- Mardi 22 novembre 2016
- Mercredi 23 novembre 2016
- Nomination de rapporteur
- Projet de loi de finances pour 2017- Mission « Direction de l'action du Gouvernement » - Programme « Coordination du travail gouvernemental » et budget annexe « Publications officielles et information administrative » - Examen du rapport pour avis
- Projet de loi de finances pour 2017- Mission « Relations avec les collectivités territoriales » - Examen du rapport pour avis
- Projet de loi de finances pour 2017 - Mission « Justice » - Programmes « Justice judiciaire », « Accès au droit et à la justice », « Conduite et pilotage de la politique de la justice » et « Conseil supérieur de la magistrature » - Examen du rapport pour avis
- Projet de loi de finances pour 2017 - Mission « Justice » - Programme « Administration pénitentiaire » - Examen du rapport pour avis
- Projet de loi de finances pour 2017 - Mission « Justice » - Programme « Protection judiciaire de la jeunesse » - Examen du rapport pour avis
- Projet de loi de finances pour 2017 - Mission « Outre-mer » - Examen du rapport pour avis
- Projet de loi de finances pour 2017 - Mission « Économie » - Programme « Développement des entreprises et du tourisme » - Examen du rapport pour avis
- Jeudi 24 novembre 2016
Mardi 22 novembre 2016
- Présidence de M. Philippe Bas, président -La réunion est ouverte à 17 h 45
Projet de loi de finances pour 2017 - Audition de M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux, ministre de la justice
La commission entend M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux, ministre de la justice, sur le projet de loi de finances pour 2017.
M. Philippe Bas, président. - Nous sommes honorés que vous ayez accepté cette audition car il est peu courant de vous recevoir dans cette commission. Nous en avons en effet eu l'occasion de vous inviter à plusieurs reprises mais vos divers engagements, notamment un voyage à Saint-Pierre-et-Miquelon, vous ont empêché de venir nous rencontrer.
Vous venez ce soir nous présenter les crédits affectés à la mission « Justice » dans le cadre du projet de loi de finances pour 2017 que nous examinons, contrairement à ce que nous entendons parfois dire. Nous préparons nos rapports pour avis avec soin et nos rapporteurs vous poseront des questions à l'issue de votre présentation.
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux, ministre de la justice. - Je suis ravi de répondre à votre invitation et je vous présente mes regrets de n'avoir pas toujours pu être à la disposition du Parlement. Vous connaissez mon attachement au fonctionnement du bicaméralisme. J'essaye d'illustrer au mieux cette maxime selon laquelle le Gouvernement est à la disposition du Parlement.
Je vais vous présenter la mission « Justice » dont l'examen s'est achevé, il y a une quinzaine de jours, à l'Assemblée nationale et qui a été voté à l'unanimité des membres présents, les rapporteurs de l'opposition s'étant abstenus positivement, considérant que ce budget n'était pas vraiment critiquable et permettait d'espérer un redressement. Ces mots devraient sonner positivement à vos oreilles, puisque vous avez créé une mission d'information sur le redressement de la justice. Nous suivons ses travaux avec attention et j'espère que nous les facilitons car j'ai donné des consignes pour que le ministère réponde le plus exhaustivement possible à vos différentes demandes. Si vous le souhaitez, je viendrai devant votre commission avant de lire vos conclusions qui sont d'ores et déjà pour nous source d'inspiration.
Je connais vos dispositions aimables à l'égard de la justice dont nous partageons le souci qu'elle puisse disposer de moyens à la hauteur des responsabilités qui sont les siennes. De ce point de vue, le budget de la mission correspond à cette intention. D'ailleurs, le diagnostic à partir duquel il a été construit transcende les clivages politiques : nous sommes tous d'accord pour dire que le fonctionnement de la justice doit s'améliorer. Lorsque vous m'aviez auditionné avec la commission des finances sur la loi de règlement, j'avais dit que des marges de progrès pouvaient encore être franchies. Lors des débats internes au Gouvernement, j'ai tout fait pour obtenir un budget à la hauteur des défis. Ce n'était d'ailleurs pas une surprise pour mes collègues puisque j'avais indiqué lors de mon arrivée à la Chancellerie, il y a dix mois, que la loi de finances était ma seule priorité car, à mes yeux, les textes votés n'ont d'intérêt que s'ils sont correctement appliqués. L'institution judiciaire doit bénéficier des moyens garantissant à la fois son impartialité, son indépendance et son bon fonctionnement.
Je suis donc heureux de vous présenter un budget dont l'augmentation est la plus forte depuis le début du quinquennat. Par rapport à l'an passé, l'augmentation se monte à 520 millions d'euros. J'ai décidé d'affecter ces moyens en priorité aux juridictions, car celles-ci connaissent de grandes difficultés, tant en ce qui concerne les justiciables que le personnel. Votre rapporteur Yves Détraigne disait à juste titre que « la justice est un service essentiel pour le bon fonctionnement de notre société. Elle est servie par des magistrats, des greffiers et d'autres agents qui ont un grand sens du service public ». Il est donc légitime que nous oeuvrions ensemble pour que leurs conditions de travail soient dignes. Cela passe d'abord par la création de postes. Avec ce projet de loi de finances, nous proposons d'en créer 600 dans les juridictions, soit 238 emplois de magistrats et 362 emplois de greffiers et d'agents administratifs. Ces créations de postes sont complémentaires d'une revalorisation des statuts et d'une réflexion sur les missions. La loi sur la justice du XXIème siècle a ainsi réorienté un certain nombre de fonctions qui pesaient sur les juridictions et qui vont relever d'autres structures, étatiques ou décentralisées.
Les crédits destinés au fonctionnement des juridictions augmentent de 12 %. Ces 355 millions d'euros permettront de soulager les juridictions et de commencer à mettre fin à l'embolie que chacun constate ici ou là.
Le ministère de la justice est le premier constructeur de l'État. Pour 2017, le budget dédié à la construction augmente de 31 %. Cela permettra de financer de grandes opérations en cours à Strasbourg, à Cayenne, à Pointe-à-Pitre ou encore à Lisieux. Des opérations seront lancées l'an prochain à Lille, à Basse-Terre ou encore à Mont-de-Marsan où je suis allé visiter la semaine dernière le tribunal de grande instance dont l'état est en-deçà de ce qui m'avait été annoncé. Nous devons également maintenir en état les juridictions, les remettre aux normes et en améliorer l'accessibilité. Entre 2012 et 2017, à côté des grands travaux, il y aura eu plus d'une centaine d'opérations de cet ordre.
Nous nous attachons aussi à gérer de façon rigoureuse ce ministère dont la gestion souffre d'une mauvaise réputation. Nous avons cherché des pistes d'amélioration de la dépense publique. Avec le secrétaire d'état chargé du budget, Christian Eckert, nous avons lancé une mission commune pour identifier les marges de progression et optimiser les dépenses. En 2017, nous passerons au crible les frais de justice. Vos rapporteurs nous avaient demandé en 2016 d'être vigilants pour éviter des arriérés importants qui ont des conséquences néfastes pour les auxiliaires de justice : certains d'entre eux refusent même parfois leur concours faute de paiement de leurs missions antérieures. Quand je suis arrivé à la Chancellerie, je me suis engagé à réduire les délais de paiement dès 2016. Nous sommes sur la bonne voie. En janvier, nous avions quatre mois de retard. En raison du dégel que le Premier ministre a accordé au printemps et de la mobilisation des différentes cours d'appel, nous sommes passés à un mois. Les chefs de cour que vous rencontrerez ne pourront que corroborer mes dires. Il y a quelques semaines, j'ai obtenu que, dans le décret d'avance, 40 millions d'euros soient dédiés aux frais de justice. Néanmoins, j'ai souhaité qu'en 2017 nous réalisions des économies sur ces frais. Le déploiement progressif de la plateforme nationale des interceptions judiciaires (PNIJ) devrait se traduire par des économies, même si je connais ses carences actuelles.
J'ai également engagé la réforme du secrétariat général. Nous ne répondrons pas à l'embolie de la justice par un accroissement des moyens, car plus nous améliorerons l'institution judiciaire, plus elle génèrera des demandes. Des réformes de structure sont donc nécessaires. C'est pourquoi la réforme du Secrétariat général doit être menée à bien : c'est une structure horizontale qu'il nous faut construire dans une administration qui a beaucoup plus l'habitude de la verticalité avec la protection judiciaire de la jeunesse, la direction de l'administration pénitentiaire, les services judiciaires et les deux directions législatives. Ayant demandé au secrétaire général d'engager une réforme profonde, je lui ai donc affecté 80 emplois de plus pour prendre le tournant du numérique. Pour l'instant, notre équipement informatique est en retard, en dépit des plateformes régionales créées. Les premières mesures prises pour regrouper les services centraux du ministère dans un immeuble situé porte d'Aubervilliers nous ont permis d'économiser 6 millions d'euros de loyers.
Avec l'augmentation du budget, l'accès à la justice et au droit sera facilité. Deux mesures importantes ont ainsi été prévues par la loi pour la justice du XXIème siècle. La première est le développement des services d'accueil unique du justiciable (SAUJ). J'étais récemment à Angers, à Mulhouse et à Strasbourg : la mobilisation des personnels des greffes permet d'offrir ce service de proximité. Nous travaillons aussi à l'intégration des tribunaux des affaires de sécurité sociale (TASS) et des tribunaux du contentieux de l'incapacité (TCI) au sein des tribunaux de grande instance (TGI).
Lors des débats sur la loi de finances pour 2016, vous aviez dit votre inquiétude pour l'aide juridictionnelle. Pour 2017, elle s'élèvera à 454 millions d'euros, soit une progression de 15 % qui se décompose ainsi : 371 millions d'euros de subventions et 83 millions d'euros de ressources extrabudgétaires. Avec ces crédits, je vais pouvoir honorer les engagements passés avec la profession fin 2015 et je vais pouvoir instaurer une unité de valeur unique revalorisée, servant de base au calcul de la rétribution des avocats. Aujourd'hui, nous avons trois montants : 26,5 euros, 27,5 euros et 28,5 euros. L'Assemblée nationale a voté l'amendement que j'ai déposé et qui porte cette valeur à 32 euros, au lieu des 30 euros initialement prévus en loi de finances. Ce montant unique est le fruit d'une nouvelle concertation avec le Conseil national des barreaux.
S'agissant des justiciables, le plafond de ressources pour bénéficier de l'aide juridictionnelle passera de 929 euros en 2012 - montant inférieur au seuil de pauvreté - à plus de 1 000 euros en 2017. Cela permet d'inclure dans le champ de l'aide juridictionnelle 100 000 justiciables supplémentaires.
Le budget dédié à l'aide aux victimes, dont les dépenses ont crû régulièrement ces dernières années, augmente. Nous atteindrons les 25 millions d'euros, contre 10 millions d'euros en 2012. Comme l'action des bureaux d'aide aux victimes est déterminante, nous en avons créé 116 : ce dispositif est donc généralisé à tous les TGI.
J'en viens à la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) : les rapports successifs de Mme Cécile Cukierman ont mis l'accent sur le manque de postes, notamment lors de la loi de finances pour 2015. En 2017, la PJJ aura les moyens d'agir, grâce à l'augmentation de 4 % de son budget (les crédits hors CAS Pension passent de 663 à 690 millions d'euros) et à la création de 165 emplois. Je profite de l'occasion pour dire mon respect et ma gratitude à Mme Catherine Sultan, directrice de la PJJ. Nous avons encore beaucoup à faire, notamment avec le défi de la radicalisation auquel la PJJ s'est attaqué.
Il y a d'autres enjeux, comme la révolution numérique. Nous allons dédier 121 millions d'euros à l'informatique (+ 7 %). Cette décision correspond aux attentes des procureurs et des présidents. Déjà, en début d'année, j'avais débloqué 21 millions sur les 107 millions d'euros dégelés. Cette augmentation financera l'équipement courant, mais aussi le projet « Justice.fr », site d'information du justiciable ouvert au printemps dernier mais qui doit encore être développé afin que chacun puisse engager des démarches sans se déplacer.
Parmi les autres grands enjeux, nous devons adapter la prison. Vous connaissez bien sûr le problème de la surpopulation, des conditions de travail, mais aussi des conditions de détention qui sont éprouvantes. Depuis 2012, et si l'on inclut 2017, nous aurons construit 4 035 places de prison nettes. C'est beaucoup mais cela reste insuffisant. Le Premier ministre a d'ailleurs annoncé le 6 octobre un vaste plan de construction pénitentiaire : 32 nouvelles maisons d'arrêt et un centre de détention. Les préfets de 33 départements ont été mobilisés et je suis l'objet de nombreuses sollicitations de parlementaires. Les préfets devront nous rendre leur copie le 16 décembre. Début janvier, nous procéderons aux choix afin d'engager immédiatement les procédures d'acquisition et les travaux de construction. Ce programme n'a pas uniquement vocation à lutter contre la surpopulation mais aussi à garantir l'encellulement individuel. Nous prévoyons 1,158 milliard d'euros pour la construction de ces établissements et pour les quartiers de préparation à la sortie (QPS), structures permettant de prévenir la récidive. En outre, 150 millions d'euros sont destinés à la maintenance et à la rénovation des bâtiments. Depuis des années, la Cour des comptes nous invite à inscrire ce montant alors que l'entretien de ce patrimoine public a trop longtemps été considéré comme une variable d'ajustement. Depuis une décennie, il était habituel de prévoir 40 à 50 millions d'euros pour l'entretien alors qu'il en fallait 150. En outre, cette année nous devrons payer 170 millions d'euros aux entreprises avec qui l'État a conclu des partenariats public-privé. Je souhaite que nous entretenions notre patrimoine public qui est considérable : nous disposons de 1 200 implantations judicaires et de 188 prisons. Or, 70 % d'entre elles n'ont jamais été construites pour en faire des établissements pénitentiaires : il s'agissait de couvents ou de casernes... De plus, 72 % de ces bâtiments sont centenaires et nécessitent des travaux importants : plus nous les laissons se dégrader, plus les coûts de réhabilitation seront élevés. Les 150 millions inscrits vont permettre de poursuivre les travaux engagés, comme à la Santé qui rouvrira au deuxième trimestre 2018, mais aussi l'entretien des Baumettes et de Fleury-Mérogis. La sécurité des bâtiments est également essentielle : 40 millions d'euros lui seront consacrés afin que le droit à la sûreté ne soit pas que virtuel.
En outre, 1 255 emplois seront créés dans l'administration pénitentiaire, sous la responsabilité de son nouveau directeur, le préfet Philippe Galli : compte tenu de sa longue expérience, je n'ai aucun doute sur sa capacité à faire face aux nombreuses obligations que je lui ai imposées. Depuis 2012, 4 245 emplois pénitentiaires auront été créés, dont près de 2 500 emplois de surveillants et 1 150 emplois pour les services d'insertion et de probation. Ces recrutements ont été complémentaires d'une revalorisation de la rémunération des personnels. L'administration pénitentiaire voit donc son budget de fonctionnement progresser de 59 millions d'euros.
Nous avons également dégagé des moyens supplémentaires pour lutter contre la radicalisation et le terrorisme en milieu ouvert comme en milieu fermé. Le 25 octobre, j'ai annoncé l'ouverture d'un centre ouvert expérimental en Île-de-France. Les magistrats pourront faire figurer dans les contraintes pénales, dans les sursis avec mise à l'épreuve ou dans les contrôles judicaires des obligations de passage dans ce centre afin de désengager les individus de la violence. Pour ce qui est de la déradicalisation, les choses me semblent plus difficiles à mettre en oeuvre.
Pour le milieu fermé, l'administration pénitentiaire prendra diverses mesures : j'ai répondu à des questions d'actualité sur ces sujets. Nous allons réaffecter les 1 350 détenus radicalisés et les 358 détenus poursuivis sous le chef d'association de malfaiteurs à but terroriste. La semaine dernière, nous avons eu sept écrous de plus sous cette seule incrimination. C'est dire à la fois l'efficacité des services mais aussi la responsabilité qui pèse sur l'administration pénitentiaire.
M. Philippe Bas, président. - Merci, Monsieur le ministre, d'avoir mentionné les travaux entrepris par la commission des lois, dans le cadre de la mission pluraliste que nous avons mise en place sur le redressement de la justice. Nos observations recoupent en grande partie les vôtres. Nous nous rendons dans les tribunaux et dans les établissements pénitentiaires : nous y rencontrons les responsables, mais aussi les agents des greffes et les magistrats ainsi que les agents des différentes composantes de l'administration pénitentiaire. La première chose qui nous est dite, c'est un certain désarroi individuel et collectif des magistrats de ce pays. Ils ont le sentiment d'être submergés par une tâche dévorante, d'avoir une fonction sociale parmi les plus nobles mais qui s'accomplit dans un contexte de pénurie. Ce sentiment est aggravé à chaque fois que les expressions publiques de tous ceux qui ont la charge de défendre la justice et la magistrature démontrent le peu de considération qu'ils ont à son égard. La considération ne doit pas être que matérielle : nous devons montrer le plus grand attachement à nos magistrats et à tout le personnel de cette administration car ils sont soumis à rude épreuve.
Deuxième observation : le budget de la justice n'a cessé d'augmenter au cours des dix dernières années, passant de 6,2 à 8,2 milliards, ce qui est considérable par rapport aux autres fonctions de l'État, et le budget pour 2017 ne déroge pas à la règle. Pourtant, les Français, les magistrats, les greffiers, les agents de l'administration pénitentiaire n'ont pas le sentiment que ce grand service national fonctionne mieux qu'il y a dix ans, tout au contraire. L'augmentation des moyens sans évolution profonde des modes de gestion et sans réforme ambitieuse des procédures et du périmètre de la fonction de juger ne donnera pas les résultats escomptés. À périmètre égal et à mode de gestion et d'organisation inchangé, l'augmentation des moyens ne sortira pas la justice de l'ornière. Des changements profonds sont donc nécessaires. La dernière loi de programmation pour la justice date de 2002. Nous devons accorder à la justice les moyens dont elle a besoin mais aussi lui demander de grands changements. Les représentants de la justice n'aiment pas que l'on mentionne les travaux de la Cour des comptes : ils considèrent qu'elle méconnait la spécificité de leurs missions. Pour autant, ses recommandations ne devraient pas rester lettre morte : nous avons besoin de tableaux de bord, d'études d'impact, d'évaluations. Les difficultés de la justice doivent être mises sur la table afin, ensemble, d'y remédier.
Depuis votre entrée en fonction, vous avez abordé ces questions par le bon bout, ce qui n'a pas toujours été le cas de vos prédécesseurs.
Nous poursuivons notre travail, bien que nous ayons été présomptueux de nous attaquer à cette fonction qui est l'une des plus importantes de l'État. Nous allons essayer d'apporter nos conclusions au cours du premier trimestre 2017.
Je vais maintenant passer la parole à M. Antoine Lefèvre, qui était membre de notre commission, avant de rejoindre celle des finances, où il s'occupe du budget de la justice.
M. Antoine Lefèvre, rapporteur spécial. - Je suis ravi de me retrouver parmi vous. Oui, c'est une nécessité démocratique que de donner à la justice les moyens de son fonctionnement. En présentant demain mon rapport spécial sur les crédits de la mission « Justice », je soulignerai la volonté affichée par le garde des sceaux dès sa prise de fonctions de doter son ministère de moyens suffisants. Mais celui-ci reste sous tension. Son budget connaîtra en 2017 une progression dynamique de 4,8 %. Même si les charges à payer se sont accumulées en 2016, les moyens, hors dépenses de personnel, augmentent de 143 millions d'euros, soit une hausse de 4,6 %. Si le programme immobilier que vous avez annoncé est ambitieux, son financement est incertain : 1,2 milliard d'euros en AE, aucun CP avant 2018.
Je ne partage pas votre optimisme sur la plateforme nationale des interceptions judiciaires (PNIJ). Après onze ans, difficile de comprendre qu'elle ne soit pas opérationnelle ! Je souhaite qu'elle le devienne car cela génèrera des économies. De plus, la PNIJ sera déterminante dans la lutte contre le terrorisme.
Le malaise dans le monde carcéral reste important. La prise en charge des détenus radicalisés est l'un des problèmes. Votre pragmatisme est bienvenu car, en la matière, il n'y a pas de vérité absolue, et l'expérimentation doit prévaloir. L'organisation des locaux entre en jeu, tout comme la diversité des équipes de direction. Certaines sont volontaires et très mobilisées.
J'ai visité plusieurs prisons - sans égaler encore M. Lecerf, qui en arrivait presque à écrire un guide Michelin ! Partout, se pose le problème des téléphones portables. Si nous savons brouiller la 2G, il semble difficile de faire de même avec la 3G et la 4G. Alors qu'on demande aux visiteurs, et même aux équipes médicales, de laisser leurs téléphones à l'entrée, il y en a des milliers dans les cellules. Il semble qu'en Allemagne, Siemens ait mis en oeuvre un dispositif de brouillage performant, mais onéreux. Qu'importe : j'ai vu à Fresnes ou à Osny qu'il était possible, depuis une cellule, de photographier le parking du personnel pénitentiaire, ce qui permet ensuite de l'intimider. Il y a eu plusieurs cas. Les détenus peuvent aussi contacter les victimes, ou continuer à gérer des trafics depuis leur cellule. Nous devons trouver une solution à tout prix.
Les Français ont du mal à percevoir le volume des moyens affectés à la justice. Une comparaison est éclairante : 3,7 milliards d'euros pour la justice, 3,9 milliards d'euros pour l'audiovisuel public ! Cela en dit long sur les priorités de l'État...
La réforme du secrétariat général, que vous avez initiée, accroîtra l'efficacité de votre ministère.
M. Yves Détraigne, rapporteur pour avis. - Voilà quelques années que je suis le rapporteur pour avis du budget « Justice judiciaire et accès au droit ». Cette année, mes remarques seront moins nombreuses. Est-ce pour des raisons conjoncturelles ? Ce budget va dans le bon sens : les points que je soulève chaque année sont mieux pris en compte... Mais sera-t-il exécuté ?
