Jeudi 14 novembre 2013
- Présidence de Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente -Lutte contre le système prostitutionnel - Audition de Mme Catherine Coutelle, députée, présidente de la délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale, et Mme Maud Olivier, députée, membre de la délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale
La délégation auditionne Mme Catherine Coutelle, députée de la Vienne, présidente de la délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale, et Mme Maud Olivier, députée de l'Essonne, membre de la délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale, cosignataires de la proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel, présentée par M. Bruno Le Roux et plusieurs de ses collègues (n° 1437, 14ème législature) et respectivement vice-présidente et rapporteure de la commission spéciale pour l'examen de la proposition de loi.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente. - J'ai souhaité que dès cette semaine nous puissions commencer à travailler sur la proposition de loi de l'Assemblée nationale renforçant la lutte contre le système prostitutionnel.
Comme vous le savez, ce texte sera très prochainement débattu en séance publique à l'Assemblée nationale. Je voudrais remercier très chaleureusement nos collègues députées Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale, et Maud Olivier d'être venues jusqu'à nous ce matin pour nous présenter la proposition de loi dont elles sont les auteures, alors qu'elles sont très sollicitées par la commission spéciale constituée à l'Assemblée pour instruire ce texte.
Je voudrais rappeler que l'élaboration de cette proposition, très complète, a été préparée par un groupe de travail auquel la délégation du Sénat a été associée. J'ai moi-même participé à certains des déplacements qui ont été organisés dans ce cadre, à Stockholm en novembre 2012 puis à Strasbourg en février 2013.
Mes chères collègues, c'est bien volontiers que je vous donne la parole pour que vous nous présentiez ce texte, qui me semble refléter les convictions de nombreux membres de notre délégation.
Mme Catherine Coutelle, députée, présidente de la délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale. - Je voudrais tout d'abord vous remercier de nous associer à votre réflexion sur la lutte contre le système prostitutionnel. Je rappelle que l'Assemblée nationale a commencé à travailler en 2010 sur ce sujet dans le cadre de la mission d'information sur la prostitution en France présidée par Danielle Bousquet, et dont le rapporteur était Guy Geoffroy. Le rapport rendu public en avril 2011 a conduit, comme vous le savez, à l'élaboration d'une proposition de loi et à l'adoption d'une résolution. Je trouve très important que le Parlement se soit saisi de ce sujet : quel meilleur cadre pour aborder un travail avec toutes les sensibilités politiques ?
Pourquoi nous sommes-nous penchés sur le problème de la prostitution ? Avec l'aggravation du phénomène de traite qui en est un élément indissociable, la prostitution est véritablement aujourd'hui une violence faite aux femmes : les prostituées sont avant tout des victimes des réseaux de traite et de violence. Il fallait aussi, parallèlement à la suppression du délit de racolage qui faisait partie des promesses du président de la République, élaborer un texte complet prenant en compte toutes les dimensions de la lutte contre la prostitution.
Tel est donc l'objet du travail très ambitieux entrepris en amont dans le cadre de la délégation aux droits des femmes par Maud Olivier. Ce travail s'est déroulé sur une année. Il s'est articulé autour de nombreuses auditions, d'un déplacement en Suède et de quatre tables rondes de terrain. L'objectif était de permettre l'élaboration d'une loi pragmatique et non idéologique, fondée sur des préoccupations éthiques et sans ambition moralisatrice. L'idée n'est pas de brider la sexualité !
La proposition de loi que nous avons déposée a donné lieu à la constitution d'une commission spéciale. Je me réjouis que cette méthode ait été choisie plutôt que la saisine de plusieurs commissions - commission au fond et commissions pour avis. Cela évite que chaque commission ajoute un point de vue spécifique. La commission spéciale a terminé ses auditions ce matin même avec celle du ministre de l'Intérieur. Elle a entendu le point de vue de quatre ministres (Intérieur, Justice, Santé et Droits des femmes).
