en moins.
Ensuite, il me paraît indispensable de régler la question des relations entre industrie et grande distribution. Cinq distributeurs assurent 80 % du marché de l'alimentation. La LME a supprimé les marges arrière, qui ont été immédiatement remplacées par de nouvelles pratiques, comme la demande de livraison de quantités gratuites. Il faut réellement modifier la LME.
Enfin, il est nécessaire de mener un combat contre le dumping social. Les abattoirs allemands assurent l'abattage de bêtes venant du Nord de la France avec des salariés payés 500 euros pour 45 heures de travail. Un combat plus dur doit être mené, au nom de l'équité.
Je termine en déplorant que nous combattions sur les marchés internationaux avec un euro surévalué, qui pèse négativement sur notre compétitivité.
M. Daniel Raoul, président. - Sur les regroupements de PME pour créer des ETI, nous aurions pu aller plus loin dans la loi relative à l'économie sociale et solidaire, car ces regroupements sont possibles lors des transmissions.
M. Alain Chatillon. - J'avais proposé une facilité fiscale qui n'a pas été retenue.
M. Daniel Raoul, président. - Concernant la LME, nous aurons toujours un temps de retard dans les dispositifs législatifs mis en place pour réguler les relations entre distributeurs et leurs fournisseurs, même si nous essayons sans cesse de les renforcer, comme récemment dans le projet de loi relatif à la consommation. Les distributeurs développent des stratégies de contournement.
M. Michel Bécot. - Vous avez, Monsieur le Ministre, le souci de bien faire. Mais aujourd'hui, dans notre pays, il est impossible de créer de nouveaux bâtiments d'élevage, en particulier en volaille et en porc. Dans le nord des Deux-Sèvres, les industries de transformation de volaille représentent 3 000 emplois. Dans ma commune, l'abattoir emploie 500 personnes. Or, les industriels sont en manque de matière première. Ils ne trouvent plus suffisamment de dindes et les abattoirs ne tournent plus à leur maximum, car on ne peut plus construire de bâtiments d'élevage. C'est la conséquence du Grenelle de l'environnement. Ensuite, l'arsenal réglementaire a été renforcé à l'excès. J'ai appris récemment que les bâtiments industriels devaient être dotés un dispositif de retraitement des eaux utilisées pour la lutte contre un éventuel incendie, ce qui peut coûter jusqu'à 100 000 euros pour les seuls frais d'étude. Enfin, nos difficultés à l'export sont importantes. Nous avons besoin dans les ambassades de recruter des jeunes qui sortent des écoles de commerce et qui connaissent les milieux économiques. Quand nos groupes d'amitié font des déplacements, pourquoi n'emmènerions pas avec nous, à leurs frais, des chefs d'entreprises ? Cela ne coûtera rien mais pourrait les aider à l'export par les contacts qu'ils pourraient nouer sur place.
M. Roland Courteau. - Élu du département de l'Aude, j'ai été aux premières loges pour mesurer les conséquences du scandale de la viande de cheval. La sécurité alimentaire est une priorité des français et le programme n° 206 consacré à la sécurité et qualité sanitaires de l'alimentation est exemplaire en préservant les crédits et en recherchant la plus grande efficacité de notre administration dans ce domaine. Le travail de la direction générale de l'alimentation (DGAl) et de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) étant primordial, pouvez-vous nous confirmer qu'elles ne subiront pas de baisses d'effectifs pour 2014 et pour 2015 ? En outre, nous réalisons une bonne part de notre excédent commercial dans le secteur agroalimentaire grâce au secteur viticole. La consommation mondiale de vin est en augmentation régulière. Il y a des parts de marché à maintenir ou à conquérir. Les pays du nouveau monde ou l'Espagne effectuent un travail de promotion en Europe du Nord, en Russie, en Chine, bref, partout où la consommation progresse. Ne faudrait-il pas que la France, compte tenu de ses atouts en viticulture, renforce son action de promotion à l'étranger dans ce secteur, mais aussi à l'intérieur de nos frontières où la consommation ne cesse de baisser ?
M. Gérard César. - Où en est le rapprochement entre Ubifrance et la Sopexa ? Quel en est le calendrier et quelles en sont les modalités ? Quel rôle envisager pour les régions, les chambres d'agriculture, les chambres de commerce, dans la promotion des exportations ? Beaucoup d'acteurs interviennent mais le saupoudrage ne génère pas forcément une importante force de frappe. Je souligne que le volontariat international en entreprise (VIE) joue un rôle important de soutien à l'export.
Quelles suites ont été données au rapport du Sénat sur la situation de la filière viande ? Je rends hommage aux enquêteurs de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) qui sont particulièrement efficaces.
Quel bilan, enfin, peut-on tirer de la création de l'ANSES, fruit de la fusion réalisée en 2010 de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA) et de l'Agence française de sécurité sanitaire de l'environnement et du travail (AFSET) ?
M. Yannick Vaugrenard. - Il y a quelques années, nous avons perdu la bataille du textile. Ne perdons pas la bataille de l'agroalimentaire. Nous disposons d'atouts que nous n'avions pas dans le textile. Le premier d'entre eux est la sécurité alimentaire. Nous devons renforcer les normes d'étiquetage. Et n'hésitons pas à parler de patriotisme alimentaire. Le deuxième atout de notre pays réside dans l'existence d'une demande mondiale importante dans l'agroalimentaire, par exemple sur le lait en poudre en Chine. Pour développer l'exportation, il faut apprendre à chasser en meute afin d'être efficaces, en associant tous les acteurs : chambres d'agriculture, chambres de commerce...
Il existe enfin en Europe un problème de dumping social et de concurrence déloyale manifeste avec l'application de la directive sur les travailleurs détachés. L'Allemagne va peut-être faire rapidement évoluer sa législation en imposant un salaire minimum. En France, du fait de la révision générale des politiques publiques (RGPP), le nombre des inspecteurs du travail a fortement diminué. La tendance doit être inversée, pour se donner les moyens des politiques que nous décidons. En Europe, le Royaume-Uni et la Pologne sont toujours les plus opposés à la mise en place de normes sociales. Le rapport de forces peut-il évoluer ?
M. Guillaume Garot, ministre. - Le secteur agroalimentaire bénéficie du CICE à hauteur de 800 millions d'euros. On peut ajouter environ 500 millions d'euros de soutiens au titre du dispositif TODE, travailleurs occasionnels demandeurs d'emploi. Les moyens engagés par l'État pour soutenir la compétitivité de la production et de la transformation de produits agricoles sont donc importants.
Le contrat de la filière alimentaire prévoit une enveloppe de 100 millions d'euros sur la période 2013-2015. Plus de 20 millions d'euros en 2013 seront consacrés à l'animation des pôles de compétitivité, à la charte emploi, à la convention de délégation de service public confiée à la Sopexa, à la convention avec BPI France, au financement des centres techniques ou encore au financement de l'observatoire de la qualité de l'alimentation (OQALI). En 2015, nous atteindrons 22,4 millions d'euros pour ces actions. Il existe également des crédits pour la modernisation des abattoirs ou encore le soutien à la filière laitière à hauteur de 17 millions d'euros en 2013, montant porté à 24 millions d'euros en 2015. La plateforme Expadon est très attendue par les professionnels pour délivrer en temps réel de manière dématérialisée les certificats sanitaires à l'export. La mise au point est en cours. Plus de 8 millions d'euros auront été nécessaires sur trois ans sur ce dispositif.
Je partage l'objectif d'Alain Chatillon en matière de développement des ETI. Il n'y a pas aujourd'hui suffisamment d'ETI structurantes dans la filière alimentaire.
M. Daniel Raoul, président. - Cela est vrai dans toute l'industrie, pas seulement dans l'agroalimentaire.
M. Guillaume Garot, ministre. - Pour soutenir la constitution d'ETI, un fonds public-privé prendra la suite d'Agro Invest, à partir de fonds venant de banques privées et de la BPI. Il serait dédié au soutien aux ETI. La discussion est encore en cours sur le volume financier que mobilisera ce fonds.
L'euro fort présente quelques avantages pour l'économie française mais présente aussi des inconvénients pour les entreprises. La baisse des taux d'intérêt de la banque centrale européenne (BCE) peut avoir un effet positif sur le taux de change. La parité euro-dollar et euro-real devrait s'améliorer et faciliter la vie des entreprises exportatrices.
En réponse à Michel Bécot, je souligne qu'il est évident qu'il n'y a pas de transformation s'il n'y a pas de production. De ce point de vue, le choix du Président de la République dans la mise en oeuvre de la PAC de soutenir l'élevage permet indirectement de soutenir les industries de la viande. Une simplification de la réglementation est envisagée pour les élevages, en particulier pour les élevages porcins, où les seuils en matière d'autorisation doivent être alignés sur la réglementation européenne. Mais nous conserverons les mêmes exigences environnementales. Un décret a été préparé pour modifier la réglementation des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE) en créant la procédure d'enregistrement. Il est actuellement en phase de consultation du public. Il facilitera les agrandissements et regroupements. Mais, il ne faut pas tout attendre de la réglementation et de l'action de l'État. Chacun dans la filière porcine doit aussi prendre ses responsabilités.
En réponse à Roland Courteau, je souligne que le Gouvernement a mis fin à l'hémorragie des effectifs sur le programme n° 206 consacré à la sécurité sanitaire. Nous stabilisons en 2014 les effectifs destinés au contrôle, afin de garantir un niveau élevé de sécurité sanitaire. En matière d'exportations de vin, il existe des marges de progression, dans un contexte de concurrence très forte entre pays producteurs. Nos professionnels du vin en France ont une forte culture de l'export, ce qui constitue un réel atout.
En réponse à Gérard César, je précise que le rapprochement entre Ubifrance et Sopexa est en cours avec trois objectifs concrets : rapprocher les programmes d'action, rapprocher les bureaux à l'étranger et mettre en place une structure commune de pilotage. Une lettre commune des présidents et directions générales d'Ubifrance et de Sopexa m'a précisé que le projet opérationnel serait finalisé en janvier prochain. Il appartiendra ensuite au Gouvernement de valider les mesures prises. Il s'agit d'être plus opérationnel à l'export. C'est la première fois depuis dix ans que nous avançons sur ce dossier.
En réponse à Yannick Vaugrenard, j'estime que l'action de soutien des collectivités territoriales à l'export est indispensable. Il ne s'agit pas que l'État remette en cause des outils qui marchent bien mais d'assurer une meilleure coordination. La bannière France doit flotter au-dessus de chacune des initiatives de nos régions. Celles-ci, qui connaissent bien la réalité des territoires, sont associées à la conception même de notre programme de soutien renforcé de 250 entreprises à l'export. Il s'agit d'éviter les doublons qui sont démoralisants, en particulier pour le contribuable. Les blocages en matière de lutte contre le dumping social en Europe ne viennent pas de l'Allemagne mais plutôt du Royaume-Uni, attaché à une politique libérale, et des pays d'Europe centrale et orientale, qui sont les plus réticents à modifier la directive sur le détachement des travailleurs, en particulier ses articles 9 et 12, car leurs ressortissants sont ceux qui occupent ces emplois en détachement. Un prochain rendez-vous de négociation au sein du Conseil européen est prévu en décembre. Il n'était pas envisageable de signer un accord en octobre car les propositions faites étaient trop éloignées des exigences française. Mon collègue Michel Sapin est à l'oeuvre sur cette question, sur laquelle malgré tout, nous avançons.
M. Daniel Raoul, président. - Un salaire minimum allemand ne suffira pas à résoudre le problème du dumping. Il s'agit également d'harmoniser la protection sociale.