Les 600 postes prévus pour les services judiciaires sont principalement liés au plan de lutte contre le terrorisme. Seuls 32 postes renforceront les juridictions sur d'autres sujets. Le taux de vacance de postes dans les juridictions reste élevé, et le problème de la sous-consommation des plafonds d'emplois fixés chaque année demeure : en 2015, 850 emplois votés en LFI n'ont pas été créés. Pouvez-vous nous donner le solde net des créations d'emploi pour 2017 ? Ces créations seront-elles effectives ? Souvent, il faut attendre la fin de l'année pour qu'elles le deviennent. Les 32 postes que j'ai évoqués suffiront-ils ?
En matière d'aide juridictionnelle, ce budget ajuste le montant de l'unité de valeur pour la rétribution des avocats. Comment cette mesure est-elle financée, je pense notamment à l'augmentation décidée à l'Assemblée nationale ? Le Gouvernement envisage-t-il de rouvrir le chantier de la réforme de l'aide juridictionnelle ? Dans l'affirmative, autour de quels acteurs, et de quelles priorités ?
L'amélioration du pilotage des frais de justice reposera notamment sur la mise en oeuvre complète de la PNIJ. Celle-ci ayant été plusieurs fois reportée, pouvez-vous nous donner le calendrier de son déploiement ?
Le projet Portalis suscite de nombreuses attentes. Cette application, accessible par les juridictions comme par les justiciables, enregistrera l'ensemble des procédures civiles. Où en est-on ? La date de 2021 est-elle toujours pertinente ?
M. Hugues Portelli, rapporteur pour avis. - Quelle que soit ma sympathie pour votre action, et pour votre style, un rapporteur se prononce sur les faits. Et ce budget doit être envisagé dans la continuité des précédents.
Le patrimoine immobilier pénitentiaire est dans une situation dramatique. Je l'ai encore vu ce matin à Fresnes. Contrairement à la plupart des ministres de la justice de ces dernières années, je suis hostile aux partenariats public-privé (PPP) - ce n'est pas notre collègue Jean-Pierre Sueur qui me contredira. J'ai en effet constaté que, dans les prisons construites sous ce régime, les malfaçons sont nombreuses. Ne disposant plus du personnel technique nécessaire pour les évaluer, les établissements doivent s'en remettre à celui de l'entreprise qui a contracté le PPP. Ainsi, à Poitiers, il y avait tant de malfaçons que le directeur avait estimé les pénalités à 1,3 million d'euros. Le ministère a transigé à 15 000 euros ! Il est vrai que c'était avant votre arrivée...
Les autres établissements sont dans une situation déplorable, que tout l'argent de ce budget ne suffirait pas à rétablir. Parfois, il faudrait raser les bâtiments pour tout reconstruire. L'inaction de plusieurs gouvernements a été telle que la tâche à accomplir est énorme. Celle qui vous a précédé à ce poste a gelé les crédits pendant trois ans. Du coup, il faut mettre les bouchées doubles, à six mois des élections !
Vous recrutez dans l'administration pénitentiaire. Très bien, mais c'est le tonneau des Danaïdes, et l'évaporation est très rapide. Qu'il s'agisse de candidats ne se présentant pas aux concours, de personnes reçues choisissant une autre administration, ou de recrues quittant le service après un an ou deux, il y a un vrai problème de fidélisation des surveillants pénitentiaires. Comme la plupart des membres de cette administration sont issus du Nord ou des outre-mer, ils n'ont qu'une idée : retourner dans leur région d'origine. Et beaucoup d'établissements sont peuplés de stagiaires, ce qui laisse craindre pour la solidité des équipes. J'ajoute que cette profession se féminise, ce qui n'est pas le cas de la population détenue, qui, de surcroît, est rarement féministe. Cela peut poser des problèmes.
Je me réjouis que vous ayez mis un terme aux expérimentations engagées en matière de lutte contre la radicalisation. Le problème est qu'une bonne partie des détenus radicaux sont mélangés au reste de la population carcérale. Comment les isoler ? Celui qui a failli tuer un gardien avait fait l'objet d'une évaluation insuffisante... J'ai rencontré, lors de mes visites, les personnes chargées de gérer les unités de lutte contre la radicalisation. Elles sont sympathiques, mais totalement inexpérimentées. Souvent, il s'agit de jeunes tout juste sortis de la faculté de psychologie, tout contents d'être sous-payés pour leur premier emploi en maison d'arrêt... Inquiétant ! De même, notre renseignement pénitentiaire souffre d'un manque criant d'effectifs. Son personnel est dix fois moins nombreux que ce qu'on observe en Grande-Bretagne. De plus, il est souvent inexpérimenté.
La surpopulation carcérale est d'autant plus forte que les magistrats ne jouent pas le jeu des peines alternatives. D'ailleurs, s'il y a bien une catégorie de personnes qu'on est sûr de ne pas croiser dans les prisons, ce sont les magistrats ! Mis à part les juges d'application des peines - encore y passent-ils aussi peu de temps que possible - les magistrats connaissent mal le monde pénitentiaire.
Mme Cécile Cukierman, rapporteure pour avis. - Le budget de la protection judiciaire de la jeunesse continue de croître, même si cette évolution doit beaucoup au plan de lutte contre le terrorisme et la radicalisation. Ainsi, la présence humaine, dans un secteur durement frappé par la révision générale des politiques publiques, redeviendra plus forte. Certes, il faudrait encore davantage de moyens pour le secteur public comme pour le secteur associatif habilité.
Je souhaiterais interroger le ministre sur deux points.
A la veille d'un nouveau quinquennat - ne spéculons pas sur les sondages - le secteur associatif habilité est inquiet. Le fait que les crédits qui le concernent passent du titre 3 au titre 6 signifie qu'on quitte la logique de contrat pour une logique de subvention. Pourquoi pas ? Pour l'heure, les sommes attendues sont au rendez-vous. Il est toutefois nécessaire que leur pérennité soit garantie, car ces associations agissent pour accomplir une mission déléguée par l'État. Et nous savons qu'il est dans l'air du temps de réduire les crédits.
Les organisations syndicales du secteur public prennent acte de l'augmentation des crédits notamment permise par le plan de lutte contre la radicalisation, qui palliera le manque de personnel résultant des choix politiques antérieurs. Ils réclament toutefois l'assurance que les emplois ainsi créés seront permanents. Des équipes se structurent pour articuler milieu ouvert et milieu fermé et, avec un public jeune, la perspective est nécessairement pluriannuelle.
Je souhaite aussi faire quelques remarques au nom de mon groupe. Il semble en effet que cela soit la seule occasion de le faire, cette année.
M. Philippe Bas, président. - Vous avez la parole à ce titre.
Mme Cécile Cukierman. - Vous avez choisi de renforcer les investissements à destination de l'administration pénitentiaire. Or, mon groupe défend la dépénalisation d'un certain nombre d'actes. Le tout-carcéral n'est pas la solution. Hélas, plus on ouvre de prisons, plus on les remplit ! Nous regrettons l'absence, au cours de ce quinquennat, d'une réforme de l'ordonnance de 1945 relative à l'enfance délinquante. Enfin, les personnels d'insertion et de probation craignent d'être spécialisés dans la lutte contre le terrorisme, ce qui ferait peser sur eux une très lourde responsabilité. Ils sont les agents d'un service public, pas des voyants !
M. Jean-Pierre Sueur. - Je regrette l'abandon de poste de la majorité sénatoriale au moment de discuter du budget, car j'aurais eu plaisir à intervenir cette année encore sur les celui de la justice. J'aurais salué votre engagement, monsieur le ministre, dès votre nomination, à augmenter ses moyens, dans la continuité de la politique menée par Mme Taubira. Ce refus d'amender le budget qui nous est présenté, alors que c'est notre rôle essentiel et que de nombreux acteurs nous le demandent, est incompréhensible.
Je fais miens les propos de M. Portelli sur la déradicalisation. En 2013, personne n'en parlait ; c'est désormais un chantier de première importance. Mais toutes les méthodes ne se valent pas : quelques vidéos et des bonnes paroles ne feront pas changer d'avis un jeune apprenti terroriste... Un travail individuel doit être mené, qui doit mobiliser l'ensemble de la société : élus locaux, travailleurs sociaux, enseignants, magistrats, gendarmes, policiers, etc. L'aborder sous l'angle de la violence en prison n'est pas la solution. Le personnel pénitentiaire nous avait d'ailleurs dit, dans le cadre des auditions de la commission d'enquête sur la lutte contre les réseaux djihadistes, que les unités spécialisées seraient des cocottes-minute. Il vaut donc mieux disperser les individus radicalisés et les suivre individuellement. Je sais toutefois la complexité du problème - nombre de terroristes s'étaient connus et radicalisés mutuellement en prison...
Les services de renseignement étaient naguère présents partout en France, sauf là où des attentats se préparaient... Vous avez heureusement poursuivi l'action engagée par Mme Taubira, monsieur le garde des sceaux, en établissant un service du renseignement pénitentiaire. Combien d'agents le composent ? Quel est leur statut ? Former tout le personnel pénitentiaire à ce métier - car c'en est un - n'est pas la solution. À la prison de Fleury-Mérogis, que nous avons visitée, il n'y a qu'un seul officier de renseignement, assisté d'un surveillant... Quelle est la place du renseignement pénitentiaire dans le dispositif global de renseignement ? Gardez-vous sur ce point la position que vous aviez en tant que président de la délégation parlementaire au renseignement - s'il est possible de la dévoiler ?
M. Philippe Bas, président. - Le rapport de la délégation est public !
M. Jean-Pierre Sueur. - C'est vrai, et M. Urvoas a d'ailleurs beaucoup contribué à l'enrichir.
Enfin, l'aumônier musulman national des prisons nous avait dit, dans le cadre des auditions de la commission d'enquête sur la lutte contre les réseaux djihadistes, que deux tiers des aumôniers musulmans en prison étaient bénévoles, et je ne crois pas qu'ils soient soumis à des conditions de formation théologique bien établies. Certes, l'État n'a pas à intervenir dans la nomination des imams, car les cultes s'organisent librement, mais les aumôniers des prisons, des hôpitaux ou des armées, eux, sont soumis à un agrément de l'autorité administrative : je suis partisan de soumettre sa délivrance à des exigences plus strictes en matière de formation.
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. - Merci pour toutes ces questions précieuses, qui éclairent utilement la politique que nous menons.
Les téléphones portables en prison sont un fléau absolu. Entré en politique avec Michel Rocard, je ferai mien son goût du parler vrai en vous donnant quelques chiffres pour l'illustrer : nos services ont saisi 27 524 portables ou éléments de portables en 2014, 31 084 en 2015 et 21 886 du 1er janvier au 1er septembre 2016. Les appareils entrent en prison soit par projection manuelle - mais bientôt sans doute par des moyens plus sophistiqués - au-dessus l'enceinte de l'établissement, soit par les parloirs. Je remercie l'Assemblée nationale et le Sénat d'avoir modifié l'article 57 de la loi pénitentiaire pour placer les fouilles sélectives sous la responsabilité des établissements, dans le respect de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme. Nous devons lutter plus globalement en sécurisant les établissements, mais conduire simultanément une réflexion plus approfondie, car cela coûte cher et tous les établissements ne sont pas touchés... Le centre pénitentiaire d'Avignon n'a par exemple connu qu'une seule projection de téléphone portable depuis le début de l'année, grâce au glacis extérieur qui permet d'éviter l'approche de son mur d'enceinte.
Plus fondamentalement, je souhaite une évolution législative et réglementaire. La sécurité périmétrique des établissements relève pour l'heure de la police et de la gendarmerie. De la même façon que le législateur a étendu les pouvoirs des services de sécurité de la RATP et de la SNCF sur la voie publique, nous pourrions confier la sécurité périmétrique des prisons à l'administration pénitentiaire. Nous réglerions ainsi le problème des extractions, sujet difficile à gérer pour les cours d'appel, sur lequel le préfet Philippe Galli a d'ailleurs été missionné pour étayer le passage du diagnostic aux propositions concrètes.
Pour l'heure, la lutte contre le fléau que sont les portables en prison nous entraîne dans une dérive technologique et financière, car les brouilleurs commandés par le ministère se sont révélés rapidement obsolètes. Pour y mettre fin, l'administration pénitentiaire a engagé un dialogue compétitif avec neuf entreprises, qui sera conclu au premier trimestre 2017. Des tests sont conduits depuis novembre, afin de vérifier l'efficacité et de garantir l'adaptabilité technique des appareils, qui assureront dans le temps long aussi bien le repérage que le brouillage des portables. Une autre solution existe, que le Canada a mise en place : doter les cellules de téléphones filaires, dont les lignes seraient écoutables par l'administration pénitentiaire, dans le respect du code de procédure pénale.
La PNIJ est une sorte de serpent de mer. Je crois
néanmoins toujours à la pertinence de l'outil. En 2006, il
coûtait à l'État 25 millions d'euros ; il lui en a
coûté 30 millions en 2012, et la facture atteindra 55
millions en 2016, compte tenu de la progression des demandes des
enquêteurs, indexées sur l'évolution des technologies...
J'ai organisé hier une réunion avec Thales pour évoquer
des hypothèses d'adaptation. Aucune, pas même la
réinternalisation du service, n'est écartée. Il est
inadmissible que des procédures soient fragilisées par des
problèmes techniques ; j'ai donc demandé au Premier
ministre, qui l'a accepté, de diligenter une enquête technique,
pilotée par le secrétaire général du
ministère
- que j'ai nommé il y a quelques semaines.
C'est d'ailleurs, monsieur le président Bas, un magistrat de la Cour des
comptes : preuve que je prends au sérieux les observations de la
rue Cambon et les exigences d'amélioration de la qualité et de
l'efficience du service rendu aux usagers. Le déploiement de la PNIJ
sera en toute hypothèse poursuivi au rythme prévu ; Thales a
commencé à réorienter ses pratiques.
Monsieur Détraigne, les chiffres des recrutements sont des cibles, dont l'atteinte dépendra des résultats aux concours. Nous savons que nous ne sommes pas un ministère attractif, et nous le déplorons. Beaucoup d'élèves surveillants pénitentiaires abandonnent leur scolarité à l'Enap, d'autres, une fois en poste, empruntent des passerelles vers d'autres types de métiers. Dans le présent budget, entre 40 et 50 millions d'euros sont dédiés à la réflexion sur la fiabilisation du personnel. La moitié des agents de Villepinte aspirent à repartir vers les Antilles ou dans le Nord-Pas-de-Calais. Beaucoup me disent qu'ils seront partis dans les cinq ans... sauf dans les établissements non parisiens, comme à Mont-de-Marsan ou à Béziers. J'ai néanmoins demandé aux directeurs de tenir les objectifs fixés, car on ne saurait déplorer la sous-administration de la justice et, simultanément, refuser de pourvoir tous les postes aux concours.
Un autre problème réside dans le temps de formation. L'énergie déployée par Mme Taubira commence seulement à produire ses effets puisqu'en 2016, le solde d'effectifs est enfin devenu positif avec 417 emplois nouveaux, du fait de 1 348 sorties des cadres et de 1 765 entrées. En 2017, les 1 200 sorties des services judiciaires seront compensées par 1 500 entrées, soit un solde positif de 300 emplois. Nous persistons à augmenter le budget, monsieur le président Bas, et cela va bien finir par se voir ! Théoriquement, l'administration pénitentiaire n'affichera en conséquence plus aucune vacance de postes en 2018. À l'Enap par exemple, trois promotions sont en formation au lieu d'une habituellement. Le nombre de magistrats a été augmenté de 30 personnes en 2015, 100 en 2016 et le sera plus encore en 2017. Le nombre d'auditeurs de justice en formation à Bordeaux est actuellement de 895, toutes promotions confondues.
Le nombre de postes ne relevant pas de la lutte antiterroriste est plus élevé que 32. Nous avons créé des magistrats référents en la matière dans chaque parquet, qui remplissent toutefois d'autres tâches. À Magnanville ou à Saint-Étienne-du-Rouvray par exemple, les parquets ont assumé cette mission, avant que le parquet antiterroriste de Paris ait repris la main. Nous avons beaucoup bénéficié du plan de lutte contre le terrorisme, car nous y avons vu un moyen d'améliorer le fonctionnement des juridictions, en facilitant la gestion des dossiers extraordinaires. Nous construisons en outre des équipes spécialisées, entourant les magistrats de juristes assistants, de greffiers assistants des magistrats et d'assistants spécialisés.
Sachant le temps qui me reste à passer à la Chancellerie, je ne relancerai pas la réforme de l'aide juridictionnelle. La difficulté réside dans la pluralité d'interlocuteurs représentant les avocats : le Conseil national des barreaux, le barreau de Paris, la conférence des bâtonniers... Je dirai d'ailleurs vendredi à l'occasion de la rentrée du barreau de Paris tout le bien que je pense de la diversité des représentants de la profession mais que parler d'une seule voix faciliterait la conduite des réformes... Nous revenons en tout cas à l'unité de valeur de base unique, portée de 30 à 32 euros. L'hypothèse d'une taxe n'a pas été retenue. Une évolution du système est toutefois nécessaire, car dans beaucoup de barreaux, certains avocats ne vivent que de l'aide juridictionnelle, ce qui n'est sans doute pas l'idée qu'ils se faisaient du métier en l'embrassant. Nous progressons simultanément dans la réflexion sur le métier d'avocat : nous avons unifié le concours d'avocat cette année, et j'ai demandé à maître Kami Haeri un rapport sur la fonction de jeune avocat.
M. Détraigne m'interroge également sur le calendrier de Portalis. Nous avons lancé justice.fr. À l'automne 2018, le portail des auxiliaires de justice sera ouvert, qui permettra d'élargir la communication numérique aux procédures introduites devant les tribunaux d'instance ou les conseils de prud'hommes : consultation en ligne des dossiers, possibilité de remplir en ligne les demandes d'aide juridictionnelle pour le compte de leurs clients, etc. Fin 2020, un bureau virtuel sera proposé aux magistrats ; en 2021, les applications existantes seront remplacées, tous les dossiers seront dématérialisés dans une unique chaîne civile et leurs pièces accessibles aux professionnels de la justice en tout point du territoire.
Je suis entièrement d'accord avec M. Portelli. Je ne suis pas non plus un ardent défenseur des partenariats public-privé, mais je comprends les raisons qui ont poussé l'administration à y recourir. L'administration de la justice ne saurait être contrainte par un cadre annuel, et les lois de programmation - il n'y en a eu que deux à ce jour, celle proposée par M. Méhaignerie en 1995 et celle de M. Perben en 2002 - ne sont pas contraignantes, ce que vos rapports parlementaires ont d'ailleurs souligné.
Les partenariats public-privé permettent de se contraindre budgétairement et d'éviter de rogner inévitablement sur le budget. Dans le Loiret par exemple, le centre pénitentiaire d'Orléans-Saran a été endommagé par les récentes inondations. Le préfet a organisé le transfèrement des prisonniers dans la nuit, mais le bâtiment est trop endommagé pour qu'ils le regagnent ; l'argent qui financera les travaux de réparation sera pris en repoussant les investissements prévus. C'est ainsi que l'investissement, depuis dix ans, a pris un retard considérable. En conséquence, l'État trouve le moyen de s'engager sur le long terme en contractualisant avec des partenaires privés. Cela coûte cher, mais les bâtiments sont construits ! Si les lois de programmation étaient suivies d'effets, l'intérêt pour les partenariats public-privé déclinerait logiquement.
M. Jean-Pierre Sueur. - Cela suppose une révolution des pratiques. À Saran, il faudra de plus prévenir les inondations futures, car l'établissement a été construit sur un terrain inondable...
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. - L'an prochain, 170 millions d'euros seront dédiés aux partenariats public-privé.
Un mot sur la déradicalisation en prison. Je veux d'abord dire ma gratitude à Mme Isabelle Gorce, ancienne directrice de l'administration pénitentiaire, qui a lancé les premières unités dédiées. Celles-ci avaient d'abord vocation à contingenter les détenus prosélytes ; on leur a ensuite demandé de les déradicaliser... Il faudra d'ailleurs légiférer, puisqu'un amendement du Sénat a introduit ces unités de prévention de la radicalisation dans la loi : or elles n'existent plus. Il sera également nécessaire d'évaluer les détenus - sur une période longue, de l'ordre de quatre mois. Tous les détenus n'ont pas atteint le même degré de radicalisation : certains reviennent d'Irak ou de Syrie, d'autres ont consulté des sites djihadistes et ont réservé un billet d'avion pour Istanbul ! À Osny, la dangerosité de celui qui a tenté d'égorger un surveillant n'avait pas été évaluée. Il faudra utiliser les places disponibles dans les maisons centrales pour les détenus les plus dangereux. Je reconnais que nous avons dû faire appel, pour ces évaluations, à cinquante binômes éducateurs-psychologues contractuels parfois peu expérimentés. Mais nous n'allons pas nous en séparer alors qu'ils deviennent progressivement opérationnels, il y va de la bonne gestion de l'argent public.
Les magistrats sont tenus, durant leur scolarité à l'ENM, d'effectuer des stages en prison. Les parlementaires aussi devraient s'y rendre - ils peuvent d'ailleurs se faire accompagner de journalistes. Nous n'avons rien à cacher, et tout à gagner de cette transparence sur le fonctionnement de l'administration pénitentiaire.
Ainsi que la loi le permet désormais, le renseignement pénitentiaire fera bientôt partie du second cercle de la communauté du renseignement. J'ai donné la priorité à la construction de la structure administrative centrale pour traiter le renseignement collecté : ce bureau central du renseignement pénitentiaire sera rattaché à la sous-direction de la sécurité, que j'ai décidé de créer et qui sera opérationnelle le 1er février prochain. Le renseignement pénitentiaire regroupe 186 agents, et 51 recrutements sont prévus en 2017. Je reçois désormais chaque semaine un bulletin du renseignement pénitentiaire. Le cadre fixé par la loi du 3 juin 2016 est satisfaisant. Ses décrets d'application sont à l'étude au Conseil d'État. L'académie du renseignement a été missionnée sur les techniques utilisables ; des protocoles ont été construits et des officiers de liaison mis en place pour échanger avec les services de renseignement partenaires : la direction générale de la sécurité intérieure, le service central du renseignement territorial, et demain, j'espère, la sous-direction de l'anticipation opérationnelle (SDAO) de la gendarmerie nationale et la direction du renseignement de la préfecture de police de Paris (DRPP). C'est un chantier de plusieurs années : dans la police par exemple, la formation d'un agent de renseignement dure cinq ans. Dans telle prison, le directeur s'est autoproclamé délégué local du renseignement pénitentiaire : j'ai dû y mettre un peu d'ordre, car on ne s'improvise pas agent de renseignement. Les besoins en personnel varient : certains établissements n'en ont pas besoin ; à Fleury-Mérogis, le renseignement mobilise déjà quatre personnes.