Mme Maud Olivier, députée, membre de la délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale. - Comme Catherine Coutelle, je me réjouis de participer à cet échange de vues auquel j'attache beaucoup d'importance. Je me propose de vous présenter la proposition de loi à laquelle j'ai travaillé d'abord à la délégation aux droits des femmes, puis en tant que rapporteure de la commission spéciale.
Cette proposition de loi s'appuie sur quatre piliers : le renforcement des moyens destinés à la lutte contre la prostitution et la traite, l'accompagnement social des personnes qui veulent sortir de la prostitution, l'éducation et la prévention et, enfin, la responsabilisation du client.
En ce qui concerne tout d'abord le renforcement des moyens, l'article premier, dont certaines dispositions doivent encore être précisées, tire les conséquences du fait que les réseaux de traite fonctionnent de manière indissociable d'Internet. Notre objectif est donc d'empêcher l'accès aux sites Internet hébergés à l'étranger qui favorisent le proxénétisme et la traite des êtres humain. L'idée est de s'inspirer des solutions mises en place dans le domaine de la pédopornographie et des jeux d'argent. Parmi les solutions à mettre en place, il y a le renforcement des moyens d'investigation des cyber-gendarmes.
Selon un argument qui nous est régulièrement opposé, on ne pourrait s'attaquer aux seuls clients sans prendre en compte le rôle déterminant des réseaux de traite. À ce sujet, dont nous ne méconnaissons pas l'importance, nous souhaitons que soit conclues des conventions avec les pays concernés par la traite, même si tous ces pays ne réagissent pas de manière favorable à cette idée.
J'en viens à l'accompagnement social des personnes qui souhaitent sortir de la prostitution. Ce problème sera confié à des commissions départementales qui seront créées sous l'égide du préfet et qui comprendront les élus locaux, aux côtés d'associations agréées. Cette commission serait chargée d'organiser le parcours de sortie de la prostitution. À mon avis, cette structure doit aussi être à même d'apprécier l'engagement de chaque personne avec qui un contrat sera signé. La commission étudiera donc chaque cas. Les services de police et de gendarmerie devront également en faire partie. Par ailleurs, nous attachons beaucoup d'importance au fait que des titres de séjour puissent être délivrés aux étrangers qui seront pris en charge dans le cadre d'un parcours de sortie. Nous souhaitons que ces titres de séjour, qui devraient selon moi être délivrés pour une période de six mois renouvelable, leur permettent d'exercer une activité professionnelle.
Je voudrais rappeler que le rapport de la délégation aux droits des femmes comprenait, sur un total de quarante recommandations, vingt-cinq recommandations concernant l'accompagnement social des personnes qui décident de sortir de la prostitution. C'est une dimension que nous avons toujours considérée comme décisive pour lutter contre la prostitution. J'insiste sur le caractère global et cohérent de notre démarche législative.
Parmi les autres dispositions de cette proposition de loi, nous attachons beaucoup d'importance au fait que, quand la victime le demande, le huis-clos au procès soit de droit. Nous avons également la certitude de l'intérêt du versement d'un pécule aux personnes souhaitant sortir de la prostitution. Il s'agit de l'allocation temporaire d'attente. Il semble difficile d'organiser des parcours de sortie de la prostitution sans que les personnes reçoivent un revenu de substitution temporaire.
Le troisième pilier de la proposition de loi concerne l'éducation et la prévention : nous proposons que le code de l'éducation comprenne, dans le domaine de l'éducation à la santé et à la sexualité, un enseignement sur la marchandisation des corps. Il semble en effet que tous les jeunes ne soient pas conscients du fait qu'échanger un acte sexuel contre une rémunération quelconque est de la prostitution.
J'en viens aux dispositions relevant de la pénalisation. Nous sommes convaincus que c'est la bonne démarche pour faire diminuer la demande, comme le montrent les exemples de la Suède, de la Norvège, de l'Islande ou de la Finlande. Nous pensons qu'une telle mesure est également de nature à dissuader les réseaux de traite et de proxénétisme d'agir sur notre territoire.
