- Mercredi 1er mars 2017
- Audition des représentants des organisations représentatives des salariés, avec M. Fabrice Angei, membre du bureau confédéral de la Confédération générale du travail (CGT), Mme Marylise Léon, secrétaire nationale en charge de l'évolution des règles du dialogue social au sein de la Confédération française démocratique du travail (CFDT), M. Gilles Lecuelle, secrétaire national de la Confédération française de l'encadrement - Confédération générale des cadres (CFE-CGC), en charge du dialogue social, et M. Pierre Jardon, secrétaire confédéral de la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC), en charge du dialogue social
- Audition des représentants des organisations représentatives des employeurs, avec M. Michel Guilbaud, directeur général du Mouvement des entreprises de France (Medef), M. Jean-Michel Pottier, vice-président en charge des affaires sociales et de la formation au sein de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME), et M. Pierre Burban, secrétaire général de l'Union des entreprises de proximité (U2P)
Mercredi 1er mars 2017
- Présidence de Mme Sylvie Robert, vice-présidente -
La réunion est ouverte à 16 h 10.
Audition des représentants des organisations représentatives des salariés, avec M. Fabrice Angei, membre du bureau confédéral de la Confédération générale du travail (CGT), Mme Marylise Léon, secrétaire nationale en charge de l'évolution des règles du dialogue social au sein de la Confédération française démocratique du travail (CFDT), M. Gilles Lecuelle, secrétaire national de la Confédération française de l'encadrement - Confédération générale des cadres (CFE-CGC), en charge du dialogue social, et M. Pierre Jardon, secrétaire confédéral de la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC), en charge du dialogue social
Mme Sylvie Robert, présidente. - Nous poursuivons les travaux de notre mission d'information, avec, cet après-midi, deux auditions conjointes, regroupant, pour la première, les syndicats de salariés représentatifs au niveau national, et pour la seconde, les organisations professionnelles d'employeurs représentatifs au niveau national.
Nous allons ainsi entendre, au titre des organisations représentatives des salariés : la CGT, représentée par M. Fabrice Angei, membre du bureau confédéral ; la CFDT, représentée par Mme Marylise Léon, secrétaire nationale, en charge notamment de l'évolution des règles du dialogue social ; la CFE-CGC, par la voix de M. Gilles Lecuelle, secrétaire national, chargé du dialogue social, et la CFTC, représentée par M. Pierre Jardon, secrétaire confédéral chargé du dialogue social.
Le syndicat FO a, bien évidemment, été convié à participer à cette audition, mais aucun de ses représentants n'était malheureusement disponible pour se joindre à nous aujourd'hui.
Depuis décembre, la mission d'information s'interroge notamment sur les blocages susceptibles d'expliquer les difficultés à prendre et à mettre en oeuvre des décisions publiques et sur les moyens d'améliorer les procédures.
La mission souhaiterait, en particulier, approfondir sa réflexion sur le volet relatif à la démocratie paritaire, afin d'identifier les propositions facilitant la conduite des réformes législatives portant sur le droit du travail, l'emploi et la formation professionnelle.
Comment parvenir à des réformes acceptées par la majorité et dans un délai correct ? Quel regard porter sur les procédures actuelles ? Faut-il les améliorer et, si oui, comment ?
Pour votre propos liminaire, je vous invite à la concision, afin de laisser ensuite le temps d'un échange et de réponse à nos questions.
Je vous précise que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo et d'une diffusion en direct sur le site internet du Sénat. Elle est également ouverte au public et à la presse et fera l'objet d'un compte rendu écrit.
M. Fabrice Angei, membre du bureau confédéral de la Confédération générale du travail (CGT). - Vos questions interrogent la démocratie paritaire sous l'angle de la décision publique.
Selon nous, il y a une articulation évidente avec les autres niveaux. La loi du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels dite « loi travail » a bien montré cette articulation : la décentralisation de la négociation collective, l'atomisation au niveau de l'entreprise concourent à l'affaiblissement de la démocratie sociale.
Je rappelle ainsi que, en 2012, le Comité de la liberté syndicale de l'Organisation internationale du travail, l'OIT, a jugé un projet de réforme similaire du gouvernement grec, relatif à la décentralisation de la négociation collective, contraire aux principes des conventions 87 et 98 de l'OIT et affaiblissant la démocratie sociale.
Je souhaite réaffirmer la place de la loi et du principe de faveur et rappeler notre demande d'abrogation de la « loi travail ».
Un accord national interprofessionnel (ANI) est valide s'il est signé par des organisations syndicales représentant 30 % des suffrages aux élections professionnelles et si le droit d'opposition n'a pas été déclenché par des organisations représentant au moins 50 % de ces suffrages.
Comme nous l'avons défendu à l'occasion de la « loi travail », nous sommes favorables au principe du scrutin majoritaire intégral, c'est-à-dire à la validation des accords par des organisations représentant 50 % des suffrages plus une voix. La représentativité d'une organisation syndicale se mesure à l'audience que lui ont accordée les salariés, ce qui donne à chacune un poids différencié. Nous sommes donc favorables à l'accord majoritaire, qui permet de fonder une démocratie sociale et pose une exigence forte, gage d'un dialogue social efficace et accepté, au sens où il est porteur de progrès social et économique.
Cependant, nous observons des obstacles. Dans de nombreuses entreprises, on constate une carence de représentation au niveau des délégués du personnel et des comités d'entreprise. D'après nos calculs, avec 2,2 millions de procès-verbaux de carence et 2 millions de procès-verbaux non renseignés sur les élections, au moins 4 millions de salariés ne peuvent pas s'exprimer lors des élections professionnelles. À cela, on doit ajouter la cohorte des demandeurs d'emploi et des titulaires de contrats courts, et je pourrais encore y adjoindre le nombre important de salariés qui n'ont pas pu voter lors des récentes élections professionnelles dans les très petites entreprises (TPE) : le Gouvernement a fait moins que le service minimum en la matière... Par exemple, 10 % des envois de matériel électoral ont fait l'objet d'un retour. Un nombre conséquent de salariés n'a donc pas pu s'exprimer lors de ces élections.
Pour remédier à cette situation, nous formulons deux propositions : établir la représentativité syndicale uniquement à partir des élections des seuls délégués du personnel, comme le proposaient initialement plusieurs organisations syndicales, et réfléchir à un rétablissement des élections prud'homales, qui permettaient à l'ensemble des salariés de voter.
Pour ce qui concerne le bilan de l'article L.1, on voit bien que le passé n'a pas servi d'exemple. Je rappelle que la consultation préalable des organisations syndicales sur tout projet concernant le travail, l'emploi et la formation professionnelle avait été introduite par la loi du 31 janvier 2007 de modernisation du dialogue social, à la suite des manifestations de 2006 sur le contrat de première embauche (CPE). Sur la « loi travail », le Gouvernement est passé outre. Aucune concertation n'avait été organisée lorsque la première version du projet de loi est sortie début février.
Nous considérons qu'il est indispensable et logique que les acteurs sociaux - nous préférons cette appellation à celle de partenaires sociaux - soient concertés au préalable sur ces questions, qui relèvent du champ de la négociation nationale interprofessionnelle.
Dans le même temps, comme on l'a vu à l'occasion des dernières lois, on observe de plus en plus souvent un quasi « copier-coller » de la négociation dans la loi - sur ce plan, l'exemple de l'ANI de 2013 est éloquent. Ce problème, c'est ce que les juristes appellent la « loi négociée ».
Pour notre part, nous sommes favorables à des responsabilités assumées. Le rôle d'une négociation entre employeurs et organisations syndicales, sur un intérêt particulier, est d'éclairer le législateur. Celui-ci, qui est garant de l'intérêt général, doit conserver son indépendance. Les textes de loi sont trop souvent, aujourd'hui, la traduction quasi intégrale des ANI.
M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. - Votre raisonnement est assez contre-intuitif : on pourrait estimer, au contraire, que la prise en compte, par le législateur, du résultat de cette négociation est la reconnaissance même de la démocratie sociale et du rôle des syndicats.
J'entends l'argument que chacun doit assumer ses responsabilités. Cependant, pourquoi tenez-vous à ce primat de la démocratie représentative ? En quoi le législateur serait-il peu pertinent ou peu respectueux en faisant suite à l'accord social ? J'aimerais également que vos collègues puissent répondre à cette question.
M. Fabrice Angei. - Je me suis mal fait comprendre.
Selon nous, il faut une articulation. On ne peut pas procéder par « copier-coller ».
