Jeudi 29 septembre 2016
- Présidence de Hervé Maurey, président -Désignation de rapporteurs
La réunion est ouverte à 10 h 45.
M. Jean-François Rapin est nommé rapporteur sur la proposition de loi n° 810 (2015-2016) relative à la régulation, à la responsabilisation et à la simplification dans le secteur du transport public particulier de personnes.
M. Louis Nègre est nommé rapporteur sur le projet de loi n° 861 (2015-2016) relatif à une liaison ferroviaire entre Paris et l'aéroport Paris-Charles de Gaulle.
Projet de loi de finances pour 2017 - Nomination des rapporteurs pour avis
La commission procède à la nomination de ses rapporteurs pour avis sur le projet de loi de finances pour 2017. Sont ainsi désignés :
Pour la mission « Politique des territoires » : M. Rémy Pointereau ;
Pour la mission « Écologie, développement et mobilités durables » :
- Transports routiers, M. Jean-Yves Roux ;
- Transports ferroviaires et fluviaux, M. Louis Nègre ;
- Transports aériens, Mme Nicole Bonnefoy ;
- Transports maritimes, M. Charles Revet ;
- Prévention des risques - Météorologie, M. Pierre Médevielle ;
- Biodiversité - Transition énergétique, M. Jérôme Bignon.
Pour la mission « Recherche et enseignement supérieur » :
- Recherche en matière de développement durable, Mme Odette Herviaux.
Organisme extraparlementaire - Désignation de sénateur
Mme Annick Billon est désignée pour siéger en tant que membre suppléant au conseil d'administration du conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres.
Audition de Mme Hakima El Haité, ministre déléguée chargée de l'environnement et championne pour le climat du Maroc
M. Hervé Maurey, président. - Madame la ministre, je suis très heureux de vous accueillir devant notre commission ce matin. Vous êtes ministre de l'environnement du Royaume du Maroc mais également championne pour le climat de votre pays dans la perspective de la COP22. C'est un honneur de vous recevoir.
La dernière fois que nous avons eu la chance de vous entendre, c'était lors du colloque que nous avions organisé le 9 juin dernier ici au Sénat, pour faire un point, à mi-chemin entre la COP21 et la COP22, sur les suites de l'Accord de Paris. Votre intervention, engagée et enthousiaste, nous avait galvanisés. L'intérêt porté aux questions climatiques ne doit en effet pas se relâcher, nous sommes nombreux à en être convaincus dans cette assemblée. Je vous remercie donc beaucoup de vous être rendue disponible aujourd'hui, dans un emploi du temps qui doit être extrêmement chargé. Chaque jour nous rapproche de la Conférence de Marrakech. Si j'ai bien compté, nous en sommes à J - 38 ! Vous entrez donc dans la dernière ligne droite de la préparation de cette Conférence.
La COP22 doit être, on l'entend souvent dire, la COP de l'action. Car après le temps de l'Accord et des décisions vient bien sûr celui de leur mise en place. C'est un défi complexe à relever. À ce sujet, je voudrais me réjouir que 61 États sur les 194 parties aient déjà ratifié l'Accord, couvrant 47,79 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Nous ne sommes plus très loin du seuil d'entrée en vigueur de l'Accord : 55 États et 55 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre. C'est extrêmement positif et encourageant ! C'est sans doute même historique, car l'entrée en vigueur d'un accord signé par 194 parties moins d'un an après sa conclusion serait un vrai record. D'autant que parmi les États ayant ratifié l'Accord, on compte bien sûr le Maroc et la France, mais aussi les États-Unis, la Chine, l'Inde, l'Allemagne.
Cela témoigne une nouvelle fois de la prise de conscience désormais universelle des conséquences du réchauffement climatique. Cela doit nous inciter à être toujours plus ambitieux dans les actions que nous allons engager pour y faire face. J'étais lundi dernier à la manifestation « Climate Chance » à Nantes, dont l'organisateur, M. Ronan Dantec, devrait nous rejoindre dans quelques instants. Au cours de cette manifestation, de nombreux intervenants ont souligné qu'il fallait désormais que les États fassent évoluer leurs contributions nationales pour être en ligne avec l'objectif des 2°C ou de 1,5°C. En faisant la synthèse de toutes les contributions actuelles, on sait bien qu'on se situe plutôt autour des 3°C.
Dans ce contexte, nous aimerions savoir quelle est votre perception des enjeux de la Conférence de Marrakech. Autrement dit, quelles sont vos priorités pour la COP22 ?
Nous savons en particulier que les pays d'Afrique, parmi les plus affectés par le changement climatique, sont très désireux que des engagements forts soient pris à leur égard. Ils comptent beaucoup sur la présidence marocaine. La question du financement sera naturellement au coeur des débats, avec la mobilisation des 100 milliards promis pour financer des projets d'adaptation et d'atténuation.
Il faudra aussi préciser l'agenda de l'action et les conditions du soutien à l'action climatique, notamment pour les pays les plus vulnérables, en incitant à la mobilisation les États mais aussi tous les acteurs non étatiques. Sur tous ces sujets, quels sont les résultats concrets que vous attendez de la Conférence de Marrakech.