La proposition de loi prévoit aussi des stages de responsabilisation du client, qui seront effectués dans le cadre d'une décision de justice. Nous avons considéré que cette formule produisait de bons résultats à l'égard des conjoints violents. L'idée est de sensibiliser les personnes ayant recours à la prostitution aux conditions d'exercice de la prostitution et aux conditions de vie des personnes prostituées ainsi qu'aux phénomènes de la traite des êtres humains aux fins d'exploitation sexuelle. L'objectif est que les clients comprennent que leur argent contribue à la traite des êtres humains. Par ailleurs, je voudrais préciser que - cette information nous a été confirmée par le ministre de l'Intérieur - on observe actuellement une augmentation du nombre de viols subis par des personnes prostituées.
S'agissant du risque de clandestinité qui serait le corollaire de la pénalisation du client et qui affecterait la sécurité des personnes prostituées, je ne trouve pas cet argument convaincant : il faut bien avoir conscience du fait que, actuellement, les personnes prostituées sont considérées comme des délinquantes. Or avec la proposition de loi, elles ne le seront plus. Elles n'auront plus à se cacher de la police. Je ne comprends pas pourquoi la proposition de loi risquerait de renforcer la clandestinité et l'insécurité des personnes prostituées.
D'autres craintes concerneraient la difficulté pour les associations d'approcher les personnes prostituées : je ne vois pas quelles raisons s'opposeraient au fait que les associations puissent contacter et approcher les personnes prostituées pour les aider.
En Suède, le bilan de la pénalisation du client est positif. Nous avons rencontré, la semaine dernière, divers responsables suédois : la chancelière pour la justice, un commissaire de police de Stockholm et la procureure au parquet international de Stockholm. Aucun de ces témoignages ne permet d'affirmer que le danger ait augmenté en conséquence de la pénalisation. Je pense qu'il faut se garder dans ce domaine des allégations reposant sur des fantasmes et s'en tenir à la réalité des faits.
L'objectif de la proposition de loi est de décourager la demande en mettant en place notamment l'interdiction d'achat d'acte sexuel. Certes, la question de ce que vont devenir les personnes qui se prostituent depuis très longtemps se pose incontestablement. Quelle formation professionnelle et quelle reconversion leur proposer ? Il n'est pas question de les aider à continuer cette activité.
Selon certains, le risque de propagation du SIDA serait une conséquence de la pénalisation. Cette approche validerait la création de maisons closes. Pour ma part, je voudrais souligner que la propagation du SIDA semble davantage tenir à des facteurs comme la toxicomanie.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente. - Je vous remercie l'une et l'autre pour vos interventions très éclairantes. Je suis convaincue que la question des moyens est effectivement déterminante dans la lutte contre la prostitution. J'espère que votre proposition de créer un revenu de substitution pourra être mise en oeuvre. Je ne vois pas comment le parcours de sortie de la prostitution pourrait fonctionner sans ce pécule.
Mmes Catherine Coutelle et Maud Olivier, députées, présidente et membre de la délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale. - Nous sommes déterminées à faire avancer les choses dans ce domaine.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente. - Il y a une autre priorité : que les personnes prostituées qui entreprennent un parcours de sortie puissent s'adresser en confiance à la police et aux associations qui les aideront dans leur parcours. À cet égard, je me pose la question de leur avenir professionnel : des entreprises ne pourraient-elles pas s'engager pour favoriser leur réinsertion ?
Pour ma part, je soutiens pleinement cette proposition de loi. Je suis convaincue de la nécessité de la pénalisation du client et j'apprécie beaucoup que ce texte prenne en compte tous les aspects du sujet, y compris ses aspects sociaux.