Pour nous, ce qui est important, c'est le sens que l'on donne à la démocratie sociale. Aujourd'hui, au plan local comme au plan national, la négociation n'est plus porteuse de progrès. Cela pose problème.
Les conférences sociales ont fixé le rythme mais les négociations se sont ouvertes en postulant l'abaissement des droits des salariés. C'est le sens de la négociation qui nous pose un véritable problème.
Cela dit, je vois mal le législateur ne pas tenir compte d'une négociation interprofessionnelle qui recueillerait l'avis unanime des organisations. Il a pour rôle de faire la loi et nous sommes attachés à l'intérêt général, à la hiérarchie des normes et au principe de faveur. Dans ce cadre, il faut bien qu'il y ait une séparation - ce qui n'implique pas nécessairement une opposition - entre les missions du législateur et celles des acteurs sociaux.
Il faut une négociation claire, mais pas une reprise systématique d'un accord dans la loi, notamment lorsqu'il y a divergence entre les organisations.
Mme Marylise Léon, secrétaire nationale en charge de l'évolution des règles du dialogue social de la Confédération française démocratique du travail (CFDT). - La CFDT est particulièrement intéressée par la démarche de cette mission.
Nous sortons du tumulte créé par un enchaînement de réformes sans précédent. Je pense que quelques-unes nous attendent encore. Certaines sont souhaitables - vous savez que nous ne défendons pas forcément le statu quo.
Pour nous, ces réformes doivent se faire dans le cadre de la démocratie sociale. Par ailleurs, les questions de la légitimité et de l'efficacité, qui figurent dans l'intitulé de votre mission, sont centrales.
La légitimité des organisations syndicales est régulièrement pointée du doigt. En 2008, nous avons connu une réforme extrêmement ambitieuse et profonde du paysage syndical, sur laquelle nous sommes loin d'être tous d'accord. Cette réforme a fondé la représentativité des organisations syndicales sur le vote des salariés, ce qui n'était pas le cas précédemment.
On reproche souvent aux organisations syndicales de n'être pas représentatives, en soulignant leur taux d'adhérents, mais celui-ci pourrait faire rougir nombre de partis politiques.
La question du calendrier et de la temporalité des réformes est une problématique majeure. Le souhait politique conduit parfois à perdre de vue le sens de ce que l'on fait.
Presque dix ans après la réforme de la représentativité, il est important de mesurer les évolutions du paysage syndical. En effet, les nouvelles règles de représentativité et de négociation modifient également le comportement des acteurs.
Nous étions favorables à l'introduction d'une règle de 30 % pour la validité des accords dans les entreprises en période transitoire. Nous défendons également la règle de l'accord majoritaire, que ce soit dans l'entreprise, la branche ou au niveau national interprofessionnel. Cette règle permet de promouvoir le compromis qui a pu être trouvé et l'équilibre qui a pu être construit de façon incontestable. Elle est donc extrêmement importante.
Pour ce qui concerne l'association des citoyens, la CFDT a accueilli de façon extrêmement positive l'introduction de la consultation des salariés pour valider un accord d'entreprise si le seuil de 50 % n'est pas atteint. Cette consultation est organisée à l'initiative des organisations syndicales signataires. La légitimité et la représentativité des organisations syndicales en sortent renforcées, puisque cela leur impose une proximité avec les salariés qu'elles représentent.
S'il paraît difficile de l'organiser au niveau des branches et au niveau national interprofessionnel, on va, avec l'accord majoritaire, vers un système qui permet de définir des règles ne pouvant plus être contestées.
Sur la question de la temporalité, on a un problème de méthode au niveau de l'articulation entre démocratie paritaire et démocratie sociale. À la suite de la négociation sur la modernisation du dialogue social, qui n'a pas abouti, en janvier 2015, les organisations syndicales et patronales avaient tenté de revenir sur la méthodologie de négociation. Cela n'a pas été une réussite ; loin de là ! Plutôt que de réfléchir sur le lieu où se tiennent les négociations, il convient de réfléchir à la question de l'équité des moyens à la disposition des différents acteurs et de retenir l'idée que des objectifs extrêmement clairs doivent être définis au démarrage de la négociation : cela permet ensuite d'obtenir un accord dans des termes clairs, non susceptibles d'interprétations, tout en facilitant la transposition législative, lorsque celle-ci est nécessaire.
Nous avons deux propositions pour sécuriser cette transposition, chacun devant rester dans son rôle.
En premier lieu, un accord, ce n'est pas qu'un texte ; c'est aussi une histoire. Les signataires doivent donc pouvoir présenter conjointement, devant le Parlement, l'esprit, le contenu et les équilibres de l'accord qui a pu être trouvé, en amont, lorsque s'ouvre l'examen du projet de loi tendant à transposer l'accord. Il ne faut pas que chacun, de son côté, aille défendre sa vision et ses revendications initiales ! Si l'on veut que l'articulation entre démocratie sociale et démocratie politique fonctionne, il faut que les équilibres puissent être maintenus.
En second lieu, se pose la question du calendrier. Les acteurs sociaux définissent, chaque année, un agenda social. Je pense qu'il faut réfléchir à une meilleure articulation entre les agendas respectifs et ce qu'il est possible de renvoyer aux acteurs sociaux, tout en laissant à ces derniers, bien entendu, la possibilité de ne pas négocier, comme à la suite du rapport de Jean-Denis Combrexelle et pour la « loi travail », laquelle est loin d'avoir été un exemple en termes de méthode.
Il faut donc un calendrier clair pour donner de la visibilité aux acteurs. On ne négocie pas correctement dans la précipitation ni sans avoir pu définir des objectifs communs et un diagnostic conjoint !
M. Gilles Lecuelle, secrétaire national de la Confédération française de l'encadrement - Confédération générale des cadres (CFE-CGC), en charge du dialogue social. - Pour ce qui concerne les règles de représentativité, je rappelle que notre organisation souhaitait initialement que la représentativité des salariés soit fondée non sur l'élection, mais sur l'adhésion, avec tout le travail que cela nécessiterait en termes de valorisation des mandats et des parcours syndicaux.
Le législateur a fait un autre choix. Légaliste, la CFE-CGC en a pris acte : nous appliquons strictement la loi, telle qu'elle a été votée.
Pour ce qui concerne la représentativité patronale, nous sommes un peu déçus que, sur la méthode, le modèle n'ait pas été calqué sur la représentativité syndicale. Pour celle-ci, nous sommes partis d'un rapport d'experts. Une négociation nationale interprofessionnelle a eu lieu, qui s'est terminée par une loi. Ce parcours riche, complet, a permis d'aboutir à une position mûrie, réfléchie, discutée. Quel que soit le sujet social concerné, il faut un parcours digne de ce nom, qui permette un dialogue social, que ce soit au niveau de l'entreprise ou au niveau interprofessionnel, toujours basé sur la confiance, le respect des acteurs, des partenaires et des règles.
Il faut repenser certaines choses, la « loi travail » ayant un peu bousculé l'ordre public et l'organisation en la matière, mais nous avons les outils pour travailler. La loi du 31 janvier 2007 de modernisation du dialogue social dite « loi Larcher », qui a fixé un cadre et permis de définir les éléments de diagnostic et les principales options devant être présentées pour les questions sociales. Pour notre part, nous regrettons que la mesure de l'impact économique et social des nouvelles dispositions législatives ne soit pas prévue à l'article L.1 du code du travail.
La réflexion sur ces trois éléments que sont le diagnostic, la cible et les conséquences possibles de l'accord doit être partagée. La diversité de points de vue permet de l'enrichir. C'est cette méthode qui fonctionne le mieux sur le terrain. Il faut, a minima, une transparence et un partage des problématiques. Selon nous, l'imposition de cette méthode est importante et manque, elle aussi, à la mise en oeuvre de l'article L.1.
D'ailleurs, les dernières négociations de l'année dernière ont montré que la non-application de l'article L.1 dans un débat important conduisait vite à un niveau de contestation assez élevé et rendait le respect du dialogue social difficile.
Nous défendons avec ferveur la prééminence de la démocratie représentative sur la démocratie sociale. Autrement dit, nous considérons que la loi doit être le socle : elle doit être impérative et s'imposer à tous. Quant à la démocratie sociale, elle est un moyen de permettre son adaptation à différents niveaux - entreprise, branche professionnelle -, voire d'apporter des compléments au niveau interprofessionnel.