Avez-vous enfin le sentiment que l'élan et la dynamique de Paris vont pouvoir non seulement se poursuivre mais aussi s'amplifier en vue de cette COP22 ? Sans volontarisme ni dynamisme, il sera difficile d'assurer la réalisation des engagements de Paris à l'occasion de la COP22 de Marrakech. L'accélération des engagements est en effet la seule façon de permettre un respect de l'objectif ambitieux fixé à Paris de tendre vers un réchauffement maximum de 1,5°C d'ici la fin du siècle. Madame la Ministre, je vous laisse à présent la parole. Je ne doute pas qu'après votre propos liminaire, mes collègues sénateurs auront de nombreuses questions à vous poser, à commencer par Jérôme Bignon, président du groupe de travail de notre commission sur les questions climatiques internationales.
Mme Hakima El Haite, ministre déléguée de l'environnement du Royaume du Maroc. - Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, c'est toujours un plaisir d'être ici et de venir vous parler. Au risque de déroger au protocole des auditions parlementaires, j'aurais plutôt aimé auditionner les membres de cette honorable Chambre, car la France nous a donné la chance de conclure cet Accord de Paris, un accord humain, inclusif, ambitieux. L'Accord de Paris n'est pas seulement environnemental, il est également consacré au développement humain, puisque dans son préambule figure le droit à la santé, à l'eau et à l'éducation et qu'il promeut l'égalité entre les sexes et l'inclusion sociale.
L'Accord de Paris établit les liens entre des agendas, des approches et des acteurs différents. Il porte les mêmes objectifs que ceux du développement durable, à savoir l'éradication de la pauvreté, la stabilisation des populations qui migrent en raison du manque d'accès à l'eau et de la faim, de l'augmentation du niveau de la mer et de tous les maux engendrés par le changement climatique. Aujourd'hui, nous avons pu adopter l'Accord de Paris, certes difficilement, mais nous l'avons fait, quand bien même nous pensions que son adoption était initialement impossible. En avril dernier, à New York, ce sont 150 chefs d'État qui ont apposé leur signature et il y a quelques semaines, la Chine et les États-Unis, qui représentent à eux seuls 40 % des émissions de gaz à effet de serre, l'ont ratifié. Compte tenu de la position de ces États sur les questions climatiques il y a une décennie, c'est là une véritable révolution et un signal politique extrêmement important. Comme l'indiquait le Président Maurey, il y a deux jours, on recensait encore soixante-et-un pays signataires, nous en sommes aujourd'hui à soixante-cinq ! L'Inde a annoncé sa ratification imminente, ainsi que l'Union européenne, ce qui devrait permettre l'entrée en vigueur de l'Accord de Paris.
Que nous demande l'Accord de Paris ? Cet accord nous demande de changer nos modes de consommation, de production, ainsi que nos politiques publiques. Il nous demande également de réorienter nos investissements vers le bas carbone et de changer la culture de nos concitoyens. Nous sommes tous attendus pour sa mise en oeuvre, parce que les États les plus vulnérables attendent les cent milliards et la mise en oeuvre des mécanismes de renforcement de capacités, voire la création de systèmes d'alerte au niveau mondial. Nous souffrons déjà des conséquences du changement climatique. Ce que réclame de nous l'Accord de Paris est stratégique et politique. Il faut que tous les leaders de ce monde prennent la décision d'engager des politiques de long terme et de réformer les politiques publiques pour intégrer le climat et renforcer leur cohérence dans les pays les plus développés ; ce que, du reste, ils s'étaient engagés à faire dès le lendemain de la COP21. Aujourd'hui subsistent de monstrueuses contradictions. En effet, on ne peut dans le même temps encourager les pays en développement à l'adoption des énergies renouvelables tout en maintenant, de l'autre côté du monde, le subventionnement des énergies fossiles. On ne peut plus imposer aux industriels un prix du carbone en assurant, par ailleurs, le financement des centrales à charbon. Ce sont là des contradictions qui doivent être levées au niveau mondial.
S'agissant de nos investissements d'aujourd'hui, votre responsabilité en tant que législateur est très grande puisque les textes que vous allez voter feront toute la différence. Il est certes possible de fixer un prix du carbone de manière explicite, comme le fait Madame Royal en posant des objectifs pour 2030 et 2050, mais il est également possible de fixer un tel prix, de manière implicite cette fois, par la loi. En effet, mettre en place une incitation fiscale pour les voitures électriques, impliquant une augmentation de la taxe pour les véhicules à hydrocarbures, permet de le faire. Au niveau législatif et réglementaire, les États ont un rôle extrêmement important à jouer.
Ce qui me conduit à répondre à votre première question, Monsieur le Président. Comment je ressens la mobilisation des acteurs pour la COP22 ? Je ressens un engouement extraordinaire dans le secteur privé et chez les acteurs non-étatiques, qui va permettre à Marrakech de devenir la COP de l'action, à insuffler un partenariat avec les pouvoirs publics.
Maintenant, en toute honnêteté, j'aimerais ressentir un même élan chez les leaders de ce monde et les différents pouvoirs exécutifs. J'espère que mon sentiment va être démenti à Marrakech et que nous recevrons tous les leaders qui ont promis à Paris non seulement d'aider, mais aussi de changer leur politique économique et leur modèle de développement. Nous attendons qu'ils viennent à Marrakech honorer leur promesse.
Il est vrai aussi que nous attendons la mise en oeuvre du mécanisme de renforcement des capacités et la feuille de route financière pour les pays qui souffrent du changement climatique, ne serait-ce que pour la période allant jusqu'à 2020. Nous attendons également que ces pays honorent leurs engagements en nous indiquant leurs politiques publiques d'ici à 2050. Que comptent-ils faire au niveau des institutions financières ? Quelles mesures fiscales vont-ils prendre ? Nous attendons ainsi des politiques macro-économiques au niveau mondial qui vont redéfinir le développement, faute de quoi il nous faudra nous adapter davantage encore.