Mme Corinne Bouchoux. - Je vous remercie de cette présentation très claire ; les sénateurs membres du groupe Écologistes au Sénat ont des avis divers sur ce sujet de la prostitution, tant dans leurs analyses que dans les votes qu'ils seront amenés à exprimer ; cette pluralité d'opinions s'explique par des parcours personnels différents. Ce sujet est compliqué pour chacun. Pour ma part, j'assume pleinement mes trente années passées au sein du Planning familial et mes dix années de militantisme au sein de l'association LGBT (Lesbiennes, Gays, Bi et Trans en France).
La prostitution est un sujet extrêmement inconfortable pour les politiques en général mais plus encore pour les parlementaires - en tout cas au Sénat - pour lesquels l'imagerie populaire prête traditionnellement une connectivité avec le recours à la prostitution, toutes familles politiques confondues. Ce sujet est donc difficile pour les parlementaires, d'autant plus que les développements qu'il a connus ces deux dernières années ont encore compliqué la donne. Aussi nos collègues masculins sont-ils soumis à cette injonction : voter les dispositions de la proposition de loi quoi qu'ils en pensent, ou émettre des critiques sur celles-ci, au risque de se sentir suspectés d'être des « clients ». Le débat s'en trouve singulièrement compliqué.
Je reviens à la proposition de loi : n'aurait-il pas été préférable de travailler sur une proposition de loi concernant la lutte contre les mafias, dans laquelle un texte sur la prostitution et l'aide aux prostituées se serait ensuite inscrit tout naturellement ? En effet, le texte actuel doit porter à lui seul la lutte contre les réseaux de prostitution et la prise en compte du sort des personnes prostituées.
Au regard de l'enjeu économique majeur que représente la prostitution, la lutte contre les mafias aurait dû faire l'objet de travaux significatifs de nos institutions respectives, ce qui n'a pas été le cas. On ne s'attaque pas à la vraie question des mafias.
Lors d'un récent colloque organisé par ma collègue Esther Benbassa se sont exprimées des prostituées « traditionnelles » venues de sept villes différentes. Elles ont précisé que les seuls emplois substitutifs à leur activité de prostitution qui leur aient été proposés se limitaient à des emplois de femmes de ménage ou d'auxiliaires de vie. N'y aurait-il pas d'autres activités à leur proposer pour leur offrir une réelle alternative, gage d'un véritable décrochage de la prostitution ?
Par ailleurs, je me demande pourquoi vous n'avez pas retenu le principe de la taxation de ces clients de préférence à celui de l'amende : ce n'est pas la même chose du point de vue économique.
Au regard des chiffres dont je dispose, c'est-à-dire 20 000 personnes prostituées en France, dont 20 % de prostituées dites « traditionnelles », comment Pôle Emploi voit-il les choses pour sécuriser le volet de la proposition de loi concernant l'insertion professionnelle ? En ce qui me concerne, je n'ai pas de certitude sur cet aspect de la proposition.
Il faudrait que cette proposition de loi ait aussi une vertu pédagogique pour poser autrement le débat de la prostitution et faire changer le regard que l'on porte sur les personnes prostituées. Nos hémicycles respectifs, caractérisés par une forte homogénéité sociale, gagneraient à compter dans leurs rangs des personnes portant une telle voix. La compréhension de nos travaux par le terrain en serait facilitée.
Si je comprends les dispositions de votre proposition de loi, je reste dubitative sur leur mise en oeuvre, notamment dans ma circonscription du Maine-et-Loire. Je demeure perplexe devant un sujet si complexe, où les mafias occupent une place prépondérante depuis les vingt dernières années. Peut-on arriver à lutter contre la prostitution sans lutter frontalement contre les mafias ?