M. Gérard Bailly. - Je voudrais partager votre optimisme sur l'agroalimentaire, mais nous devons être réalistes. Le constat est cruel : nos productions ovines sont en chute libre, les productions bovine, porcine, et de volaille sont également sur la pente descendante. Les quotas laitiers ont permis le maintien de la production de lait, mais qu'en sera-t-il après la fin des quotas ? Certains éleveurs se reconvertissent aujourd'hui en production de céréales. L'objectif est de produire plus et mieux. Mais comment faire dans un contexte de pression sur les terres agricoles. La conversion à l'agriculture biologique entraîne une baisse de production des parcelles concernées de l'ordre de 20 %. La réduction de l'utilisation des pesticides et de l'ensemble des intrants peut induire une baisse des volumes de production. Enfin, je déplore que tous les ministres successifs aient été dans l'incapacité de trouver des solutions concernant les prédateurs, notamment le loup. Produire mieux est toujours possible, mais je doute de la capacité à produire plus. Enfin, ce qui arrive aujourd'hui en Bretagne s'explique par la détérioration de notre compétitivité prix par rapport à nos concurrents. Même l'Allemagne exporte des produits agricoles dans notre pays. Les agriculteurs subissent des mesures qui nuisent à la compétitivité. Les taxes sur l'eau représentent plus que le prix brut de l'eau. L'augmentation est spectaculaire en 10 ans. Les frais d'analyse augmentent les charges et pénalisent la compétitivité. Je salue la volonté de simplification en matière de construction de porcheries, mais cela n'empêchera pas les contentieux. Enfin, je termine par deux questions : la filière agroalimentaire était-elle présente sur le salon « Made in France Expo » la semaine dernière ; et avance-t-on sur les questions d'étiquetage ? Je me réjouis de l'exposition universelle de Milan de 2015, qui sera une formidable vitrine.
Mme Bernadette Bourzai. - En juillet dernier, la mission du Sénat sur la filière viande que je présidais a adopté son rapport à l'unanimité, moins une abstention. Sur les 40 propositions, plusieurs ont déjà été mises en oeuvre. Durant la discussion au Sénat du projet de loi relatif à la consommation, nous avons adopté un texte prévoyant l'obligation de renégocier les prix des produits alimentaires en cas de volatilité forte des prix agricoles, ainsi qu'un amendement rendant obligatoire l'étiquetage de l'origine des viandes transformées.
Il est important d'apporter des réponses cohérentes. La procédure d'enregistrement pour les installations d'élevage porcin est une bonne réponse, en l'associant au plan de développement de la méthanisation. Nous n'aurions pas eu de difficultés de gestion des effluents d'élevage en Bretagne si l'on avait développé la méthanisation. Le rapport de la mission sur la filière viande a mis en évidence le fait que la France a perdu en une décennie entre 10 et 25 % de production, selon les secteurs. La réforme de la PAC de 2003, prévoyait la fin des restitutions aux exportations en 2013. Il aurait fallu que les volaillers de l'Ouest de la France prennent en compte cette perspective dans leurs stratégies industrielles. Or, cela n'a pas été le cas. On a poursuivi l'exportation de poulets subventionnés alors que durant cette même période, les importations en France de poulet standard sont passées de 8 % à 48 %. Nous sommes désormais dans une impasse.
Il existe certes des problèmes de compétitivité. Je salue la fermeté de Michel Sapin dans la négociation européenne sur la modification de la directive sur les travailleurs détachés car il existe aujourd'hui des distorsions de concurrence. Mais le succès de l'Allemagne ne provient pas que de ces distorsions. Les allemands ont aussi réalisé de gros investissements dans les abattoirs. De tels investissements n'ont pas été faits en France et les entreprises de volaille et de porc n'ont pas eu la même stratégie. Il faut se poser les bonnes questions.
M. Jean-Jacques Lasserre. - Investir, innover, exporter : le projet est intéressant et vous l'exposez avec passion. Mais nous avons besoin de clarté sur le terrain. Quels sont vos relais ? Cela ne marchera que si les partenaires répondent présent. Il me semble important d'être directif. Les petites entreprises en particulier doivent être guidées vers l'export. Je suis inquiet quant à l'avenir du secteur de la transformation des viandes. Peut-être a-t-on insuffisamment investi mais les comptes d'exploitation ne le permettaient pas. Je suis encore plus inquiet quant à la production. Nous allons connaître une mutation considérable dans la production laitière, et dans l'ensemble des productions animales, pas tant pour des raisons économiques que des raisons liées aux conditions de vie. Le risque est d'assister, impuissants, à la mise en place d'un modèle que nous ne voulons pas, avec des fermes de 1 000 vaches. Enfin, pouvez-vous nous indiquer comment réguler le secteur de la distribution ? Concernant la qualité des produits, comme je l'avais exprimé dans le cadre de la mission du Sénat sur la filière viande, nous sommes bien placés en France, mais il faudrait davantage développer la communication sur les signes de qualité, qui est insuffisante. Monsieur le ministre, pourriez-vous nous indiquer où en sont les suites de « l'affaire Spanghero » ?
M. Bruno Sido. - Les difficultés de nos entreprises de l'agroalimentaire concentrées en Bretagne ont pour cause un problème de compétitivité. Le dumping social explique les mouvements de délocalisation. Travaillez-vous à une politique sociale européenne ? Le salaire minimum n'est pas le seul outil. Il me semble nécessaire également d'avoir une politique environnementale harmonisée au niveau européen. Lorsque j'étais étudiant, la moitié du porc français était produit en Bretagne et la moitié des porcs bretons étaient produits autour de Lamballe. Une telle concentration est catastrophique sur le plan environnemental. Mais si on produit des porcs en Bretagne, on les abat en Allemagne et on les découpe en Pologne, ce n'est pas mieux. Il nous faut une politique des transports à l'échelle de l'Europe pour éviter de telles aberrations. Je suis étonné que le Gouvernement n'ait pas expliqué aux bretons que l'écotaxe pouvait contribuer à relocaliser la production. L'écotaxe part d'un bon principe et je fais partie des rares qui la défendent encore. Si l'on explique l'écotaxe sans parler d'environnement et de relocalisation de production, en ne voyant en elle qu'un moyen d'augmenter les recettes fiscales de l'État, les oppositions seront majeures. Puisque l'écotaxe est suspendue, sachons faire de la pédagogie.
M. Daniel Dubois. - Investir, repositionner ses produits sur le haut de gamme lorsqu'on est positionné sur les produits de bas de gamme, constitue une stratégie de long terme et ne peut se faire en un an. Par ailleurs, pour investir, il faut d'abord être rentable et disposer de fonds. Or, la plupart de nos entreprises ne sont pas assez rentables pour pouvoir investir. Les difficultés de nos entreprises n'ont pas une cause unique.
Le contrat de la filière alimentaire prévoit de développer les recrutements dans les prochaines années. Or, je viens encore de lire le témoignage d'une entreprise d'abattage située à Cuiseaux, qui, malgré des centaines d'annonces d'offres d'emploi, n'a recruté que 4 personnes en France et a dû recourir pour couvrir ses besoins à des salariés étrangers. Est-ce exact ?
Dans la Somme, 50 producteurs de lait arrêtent leur activité chaque année. Ce ne sont pas des agriculteurs en retraite mais des jeunes. A ce rythme-là, on ne trouvera plus de lait dans ma région d'ici peu.
Enfin, j'attire votre attention sur l'entreprise Roquette Frères, qui traite la fécule de pomme de terre. Il n'y a plus assez de production de pomme de terre fécule pour alimenter les deux usines qui existent en France. Il faudrait prévoir une aide spécifique couplée dans le cadre de la PAC pour ne pas voir le secteur de la fécule de pomme de terre disparaître dans notre pays.
M. Guillaume Garot, ministre délégué. - Comment produire plus ? D'abord en donnant des signes clairs aux producteurs. La réorientation de la PAC à hauteur d'un milliard d'euros par an au profit de l'élevage est un message tangible adressé aux éleveurs.
Ensuite, il nous faut améliorer le cadre des discussions commerciales mais aussi créer un nouvel état d'esprit dans lequel se déroulent les négociations. J'interviens directement en ce sens auprès des entreprises de la distribution comme auprès de celles de la transformation afin d'obtenir des améliorations concrètes.
Il est également nécessaire de simplifier les normes, par exemple en créant un régime d'enregistrement pour les élevages porcins.
Pour que notre politique soit efficace, il faut que tous les outils aillent dans le même sens, avec un souci de cohérence. Mais l'État ne peut être le seul à assumer ses responsabilités. Les professionnels, les filières elles-mêmes doivent se structurer et s'organiser. Il faut sortir des logiques opportunistes et individualistes pour définir des stratégies collectives d'avenir, sur le porc, le poulet, et plus largement l'ensemble des filières animales.
L'exposition universelle de Milan en 2015 sera un grand moment pour mettre en avant les atouts français au sein du Pavillon France. Nous devons avoir le souci de valoriser le signe « origine France ». Nous sommes en train de mettre au point le label « viande de France » avec la grande distribution et les industriels, afin de mieux valoriser nos productions vis-à-vis des consommateurs.
Nous avons déjà mis en oeuvre plusieurs mesures recommandées par le rapport de la mission sénatoriale sur la filière viande et sommes prêts à travailler ensemble pour aller encore plus loin.
Concernant les signes officiels de qualité, il faut évidemment les mettre en valeur davantage et aider les entreprises à respecter les cahiers des charges. La politique de l'agroalimentaire ne peut pas se résumer aux signes de qualité. Il faut valoriser la qualité de tous les produits français et pour tous. On ne doit pas rentrer dans des logiques de segmentation excessive. La qualité pour tous est l'objectif de notre politique. Concernant l'affaire Spanghero, la justice a été saisie et poursuit son travail.
Concernant l'écotaxe, qui a été suspendue et non supprimée, je compte sur vous pour convaincre vos collègues. Nous travaillons au sein du Gouvernement à adapter le dispositif, en tenant compte de la réalité économique des entreprises.
Le besoin de clarté sur le terrain est évident. L'État assure un pilotage à travers un référent sur l'agroalimentaire dans chaque région. Mais il ne faut pas être dans une logique de guichet mais dans une logique proactive, en allant vers les PME qui ont des produits formidables et n'ont pas les moyens de se lancer à l'export. Le dispositif du ministère poursuit ce but.
Concernant la fécule de pomme de terre, l'enjeu du maintien de la production a bien été identifié par le ministère de l'agriculture mais à ce stade, nous n'avons pas encore procédé à un arbitrage.
M. Michel Bécot. - Je confirme qu'il existe une pénurie de main d'oeuvre dans beaucoup d'entreprises de l'agroalimentaire. Je déplore qu'alors que les abattoirs ont automatisé leurs chaînes, rendant le travail moins pénible, l'on ne puisse recruter que des salariés étrangers dans nos entreprises.
M. Guillaume Garot, ministre délégué. - Je confirme que ce type de phénomène existe pour certains métiers en tension, qui sont les métiers durs, et pas les mieux payés. Nous devons nous poser la question des conditions de travail et des rémunérations. Une réponse doit être apportée en termes d'amélioration des qualifications. Investir dans de nouvelles chaînes de productions permet aussi d'améliorer les conditions de travail. Améliorer les conditions de vie des salariés de l'agroalimentaire est une des priorités de mon ministère. Il n'y aura pas de progrès économique sans progrès social. La formation est une donnée importante. Trop de salariés n'ont même pas bénéficié d'une demi-heure de formation en plusieurs années. Le contrat de filière met l'accent sur la formation, et en particulier sur les savoir fondamentaux. Il existe encore un illettrisme contre lequel il faut lutter. Le contrat de filière multiplie par dix le nombre de salariés concernés par ces formations.
Mercredi 13 novembre 2013
- Présidence de M. Daniel Raoul, président -Loi de finances pour 2014 - Mission « Engagements financiers de l'État » et compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État » - Examen du rapport pour avis
La commission examine le rapport pour avis sur les crédits du compte spécial « Participations financières de l'État » de la mission « Engagements financiers de l'État » du projet de loi de finances pour 2014.
M. Daniel Raoul, président. - Je passe la parole au rapporteur pour avis.
M. Alain Chatillon, rapporteur pour avis. - Je vous présente aujourd'hui les crédits du compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'Etat », dans le cadre du projet de loi de finances pour 2014.
L'année dernière, la commission avait approuvé à l'unanimité les recommandations que je lui avais soumises pour dynamiser l'Etat actionnaire. Cette année, je me suis, bien entendu, intéressé au sort réservé à nos préconisations. Je constate que les auditions et plusieurs séries de mesures envisagées par le Gouvernement vont dans la direction que nous avons souhaitée. Il s'agira de vérifier si les annonces sont suivies d'effets et si l'énergie des acteurs sera déployée pour renforcer notre économie, sans trop se disperser dans des réaménagements administratifs ou la création de nouveaux comités.