C'est pourquoi nous sommes opposés au principe du référendum en entreprise, qui conduit à délégitimer les acteurs qui ont été élus. C'est un peu comme si l'on organisait un référendum parce qu'une loi ne recueille pas de majorité à l'Assemblée nationale... Vos collègues députés auraient alors un peu de mal à conserver leur légitimité !
Nous sommes aussi favorables au principe de l'accord majoritaire : cela renforce la valeur de l'accord, donne du poids à la négociation et consacre un niveau d'exigence qui permet d'avancer dans les débats. Ce seuil doit s'appliquer à tous les niveaux. Il est prévu de l'appliquer progressivement dans l'entreprise. Nous ne serions pas opposés à ce qu'il s'applique, par la suite, au niveau de la branche et au niveau interprofessionnel, dans un souci de cohérence au niveau du territoire.
M. Pierre Jardon, secrétaire confédéral de la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC), en charge du dialogue social. - Le sujet est des plus intéressants et des plus importants.
Les différents aspects de la démocratie qui figurent dans l'intitulé de la mission ne doivent surtout pas être en opposition les uns avec les autres. Au contraire, ils sont complémentaires. L'idée est de réfléchir à la manière de les articuler pour permettre une meilleure adhésion de tous aux accords, aux réformes. Je pense que c'est aussi le sens de votre mission.
La CFTC a beaucoup travaillé sur ces questions, en particulier sous l'angle de l'amélioration de la qualité du dialogue social. À cet égard, nous proposons de créer un comité paritaire permanent du dialogue social. Cette création nous semble de nature à répondre à plusieurs de vos interrogations en permettant d'articuler les différentes formes de démocratie.
Les règles relatives à la représentativité des partenaires sociaux et le renforcement de leur légitimité doivent être examinés conjointement. Je rappelle, en effet, que nous n'étions pas demandeurs de la loi de 2008 sur la représentativité des organisations syndicales. Nous estimons que celle-ci produit un effet fortement néfaste : elle nous oblige à être constamment en élections, autant de temps que l'on ne passe pas au service des salariés. Nous le regrettons.
Pour autant, cette loi existe et sa vocation première était bien de renforcer la légitimité des partenaires sociaux et des accords signés. Aujourd'hui, cette question est réglée et, à notre sens, il n'y a pas lieu d'y revenir.
Le temps politique est différent du temps social. Aujourd'hui, il serait prématuré de dresser une analyse objective des effets de la loi de 2008 et, plus globalement, des lois sur la représentativité des partenaires sociaux, tant du côté syndical que du côté patronal parce que ces textes ne sont encore complètement entrés en application. C'est seulement cette année que l'on pourra, pour la première fois, mesurer la représentativité des organisations patronales et que la loi de 2008 entrera pleinement en vigueur pour les syndicats de salariés, avec la fin des dispositions transitoires sur la représentativité au niveau des branches.
Nous recommandons donc de ne pas modifier constamment les règles de représentativité, qui sont de nature à répondre à la question de la légitimité des acteurs. Laissons-leur le temps de vivre.
Je partage ce qu'a dit ma collègue de la CFDT : nous ne pensons pas que le taux de syndicalisation soit un élément à prendre en compte pour préjuger de la légitimité des acteurs. C'est à l'élection qu'il convient de s'attacher. Or le taux de participation des salariés aux élections professionnelles dans les entreprises est important. C'est lui qui fonde véritablement la légitimité des partenaires sociaux.
Le nombre d'adhérents ne nous semble pas constituer un sujet. Au reste, on ne peut pas du tout le comparer avec celui qui existe dans d'autres pays : notre système social n'est pas du tout le même. À cet égard, nous ne pensons pas que la syndicalisation obligatoire ou l'application des dispositions d'un accord ou d'une convention aux seuls adhérents des syndicats signataires soient souhaitables ni qu'elles s'inscrivent dans la philosophie de notre modèle social.
Nous devons plutôt travailler sur l'image du syndicalisme et, finalement, sur la méconnaissance de ce qu'est le rôle des partenaires sociaux. À ce sujet, nous avons une proposition à vous faire : ne pourrait-on pas éduquer l'ensemble des citoyens à ce que sont les acteurs de la démocratie - non seulement les acteurs politiques, mais aussi les acteurs sociaux ? La défiance serait alors un peu moins vive à l'égard des organisations syndicales, que le grand public apprécie aujourd'hui à l'aune de ce qu'il voit à la télévision : les manifestations, les pneus qui brûlent, les chemises arrachées... On ne voit pas que nous gérons les caisses de retraite, l'assurance chômage, un ensemble d'organismes qui font leur quotidien. Ne serait-il pas possible de prévoir, dans les programmes scolaires, par exemple dans le cadre de l'éducation civique, une vraie éducation à la démocratie dans toutes ses dimensions ?
Je retiens également que, dans son rapport, Jean-Denis Combrexelle a proposé d'« agir sur les représentations, notamment à travers des actions de sensibilisation, formation, organisation des DRH, pour valoriser le dialogue social », ainsi que de mettre en valeur les pratiques de ce dialogue social.
C'est par cet ensemble d'actions que l'on répondra à la question de la légitimité des partenaires sociaux, en permettant une meilleure connaissance de leur rôle.
Pour ce qui concerne l'application de l'article L.1 du code du travail et la méthode suivie par le Gouvernement lors de l'élaboration de l'examen parlementaire des différents projets de loi touchant le code du travail, nous avons une proposition très concrète à faire : ce qui manque aujourd'hui, c'est une instance dédiée.
Quand le Gouvernement veut solliciter les partenaires sociaux, dans le cadre, par exemple, de l'ouverture d'une négociation, il envoie un courrier aux différentes organisations patronales et syndicales. Parfois, c'est par la presse que l'on apprend que l'on est sollicité sur un sujet... Il est dommage que les choses se passent ainsi. Si le comité paritaire permanent du dialogue social était créé, nous serions tous réunis autour de la table et le processus de consultation serait beaucoup plus efficace.
M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. - Ce serait une forme d'institutionnalisation de l'article L.1 du code du travail.
M. Pierre Jardon. - Tout à fait. On pourrait d'ailleurs élargir le champ d'application de cet article, qui ne concerne aujourd'hui que les projets de loi du Gouvernement, aux propositions de loi émanant des assemblées.
Une instance dédiée répondrait en partie à votre question sur l'articulation entre le rôle du Parlement et celui des partenaires sociaux, puisqu'elle permettrait justement de faire ce lien. Il est important que tout soit organisé.
Mme Sylvie Robert, présidente. - Selon vous, qui arbitrerait au sein de cette instance paritaire ?
M. Pierre Jardon. - Il faut définir des modalités de fonctionnement claires concernant sa gouvernance, pour que les choses se passent bien.
L'idée est vraiment d'avoir un lieu où les partenaires sociaux puissent partager avec méthode. Aujourd'hui, il n'y a pas de méthode. Le dialogue social interprofessionnel n'est pas du tout organisé. Il se passe « au petit bonheur la chance ».
Je rejoins les propos Mme Marylise Léon, le fait d'avoir une méthode nous ferait gagner en efficacité. Ainsi, le fonctionnement du comité permettrait de répondre efficacement aux saisines et de s'approprier - ou non - les négociations.
Cette instance serait consultée, entre autres, par les deux assemblées, en amont de la transcription législative d'un ANI. Il est très important que nous puissions faire la pédagogie des accords auprès des parlementaires, vous en expliquer le contenu, les raisons, les équilibres. Forts de cette connaissance, vous aurez les éléments pour légiférer de manière plus efficace, dans le respect du rôle de chacun - nous ne remettrons jamais en cause le rôle du législateur, qui est responsable et garant du bien commun.
M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. - Même si nous sommes passionnés par le dialogue social, notre questionnement ne s'y limite pas : nous nous intéressons à la fois à la prise de décision politique, à la capacité à réaliser, aujourd'hui, des équipements et des infrastructures sur notre territoire, à mener le dialogue social et à faire évoluer les sociétés.
Quel bilan tirez-vous de la mise en oeuvre de l'article L.1 du code du travail, après près de dix ans d'expérience ?
Que pouvez-vous nous dire de son application lors de l'élaboration de la « loi travail » ? Certains estiment que la concertation avec les syndicats a eu lieu ; d'autres le contestent ou, plus exactement, considèrent que l'objet du texte a changé en cours de route, avec l'intégration du plafonnement des indemnités de licenciement et d'autres éléments. Qu'est-ce qui n'a pas fonctionné dans le processus de dialogue engagé sur la « loi travail » ?