Mme Laurence Rossignol. - Je remercie nos collègues Maud Olivier et Catherine Coutelle pour le travail qu'elles ont réalisé à l'Assemblée nationale. Ce texte permet enfin de progresser sur ce sujet de la prostitution, longtemps laissé en jachère. J'ai relu récemment une tribune que j'avais écrite en 2006 dans le journal « Libération », intitulée « Prostitution : cherchez le client ! ». C'était au moment de la Coupe du monde de football à Berlin, qui avait donné lieu à l'ouverture d'Eros center auprès des stades. C'est d'ailleurs souvent le cas lors de congrès ou de manifestations sportives. Or, rien n'a changé depuis.
Cette proposition de loi inscrit dans le débat parlementaire un sujet apolitique. Elle est indispensable, car on ne pourra rester bien longtemps en équilibre précaire entre une position réglementariste et un abolitionnisme français assez hypocrite car, mis à part le délit de racolage passif, nulle disposition de notre architecture juridique ne sanctionne l'achat de services sexuels.
Les tenants du courant réglementariste en matière de prostitution, notamment dans les pays voisins, avancent sur cette ambiguïté. La multiplication d'Eros center en est le signe. Il faut sortir de l'ambiguïté française et soutenir clairement les pays qui sont passés dans un abolitionnisme actif, comme les pays scandinaves, car seule une coopération entre pays voisins permet de mettre un terme au déplacement d'activités illégales dans des pays limitrophes. Il est d'ailleurs remarquable que la Suède ait continué à mener une politique isolée en la matière pendant si longtemps.
Une majorité de Français est favorable à la pénalisation du client, un récent sondage le montre.
Pour répondre à Mme Corinne Bouchoux, la taxation est une démarche totalement différente de la pénalisation et relève d'une approche réglementariste de la prostitution.
Toutes les questions techniques posées par cette proposition de loi ne pourront être résolues immédiatement dans notre pays qui connaît un taux de chômage important et un déficit public significatif. Certes, des actes de prostitution pourront toujours se produire : il n'existe pas de loi qui ne soit pas contournée. L'existence de tricheries n'est pas une raison pour ne pas légiférer : faut-il remettre en cause les assurances sociales sous prétexte qu'il y a des gens qui trichent ?
Néanmoins, même si cette proposition de loi ne permet pas d'éradiquer la prostitution, elle est un témoignage important du message portée par notre société : l'humanisme et l'égalité sont pour nous des valeurs structurantes, ce qui suppose que l'achat de services sexuels soit interdit.
On ne peut accepter que l'achat du corps de l'autre, et principalement celui des femmes, soit un commerce légal. Accepter l'achat de services sexuels tout en luttant contre les représentations symboliques et collectives préjudiciables aux femmes n'est pas cohérent.
C'est la raison pour laquelle je soutiens la proposition de loi car, comme le disent les Suédois dans le préambule de leur texte, « il n'y aura pas d'égalité possible entre les hommes et les femmes tant que l'on pourra louer ou acheter le corps des femmes ». Cette proposition de loi est donc particulièrement importante pour des raisons d'éthique.
Mme Maud Olivier, députée, membre de la délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale. - Mme Najat Vallaud-Belkacem a indiqué qu'un fonds dédié à l'accompagnement des prostituées et pour les aider à sortir de la prostitution, allait être mis en place. Entre dix et vingt millions d'euros y seront consacrés. Ce point mérite d'être salué.
Un travail ne pourra sans doute pas être donné à chaque personne prostituée et les témoignages que nous avons recueillis montrent que s'il est difficile de sortir de la prostitution, celles qui y parviennent en tirent une grande satisfaction.
Sur la question des réseaux et de la traite, l'Allemagne est en train de réagir car, avec 400 000 prostituées sur son sol contre 20 000 en France, on y constate que le réglementarisme n'offre pas plus de protection aux prostituées, notamment en termes de suivi médical et de moindre prévalence du SIDA. Seulement 0,1 % des personnes prostituées y travaillent dans le cadre des bordels organisés par l'État, comme le soulignait un article récent de « Der Spiegel » qui évoquait le fait que l'État allemand soit proxénète.