Je reviendrai plus en détail sur la prise en compte de nos préoccupations après une brève présentation générale des crédits de cette mission.
La première partie du rapport résume le cadre juridique et les données budgétaires pour 2014 de ce compte d'affectation spéciale. Elle se résume à une affirmation : avant tout soucieux de ne pas envoyer de « signaux » aux marchés, le compte de l'Etat actionnaire est également peu instructif pour le Parlement. Il faudra un jour sortir de ce flou.
Juridiquement, je rappelle que, selon l'article 21 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), la logique du compte d'affectation spéciale est de rapprocher des recettes de cession de titres et des dépenses d'acquisition de même nature. Pourtant, ce sont les versements exceptionnels du budget général, qui, dans la pratique, sont les montants les plus importants de ce compte. Ainsi, pour 2014, les 10 milliards de recettes prévues, se répartissent à part égales entre des produits de cession de titres, à hauteur de 5 milliards d'euros et des versements du budget général de 5 milliards également. Cependant, entre 2008 et 2013, aucune cession de titres n'a été réalisée, ce qui rend les 5 milliards inscrits en loi de finances largement fictifs. En revanche, les versements du budget général sont effectués. Il n'est pas tout à fait normal qu'en cinq ans aucune recette n'ait été dégagée, ce qui aurait permis de solder l'affaire du Crédit Lyonnais sans recourir intégralement à l'emprunt, comme cela est aujourd'hui prévu.
Les données qui sont présentées au Parlement relèvent donc plus de l'« écran de fumée » que de la transparence budgétaire. Ce n'est pas une nouveauté : nous le redisons année après année, mais je me demande si on a utilisé les bons arguments. J'en ajouterai donc deux pour 2014 : d'une part, comparaison n'est pas raison, mais nos entreprises sont soumises à un tel degré d'exigence et de précision que la présentation de cette mission budgétaire devient un peu « décalée » par rapport à la réalité vécue sur le terrain par les agents économiques de base. D'autre part, je me demande si l'Etat actionnaire, qui « pèse » à peu près 100 milliards de participations (environ 80 milliards pour les titres cotés et 20 pour les titres non cotés) ne surestime pas un peu son importance au regard des « marchés ». 100 milliards, c'est 5 % de notre PIB et de notre dette, mais avec zéro cessions de 2008 à 2013 et moins de 2 milliards en 2013, il n'y a objectivement pas de quoi faire « tanguer » les marchés. Les volumes traités sur les marchés financiers permettraient d'ailleurs sans encombre de faire plus de cessions de titres.
En revanche, on peut se demander s'il n'y a pas là un moyen assez commode de rester discret sur un certain nombre d'éléments périphériques à cette « boite noire » budgétaire, et seule la Cour des comptes publie de temps à autres des informations sur des événements dont on peut se demander si ce sont des maladresses ou le résultat de conflits interne à l'Etat.
Budgétairement, j'insisterai sur les nouveautés 2014 dans le compte de l'Etat actionnaire, et certaines d'entre elles illustrent encore une fois le déficit de sincérité dans la présentation de ce compte. Je prends un exemple : traditionnellement depuis plusieurs années, les sommes affectées au désendettement de l'Etat dans le programme 732 de ce compte étaient systématiquement évaluées à 4 milliards en loi de finances initiale et les réalisations étaient égales à zéro. La nouveauté en 2014 est que le montant prévu de contribution au désendettement est ramené de 4 à 1,5 milliards. On ne trouve aucune justification de cet effondrement dans la documentation budgétaire. Pour en élucider les raisons, il faut recouper plusieurs sources d'information :
- d'une part, la presse, vient d'indiquer que l'Etat, par l'intermédiaire de l'Agence France Trésor, va emprunter 4,5 milliards d'euros sur les marchés financiers en décembre pour solder la dette issue du « naufrage du Crédit lyonnais » ; l'autorisation en serait demandée au Parlement à l'occasion du prochain projet de loi de finances rectificative ;
- d'autre part, mon avis budgétaire de l'an dernier, dans le sillage des rapports de la Cour des comptes, précisait que la sincérité budgétaire devrait conduire à faire apparaître clairement les financements destinés à colmater la défaillance du Crédit Lyonnais - c'est-à-dire 4,5 milliards d'euros remboursables avant le 31 décembre 2014 par l'établissement public de financement et de restructuration (EPFR).
Même si l'on comprend aisément que cet emprunt a pour but d'éviter d'aggraver les déficits en profitant de taux d'intérêt encore bas, il me parait opportun d'interroger le Gouvernement sur ses choix méthodologiques et de manifester notre étonnement sur l'absence d'information du Parlement.
Par ailleurs, je vous suggère, compte tenu de la conjoncture financière, de souligner la nécessité de maintenir ce programme 732 consacré au désendettement de l'Etat. Même s'il n'est plus utilisé, son existence demeure un point de repère essentiel et je serai tenté de proposer qu'il soit alimenté, au moins de manière symbolique, tant une éventuelle hausse des taux menace, à terme, nos équilibres.
Du coté des autres dépenses pour 2014, trois principales séries d'opérations sont prévues. Tout d'abord, 4,76 milliards iraient à des augmentations de capital (c'est l'action 1 du programme 731 intitulée « opérations en capital ») :
- la libération éventuelle d'une nouvelle tranche de l'augmentation de capital de la BPI à laquelle ont souscrit la Caisse des dépôts et consignations et l'EPIC BPI-Groupe pour un montant total de 3,1 milliards d'euros. Une première tranche a déjà été libérée en juillet 2013 lors de la création de la BPI, à hauteur du quart, soit 383,25 millions d'euros pour chacune des deux entités ;
- la recapitalisation des banques multilatérales de développement, pour 56 millions d'euros en 2014.
- et enfin des versements de dotations en fonds propres prévus dans le cadre du nouveau programme d'investissements d'avenir (PIA 2) à hauteur de 1,750 milliard d'euros. Ces montants correspondent aux prises de participation détaillées au sein des programmes 403 « Innovation pour la transition écologique et énergétique », 404 « Projets industriels pour la transition énergétique », 405 « Projets industriels », 406 « Innovation », 407 « Économie numérique », 409 « Écosystèmes d'excellence » et 414 « Villes et territoires durables ».
Ensuite, 378 millions d'euros sont prévus en 2014 au titre de l'action 3 « achats de titres » qui correspond, en principe, au « coeur de cible » de ce compte de l'Etat actionnaire. Le bleu budgétaire précise qu'en 2014, un achat de titres Areva auprès du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives est programmé, afin de participer au financement du démantèlement d'installations nucléaires.
Enfin, je cite également les 3,26 milliards de l'action 6 qui retrace les versements au profit du Mécanisme européen de stabilité (MES), conformément au traité instituant ce mécanisme signé le 2 février 2012 et ratifié en France par la loi du 7 mars 2012. Il est prévu de procéder en 2014 au dernier des cinq versements : en contrepartie, l'Etat actionnaire reçoit des titres, mais on est loin de la logique de prises de participations et c'est pourquoi j'avais pu qualifier ces opérations de « jeux d'écriture » l'an passé.
C'est surtout en recettes que l'on constate du nouveau. Au cours de l'année 2013, les cessions de titres de l'Etat au capital de Safran (3,1 %), d'EADS (3,7 %) et d'Aéroports de Paris (9,5 % conjointement avec le fonds stratégique d'investissement FSI) ont permis de dégager 1,9 milliard d'euros de ressources pour l'Etat.
Ces ventes de titres sont aujourd'hui présentées comme une des composantes de la « nouvelle doctrine de l'Etat actionnaire ». Derrière ces mots, nous retrouvons ce que, pour ma part, et avec votre approbation, j'avais qualifié de nécessité d'une gestion plus active des participations de l'Etat.
Cela m'amène à la seconde partie du rapport consacrée au suivi de nos quatre principales recommandations de l'an dernier.
Je viens d'évoquer la première. Les documents budgétaires ainsi que les auditions témoignent de l'importance qu'attache l'Agence des participations de l'Etat à la communication présentée au Conseil des ministres, le 2 août dernier, par les ministres de l'Économie et des Finances et du Redressement productif sur la « nouvelle doctrine de l'actionnariat public ». Tout ceci semble entouré d'un certain halo de mystère, et je crois comprendre que l'essentiel est d'éviter les mots qui fâchent, en particulier celui de « privatisation ». Bien entendu, votre rapporteur ne peut que souscrire à cette intention de « favoriser la croissance durable dans le respect des principes de bonne gouvernance ». Je m'interroge avant tout sur les modalités concrètes de mise en oeuvre de cette nouvelle doctrine par laquelle on nous dit que « l'État pourra envisager de réduire les niveaux historiques de participation publique dans certaines entreprises ».
Je souligne que la commission avait approuvé ma recommandation qui consiste, pour l'Etat, à vendre des titres tout en préservant son influence. Encore faut-il utiliser et optimiser les outils, comme le vote double, permettant de déconnecter le capital et le pouvoir de décision. J'avais également évoqué la possibilité de créer des holdings ou des « holdings de holdings » qui permettent à un actionnaire de conserver son pouvoir en mobilisant moins de capitaux.
A ce sujet, je vous fais part d'une certaine inquiétude à l'égard d'une disposition aujourd'hui en navette inscrite dans une proposition de loi visant à reconquérir l'économie réelle dont M. François Brottes est l'un des initiateurs. Vous trouverez dans le rapport écrit les détails de ce dispositif que je vous résume très schématiquement. Partant de la très louable intention de favoriser l'actionnariat de long terme, cette proposition de loi prévoit la systématisation du vote double pour les actions nominatives, au bout de deux ans de détention. Cela peut paraître très positif, mais la rigidité d'un tel mécanisme risque de soulever plus de difficultés pour l'Etat actionnaire qu'il ne va en résoudre. En effet, du jour au lendemain, l'Etat va, dans certains cas, franchir des seuils qui l'obligeront à lancer une OPA et à acquérir des titres dont il n'a pas besoin et pas les moyens de financer. Sa principale « parade » serait alors de convertir ses titres « au porteur », comme les fonds d'investissement qui souhaitent faire des allers-retours rapides car les actions au porteur ne bénéficient pas du droit de vote double. Cependant, il ne semble pas raisonnable d'engager l'Etat dans un tel processus qui reviendrait à « se tirer une balle dans le pied » en renonçant à de la valeur patrimoniale. J'attire ainsi votre attention sur ces possibles effets pervers relatifs à l'article 5 de cette proposition de loi.
Notre troisième recommandation, complémentaire d'une gestion plus dynamique et soucieuse de préserver l'influence de l'Etat, était de donner un souffle nouveau à l'Etat actionnaire en faisant appel à des talents reconnus du monde industriel. On l'avait bien vu à l'occasion de la présentation du rapport de M. Louis Gallois : dès qu'une personnalité incontestable s'investit dans un sujet, l'intérêt du pays a tendance à prendre le dessus sur les clivages partisans ou les postures.
Concrètement, l'État participe à la nomination de 936 administrateurs qui siègent actuellement aux conseils d'administration et de surveillance des entreprises du périmètre de l'APE, dont 366 administrateurs représentant l'État. Dans son rapport annuel pour 2014, l'Agence souligne elle-même que la capacité à identifier et à recruter au sein de chaque conseil les profils d'administrateurs les plus adaptés constitue un élément majeur de la mission de l'État actionnaire. Le principal enjeu est donc d'élargir le vivier de candidats susceptibles d'exercer des mandats d'administrateurs. Or les limitations réglementaires imposent de choisir ces représentants parmi les dirigeants d'entreprises publiques ainsi que les fonctionnaires en activité ou retraités, ce qui exclut même les fonctionnaires en disponibilité ou hors cadre travaillant dans des entreprises.