M. Fabrice Angei. - L'article L.1 n'a pas été véritablement appliqué sur la « loi travail ». Même s'il y a eu, dans un second temps, un semblant de concertation, nous avons découvert l'essentiel du texte par la presse.
Pour ce qui concerne le bilan de l'article L.1, nous avons alerté sur le danger que son application n'aboutisse à une loi entièrement négociée.
Selon nous, il importe qu'il y ait une véritable concertation. Cela veut dire que l'on ne s'appuie pas seulement sur certaines organisations syndicales, mais qu'on les écoute toutes, y compris celles qui sont en désaccord sur un projet. Il faut qu'il y ait équité et loyauté dans la mise en oeuvre de la concertation. C'est ce manque qui a empêché la concertation de fonctionner sur la « loi travail ».
La concertation ne peut pas non plus fonctionner lorsque les projets tendent vers un amoindrissement des droits des salariés et de leurs garanties, plutôt que vers du progrès social.
En Italie, la Confédération générale italienne du travail, la CGIL, a lancé un référendum citoyen - pouvant déboucher sur une proposition de loi - sur la charte des droits sociaux, l'augmentation des salaires et la réduction du temps de travail. Cette méthode diffère de notre référendum d'entreprise.
Nous considérons aussi qu'il doit y avoir une autonomie des acteurs sociaux dans ce qui va être négocié avec l'employeur et le développement de négociations tripartites avec l'État.
Mme Marylise Léon. - L'article L.1 du code du travail est utile et nécessaire. Le bilan de sa mise en oeuvre est relativement positif.
Il n'est pas déconnecté des conférences sociales, lieux importants de concertation et de dialogue qui ont aussi été l'un des marqueurs de la mandature actuelle, ni de la question de l'agenda social, qui est défini uniquement entre les seules organisations syndicales et patronales. L'articulation intelligente de ces trois leviers est un élément propice à la préparation pertinente des réformes.
Nous considérons que l'article L.1 a globalement très bien fonctionné pour certains textes, mais beaucoup moins sur la « loi travail ».
Il a bien fonctionné sur la modernisation du dialogue social. Dans le cadre d'une conférence sociale qui s'est tenue au mois de juillet 2014, l'objectif de travailler sur l'amélioration de l'utilité et de l'efficacité du dialogue social d'entreprise nous a été fixé très clairement. En septembre, le Gouvernement nous a communiqué une feuille de route, qui définissait trois enjeux : la reconnaissance des parcours syndicaux, l'organisation d'une représentation collective pour les salariés des TPE et la réorganisation des règles relatives à la négociation collective et aux instances représentatives du personnel. Nous avons décidé d'ouvrir la négociation ; elle n'a pas abouti. De nouvelles concertations ont été menées de manière séparée, puis un projet de loi a été déposé et examiné par le Parlement.
Sur la « loi travail », cela a été beaucoup plus compliqué, parce que les objectifs n'étaient pas clairs. Ce n'est pas la même chose de vouloir réformer le code du travail pour favoriser l'emploi ou pour rendre ledit code plus accessible, plus lisible et pour donner plus de place à la négociation d'entreprise. Une conférence sociale s'est tenue en octobre 2015, juste après la remise du « rapport Combrexelle ». L'ensemble des organisations syndicales ont fait savoir qu'elles ne souhaitaient pas négocier sur les éléments de proposition communiqués. Il y a eu des concertations. À aucun moment, nous n'avons vu de projet écrit, alors qu'il est plus compliqué de travailler sur des objectifs globaux que sur un texte formel.
Nous avons découvert le texte dans la presse, comprenant des dispositions qui n'avaient jamais été évoquées. Cela dit, les organisations syndicales et patronales n'avaient pas souhaité négocier...
Au reste, on était en fin de mandature. Un dernier véhicule législatif a servi de réceptacle, le projet de loi pour favoriser les nouvelles opportunités économiques (« loi Noé ») n'étant plus d'actualité. Un certain nombre d'éléments se sont agrégés, qui n'avaient pas été clairement annoncés au démarrage.
Je tiens à dire que les organisations syndicales ne sont pas « co-législateurs ». À partir du moment où nous ne souhaitons pas négocier, nous sommes dans la concertation, mais nous ne faisons pas les lois.
M. Gilles Lecuelle. - Selon nous, l'article L.1 est un bon article. Il permet de faire avancer les choses.
On sait très bien qu'il faut un certain temps pour s'approprier une nouvelle méthode et la mettre en oeuvre. Neuf ans après l'adoption de cet article, nous sommes maintenant en capacité de mesurer ce qui a fonctionné ou non. Cela permet de continuer d'avancer et de rectifier un peu le tir.
Sur la « loi travail », l'article L.1 n'a pas fonctionné du tout. Nous considérons que la concertation n'a pas eu lieu. Il faut dire que les objectifs n'étaient pas clairs dès le départ. Il était donc difficile d'en discuter.
Au demeurant, jusqu'à la promulgation de la loi, le débat n'a jamais eu lieu. Nous avons contesté la non-application de l'article L.1. Comme le texte continuait son parcours, nous avons quelque peu revu nos positions, estimant que nous pourrions intervenir lors du débat parlementaire. Or celui-ci n'a pas eu lieu non plus. Notre vision des choses n'a donc pu être prise en considération. Lorsque nous avons rencontré le rapporteur à l'Assemblée nationale, il était déjà trop tard : quelques jours après, le Gouvernement décidait de passer en force en recourant au 49-3.
Cela a laissé des traces assez importantes dans les esprits et les méthodes de travail. C'est vraiment le mauvais exemple dont il faut tirer profit. Il y a peut-être des choses à améliorer et à clarifier, notamment dans la manière de formaliser la concertation, ainsi que dans la communication du document d'orientation, des éléments de diagnostic. En tout état de cause, son application est, selon nous, positive.
M. Pierre Jardon. - Je ne partage pas tout à fait ce qui vient d'être dit. Je rebondirai sur les propos de Mme Marylise Léon, qui a bien rappelé les éléments de contexte.
Selon nous, l'article L.1 a eu son effet. Nous avons été régulièrement consultés. On ne peut pas dire qu'il n'y a pas eu de concertation du tout sur la « loi travail », même si, de fait, des choses n'ont pas fonctionné. Si nous avons découvert les grands équilibres du texte au moment de la présentation de l'avant-projet, des travaux ont été réalisés en amont, et il n'y a pas eu une semaine sans concertation, sans échanges, sans que nous puissions faire des propositions d'amendement - certaines de nos propositions ont d'ailleurs été reprises. Le Gouvernement n'était pas du tout fermé. Il y a bien eu une place à la concertation. Nous avons pu être entendus, certes pas sur tout, mais nous avons encore pu faire bouger les lignes jusqu'à la promulgation de la loi. Au reste, pour qu'il y ait concertation, il faut être deux...
Comment peut-on éviter les situations de blocage que l'on a connues avec cette loi ? C'est un vrai sujet. Il convient qu'il y ait une méthode. C'est vrai pour la négociation interprofessionnelle de manière générale. Pour que cela fonctionne, il faut d'abord que l'on se mette d'accord sur le diagnostic. À cet égard, nous avons des propositions très précises sur la manière dont fonctionnerait le comité permanent du dialogue social. Cela commence par une consultation très large des différents acteurs de la société civile, dans toutes ses dimensions - économiques, sociales, environnementales - et en tenant compte des évolutions, notamment dans le domaine du numérique, de manière à poser un diagnostic partagé. Il faut consulter tous ceux qui peuvent être concernés par la réforme. Il convient également de faire travailler des organismes comme France Stratégie, des universitaires, des chercheurs, afin de disposer de matière brute. De manière générale, la qualité de la négociation sera différente si le diagnostic fait consensus.
Selon Mme Marylise Léon, le problème est que l'on n'était pas sûr des objectifs. De fait, pour travailler sereinement les uns avec les autres, il faut commencer par s'accorder sur le diagnostic et sur les objectifs que l'on veut se donner. Cela évite de se retrouver dans des situations de posture et, au-delà, dans des situations de blocage.
Mme Sylvie Robert, présidente. - C'est donc, selon vous, une question de méthode.
M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. - Vous avez à plusieurs reprises fait référence au domaine de la négociation et de la loi.
J'ai bien compris le point de vue de la CGT. J'ai pu comprendre que la position de la CFDT n'était pas très différente sur la place de la négociation et sur le fait que le législateur devait prendre ses responsabilités.