Une pétition circule en Allemagne pour revenir sur le réglementarisme qui y prévaut actuellement, ce qui aurait des conséquences sur les pays limitrophes de l'Allemagne mais les conduiraient aussi à réagir. La mobilisation en Allemagne croît actuellement. Quant à la France, elle est très regardée en ce moment en Europe. Notre proposition de loi va faire réagir l'Espagne.
Enfin, je veux rappeler que la traite « rapporte » trois milliards d'euros par an. C'est un crime organisé contre lequel tous les pays doivent s'associer.
Mme Catherine Coutelle, députée, présidente de la délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale. - Aujourd'hui, 90 % de la prostitution est liée à la traite des femmes : on ne peut donc d'abord légiférer sur la traite et ensuite sur la prostitution. Ces questions ne sont pas séparées. Nous nous sommes intéressés aux problèmes de la prostitution et de la lutte contre la mafia, car le visage de la prostitution a changé à partir de la fin des années 1990, avec l'arrivée massive d'une prostitution de traite dont sont victimes la grande majorité des personnes prostituées.
Concernant la lutte contre la mafia, les Suédois ont attiré notre attention sur la saisie des flux financiers générés par les mafias, point dont nous venons de discuter avec le ministre de l'Intérieur, afin d'abonder un fonds de péréquation qui aiderait à la sortie de la traite en complément des sommes résultant du paiement des amendes. La mise en place de ce fonds de péréquation nécessite une coopération européenne : le ministre de l'Intérieur nous a indiqué que la France y travaillait, de concert avec ses partenaires européens. Une telle approche semble toutefois plus difficile à mener avec la Chine et surtout le Nigéria. Mais qu'il paraisse possible développer une coopération européenne fructueuse avec les pays Baltes, la Roumanie et la Bulgarie est déjà de bon augure car il ne faut pas perdre de vue qu'il s'agit d'un trafic de populations des pays pauvres vers une demande de pays riches.
Ce sujet est sans doute complexe mais suscite un réel débat. On arrive à se parler, on entend les inquiétudes, notamment celles de Médecins du monde sur le risque d'isolement des personnes prostituées. Or, comme celles-ci sont déjà amenées à se cacher depuis l'instauration du délit de racolage passif, l'aggravation de leur isolement ne semble pas à craindre.
Selon le ministère de l'Intérieur, le nombre de viols de prostituées a fortement augmenté depuis, semble-t-il, que l'offre de prostitution s'est reportée dans un commerce qui passe par Internet. Nous n'avons cependant pas de chiffres précis sur ce point, mais un grand nombre de prostituées disent avoir été violées au cours de l'année. Elles ne sont pas tant victimes du SIDA que de violences psychiques, psychologiques et gynécologiques et ressentent un mal-être profond.
Nous réfléchissons aussi sur l'extraterritorialité. Nous devons continuer à travailler.
Les Allemands sont très mobilisés sur la question de la prostitution et une pétition dénommée « Mobilisons-nous pour faire changer la loi » y circule actuellement. La France est très attendue sur ce sujet.
Mme Maud Olivier, députée, membre de la délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale. - Demeure l'épineux problème posé par les transsexuels qui n'ont pas d'état civil spécifique, ce qui pose d'importants problèmes et semble conduire certains à se prostituer. Mme Najat Vallaud-Belkacem va annoncer une loi portant sur la simplification de l'état civil au début de l'année prochaine sur cette question spécifique.
Mme Corinne Bouchoux. - Une universitaire transsexuelle que j'ai rencontrée m'a expliqué les grandes difficultés des transsexuels en matière d'accès à l'emploi. Ainsi, bien qu'elle-même ait suivi un cursus académique exigeant, elle est certes souvent invitée à des colloques mais n'arrive pas à trouver un poste. Si cette transsexuelle, universitaire, qui se trouve par ailleurs avoir accès aux médias, n'arrive pas à trouver un poste, cela augure mal de l'insertion des transsexuels en général.