M. Jean-Pierre Sueur. - Quel est le statut de ces 186 agents ?
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. - Ce sont des agents de l'administration pénitentiaire qui ont accepté de s'investir sur les questions de renseignement. Certains - dans les Antilles, par exemple - sont devenus très spécialisés, grâce à l'académie du renseignement.
Je ne dispose pas pour l'heure de statistiques fines sur le nombre d'aumôniers bénévoles et d'aumôniers indemnisés. Le nombre total d'aumôniers musulmans est passé de 178 à 217. L'agrément est donné par le directeur interrégional après enquête préfectorale et avis du directeur de l'administration pénitentiaire et du bureau central des cultes du ministère de l'intérieur.
Madame Cukierman, vous pouvez rassurer les syndicats de services pénitentiaires d'insertion et de probation : un relevé de conclusions a été signé fin juillet, après un important mouvement social, et contresigné par le président de la République, qui les a reçus le 27 juillet dernier. Ces signatures engagent le Gouvernement. Je ne maîtrise pas tout, car certains sujets sont de la compétence du ministre de la fonction publique, mais les discussions se poursuivent, et les engagements relevant de ma responsabilité, comme les recrutements consentis par Mme Taubira, seront respectés.
Les syndicats sont rétifs à la spécialisation des établissements. Nous avons écarté cette hypothèse, de même que le plan d'action contre la radicalisation et le terrorisme a exclu celle de spécialiser les emplois, et privilégié les renforts nécessaires dans certaines zones géographiques, afin de renforcer les actions éducatives.
Quant au programme de la protection judiciaire de la jeunesse, concernant le financement du secteur associatif habilité (SAH), le basculement des crédits du titre 3 relatif aux dépenses de fonctionnement vers le titre 6 relatif aux dépenses d'intervention procède d'une simple mise en conformité avec la nomenclature budgétaire - nous étions en effet le seul ministère gérant des établissements sociaux et médico-sociaux à procéder ainsi.
Mme Cécile Cukierman. - On ne pourra donc pas avoir recours à cet argument pour réduire les crédits.
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. - Tout à fait.
M. Philippe Bas, président. - Comme vous pouvez le constater, le Sénat examine de façon très approfondie votre budget et émettra des avis circonstanciés sur celui-ci. Votre audition nous aura éclairés sur bien des aspects de cette mission.
La réunion est close à 19 h 40
Mercredi 23 novembre 2016
- Présidence de M. Philippe Bas, président -La réunion est ouverte à 9 h 40
Nomination de rapporteur
M. Michel Mercier est nommé rapporteur pour avis sur la proposition de loi n° 4118 (A.N. XIVème lég.), relative à l'extension du délit d'entrave à l'interruption volontaire de grossesse (procédure accélérée).
Projet de loi de finances pour 2017- Mission « Direction de l'action du Gouvernement » - Programme « Coordination du travail gouvernemental » et budget annexe « Publications officielles et information administrative » - Examen du rapport pour avis
La commission procède tout d'abord à l'examen du rapport pour avis de M. Alain Anziani sur le projet de loi de finances pour 2017 (mission « Direction de l'action du Gouvernement », programme « Coordination du travail gouvernemental » et budget annexe « Publications officielles et information administrative »).
M. Alain Anziani, rapporteur pour avis. - Mon rapport sur le programme « Coordination du travail gouvernemental » pourrait se résumer à deux observations principales et quelques observations ponctuelles.
Ma première observation est quantitative. Nous enregistrons cette année une hausse sensible des crédits, faisant suite à une augmentation à peu près identique l'année dernière. La hausse est de 6,39 % en autorisations d'engagement et de 8,46 % en crédits de paiement. Les crédits consacrés à cette mission s'élèvent désormais à plus de 700 millions d'euros.
L'essentiel de cette augmentation est absorbé par l'action relative à la sécurité et au renseignement, qui représentent plus de la moitié du budget de la mission. Les crédits sont essentiellement affectés à l'agence nationale de sécurité des systèmes d'information (ANSSI) et au groupement interministériel de contrôle (GIC).
Une autre partie de cette augmentation est consacrée à l'opération « Ségur-Fontenoy », dans le VIIème arrondissement de Paris. Il s'agit de rationaliser et de mutualiser un certain nombre de services, soit du Premier ministre, soit de certaines autorités administratives indépendantes, comme le Défenseur des droits ou la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL). La première partie du projet a été livrée en juin 2016, pour une livraison définitive en août 2017. Le site regroupera au total 2 300 personnes.
En dehors de ces deux points d'augmentation, les crédits globaux pour les services rattachés au Premier ministre sont plutôt en diminution, conformément aux engagements du Premier ministre d'adopter un comportement de sobriété afin de donner l'exemple à l'ensemble du Gouvernement.
Ma deuxième observation est qualitative et a trait à l'élaboration de la loi. Par-delà la baisse tendancielle du nombre de propositions et de projets de loi, il convient de relever que l'on produit davantage de textes volumineux. Nous enregistrons un accroissement très significatif du volume des lois. Le secrétaire général du Gouvernement estime que le nombre d'articles est multiplié par trois ou par quatre après son examen parlementaire. Ce n'est pas exactement les chiffres que nous avons. Selon nos calculs, le coefficient de multiplication serait de 1,68 à 2,17, avec une accélération en fin de législature.
La loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, par exemple, est passée de 106 articles à 308. La loi relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique comptait 57 articles, elle en compte à présent 169.
L'augmentation est plus frappante sur les projets de loi que sur les propositions de loi. Cela tient à différents facteurs, et sans doute au fait qu'aujourd'hui les textes législatifs sont souvent hétérogènes. Plus le champ est large, plus il existe un appel d'air pour les amendements.
Mais ce phénomène tient également à la nouvelle procédure législative mise en place depuis 2009. Le Parlement est ainsi devenu l'auteur principal de la loi puisqu'il multiplie par trois, par voie d'amendements, le texte initial du Gouvernement. Il a donc désormais une force importante, qui s'accompagne d'une contrepartie négative puisque la technique de l'amendement n'est pas la plus sécurisée sur le plan du droit.
Par ailleurs, le Gouvernement n'est pas sans responsabilité dans cet accroissement du volume, car il dépose parfois un nombre considérable d'amendements.
Après ces deux observations, quantitative et qualitative, j'ajouterai quelques remarques à la volée.
La préparation du « Brexit », qui occupe beaucoup le secrétariat général des affaires européennes, coûtera au budget de la France entre 1,5 et 2 milliards d'euros, du fait de la compensation des contributions de la Grande-Bretagne, qui participait à hauteur de 7 à 9 milliards par an.
Par ailleurs, point positif, nous enregistrons une meilleure application de la loi. Il reste, au 1er octobre 2016, un stock de 400 textes réglementaires ou ordonnances à prendre. Nous espérons qu'à la fin de la législature, 85 à 90 % d'entre eux seront adoptés.
Les crédits du service d'information du Gouvernement continuent à diminuer. Cette baisse est d'autant plus significative qu'elle s'accompagne d'une augmentation très forte des crédits pour les campagnes d'information relatives à la lutte contre le terrorisme et à la radicalisation.
Pour conclure, je rappellerai que 2016 a été également l'année de la fin de la version papier du Journal officiel. Peu de difficultés ont été rencontrées à la suite de cette disparition.
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits du programme « Coordination du travail gouvernemental » de la mission « Direction de l'action du Gouvernement », et des crédits du budget annexe « Publications officielles et information administrative ».
Projet de loi de finances pour 2017- Mission « Relations avec les collectivités territoriales » - Examen du rapport pour avis
La commission procède ensuite à l'examen du rapport pour avis de Mme Jacqueline Gourault sur le projet de loi de finances pour 2017 (mission « Relations avec les collectivités territoriales »).
Mme Jacqueline Gourault, rapporteur pour avis. - Il me revient de vous présenter l'avis budgétaire sur les crédits de la mission « Relations avec les collectivités territoriales » inscrits dans le projet de loi de finances pour 2017. Cette mission est dotée de 3,73 milliards d'euros en autorisations d'engagement (AE) et de 3,14 milliards d'euros en crédits de paiement (CP), ce qui ne représente que 3,7 % des transferts financiers de l'État en faveur des collectivités territoriales, qui s'élèvent à près de 100 milliards d'euros. Ces transferts regroupent plusieurs composantes : les concours financiers de l'État en faveur des collectivités territoriales, parmi lesquels la dotation globale de fonctionnement (DGF) qui s'élève à 48 milliards d'euros, les dégrèvements d'impôts locaux et la fiscalité transférée, qui représentent 44 milliards d'euros. Les crédits de la mission « Relations avec les collectivités territoriales », constitués de dotations budgétaires, ne regroupent pas les crédits de la DGF, qui est un prélèvement sur recettes.
Comme les budgets précédents, le projet de loi de finances pour 2017 est marqué par la contribution des collectivités territoriales à l'effort de redressement des finances publiques. Pour rappel, dans le cadre du plan d'économies de 50 milliards d'euros prévu par le Gouvernement sur la période 2015-2017, les collectivités y participent à hauteur de 11 milliards d'euros.
Toutefois, pour 2017, la diminution de la DGF s'élèvera à « seulement » 2,8 milliards d'euros. Le président de la République a annoncé, lors du 99ème Congrès des maires, le 2 juin dernier, une réduction de moitié de la contribution du bloc communal par rapport à 2016. Cette moindre baisse s'accompagne d'une augmentation de 297 millions d'euros des crédits consacrés à la péréquation du bloc communal, en particulier par une augmentation de la dotation de solidarité urbaine et de cohésion sociale (DSU) et de la dotation de solidarité rurale (DSR), et d'une revalorisation du montant unitaire de la dotation d'intercommunalité des communautés d'agglomération à hauteur de 70 millions d'euros. La création de communautés d'agglomération et de communautés urbaines étant en hausse en 2016 et en 2017, cela fait baisser leurs dotations dans le cadre d'une enveloppe normée, d'où cette revalorisation de 70 millions d'euros. En revanche, la contribution des régions et des départements au redressement des finances publiques demeure inchangée.
L'année 2017 sera marquée par l'application pleine et entière de la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe), avec notamment la mise en place, au 1er janvier prochain, de la nouvelle carte intercommunale. C'est d'ailleurs dans ce cadre que s'inscrit le report de la réforme de la DGF du bloc communal, alors que le Gouvernement avait lancé ce chantier à la suite des conclusions du rapport de notre collègue députée Christine Pires Beaune et de notre regretté collègue Jean Germain. Par ailleurs, le Gouvernement a annoncé qu'un projet de loi spécifique serait déposé, ce dont on peut se féliciter, car il s'agissait d'une demande forte du Sénat.
Il conviendra toutefois de veiller à ce qu'une telle réforme parvienne à son terme. En effet, outre que la DGF pâtit d'une architecture peu lisible et d'une répartition inéquitable, la nouvelle carte intercommunale aura des conséquences sur les différents paramètres sur lesquels reposent la répartition et le calcul de cette dotation. Ainsi, les dotations d'intercommunalité seront affectées par une modification des coefficients d'intégration fiscale ou des potentiels fiscaux et financiers qui sont utilisés pour le calcul des dotations. C'est une conséquence directe de l'évolution des cartes. Au-delà de ces premières difficultés, des ajustements aux différents dispositifs de péréquation vont s'avérer indispensables. Il faudrait notamment prendre en compte les effets cumulés des différents dispositifs applicables aux communes et à leurs groupements à fiscalité propre afin de mieux organiser leur complémentarité.
Pour illustrer mon propos, prenons l'exemple de la contribution des collectivités territoriales au redressement des finances publiques qui repose sur les seules recettes de fonctionnement. Les effets de cette contribution sont ensuite pris en compte dans le calcul du potentiel financier intercommunal agrégé qui sert de base au calcul du fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales (FPIC). Or, pour la répartition entre les communes, il n'est pas tenu compte des dotations de péréquation que peut percevoir une commune alors même que les baisses de la DGF liées à la contribution au redressement des finances publiques ont été compensées par des dotations de péréquation communales. En d'autres termes, l'effet correcteur des dotations de péréquation communale n'est pas pris en compte dans le calcul du potentiel financier intercommunal agrégé qui est utilisé pour la répartition du FPIC. Cela pourrait conduire à une réflexion sur l'opportunité d'une évolution de ce fonds pour le concentrer sur les disparités résiduelles, après intervention des dotations péréquatrices communales, et aurait le mérite d'organiser la complémentarité entre les différents mécanismes de péréquation, « horizontaux » et « verticaux ».
Enfin, il conviendrait également d'unifier les critères d'analyse sur lesquels chacun de ces dispositifs - les dotations de péréquation communales, la contribution au redressement des finances publiques et le FPIC - repose. En effet, les critères utilisés pour l'attribution des différentes parts de la DGF ne sont plus totalement adaptés pour apprécier les richesses territoriales et permettre une répartition équitable des dotations. Il conviendrait de procéder à une modernisation de ces outils d'analyse, dans un souci d'équité et de meilleure lisibilité.
Pour conclure, l'Assemblée nationale a adopté la prorogation des différents bonus financiers pour les communes nouvelles qui se créeront d'ici le 1er janvier 2017.
Au vu de ces observations, je m'en remets à la sagesse de notre commission pour l'adoption des crédits de la mission « Relations avec les collectivités territoriales ».
M. Philippe Bas, président. - L'évolution de la DGF aux collectivités territoriales en 2017 est « moins pire » pour les communes et leurs groupements, mais s'est fortement aggravée pour les départements dont la situation est devenue intenable.
La diminution de la couverture du reste à charge des prestations sociales, associée à une augmentation des prestations légales et à une baisse des dotations, aggrave notablement les difficultés des départements. Plusieurs d'entre eux reportent d'ailleurs leur session budgétaire, car ils n'ont pas trouvé les moyens d'équilibrer leur budget pour 2017.
M. Alain Richard. - Tout d'abord, je suis d'accord avec vous sur la différence d'évolution de la DGF, pour 2017, entre les communes et les départements. La différence instituée par le Gouvernement vient du fait que la demande des communes était assez convergente. Ce n'est pas le cas des départements, qui connaissent des situations financières différentes. Les sources de charges et les dynamiques de recettes y sont assez dissemblables. Le Gouvernement a essayé de mener une négociation pour améliorer la situation des départements, notamment avec la reprise directe par l'État de certaines dotations de solidarité, mais il n'a pas été possible d'obtenir une convergence suffisante de l'Assemblée des départements de France. Espérons que le dialogue reprendra, car la situation des finances des départements n'est pas durablement tenable.
Je formulerai une réserve sur l'idée formulée par Mme Gourault, qui souhaite que des dotations venant compenser en partie les faiblesses financières structurelles d'une commune soient prises en compte comme une recette pour les autres péréquations. Nous savons tous, par exemple, que les attributions de DSU ne font que rapprocher partiellement les communes bénéficiaires d'une moyenne qui n'est au demeurant pas très élevée. Il ne me paraît donc pas équitable de les empêcher de bénéficier des autres péréquations.
Dernier point sur lequel j'insiste toujours, parce que nous n'arrivons pas à nous faire entendre du Gouvernement : l'idée qui consiste à appliquer la péréquation intercommunale au niveau des communautés, en effectuant ensuite une sous-répartition de la contribution entre les communes de ladite intercommunalité, présente de multiples effets négatifs. Nous ne disposons pas de données complètes et cohérentes sur la répartition finale du FPIC par les intercommunalités. La demande formulée par l'Association des maires de France en faveur de péréquations séparées des communautés et des communes assurerait un meilleur respect du principe d'égalité.
M. Michel Mercier. - Je félicite notre rapporteur qui témoigne d'une parfaite maîtrise de la législation sur ces sujets.
M. Philippe Bas, président. - Je le confirme.
M. Michel Mercier. - Mais peut-on parler de législation en matière de dotation de l'État aux collectivités locales ? La complexité du système résulte du fait qu'on ne sait plus trop qui fait la loi pour les collectivités territoriales ! S'agit-il des associations nationales d'élus, du Congrès des maires, de quelques lobbies plus forts que les autres, du Gouvernement, de Bercy ? Le Parlement, lui, n'intervient qu'à la marge, en déposant des amendements pour régler quelques cas particuliers. Comme tout est lié, dès que l'on intervient sur un point, tous les autres sont plus ou moins modifiés.
Il faudrait que ceux qui perçoivent des dotations en comprennent le montant. C'est le principe de l'intelligibilité de la loi. L'année dernière, la transformation du statut de nombreuses communautés de communes et de communautés d'agglomération en communautés urbaines a créé une sorte de bug. Les nouvelles communautés d'agglomération créées en 2016 ont perçu un moindre montant de DGF non parce que les mécanismes auraient changé, mais en raison de l'enveloppe normée. Le ministre des collectivités territoriales a demandé 70 millions d'euros pour corriger cet état de fait. Mais notre collègue députée Christine Pires Beaune aurait fait adopter un amendement pour modifier cette disposition et atténuer les effets de justice introduits par M. Baylet dans le projet de loi de finances pour 2017. Notre rapporteur peut-elle nous dire où nous en sommes, d'autant que l'amendement en question a reçu, contre toute attente, l'avis favorable du Gouvernement ?
M. Pierre-Yves Collombat. - La sagesse me recommande d'être contre ce budget puisqu'il s'agit de poursuivre la diminution des ressources accordées aux collectivités, en particulier aux communes. Ça commence à faire beaucoup... À en croire les programmes électoraux défendus par les uns et les autres, ça ne risque d'ailleurs pas de s'améliorer, au détriment du rôle moteur que peuvent avoir les collectivités, notamment en termes d'investissements publics.
Les techniques utilisées sont toujours les mêmes : on prend des milliards d'euros d'un côté pour redistribuer quelques centaines de millions d'euros de l'autre. Quoi qu'il en soit, il y a toujours moins d'argent !
On se cache aussi derrière des débats techniques. Notre rapporteur a évoqué la nécessité de moderniser les outils d'analyse pour aboutir à une réforme équitable ; mais que veut-on faire ? La péréquation, c'est prendre aux uns pour donner aux autres. Or, en réalité, nous recréons des inégalités de traitements entre les petites et les grandes communes, grâce à des coefficients logarithmiques ! On ne tient ainsi aucun compte des effets pervers du FPIC.
Prenons l'exemple des Alpes-de-Haute-Provence, qui sont globalement contributrices alors qu'il s'agit d'un département pauvre. Dans mon département, la collectivité qui bénéficie le plus du FPIC est Toulon, la future métropole !
Le plus urgent est donc de savoir quelle politique on souhaite mettre en oeuvre. Si l'on annonce l'application d'une politique de péréquation, mais que l'on met en place des mécanismes qui en empêchent sa mise en oeuvre, tout en réduisant les dotations, ce n'est une bonne nouvelle ni pour les collectivités ni pour le pays !
M. Christian Favier. - Comme l'a indiqué notre rapporteur, les programmes 119 et 122 sont loin de refléter l'importance des relations entre l'État et les collectivités locales.
La baisse programmée des dotations de l'État est devenue insupportable, notamment celle de la DGF, même si cette baisse sera plus nuancée pour les communes en 2017 que pour les régions et les départements.
Pour les départements, c'est la double peine ! Ils subissent en effet à la fois la baisse à un rythme insupportable de la DGF - 40 % de moins sur trois ans ; 27 millions d'euros de moins pour mon département - et la hausse continue des charges liées aux allocations de solidarité. Cet écart continue de croître, avec l'échec des négociations entre l'État et les départements sur la renationalisation du revenu de solidarité active (RSA). Certes, le Gouvernement n'est pas seul responsable dans cette affaire, car certains présidents de départements de droite ne souhaitaient pas le maintien de l'universalité du RSA. Ils préféreraient un montant et des conditions d'attribution du RSA fixés au niveau départemental. On l'a vu en Alsace où il a été proposé de faire travailler gratuitement les allocataires du RSA, proposition condamnée d'ailleurs par les tribunaux.
Cet échec est lourd de conséquences. Afin de compenser ces allocations, 200 millions d'euros sont prévus en 2017 pour les départements en difficulté, mais le montant est dérisoire par rapport à l'ampleur du reste à charge pour les départements. Dans mon département, le reste à charge pour le seul RSA s'élève à 100 millions d'euros.
À vouloir faire supporter aux collectivités les déficits publics qui sont de la seule responsabilité de l'État, on risque de faire baisser de manière drastique les investissements, avec pour conséquence une diminution d'activité pour les entreprises, une hausse du chômage et une explosion de la fiscalité. Là encore, le contribuable sera fortement pénalisé.
Cette politique est-elle un moyen pour supprimer les départements ? Quoi qu'il en soit, on ne parviendra pas à supprimer les besoins des personnes âgées ou handicapées ni ceux des personnes en grande difficulté sociale. D'une manière ou d'une autre, il faudra bien que quelqu'un paie !
Mon analyse est peut-être sévère, mais je ne suis pas naïf. J'ai lu le programme de la droite, qui prévoit 100 à 150 milliards d'euros d'économies, soit deux à trois fois plus que le pacte actuel de responsabilité. Qu'en sera-t-il des dotations aux collectivités ?
En tout état de cause, nous ne voterons pas les crédits de cette mission.
M. René Vandierendonck. - J'ai assisté aux auditions de notre rapporteur. Les différents textes sur la réforme territoriale formaient initialement un tout indissociable, dont le volet budgétaire et financier devait en constituer la dernière part. Or on est au terme du mandat présidentiel sans avoir abordé ces questions ! La faute n'en incombe ni à Christine Pires Beaune ni à Jean Germain. Il n'y a simplement pas eu d'arbitrage sérieux sur la question de fond : s'agit-il d'une péréquation nationale - thèse défendue par Maryse Lebranchu - ou laisse-t-on les intercommunalités régler elles-mêmes la répartition ?