L'article 10 du projet de loi d'habilitation à prendre par ordonnances diverses mesures de simplification et de sécurisation de la vie des entreprises semble toutefois porteur de progrès dans ce domaine. Il prévoit, dans des termes assez vagues, de « moderniser la gouvernance des entreprises dans lesquelles l'État détient une participation majoritaire ou minoritaire ». Comme on nous l'a affirmé au cours des auditions, il s'agirait, dans les faits, d'assouplir les règles relatives à la nomination d'administrateurs. Si tel est bien le cas, cela va très exactement dans le sens que nous souhaitons.
Encore faudra-t-il examiner de près la nature exacte de l'élargissement du vivier de recrutement de ces administrateurs. L'imprécision des formules employées dans ce texte masque d'importants enjeux, puisque la désignation en tant qu'administrateur constitue une forme de reconnaissance à laquelle sont très sensibles un certain nombre de fonctionnaires ; il parait effectivement souhaitable de préserver une occasion pour ces derniers de se familiariser avec le fonctionnement des entreprises. Le monopole doit cependant être démantelé et à ceux qui craindraient que des non fonctionnaires puissent moins bien défendre les intérêts de l'Etat que des personnalités du secteur public, je rappellerai que la Cour des comptes a signalé, depuis 2004, que les représentants de l'Etat étaient je cite « trop souvent incapables d'exprimer une position cohérente au sein des conseils d'administration. ».
C'est pourquoi je plaide pour un rééquilibrage dans le sens de la mixité des recrutements : parité entre femmes et hommes, bien entendu, et mixité des cultures professionnelles en faisant appel à des personnes issues du secteur privé ayant exercé des fonctions dans le domaine considéré, tout en prévenant tout risque de conflit d'intérêt. Nous l'avions proposé l'an passé et j'avais, par exemple, rappelé à quel point il était important qu'au sein d'EADS puissent siéger plus de spécialistes du secteur aéronautique.
J'évoquerai enfin la question des dividendes de l'Etat actionnaire. Le constat est celui de leur diminution probable de près de 30 % en 2014 et les interrogations concernent la politique et le traitement budgétaire de ces revenus. La maximisation de la distribution de dividendes fait, à juste titre, partie des principaux indicateurs de performance de l'Etat actionnaire.
Alors qu'environ 4,5 milliards de dividendes ont été encaissés par l'État au cours de chacune des années 2010, 2011, 2012 et 2013 au titre de ses participations, le bleu budgétaire de cette année mentionne une prévision de 3,2 milliards pour 2014. Les principaux contributeurs concernés sont EDF, GDF Suez, Orange, SNCF, La Poste, Safran et ADP qui représentent près de 90% du montant total. L'Etat encaisserait donc, en 2014, 1,3 milliard d'euros de moins que les années précédentes. Officiellement, cette baisse s'explique par un contexte de montée des risques qui amène les entreprises à constituer des provisions. Peut-on aller un peu plus loin dans le raisonnement, tout en respectant une certaine confidentialité sur ce sujet extrêmement sensible ? Je dirai simplement que les entreprises ont peut-être fourni un effort suffisamment notable les années précédentes pour que le freinage qui est anticipé ne soit pas choquant.
Au total, comme le souligne l'Agence des participations, le portefeuille de l'Etat conserve un bon rendement, d'environ 6 % en 2012, presque deux fois supérieur à celui du CAC 40 (3,5 %). La composition sectorielle du portefeuille de l'APE, marquée par une forte présence des secteurs énergie et télécommunication, qui traditionnellement ont des politiques de distributions plus élevées que les autres entreprises, est une des explications de cette « surperformance ». Ce rendement va cependant baisser, et au moment où d'éventuels prélèvements sur l'épargne des français sont envisagés, la situation de l'Etat semble témoigner des difficultés que peuvent connaître les petits actionnaires, en particulier par rapport aux épargnants focalisés sur l'immobilier.
Je précise, par ailleurs, que l'hypothèse retenue pour 2014 est celle du versement intégral des dividendes en numéraire, comme en 2013, tandis qu'en 2012, 1,4 milliard de dividendes ont été versés en actions par GDF-Suez et le FSI.
Cette remarque nous amène au suivi de notre quatrième grande recommandation. J'avais souligné l'an dernier que les dividendes versés à l'Etat actionnaire donnent lieu à deux traitements budgétaires différents selon les cas : si le dividende est versé en espèces, il est affecté au budget général et non pas au compte d'affectation spéciale. En revanche le dividende versé en action vient alimenter le patrimoine de l'Etat actionnaire. J'avais suggéré d'harmoniser les mécanismes et d'affecter l'intégralité des sommes au compte d'affectation spéciale à condition que l'arbitrage pour le réemploi de ces sommes entre le désendettement de l'Etat et le financement de projets industriels puisse être éclairé par des personnalités incontestables du monde industriel. Je renouvelle cette suggestion car il convient, plus que jamais, d'agir avec discernement avec l'argent du contribuable.
En résumé, l'Etat dispose d'environ 100 milliards investis dans des entreprises. Pour optimiser l'allocation de ces sommes, il serait logique d'abaisser à 51 % un certain nombre de seuils de participation qui dépassent ce chiffre, l'Etat pouvant se contenter de conserver la majorité absolue. On pourrait également accorder un traitement particulier aux secteurs qui ont besoin de financer des investissements stratégiques en constituant des réserves ou en maintenant une participation plus élevée de l'Etat qui se désengagerait, par la suite, à un prix plus élevé, lorsque les investissements innovants se traduiraient par une amélioration de l'activité des entreprises. Ce qui me surprend, c'est surtout le caractère assez statique de la gestion de l'Etat actionnaire alors que la vie des entreprises et des élus qui accompagnent les évolutions économiques est de plus en plus mobile. L'Etat, sans réduire son influence sur les entreprises qu'il contrôle, pourrait sans doute dégager des marges de manoeuvre de 10 à 15 milliards d'euros pour investir ou réduire la fiscalité pesant sur les ménages contribuant ainsi à la relance de la consommation et à la résolution des difficultés majeures auquel le pays doit faire face.
Au total, les principales suggestions unanimement approuvées l'an dernier par la commission trouvent un prolongement dans des annonces formulées avec prudence mais qui pourraient se traduire par des mesures volontaristes. C'est pourquoi je suggère d'émettre un avis de sagesse sur les crédits de la mission participations financières de l'Etat prévus par le PLF pour 2014. Dans l'hypothèse où ces annonces ne seraient pas suivies d'effets, et compte tenu des imprécisions de ce compte, je préconiserais, en revanche, d'émettre un avis très défavorable à l'occasion du prochain budget.
M. Daniel Dubois. - Je salue la continuité de la réflexion du rapporteur et j'adhère à ses propos : dans la situation que nous connaissons, 100 milliards ce n'est pas négligeable et nous devrions les utiliser comme levier de développement stratégique. Sans prendre de risques excessifs ni adopter une démarche capitalistique, il serait souhaitable d'augmenter le nombre de prises de participations et d'allers-retours. En même temps, il me parait opportun de « flécher » à la fois les produits de cession et les dividendes de l'Etat actionnaires pour les affecter au développement stratégique de l'économie plutôt que de les reverser au budget général.
M. Daniel Raoul, président. - Ce n'est peut-être pas tout à fait aussi simple car il y a des versements réguliers du budget général vers ce compte et les chiffres montrent qu'il s'agit souvent d'un jeu à somme nulle.
M. Alain Chatillon, rapporteur pour avis. - Je mets surtout l'accent sur le manque de mobilité et de souplesse de la gestion de l'Etat actionnaire qui s'apparente aux pratiques du passé. Pour être tout à fait clair, je ne me range pas du côté de ceux qui prônent un désengagement de l'Etat et je rappelle avoir plaidé pour que ce dernier conserve une majorité de contrôle des sociétés d'autoroutes. A mon sens, il convient, en revanche, d'allouer plus de fonds propres aux secteurs, entreprises ou filiales porteurs d'espoir de croissance et de développement, or il me semble que l'APE se limite trop à gérer son portefeuille « en bon père de famille ». Un gestionnaire industriel s'efforce de doubler son capital de départ en quinze ans et, pour ce faire, procède à une gestion active alors que le périmètre de l'Etat actionnaire a très peu évolué depuis plusieurs années, ce qui témoigne d'une certaine insuffisance de vision stratégique. Il faudrait donc rechercher de nouvelles compétences là où elles se trouvent, c'est-à-dire chez les industriels.
M. Jean-Jacques Lasserre. - Je remercie le rapporteur qui a rendu intéressant un exercice souvent rébarbatif. Son plaidoyer pour financer les secteurs d'avenir mérite, à mon sens, de poursuivre et d'approfondir les investigations pour nous assurer que les orientations ainsi définies se traduisent par un ciblage et des actions précises.
M. Roland Courteau. - Le rapporteur a évoqué les remarques de la Cour des comptes : quelle suite leur sont-elles réservées ? Il a également mentionné d'éventuelles conséquences néfastes d'une des dispositions de la proposition de loi de M. François Brottes, qui vise cependant à améliorer l'environnement normatif de notre économie.
M. Michel Bécot. - J'avais moi aussi plaidé pour que l'Etat ne cède pas ses participations dans les sociétés d'autoroute. Par ailleurs, je m'interroge sur les raisons de l'annonce de la diminution de 1,3 milliard d'euros des dividendes de l'Etat actionnaire.
M. Alain Chatillon, rapporteur pour avis. - Confrontées à un environnement économique difficile, les entreprises ont tendance à augmenter leurs provisions pour risque, ce qui diminue mécaniquement leur bénéfice distribuable et donc les dividendes versés.
M. Martial Bourquin. - J'estime avant tout qu'on ne peut pas faire comme si l'Etat n'avait pas une dette abyssale et il faut rappeler que les titres d'Etat ont tout de même permis d'alimenter le budget général. Les orientations présentées par le rapporteur méritent d'être approuvées mais je me souviens également, il y a plusieurs années, des pressions exercées par les précédents Gouvernements pour privatiser de grandes entreprises comme la Poste dont on se rend compte aujourd'hui qu'elle joue un rôle fondamental pour l'aménagement du territoire et le financement des collectivités territoriales. Par ailleurs, si l'Etat avait conservé les sociétés d'autoroute, il n'aurait pas été besoin d'instituer les taxes qui soulèvent tant de contestation. Il n'y a rien de pire que l'amnésie et les ventes de titre ne procurent des recettes qu'une seule fois. Le recours au vote double pour préserver l'influence de l'Etat est une piste intéressante mais, de grâce, ne faisons pas abstraction de la réalité ni des erreurs du passé.
M. Alain Chatillon, rapporteur pour avis. - Mon point de vue est celui de l'entrepreneur qui plaide pour le dynamisme de la gestion de portefeuille et non pas pour une diminution de l'influence de l'Etat. Certains seuils très élevés de participations de l'Etat pourraient être réduits sans perte d'influence. On peut, par exemple dans le secteur agroalimentaire, contrôler une grande entreprise avec 3,5 % du capital par le jeu des votes doubles, des pactes d'actionnaires et des holdings, ce qui permet de mobiliser moins de fonds et d'allouer ces derniers à des investissements d'avenir. Sans appliquer nécessairement un tel schéma optimalisé, l'Etat pourrait sans se désengager, trouver des ressources pour accompagner les mutations économiques.
Mme Renée Nicoux. - Une partie du produit des cessions pourraient également être utilisée pour aider des secteurs stratégiques momentanément en difficulté afin d'éviter les démantèlements et les délocalisations. L'expérience nous enseigne que les nationalisations ont parfois permis d'améliorer la gestion d'entreprises déficitaires. Il faudrait également recenser précisément les entreprises dans lesquelles l'Etat dispose d'une majorité.
M. Alain Chatillon, rapporteur pour avis. - Il faut, à mon sens, surtout viser les secteurs dynamiques. Investir dans des entreprises sans avenir me paraît peu opportun. Investir dans les secteurs porteurs et innovants serait à la fois rentable pour l'Etat et bénéfique pour notre économie.