Aujourd'hui, je peux témoigner des changements climatiques en France depuis ces quarante dernières années que je fréquente ce pays. Dans le passé, l'automne y était traversé par des intempéries alors que désormais la chaleur et le soleil y demeurent. Ce que l'on vit actuellement dans les pays du nord est impressionnant. Entendre la ministre en charge de l'écologie au Canada parler d'adaptation change toute la donne, du fait de la fonte exceptionnelle des neiges qui va y perturber toute la biodiversité.
Jamais, durant les vingt-cinq années que j'ai passées dans le secteur de l'environnement, n'ai-je entendu un pays développé du Nord ou du Sud parler d'adaptation. Aujourd'hui, le changement climatique ne fait plus la différence : il nous concerne tous. Nous avons besoin d'action chez vous et chez nous, faute de quoi nous ne serons pas capables de contrer les effets du changement climatique. Nous attendons que vous soyez tous à Marrakech et c'est là une invitation ouverte. Soyez les ambassadeurs du changement climatique auprès des autres parlementaires du monde ! Nous avons beaucoup d'espoir que la COP22 soit aussi un succès, après la réussite historique de l'Accord de Paris. Mais la crédibilité de Paris commence à Marrakech et est engagée dans toutes les COP qui auront lieu jusqu'à 2020. Si d'ici à 2020, nous ne réduisons pas nos quatorze gigatonnes d'émissions, nous ne pourrons atteindre les objectifs de l'Accord de Paris et ceux du développement durable. J'espère que vous allez m'annoncer de bonnes nouvelles, lors de votre évocation des réalisations qui ont été les vôtres entre la COP21 et la COP22. Merci de m'avoir écoutée une nouvelle fois et je vous donne rendez-vous, le 8 novembre prochain, à Marrakech.
M. Hervé Maurey, président. - Merci, Madame la Ministre, de nous avoir fait partager, une fois de plus, votre enthousiasme, votre dynamisme et votre engagement. Merci également d'avoir fait preuve de pédagogie pour montrer le lien entre ces questions environnementales et les autres domaines. Il est très important de bien faire le lien pour montrer à chacune et chacun que tous ces problèmes forment un tout et qu'on ne peut se désintéresser de ce sujet.
Je cède la parole à notre collègue Jérôme Bignon qui suit au sein de notre commission ce sujet avec beaucoup d'attention. Il aura très certainement quelques éléments à vous apporter et quelques questions à vous poser.
M. Jérôme Bignon. - C'est la troisième fois que je rencontre Mme El Haité au sein de notre Haute assemblée. Je l'avais précédemment écoutée, à l'invitation de Jean-Pierre Raffarin, président de la Commission des affaires étrangères, lors d'une audition préalable à la ratification par la France de l'Accord de Paris, au titre de mes fonctions de rapporteur pour avis de ce projet de ratification.
Cette histoire, qui nous occupe et va nous occuper probablement jusqu'à la fin de nos jours, conduit à prendre en compte trois calendriers que vous avez, du reste, mentionnés dans votre intervention. Il est exceptionnel que l'Accord de Paris soit ratifié aussi vite, cela n'a jamais été le cas pour les autres accords climatiques, que ce soit celui de Kyoto ou le protocole de Durban. Aujourd'hui, une vraie dynamique a été lancée sur ce sujet.
Un deuxième calendrier concerne les décisions qui seront prises, une fois cet accord entré en vigueur. La COP de Paris est fondamentale, mais l'accord, auquel elle a donné lieu, n'est jamais que le début d'un processus itératif, qui sera très long et qui annonce le calendrier des solutions. Que faisons-nous dans les territoires et à titre individuel dans notre quotidien ? Comme le dit Pierre Rabhi, nous sommes tous des petits colibris qui doivent apporter leur contribution. Comme l'a rappelé Madame Royal, nous avons voté deux lois, l'une sur l'économie circulaire, dont le rapporteur était notre collègue Louis Nègre, l'autre sur la reconquête de la biodiversité. Tout cela est en route et s'avère sans doute perfectible, mais sur ces sujets, la France a été en pointe.
Sur cet agenda, vous aviez déclaré devant la Commission des affaires étrangères que vous étiez parfaitement d'accord pour que les Parlements du monde entier jouent un rôle lors de la COP22. Pourrez-vous nous donner quelques éclaircissements sur notre rôle à Marrakech : si nous répondons à votre invitation, serons-nous des spectateurs ou des acteurs ? Ce point est important.
Un troisième calendrier me paraît très important, c'est celui du GIEC. Il ne faut pas considérer que ses travaux sont terminés. Le cinquième rapport a certes contribué à la prise de conscience universelle de l'ampleur du problème. Le nombre des contestataires climato-sceptiques tend à diminuer, malgré quelques rebonds sur ces sujets-là. On peut toutefois considérer que la communauté des personnes qui s'intéressent à la société dans laquelle elles vivent considère qu'il y a là un vrai danger. Le GIEC a été saisi des questions des 1,5°C et des océans - le Maroc ayant très fortement soutenu la reconnaissance de cette question comme essentielle - très rapidement après la Conférence de Paris. Disposez-vous d'informations sur ces futurs rapports ? Le GIEC travaille également sur l'état des sols et la désertification. Derrière l'agenda des travaux se profile également celui des solutions nouvelles auxquelles les scientifiques réfléchissent dès à présent.