Je ne participerai pas à la course à l'échalote pour la labélisation « métropole » afin de ne pas diluer le concept. Y a-t-il un intérêt financier derrière tout cela ? J'ai posé cette question lors des auditions : il existe une réserve de 150 millions d'euros d'argent frais à répartir entre les métropoles. Incontestablement, ce n'est pas la notion d'aménagement du territoire qui gouverne la démarche. Sortons des faux-semblants ! Ce qui ne l'est pas, en revanche, c'est la volonté de faire apparaître progressivement un nouveau concept, celui de communautés territoriales, avec une gradation allant de la communauté de communes à la Métropole en passant par la communauté d'agglomération et la communauté urbaine. Tout se passe comme si la bonne échelle territoriale irrefragablement impliquait l'intégration intercommunale qui prendra du temps. C'est ce qui justifie à mes yeux l'existence de la compétence « solidarité territoriale » des départements. Certaines intercommunalités se contenteront de prélever et de rendre....
En termes de construction d'une solidarité territoriale, je continue de partager la position, ancienne et constante, du Sénat sur cette question.
Pour ce qui concerne le FPIC, j'approuve Alain Richard. Je suis favorable à la solidarité nationale, mais il conviendrait de prévoir un élément de pondération au sein des intercommunalités.
Pour conclure, madame le rapporteur, la direction générale des collectivités locales a-t-elle répondu à notre question sur l'état de consommation des crédits européens en France ?
Mme Jacqueline Gourault, rapporteur pour avis. - Non.
M. René Vandierendonck. - À en croire les informations dont je dispose, nous serions en situation de sous-consommation, avec un risque de dégagement d'office. Voilà de l'argent, à l'heure où l'on en cherche...
Mme Jacqueline Gourault, rapporteur pour avis. - C'est un problème français.
M. Alain Vasselle. - Ce système de dotations aux collectivités est devenu, au fil du temps, une usine à gaz. Il est impossible aux maires des petites communes rurales d'y comprendre quelque chose.
Avec la DGF, l'État ne fait rien d'autre que de redistribuer sous forme de dotations les ressources des collectivités. Si les collectivités avaient une véritable autonomie financière, on n'en serait pas là !
En ce qui concerne l'action n° 01 qui vise, j'imagine, la dotation globale d'équipement (DGE), résultat d'une fusion de deux autres dotations, l'évolution des AE diminue de 2,16 % tandis que les CP progressent de 30 %. Les dotations de nos départements seront-elles en diminution par rapport à celles de l'année précédente ? Cela risquerait de limiter les investissements programmés, ce qui aurait un impact sur l'emploi.
Enfin, Mme le rapporteur peut-elle nous faire connaître la DGF pour chacune des strates de collectivités et d'intercommunalités ? Quelle est la DGF par habitant pour les communes rurales, pour les communautés d'agglomération, pour les communautés urbaines, pour les métropoles et pour les communes nouvelles ? Cette fameuse « carotte » financière pourrait avoir des effets pervers, un certain nombre de collectivités s'engageant plus avant uniquement pour percevoir cette dotation !
M. Jacques Mézard. - J'ai écouté avec intérêt le rapport précis de Mme Gourault. Les difficultés sont devant nous, quelle que soit l'alternance. Mme Lebranchu affirmait dans une interview : « Nous n'avons pas réussi la réforme territoriale. »
M. Pierre-Yves Collombat. - Quelle lucidité !
M. Jacques Mézard. - Il est strictement impossible d'expliquer ce que décrit Mme Gourault à nos concitoyens. Or une fiscalité qui n'est pas comprise est forcément rejetée. Nous le constatons de plus en plus.
Par ailleurs, les réformes territoriales sont en totale inadéquation avec les ressources des collectivités. Il est aberrant de faire des réformes sans se préoccuper des financements. Demain, cela nous explosera à la figure !
Ce projet de budget n'est pas totalement négatif, mais les difficultés vont continuer à s'accroître, dans la suite des réformes engagées, pas seulement depuis cinq ans. Il y a de plus en plus d'iniquités entre les collectivités et entre les territoires.
Notre président a souligné à juste titre qu'une grande partie des départements est directement victime de la situation actuelle. Ces derniers ne pourront pas tenir encore trois ans dans cette situation. Michel Mercier a rappelé que les communautés d'agglomération ont vu leur situation gravement obérée en 2016, du fait d'engagements pris et non respectés. Je ne suis pas convaincu que les quelques dizaines de millions d'euros qui seront peut-être alloués pour compenser ces inégalités constitueront une solution.
J'ai rédigé un rapport avec Philippe Dallier et Charles Guené pour la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation, intitulé « L'évolution des finances locales à l'horizon 2017 ». Il montre clairement que si cette situation est pérennisée, voire aggravée, les collectivités n'ont plus que trois solutions : diminuer, voire supprimer les investissements, augmenter considérablement les impôts, ou les deux à la fois !
M. Jean Louis Masson. - Je ne ferai sans doute pas l'unanimité, mais ça ne me dérange pas !
Il s'agit sans doute du dernier budget que nous votons avant la mise en oeuvre de la loi interdisant le cumul des mandats. J'ai voté cette loi. Nous sommes des parlementaires nationaux ; nous ne devons pas agir en tant que présidents d'une région, d'un département, ou en tant que maire d'une grande ville.
M. François Bonhomme. - Mieux vaut venir de nulle part !
M. Jean Louis Masson. - M. Collombat s'est insurgé, à juste titre, contre les coefficients logarithmiques introduits subrepticement dans la répartition des aides aux communes afin d'avantager les plus grandes d'entre elles. Cette clé de répartition ne doit pas nous étonner vu le nombre de parlementaires maires de grandes agglomérations. Si nous voulons aider les petites communes, il faut réduire le poids des logarithmes ; j'espère que l'application de la loi interdisant les cumuls y contribuera.
Je suis radicalement contre le principe des métropoles. Le plus choquant, c'est l'introduction de dérogations pour certaines grandes villes. Dès lors que de telles dérogations sont votées, je vois mal pour quelle raison d'autres villes, qui sont plus importantes encore, ne bénéficieraient pas à leur tour de dérogations. L'erreur a été commise au départ ; il faut l'assumer.
Pour ce qui est des orientations budgétaires, je déplore l'insuffisance des péréquations au sein des mêmes strates de collectivités. En Moselle, le différentiel de dotations peut varier de un à sept entre deux intercommunalités voisines à population égale ! Il y a là un vrai problème, au sujet duquel on esquive toujours le moment de trancher.
De manière générale, ce qui nous est proposé s'inscrit directement dans la logique suivie depuis 15 ans, qui tend à la création de grandes régions, ce qui est à mon sens une aberration, et à la disparition des communes, ce qui est une aberration plus grave encore.
Je voterai donc contre les crédits de cette mission.
M. Philippe Bas, président. - Vous n'êtes pas le seul, me semble-t-il.
M. François Bonhomme. - Une petite question sémantique, d'abord : le terme « contribution », qui sert à désigner la participation des collectivités locales au redressement des finances publiques, gagnerait à être remplacé par le terme « ponction ».
Telle n'est pourtant pas toujours la présentation donnée par le Gouvernement. Le ministre des collectivités territoriales est allé jusqu'à parler, dans Les Échos du 27 septembre dernier - je précise que ce n'était pas dans La Dépêche du Midi -, d'un « cadeau » de 1,1 milliard d'euros offert au bloc communal ! Il ajoutait : « La baisse des dépenses de fonctionnement leur a rendu des capacités d'autofinancement » ! C'est une façon tout à fait étonnante de voir les choses. Qui croira que les ponctions ont produit le retour des capacités d'autofinancement ? La mécanique financière des collectivités locales est aux antipodes des descriptions données par le ministre.
Concernant les départements, qui ont le même souci, comme l'a rappelé l'Association des maires de France lors de son congrès, il ajoutait : « La grande majorité des départements ont profité de hausses sensibles des recettes », citant la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) et les droits de mutation à titre onéreux (DMTO), qui auraient doublé depuis 2014. Mais ces recettes ne dépendent absolument pas des relations financières avec l'État. Cette présentation des choses est, là aussi, tout à fait baroque.
J'en viens à la recentralisation du RSA. À ce propos, le ministre déclarait : « Le vrai problème du RSA est lié au désengagement des départements de l'insertion. » Il ajoutait - chacun appréciera : « Le RSA ne peut être un mode de vie. » Pour couronner le tout, pour décrire la situation que connaissent aujourd'hui les collectivités locales, il affirmait : « Les collectivités ont retrouvé un bol d'oxygène. » Ceux qui, parmi nous, ont le malheur de diriger une collectivité locale, fût-elle modeste, mesureront la pertinence de ces propos.
Même si les élus locaux et nationaux ont fait la preuve de leur sens des responsabilités en acceptant le principe d'une ponction mesurée, et même si la trajectoire a été quelque peu revue, les collectivités locales vivent une période d'insuffisance respiratoire. Rien ne serait pire, lorsque le malade éprouve des difficultés, que de lui fournir, pour seul vade-mecum, la méthode du docteur Coué !
M. Alain Marc. - Le rapport de Jacqueline Gourault est excellent. Je ne m'associe pas aux propos de M. Masson : l'expérience locale est indispensable pour bien représenter les collectivités locales au Sénat.
Chez moi, en Aveyron, comme partout, les ressources diminuent et les charges augmentent : cela s'appelle l'« effet-ciseau ». Cette augmentation des charges, liée aux allocations de solidarité, assèche nos finances. Beaucoup de départements, comme le nôtre, ont été obligés d'augmenter leurs impôts. Au-delà des solidarités sociales, que nous sommes obligés d'assumer, nous sommes heureux de venir en aide aux communes.
Cela représente des investissements, et donc des emplois - plus de 1 000 emplois directs pour les investissements routiers en Aveyron ! Si la région, et non les départements, avait eu la charge de ces investissements, les métropoles de Toulouse et de Montpellier auraient sans doute absorbé la totalité des crédits, ce qui aurait diminué d'autant l'emploi dans notre département.
Mme Gourault a raison : on ne pourra bientôt plus investir. Il faut une véritable péréquation entre les départements. Nous l'appelons de nos voeux depuis des années. Aucune des tentatives passées n'a vraiment abouti. Il est nécessaire que les départements retrouvent des capacités à investir ; il faut surtout une bonne lisibilité de ces concours financiers. Ces derniers sont des plus en plus faibles et nous empêchent d'investir, ce qui est dommageable pour l'emploi.
M. Gérard Collomb. - Il n'est pas certain que ce budget puisse être exécuté, que ce soit dans sa version initiale ou dans sa version rectifiée. La baisse des dotations, déjà significative, a pour nos collectivités des conséquences extrêmement importantes. Nous avons comprimé les dépenses de fonctionnement, parfois au-delà du raisonnable. De nombreuses communes, appartenant à des métropoles qui connaissent une dynamique démographique positive, restreignent la construction de logements au motif qu'elles ne pourront plus, ensuite, financer ni l'investissement ni le fonctionnement des équipements qu'elles devront construire pour suivre l'augmentation de leur population. La baisse des dotations a donc un effet dépressif sur l'activité de notre pays.
Puisque nous sommes d'accord sur le constat, nous pouvons faire passer des messages. La baisse des dotations, au cours des dernières années, a certes été difficile à supporter pour nos collectivités ; encore conviendrait-il d'avertir chacun qu'à l'avenir, si d'aventure cette baisse était multipliée par deux, ce n'est plus de difficultés que nous parlerions, mais d'effondrement ! Mieux vaut faire passer les messages en amont que tirer les mouchoirs en aval !
Je conseille à M. Masson un excellent livre écrit par Laurent Davezies et Yves Morvan, intitulé Pour une grammaire de la décentralisation. Il y verra que la sociologie du Sénat n'est pas exactement celle qu'il imagine lorsqu'il prétend que les élus des grandes métropoles écraseraient les autres de leur superbe. Il n'existe au Sénat aucune surreprésentation des grandes métropoles.
À la suite des dernières lois de décentralisation, un certain nombre d'intellectuels se penchent sur l'économie des territoires. L'économie française s'incarne dans des territoires divers. Il n'existe pas une France à laquelle il faudrait appliquer des lois uniformes, mais des France diverses qu'il faut traiter de manière différenciée. Il y a la France des grandes métropoles urbaines, mais aussi une France périphérique, qui est en voie d'affaissement, et une France de l'hyper-ruralité.
S'agissant du cumul des mandats, je suis favorable à la solution allemande, laquelle est certes adossée à une tradition fédérale extrêmement ancienne. Chez notre voisin, le Bundestag correspond à notre Assemblée nationale, et le Bundesrat représente, comme devrait le faire le Sénat, les collectivités locales, c'est-à-dire, en l'occurrence, les Länder et les villes-États. Le Bundesrat n'est pas saisi de toutes les lois, mais seulement de celles qui ont une répercussion sur le fonctionnement des collectivités locales.
M. Pierre-Yves Collombat. - C'est un État fédéral !
M. Gérard Collomb. - Oui, je viens de le dire !
M. Pierre-Yves Collombat. - Le travail du Bundesrat est sans effet : il se contente de reconduire les équilibres antérieurs !
M. Gérard Collomb. - Sur ces sujets, un accord doit être trouvé entre le Bundestag et le Bundesrat, ce qui a bien entendu une incidence sur l'équilibre des pouvoirs.
Si le Sénat réunissait les présidents des grandes métropoles, des conseils départementaux et des conseils régionaux, peut-être aurions-nous une meilleure vue de la diversité des territoires. L'utilité du Sénat serait peut-être plus importante qu'elle ne l'est dans le système actuel, où l'Assemblée nationale a le dernier mot.
M. Pierre-Yves Collombat. - C'est vrai, allons-y, gagnons du temps, faisons des économies !
Mme Jacqueline Gourault, rapporteur pour avis. - Deux phénomènes ont des conséquences très importantes sur les ressources de nos collectivités territoriales : la contribution, ou ponction, destinée au redressement des finances publiques, et l'évolution territoriale prévue par la loi NOTRe, s'agissant tant de la taille des régions que, surtout, de l'intercommunalité.
Comme l'a dit René Vandierendonck, il est difficile d'obtenir des chiffres précis, de la part de la direction générale des collectivités locales, concernant la consommation des crédits européens, mais aussi les données par strates d'intercommunalité. Les clés de répartition des dotations sont très difficiles à comprendre. On a empilé, au fur et à mesure des années, des compensations, d'où la nécessité de la réforme.
À la suite des interventions d'Alain Richard et de René Vandierendonck, je reviens sur la question des dotations communales n'entrant pas dans le calcul du potentiel financier intercommunal agrégé. Bien sûr, il s'agit de les prendre en considération, et non de défalquer ces dotations attribuées aux communes, qui interviennent pour compenser des difficultés de situation. Ce doit être l'un des critères, mais pas le seul.
Je suis d'accord avec la remarque d'Alain Richard concernant la répartition à l'intérieur des intercommunalités.
M. Michel Mercier m'a interrogé sur les conséquences de l'amendement de Christine Pires Beaune sur la dotation d'intercommunalité des communautés d'agglomération : l'abondement de 70 millions d'euros demeure. Mme Pirès-Beaune a fait voter un amendement afin que ces 70 millions d'euros qui devaient initialement être financés par une minoration des variables d'ajustement prévues à l'article 14 du projet de loi de finances pour 2017 soient in fine pris en charge dans le budget général. Nous pouvons nous féliciter de cet amendement au nom des collectivités territoriales.
M. Alain Richard. - C'est en tout cas une interprétation surprenante de l'article 40 de la Constitution !
Mme Jacqueline Gourault, rapporteur pour avis. - Certes, monsieur Vasselle, le soutien aux projets des communes est en baisse de 2,16 % en autorisations d'engagement. La consommation des crédits de paiement dépendra à la fois des projets des communes et de la répartition des enveloppes que proposera le Comité des finances locales. Je ne peux vous répondre à l'avance.
Je voudrais enfin dire un mot de la réflexion du président de la métropole de Lyon sur le Sénat. J'ai trouvé intéressante son évocation d'un Sénat composé de représentants des collectivités territoriales, à l'image du Bundesrat. Ce que notre collègue a dit des rapports entre Bundestag et Bundesrat est exact, mais sa vision du Sénat mettrait fin au bicamérisme à la française. Nous ne serions plus qu'une assemblée représentant les collectivités locales, et non une assemblée à part entière.
De nombreuses réserves ont accueilli la présentation de ce projet de budget. S'agissant des communes et des intercommunalités, il n'y a pas de drame dans le projet de loi de finances pour 2017, ce qui n'est pas le cas pour les autres niveaux de collectivités locales.
Je propose donc un avis défavorable à l'adoption des crédits de la mission.
M. Philippe Bas, président. - Mes chers collègues, j'entends ici ou là dire que demain pourrait être pire qu'aujourd'hui.
M. Philippe Kaltenbach. - C'est une certitude !
M. Philippe Bas, président. - Je ne partage pas ce pessimisme. Ça suffit, la déstabilisation des collectivités territoriales ! Ça suffit aussi, la baisse des dotations ! Les dotations ne sont pas des libéralités ou des cadeaux de la part de l'État, mais des compensations de transferts de compétences ou des remplacements d'impôts. La Constitution le dit : nous sommes dans le cadre d'un contrat républicain entre la Nation et ses collectivités ; ce contrat a subi, dernièrement, des coups de canif absolument sans précédent.
M. François Bonhomme. - Des coups de serpe !
M. Philippe Bas, président. - Ceux qui portent le soupçon sur les forces d'alternance qui pourraient être amenées, si le peuple français le décide, à prendre les rênes du gouvernement, ne voient pas qu'après une baisse cumulée de 15 % des dotations, aucune marge n'est plus disponible pour poursuivre cette baisse, si du moins nous souhaitons que nos collectivités continuent d'exister. Le pire a été fait, tant et si bien qu'on ne voit pas comment il serait possible de faire « encore mieux » dans cette direction !
M. Pierre-Yves Collombat. - Gérard Collomb ayant élargi notre débat, je ne peux résister à la tentation d'intervenir à nouveau. La théorie de Laurent Davezies est connue : c'est celle du ruissellement. La richesse serait produite dans les grandes métropoles, les autres entités vivant à leurs crochets. Cette théorie n'est étayée par aucune étude fine sur les échanges financiers entre les grandes métropoles et leur hinterland. Cette théorie a peut-être eu son heure de gloire ; aujourd'hui, elle est très loin de faire l'unanimité.
S'agissant de la réforme du Sénat, je pense qu'elle ne sonnerait pas seulement la fin de notre assemblée en tant que deuxième chambre d'un pays unitaire, mais sa transformation en un ensemble de principautés, qui vivraient chacune leur vie. Ce n'est ni notre tradition, ni l'avenir que je souhaite pour notre pays.
M. Alain Vasselle. - Je suivrai l'avis de Mme le rapporteur. Je voudrais lui demander si elle accepterait de rappeler dans son rapport que les domaines d'intervention et les taux de la dotation d'équilibre des territoires ruraux (DETR) sont fixés par une commission composée des élus, et non par le préfet. On constate une tendance fâcheuse des préfets à nous demander de décider de subventions relevant de domaines qui sont de la compétence exclusive de l'État - je pense au financement des équipements tels que les maisons médicales ou des logiciels liés à la réforme relative à la délivrance des cartes d'identité et des passeports. Les crédits qui sont consacrés à ce genre de choses ne le sont pas à d'autres investissements qui intéressent les collectivités.
M. Jean-Pierre Sueur. - Je ne souhaite pas évoquer ici les conséquences d'un éventuel changement de majorité sur les collectivités locales, ni l'avenir du Sénat et des institutions de la République. Mais je suis disponible pour en parler en d'autres lieux.
Puisqu'il s'agit du budget des collectivités locales, je dis très amicalement à Mme le rapporteur que les propositions qu'elle a faites, qui sont d'ailleurs intéressantes, ne pourront donner lieu à des amendements de sa part ; par conséquent, il est important qu'elle envoie son rapport à l'Assemblée nationale, afin que cette dernière en retire la substantifique moëlle.
Par ailleurs, au terme de 45 minutes de réflexion, Mme le rapporteur a modifié son avis, passant de la sagesse à l'avis défavorable.
Mme Jacqueline Gourault, rapporteur pour avis. - J'ai écouté mes collègues.
M. Jean-Pierre Sueur. - Tout en rendant hommage à ce sens de l'écoute, je vous demande de prendre acte du soutien du groupe socialiste et républicain du Sénat au Gouvernement et donc à ce budget.
M. François Bonhomme. - Encore ?
M. Philippe Bas, président. - Cela méritait d'être précisé, mon cher collègue !
M. Jean-Pierre Sueur. - Il est important qu'il soit dit que nous voterons en faveur de ce projet de loi de finances.
La commission émet un avis défavorable à l'adoption des crédits de la mission « Relations avec les collectivités territoriales ».
- Présidence de M. Jean-Pierre Sueur, vice-président -
Projet de loi de finances pour 2017 - Mission « Justice » - Programmes « Justice judiciaire », « Accès au droit et à la justice », « Conduite et pilotage de la politique de la justice » et « Conseil supérieur de la magistrature » - Examen du rapport pour avis
Puis la commission procède à l'examen du rapport pour avis de M. Yves Détraigne sur le projet de loi de finances pour 2017 (mission « Justice », programmes « Justice judiciaire », « Accès au droit et à la justice », « Conduite et pilotage de la politique de la justice » et « Conseil supérieur de la magistrature »).
M. Yves Détraigne, rapporteur pour avis. - Le rapport pour avis que je vous présente porte principalement sur les crédits du projet de loi de finances initial pour 2017 de la justice judiciaire, au sens étroit du terme, et de l'accès au droit. Il englobe donc l'ensemble des crédits des juridictions judiciaires ainsi que ceux de l'École nationale des greffes et la subvention versée à l'École nationale de la magistrature.
Le budget de la justice judiciaire augmente, en crédits de paiement, de 3,7 %, pour atteindre 3,329 milliards d'euros, soit 80 % des 4,113 milliards de l'ensemble des programmes examinés dans le cadre de cet avis, dont les crédits de paiement augmentent globalement de 4,8 % et les autorisations d'engagement de 4,4 %.