M. Gilles Lecuelle. - Je partage cet avis, dès lors que j'ai affirmé que la loi devait être le socle.
M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. - Quand, dans le cadre des travaux de notre mission, nous discutons de la prise de décision politique, certains nous invitent à privilégier la démocratie participative, tandis que d'autres nous incitent plutôt à renforcer la démocratie représentative, tout en nous appuyant sur les acquis tirés de dispositifs de la démocratie participative.
Si je transpose ce schéma dans le domaine social, que vous représentez, vous semblez considérer que le dialogue social est très important, mais qu'il ne peut se substituer à la démocratie représentative, qui déroule ses procédures normales et doit se traduire par le vote d'une loi. Est-ce bien ainsi que vous voyez les choses ?
Mme Marylise Léon. - La CFDT ne souscrit pas au principe « la loi et rien que la loi ». Il est des accords nationaux, interprofessionnels, qui construisent de la norme sociale, sans nécessiter une transposition législative.
Ainsi, nous sommes de fervents défenseurs du paritarisme de l'assurance chômage, qui relève bien du domaine des acteurs sociaux. S'il requiert une transposition dans le cadre d'un agrément, et donc une intervention de l'État, l'accord national interprofessionnel de 2013 a créé des droits nouveaux qui ne nécessitaient pas forcément une transposition législative.
M. Gilles Lecuelle. - Quand je dis que la loi doit être le socle, cela ne veut pas dire qu'elle a l'exclusivité.
Nous défendons un mode de fonctionnement où l'étage supérieur doit décider ce qu'il laisse ouvert à la négociation à l'étage inférieur.
C'est pour cette raison que nous défendons le respect des normes, de la loi jusqu'à l'entreprise, en passant par l'interprofessionnel et la branche.
La loi est le socle, mais elle peut très bien laisser des marges de manoeuvre aux partenaires sociaux. Dans un second temps, ceux-ci peuvent voir comment faire descendre la négociation jusqu'à l'entreprise.
M. Fabrice Angei. - Comprenons-nous bien : le schéma que nous défendons n'est pas totalement différent. Pour nous non plus, ce n'est pas « la loi et rien que la loi » ! La loi est bien un socle.
Je rappelle que l'on signe tout de même 80 % des accords en entreprise. Il s'agit bien d'adapter la loi à des situations - mais jamais « vers le bas » -, d'y apporter des compléments, et non de s'y substituer.
M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. - Je continue sur l'articulation avec le rôle du Parlement, qui ne se traduit pas forcément par des lois.
Vos syndicats pourraient-ils être favorables à un rôle accru du Parlement lors de l'élaboration des documents d'orientation, les fameuses notes de cadrage qui sont adressées aux syndicats en vue de lancer une négociation ? Ces lettres, comme vous l'avez rappelé tout à l'heure, sont, en quelque sorte, l'alpha et l'oméga de la négociation. Le Parlement devrait-il se saisir de ce sujet ?
Pour l'heure, nos assemblées peuvent, par exemple, proposer une résolution au Gouvernement sur les questions européennes ou émettre un avis politique à l'attention de la Commission européenne.
Pourrait-on envisager que le Parlement donne son avis sur les documents d'orientation, comme avec des résolutions, sans caractère contraignant, ou que les commissions des affaires sociales, par exemple, puissent entendre le Gouvernement avant leur rédaction ?
Considérez-vous que le Parlement pourrait apporter une plus-value en discutant avec l'exécutif préalablement à l'envoi de ces documents d'orientation ou estimez-vous, au contraire, que ce serait un élément de complexité supplémentaire dans le dispositif ?
Mme Marylise Léon. - Cela peut être utile, mais principalement pour le Parlement et le Gouvernement.
Si cette possibilité permettait à l'organisation syndicale de disposer d'un document d'orientation qui corresponde mieux aux objectifs et du Gouvernement et du Parlement, notre tâche s'en trouverait également simplifiée.
Au reste, rien ne nous interdit de négocier avec les organisations patronales sur des points complémentaires à ce qui figure dans la lettre d'orientation. Le mandat qui nous est confié n'est pas strict. Nous pouvons soulever une nouvelle thématique ou mettre l'accent sur un sujet.
Je souhaiterais évoquer deux autres éléments.
Premièrement, il faut une plus grande connaissance réciproque du milieu des entreprises et du Parlement. Multiplier les rencontres et les occasions d'échanger « à froid » me paraît extrêmement utile. Il est intéressant de partager le contenu des dossiers de droit social plus largement, et au-delà des seuls parlementaires spécialistes de la question.
Deuxièmement, se pose la question de l'articulation entre démocratie sociale et démocratie politique. Je sais que certains parlementaires considèrent que construire et voter les lois relève de la seule prérogative du Parlement. Il faut reconnaître une place utile pour les organisations syndicales.
M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. - Il existe un Institut des hautes études de protection sociale (IHEPS) ainsi qu'un Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN).
Seriez-vous favorables à la création d'un institut équivalent, dans le secteur du travail ? Cette instance permettrait à des experts, des parlementaires et des syndicalistes de travailler sur un sujet pendant un an.
M. Fabrice Angei. - Des instituts de ce genre, des groupes de recherche ou de discussions existent déjà plus ou moins en matière de dialogue social.
Nous estimons que l'intervention du Parlement dans l'élaboration des documents d'orientation pourrait être utile, de même qu'elle ne pourrait qu'améliorer l'articulation entre le Parlement et le Gouvernement.
Dans cet esprit, nous avons proposé une concertation et des échanges entre les différentes parties - employeurs, syndicats, Gouvernement, Parlement.
Selon nous, le diagnostic ne traduit pas une vision unique. Il peut donner lieu à des éclairages multiples et présenter plusieurs facettes d'un sujet. Par exemple, le diagnostic sur l'assurance chômage a aussi mis en lumière la question des contrats courts ou encore de l'intérim.
Nous défendons l'équité des moyens et notre droit à l'expertise. Il ne s'agit pas d'institutionnaliser ou de professionnaliser le syndicalisme. Nous devons pouvoir être appuyés par des experts et échanger avec différents interlocuteurs. Le modèle n'est pas celui d'un moule unique qui donnerait une pensée partagée. Pour notre part, nous représentons les salariés et leurs intérêts. Cela dit, il peut aussi y avoir des intérêts communs !
M. Pierre Jardon. - Nous accueillons tout à fait favorablement l'idée d'un institut des hautes études. Cela rejoint d'ailleurs les propos que j'ai tenus précédemment, sur l'organisation du comité paritaire permanent et sur le fait de la nécessité de promouvoir le dialogue social dans notre pays.
D'ailleurs, je rappelle que la création d'un haut conseil de la négociation collective et du paritarisme, qui serait le lieu des négociations interprofessionnelles, soit sur saisine de l'État ou du Parlement, soit sur auto-saisine, avait été proposée dans un rapport parlementaire récent. C'est précisément le comité paritaire permanent que nous appelons de nos voeux.
Dans ce rapport était également proposée la création d'un institut des hautes études du dialogue social, qui aurait pour mission de diffuser la culture de la négociation dans le monde économique, administratif, associatif ou politique.
M. Gilles Lecuelle. - Je ne partage pas complètement cet avis. Nous disposons déjà de nombreuses études et de nombreux éléments d'information. Les bonnes idées sont légion et quasi quotidiennes. Je pense notamment à la naissance toute récente de la chaire de l'École supérieure de commerce de Paris (ESCP) sur le dialogue social et la compétitivité.
Il faudrait peut-être commencer par recenser les éléments qui sont en notre possession et voir comment il est possible de consolider la multitude de travaux qui sont réalisés - par exemple, ceux de France Stratégie. Je n'arrive pas à lire toutes les études que l'on me fournit depuis que je suis secrétaire national ! Il me paraît donc problématique de prévoir des études supplémentaires.
Je veux revenir sur le mode de fonctionnement de la sphère socio-économique en France. Depuis le passage au monde industriel, voilà deux siècles, c'est l'entreprise qui a toujours fait progresser le bien-être du citoyen. Nous tenons absolument à préserver ce modèle de l'entreprise actrice de la cité. On voit les effets d'autres modèles, d'inspiration financière, où l'entreprise sert uniquement l'actionnaire.