Mme Hakima El Haite. - Merci Monsieur Bignon. J'encourage certes chacun à faire des efforts, à titre individuel, pour l'environnement, mais je préfère les politiques publiques qui présentent un impact très important. A cet égard, je remercie la France d'avoir engagé ces réformes et de continuer à pousser pour que les choses avancent. D'autres pays européens demeurent stagnants en matière de loi sur la transition énergétique et ne parviennent pas à prendre de décision. Nous attendons également des réformes financières dans ce domaine.
Je souscris à l'idée que les parlementaires deviennent des acteurs de la COP22. Nous avons convenu d'organiser, avec notre Président du Parlement, une réunion à Marrakech qui devrait se dérouler durant la COP. La mise en oeuvre des réformes ne sera possible qu'avec l'assentiment des assemblées parlementaires. On ne peut changer qu'à travers les règlements et les lois. D'ailleurs, c'est en changeant la norme de l'État qu'on modifiera les modèles de développement.
S'agissant des climato-sceptiques, un journal américain mentionnait hier que les preuves du dérèglement climatique pouvaient être remises en cause à l'aune de vingt-deux critères. Désormais, nous comptons 3 % de climato-sceptiques, contre 60 % il y a vingt ans. Je prendrai une approche très simple. Tous les politiques ne sont pas des spécialistes, pas plus d'ailleurs que ne le sont les citoyens qui sont sensibles aux arguments de bon sens. Ils peuvent aisément comprendre les conséquences de l'émission de fumées toxiques dans l'atmosphère et se représenter le ciel comme une décharge sauvage à ciel ouvert que personne ne contrôle. Les citoyens peuvent aisément comprendre les impacts de telles pratiques sur la santé, ainsi que les raisons de l'augmentation de l'acidité des océans et son incidence sur la biodiversité. Nous avons les moyens d'être beaucoup plus simples pour mieux informer les populations, comme j'ai pu le constater en m'adressant à une grande diversité de personnes. Ainsi, les climato-sceptiques ne pourront qu'évoluer à terme.
S'agissant de l'agenda du GIEC, les rapports sont prévus pour 2018. Nous les attendons et de ces rapports dépend la mise en oeuvre de plusieurs décisions de l'Accord de Paris, comme l'enclenchement du mécanisme d'adaptation, de transparence des « Intended Nationally Determined Contributions » (INDC) et la feuille de route financière. Nous avons en effet demandé au comité financier de réaliser un rapport sur la finance climatique et de revoir les contributions de l'OCDE. Comme vous l'avez souligné, Paris représente le début d'un processus qui commence à Marrakech.
M. Hervé Maurey, président. - J'ajouterai juste, avant de donner la parole à notre collègue Ronan Dantec, qu'en ce qui concerne les initiatives parlementaires, l'Union interparlementaire (UIP) organise à Marrakech, le 13 novembre prochain, comme l'année passée, au Sénat et à l'Assemblée nationale, une journée avec les parlementaires qui participeront à la COP22.
Mme Hakima El Haite. - C'est bien le même événement, dont je ne voulais pas annoncer la date et auquel notre président participera, sous réserve de l'issue du cycle électoral.
M. Hervé Maurey, président. - Je passe à présent la parole à notre collègue Ronan Dantec qui va nous parler de la manifestation de Nantes. S'il est louable d'arrêter des objectifs, encore faut-il que les contributions des États évoluent pour que les perspectives actuelles évoluent de 3°C à 1,5°C.
M. Ronan Dantec. - Merci Monsieur le Président. Je peux témoigner de l'immense investissement personnel de Mme Hakima el Haite, comme en témoigne sa présence à Nantes cette semaine, malgré un emploi du temps saturé. J'ai en ma possession la Déclaration de Nantes signée par le plus grand nombre d'acteurs non-étatiques, qu'il s'agisse des réseaux mondiaux de collectivités, de syndicats, d'associations, d'organisations non gouvernementales, ou encore d'entreprises. Il s'agit bien d'un point de consensus entre tous les acteurs non étatiques. Tel est le premier message de Nantes où nous avons accueilli 3 600 personnes et soixante-deux nationalités en trois jours. Ce qui prouve bien que le désir d'action est très fort chez ces acteurs. Sans être trop long et en faisant écho à ce que vient de nous dire Hakima El Haite, il me paraît essentiel d'assurer trois priorités. D'une part, il faut crédibiliser l'Accord de Paris à Marrakech et c'est là une évidence. Le lieu clé de mesure de sa crédibilité concernera le financement, qu'il s'agisse des niveaux de financement que la facilité de leur accès. Bien qu'il y ait énormément de liquidités au niveau mondial, on mesure la difficulté des acteurs non étatiques, comme les villes africaines qui n'ont d'accès ni aux fonds verts ni aux autres fonds existants. Il faudra donc trouver à Marrakech des solutions quant à l'accès au financement de l'ensemble des acteurs. Ce point est essentiel pour créer une réelle dynamique. Mme El Haite a participé à la réunion plénière consacrée au financement et je sais que nous partageons le même point de vue sur cette question.