Le schéma d'emplois repose sur la création nette de 600 emplois, soit presque quatre fois plus que l'an passé, dont 465 emplois pour les greffes. Le solde des entrées et sorties de magistrats pour 2017, en fin d'année, serait lui aussi positif, puisqu'il s'élèverait à 238 emplois, principalement en raison de l'effort accompli dans le cadre du plan de lutte contre le terrorisme - seuls 32 emplois supplémentaires n'y sont pas dédiés. En dehors de ces 32 emplois nouveaux, une bonne partie des créations nettes d'emplois annoncées dépendent de redéploiements et d'économies de postes dont l'annonce, pour certains d'entre eux, peut paraître prématurée. Je pense aux économies escomptées de la mise en oeuvre de certaines dispositions de la loi de modernisation de la justice du XXIème siècle, comme le transfert des pactes civils de solidarité (PACS) aux officiers de l'état civil ou la suppression de l'homologation obligatoire par le juge des plans de surendettement, qui libéreraient 108 emplois susceptibles d'être redéployés. Toutefois ces deux réformes n'entreront en vigueur que le 1er novembre 2017 pour la première et le 1er janvier 2018 pour la seconde.
En outre, une interrogation demeure sur la prise en compte, dans le budget, des emplois supplémentaires dus à la mise en oeuvre de la réforme relative aux mesures de rétention des étrangers, qui modifie les conditions d'intervention du juge des libertés et de la détention.
Le programme « Accès au droit et à la justice » voit sa dotation budgétaire augmenter de plus de 12 %, aussi bien en autorisations d'engagement qu'en crédits de paiement. On constate notamment une augmentation de 40 millions des crédits dévolus à l'aide juridictionnelle, qui passeraient de 330 à 370 millions d'euros, complétée par la hausse des recettes affectées à cette fin au Conseil national des barreaux. Ce dernier a pour mission de reverser ces fonds aux caisses autonomes des règlements pécuniaires des avocats, lesquelles assurent le règlement aux avocats des rétributions correspondant à l'aide juridictionnelle.
Le budget de l'aide juridictionnelle atteindra 453,9 millions en 2017, dont 370,9 millions de crédits budgétaires et 83 millions de ressources extrabudgétaires.
Un amendement gouvernemental adopté à l'Assemblée nationale a porté le montant de l'unité de valeur de référence à 32 euros, soit une augmentation de plus de 20 % entre 2016 et 2017, et de 42 % depuis 2015. En outre, cette unité de valeur n'est plus modulable géographiquement.
Dans le domaine de l'accès au droit et à la justice, les crédits de paiement consacrés au « Support à l'accès au droit et à la justice » au sein du programme « Justice judiciaire », qui comprennent les dépenses salariales relatives au personnel judiciaire affecté au réseau judiciaire de proximité, régressent de 14,5 %, ce qui soulève une question s'agissant de l'affectation du personnel judiciaire dans les structures nouvellement créées.
Les crédits consacrés à l'aide aux victimes continuent d'augmenter - un montant de 10 millions d'euros est dédié au financement d'actions spécifiques dans le cadre du plan de lutte contre le terrorisme -, tout comme les crédits dédiés à la médiation familiale, qui augmentent de 23 %.
S'agissant des dépenses de personnel liées au programme « Conduite et pilotage de la politique de la justice », 80 emplois supplémentaires devraient être créés au sein de l'administration centrale du ministère de la justice, dont 30 au titre du plan de lutte contre le terrorisme et 50 au bénéfice d'une réforme du secrétariat général.
Pour ce qui concerne l'immobilier, le regroupement des services de l'administration centrale sur deux sites parisiens - le parc du Millénaire, dans le 19ème arrondissement et la place Vendôme - devrait s'achever en 2017.
Si le budget de la justice est globalement en augmentation, la situation des juridictions reste difficile. Beaucoup d'entre nous en visitent régulièrement et savent ce qu'il en est de la justice au quotidien.
Le délai moyen de traitement des affaires continue d'augmenter pour l'activité civile des tribunaux de grande instance et des tribunaux d'instance, même si la hausse est plus faible qu'auparavant. Il en a été de même pour les conseils de prud'hommes, entre 2014 et 2015, ainsi que pour les affaires de première instance en matière pénale, dont le délai de traitement a augmenté de 1,6 mois pour les cours d'assises entre 2013 et 2014. Le délai a augmenté également devant les cours d'appel entre 2014 et 2015. Nous savons tous, cependant, qu'il faut prendre ces indicateurs avec beaucoup de prudence : d'une juridiction à une autre, d'une affaire à une autre, les situations peuvent être différentes.
La loi de modernisation de la justice du XXIème siècle, qui déjudiciarise certaines procédures, devrait améliorer cette situation, avec, notamment, la sanction systématique de certaines infractions routières par une amende forfaitaire, l'instauration du divorce par consentement mutuel sans juge et quelques autres mesures comme l'enregistrement des PACS par l'officier de l'état civil.
Mais d'autres textes accroissent les tâches des juridictions. Ainsi, les contestations des placements en centre de rétention administrative passent du juge administratif au juge des libertés et de la détention.
À noter également la sous-consommation récurrente, singulièrement sur les postes de magistrats, du plafond des emplois de la justice. Le taux de consommation du plafond d'emplois pour l'ensemble du programme « Justice judiciaire » était de 98,1 % en 2014 et de 97,3 % en 2015, ce qui représente une différence de 854 équivalents temps plein par rapport au plafond, contre 604 l'année précédente.
De ce fait, on assiste à un recours croissant aux agents vacataires pour des fonctions allant de l'assistant de justice - 232 vacataires en 2010, 867 en 2015 - au juge de proximité - 213 en 2010, 362 en 2015. Cette tendance va sans doute perdurer, en dépit des créations d'emplois intervenues. On remarque également une dégradation pour les postes de fonctionnaires en juridictions ou dans les services administratifs régionaux, avec un taux de vacance d'emplois passé de 4,83 % en 2008 à 7,6 % en 2016 pour les fonctionnaires et de 2,73 % à 5,99 % pour les magistrats, pour la même période.
Quelques mots sur les frais de justice, qui constituent un problème récurrent : certains auxiliaires de justice attendant trop longtemps le paiement de leurs honoraires - je pense notamment aux interprètes.
Selon le rapport annuel de performance pour 2015, les montants non payés en fin d'année étaient de 156,8 millions en 2014 et de 133,8 millions en 2015. Pour 2017, une enveloppe de 474,6 millions est prévue pour les frais de justice, en augmentation de 11,6 millions par rapport à la dotation initiale pour 2016, mais en recul de 12,7 millions par rapport à la consommation réelle au titre de cet exercice. Il faudra surveiller ce point.
Des économies sont attendues, grâce notamment à la plateforme nationale des interceptions judiciaires (PNIJ) et à la réforme de la médecine légale, mais l'inflation continue des frais de justice risque, au moins à court terme, de se poursuivre.
Le projet de loi de finances prévoit une augmentation de 10 % des crédits dédiés au fonctionnement des juridictions, destinée à accompagner la hausse des effectifs, mais aussi à financer les mesures de mise en sûreté des bâtiments dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Les dépenses d'investissement augmentent plus fortement, de 13 % en crédits de paiement et de 111 % en autorisations d'engagement.
Tel sont les principaux éléments du projet de budget des services judiciaires. Notre justice est toujours insuffisamment dotée, eu égard à ses besoins et à la comparaison de son budget à celui des pays voisins - nos systèmes judiciaires sont différents, et il faut se méfier de telles comparaisons ; malgré tout, il est clair que nous sommes toujours les bons derniers des pays occidentaux.
Néanmoins, compte tenu de l'augmentation sensible du budget, et afin de permettre la mise en oeuvre des nouveaux recrutements, qui sont liés notamment au plan de lutte contre le terrorisme, je vous propose de donner un avis favorable à l'adoption des crédits des programmes étudiés, ainsi qu'à l'article 57 du projet de loi de finances qui lui est rattaché.
M. Jacques Bigot. - La commission a donné un avis défavorable à la mission « Relations avec les collectivités territoriales », considérant que les crédits étaient insuffisants. Pour la justice, force est de constater les efforts considérables qui sont accomplis, même s'ils restent insuffisants, et le rapporteur propose de donner un avis favorable. Néanmoins, chers collègues de la majorité sénatoriale, vous vous garderez bien d'examiner le projet de budget en séance publique. Lorsqu'on veut donner plus de moyens aux collectivités locales ou à la justice, il faut dire comment faire, ce que vous ne faites pas ! Toutes ces questions demeurent donc ouvertes ; elles seront débattues dans les mois à venir.
Mme Catherine Tasca. - Comme nous le constatons d'année en année, notre justice a accumulé des retards préjudiciables à son bon fonctionnement, donc au service des citoyens. La responsabilité de ces retards incombe à de nombreuses majorités différentes.
Nous sommes favorables au budget présenté. À s'interdire le débat dans l'hémicycle, ce que, comme Jacques Bigot, je déplore vivement, on se prive de la possibilité d'éveiller l'opinion sur la situation critique de notre justice. Il serait grand temps de prendre au sérieux cette situation et de cesser d'en faire l'otage du débat politicien.
Mme Cécile Cukierman. - Nous avons aussi dénoncé la façon dont le débat budgétaire est organisé cette année.
Le budget de la mission « Justice » est en hausse ; elle est restée l'une des missions sacralisées au cours de ce quinquennat. Mais la justice a besoin de beaucoup plus. Des progrès ont été réalisés ; il serait dommage que ces efforts soient balayés à l'avenir, et que nous revenions à la situation catastrophique des années précédentes. Pour répondre à la crise de confiance de nos concitoyens envers les institutions de la République, il est nécessaire de donner à la justice les moyens de faire son travail efficacement et sereinement.
Nous suivrons l'avis du rapporteur, en partageant une partie des réserves qu'il a émises.
M. Pierre-Yves Collombat. - Je voterai les crédits de cette mission. Ce budget, manifestement, donne davantage de moyens à la justice.
M. Yves Détraigne, rapporteur pour avis. - Quoi qu'il en soit des majorités, la justice doit rester un service public indépendant, ce qu'elle est par définition. Pendant trop d'années, les pouvoirs publics, toutes couleurs politiques confondues, ne se sont pas suffisamment préoccupés des moyens consacrés à notre justice. Que nous soyons du nord, du sud, à droite ou à gauche, géographiquement ou politiquement, nous entendons tous le même discours : il faut sanctuariser notre justice et augmenter ses moyens.
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits des programmes « Justice judiciaire », « Accès au droit et à la justice », « Conduite et pilotage de la politique de la justice » et « Conseil supérieur de la magistrature » de la mission « Justice », ainsi qu'à l'article 57 du projet de loi de finances qui lui est rattaché.
- Présidence de M. Philippe Bas, président -
Projet de loi de finances pour 2017 - Mission « Justice » - Programme « Administration pénitentiaire » - Examen du rapport pour avis
La commission procède ensuite à l'examen du rapport pour avis de M. Hugues Portelli sur le projet de loi de finances pour 2017 (mission « Justice », programme « Administration pénitentiaire »).
M. Hugues Portelli, rapporteur pour avis. - Nous avons eu l'occasion, hier, de discuter avec le garde des sceaux. N'étant pas à la commission des finances, je vous invite à vous reporter à mon rapport si vous voulez des chiffres.
Mon rapport dénonce les politiques publiques en matière pénitentiaire. Comme disait Churchill, ce n'est pas personnel, mais professionnel ! Je trouve en effet que nous avons un très bon garde des sceaux ; le malheureux, hélas, est plombé par le bilan des années précédentes, lesquelles ne commencent pas, d'ailleurs, en 2012. Il est obligé de mettre des cautères sur des jambes de bois.
L'état du patrimoine immobilier est catastrophique. Dans bien des endroits, le patrimoine ancien est devenu totalement vétuste. Hier, nous avons visité Fresnes ; c'est immonde, tout simplement ! On marche au milieu des déjections de rats, lesquels sont suffisamment nombreux pour qu'on puisse les saluer ! Fresnes est un cas limite, mais les prisons sont, pour la plupart, dans un état insatisfaisant. Beaucoup d'entre elles, d'ailleurs, n'ont pas été construites pour être des prisons. Pour répondre à cette situation, on a cru devoir faire, ces dernières années, des partenariats public-privé, sur lesquels mon ami Jean-Pierre Sueur et moi-même avons donné un avis définitif. Non seulement on confie à des entreprises privées le soin de construire les prisons mais, surtout, on leur confie la gestion de ces établissements. Résultat : lorsqu'on rencontre des problèmes de construction, ce sont les personnels de l'entreprise qui se chargent de l'évaluation, puisqu'il n'y a plus de services techniques internes aux prisons pour le faire. Inutile de vous dire que c'est fait a minima !
Le directeur de la prison de Poitiers, qui a été construite en dépit du bon sens, a ainsi estimé que le montant des pénalités à infliger à l'entreprise Bouygues s'élevait à 1,3 million d'euros. Après une remontée du problème au niveau du ministère, ces 1,3 million sont devenus 15 000 euros. Il y a un petit problème, c'est le moins qu'on puisse dire !
Les crédits affectés aux travaux dans les prisons ont beau avoir augmenté, ce sera insuffisant : il faudrait y ajouter un zéro pour que ça commence à faire sens ! Et, quoi qu'il en soit, aurions-nous les entreprises et les régies pour accomplir ces travaux ? Je n'en suis même pas certain.
Deuxième problème : celui du personnel pénitentiaire. Certes, le budget augmente, et de façon significative. Mais, comme je le disais hier au garde des sceaux, le personnel de l'administration pénitentiaire, c'est le tonneau des Danaïdes ! Les emplois créés ne sont jamais vraiment pourvus. L'administration pénitentiaire, en effet, c'est le cadet de la fonction publique régalienne. Les candidats aux concours passent également ceux de la police et de la gendarmerie, et l'arbitrage se fait toujours au bénéfice de ces deux dernières administrations. Même pour ceux qui réussissent les concours de l'administration pénitentiaire, il s'agit bien souvent d'un choix par défaut, et cette administration sert de pont vers d'autres administrations. Résultat : beaucoup d'inscrits ne se présentent pas au concours, beaucoup d'admis n'entrent jamais en fonction ou, s'ils le font, s'en vont au bout d'un an ou deux, parce que le métier est trop difficile et souffre d'un problème d'image.
Mme Catherine Troendlé. - C'est vrai !
M. Hugues Portelli, rapporteur pour avis. - On crée donc beaucoup d'emplois, mais ceux-ci ne sont, en définitive, pas pourvus. Comment rendre attractif le métier ? En outre, la pénitentiaire a la charge de fonctions nouvelles, par exemple l'extraction des détenus, à la place de la police. Ce sont des emplois en moins pour garder les détenus.
S'agissant de l'évolution des personnels pénitentiaires, donc, sur le papier, c'est bien ; dans la réalité, ça l'est beaucoup moins.
La prison, par ailleurs, n'est pas seulement l'affaire des prisonniers et des surveillants ; c'est aussi celle des magistrats. Il serait bon que les magistrats aillent voir ce qui s'y passe. Seuls les juges de l'application des peines y vont, par obligation. Si l'on veut connaître les prisons, il faut les visiter.
Hier nous étions dans une prison où il y avait deux fois plus de détenus que de places. Le taux moyen d'occupation des prisons est de 140 %. Il est toutefois variable : la surpopulation est nulle dans les maisons centrales mais élevée dans les maisons d'arrêt, où beaucoup n'ont pas leur place : personnes atteintes de troubles mentaux, placées en détention provisoire - nous sommes le pays d'Europe dans lequel sa durée est la plus longue -, condamnées à des peines d'enfermement courtes ou inappropriées - alors que les juges pourraient, s'ils avaient adapté leur logiciel, prononcer des peines alternatives à l'enfermement... La surpopulation carcérale concerne aussi les femmes, car nous avons cessé de construire des prisons ou des quartiers de prison pour femmes. À Nice, où nous étions en juillet, j'ai compté six femmes par cellule, qui vivent dans des conditions innommables : les détenues avaient cassé les canalisations pour trouver de quoi se rafraîchir... Visiter les prisons françaises donne parfois l'impression de se trouver au Brésil ou au Salvador - les armes en moins.
M. Pierre-Yves Collombat. - Ça viendra...
M. Hugues Portelli, rapporteur pour avis. - La surpopulation entraîne des problèmes d'hygiène et de nature sanitaire. La nourriture est parfois jetée par les fenêtres. Ce qui entraîne aussi une surpopulation de rats et de punaises. J'ai d'ailleurs failli dire au garde des sceaux hier que plutôt que de recruter du personnel, le ministère ferait mieux de recruter des chats !
Les unités spécialisées pour détenus radicalisés ont été abandonnées après la tentative d'assassinat, dans la maison d'arrêt d'Osny, d'un surveillant par un détenu dont la dangerosité n'avait pas été évaluée. L'évaluation ne sert à rien, nous a-t-on dit, car de toute façon, les trois quarts des détenus dangereux se retrouvent mélangés au commun des mortels, ceux qui sont envoyés en unité spécialisée étant des volontaires - sans doute plus par désir de se faire remarquer de leurs codétenus et de bénéficier d'un traitement particulier et d'une cellule individuelle que par attachement soudain à la démocratie et aux droits de l'homme. De plus, l'encadrement était insuffisant. À Fresnes, un seul agent est affecté au renseignement pénitentiaire, alors qu'il en faudrait dix fois plus. Les psychologues recrutés pour l'occasion sont insuffisamment payés. Résultat : ceux qui ont essuyé les plâtres et se sont retrouvés face à des djihadistes étaient des psychologues au chômage ou sortant d'école.
Bref, face au scandale qu'est le fonctionnement de ce service public, mon avis ne peut être que défavorable.
M. Jacques Bigot. - Merci pour toutes ces informations. Il est vrai que les magistrats, sauf les juges d'application des peines, ne se rendent guère en prison. Mais la situation décrite par le rapporteur est aussi de la responsabilité des parlementaires, qui multiplient et allongent les peines d'emprisonnement, et ne réfléchissent pas suffisamment aux alternatives à la privation de liberté. Nous ne nous préoccupons pas suffisamment des conditions de vie dans les établissements pénitentiaires, et cela ne date pas d'aujourd'hui. Les efforts du garde des sceaux sont utiles, mais insuffisants.
Merci d'avoir redit votre opposition aux partenariats public-privé, dans lesquels nous avons toujours vu un danger, une illusion financière qui n'apporte aucune solution.
La difficulté de recrutement de l'administration pénitentiaire est une réalité. Nous l'avons constaté aux Baumettes : plus personne ne veut y travailler, et il y a aussi, nous a-t-on dit, des individus radicalisés au sein du personnel...
M. René Vandierendonck. - De M. Lecerf à M. Portelli, notre commission porte un intérêt à ces questions dont il faut saluer la belle continuité.
L'augmentation des moyens de la justice, du parquet antiterroriste à l'administration pénitentiaire, a aussi été initiée par notre commission. J'ai toujours dit que ce serait une oeuvre de longue haleine, supposant une loi de programmation, une volonté forte à opposer à Bercy et un accord politique au-delà des échéances électorales.
Sur les partenariats public-privé, le rapporteur a raison. Et le plus beau reste à venir : le nouveau palais de justice de Paris...
M. Philippe Bas, président. - Nous avons plus de chances de respecter une programmation qui existe qu'une programmation qui n'existe pas ! Il faut en tout cas inscrire nos efforts dans la durée. Nous devons rendre hommage au garde des sceaux d'avoir contribué à la réflexion sur la hiérarchisation des moyens de la justice, mais il déplore lui-même de n'avoir qu'un seul budget à préparer, sans réformes qui plus est... Car des réformes terre-à-terre sont utiles, en matière d'organisation, de gestion du personnel, de vacances de postes, de besoins de recrutement, de lutte contre le turnover, etc. La reprise en main, durable, ne portera malheureusement pas ses fruits dans l'instant.
Mme Cécile Cukierman. - Nous avons déjà dénoncé les partenariats public-privé, les PPP, et leurs conséquences en termes de coût et de gestion.
La surpopulation, dans un pays qui se veut celui des droits de l'homme, limite les possibilités de réinsertion. Le garde des sceaux a annoncé la création de nouveaux établissements : nul doute qu'ils seront remplis, de la même façon qu'une route construite pour en désengorger une autre attire de nouveaux flux de véhicules. Bref, une politique pénale ne peut être uniquement motivée par l'amélioration des conditions de vie des détenus et des conditions de travail du personnel pénitentiaire : il faut penser au-delà de la prison, et garder à l'esprit que la déshumanisation des détenus complique leur réinsertion, ce qui est porteur de risques pour la société.
Mme Catherine Troendlé. - Je remercie le rapporteur pour sa présentation, peu glorieuse, de la situation de notre monde carcéral, dénoncée en son temps par Jean-René Lecerf. L'Allemagne, elle, ferme des prisons, car chaque condamnation donne lieu au déclenchement d'une prise en charge individualisée orientée vers la réinsertion. Les moyens humains étant à la hauteur des ambitions, le taux de récidive est faible. Je regrette le coup de frein porté au plan de construction d'établissements pénitentiaires lancé naguère. Dans le Haut-Rhin, où je visite souvent les maisons d'arrêt de Colmar et de Mulhouse, les conditions de vie des détenus sont indignes. Mais construire des prisons ne servira à rien en l'absence de dispositifs d'aide à la réinsertion dès le premier jour d'emprisonnement ou de mesures destinées à diagnostiquer l'état de santé, notamment mental, des détenus, pour écarter de prison ceux sur qui elle ne saurait avoir le moindre effet.
M. Yves Détraigne. - Nous savons bien que les crédits que la France consacre à cette administration sont ridicules, comparés à l'Allemagne. S'il y a une seule réforme à faire dans ce domaine, elle est financière. Nous avons raison, au sein de cette commission, de proposer des aménagements juridiques, mais c'est d'abord et avant tout d'argent que notre justice a besoin, et il reste beaucoup à faire.
Mme Lana Tetuanui. - J'essaierai d'être plus positive... car il faut aussi savoir dire merci à l'État. La presse nationale a évoqué la prison de Polynésie française, Faa'a-Nuutania, la plus peuplée de la République, qui est une honte avec un grand « H ». Je me réjouis par conséquent de l'inauguration par le garde des sceaux d'un nouvel établissement en février prochain, au terme d'un long combat. Je remercie également l'effort consenti pour le recrutement local des surveillants - je pense à la fameuse 190e promotion, composée de 200 Polynésiens, dont un certain nombre, sortis de l'Enap d'Agen, vont rentrer au pays.