M. Claude Bérit-Débat. - Tout en félicitant à mon tour notre rapporteur, je voudrais rappeler que certaines stratégies industrielles de certains groupes dites offensives ont conduit à des catastrophes cuisantes. Certes, l'Etat pourrait se contenter d'une minorité de blocage, mais ne confondons pas la gestion entrepreneuriale et la gestion des participations de l'Etat qui n'obéissent pas aux mêmes objectifs.
M. Daniel Raoul, président. - Je précise ma pensée : l'Etat doit être un stratège encore plus qu'un entrepreneur.
M. Alain Chatillon. - Entendons-nous : je plaide avant tout pour plus d'investissement dans les métiers d'avenir et je rappelle, par ailleurs, que la prise de risque est inhérente au développement industriel. Mon expérience professionnelle m'a enseigné que les restructurations comportent également des risques et impliquent des décisions courageuses. Il faut transformer ce capital dormant détenu par l'Etat en un capital dynamique investi dans des secteurs qui créent des emplois et de la valeur ajoutée.
M. Daniel Raoul, président. - Je me demande s'il n'y a pas une certaine corrélation entre l'augmentation des cessions de titres et la diminution prévisible des dividendes ?
M. Alain Chatillon. - L'APE obéit à une certaine culture du secret et j'en suis réduit à des hypothèses. Les cessions sont réalisées lorsque les valorisations augmentent et les dividendes diminuent en corrélation avec la baisse des bénéfices imputables aux provisions pour charges.
M. Daniel Raoul, président. - Je comprends que les recommandations de la commission ont été prises en compte, mais que le rapporteur a des doutes sur les réalisations consécutives aux annonces qui ont été faites. Cela nécessiterait, à mon sens, un avis de sagesse « avec les encouragements du jury » même si ce concept est sans doute difficile à traduire juridiquement.
M. Alain Chatillon. - Je formule une sagesse positive.
La commission des Affaires économiques s'en remet à l'unanimité à la sagesse du Sénat en ce qui concerne l'adoption des crédits du compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'Etat ».
Loi de finances pour 2014 - Audition de M. Victorin Lurel, ministre des outre-mer
La commission procède à l'audition, en commun avec la délégation sénatoriale à l'outre-mer, de M. Victorin Lurel, ministre des outre-mer, sur le projet de loi de finances pour 2014.
M. Serge Larcher, président de la délégation sénatoriale à l'outre-mer. - Monsieur le Ministre, nous sommes heureux de vous accueillir aujourd'hui pour vous entendre sur votre budget et sur les nombreux dossiers cruciaux pour nos outre-mer. La commission des affaires économiques et la délégation à l'outre-mer ont collaboré et collaborent encore sur plusieurs d'entre eux.
Même si votre budget est en augmentation de 1 %, ce dont on peut se féliciter dans la conjoncture morose, les outre-mer contribueront également à l'effort de redressement des finances publiques. La défiscalisation est sauvegardée, la ligne budgétaire unique (LBU) sanctuarisée, le Fonds exceptionnel d'investissement (FEI) reconduit à l'identique, la TVA n'augmentera pas et le régime d'exonération de charges fait l'objet de recentrages dégageant une économie de 90 millions d'euros qui devrait faire l'objet d'un redéploiement dans le cadre de la future loi sur la compétitivité et l'emploi. Nous vous remercions de bien vouloir nous expliquer plus avant ces différents points.
Nous souhaiterions également aborder avec vous plusieurs dossiers européens aux enjeux déterminants pour nos économies ultramarines : l'octroi de mer, la pêche, la mise en oeuvre du nouveau cadre financier pluriannuel, le renouvellement du régime des aides d'État ou encore la fiscalité du rhum.
A l'approche de cette année charnière 2014, où en est la réforme des Programmes d'options spécifiques à l'éloignement et à l'insularité (POSEI) ? Les premières annonces sur la diversification des agricultures ultramarines avaient suscité de vives inquiétudes et des appréhensions demeurent bien que le dialogue noué avec le commissaire européen Dacian Ciolos lors de son séjour à La Réunion ait apaisé les esprits.
Pouvez-vous nous informer également sur la mise en oeuvre des lois et décrets qui nous intéressent concernant tant la loi sur la régulation économique dans les outre-mer, que celle visant à garantir la qualité de l'offre alimentaire en outre-mer et encore le décret règlementant les prix des carburants ?
Si le président Daniel Raoul en est d'accord et pour structurer le déroulement de notre réunion, je vous propose d'aborder dans un premier temps le projet de loi de finances et, notamment, la question du régime fiscal applicable à l'investissement dans nos outre-mer. Dans un deuxième temps, nous pourrons nous pencher sur les dossiers européens. Puis, en dernier lieu, faire un point sur la programmation législative pour les outre-mer au cours des prochains mois et sur l'application des mesures déjà adoptées.
M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques. - Le menu est copieux. Je n'ajoute rien et cède la parole au ministre.
M. Victorin Lurel, ministre des outre-mer. - Même si je redoute vos questions toujours précises et pointues, j'ai plaisir à exposer devant vous l'économie générale du budget de la mission outre-mer. Je n'ai pas à me plaindre des arbitrages rendus par le président de la République et le Premier ministre. Après le budget de combat de 2013, en croissance de 5 %, je vous présente aujourd'hui un budget de continuité dont les crédits de paiement ont augmenté de 1 %.
Nous consolidons les crédits alloués à toutes les grandes priorités. Nous avons sanctuarisé le logement dans le cadre de la LBU. Les autorisations d'engagement comme les crédits de paiement progressent. Les seconds, de 244 millions d'euros, enregistrent une croissance de 25 % par rapport à 2011, 15 % par rapport à 2012 et 8 % depuis 2013.
L'augmentation du budget consacré à la jeunesse et à l'emploi est du même ordre, soit 8 % avec des autorisations d'engagement qui s'établissent à 159 millions d'euros et des crédits de paiement de 151 millions d'euros. Nous poursuivons la montée en puissance du service militaire adapté (SMA).
En matière d'investissement public, nous avons obtenu une nouvelle enveloppe de 50 millions d'euros au titre du FEI. Le président de la République avait annoncé 500 millions sur cinq ans. Vous me direz que le compte n'y est pas. Nous accélèrerons l'an prochain afin que les crédits soient effectivement utilisés. Les autorisations d'engagement augmentent de 10 millions pour les contrats de plan Etat-régions par rapport à la programmation triennale, de manière à clore la génération de contrats en cours. Le taux d'exécution étant de 90 % il n'est pas nécessaire d'envisager un saut qualitatif. Nous augmentons également de 10 millions d'euros en crédits de paiement le troisième instrument financier, spécifique à la Polynésie française. Enfin, nous allouerons 20 millions en faveur de la construction d'écoles en Guyane et à Mayotte.
La rumeur voudrait que le Gouvernement soit hostile à l'entreprise. La rumeur est fausse. Nous avons demandé un reprofilage des hauts salaires. Cela représente 24 millions, qui seront redéployés en faveur des entreprises dans le cadre de la loi sur la compétitivité et l'emploi outre-mer. Nous avons décidé de stabiliser la compensation des exonérations à hauteur de 1,131 milliard d'euros. Il s'agit d'un véritable effort consenti par les outre-mer pour le rétablissement des comptes publics. Nous allons tripler le montant des autres aides aux entreprises : 25 millions en autorisations d'engagement et 16,5 millions en crédits de paiement. La réforme salariale épargne intégralement les bas salaires jusqu'à 1,4 smic et 1,6 Smic dans le secteur renforcé. Avec la mise en place du CICE, 93 % des établissements et 90 % des salariés ne seront pas affectés.
Les outre-mer bénéficieront en effet de 320 millions en crédit d'impôt compétitivité emploi (CICE), à mettre en regard de ces efforts. Les organisations patronales sont très critiques mais ont refusé, pour certaines d'entre elles, la discussion que je leur proposais. En métropole, le CICE est financé par l'augmentation de la TVA ; ce n'est pas le cas outre-mer où la TVA n'est pas modifiée. Nous n'avons pas supprimé les exonérations de cotisations patronales, nous les avons seulement réduites, sur les hauts salaires. Au niveau de 2,5 Smic, la contribution supplémentaire sera de 43 euros. Au total, ce sont 90 millions d'euros à terme qui seront demandés aux entreprises, dont 30 % redéployés en leur faveur, selon des modalités qu'il vous appartiendra de fixer lors de l'examen du projet de loi compétitivité et emploi.
Parallèlement, l'article 13 de la loi de finances préserve les défiscalisations et les aides à l'investissement. Au total, 2 milliards d'euros d'investissement sont maintenus, 1 milliard au moyen de dépenses fiscales directes, 1 milliard par effet de levier.
Nous aidons les entreprises et les chefs d'entreprise : nous avons besoin de bons managers ! Je me réjouis que nous ayons réussi à maintenir l'intensité de l'investissement et de l'intervention de l'Etat aux côtés du secteur privé.
Certains sénateurs, je songe au groupe de travail dont MM. Serge Larcher et Éric Doligé étaient rapporteurs et Mme Marie-Noëlle Lienemann présidente, qui ont proposé l'expérimentation d'un crédit d'impôt : le PLF reprend cette idée avec un crédit d'impôt obligatoire pour les entreprises dont le chiffre d'affaires dépasse 20 millions d'euros, et un crédit d'impôt optionnel pour les autres. J'y suis favorable - le président de la BPI également, pourvu qu'il ne s'agisse pas d'un guichet ouvert et sous réserve d'une vérification du coût budgétaire. Nous pourrons transposer l'expérimentation aux collectivités à autonomie fiscale par le biais d'une convention, après délibération de l'assemblée territoriale ou vote d'une loi de pays. Des conventions signées dans les mêmes conditions seront nécessaires afin d'autoriser l'intervention de la BPI dans ces collectivités. Cela a inspiré quelque frayeur à certains, comme M. Patrick Ollier, qui a voté le budget de la mission mais s'est abstenu sur l'article 70 car il craint que l'expérimentation ne soit le prélude, après un bilan en 2015, à une disparition de la défiscalisation en 2016. Quoi qu'il en soit, il ne faut pas s'interdire, compte tenu des pertes en ligne, d'envisager une substitution, si un autre système se révèle aussi efficace, avec moins de déperdition. Le moment venu, il vous appartiendra d'en décider. L'essentiel est de maintenir l'intensité d'aide au secteur privé et aux concessions de service public. Ne fétichisons pas la défiscalisation. Je vous invite toutefois à ne pas altérer l'équilibre issu de l'économie générale des articles 13 et 70.
L'Etat alloue 18 milliards d'euros au titre des politiques transversales en faveur de l'outre-mer. Même si cela correspond à une progression epsilonesque par rapport au budget de l'an dernier, l'effort est considérable en cette période de crise grave des finances publiques.
M. Daniel Raoul, président. - Si je comprends bien le théorème Lurel, 20 millions d'euros valent epsilon ?
M. Victorin Lurel, ministre des outre-mer. - Non, bien au contraire ! J'ai même remercié publiquement mes collègues du Gouvernement qui ont bien compris la nécessité d'un effort envers l'outre-mer.
M. Éric Doligé. - Le niveau annoncé du budget ne garantit pas le résultat des politiques menées. Tout est dans la mise en oeuvre. Vous nous flattez en évoquant une coproduction législative mais la question est de savoir comment les choses se passent sur le terrain. C'est pourquoi nous ferons en temps utile des propositions d'amélioration. Voyez la LBU devenant obligatoire dans le schéma de financement de la construction de logements sociaux : elle a été fixée à 5 % à l'Assemblée nationale, nous souhaiterions descendre à 3 % pour éviter une remise en cause de l'élan favorable à la production de logements induit par la LODEOM. Vous invoquez l'objectif d'une meilleure visibilité de l'utilisation des crédits mais nous avons quelques inquiétudes sur l'efficacité de leur utilisation et sur l'attractivité des dispositifs.
Autre source d'inquiétude, l'exécution budgétaire : que vaut d'annoncer un montant de crédits en hausse si durant l'exercice, on fait des économies ?
Une autre difficulté concerne le plafonnement de l'avantage fiscal en faveur de l'investissement productif à 18 000 euros. Si le plafond applicable en outre-mer n'est pas plus attrayant que celui en vigueur en métropole, les investisseurs déserteront les territoires ultramarins.