D'autre part, on sait d'ores et déjà qu'il faudra dépasser le contenu de l'Accord de Paris. C'est là un point fondamental de la déclaration de Nantes. Dans la presse d'aujourd'hui, Robert Watson, ancien président du GIEC, a indiqué que les 2°C seraient atteints avant 2050. La ligne rouge à ne pas franchir, d'après la communauté scientifique, le sera ainsi d'ici à 2050. Nous y serons nous-mêmes confrontés. Nous avons l'objectif d'1,5°C avec l'Accord de Paris, mais les contributions volontaires actuelles ne permettent pas d'y parvenir. Il faut que les États aillent plus loin que leurs contributions volontaires. Il faut ainsi trouver le moyen, tant au niveau ministériel que parlementaire, pour que les États, dans le cadre de la pré-révision de 2018 et avant l'application de l'accord en 2020, annoncent leur volonté de faire mieux que leurs engagements pour 2020. À Nantes, en tant qu'acteurs non-étatiques et durant les seize commissions thématiques qui étaient présentes, nous avons indiqué que nous étions prêts à travailler avec les États pour qu'ils réévaluent leurs contributions volontaires. Sinon, le climato-fatalisme, c'est-à-dire le sentiment qu'il est trop tard, va émerger durablement. Les mobilisations concrètes des acteurs, comme c'est le cas à Nantes, peuvent encore crédibiliser un scénario à 2°C, à la condition de ne pas perdre de temps. Marrakech est un moment important et je sais que Mme El Haite partage ce volontarisme.
Mme Hakima El Haite. - Merci d'avoir insisté sur l'importance d'aller plus loin que les engagements souscrits à Paris. Nous nous y préparons et c'est le rôle des champions que de mettre en place un cadre logique permettant de fédérer les soixante-quinze différentes coalitions mondiales dans les différents secteurs. Ces coalitions doivent être inclusives et présenter toutes les différentes initiatives conduites depuis la COP21 ainsi que leurs perspectives pour 2018 et 2020. Cette année, notre COP devrait permettre, à l'issue des plénières qui auront lieu le matin, l'organisation de réunions de haut niveau entre les ministres des secteurs et les coalitions, qui en allant plus vite que les États, vont les inciter à accroître leurs ambitions. Construire le lien entre les acteurs étatiques et non-étatiques, afin d'intégrer les initiatives de ces coalitions dans les politiques publiques, est l'une des ambitions que je partage avec ma collègue, Laurence Tubiana. Ainsi dans le cadre du segment de haut niveau (« High Level Segment »), prévu le 17 octobre prochain, nous allons réunir aussi bien les responsables du secteur privé que les ministres des secteurs concernés, qui viendront s'engager sur des réformes destinées à attirer davantage d'investissements et susciter plus d'actions.
M. Hervé Maurey, président. - Je reviens un instant sur le rapport du GIEC et son l'objectif d'1,5°C qu'évoquait Jérôme Bignon. Le rapport du GIEC est-il attendu pour 2018 ou 2022 ?
M. Ronan Dantec. - Le sixième rapport du GIEC est attendu pour 2022, tandis que le rapport auquel vous faites référence est attendu pour 2018. Le président du GIEC, qui était à Nantes, s'interrogeait sur la pertinence de l'ouverture de la communauté scientifique à l'expertise de la communauté non scientifique.
Mme Hakima El Haite. - C'est là notre objectif avec la COP22. Jusqu'à présent, il n'y avait aucun lien entre les acteurs non-étatiques et le monde des négociateurs qui ignoraient les actions conduites en dehors des efforts des parties. Tout le monde a compris que les acteurs non-étatiques allaient plus vite, comme le démontre l'importance désormais plus grande de leurs investissements dans les énergies renouvelables que dans les énergies fossiles. Aujourd'hui, ce lien doit être établi et c'est le début d'un processus. C'est pourquoi la COP22 va être celle du début de l'action et du « Climate Change Partnership » qui va être lancé à Marrakech.
Mme Chantal Jouanno. - Merci Madame la Ministre pour votre enthousiasme. J'aimerai revenir, dans un premier temps, sur le rôle des parlements. J'ai eu la chance d'être des deux côtés de la barrière. Il est vrai que lorsqu'on est parlementaire, en dehors des réunions de l'UIP, on demeure spectateur, car le monde des négociateurs demeure très fermé et ces personnes sont loin d'avoir abandonné l'idée qu'elles sont les seules à être sérieuses dans leur domaine. Il est très difficile, malgré votre engagement, de faire évoluer une telle situation.
Par ailleurs, sur les actions qui doivent être entreprises dans les États, je prendrai l'exemple de la contribution carbone que Mme Ségolène Royal a cité. Il faut savoir que celle-ci relève d'une initiative parlementaire, conjointement portée par différents groupes politiques et qui a été reprise à l'Assemblée nationale, à la suite d'un rapport relativement ancien sur la valeur tutélaire du carbone qui fixait comme objectif cette valeur à 100 euros en 2030, afin de permettre une adaptation des acteurs économiques. Ce dispositif a été voté. Il nous reste cependant un sujet que vous avez évoqué clairement dans votre intervention et qui concerne la suppression des subventions et des dépenses fiscales en faveur des énergies fossiles. J'essaie, à titre personnel, de revenir sans cesse sur ce sujet, clairement identifié par l'OCDE et les différents acteurs comme important, sans que ne s'enclenche un débat. Ces subventions représentent un coût considérable et contribuent à la mise en exergue des contradictions dans nos discours.
Enfin, s'agissant des acteurs non-étatiques, à l'instar de la réunion de Nantes, j'ai la chance d'être vice-présidente de la Région Ile-de-France qui conclura un accord de coopération avec le Grand Casablanca à l'occasion de la COP22 portant sur tous les sujets connexes à la question du climat, comme l'eau et les déchets. A l'inverse, nous sommes très intéressés par votre expérience dans le domaine des énergies renouvelables, car nous sommes très en retard par rapport à vous. Vous citiez d'ailleurs l'adaptation : en Ile-de-France, ainsi que dans d'autres régions, on prévoit des plans d'adaptation car les événements climatiques majeurs, comme les inondations, sont de plus en plus fréquents. Vous avez tout à fait raison de souligner que ces événements vont beaucoup plus vite qu'on ne le pensait.