M. Hugues Portelli, rapporteur pour avis. - La prison reste une sorte de boîte noire, car le travail du service pénitentiaire d'insertion et de probation - je n'en ai pas parlé mais ses moyens augmentent également - s'interrompt une fois que le détenu a purgé sa peine. Il faudrait un suivi continu, avant et après la prison. Bref, nous devons tout reprendre à zéro, en décloisonnant les services d'insertion, et en les associant par exemple aux services des collectivités.
M. Jean-Pierre Sueur. - Nous saluons la qualité du rapport de M. Portelli, mais ne pourrons suivre son avis.
Mme Éliane Assassi. - Le groupe communiste républicain et citoyen s'abstiendra.
La commission émet un avis défavorable à l'adoption des crédits du programme « Administration pénitentiaire » de la mission « Justice ».
- Présidence de Mme Catherine Troendlé, vice-présidente -
Projet de loi de finances pour 2017 - Mission « Justice » - Programme « Protection judiciaire de la jeunesse » - Examen du rapport pour avis
Puis la commission procède à l'examen du rapport pour avis de Mme Cécile Cukierman sur le projet de loi de finances pour 2017 (mission « Justice », programme « Protection judiciaire de la jeunesse »).
Mme Cécile Cukierman, rapporteure pour avis. - Plus qu'une analyse chiffrée du budget de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), je me bornerai à quelques remarques et orientations d'ordre général.
Le budget de la PJJ augmentera encore en 2017, suivant ainsi la dynamique engagée depuis 2012. Alors que l'administration de la PJJ avait été fortement touchée par la révision générale des politiques publiques, le plafond d'autorisation d'emplois du secteur public reviendra ainsi au niveau de 2008, essentiellement grâce au plan d'action contre la radicalisation et le terrorisme. Le garde des sceaux a indiqué hier que ce plan visait, par l'attribution de nouveaux moyens, à renforcer les services de la PJJ de droit commun pour leur permettre « d'avaler l'extraordinaire ».
La direction de la PJJ affiche la volonté d'assurer la continuité du parcours du jeune pris en charge et de faire du milieu ouvert le coeur de son intervention éducative. Reste que les moyens manquent pour répondre pleinement aux missions du quotidien, par exemple pour couvrir les frais de fonctionnement liés aux déplacements du jeune et de sa famille.
La PJJ renforce par ailleurs son partenariat avec le secteur associatif habilité par un effort budgétaire sensible et la déclinaison au niveau interrégional de la charte nationale d'engagements réciproques signée en 2015 - à ce jour, seule une charte interrégionale reste à signer. Ce partenariat devra être évalué. Sur le terrain, j'ai pu ainsi constater une amélioration du dialogue entre la PJJ et le secteur associatif habilité, dans le but de diversifier l'offre de prise en charge des jeunes, en milieu ouvert comme en milieu fermé.
Le secteur associatif habilité continue toutefois de déplorer son rôle d'exécutant des actions menées et sa faible association à l'élaboration des politiques territoriales, alors même qu'il est souvent au coeur de l'organisation de l'offre éducative. Autre nécessité : sécuriser ses financements par une budgétisation plus fine en amont plutôt que par des régularisations en aval. Les associations reconnaissent la tutelle légitime de la PJJ mais souhaiteraient sortir de ce rapport de donneur d'ordres à exécutant, au profit d'une plus grande complémentarité entre les acteurs.
Cette situation complexe nuit à la qualité de l'offre éducative et fragilise le travail des magistrats, en les plaçant le plus souvent dans une position de comptable des mesures et des places disponibles plutôt que de décideur de la meilleure réponse à apporter aux jeunes. Nous devons tendre au sur-mesure par des actions éducatives innovantes et diversifiées, et poursuivre le travail avec les autres acteurs de la jeunesse, en l'articulant avec la protection de l'enfance menée par les départements, l'insertion scolaire et l'insertion professionnelle.
Enfin, s'agissant de la prise en charge de la radicalisation, on constate une augmentation du nombre de jeunes radicalisés ou en voie de radicalisation confiés à la PJJ. Il faut ici distinguer les jeunes suivis du fait de leurs propres actions de ceux pris en charge en raison de la radicalisation de leurs parents : ces derniers étaient 48 au 1er août 2015, mais 146 au 1er août 2016. La réponse, en cours d'élaboration, doit être consolidée sur le terrain.
La spécialisation des établissements ou du personnel n'est souhaitée par personne. Il faut continuer à travailler pour garantir la professionnalisation des acteurs et la singularité de la prise en charge sans stigmatiser les jeunes.
L'évaluation de la radicalité et de la dangerosité des individus reste une difficulté. Cela nécessite du temps de formation des personnels, et des échanges de pratiques afin de favoriser la montée en qualification.
En raison de la compétence nationale du Parquet de Paris en matière de terrorisme, les juges pour enfants de Paris sont confrontés à la hausse du nombre de mineurs radicalisés, ce qui allonge le traitement des autres dossiers. Un seul poste supplémentaire a été budgété en 2017 : c'est insuffisant. Je crains que la justice se consacre à ce phénomène brûlant au détriment du reste, et que la réponse apportée plus largement à tous les jeunes qui ont besoin d'être aidés dans leur réinsertion et leur réconciliation avec la République et ses institutions en pâtisse.
Sous ces réserves, j'émettrai un avis favorable aux crédits de ce programme.
Mme Catherine Troendlé, présidente. - La radicalisation est une nouvelle donne qu'il nous faut tous prendre en compte...
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits du programme « Protection judiciaire de la jeunesse » de la mission « Justice ».
Projet de loi de finances pour 2017 - Mission « Outre-mer » - Examen du rapport pour avis
La commission procède ensuite à l'examen du rapport pour avis de M. Thani Mohamed Soilihi sur le projet de loi de finances pour 2017 (mission « Outre-mer »).
M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur pour avis. - Je me bornerai à une présentation succincte des crédits budgétaires de cette mission, d'autant plus qu'elle ne représente qu'un dixième de l'effort financier de l'État en faveur des outre-mer puisque près de 26 missions budgétaires contiennent des crédits qui leur sont destinés sans compter les prélèvements sur recettes ainsi que les dépenses fiscales.
Dans le cadre du projet de loi de finances pour 2017, les crédits de cette mission avoisinent les 2 milliards d'euros, ce qui est une constante depuis 2011. La légère augmentation de 0,8 % pour les crédits de paiement (CP) et 2,1 % pour les autorisations d'engagement (AE) en 2017 s'effectue au prix d'une modification du périmètre de la mission car, à périmètre constant, les crédits de la mission baissent légèrement. La dépense fiscale devrait, en 2017, s'élever à 4,1 milliards d'euros, soit le double des crédits inscrits dans la mission Outre-mer.
Le montant cumulé des AE consacré aux territoires ultramarins, toutes missions confondues, s'élève, pour sa part, à 16,6 milliards d'euros. En CP, il s'établit à 16,4 milliards. Cette hausse s'explique par la création de deux nouveaux programmes budgétaires. Au total, en intégrant les dépenses fiscales, l'effort financier de l'État devrait s'élever à 20,7 milliards en AE et 20,5 milliards en CP en 2017, contre 18,4 milliards en AE et 18,6 milliards en CP en 2016.
Compte tenu du maintien de l'effort budgétaire, ces éléments me conduisent à vous proposer un avis favorable à l'adoption de ces crédits.
Cette année, j'ai souhaité examiner plus en détail les moyens de la justice outre-mer. Au moment où la mission d'information créée par notre commission s'intéresse à cette question, les outre-mer ne peuvent pas être exclus de cette réflexion. J'ai questionné et entendu les représentants de la chancellerie mais aussi recueilli les observations écrites de plusieurs chefs de cour. D'une part, les moyens des juridictions judiciaires ultramarines ne prennent pas toujours en compte le contexte local. D'autre part, les spécificités du service de la justice dans les outre-mer dénotent parfois un manque d'approche globale de cette question.
Pour définir les moyens des juridictions ultramarines, le dialogue de gestion ne diffère pas de la métropole. S'agissant des ressources humaines, le bon fonctionnement des juridictions ultramarines repose sur la possibilité de disposer de façon durable et certaine de magistrats, greffiers et fonctionnaires en nombre suffisant. L'attractivité des postes, comme pour le reste de la fonction publique d'État, n'est étrangère ni au régime indemnitaire ni aux conditions de vie qu'offre la collectivité d'affectation. Or, les emplois offerts présentent un attrait variable pour les candidats, particulièrement les magistrats, y compris parfois au sein du ressort d'une même cour d'appel. Le sud du département de La Réunion est ainsi particulièrement demandé, tandis que les juridictions de Mayotte, du fait des conditions de vie et de travail difficiles, connaissent des vacances de postes renforcées par la crainte des magistrats et agents de voir leur mutation bloquée faute de candidats pour les remplacer.
La chancellerie a développé des actions d'information et de gestion des ressources humaines en renforçant l'équipe dédiée au sein de la direction des services judiciaires. Cet effort a porté ses fruits au point que l'effectif localisé outre-mer des magistrats coïncide pratiquement avec l'effectif prévu - c'est toutefois moins vrai pour les greffiers. Cet effectif localisé reste cependant théorique : il signifie qu'un magistrat est nommé sur l'emploi ouvert mais n'indique pas si ce magistrat est en congé maladie ou en congé maternité, suspendu pour des motifs disciplinaires, bénéficiant d'un temps partiel, etc.
Une contrainte s'ajoute à la gestion des affectations des magistrats : la règle purement prétorienne forgée par le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) généralement résumée par l'adage « outre-mer sur outre-mer ne vaut », qui signifie que le CSM se refuse à des nominations successives au sein de plusieurs juridictions ultramarines. Cette précaution peut se comprendre pour éviter le nomadisme ultramarin ou des carrières exclusivement ultramarines mais elle me semble soulever des objections de principe relativement importantes. D'une part, elle fait obstacle à ce que des affectations moins attractives soient compensées par des affectations davantage souhaitées, y compris dans le même ressort. D'autre part, être affecté successivement dans deux collectivités ultramarines est plus contraignant que dans deux ressorts de cour d'appel en métropole... Il ne s'agit donc pas d'un traitement de faveur. Faire un sort particulier à l'outre-mer en général nie l'extrême diversité des situations locales rencontrées outre-mer. Le CSM s'interroge lui-même sur la pérennité de cette doctrine et sur les assouplissements qu'il pourrait y apporter. Il en a d'ailleurs fait part dans son dernier rapport d'activité. Je ne peux que l'encourager : une interdiction de principe ne me parait pas avoir de sens. Le rôle du CSM est justement d'apprécier chaque demande en fonction du dossier qui lui est présenté.
En matière d'immobilier et d'équipements, plusieurs représentants du monde judiciaire ont relevé que la chancellerie pouvait adopter une approche standardisée vis-à-vis des outre-mer, qui font objectivement face à des contraintes particulières. Ainsi, à Mayotte, pour équiper le palais de justice de Mamoudzou, les chefs de juridiction ont dû passer par le marché conclu avec l'Union des groupements d'achat public (UGAP) au niveau national, ce qui s'est révélé coûteux en temps, en moyens et en organisation puisque ce prestataire n'assurait pas le transport jusqu'à Mayotte. De plus, les conditions climatiques mettent à rude épreuve les bâtiments et les équipements, informatiques notamment. En général, l'absence de prise en compte de ce facteur à la conception entraîne des surcoûts de fonctionnement pour la maintenance et l'entretien des locaux. On peut même estimer qu'un équipement conçu pour dix ans en métropole se traduit outre-mer par une durée de vie réduite de moitié.
Une partie de mon rapport est consacrée aux spécificités de l'organisation judiciaire ou procédurales outre-mer qui, sous l'effet de questions prioritaires de constitutionnalité, peuvent être soumises à l'examen du Conseil constitutionnel. En 2016, ce dernier a rendu une décision, le 1er avril, sur la formation correctionnelle dans les îles Wallis et Futuna qui ne comptait qu'un magistrat pour deux assesseurs et, le 3 juin, sur la composition et la majorité requise à la cour d'assises de Mayotte. Il a prononcé deux censures. Or, en examinant les règles applicables à d'autres juridictions ultramarines, notamment à Saint-Pierre-et-Miquelon, certaines dispositions similaires pourraient connaître le même sort. Les conséquences juridiques de ces décisions n'ont pas encore été pleinement tirées. Une initiative législative est pourtant plus que souhaitable.
Dans ce domaine comme dans d'autres, l'État n'a pas d'approche globale de la question de la justice outre-mer. Il faut dire que le ministère des outre-mer n'a pas toujours l'expertise complète pour aborder les difficultés auxquelles sont confrontés les outre-mer et que les autres ministères portent à ces questions une attention distraite, pour ne pas dire plus.
Les particularités des juridictions ultramarines sont peu exploitées et abordées alors qu'elles sont, pour certaines, au coeur des réflexions en cours sur le fonctionnement de la justice. Le tribunal de première instance comme juridiction généraliste existe à Saint-Pierre-et-Miquelon, à Wallis-et-Futuna, en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française, sans être réservé à des collectivités faiblement peuplées. Lorsqu'ils existent, les tribunaux de commerce et les tribunaux du travail sont systématiquement échevinés avec un magistrat à leur tête. C'est également outre-mer qu'ont été créées les chambres détachées qui ont essaimé en 2014 en métropole. Autant de spécificités qu'il serait utile de verser au débat et qui pourtant sont méconnues. Je le regrette sincèrement et j'espère que les travaux sénatoriaux pourront y remédier.
- Présidence de M. Philippe Bas, président -
Mme Lana Tetuanui. - Je salue l'excellent travail réalisé par M. Mohamed Soilihi, qui expose bien les spécificités des collectivités d'outre-mer - leur diversité ne saurait se résumer à la situation de Mayotte...
Je rejoins notre rapporteur sur le fonctionnement de la justice outre-mer. Il serait bon que les parlementaires métropolitains s'y rendent pour l'observer, car on hallucine parfois en constatant l'écart entre ce qui se passe à Paris et ce qui se passe sous nos cocotiers, au point de se demander - je pense ici à la Polynésie française - si nous n'avons pas une justice à deux vitesses. Certains magistrats se considèrent manifestement comme les patrons de la collectivité. Monsieur le président, une mission sénatoriale sur le fonctionnement de la justice outre-mer serait opportune.
M. Philippe Bas, président. - Vous avez raison. Ce serait un comble que notre commission, compétente en matière de justice et d'outre-mer, se désintéresse de la justice outre-mer. Nous avons d'ailleurs inscrit un déplacement en Polynésie française au programme de l'année prochaine. La délégation de notre commission sera composée de trois sénateurs, et accordera une attention particulière au fonctionnement de la justice.
M. Félix Desplan. - Le rapporteur nous a habitués à des rapports de grande qualité.
Malgré les efforts faits par ce gouvernement, qui s'est toujours intéressé aux outre-mer et a maintenu à la hausse, quoique parfois insensible, les crédits qui y sont consacrés, il reste beaucoup à faire compte tenu du retard accumulé par ces territoires dans de nombreux domaines. Une délégation de sénateurs socialistes en mission l'a récemment constaté, notamment en Guadeloupe.
Les gouvernements passés n'ont pas toujours manifesté le même intérêt pour les outre-mer. À la veille d'échéances électorales importantes, rappelons que les outre-mer méritent toute notre attention. La délégation sénatoriale à l'outre-mer a d'ailleurs adopté un rapport pour alerter sur l'inadaptation des normes européennes à nos territoires, en matière agricole ou commerciale par exemple. Nous suivrons le rapporteur, mais restons conscients que les outre-mer progressent trop lentement et que leurs spécificités ne sont pas assez prises en compte. Quelle que soit la majorité, restons mobilisés pour les outre-mer.
M. Philippe Bas, président. - J'ai pour ma part hérité d'un intérêt certain pour les outre-mer de Jacques Chirac qui a toujours témoigné d'un profond respect et d'une grande considération pour ses habitants.
M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur pour avis. - Merci pour vos mots bienveillants.
Madame Tetuanui, mon rapport évoque les difficultés rencontrées pour l'installation du tribunal foncier de la Polynésie française.
Monsieur Desplan, je suis d'accord avec vous : les outre-mer ont toujours de nombreux défis à relever, et je plaiderai également pour que l'intérêt à leur égard ne faiblisse pas.
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Outre-mer ».
Projet de loi de finances pour 2017 - Mission « Économie » - Programme « Développement des entreprises et du tourisme » - Examen du rapport pour avis
Enfin, la commission procède à l'examen du rapport pour avis de M. André Reichardt sur le projet de loi de finances pour 2016 (mission « Économie », programme « Développement des entreprises et du tourisme »).
M. André Reichardt, rapporteur pour avis. - Le programme « Développement des entreprises et du tourisme » regroupe l'ensemble des dépenses fiscales consacrées aux entreprises, ainsi que les crédits destinés à la protection des consommateurs et à la régulation concurrentielle des marchés. Sa mise en oeuvre incombe, pour une large part, à la direction générale des entreprises (DGE) et à la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), en administration centrale et dans les services déconcentrés, ainsi qu'à l'Autorité de la concurrence.
En dépit d'une hausse apparente en raison de variations de périmètre, ce programme connaîtra une nouvelle réduction de ses crédits en 2017. À périmètre constant, les autorisations d'engagement devraient diminuer d'environ 2,5 % et les crédits de paiement de plus de 1 %. En raison de ces effets de périmètre, les crédits du programme vont toutefois atteindre le milliard d'euros.
Cette année, dans la continuité de l'année précédente, j'ai plus spécialement étudié la mise en oeuvre par l'Autorité de la concurrence de ses nouvelles prérogatives à l'égard des professions réglementées du droit. J'ai aussi poursuivi mon étude des politiques d'accompagnement des entreprises dans les territoires. Enfin, je me suis interrogé sur les missions de la nouvelle Agence France Entrepreneurs (AFE) et sur la reconfiguration du dispositif gouvernemental en matière d'intelligence économique.
Après plusieurs années d'érosion régulière de ses crédits et de ses effectifs, ce qui a fragilisé ses capacités de contrôle, l'Autorité de la concurrence devrait, comme en 2016, bénéficier d'une hausse importante de son budget afin de soutenir ses missions à l'égard de certaines professions juridiques et judiciaires réglementées, qui lui ont été confiées par la « loi Macron » du 6 août 2015. Pour l'exercice de ses nouvelles missions, l'Autorité a été amenée à créer au sein de ses services une unité dédiée aux professions règlementées, composée de sept agents et comportant des juristes, des économistes et des agents provenant de la DGCCRF, dont le recrutement a été engagé à la fin de l'année 2015. Le plafond d'emplois de l'Autorité a été relevé à 192 au 1er janvier 2016, soit 10 emplois supplémentaires par rapport à l'année précédente, et devrait passer à 197 au 1er janvier 2017.
Conformément à la « loi Macron », l'Autorité de la concurrence doit rendre un avis sur les tarifs des commissaires-priseurs judiciaires, des greffiers de tribunal de commerce, des huissiers de justice, des administrateurs et mandataires judiciaires et des notaires, ainsi que sur les droits et émoluments des avocats en matière de saisie immobilière, de partage, de licitation et de sûretés judiciaires. Elle doit aussi rendre un avis sur la liberté d'installation des notaires, des huissiers de justice et des commissaires-priseurs judiciaires, comportant des recommandations pour augmenter « de façon progressive » le nombre d'offices et une cartographie pour définir des zones d'implantation de nouveaux professionnels, ainsi qu'un avis sur la liberté d'installation des avocats au Conseil d'État et à la Cour de cassation, comportant des recommandations pour augmenter de même le nombre d'offices. Ces avis doivent être rendus tous les deux ans.
À ce jour, l'Autorité a rendu plusieurs des avis requis par la loi mais deux avis sont encore attendus d'ici la fin de l'année.
Entendu par votre rapporteur, la nouvelle présidente de l'Autorité a indiqué, s'agissant des tarifs, que la préférence de l'Autorité allait vers une méthode globale de fixation des tarifs, permettant une certaine mutualisation entre les tarifs des différents actes. Hélas, le Conseil d'État a jugé que la tarification devait être appréhendée acte par acte, de sorte que les premiers textes tarifaires se sont bornés à moduler à la baisse les tarifs existants, faute de temps pour procéder à une évaluation des coûts directs et indirects acte par acte. Cette seconde méthode sera mise en oeuvre d'ici la prochaine révision des tarifs, mais sera plus complexe et devra s'appuyer sur une comptabilité analytique fiable chez les professionnels concernés.
Concernant l'installation des notaires, l'Autorité a recommandé une augmentation de 20 % du nombre de notaires titulaires ou associés d'ici 2018, soit 1 650, progression qui m'apparaît particulièrement ambitieuse. Dans deux ans, l'Autorité se prononcera à nouveau sur l'installation des notaires, au vu du bilan de la phase actuelle.
Il faut relever que le Gouvernement s'en est remis entièrement à l'appréciation formulée par l'Autorité de la concurrence dans les textes réglementaires qu'il a pris en application de la loi du 6 août 2015, s'agissant des tarifs comme du nombre de nouveaux notaires et de leurs zones d'installation. Ainsi, le Gouvernement a identifié un total de 247 zones sur 307 pour l'installation des 1 650 nouveaux notaires d'ici 2018. Pour établir une certaine progressivité, il a prévu la création de 1 002 nouveaux offices au plus la première année. Je m'interroge sur l'absence de critères sérieux relatifs à la progressivité, pourtant prévus dans la loi : 20 % en deux ans, c'est énorme !
Concernant les tarifs, le Gouvernement a fait le choix d'une baisse homothétique de 2,5 % de tous les tarifs existants, reportant à la prochaine révision des tarifs la mise en place d'une tarification intégrant les coûts acte par acte.