Nous sommes les différents représentants du monde de l'entreprise, avec ses salariés, ses directions, tandis que vous représentez, en tant que parlementaires, les citoyens. Nous sommes intéressés par une discussion, au plus haut niveau, sur l'articulation entre nos rôles respectifs. C'est d'autant plus vrai que nous avons un peu le sentiment que le pouvoir de la finance vient empiéter sur nos pouvoirs. Nous devons donc nous partager ce qui reste. Dans ce contexte, il conviendrait de définir les rôles et les missions de chacun, de manière à travailler de manière beaucoup plus cohérente.
M. Bernard Vera. - D'après la note qu'ils nous ont transmise, vos collègues de Force ouvrière (FO) considèrent, comme vous tous, que la concertation préalable est absolument indispensable. Ils vont cependant plus loin : ils estiment que l'absence de concertation préalable réelle devrait bloquer le processus législatif. J'aimerais avoir vos réactions sur cette idée.
Par ailleurs, au sujet des lois « fourre-tout », ils considèrent que, dès lors que la concertation préalable a débouché sur la définition d'objectifs extrêmement clairs, le processus législatif ne devrait plus pouvoir intégrer d'autres éléments que ceux qui ont été définis au départ. Souscrivez-vous à cette proposition ?
Au reste, je ne suis pas le porte-parole de FO. Je l'invite dans le débat de façon qu'il puisse échanger avec vous...
M. Fabrice Angei. - Pour ce qui concerne la concertation préalable, les choses sont effectivement inscrites dans la loi de manière très claire - concertation préalable avec communication d'un document d'orientation présentant des éléments de diagnostic, les objectifs poursuivis et les principales options, avec transcription dans un texte législatif...
S'agissant de la « loi travail », ce document ne nous a pas été transmis. C'est l'un des moyens que nous avons soulevés, de manière commune et conjointe avec FO, lorsque nous avons saisi l'Organisation internationale du travail (OIT) sur cette loi.
Nous considérons nous aussi que l'absence de concertation devait conduire à ne pas voter la loi. Au demeurant, il me semble que le malaise qui s'est exprimé au niveau du Parlement n'y est pas étranger. Ce n'est pas, du reste, qu'une question de méthode : c'est aussi une question de sens, de contenu. Vouloir fluidifier et apaiser le dialogue social uniquement par des dispositifs et des méthodes ne fonctionnera pas.
S'agissant du pouvoir d'intervention du législateur, rendre le vote d'une loi impossible parce que l'on y a intégré de nouveaux éléments me paraît trop systématique. Il faut évaluer au cas par cas. Les choses doivent être analysées très finement. C'est donc une question très difficile, à laquelle je ne peux pas répondre par oui ou par non, de façon définitive.
Mme Marylise Léon. - Sur cette question de la concertation, notre vision est sensiblement différente.
Je conviens que la concertation est indispensable. Cependant, les appréciations divergent sur ce qui en ressort. Recevoir une invitation, que l'on y réponde ou non, suffit-il à caractériser l'existence d'une concertation ? Pour certaines organisations syndicales, la concertation implique d'être entendu et d'obtenir satisfaction sur certaines demandes.
Sur la question des lois qui intègrent des éléments qui n'étaient pas prévus initialement, il me semble que le mécanisme du « cavalier législatif » permet d'ores et déjà d'écarter un dispositif totalement déconnecté de l'objet principal de la loi. Il arrive aussi que les organisations syndicales s'installent à la table des négociations et découvrent un nouveau sujet. Nous décidons alors conjointement de réajustements éventuels. Je pense notamment à la négociation sur la sécurisation de l'emploi, en 2013, où, compte tenu du nombre de thématiques abordées, nous nous sommes demandé dès le départ s'il était possible de construire un équilibre sur des sujets aussi variés.
M. Gilles Lecuelle. - Il me semble difficile d'aller jusqu'au blocage d'un texte de loi. L'expérience de la loi du 8 août 2016, dite « loi travail » ou « loi El Khomri », en est le meilleur exemple, les partenaires sociaux n'étant pas en phase sur le niveau de concertation. Cela prouve bien la difficulté de l'exercice.
Tout figure déjà dans l'article L.1 du code du travail : les sujets qui méritent concertation sont listés, l'emploi du présent vaut obligation... Ce sont les modalités pratiques de mise en oeuvre de cet article qui doivent être améliorées, de manière que son application ne puisse plus faire l'objet de contestations.
Par ailleurs, si ceux qui votent la loi décident de ne pas l'appliquer, il sera difficile de garder un climat de confiance au sein du débat. Si le texte est appliqué, tout ira très bien !
M. Pierre Jardon. - En effet, il est très important que l'article L.1 soit bien appliqué.
Il a même été question, à un moment, de faire figurer le principe du dialogue social dans la Constitution. Pourquoi pas...
Pour ce qui concerne les lois « fourre-tout », j'estime que plus il y a de choses dans une loi, moins on peut se l'approprier et plus le texte est de nature à créer des situations de blocage. Il en va de même lorsqu'on légifère trop souvent sur un même sujet. Le temps politique est court : on veut des résultats tout de suite. Mais le temps d'appropriation est, lui, beaucoup plus long. Si les règles du jeu changent avant que l'on ait eu le temps de se les approprier, c'est extrêmement compliqué à gérer.
Pour terminer, n'oublions pas que l'État est garant du bien commun. Nous sommes très attachés à ce rôle de l'État. Nous intervenons en matière sociale. Vous avez une vision bien plus transversale sur nos sujets et sur la manière dont ils peuvent s'inscrire dans un projet de société beaucoup plus global. Il ne s'agit pas de vous ôter cette prérogative.
M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. - J'ai bien entendu qu'il n'y avait pas de méthodologie permettant nécessairement d'aboutir et que, donc, ce n'était pas qu'une question de procédure, mais aussi une question de fond.
Quelles sont vos principales propositions pour améliorer les conditions du dialogue social et donc le travail préparatoire au texte soumis au législateur, permettant ainsi de faciliter l'adoption éventuelle de réformes législatives portant sur le code du travail ?
M. Fabrice Angei. - La plus importante, sous l'angle du dialogue paritaire national, est peut-être bien de clarifier et de préciser les modalités de mise en oeuvre de l'article L.1 que l'on considère comme essentiel et fondamental.
Au reste, il y a une assemblée consultative dont nous n'avons pas parlé, mais qui, à nos yeux, est extrêmement importante et permet d'aboutir à un certain nombre de consensus : c'est le Conseil économique, social et environnemental (CESE). Je considère que le Parlement et le Gouvernement ne s'appuient pas assez sur les avis de cette institution.
Il faut une meilleure articulation entre démocratie participative, démocratie sociale, via les organisations syndicales, et démocratie parlementaire.
Mme Marylise Léon. - Je retiens trois éléments.
Premièrement, sur la question de la temporalité, il faut suspendre toute législation tant que la consultation sur un sujet n'est pas terminée. Cela peut paraître élémentaire, mais ce n'est pas forcément le cas.
Deuxièmement, il faut mieux caler l'agenda social et l'agenda politique.
Troisièmement, les acteurs sociaux doivent absolument travailler sur la méthode de négociation. Une bonne négociation, ce n'est pas une négociation théâtralisée, qui se termine à cinq heures du matin ! Nous devons faire preuve de davantage de maturité et vraiment nous questionner sur la méthode, sur la façon dont on construit un accord et dont on évalue ce qu'il produit. Cela nous paraît absolument fondamental.
M. Fabrice Angei. - Nous partageons ce point de vue.
M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. - À cet égard, avez-vous identifié de bonnes méthodes de négociation ?
Mme Marylise Léon. - Oui, nous en avons identifié dans des entreprises, dans certaines branches professionnelles. Nous avons suivi attentivement la négociation d'accords sur le pacte de responsabilité. Sans surprise, on a abouti à des accords lorsqu'il y a eu un diagnostic et un calendrier partagés, des moyens dédiés ainsi que, parfois, la sollicitation d'experts.
Nous avons travaillé sur une révision de la méthodologie de négociation. Selon nous, celle-ci ne se limite pas à la question du lieu où sont menées les négociations et ne peut pas non plus s'institutionnaliser dans un comité permanent paritaire. C'est un point de divergence.
M. Fabrice Angei. - Nous partageons ce sentiment.
M. Gilles Lecuelle. - Je souscris à ce qui vient d'être dit.
Cela passe aussi par le développement d'un état d'esprit qui consiste à se respecter mutuellement, à respecter les règles, les textes, les acteurs... Or on s'aperçoit que, en dépit de la loi de 2008, qui fixe la légitimité de chacun, celle-ci est en permanence remise en cause.