Mme Hakima El Haite. - Je partage totalement ce que vous venez d'évoquer. Je voulais également commenter le retard des pays développés que je comprends, car on ne réalise pas une transition énergétique en deux jours. Un tel retard doit également être levé sur le budget de l'État et il va falloir changer énormément de choses tout en investissant massivement. Je pense que les pays en développement le comprennent, car il leur faut mettre en oeuvre une vision. En revanche, je ne comprends pas que des investissements non durables soient orientés vers des pays qui souffrent déjà. Je comprends que, pour les pays présentant un mix d'énergies fossiles à hauteur de 50 % en Europe, il est impossible de fermer les centrales à charbon du jour au lendemain. Mais pourquoi autoriser des investissements de centrale à charbon dans des pays africains ? C'est la cohérence qu'il va falloir asseoir au sein d'un processus qui va réclamer du temps. C'est bien la cohérence au niveau de toute la philosophie du développement qu'il faut modifier. C'est la raison pour laquelle vous avez un rôle extrêmement important. Le 14 novembre prochain à Marrakech aura lieu un événement qui rassemblera des élus locaux du monde entier.
Mme Annick Billon. - Si l'on s'est tous réjoui du succès de la COP21, dans quelle mesure estimez-vous que la COP22 aura rempli son objectif ? La COP21 demeure lointaine des préoccupations des populations, aussi la montée en puissance des acteurs non-étatiques permettra de concevoir des solutions qui seront pragmatiques. Alors que nous nous en tenions au discours lors de la COP21, il serait salutaire d'être un peu plus pragmatique à Marrakech. La communication reste extrêmement étatique et loin de l'intérêt des populations. J'ajouterai que, lors d'un récent déplacement au Canada dans le cadre d'une mission sénatoriale, j'ai pu constater un certain nombre d'incohérences. En effet, le Canada n'a pas encore ratifié l'Accord de Paris et imagine des investissements considérables dans les pipelines. Certaines provinces ont d'ailleurs perdu près de 100 000 emplois dans le cadre des énergies qui dérogent à l'esprit de la COP21. On est encore sur des raisonnements de type « investissements-emplois » et l'on oppose bien souvent la préservation de l'environnement à l'emploi.
Mme Hakima El Haite. - Puis-je vous poser une question ? Quel était, selon vous, l'indicateur du succès de la COP21 ?
Mme Annick Billon. - La prise en compte des 2°C.
Mme Hakima El Haite. - L'indicateur de succès était en effet celui-ci. Les a-t-on atteints ? Non ? Est-ce que la COP21 a échoué ? Non. Pour moi, les indicateurs de succès de la COP22, sans décrédibiliser l'Accord de Paris, doivent être de maintenir la confiance. Je vais être très réaliste. Je suis d'accord avec Madame Billon car, en rencontrant plusieurs personnes, d'un bon niveau, juste après la COP21, je me suis rendu compte que celles-ci pensaient que les COP étaient terminées et que les négociations étaient terminées. 70 % considéraient que la COP22 marquait la fin et non le début d'un nouveau processus. Il faut ainsi démocratiser l'information et les pratiques sur le climat. Ce n'est qu'à travers les territoires, les organisations non gouvernementales, et le changement du rôle du leader politique qui est d'accompagner les citoyens. Pour pouvoir le faire, nous avons un processus d'apprentissage. Nous ne sommes pas tous des spécialistes et ne connaissons pas tous où en est l'innovation, s'agissant notamment des modes de transport comme avec l'hydrogène. Le monde évolue et il faut que l'on sache ce qui s'y passe. Tout cela nous conduit à être plus curieux et à nous ouvrir aux innovations pour pouvoir mieux communiquer l'information. C'est en effet l'innovation qui va nous sauver et ce, bien davantage que l'Accord de Paris. Ce n'est qu'en changeant de modèle de production que nous y parviendrons. Imaginez demain tout le transport, qui représente près de 23 % des émissions mondiales, avec l'hydrogène ou que nous nous passions désormais des pipelines. De nombreuses innovations existent. J'ai reçu un inventeur français à l'origine d'un dispositif opérationnel, qui sera exposé lors de la COP22 et qui fabrique quelque 2.500 litres par jour d'eau potable ou industrielle par osmose de l'humidité de l'air. Vous n'avez plus besoin de réseau. J'ai également reçu un Suisse qui conçoit des maisons livrables en quinze jours complétement isolées et produisant 100 % d'énergies positives. Si le monde est en train de changer, encore faut-il en être informé et qu'on oriente une partie des budgets des États vers l'innovation. Or, l'innovation aujourd'hui n'est pas financée. C'est la raison pour laquelle votre rôle est important au sein du Parlement et du Sénat. C'est vous qui allez influencer cette évolution.
Serez-vous acteurs ou spectateurs ? Les parlementaires ne figurent pas parmi les neuf acteurs du climat identifiés par les Nations-Unies. J'en ai parlé aux institutions onusiennes en indiquant que le changement repose également sur l'action des parlementaires. Il faut, qu'à travers l'Union interparlementaire, vous demandiez à devenir le dixième acteur.