Le Conseil supérieur du notariat (CSN) critique cette approche systématique, considérant que le tarif actuel ne couvrait déjà pas aujourd'hui le coût de revient de certains actes, au risque de fragiliser l'équilibre économique de certains petits offices, notamment ruraux, qui ne pratiquent pas d'importantes transactions immobilières. Plusieurs centaines d'offices étaient déjà en difficulté avant même cette loi. Le CSN s'interroge pour l'avenir : il estime que la création massive de nouveaux offices sur une brève période risque d'allonger les délais pour atteindre l'équilibre économique dans les nouveaux offices et globalement de fragiliser davantage les petits offices. Le CSN a formé un recours contre l'arrêté délimitant les zones d'installation, contestant la notion statistique de bassin d'emploi retenue par l'Autorité de la concurrence, puis le Gouvernement.
S'agissant des huissiers de justice, la Chambre nationale des huissiers de justice (CNHJ) a exprimé des critiques et des interrogations sur la méthode retenue par l'Autorité de la concurrence.
Ces professions considèrent que l'Autorité a été exclusivement guidée par une exigence de renforcement de la concurrence entre les professionnels, méconnaissant la spécificité de leurs métiers. Ce nouveau processus apparaît très complexe puisqu'il se partage entre l'Autorité de la concurrence, le ministère de la justice et celui de l'économie. Le rôle décisionnel semble largement dilué, même si l'Autorité est moteur dans le processus, mais quid de la DGCCRF, qui se préoccupe des tarifs, et de la chancellerie qui semble rester en retrait ?
De plus, le dialogue semble difficile et très complexe entre l'Autorité de la concurrence et les professions dont elle a désormais la charge. Du point de vue de la méthode, la présidente de l'Autorité a précisé que des échanges réguliers et fournis avaient eu lieu avec les représentants de la profession tout en précisant qu'aucun projet d'avis ne leur avait été soumis au préalable, dans la mesure où le rôle de l'Autorité n'est que consultatif. Une phase contradictoire sur un projet d'avis aurait amélioré le dialogue avec les professions, d'autant que le Gouvernement s'en est entièrement remis in fine à l'avis de l'Autorité dans ses textes réglementaires.
En conclusion, je constate que l'Autorité se retrouve de facto, en raison des choix réglementaires faits par le Gouvernement qui s'en est remis à sa seule analyse, au centre d'un mécanisme de régulation plus administré, lourd et complexe qu'auparavant, en particulier pour les professions concernées, au nom pourtant d'une plus grande liberté d'activité et d'installation des membres de ces professions. Je suis réservé sur cette façon de faire.
Dans la continuité de mes analyses de l'année dernière, je me suis intéressé aux services déconcentrés de la DGE, c'est-à-dire le « pôle 3E » des directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRRECTE), ainsi qu'à la réorganisation du dispositif gouvernemental en matière d'intelligence économique. Enfin, j'ai tenu à étudier la nouvelle Agence France Entrepreneurs (AFE), qui a pris la suite de l'Agence pour la création d'entreprises (APCE).
Dans ces domaines, au vu de mes auditions, je ne peux que réitérer les éléments de constat que j'avais formulés l'année dernière : j'émets un doute sérieux quant à l'efficacité de la pluralité des acteurs et de leur coordination dans l'accompagnement des entreprises sur les territoires. Comment l'État peut-il maintenir une présence de proximité pour les PME et les ETI ? Je m'interroge sur la capacité des services déconcentrés à continuer à assumer dans les territoires des missions de développement économique et d'accompagnement des entreprises. La « loi NOTRe » du 7 août 2015 charge les régions d'être les principaux soutiens des entreprises dans les territoires. Elles sont en train d'élaborer leurs schémas régionaux de développement économique, d'innovation et d'internationalisation (SRDEII). Une clarification du partage des responsabilités entre l'État et les régions doit intervenir. Si l'État doit conserver au niveau national un rôle stratégique d'impulsion et de soutien aux filières, dans le cadre d'une politique économique et industrielle nationale, il appartient aux régions d'exercer la responsabilité des différentes composantes de l'action économique de proximité auprès des PME et des ETI. Cette clarification doit être assortie d'une réelle rationalisation des différents acteurs publics compétents, sous la prééminence des régions, et pourrait se traduire par un transfert d'agents de l'État vers les régions. À chaque fois que j'ai évoqué cette solution, mes interlocuteurs m'ont répondu qu'il était urgent d'attendre. Un nouveau modèle d'action économique local doit être élaboré et il appartient à l'État d'anticiper cette évolution. Vu la restriction des fonds publics, plutôt que de maintenir une administration déconcentrée dont les capacités d'action se réduisent année après année, pourquoi ne pas en tirer les conséquences ? La réforme envisagée du pilotage des pôles de compétitivité s'inscrit d'ailleurs dans la perspective d'une telle évolution, mais je déplore que le Gouvernement n'ait pas encore arbitré une telle réforme, alors que les régions sont en train d'élaborer leurs SRDEII. Il convient de rééquilibrer les rôles respectifs de l'État et des régions dans le pilotage des pôles, puisque la « loi NOTRe » a confié à ces dernières une mission de soutien du fonctionnement des pôles.
S'agissant de l'AFE, je considère que sa création et la montée en puissance des crédits qui lui sont attribués témoignent d'une dispersion des acteurs publics et donc de leurs moyens dans le champ du soutien aux entreprises, alors que la priorité devrait porter sur leur rationalisation et leur simplification. À la fin de 2015, l'AFE a pris la suite de l'APCE, dont la pérennité avait même un temps été discutée, compte tenu de son coût pour le budget de l'État au regard des actions réalisées. Or, l'AFE reprend les missions de l'APCE et en ajoute de nouvelles avec la lutte contre les inégalités territoriales en matière de développement économique et le renforcement de l'accompagnement des jeunes entreprises. Cette agence dispose en 2016 de 6 millions de budget, mais le projet de loi de finances rectificative pour 2016 devrait lui attribuer une enveloppe de 20 millions de crédits d'intervention supplémentaires pour financer des organismes de soutien à la création d'entreprises ainsi que des projets nationaux, sans plus de précisions. Je formule les plus vives réserves sur une telle organisation dotée de crédits importants, alors que la réduction des crédits publics devrait inciter à la rationalisation des actions.
S'agissant du nouveau dispositif gouvernemental en matière d'intelligence économique, le Gouvernement a remplacé début 2016 une délégation interministérielle à l'intelligence économique rattachée à Matignon par un service ministériel, rattaché à Bercy, de l'information stratégique et de la sécurité économiques (SISSE). Je m'interroge sur les missions de cette nouvelle entité administrative placée sous la direction d'un commissaire à l'information stratégique et à la sécurité économiques, directement rattaché au ministre et doté de certaines compétences interministérielles. Comprenne qui peut... Cette rationalisation apparaît comme un recentrage, voire un repli, du dispositif gouvernemental sur une approche plus régalienne de la question de l'intelligence économique. J'ai interrogé les chambres de commerce et le Medef : certes l'intelligence économique concerne l'État dans la mesure où il convient d'identifier les entreprises stratégiques et d'éclairer les décisions économiques de l'État, par exemple lors d'une cession d'une entreprise française à un investisseur étranger, mais quid des missions qui intéressent plus directement les entreprises elles-mêmes comme leur sensibilisation et leur accompagnement à l'intelligence économique ? Il est surprenant de créer un tel service aux missions recentrées mais restreintes, alors que, selon mes auditions, les entreprises ont besoin de pédagogie sur ces enjeux d'intelligence économique, qui sont aussi un facteur de compétitivité, tant d'un point de vue défensif qu'offensif. Dans ces conditions, je m'interroge sur la mission des 22 correspondants régionaux actuels du SISSE, placés au sein des DIRECCTE. Que vont-ils faire ?
Alors que notre commission, sur ma proposition, avait émis un avis favorable sur les crédits de ce programme l'an passé, je suis malheureusement obligé d'être plus sévère cette année en vous proposant de rejeter ces crédits. J'espère que l'État va enfin anticiper les conséquences de la « loi NOTRe ».
M. Philippe Bas, président. - Notre rapporteur est sincèrement navré de donner un avis défavorable. Nous devons préserver l'accès au droit et défendre les Français face à un État qui multiplie les entraves à l'activité économique, d'où leur attente de la libération des énergies dans notre pays...
M. Philippe Kaltenbach. - Je n'ai pas la même analyse. Le groupe socialiste et républicain estime que l'État a fait d'importants efforts de simplification pour donner plus de marges de manoeuvres aux entreprises. Bien sûr, l'effort devra être poursuivi.
Certes, il faut protéger les petites études notariales rurales, mais en région parisienne, le besoin de nouvelles études est criant dans les zones denses.
La « loi NOTRe » est une loi d'organisation territoriale, mais pas un texte de décentralisation. Les régions sont désormais en charge de l'action économique : il nous faudra aller vers une nouvelle étape de la décentralisation avec un transfert de la gestion de proximité, ce qui implique des transferts de personnels mais aussi de crédits pour que les régions soient en charge de ce domaine. L'État doit donner l'exemple en confiant aux régions cette compétence. Le mille-feuille doit être simplifié et les doublons supprimés. Laissons à la « loi NOTRe » le temps de produire tous ses effets, mais la perspective est bien celle proposée par le rapporteur.
Le groupe socialiste et républicain votera ces crédits en regrettant que la majorité sénatoriale ait choisi de ne pas en débattre en séance publique. C'est la première fois depuis 1992 !
M. Philippe Bas, président. - Jamais, depuis 1992, nos collègues de la commission des finances n'ont eu à examiner un budget aussi insincère ! En outre, ce budget ne sera pas appliqué car il ne peut l'être...
Je vous remercie de vos commentaires sur ce programme. Si la question préalable est adoptée, cela ne signifie nullement que le projet de loi de finances n'aura pas été examiné : bien au contraire, c'est bien parce qu'il l'a été que les deux groupes de la majorité sénatoriale ont décidé de le rejeter. N'inversons pas l'ordre des facteurs ! Nos rapporteurs ont procédé à de nombreuses auditions et à un travail de grande ampleur. Ne dénigrons pas le travail sénatorial.
M. Philippe Kaltenbach. - Tout ce travail méritait un débat en séance publique et l'examen d'amendements. Je comprends que la majorité sénatoriale ne soit pas satisfaite par ce budget, mais elle aurait dû proposer de le corriger, élaborer un contre-budget...
M. Philippe Bas, président. - C'est habituellement ce que nous faisons, mais la tâche ici s'avérait trop lourde. Les prochaines échéances électorales ne sont sans doute pas étrangères à l'insincérité du budget, que la Cour des comptes a d'ailleurs relevée.
Notre décision s'est appuyée sur des éléments sérieux et objectifs. C'est à contrecoeur et acculés à cette solution par le Gouvernement que nous avons été conduits à demander le rejet de ce projet de loi de finances.
M. André Reichardt, rapporteur pour avis. - Je salue les efforts de simplification du Gouvernement, comme l'avait fait les gouvernements précédents et comme le feront sans aucun doute les gouvernements à venir.
Les notaires ne disconviennent pas qu'il faille créer de nouveaux offices dans les zones urbaines, mais ils s'interrogent sur les 1 650 études qu'il est prévu de créer en deux ans. Je considère que c'est trop brutal. Notre collègue a raison de dire qu'il faut protéger les petites études rurales.
Certes, la « loi NOTRe » n'est pas une loi de décentralisation, mais pourquoi attendre la mise en place des SRDEII ? Pourquoi avoir créé l'AFE alors qu'il faut réduire les dépenses publiques ? J'aurais aimé donner un avis favorable, mais ce n'est pas possible.
M. Philippe Bas, président. - C'est un problème de conscience pour notre rapporteur et je salue son esprit de responsabilité.
M. Yves Détraigne. - Que font les professions réglementées dans le programme « Développement des entreprises et du tourisme » ?
M. André Reichardt, rapporteur pour avis. - L'Autorité de la concurrence entre dans la compétence de la commission des lois et ses crédits se trouvent dans ce programme. Or, elle est chargée aujourd'hui de ces professions : il nous appartient donc de nous prononcer.
La commission émet un avis défavorable à l'adoption des crédits du programme « Développement des entreprises et du tourisme » de la mission « Économie ».
La réunion est close à 13 h 05
Jeudi 24 novembre 2016
- Présidence de Mme Catherine Troendlé, vice-présidente, Mme Colette Mélot, vice-présidente de la commission de la culture, et M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes -La réunion est ouverte à 9 heures
Audition de Mme Isabelle Falque-Pierrotin, présidente de la commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL)
La commission entend, au cours d'une audition commune avec la commission de la culture et de la commission des affaires européennes, Mme Isabelle Falque-Pierrotin, présidente de la commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL).
M. Jean Bizet, président. - Nous sommes heureux d'accueillir Mme Isabelle Falque-Pierrotin, présidente de la Commission nationale de l'informatique et des libertés.
Le Sénat est particulièrement soucieux de veiller, en toutes circonstances, à la protection des libertés fondamentales. La vigilance dont vous faites preuve sur la protection des données, madame la présidente, nous est précieuse.
Vous présidez, par ailleurs, le groupement des CNIL européennes, le G29. Vous travaillez à ce titre en coopération étroite avec vos homologues européens, ce qui vous permet de définir des positions communes ayant plus de portée.
Les sujets européens relatifs à la protection des données personnelles ne manquent pas, ce qui fait tout l'intérêt de votre audition.
Quelle est votre appréciation sur le règlement général et sur la directive relative à la protection des données, qui ont été adoptés récemment ? Le Sénat s'était beaucoup investi sur ces textes que notre collègue Simon Sutour avait rapportés et dont il suit la mise en oeuvre. Comment voyez-vous la transposition de la directive ?
L'Union européenne a par ailleurs conduit des négociations avec les États-Unis. Elles ont abouti à un nouveau cadre, le « Privacy Shield ». Quelle est votre appréciation ?
En outre, les données constituent désormais un élément essentiel pour le développement de l'économie européenne. De multiples applications entraîneront des changements majeurs dans les modèles économiques. Mais cela pose aussi la question de la protection des données ainsi utilisées. Quelle est votre analyse ?
Par ailleurs, dans le cadre du groupe de suivi sur le retrait du Royaume-Uni et la refondation de l'Union européenne, nous avons entendu hier le président de la table ronde des industriels européens, également président d'Air Liquide. Un message a été adressé à la représentation nationale sur la reprise en main au niveau européen des normes relatives au digital, secteur qui sera au coeur de l'économie du XXIe siècle.
Mme Catherine Troendlé, présidente. - La commission des lois est très heureuse de vous accueillir de nouveau, madame la présidente, après l'audition du mardi 15 novembre 2016 sur la création d'un traitement de données à caractère personnel relatif aux passeports et aux cartes nationales d'identité, le fameux fichier « titres électroniques sécurisés » (TES).
Aujourd'hui, votre audition portera sur l'actualité de la CNIL, sur ses sujets de réflexion, particulièrement sur les conséquences à tirer de l'entrée en vigueur, en 2018, du règlement européen sur la protection des données personnelles.
Mes collègues de la commission des lois ne manqueront pas de vous poser quelques questions, en complément de celles qui vous ont déjà été posées par le président de la commission des affaires européennes.
Mme Colette Mélot, présidente. - Mes chers collègues, au nom de Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, retenue par d'autres obligations, je dirai à mon tour le plaisir que j'ai d'accueillir Mme Isabelle Falque-Pierrotin, présidente de la Commission nationale de l'informatique et des libertés.
L'année 2016 aura sans conteste représenté, avec l'adoption de la loi du 7 octobre 2016 pour une République numérique, à l'issue d'une procédure inédite d'appel à contribution populaire, et d'un examen parlementaire approfondi, un tournant dans l'adaptation, à grande échelle, de notre législation aux défis de ce qu'il est d'usage de nommer « la révolution numérique ».
Dans ce cadre, plusieurs dispositions traitent de la protection des données personnelles. Vous semblent-elles suffisantes au regard des enjeux ?
Pour ce qui concerne plus spécifiquement le champ culturel, nous avons pris connaissance avec attention des travaux réalisés cette année par la CNIL sur les données et les industries créatives. Quelles sont, selon vous, les conséquences, sur la protection et les modalités d'utilisation des données, des mutations intervenues du fait du numérique en matière de création et de « consommation » des oeuvres, qu'elles soient littéraires, audiovisuelles, musicales ou vidéo-ludiques ?
Par ailleurs, la commission de la culture, qui dispose également, dans son champ de compétences, des politiques éducatives et en faveur de la jeunesse, s'interroge sur l'efficacité des moyens mis en oeuvre pour lutter contre les dangers de l'Internet sur les jeunes, notamment les plus crédules et les plus fragiles. Comment définiriez-vous une formation numérique de qualité ? Comment jugez-vous les actions existant dans ce domaine, en particulier s'agissant du cyber-harcèlement ?
Mme Isabelle Falque-Pierrotin, présidente de la Commission nationale de l'informatique et des libertés. -Le règlement européen qui vient d'être adopté constitue une avancée majeure, qui doit d'urgence être complétée par une loi nationale.
En mars 2012 vous vous êtes exprimés sur le sujet à travers une résolution. Le General Data Protection Regulation (GDPR) a été adopté en 2016 et sera pleinement applicable en mai 2018. Il permet la construction d'une Europe des données, appuyée sur un mode de régulation radicalement nouveau : suppression ou fort allégement du contrôle a priori ; renforcement du droit des personnes ; responsabilisation de ceux qui traitent les données ; entrée en force d'un nouveau concept juridique, l'accountability, c'est-à-dire l'obligation de prouver la mise en conformité ; enfin, renforcement des sanctions pouvant aller de 2 % à 3 % du chiffre d'affaires mondial.
Ce texte constitue clairement une étape majeure dans la protection des données et consacre une européanisation de notre mode de fonctionnement. Cette européanisation part d'une phase répressive, puisque nous pouvons désormais prononcer des sanctions communes, pour s'étendre progressivement à la doctrine et aux outils nouveaux de conformité : référentiel, pacte de confiance, etc.
J'insisterai sur un point peut-être moins connu de ce règlement, à savoir le nouveau modèle de gouvernance qui se met en place entre les différentes autorités nationales de protection des données européennes. Une nouvelle institution européenne est créée, le Data Protection Board (DPB). Elle sera chargée d'arbitrer pour les cas transfrontières les éventuels conflits entre les autorités nationales. C'est aussi le DPB qui, in fine, arbitrera la doctrine commune entre les autorités européennes de protection des données.
L'idée est de mettre en place une gouvernance distribuée, c'est-à-dire donnant le premier rôle aux autorités nationales, mais également intégrée, c'est-à-dire obligeant à la coopération entre autorités nationales sur les sujets d'intérêt commun.
Ici, l'Europe innove et répond aux critiques de perte de légitimité de ses institutions, de distance avec le terrain, tout en étant efficace et en offrant un front uni sur les sujets majeurs.
La CNIL et le G29 se préparent à ces évolutions. Le G29, notamment, est en train d'élaborer toute une série de guidelines sur les principaux points du règlement pour les clarifier et offrir aux responsables de traitement une boîte à outils plus explicite.
Au niveau de la CNIL, le GDPR consacre en réalité une évolution que nous avons entamée depuis plus de quatre ans consistant à repositionner notre métier avant tout sur l'accompagnement de la mise en conformité. Tout cela a des conséquences juridiques importantes.
Qui dit règlement, dit applicabilité directe d'un texte. Ce sera en 2018 notre nouvelle loi Informatique et libertés. Néanmoins, le règlement est muet sur les procédures et renvoie aux États membres sur de nombreux points. Il vous faudra donc revoir la loi relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés pour tirer les conséquences du règlement.
Vous devrez abroger tout ce que le règlement reprend ; vous devrez préciser les procédures nouvelles en matière répressive pour permettre les sanctions conjointes ; vous devrez enfin prévoir la situation des secteurs dérogatoires : le secteur régalien, la santé, les traitements journalistiques, etc.
Certaines de ces conséquences ont été
anticipées par la loi pour une République numérique. Par
exemple, le montant des sanctions a d'ores et déjà
été revu à la hausse
- 4 millions
d'euros -, mais on est encore loin de 2 % à 4 % du
chiffre d'affaires mondial. Pour autant, en dépit de ces quelques
toilettages, le travail restant à faire est important et doit être
mené dans un laps de temps extrêmement court.
Pour être opérationnelle, la nouvelle loi CNIL doit impérativement intervenir avant mai 2018. Un groupe de travail commun avec le ministère de la justice a été mis en place. Conformément à la loi pour une République numérique, un rapport vous sera remis par le Gouvernement le 30 juin 2017.
L'Assemblée nationale, quant à elle, a annoncé la mise en place d'une mission d'information, qui rendra ses conclusions en février prochain. Il serait nécessaire que le Sénat procède également à un travail de réflexion et d'analyse afin que vous soyez prêts à voter un texte courant 2017.
Une nouvelle directive a été adoptée en parallèle au règlement en matière de police et de justice. Elle devra être transposée en droit interne, soit au travers d'une loi spécialement dédiée à ces sujets, soit en toilettant la loi CNIL.
Sur le fond, la CNIL s'est considérablement mobilisée au sujet de cette directive. Nous voulions être certains que le texte ne diminuerait pas le niveau de protection qui est actuellement le nôtre en matière de protection des individus relativement à nos fichiers de police et de justice. Le résultat nous semble bon.
Au-delà du règlement, et à travers le foisonnement de textes ou d'initiatives, se profilent des enjeux plus généraux.
Premier enjeu, la question de la souveraineté. L'Europe est dans une mauvaise posture sur le plan de la protection des données ; certains parlent même de « colonie numérique », les données de ses résidents étant collectées par des acteurs principalement étrangers et traités en dehors de l'Europe, sans les garanties apportées par notre droit.
L'Europe a souhaité réagir à cette situation ; elle l'a fait de plusieurs manières.
Première réponse, le règlement européen sur la protection des données, qui apportera une réponse via le nouveau critère du ciblage : tout acteur international, dès lors qu'il preste un bien ou un service à destination d'un consommateur européen, est soumis au droit européen. C'est une avancée majeure, car nous éprouvons aujourd'hui les plus grandes difficultés à démontrer aux acteurs internationaux que le droit français, par exemple, leur est applicable. Le droit européen sera donc appliqué de façon beaucoup plus rapide et systématique aux acteurs situés hors de l'Europe, au bénéfice des citoyens européens.