Cette situation ne peut perdurer. On ne peut envisager d'avoir des débats sérieux à l'avenir si, d'un côté de la table, on ne respecte pas la légitimité du partenaire qui est en face. Les lois doivent être appliquées, y compris dans leur esprit.
S'agissant de l'article L.1, tous les éléments permettant un vrai dialogue social serein, reposant sur un état des lieux partagé, doivent être réunis. La diversité des points de vue permettra d'enrichir le débat, et l'on pourra certainement éviter les situations de blocage.
M. Pierre Jardon. - Vous l'aurez bien compris, pour nous, ce qui est essentiel, c'est de structurer le dialogue social au niveau interprofessionnel.
Nous proposons donc la création d'un comité paritaire permanent du dialogue social, qui aurait pour mission d'organiser les discussions, les concertations et les négociations du ressort des partenaires sociaux et de bâtir un agenda partagé de réformes. Il serait consulté par le Parlement et le Gouvernement sur les questions socio-économiques et l'emploi. Cette instance serait aussi un observatoire du dialogue social dans les branches et les entreprises, lequel est particulièrement important aujourd'hui, et permettrait un appui et un accompagnement des branches qui en ont besoin, par exemple dans le cadre des démarches de restructuration.
Sa création devrait s'accompagner de la mise en place de commissions, permanentes ou temporaires, en particulier sur les questions de relations du travail, de conditions de travail, de rémunération, d'emploi et de sécurité sociale ainsi que de normes internationales du travail.
Il faut systématiser la mise en place d'un diagnostic partagé par une consultation très large de la société civile, en associant notamment les organisations non gouvernementales (ONG) environnementales ou encore les associations représentant les jeunes, ce qui est une réponse à la démocratie participative. Nous devons aussi nous appuyer sur des travaux d'experts, comme France Stratégie.
Au final, il faut communiquer sur ce qui est fait, faire la pédagogie des accords et les promouvoir. Cela permet aussi de lever des situations de blocage.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion, suspendue à 17 h 35, est reprise à 17 h 45.
Audition des représentants des organisations représentatives des employeurs, avec M. Michel Guilbaud, directeur général du Mouvement des entreprises de France (Medef), M. Jean-Michel Pottier, vice-président en charge des affaires sociales et de la formation au sein de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME), et M. Pierre Burban, secrétaire général de l'Union des entreprises de proximité (U2P)
M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. - Nous venons d'entendre quatre des cinq organisations syndicales représentatives de salariés au sujet de la démocratie paritaire ou sociale. Nous entendons maintenant les organisations patronales représentatives au niveau national, à savoir le Mouvement des entreprises de France (MEDEF), en la personne de son directeur général, M. Michel Guilbaud, la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME), qui a succédé à la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME), à travers son vice-président, M. Jean-Michel Pottier, et l'Union des entreprises de proximité (U2P), issue de la réunion de l'Union professionnelle artisanale (UPA) et de l'Union nationale des professions libérales (UNAPL), représentée par son secrétaire général, M. Pierre Burban.
Notre mission d'information a été constituée pour essayer de répondre à la question des blocages que connaît notre société, au niveau de la décision politique, en raison de la crise de la représentation qui frappe les élus politiques à tous les niveaux. Nous nous demandons donc si la démocratie participative peut nous aider à améliorer ou à rénover notre démocratie représentative et, dans l'affirmative, selon quelles modalités.
Notre interrogation porte aussi sur la réalisation de grands équipements constatant qu'elle est souvent contestée et qu'il devient délicat de mener à bien des projets d'autoroute, d'aéroport, etc.
Le troisième domaine sur lequel nous avons souhaité nous pencher concerne les réformes sociales. Notre pays a les pires difficultés à mener à bien ces réformes - nous avons tous en mémoire des mois de manifestations dans la période récente.
Comment lever les blocages, ou mieux faire fonctionner l'articulation entre les décideurs et la population, afin de permettre une prise de décision légitime et efficace dans notre pays ? Tel est l'esprit de nos travaux.
Grâce à vous, nous allons pouvoir nous concentrer sur la démocratie paritaire ou sociale. Je vous propose de commencer par une phase introductive de cinq à dix minutes par intervenant, où vous pourrez développer votre propre appréciation des blocages actuels et vos idées sur la manière d'y remédier. Ensuite, nous passerons à un échange de questions et de réponses.
M. Michel Guilbaud, directeur général du MEDEF. - Le thème que vous explorez est extrêmement vaste, car il ne porte pas que sur la démocratie sociale. Il s'agit d'une réflexion beaucoup plus large sur le fonctionnement démocratique dans toutes ses dimensions. Vous avez entendu de nombreux experts qui réfléchissent sur la démocratie représentative et la démocratie participative. Même si nous pouvons être amenés, de manière connexe, à nous pencher sur ces questions, l'audition d'aujourd'hui portera sur notre rôle de partenaire social.
Les sujets que vous souhaitez évoquer sont bien au coeur de notre réflexion permanente. Nous représentons le niveau national interprofessionnel, en cela nous sommes la face émergée d'un iceberg, puisque nous sommes l'expression de toute la démocratie sociale à l'oeuvre dans l'entreprise. Nous tirons notre légitimité du fait que nous sommes l'addition des représentativités construites par l'adhésion des entreprises à leur syndicat professionnel et à leur branche. Le MEDEF est l'addition de 80 organisations professionnelles qui, pour l'essentiel, gèrent elles-mêmes leurs propres conventions collectives.
Vos questions sont pour l'essentiel relatives à l'efficacité et à la légitimité qui permettraient de faire évoluer la norme en matière de droit social. Comme vous le savez, nous jouons un rôle en la matière et je reviendrai sur le cadre juridique dans lequel il s'exerce. Nous jouons également un rôle dans la gestion des dispositifs paritaires construits au fil des années, à l'instar des grands régimes de protection sociale. Dans ce dernier cas, notre légitimité est tirée du fait que les partenaires sociaux ont souhaité créer des régimes de protection complémentaires des régimes généraux de sécurité sociale.
Dans ces deux domaines, la légitimité et l'efficience des partenaires sociaux sont régulièrement questionnées, y compris dans le paritarisme dit « de gestion ».
Aborder la légitimité et l'efficacité des processus d'élaboration de la norme peut difficilement se faire indépendamment de la norme elle-même. Je peux vous expliquer les fondements de notre légitimité ou les aspects de notre efficacité, mais ce propos ne peut être déconnecté de l'objet de la négociation. Pour faire évoluer le droit, il faut partir des règles actuellement en place.
Dans le cas qui nous intéresse, nous partons de la loi, ce qui nous amène à poser la question de sa place dans la norme sociale. Nous avons joué notre rôle, notamment dans la négociation des accords nationaux interprofessionnels (ANI) qui ont suivi l'adoption de la loi du 31 janvier 2007 de modernisation du dialogue sociale, dite « loi Larcher », en respectant le cadre de la loi et pour faire évoluer les normes sociales actuelles. L'article L. 1 du code du travail, dans la rédaction résultant de la « loi Larcher », impose une négociation préalable entre les partenaires sociaux, avant tout projet de réforme du droit du travail, formalisant ainsi ce qui n'était auparavant qu'un usage. Il nous est demandé de négocier des évolutions de la loi mais si la place qu'elle occupe était différente, nous ne rencontrerions peut-être pas les mêmes difficultés.
Ainsi, ce qui prime aujourd'hui dans notre appréciation de l'application de la norme en France, c'est la place trop importante des dispositions législatives par rapport à celle des dispositions conventionnelles qui peuvent être élaborées au niveau des branches et des entreprises. Le champ de compétence de la représentation nationale interprofessionnelle se confond presque avec l'espace de la loi : nos adhérents, les branches professionnelles et les entreprises, qui fondent notre légitimité et nous mandatent, attendent de nous que nous fassions évoluer le droit en modifiant la loi, alors que cette responsabilité revient au Parlement.