M. Charles Revet. - On ne peut que partager, Madame le Ministre, ce que vous venez de dire. Vous vous trouvez devant des parlementaires qui ne peuvent que souhaiter être mieux associés à tout l'engagement qui est pris. Je vous félicite très chaleureusement de votre engagement qui préjuge bien du succès de la COP22. J'aurai quatre questions très simples : quels sont pour vous les chantiers prioritaires qui donneront à l'Accord de Paris une réalité tangible ? Quel sera le programme lors de la COP22 pour sensibiliser les populations aux questions environnementales et climatiques, faute de quoi les dispositifs retenus ne sauraient fonctionner ? Comment la question des réfugiés climatiques sera-t-elle abordée lors de la COP22 ? On voit bien que les déserts progressent et si l'on ne prend pas de mesures, le nombre des réfugiés climatiques ne cessera donc d'augmenter. Comment cette évolution sera-t-elle appréhendée par la COP22 ? S'agissant enfin des récentes ratifications de l'Accord de Paris par la Chine et les États-Unis, voire l'Inde, celles-ci ouvrent-elles de nouvelles perspectives ? Suffit-il que les dirigeants de ces États se soient favorablement exprimés pour que les processus de ratification puissent être tenus pour acquis ?
M. Jacques Cornano. - Je voulais féliciter Madame El Haité pour son engagement. J'ai bien noté que la COP22 devait s'inscrire dans l'action pour concrétiser les différents axes retenus dans l'Accord de Paris. Je pense, comme elle, qu'à l'instar de la COP21, la COP22 doit s'inscrire dans un mouvement structurel de transformation des modèles de production et de consommation. Nous connaissons particulièrement dans les outremers ce problème et je me réjouis que notre commission, de même que la Délégation sénatoriale à l'Outre-mer, ait identifié, dans le cadre de l'adaptation, des innovations vertueuses dans les territoires ultramarins. Avec mon collègue Jérôme Bignon nous avons travaillé sur ces questions, pour évoquer des solutions éprouvées, visant notamment à la promotion d'une grande diversité d'énergies renouvelables. D'ailleurs, nous sommes en train d'expérimenter sur l'Ile de Marie-Galante des solutions pour que ce territoire devienne un territoire à énergies positives. Il y a des solutions transposables et qui contribuent à la valorisation de la biodiversité. La déclaration de Nantes des acteurs non-étatiques du climat est claire : il faut renforcer le mouvement par des actions concrètes, de manière à combler le fossé entre les engagements souscrits et la réalité quotidienne. Le moment est venu de passer de la théorie aux actions. C'est donc ce que nous viendrons faire et ce, d'autant plus que j'ai eu l'occasion de me rendre au Maroc, dans le cadre d'un agenda interterritorial sous l'égide des Nations-Unies et avec la Guadeloupe, la Martinique, ainsi que le Canada, pour y travailler sur les objectifs du millénaire.
M. Rémy Pointereau. - Je féliciterai à mon tour Madame la Ministre pour son engagement et formulerai quelques observations. Je souscris également à l'idée que la lutte contre le changement climatique passera par l'innovation et pas forcément par les différentes COP. Je crois que des progrès restent à faire, s'agissant notamment des énergies renouvelables, mais aussi, dans le contexte du prochain Mondial de l'automobile, de voitures électriques, avec des batteries plus fiables et longues ou encore avec l'hydrogène. Cependant, on constate, dans le même temps, une forme d'incohérence dans nos politiques publiques. On favorise certes le co-voiturage tout en plaçant des cars sur les autoroutes dans lesquels même la SNCF investit, alors que le ferroviaire demeure le mode de transport le moins polluant et que sont diminuées, sur l'ensemble de notre territoire, le nombre de dessertes. En outre, comment nos gouvernants ont-ils anticipé le report de la manne fiscale relative aux énergies fossiles ? Quels que soient les gouvernements, qui va accepter de se priver de ces fonds très importants et quels transferts va-t-on mettre en oeuvre pour compenser la diminution d'une telle manne ? Comment comprendre, dans un tel contexte que l'on ait écarté l'écotaxe ? Comme quoi, un certain nombre de contradictions demeure dans notre pays. Comment voyez-vous les choses depuis le Maroc et réagissez-vous face à de tels phénomènes ?
Mme Hakima El Haite. - Afin d'évoquer les chantiers prioritaires, je vais vous conter une anecdote qui a eu lieu après l'Accord de Paris. J'ai reçu le ministre camerounais de l'environnement au Maroc le 8 mars dernier. Il est intervenu lors d'une réunion internationale des Polytechniciens organisée en partenariat avec le Club de Casablanca et consacrée au climat. Ce ministre a évoqué une sorte de parabole, dépeignant l'histoire du climat comme celle d'un amour entre une très jolie jeune femme qui attend en vain que son fiancé l'épouse. D'après cette parabole, chaque année, pendant vingt ans, le mariage fut annoncé, puis repoussé par le fiancé, sous des prétextes chaque fois différents. Au terme d'une attente longue de vingt ans, Maria décède sans avoir jamais convolé. C'est ainsi que ce ministre a représenté l'histoire du climat d'une manière pessimiste qu'il m'a fallu, à mon tour, infirmer. En effet, lui ai-je dit, on ne saurait d'abord faire mourir une femme le 8 mars et, reprenant l'anecdote, j'ai ajouté que Maria restait très jolie après vingt ans et qu'elle a trouvé un autre soupirant avec lequel elle s'est mariée pour vivre longtemps dans le bonheur. Ainsi, notre priorité pour la COP22 est de faire en sorte que ces pays et ces peuples qui souffrent maintiennent la confiance.