La BPI constitue un autre sujet d'interrogation. Elle n'est encore en place nulle part outre-mer. Pouvez-vous nous confirmer préciser le calendrier de son installation effective dans les outre-mer ?
M. Serge Larcher, président. - Je voudrais revenir sur la question posée par mon collègue Doligé au sujet des 5 % de la LBU. Loin de moi l'idée de vouloir « casser » le budget du Gouvernement. Mais il faut reconnaître l'existence d'un problème, qui n'est pas évoqué dans les documents budgétaires, lié à la dette de l'Etat en matière de LBU. En Guyane, cette dette avoisine les 70 millions en crédit de paiement. Une fois celle-ci réglée, que restera-t-il pour le financement de la production nouvelle de logements sociaux ? N'y aura-t-il pas in fine un fléchissement important de cette production en 2014 ? Dès lors, ne serait-il pas de bonne politique d'accepter une baisse du taux requis de LBU à 3 % ?
M. Georges Patient. - Le problème des crédits de paiement en LBU est réel. En Guyane, selon les chiffres dont je dispose, il manquerait en effet 35 millions d'euros pour honorer les engagements de l'Etat auprès des bailleurs sociaux et des entreprises de BTP. La crise est profonde, les entreprises sont exsangues et menacent de mener des actions violentes. Les crédits de paiement pour 2014, inférieurs au montant de la dette de l'Etat, seront entièrement absorbés par le service de la dette. Il faudrait augmenter les crédits de 50 millions d'euros.
M. Victorin Lurel, ministre des outre-mer. - Monsieur Doligé, à l'origine, Bercy défendait l'idée d'une LBU à 20 %. A l'Assemblée nationale, certains voulaient 3 %, d'autres 10 %. Nous avons finalement obtenu 5% : c'est un bon compromis. Vous proposez 3 %, pourquoi pas ? Cependant, j'attire votre attention sur le fait qu'il n'existe pas de simulation chiffrée solide. Nous avons travaillé avec des approximations. A La Réunion, en pratique, la moyenne est de 10 %, et 7 % pour les opérateurs sociaux...
Nous avons tous voulu sanctuariser la LBU, il faut la consommer. Financer des montages au seul moyen de la défiscalisation, sans recours à la LBU, peut sembler séduisant. Cela poserait toutefois des problèmes de programmation. A démographie constante, pour répondre à la demande sociale, il faudrait construire 10 000 logements pour les cinq territoires (Guadeloupe, Martinique, Guyane, Mayotte, La Réunion) sur les 10 ans qui viennent. Selon le sénateur Patient, les crédits actuels sont insuffisants pour la Guyane. Comment financerons-nous ces opérations ? Si nous ne mutualisons pas la LBU, Bercy ne reconduira pas les crédits. Je suis donc réservé vis-à-vis d'une baisse du taux de la LBU.
En ce qui concerne le plafond de 18 000 euros, nous l'avons arrêté avant de disposer du rapport de l'Inspection générale des finances (IGF) mais celui-ci l'a validé. Vous évoquez un déficit d'attractivité par rapport à d'autres dispositifs existants en métropole, tels le Malraux. En réalité, la cohabitation des régimes n'a jamais pénalisé l'outre-mer car, sur le long terme, le Malraux est peu intéressant. En tout état de cause, nous ferons une évaluation à mi-parcours et, s'il apparaissait que le plafond n'est pas adéquat, nous y réfléchirons. En attendant, nous restons attentifs.
La BPI existe en outre-mer même si elle n'est peut-être pas encore suffisamment opérationnelle. Deux directeurs interrégionaux ont été nommés, Mme Michèle Papalia pour les Antilles Guyane et M. Christian Quéré pour l'Océan Indien. Des comités régionaux d'engagement et d'orientation ont été constitués en conformité avec les dispositions de l'ordonnance du 22 août et du décret du 15 octobre 2013. La doctrine d'intervention est fixée. L'Agence française de développement (AFD) intervient pour le compte de la BPI Financements, comme elle le faisait naguère pour Oséo. J'ai demandé à M. Jean-Pierre Jouyet d'accélérer l'octroi des prêts. En ce qui concerne BPI Investissements, la Caisse des dépôts prend le relai. Les directeurs interrégionaux animeront les comités d'engagement que je viens d'évoquer, sauf à ce que les régions créent des fonds de garantie ou de capital risque, comme le FCPR à La Réunion. Une nouvelle doctrine de financement des hauts de bilan est à mettre au point avec la BPI. Je m'y emploie.
Sur les dettes, des réponses ont été apportées même si je crois comprendre que MM. Serge Larcher et Georges Patient les jugent insatisfaisantes. La dotation pour la Guyane au titre de la LBU en 2012 était de 16 millions, je l'ai portée à 20 millions et j'ai ouvert 6 millions de crédits supplémentaires pour les lignes tendues. Après deux augmentations en septembre et octobre, la dotation finale s'établit à 28 millions d'euros pour 2013.
Vous évoquez des impayés importants de l'Etat et m'avez remis, pour appuyer votre propos, un dossier réalisé par la fédération du BTP. Nous sommes d'accord sur le montant des factures payées. En revanche, les chiffres sur les factures en instruction et à venir ne sont pas attestés et leur montant reste, à ce stade, hypothétique, à vérifier.
M. Georges Patient. - Ce sont les chiffres de la DEAL.
M. Victorin Lurel, ministre. - Certains seulement !
A cette date, nous comptabilisons 17 M€ de factures en instance et un montant de factures à recevoir encore incertain. Cela ne fait pas nécessairement 35 millions. Mais quoiqu'il en soit, nous avons obtenu le « dégel » des crédits mis en réserve ce qui va permettre de débloquer des crédits dès Novembre.
Attention aux manipulations, comme en Guadeloupe, où le BTP a défilé dans les rues. On a manipulé et l'Etat et les entreprises. Une SEM, la Semsamar, a adressé des courriers à ses débiteurs annonçant qu'elle arrêtait ses paiements en raison des retards de l'Etat. Celui-ci a été brocardé dans un climat d'agitation sociale. Or, 80 millions de prêts ont été accordés à cette SEM par la CDC et la caisse d'épargne pour tenir compte des délais de paiement ! La même SEM tente aujourd'hui une manoeuvre identique en Guyane car elle a des ennuis avec la Mission interministérielle d'inspection du logement social (Milos) à propos de sursalaires payés à sa directrice. Celle-ci est gratifiée d'une rémunération très importante, comparable à celle de de dirigeants de groupes qui dégagent un chiffre d'affaires un peu supérieur... Avant de critiquer l'Etat, nous devons tous travailler à la moralisation de la vie économique outre-mer.
Pour 2014, les 32 millions inscrits en crédits de paiement pour 2014 sont à mon sens suffisants car ils correspondent à un doublement de la dotation 2012. Nous nous sommes donné les moyens de répondre aux urgences sociales et financières de la Guyane. Pour ce qui est de la fin de l'année 2013, je vous renvoie au projet de loi de finances rectificative, qui comprend 20 millions d'ouverture de crédits. Ainsi, en fin d'exécution, j'aviserai.
M. Serge Larcher, président. - Qu'en est-il du rapport commandé par le premier ministre à Mme Anne Bolliet sur la défiscalisation ? Nous souhaiterions en disposer.
M. Victorin Lurel, ministre des outre-mer. - J'ignore si le Premier ministre a décidé de le publié et il a, quoi qu'il en soit, constitué une base de travail pour répondre aux interrogations de vos délégations et des organisations patronales, dont les affirmations ont été contredites par cette étude.
M. Daniel Raoul, président. - Juste une remarque à propos des SEM. Il serait opportun d'explorer la solution des sociétés publiques locales au sujet desquelles j'avais déposé dans le passé une proposition de loi, qui fut votée. Dans ces sociétés, les actionnaires et la gouvernance sont entièrement publics et contrôlés par les collectivités. Ce mode de fonctionnement évite certaines dérives, évoquées à l'instant à propos de l'outre-mer mais qui existent aussi en métropole.
M. Paul Vergès. - La teneur de votre intervention, Monsieur le Ministre, sera fidèlement rapportée à La Réunion où le débat sur les moyens budgétaires intéresse toutes les catégories sociales. A-t-on conscience de la gravité de la situation dans l'île ? Permettez-moi de vous communiquer quelques chiffres issus du document préparé par les services de l'Etat et de l'Insee à l'occasion de la visite de M. Chérèque. Il apparaît que 42 % de la population vit sous le seuil de pauvreté, soit 343 000 personnes ; 145 000 personnes sont inscrites à Pôle Emploi, soit près de 30 % de la population active, chiffre inimaginable en métropole, mais qui ne reflète pas le nombre réel de chômeurs - car nombre d'entre eux ne s'inscrivent plus. 43,3 % est le taux d'emploi de la population en âge de travailler, ce qui représente quelque 165 000 personnes sans emploi. Les mesures budgétaires feront-elles baisser le chômage ? La réponse est négative.
En outre, 74 % des ménages sont éligibles au logement social ; 20 à 25 000 demandes sont enregistrées, un quart seulement satisfaites chaque année. Aux problèmes de logement, de chômage et de grande pauvreté, s'ajoutent les inégalités sociales.
Je voudrais aborder ici une question tabou : celle de la rémunération majorée des fonctionnaires d'Etat en vigueur depuis 1946. Les salariés de certaines entreprises privées ont obtenu des avantages équivalents. Ainsi, la convention collective des banques assure une sur-rémunération de 30 % par rapport aux salariés de métropole ; dans les assurances, la majoration est de 42,5 % ; elle atteint 73 % pour les services de radio-télévision.
Pendant ce temps, la croissance démographique se poursuit. A la différence des Antilles, La Réunion n'a pas opéré sa transition démographique. Elle comptait 247 000 habitants en 1947, ils sont 850 000 aujourd'hui. Comment s'étonner des conséquences économiques ? L'agriculture aujourd'hui représente moins de 8 % du PIB, l'industrie un peu moins de 10 %. Les services absorbent l'essentiel de l'activité. La Réunion présente la structure économique de la Californie, sans la Silicon Valley, malheureusement. Comment, dans ces conditions, organiser un développement durable et productif ?
M. Victorin Lurel, ministre des outre-mer. - Le Gouvernement n'ignore pas les difficultés de La Réunion, ni celles qui existent ailleurs en outre-mer. Les problèmes démographiques en particulier, que l'on rencontre aussi à Mayotte ou en Guyane, ont des conséquences sur le logement, la sécurité, la santé, la croissance.
La meilleure réponse réside dans l'activité, dans des grands chantiers créateurs d'emplois et de revenus. La nouvelle route du littoral en est un, financée à hauteur de 1 milliard d'euros par l'Etat.
Une autre réponse est celle de la politique nationale menée contre la précarité par le Premier ministre. Elle est expérimentée à La Réunion, qui est pionnière sur la garantie jeune. J'entends certains reprocher à l'Etat une inégalité de traitement avec la métropole au détriment de l'outre-mer. Le grief est infondé. La République fait son travail en outre-mer. Peut-être faut-il changer le modèle économique ? La départementalisation, que nous avons tous voulue, est un succès dans beaucoup de domaines mais pas dans celui de la lutte contre le chômage, aggravé par la situation démographique. Volontarisme économique, interventionnisme politique sont indispensables. La Réunion ne doit pas tout voir en noir, c'est l'une des régions les plus dynamiques de France, elle dispose par exemple d'une solide organisation coopérative mutualiste et solidaire. Un commissaire européen m'a d'ailleurs affirmé que La Réunion était exemplaire en Europe en matière de création d'entreprises et de longévité des entreprises.
Je suis fier de la politique mise en place en pleine crise économique. Lorsque j'étais dans l'opposition, j'entendais vanter le développement endogène. « Comptez sur vos propres forces », nous disait-on... J'aimerais pouvoir faire davantage mais, dans la conjoncture budgétaire actuelle, je crois que nous avons trouvé le moins mauvais équilibre.