La deuxième réponse de l'Europe consiste non pas, cette fois, à protéger les données des citoyens européens vis-à-vis d'acteurs étrangers intervenant en Europe, mais à protéger les données des citoyens européens lorsque celles-ci font l'objet d'un traitement et sont exportées hors d'Europe. C'est tout le problème du privacy shield, à savoir la capacité de l'Europe à limiter l'accès massif et indifférencié d'autorités politiques étrangères aux données de citoyens européens lorsque celles-ci quittent l'Europe. C'est l'autre versant de la souveraineté.
En quelques mots, je rappelle ce qui s'est passé avec le shield et, avant le shield, avec le Safe harbor. Le Safe harbor était un accord qui liait depuis une dizaine d'années l'Europe et les États-Unis sur l'encadrement juridique des flux transfrontaliers de données entre ces deux espaces géographiques. Il a été invalidé par la Cour de Luxembourg en octobre 2015, au motif que la Commission n'avait pas fait son travail : elle avait certes encadré la circulation des données commerciales de l'Europe vers les États-Unis, mais n'avait pas vérifié les conditions dans lesquelles les services de renseignement américains pouvaient accéder à ces mêmes données pour des raisons de sécurité nationale.
Les CNIL européennes, dans le cadre du G29, se sont, dès octobre 2015, emparées du sujet, et ont demandé à la Commission de répondre de façon explicite, par un nouvel accord, aux demandes de garanties des Européens, s'agissant non seulement des acteurs économiques qui exportent leurs données, mais des autorités publiques américaines qui, de ce fait, avaient accès à un gisement de données.
C'est cette pression des CNIL européennes, portant sur le fond comme sur le calendrier - nous avions fixé à la Commission un délai court pour la conclusion d'un nouvel accord -, qui a conduit au nouveau mécanisme du shield, adopté en 2016.
La question du shield, néanmoins, reste entière. Quelles furent les conclusions du G29 sur le shield ? Des progrès, certes, ont été réalisés par rapport au précédent accord du Safe harbor, mais, pour autant, un certain nombre de questions et de réserves demeurent.
Existe-t-il ou non une surveillance massive et indiscriminée des États-Unis ? Les autorités américaines se sont engagées à ce que cette surveillance, si elle existe, reste totalement exceptionnelle. Est-ce vraiment le cas ? Qu'en sera-t-il dans le cadre de l'application du shield ?
Les États-Unis, à notre demande, et pour répondre au besoin de recours qui fait partie des droits et garanties essentiels du citoyen européen, ont mis en place un nouveau dispositif, celui de l'Ombudsperson. Il s'agit d'une institution indépendante dont la compétence est de traiter d'éventuelles plaintes de citoyens européens contre les autorités de renseignement américaines, en cas d'accès disproportionné à des données les concernant.
Nous avons à plusieurs reprises demandé que nous soit précisé le statut exact de cette Ombudsperson, les modalités de son indépendance, la nature précise de ses moyens d'action. Nous avons reçu des engagements écrits. Reste à savoir s'ils sont effectivement tenus.
La première réunion d'évaluation du shield, qui doit avoir lieu au terme de la première année, c'est-à-dire, en l'occurrence, en juin ou juillet 2017, sera donc absolument décisive. Il s'agira de savoir si le nouveau mécanisme d'encadrement des flux de données entre l'Europe et les États-Unis répond ou non aux exigences inscrites dans les textes européens en cas d'exportation de données de citoyens européens de l'Europe vers les États-Unis. J'ajoute que l'arrivée de M. Trump à la tête de l'administration américaine rend nécessaire une vigilance particulière : sur un certain nombre de points, nous devrons veiller à ce que les engagements pris, qui sont notamment de nature réglementaire - je pense au PPD-28, ou Presidential Policy Directive 28, ordonnance signée par le président des États-Unis - soient tenus par la nouvelle administration.
Vous voyez que l'Europe s'est efforcée de prendre ce débat sur la souveraineté à bras-le-corps. Quant au débat sur la surveillance, qui a été lancé à compter de 2013 par Snowden, il trouve aujourd'hui sa traduction dans ce shield. Il s'agit bien sûr d'un accord entre l'Europe et les États-Unis, mais aussi, de fait, d'un standard plus général, à vocation mondiale, élaboré comme un droit fondamental à partir d'une vision européenne de la protection des données. C'est ce qui a conduit à la position de la Cour de justice de l'Union européenne.
Le sujet à venir, en matière de souveraineté, est celui des « free flows of data », c'est-à-dire de tous les accords internationaux qui sont actuellement en négociation sur la circulation des données dans le monde - je pense au TTIP, le Partenariat transatlantique de commerce et d'investissement, ou au TiSA, pour Trade in Services Agreement, l'Accord sur le commerce des services.
L'élection de M. Trump semble certes repousser les échéances - il a annoncé qu'il n'était pas nécessairement intéressé par la signature immédiate de tels accords. Mais la CNIL alerte depuis plusieurs années sur le contenu de ces négociations. En effet, si le mandat de négociation européen exclut les données personnelles, le mandat américain inclut ce que les États-Unis appellent les « données commerciales ». Or les données commerciales, et notamment les données de consommation des clients, sont des données personnelles.
Il existe donc une contradiction entre les objectifs des négociateurs, de part et d'autre de l'Atlantique. Cette contradiction devra absolument être levée. Il est très important que nous soyons extrêmement vigilants, car le TTIP pourrait déconstruire, pour les acteurs américains, la réglementation européenne dont nous venons de parler : c'est un accord international dont le niveau juridique est supérieur à celui du règlement européen.
Cet appel à la vigilance s'adresse aux gouvernements et aux parlements nationaux : il y va de la défense de notre souveraineté et de nos valeurs en matière de protection des données personnelles.
Deuxième thème : le rôle des données dans l'innovation.
Ce n'est pas une nouveauté pour vous : les données personnelles sont de plus en plus centrales dans les modèles économiques et les stratégies d'innovation, qu'il s'agisse du domaine culturel ou d'autres domaines. On parle de « barbares », de « disruption » : tous les secteurs de la vie économique sont concernés.
Cela nous a conduits, à la CNIL, à faire évoluer considérablement notre métier, et à nous repositionner sur l'accompagnement à la mise en conformité et le soutien à l'innovation autour des données, via l'élaboration, avec les acteurs, d'un certain nombre d'outils nouveaux.
Je mentionne, en la matière, quatre sujets.
Premièrement, la directive « e-privacy ». Elle est ancienne - elle date de 2002 -, mais en cours de révision. Ce texte s'adresse avant tout au secteur des télécoms. Mais ses incidences sont plus larges, concernant notamment la réglementation sur les cookies, ces petits fichiers témoins qui permettent de produire de la publicité comportementale ciblée et sont au coeur de tous les modèles économiques du net.
La question est celle de l'articulation de la révision de cette directive avec le règlement européen sur la protection des données. Les failles de sécurité, autre sujet extrêmement important de l'internet, sont traitées dans les deux textes ; les dispositions ne sont pas exactement identiques selon qu'il s'agit d'une faille de sécurité des opérateurs de télécommunications ou d'une faille traitée par le règlement européen. Dans le règlement européen, les dispositions sur les failles de sécurité s'appliquent à tous les acteurs, quel que soit le secteur industriel ou commercial concerné.
Il vous faudra donc, lorsque vous serez saisi de la loi de transposition de cette directive « e-privacy », et peut-être aussi en amont de cette transposition, que vous veilliez à l'articulation entre ce texte spécifique, qui règle la protection des données relatives au secteur des télécoms, et le texte général qui s'applique à l'ensemble des secteurs, le règlement GDPR.
Deuxième sujet : les questions culturelles.
La CNIL a essayé, dans le cadre de son comité de la prospective, d'étudier le développement, dans ce secteur, de la personnalisation et de l'hyperpersonnalisation. Le domaine de la culture est particulièrement sensible, non pas au sens de la loi relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, mais au regard de la vie des personnes. La consommation culturelle, en effet, dit énormément de l'intimité et du caractère des personnes : quelles chansons écoutez-vous ? À quel moment ? Les écoutez-vous dans leur intégralité, ou passez-vous de l'une à l'autre ? Toute cette vie culturelle dit beaucoup de choses sur le type de personne que vous êtes ! Dans l'étude que nous avons faite, nous avons tenté d'attirer sur ce point l'attention des acteurs culturels - ceux-ci ne sont pas toujours totalement au fait ni des risques ni des attentes éventuelles de leurs consommateurs eu égard à cet hyperciblage.
Troisième sujet, sur le rôle des données dans l'innovation : l'importance des algorithmes. Les algorithmes sont, depuis très longtemps déjà, au coeur de la personnalisation. Avec le développement des nouvelles technologies, ils ont pris une importance et une efficacité sans précédent. Toute la question est de savoir comment ils fonctionnent. Sont-ils transparents ? Quelle est leur fiabilité ? On a vu ces problèmes à l'oeuvre dans le domaine automobile ou dans celui de l'allocation des places d'université après le baccalauréat.
Cette question est absolument transversale ; elle conditionne dans une large mesure la confiance que les individus placent dans les services privés et publics qui leur sont fournis. Cela fait quelque temps que la CNIL y réfléchit ; nous y réfléchirons désormais dans le cadre d'une nouvelle mission qui nous a été confiée par la loi pour une République numérique, à savoir l'organisation du débat sur les questions éthiques liées à l'univers numérique.
Le premier thème dont nous allons nous emparer est précisément celui des algorithmes. Nos objectifs seront de décrypter, dans les différents secteurs de la vie économique, mais peut-être aussi dans d'autres secteurs, les problèmes soulevés par ces algorithmes, d'évaluer notre capacité à les maîtriser, et, en définitive, de définir ce que nous pouvons exiger, en tant que communauté nationale, de ceux qui les utilisent. Nous lancerons ce débat début 2017, en coopération avec Axelle Lemaire ; il devrait donc se dérouler au cours de l'année prochaine.
Quatrième et dernier sujet : assistons-nous, dans le domaine de la protection des données, mais peut-être aussi plus largement - de ce point de vue, ce domaine peut être un bon laboratoire -, à l'émergence de ce que j'appellerais un nouveau type de démocratie ? Pour quelle raison les usages numériques donnent-ils lieu à un ressentiment croissant des personnes, s'agissant en particulier de la circulation de leurs données ? Le dernier baromètre de la confiance des Français dans le numérique enregistre le plus bas niveau de satisfaction depuis neuf ans, c'est-à-dire depuis que cet indice existe : 67 % des Français considèrent qu'ils n'ont plus ou pas confiance dans l'univers numérique, et la quasi-totalité de ce malaise se polarise autour des données. Les Français ont un sentiment de perte de confiance, de maîtrise et d'autonomie. En d'autres termes, ils ne comprennent pas cet univers, qui leur apparaît comme une sorte de boîte noire : le numérique, paradoxalement, met les données personnelles au coeur de son fonctionnement, mais sans que les principaux intéressés soient aux commandes.
Le règlement a clairement pour vocation de répondre à cette situation, à travers la création de nouveaux droits : le droit à l'oubli, le droit à la portabilité, le droit au consentement, ou du moins à un consentement renforcé.
Le règlement vise à remettre l'individu au centre du numérique, pour rééquilibrer la relation entre cet individu, les données qui le concernent et ceux qui les traitent.
En France, le droit à l'oubli a donné lieu à bien des débats. L'histoire n'est pas nouvelle. Dans votre résolution de 2012, vous l'aviez mentionné comme un droit essentiel. Ce droit est en train de faire école, puisque la société civile le réclame désormais dans un certain nombre de pays. La société Google a initié un débat sur la portée géographique du droit à l'oubli, en proposant que le déréférencement soit cantonné géographiquement, par exemple dans le cadre français ou européen. N'en oublions pas pour autant la substance du droit à l'oubli : occulter la visibilité d'un individu dans son périmètre de proximité et le supprimer d'un fichier sont deux opérations de nature très différente.
En écho à ce renforcement des droits, la loi sur la justice du XXIe siècle prévoit l'action de groupe, c'est-à-dire qu'elle donne à un groupe d'individus la capacité de se mobiliser pour être acteurs de régulation. Ces évolutions ne pourront fonctionner que si l'on développe une éducation au numérique, qui ne se réduira pas simplement à apprendre le codage ou à se prémunir contre les risques de harcèlement sur la toile. Le collectif de plus de 70 acteurs que nous avons pris l'initiative de créer, il y a quelques années, définit cette éducation comme l'apprentissage d'une culture générale du numérique, mêlant éléments techniques, économiques et historiques pour garantir une maîtrise des usages, mais aussi une compréhension de l'environnement dans lequel les internautes évoluent. Telle est la condition pour que chaque Français puisse se protéger, mais surtout puisse utiliser à son profit toutes les potentialités de l'univers numérique.
Cette conviction est désormais partagée à l'échelle mondiale, puisque la Conférence mondiale des autorités de protection des données qui s'est tenue à Marrakech, il y a un mois et demi, a adopté un référentiel commun d'apprentissage et d'éducation au numérique commun à tous les pays. Malgré les différences de leurs traditions juridiques, les pays participant ont réussi à s'accorder sur la création d'une sorte de boîte à outils éducative à portée opérationnelle, offrant les compétences de base indispensables à tout citoyen numérique averti. C'est un exemple très positif qui démontre la capacité d'action collective de l'ensemble des pays concernés.
Comme vous l'aviez pressenti en mars 2012, le règlement européen sur les données personnelles constitue un enjeu majeur. Le débat qui s'est développé sur le sujet montre la force de nos valeurs communes. Le règlement européen a été adopté à la quasi-unanimité, avec un taux de votes record, toutes sensibilités confondues. Notre projet sur la République numérique a également fait l'unanimité. Ces valeurs communes que nous portons sur la protection des données sont ancrées en Europe. La France et l'Europe ont une longueur d'avance, car ces valeurs humanistes correspondent aux attentes de nos concitoyens et des consommateurs européens. Elles témoignent de notre influence sur les autres acteurs étrangers et mettent en valeur notre capacité d'action.
M. Jean Bizet, président. - Il faut impérativement que nous développions une culture générale du numérique pour mieux appréhender l'environnement dans lequel nous sommes appelés à évoluer. La jeune génération est déjà très au point ; la nôtre a encore des progrès à faire. Si la France a une longueur d'avance sur les concepts, c'est moins le cas sur les normes, domaine dans lequel nous accusons du retard par rapport au monde anglo-saxon, et notamment les Américains avec l'Internet Corporation for Assigned Names and Numbers (ICANN).
Le Traité transatlantique est mort-né ; il n'est pas pour autant définitivement enterré, car on n'imagine pas un monde où les continents se replieraient tous sur eux-mêmes. Le Sénat avait une approche plutôt positive du volet numérique de ce traité. Le problème du mandat européen par rapport à celui des Américains sur la propriété des données commerciales nous avait échappé. Je vous remercie de nous avoir éclairés sur ce point.
Mme Catherine Troendlé, présidente. - Je vous remercie de votre présentation très exhaustive. Le référentiel mis en place par le G29 lors de la Conférence de Marrakech est fondamental. Nous devons avancer dans une société avertie et informée.
M. Simon Sutour. - Je vous remercie pour cette audition remarquable. Nous nous sommes régalés. Nous ne pouvons que nous féliciter de l'existence de la CNIL, dont nous avons encore mesuré l'expertise récemment au sujet du fichier TES, mais aussi lors du dépôt d'une proposition de résolution européenne, il y a quatre ans. Vous nous aviez alors alertés.
J'étais rapporteur de la commission des affaires européennes et de la commission des lois sur ce texte. Un avis motivé sur la subsidiarité, préparé à la commission des affaires européennes du Sénat, demandait à la Commission européenne de revoir sa copie. Notre démarche n'a pas abouti. Il n'en reste pas moins que nous disposons d'outils importants au Parlement pour intervenir au niveau européen.
Je me rappelle l'audition mouvementée de Mme Viviane Reding, la commissaire européenne alors en charge de ces projets. Selon elle, la question devait se régler en quelques mois. Il a fallu quatre ans. Elle nous disait que tout était entre nos mains. Ce n'était pas mon point de vue. Pour l'Union européenne, toute démarche d'harmonisation est positive. Elle devient aussitôt négative lorsque cela implique d'abaisser certains standards. Nous avons obtenu de maintenir en France notre niveau de protection supérieur. Une absurdité figurait dans la proposition de règlement : il revenait au pays où l'entreprise était établie de contrôler ses données. Autrement dit, l'Irlande aurait été en charge des données de Facebook. Nous nous y sommes opposés avec succès.
On nous a laissé entendre que le règlement européen adopté en avril dernier nous obligerait à toiletter un certain nombre de nos lois nationales. Il me semblait qu'un règlement européen était d'application directe et annulait toutes les dispositions nationales allant à son encontre. D'où l'importance d'imprimer notre marque sur ce document. En revanche, une directive se transpose en droit national. Qu'en est-il donc selon vous ?
Notre travail n'a pas été vain. En ces temps où les autorités administratives sont sur la sellette, la CNIL n'a jamais été mise en cause. La situation évolue. Vous avez su décortiquer avec perspicacité ce nouveau chantier auquel nous devrons nous attaquer.
Mme Colette Mélot, présidente. - Je remercie Mme la présidente pour toutes les réponses qu'elle nous a apportées, en particulier dans le domaine de l'éducation.
Mme Corinne Bouchoux. - Vous avez bien montré qu'il fallait une réorganisation complète du dispositif de 1978 qui tenait sur ses deux jambes, à savoir la CADA et la CNIL. La loi numérique était un compromis qui ménageait l'existence de la CADA. Le rapport Mazeaud prône un rapprochement géographique et culturel, par immersion mutuelle des deux instances. Envisagez-vous d'appuyer la CADA en mettant à sa disposition vos moyens numériques pour faire face à la multiplication des tâches que lui confère le fameux article 4 sur les bases de données ?
Ne croyez-vous pas que sur ce type de sujet, nos agents administratifs, nos agents publics ou nos universitaires, aussi excellents soient-ils, sont quelque peu concurrencés par des associations comme LiberTIC ou Regards Citoyens, qui ont l'expertise d'usage ? Comment leur donner plus de place ? Même si leurs positions peuvent parfois nous déranger, ces associations ont un rôle très précieux qui n'est pas assez reconnu dans les textes.
Mme Isabelle Falque-Pierrotin. - En ce qui concerne le règlement, la stratégie d'influence des acteurs français a été très efficace. Le projet initial a été profondément modifié. La gouvernance a évolué et n'est pas centralisée à Bruxelles comme il était prévu initialement. Nous avons enrichi le texte et nous l'avons adapté à un mode de fonctionnement numérique caractérisé par sa distribution, même s'il est aussi intégré à certains égards.
La loi de transposition reste nécessaire. Il faut retirer de la loi CNIL les articles auxquels le règlement se substitue. Si nous voulons prononcer des sanctions communes, il nous faudra adapter la procédure de répression de la CNIL, pour déterminer par exemple à quel moment le contradictoire se met en place, ou à quel moment nous devrons saisir nos homologues. Le règlement ne traite que la fin de course d'une sanction. Pour le reste, il faut se référer aux lois nationales. D'où l'importance de les toiletter impérativement avant mai 2018. Qu'un seul pays échoue à mettre en place sa procédure nationale et le règlement tombera.
Certains domaines sont laissés intacts par des dérogations au règlement : tout ce qui relève du régalien, mais aussi la santé. Il faut par conséquent opérer un toilettage très fin. Les équipes de la CNIL y travaillent sous l'autorité du secrétaire général et en collaboration avec le ministère de la justice. Le texte devra être prêt en juin 2017, si l'on veut pouvoir enclencher les procédures de vote dès septembre 2017 pour que les nouvelles dispositions entrent en vigueur en 2018. Les délais sont courts.
Nous n'avons pas été sollicités pour épauler la CADA dans ses nouvelles missions. Nous pourrions y réfléchir, si on nous le demandait, à la seule réserve que les services de la CNIL travaillent déjà à flux hypertendu. On leur confie sans cesse de nouvelles missions et le nombre des plaintes qu'ils doivent traiter va toujours croissant : 8 000 plaintes cette année contre 6 000 l'an dernier. Notre capacité à redéployer nos moyens est limitée.
Cependant, l'adossement des deux institutions est très positif. Le président de la CADA siège désormais en séance plénière de la CNIL et s'acculture à la protection des données. Un groupe de travail commun se met en place pour élaborer une sorte de pacte de conformité sur l'open data. Nous verrons si l'intégration a vocation à s'approfondir.
Mme Marie-Christine Blandin. - J'ai entendu votre suggestion de former les citoyens au numérique dès l'école. Le Conseil supérieur des programmes a été saisi en juillet dernier par le ministère pour élaborer la suite de cette formation au numérique au lycée. Laissez-moi vous rassurer, tous les aspects sociétaux sont pris en compte et pas seulement l'apprentissage du codage. Cela va de la protection des données jusqu'aux enjeux de l'intelligence artificielle.
M. Jean Bizet, président. - Je vous remercie, madame la présidente. Nous serons bien évidemment appelés à nous revoir. Nous avons reçu, hier, le président d'European Round Table (ERT). Il faut absolument que nous puissions écrire en franco-allemand les normes techniques européennes qui vont de pair avec le concept de la protection des données. Compte tenu de la transversalité du sujet, nous devons rester en alerte. Même situation pour ce concept de protection des données commerciales qui est intégré dans le projet de Traité transatlantique. Les États-Unis sont un pays d'inventeurs qui vont très vite, en faisant fi parfois du détail, contrairement à la France où l'on défriche davantage. On l'a vu au sujet de la propriété intellectuelle dans le domaine végétal. Les Américains ont délivré un brevet très rapidement ; en prenant le temps d'affiner les sujets au travers du certificat d'origine végétale, nous avons fait évoluer leur législation en la matière. Il faut toujours garder le point de vue de la protection du consommateur ou de l'utilisateur pour aborder ces sujets.
Mme Isabelle Falque-Pierrotin. - Vous avez parfaitement raison au sujet des normes. Il existe des normes mondiales au niveau de l'ISO. La France et le G29 ont particulièrement insisté pour instiller à ce niveau-là une dimension informatique et liberté. Nous devons rester présents, car c'est là que se charpente l'univers numérique.
La réunion est close à 10 h 10