Mes indicateurs de succès sont avant tout qualitatifs. Il faudrait qu'on parvienne à Marrakech à mettre en oeuvre les annonces faites par les États comme l'Allemagne ou la France, en obtenant un projet de décision pour financer le pré-2020 qui accorde 30 % de ces financements à l'adaptation, 30 % à l'Afrique et 15 % aux États insulaires. Je ne mentionnerai pas de chiffres et il me paraît primordial de maintenir la confiance, voire de la retrouver par l'action, notamment pour les pays les plus vulnérables.
D'autres indicateurs me paraissent également pertinents pour les politiques au niveau mondial. Il faudrait que les leaders reviennent à Marrakech, après s'être avancés à Paris devant le monde entier. Il faudrait qu'ils nous disent comment ils comptent développer les politiques publiques dans leurs pays respectifs pour atténuer les émissions de gaz à effet de serre qui nous font autant de mal.
Je vous remercie, Monsieur le Sénateur, de votre témoignage sur l'expérience que vous conduisez à Marie-Galante et qui nous incite à progresser. Nous avons besoin d'expériences comme la vôtre pour comprendre ce qu'il convient de faire dans nos pays et territoires. D'ailleurs, les territoires nous l'ont démontré à l'occasion de la réunion de Nantes organisée par votre collègue Ronan Dantec. Aujourd'hui, il faut que les États arrêtent les incohérences et les contradictions. On ne peut attendre 2020 pour appliquer l'Accord de Paris, sinon ce sera trop tard. Il faut le mettre en oeuvre dès à présent et c'est ce que nous attendons de Marrakech.
Le sujet des réfugiés climatiques ne sera pas abordé de manière directe et ce, pour de nombreuses raisons. Il le sera, d'une manière intense, lors des débats consacrés à la thématique de la justice climatique le 15 octobre. Mais à l'instar des questions de la dégradation des sols, de la pénurie des ressources, de la sécurité alimentaire ou encore du manque d'accès à l'eau potable, ce problème est la conséquence du changement climatique. Lutter contre ce phénomène permet ainsi de résoudre la question des réfugiés climatiques. En outre, je ne pense pas que les négociations aboutiront à la détermination d'un montant alloué aux réfugiés climatiques ; cette question représente à mes yeux un motif supplémentaire pour une accélération de l'action.
En revanche, nous allons aborder des sujets qui relèvent davantage de la pédagogie et de la psychologie et qui n'ont jamais été abordés lors des COP précédentes.
L'eau, qui n'a jamais été traitée comme une question en tant que telle, est un facteur transformationnel, tout comme la santé ou encore l'éducation. Certes, ces derniers sujets ne sont pas en relation directe avec le climat, mais ils restent importants pour démocratiser l'information et pour faire en sorte que le monde change.
S'agissant des énergies renouvelables, je vous invite à entrer en relation avec les acteurs et les instituts de recherche marocains qui ont énormément appris et adapté durant ces dix dernières années. Le prix de notre énergie renouvelable, à 0,24 cents le kilowattheure, défie ainsi toute concurrence. Le transfert de technologie peut aussi s'effectuer du Sud vers le Nord, car nous avons débuté avant vous cette adaptation.
Par ailleurs, le Maroc a levé les subventions sur les énergies fossiles. Je ne suis pas toujours d'accord sur le redéploiement de ces énergies. Nous serons forts lorsque le prix du carbone servira à financer la transition. On devrait en convaincre les industriels. Lors de ma réunion d'hier avec les innovateurs, j'ai été impressionnée par le nombre de solutions fiscales et financières incitatives que ces inventeurs m'ont proposées. On sera beaucoup plus intelligent lorsque les subventions bénéficieront à ceux qui dépolluent, comme cela a d'ailleurs été fait pour l'eau, selon le principe pollueur-payeur. En instaurant une taxe carbone, on ne suivra pas la démarche du Canada qui a réservé 60 % de ses taxes pour le développement des infrastructures, au lieu de miser totalement sur la transition énergétique et la diminution des émissions de gaz à effet de serre. Je suis certaine que même les pétroliers seront convaincus par la mise en place d'un prix carbone. J'ai d'ailleurs discuté avec un grand groupe pétrolier russe de cette initiative. Celui-ci a fait part de son grand intérêt pour employer la moitié du produit de cette taxe à la transformation de toute l'énergie fossile vers les énergies renouvelables, que ce soit l'énergie hydroélectrique, où il est déjà présent, ou encore les énergies éolienne et solaire. Aujourd'hui, le monde industriel a compris ce que les États n'ont pas encore intégré, à savoir que l'industrie de demain n'est plus celle d'aujourd'hui et qu'il faut désormais changer.
M. Hervé Maurey, président. - Merci Madame la Ministre, nous vous souhaitons un plein succès à Marrakech et nous espérons venir en grand nombre vous y retrouver.
Mme Hakima El Haite. - Monsieur le Président, permettez-moi d'évoquer un détail qui a son importance quant à l'organisation de la COP22 où les thèmes se succèdent de manière quotidienne et où seront organisées les après-midi des réunions associant les acteurs étatiques et non-étatiques. Vous pourrez ainsi être parties prenantes aux dialogues officiels tous les jours durant la COP de Marrakech !
M. Hervé Maurey, président. - Merci beaucoup de cette précision et donc, rendez-vous à Marrakech !
La réunion est levée à 12 h 30.