Il convient d'être conscient que l'Etat ne peut pas tout. Est-ce à lui, par exemple, de créer une sur-rémunération de 200 euros dans le secteur privé ? Les patrons d'entreprises ne doivent-ils pas faire un effort également, y compris en matière de retraite complémentaire ? Je l'ai dit aux patrons du secteur agricole, qui l'ont mal pris. Le dialogue social peut être un facteur de productivité. Il y a de ce point de vue des formules innovantes à trouver...
M. Paul Vergès. - Je ne veux pas engager ici une polémique, mais peut-on sur un territoire aussi petit que le nôtre conserver deux modes de rémunération, quand la moitié de la population active ne touche que le Smic ? Il faut réunir tous les acteurs sociaux et trouver un consensus.
M. Jacques Cornano. - Je me réjouis de l'augmentation du budget de l'outre-mer qui a passé la barre symbolique des deux milliards d'euros et de l'effort maintenu du Gouvernement en faveur des territoires les plus touchés par le chômage. Je souhaite vous interroger sur un amendement adopté par la commission des finances à l'Assemblée nationale, qui impose aux cabinets de conseil de présenter à l'administration fiscale, avant de le commercialiser, tout nouveau schéma d'optimisation fiscale.
Cette obligation englobe-t-elle les autres intervenants du marché de la défiscalisation ? Ne va-t-elle pas freiner les investissements ultra-marins ? S'accompagnera-t-elle de la création d'un registre des « défiscaliseurs » ?
M. Victorin Lurel, ministre des outre-mer. - Je ne peux répondre avec certitude à votre première question. Je pense qu'en l'état l'obligation déclarative s'impose aux seuls monteurs en défiscalisation.
La réforme de la défiscalisation emporte inéluctablement une réforme de ce métier. L'ancien gouvernement avait promis un décret sur le sujet mais ne l'a jamais publié. Nous améliorerons le texte et nous le publierons avec l'objectif de moraliser la profession sans entraver les investissements. Nous réfléchissons à un registre. L'Assemblée nationale a imaginé un système de garantie et de préfinancement. Le débat est en cours entre les banques et la direction du Trésor. D'autres chantiers seront ouverts sur la désintermédiation bancaire, le statut fiscal des collectivités, etc... Des groupes de travail seront mis en place pour approfondir certains sujets.
M. Serge Larcher, président. - La question de la moralisation a été en partie prise en compte dans le projet de loi de finances. C'est un objectif partagé par tous. Le rapport du groupe de travail sur les investissements outre-mer contient des propositions.
Venons-en aux dossiers européens.
M. Victorin Lurel, ministre des outre-mer. - L'agenda est chargé ! Révision des politiques de cohésion, dont les enjeux sont lourds, préparation de la prochaine programmation, discussion des enveloppes financières 2014-2020, octroi de mer, notification des régimes d'aides d'Etat, fiscalité du rhum... Les débats progressent, vous y contribuez par vos travaux et résolutions. Sur la politique de cohésion, les règlements ne sont pas encore adoptés, mais nous avons obtenu de la Commission une réflexion sur une approche par filière, afin d'envisager des aides au fonctionnement en faveur des domaines d'activité exposés à une forte concurrence : filière bois, énergie, déchets, connexions transfrontalières, tourisme... A cet égard, la méthodologie des POSEI est intéressante.
La Commission n'accordera pas de dérogations permanentes au sens de l'article 349 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne pour compenser les handicaps structurels des outre-mer. Je ne peux du reste demander à Bruxelles ce qui n'existe pas à Paris. Si l'article 73 de la Constitution autorise une adaptation des lois dans les départements d'outre-mer, une telle adaptation a vocation à être temporaire. Le principe est celui de l'application de plein droit, à terme, des lois françaises aux territoires ultra-marins.
Nous poursuivons nos discussions avec la Commission et nous espérons obtenir des fonds d'amorçage en faveur de plusieurs filières.
Les enjeux de l'octroi de mer sont connus. A Mayotte, il sera appliqué le 1er janvier 2014. Ailleurs, après notification à Bruxelles d'une loi nationale de transposition, le nouveau régime entrera en vigueur le 1er juillet 2014. Le seuil d'assujettissement des entreprises est actuellement de 550 000 euros. Après une longue concertation avec les présidents de région, nous avons proposé à la Commission de le ramener à 300 000 euros.
Je rappelle que 85 % de notre PIB est réalisé dans les services. Or, seule la production matérielle subit l'octroi de mer, si bien que de grosses entreprises échappent à la taxe. A l'occasion du vote de la loi nationale, peut-être faudrait-il envisager d'assujettir les biens et services ?
M. Serge Larcher, président. - Une étude d'impact a-t-elle été effectuée ?
M. Victorin Lurel, ministre. - Je vous renvoie au rapport Lengrand.
M. Serge Larcher, président. - L'extension de l'assiette pose la question de l'assujettissement des artisans et des petites entreprises.
M. Victorin Lurel, ministre. - Ceux qui ont un chiffre d'affaires de 300 000 euros ne sont pas légion... Environ 400 entreprises sont assujetties à l'octroi de mer, et 175 le paient, sur environ 40 000 entreprises en Guadeloupe et Martinique. Le produit représente entre 800 millions et 1 milliard d'euros, un prélèvement très productif, donc. J'ai suggéré aux présidents de région, qui fixent les taux, de consentir en contrepartie un effort sur les biens de première nécessité pour conforter le pouvoir d'achat : ils le peuvent, puisqu'ils reçoivent des recettes supplémentaires. Un taux zéro répercuté sur le consommateur final serait une bonne idée. Je n'ai pas encore de réponse. Je le regrette. Les monopoles gangrènent les économies ultramarines, une vraie concurrence est nécessaire, et une fiscalité appropriée.
Une quinzaine de régimes d'aides d'Etat doivent être re-notifiés, en procédure simplifiée pour le premier semestre 2014, puis dans une procédure plus formalisée pour le post 1er juillet 2014. Le travail est engagé.
Sur la fiscalité du rhum, je veux rester prudent mais j'avoue que je suis heureux car nous devrions obtenir un beau résultat : le gouvernement Fillon avait créé un régime d'aides illégal puisque non notifié à Bruxelles, en conséquence de quoi les autorités européennes demandaient aux distilleries ou à l'Etat le remboursement de 60 millions d'euros. Nous avons notifié ces aides a posteriori, prouvé qu'il n'y avait pas de surcompensation du surcoût, réussi finalement à ne pas payer d'arriérés, obtenu la rétroactivité du régime notifié et légal ; et, enfin, notifié un régime d'aides. Je crois que nous aurons gain de cause. C'est un beau résultat, que toutes les distilleries attendaient !
Les perspectives financières européennes n'ont pas été la catastrophe que l'on prédisait. Globalement, le niveau des fonds est supérieur à ce qu'il était dans la période 2007-2013 - même si Mayotte, qui aurait pu recueillir 400 millions, n'en obtient que 224, à quoi s'ajoutent cependant des fonds FEAMP, POSEI et FEADER, environ 110 millions de plus. Une clause de revoyure est prévue en 2016 : si la consommation des crédits est bonne, la Commission débloquera peut-être une rallonge. Sur la période à venir, 2014 à 2020, l'augmentation globale est de 12 %, les sommes progressent partout. Reste à en fixer la répartition entre les territoires.
M. Georges Patient. - Il est heureux que l'octroi de mer ait été reconduit. Il y a une particularité concernant la Guyane : en 2014, 33 % de l'octroi de mer sera prélevé pour le conseil général - ce qui prive les communes de 27 millions. Profitera-t-on des nouveaux développements pour rétrocéder cette somme aux communes ?
Sur la répartition des fonds européens, le conseil régional de Guyane a émis une protestation, car notre territoire a la plus forte progression démographique, le plus faible PIB et notre part devrait être bien supérieure à ce qu'elle est : nous attendions plutôt 700 que 440. Il faut absolument revoir la répartition. Pour la DGF, un critère de superficie s'applique, pourquoi pas pour les fonds européens ?
M. Serge Larcher, président. - Faites valoir les besoins de la Guyane, mais ne regardez pas ainsi dans l'assiette des voisins... En outre, la définition des critères relève de Bruxelles.
M. Georges Patient. - Je dis seulement qu'il faut appliquer des critères de PIB et de population.
M. Victorin Lurel, ministre. - C'est le Conseil européen qui fixe les critères. Sur la part départementale de l'octroi de mer, la décision n'est pas encore prise ; il nous reste encore quelques mois de concertation avant la transmission. En effet, 27 millions ont été prélevés sur la part des communes, au profit du département de la Guyane. Est-ce à l'Etat de compenser cela ? Je n'ai pas la solution... Sur la répartition des enveloppes de fonds européens, le conseil régional proteste et invoque l'évolution démographique à l'horizon 2020, mais aucun chiffre n'a encore été validé. La demande du conseil régional n'en sera pas moins examinée.
M. Serge Larcher, président. - Dans le domaine de l'agriculture, où en est la réflexion pour préparer la transition, puisque l'on sait par exemple que la production de sucre sera mise à mal lorsque les quotas sucriers prendront fin en 2017 ?
M. Victorin Lurel, ministre. - Le commissaire européen M. Dacian Ciolos était à La Réunion, pour évoquer la répartition des financements POSEI entre les cultures de rente, banane et canne à sucre, et la diversification. Il y a là un sujet franco-français à examiner avec prudence et détermination, car il y va de l'autosatisfaction alimentaire et de la conquête du marché local. Même chose pour la pêche : comment utiliser les POSEI pour développer l'industrie halieutique ? Je n'ai pas de solution, mais la question est posée. Sur 280 millions, 129 sont prévus pour la banane, 75 pour la canne et autant pour la diversification. Le niveau des financements est maintenu et je précise que 6 millions seront affectés à Mayotte. Une réflexion est en tout cas nécessaire entre professionnels et élus sur les meilleurs modes de financement. Et la mesure décidée en Conseil interministériel de l'outre mer est maintenue, ce qui représente 35 millions d'euros consacrés à la diversification.
M. Serge Larcher, président. - Les grandes sont structurantes pour nos territoires. Les accords de libre-échange avec l'Amérique latine, surtout le Pérou et la Colombie, ont mis la production de la banane en difficulté. L'Europe a décidé des compensations pour maintenir à flot cette spéculation agricole. Après 2017, l'économie sucrière deviendra bien vulnérable. Les conditions actuelles vont être totalement bouleversées. Il faut préparer la transition dès maintenant.
M. Victorin Lurel, ministre. - C'est vrai. Sur la banane, le Premier ministre a dit que l'épandage aérien devrait s'arrêter d'ici deux ans, nous avons très peu de temps pour préparer la reconversion, mettre au point de nouvelles spéculations, de nouveaux itinéraires techniques et définir la taille optimale des exploitations agricoles. La fin des quotas créera une concurrence supplémentaire pour la production sucrière de La Réunion et de la Guadeloupe : déjà, en dépit des aides actuelles, le surcoût est de 100 euros la tonne de sucre par rapport au coût de production d'autres pays. Nous avons demandé une étude à un cabinet indépendant pour anticiper l'impact de la fin des quotas sucriers et les éventuelles pistes de réorientation. Depuis dix ans, des efforts de productivité considérable ont été réalisés, le prix à la tonne de sucre a été gelé : il en est résulté des efforts de productivité considérables consentis par les exploitants.
M. Serge Larcher, président. - Il y a beaucoup de petits planteurs.
M. Victorin Lurel, ministre. - La loi d'avenir sur l'agriculture qui sera présentée au Parlement en janvier prochain traitera de ces sujets. L'article 1er comprendra une définition de l'agriculture dans les territoires insulaires, car ceux-ci ont vocation à devenir des terres d'excellence biologique et environnementale. Il y a aussi le texte sur les retraites défendu par Marisol Touraine, qui prévoit une retraite à 75 % du Smic à taux plein, pour les petits exploitants agricoles et leurs salariés - la MSA n'existe pas outre-mer. C'est plutôt une bonne nouvelle, surtout si l'exigence de 17 années de cotisations est allégée - nous verrons.
M. Serge Larcher, président. - Reste le problème, pour les petites retraites agricoles, de la date de versement trop tardive, en milieu de mois.
M. Victorin Lurel, ministre. - Dans le passé, elles étaient versées tous les trois mois. Aujourd'hui elles sont mensualisées, mais je sais que la date de versement pose encore problème : cependant, nous devons aussi prendre en compte la trésorerie des caisses.
M. Paul Vergès. - Je rappelle que la canne à sucre n'est pas une plante annuelle, que sa durée de vie est de sept années. Les plantations et investissements d'aujourd'hui ont besoin de visibilité et les acteurs de l'activité sucrière aimeraient connaître les orientations du Gouvernement dans la perspective de l'échéance de 2017.
M. Victorin Lurel, ministre. - Dans la loi d'avenir pour l'agriculture, il y a également les groupements d'intérêt économique et environnemental, la transparence des coopératives, la préservation des terres agricoles, ou encore cette règle révolutionnaire, dont j'espère qu'elle ne sera pas censurée par le Conseil constitutionnel : la possibilité, pour deux tiers des héritiers d'une propriété agricole en indivision, d'imposer l'exploitation des terres, en fermage par exemple dans le cas de terres insuffisamment cultivées. Un nouveau contrat d'objectifs et de moyens entre l'Etat et les collectivités renforcera les missions des chambres d'agriculture. A quoi s'ajoute une orientation de l'agriculture vers le modèle durable, le renforcement de la protection du foncier, des dispositions sur les produits locaux dans la restauration collective. Je veux mentionner la loi visant à garantir la qualité de l'offre alimentaire outre-mer. Il y a 36 millions de repas à conquérir ! Les critères de performance tels que fraîcheur ou circuit court, appliqués aujourd'hui aux produits frais, seront étendus aux produits transformés issus de l'agriculture ou de la pêche.
Le texte habilite le Gouvernement à prendre des ordonnances de codification, mais - c'est une originalité - cela ne se fera pas à droit constant. Les grandes lois agricoles votées depuis la fin de la Seconde guerre mondiale, les lois Pisani, Debré, celle du Gouvernement Jospin, sont faites pour un climat tempéré. Elles sont mal calibrées pour nos « pays sans hiver ». Les dispositions applicables outre-mer sont dispersées et méritent d'être ramassées dans un code spécifique à nos territoires. M. Dominique Bussereau et moi avions fait une tentative à ce sujet, hélas l'ordonnance n'a pas été publiée. Une nouvelle habilitation est nécessaire, pour reprendre le travail déjà commencé.
M. Serge Larcher, président. - Pourrez-vous nous communiquer le rapport d'expertise sur la canne à sucre ?
M. Victorin Lurel, ministre. - Oui, lorsqu'il sera prêt. Il faut absolument anticiper la fin des quotas sucriers et prendre en compte ces nouvelles contraintes sur l'ensemble de la filière...
M. Serge Larcher, président. - S'il n'y a plus de rhum, il n'y a plus d'Antilles !
M. Victorin Lurel, ministre. - Non, vous connaissez noter détermination à préserver la canne et le rhum, j'ai notamment en tête le dossier Pécoul où notre objectif est de préserver les approvisionnements en eau et sécuriser le terroir AOC. Le foncier est limité aux Antilles, à La Réunion ; ce n'est pas le cas en Guyane, où une grande ambition agroalimentaire et agricole est possible si l'on trouve les bons vecteurs. Souvenez-vous de cette action menée par Pierre Mauroy, l'achat de 12 500 hectares en Guadeloupe, puis leur revente à des sociétaires collectivement propriétaires, qui étaient aussi des professionnels bien formés. La même chose est possible en Guyane, je souhaite que le Gouvernement s'engage dans cette voie, si les Guyanais veulent se transformer en agriculteurs - car faire venir des exploitants d'ailleurs poserait d'autres problèmes.
M. Serge Larcher, président. - Je voulais aussi aborder la programmation législative, les mesures d'application des lois récentes concernant les outre-mer ainsi que la réglementation de la fixation du prix des carburants. Comment prenez-vous en compte les préoccupations des pompistes ?
M. Victorin Lurel, ministre. - Je revenais à peine de Guadeloupe où j'étais en voyage officiel, que les gérants de stations service ont annoncé des grèves et des actions pour la mi-décembre. Le Gouvernement a pourtant dit et répété qu'ils n'étaient pas inclus dans le périmètre du décret, réservé aux pétroliers, aux raffineurs, aux stockeurs. Les salariés des stations service veulent quand même débrayer.
Nous avons certes décidé de réduire la marge de ces monopoles, aujourd'hui 12 à 15 % après impôt, un niveau exorbitant... D'autant que dans ce régime de monopole et de prix administrés, le risque de faillite est nul, sauf mauvaise gestion caractérisée. Selon les conclusions de la dernière enquête que nous avons diligentée, l'activité est encore plus rentable que ce que nous pensions. Sara, filiale antillaise de Total, est l'unité la plus profitable du groupe. Or l'Etat a dû lui faire un chèque en raison d'une menace de contentieux. Le décret de novembre 2010 n'a pas mis fin à l'ubris profitationnel ; le Premier ministre prendra donc un nouveau décret, afin de contenir les marges entre 8 et 10 %, niveau raisonnable puisque la Commission de régulation de l'énergie estime à 7 % leur niveau normal. On nous accuse d'être « contre les entreprises ». Nullement : nous sommes pour des profits raisonnables et la préservation du pouvoir d'achat.
Nous maintenons les marges des stations-service afin de préserver l'emploi. Le texte est en ce moment soumis à la consultation des cinq collectivités, à l'Autorité de la concurrence et au Conseil d'Etat. L'objectif est une publication du décret avant la fin de l'année, pour une entrée en vigueur au 1er janvier 2014.
Un mot des accords interprofessionnels, entre les pétroliers, les distributeurs, les locataires-gérants : ces derniers reçoivent des indemnités conséquentes de fin de contrat de gérance, mais les bases juridiques des contrats ne sont pas toujours solides, au point qu'on y a mis fin en Guadeloupe. A la Martinique, les salariés manifestent dans la rue, car leurs arriérés de salaire deviennent insupportables. Les patrons se rendent alors chez le préfet et disent qu'ils sont « d'accord pour payer, si l'Etat proroge de trois ans les accords interprofessionnels pétroliers » ! Nous avons refusé. Ils avaient signé, en Guadeloupe comme en Martinique ou à La Réunion, le RSTA (Revenu supplémentaire temporaire d'activité), avec 200 euros supplémentaires pour les bas salaires, et voilà qu'ils ont décidé, parce que « la conjoncture est mauvaise », de ne pas le payer. Les indemnités devraient être versées, en fin de contrat, aux locataires-gérants et à eux seuls. Or elles sont utilisées pour les propriétaires. Bref, nous demandons la lumière sur tous les aspects de cette question, nous voulons que l'opinion publique et le Parlement soient informés. Le pilonnage des lobbies, contre le décret, contre le ministre que je suis, contre le Gouvernement, est impressionnant ! « Si nous n'obtenons pas satisfaction, disent encore les propriétaires, nous reprenons la gestion directe des stations et nous licencions les pompistes », soit environ 1 000 personnes dans chacune des îles considérées. Le Gouvernement peut-il accepter un tel chantage ?
Le projet de loi compétitivité est en préparation. J'espère pouvoir le présenter très prochainement au Conseil des ministres. Il est encore temps de faire vos propositions. Il est difficile de changer de modèle sans changer de statut, compliqué de faire une révolution fiscale tout en restant dans le territoire douanier européen et le code général des impôts. Pour reprendre une idée de Michel Rocard, comment réformer sans dépenser ? Comment inventer du neuf, renouveler les zones franches d'activité, qui prennent fin en 2017, sachant que la Lodeom n'aura pas été très efficace ? Pour le secteur social et solidaire, nous réfléchissons aussi à la manière d'exploiter la culture mutualiste, créer des sociétés coopératives avec des gérants élus, renouveler les modes de gestion, instaurer des associations de consommateurs, instiller une concurrence de bon aloi. Il faudrait une vraie petite révolution, mais dans les temps actuels, comment la mener sans rien dépenser ? Peut-être en fonctionnant en dons et contre dons, sans échange monétaire ? Pardonnez-moi, je m'égare, je suis en train de rêver...
M. Serge Larcher, président. - Où en est la prospection en Guyane ? A-t-on trouvé du pétrole lors de la dernière campagne ?
M. Victorin Lurel, ministre. - Non, elle n'a rien donné, un seul forage sur cinq ou six a été heureux, Shell confirme l'échec. La zone de forage devrait se déplacer vers l'Est.
M. Georges Patient. - De nouvelles demandes sont en attente, Shell, Total,...
M. Victorin Lurel, ministre. - Nous resterons attentifs.
Mme Karine Claireaux. - Je veux attirer l'attention du ministre sur notre archipel « avec hiver ». Le développement économique est en berne, l'activité de pêche ne dépasse pas le minimum vital. Cela a-t-il un sens de demander encore des quotas aux Canadiens, quand on ne peut plus les exploiter ? Nous aurons besoin de défiscalisation pour le projet Grand port, si celui-ci aboutit ; et besoin d'accéder aux ressources du FEI. Il semble que la part des collectivités, dans les financements prévus par le contrat de développement, soit supérieure à celle de l'Etat. Qu'en est-il ? Notre petit archipel compte 2 500 foyers fiscaux. L'accord de libre-échange entre l'Union européenne et le Canada risque de nuire à notre économie fragile.
Sur deux questions, nous allons avoir besoin de votre aide. D'abord, le plateau continental pourrait devenir une source de développement économique, si un accord était trouvé avec les Canadiens. Ensuite, deux permis d'exploitation pétrolière vont être déposés, portant sur la zone économique exclusive : la Drire Ile-de-France va devoir donner une réponse, nous avons besoin du soutien du ministère dans ce parcours. Les deux ports, de Saint-Pierre et de Miquelon, sont des ports d'Etat. Il faut ensemble développer l'interface port-ville et les activités de pêche, de commerce, de plaisance - car nous avons une position stratégique qu'il convient d'exploiter.
M. Victorin Lurel, ministre. - Je vous suis tout acquis. Je sais vos attentes et vos déceptions. Je suis venu sur place, j'ai pris des engagements que je renouvelle. Concernant l'ordonnance pour le financement du Fonds national d'action social, le ministère des affaires sociales m'indique que 1 million d'euros seront consacrés aux actions envers les familles, les jeunes, les personnes âgées. L'ordonnance a reçu un avis favorable de la CNAF, nous attendons l'avis du Conseil territorial. Sur la revalorisation des retraites, l'arrêté sera pris dans quelques semaines, après l'avis de la Caisse de prévoyance sociale, et avec effet rétroactif à avril 2013. Pour rendre automatique la revalorisation, dans le cadre de la convergence nationale, l'article 34 de la loi sur les retraites prévoit une nouvelle habilitation du Gouvernement à légiférer par ordonnance ; le travail a déjà été entrepris, il faudra environ six mois pour l'achever.
Sur l'extension des aides au logement qui figure à l'article 25 de la loi de régulation des activités économiques outre-mer, un avis a été rendu en mai dernier par le Conseil d'Etat, qui introduit un doute sur la compétence logement : il semble que la collectivité soit compétente, le Gouvernement a saisi à nouveau le Conseil d'Etat pour savoir à quelles conditions il peut financer le logement.
J'ai demandé que dans le contrat de développement, les priorités des communes soient prises en compte et non seulement celles du conseil territorial. Le président de la République lui-même a décidé de déposer un dossier à l'ONU sur le plateau continental. Néanmoins, l'affaire est délicate, et M. Laurent Fabius l'a souligné, il faudra être très mesuré pour que la France ne soit pas désavouée par les juges de la Commission des limites du plateau continental.
Enfin, un message à M. Georges Patient : les opérateurs doivent comprendre que les choses avancent, point n'est besoin de bloquer l'économie du pays, je le dis après ce qui s'est passé dans les universités. Le BTP menace à présent de défiler, je demande au secteur de n'en rien faire, nous comprenons les problèmes et travaillons à des solutions.
M. Serge Larcher, président. - Nous répondrons à vos sollicitations sur tous les dossiers, pour apporter notre contribution. Merci de toutes ces informations.