La « loi Larcher » avait contribué à clarifier le rôle des acteurs et à les responsabiliser, mais le bilan de son application est assez ambivalent. En effet, notre intervention précède celle du législateur, sur la base d'un document d'orientation préparé par le Gouvernement. Dans les faits, la négociation intervient le plus souvent sur l'initiative des partenaires sociaux, mais le Gouvernement estime qu'il doit la cadrer conformément à l'article L. 1 du code du travail. L'expérience prouve que le document d'orientation est souvent assez précis et limite fortement les marges de manoeuvre des négociateurs. Une fois que l'ANI est signé, c'est le Gouvernement qui le transforme en projet de loi soumis au Parlement, lequel ne l'adopte pas tel quel - ce qui est tout à fait légitime, mais provoque des débats récurrents. Les gouvernements successifs ont toujours considéré qu'il fallait respecter l'esprit des négociations, mais dans la lettre de la loi, on constate effectivement de nombreuses modifications. Ceux qui nous donnent mandat de négocier peuvent alors, in fine, avoir le sentiment que les résultats de la négociation ne sont pas toujours respectés. Il peut devenir extrêmement délicat de reconnaître quelle était la volonté des partenaires sociaux dans le résultat final.
Il était positif de consacrer le rôle des partenaires sociaux, personne ne peut le nier, mais les résultats ne sont pas toujours ceux que l'on attendait. Il ne s'agit pas de critiquer l'action des partenaires sociaux ni celle du Parlement. J'ai commencé mon propos en indiquant qu'il était difficile d'apprécier ce processus indépendamment de l'objet en cause, à savoir la loi. Si la loi se limitait à fixer quelques principes fondamentaux - que l'on serait moins tenté de changer tout le temps - et si l'espace ouvert aux normes conventionnelles était beaucoup plus large, notamment au niveau des branches - laissant ainsi une plus grande marge de manoeuvre aux partenaires sociaux -, la question se poserait différemment. Tel a d'ailleurs été le coeur du débat sur le rapport de Jean-Denis Combrexelle - accueilli de manière plutôt consensuelle par les responsables politiques. La négociation se passerait moins au niveau national interprofessionnel et serait davantage concentrée au niveau des branches. Le Parlement serait donc amené à intervenir moins souvent, puisque la loi ne comporterait plus de normes extrêmement détaillées, comme c'est le cas aujourd'hui, ce qui conduit au dépôt de myriades d'amendements lors de l'examen parlementaire.
Tel est le débat qui existe au sein du MEDEF. Dans l'esprit, la négociation préalable est une bonne chose mais nous demandons que soit réduite la place de la loi dans un droit social particulièrement complexe. Cela reviendrait à aller au bout de la philosophie de la « loi travail », qui n'a été qu'une esquisse, en ne l'appliquant difficilement qu'au temps de travail. Cependant, l'article 1er de cette loi indique qu'une commission d'experts devrait revoir l'espace de la loi, au regard de la notion d'« ordre public conventionnel » évoquée par Jean-Denis Combrexelle. Pour nous, le meilleur moyen de refonder la légitimité des partenaires sociaux serait de leur rendre tout leur rôle dans l'entreprise.
Vos interrogations portent également sur la représentativité nationale interprofessionnelle.
La loi du 20 août 2008 portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail a redéfini les règles de représentativité des syndicats, en permettant une mesure objective, et elle n'a pas rencontré de difficulté majeure d'application. La représentativité patronale est en cours d'évaluation, il est donc difficile de se prononcer aujourd'hui. Quelques difficultés techniques se posent, mais cette représentativité sera établie sous l'égide de la direction générale du travail.
Au fond, ce que j'ai dit au sujet de la norme vaut aussi pour
la légitimité des acteurs. Le niveau national interprofessionnel
est la face émergée de l'iceberg, mais il faut surtout refonder
la légitimité des partenaires sociaux dans l'entreprise, pour
qu'elle le soit, par consolidation, au niveau de la branche. Aujourd'hui, la
légitimité des syndicats au sein de l'entreprise est parfois
contestée, du fait de la très grande complexité et du
trop-plein de règles formelles enserrant le dialogue social dans
l'entreprise. Une multiplicité d'instances
élues
- comité d'entreprise, comité
d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail,
délégués du personnel - exercent des
compétences diverses et variées. La loi du 17 août 2015
relative au dialogue social et à l'emploi, dite « loi
Rebsamen », a essayé de simplifier le dispositif, mais ces
instances n'ont pas le pouvoir de négociation, qui appartient à
la représentation syndicale. Or, très souvent, celle-ci n'existe
pas dans les petites entreprises.
Le cadre du dialogue social dans l'entreprise mériterait donc d'être réformé : nous l'avions proposé en 2015, dans le cadre d'une négociation qui a malheureusement échoué, et la « loi Rebsamen » est allée beaucoup moins loin que ce que nous souhaitions. Nous avions suggéré d'instaurer une instance unique, élue, et qui aurait eu compétence pour négocier. De notre point de vue, cela permettrait à la représentation syndicale et au dialogue social dans l'entreprise de retrouver une légitimité fondée sur le vote des salariés. La représentativité des syndicats au niveau de la branche et au niveau national interprofessionnel retrouverait également une légitimité fondée sur l'entreprise, répondant ainsi à l'une des critiques qui leur est souvent adressée.
Vous posez la question des difficultés rencontrées pour faire aboutir un certain nombre de réformes. J'ai évoqué les ANI dont la conclusion a été suivie par une loi, mais nous avons aussi connu des échecs. Le premier, que je viens de mentionner, est intervenu en 2015 : même s'il n'y a pas eu de crise particulière, les négociations ont échoué, puisque les syndicats n'ont pas souhaité refonder le cadre du dialogue social au niveau de l'entreprise. Nous avons donc été amenés à nous interroger sur la possibilité d'aller au-delà d'une réforme « par petits pas » et d'envisager une vraie réforme de structure.
Ensuite, la « loi travail » a remis en cause notre capacité à mener une pédagogie de la réforme. Cette loi n'a pas fait suite à une négociation, le Gouvernement ayant choisi de légiférer directement. En revanche, on ne peut que constater un échec dans notre capacité à expliquer en quoi il était nécessaire de réformer beaucoup plus profondément le droit du travail pour favoriser l'emploi. Il aurait fallu arriver à faire comprendre l'objectif de la norme sociale : lorsque l'on évoque le contrat de travail, le licenciement, l'enjeu est bien l'emploi ; lorsque l'on parle de simplification de la norme, c'est bien pour permettre aux entreprises de s'adapter. L'expérience malheureuse de ce projet de loi, dont la version initiale n'a malheureusement pas prospéré et dont l'ambition a été fortement réduite, témoigne de l'échec d'une pédagogie qu'il aurait fallu mener de manière concertée, sur la base d'un diagnostic partagé, pour mettre en évidence le lien logique entre l'objet de la norme et les enjeux économiques, à savoir l'emploi et la transformation des entreprises.
Une fois que l'on aura établi ce qui relève de la négociation entre les partenaires sociaux et ce qui relève de la compétence du Gouvernement et du Parlement, reste le plus difficile : définir le cap des réformes et la façon de les mener.
M. Jean-Michel Pottier, vice-président en
charge des affaires sociales et de la formation au sein de la
Confédération des petites et moyennes entreprises
(CPME). - Les questions que se pose votre mission font l'objet de
profondes réflexions au sein de notre organisation. On ne peut pas
envisager l'avenir en conservant le système actuel qui, bien qu'il ait
des qualités, présente de trop nombreux défauts, que le
précédent intervenant a détaillés
- j'observe sur ce point une grande convergence de vues entre nous,
sans concertation préalable entre nos organisations.
Je représente la CPME - auparavant CGPME qui a perdu le « G » de « générale », épithète que l'on pouvait trouver trop martiale - qui, comme son nom l'indique, est une confédération des PME. Nous réunissons, au niveau national interprofessionnel, des adhérents organisés au niveau des branches professionnelles et des territoires - la dimension territoriale est pour nous aussi essentielle que celle des branches professionnelles. Un vaste champ est ouvert à la représentation interprofessionnelle dans le domaine de la formation ou de l'emploi ; il devient d'ailleurs de plus en plus important car les compétences transversales se multiplient, à l'instar du numérique, qui était auparavant une affaire de spécialistes et concerne désormais tout le monde.
Mes constatations convergent assez largement avec celles qui viennent d'être développées, mais je souhaiterais vous les présenter à ma manière, en les illustrant d'exemples.
Lorsque le Gouvernement respecte l'obligation de concertation préalable - l'an dernier, il a créé un précédent en engageant directement un débat législatif -, il enjoint aux partenaires sociaux de discuter. S'engage alors une succession de phases - comme autant d'entonnoirs -, avec des effets que je voudrais rapidement décrire.
En règle générale, on commence par une conférence sociale, ou par l'établissement du fameux « diagnostic partagé » - partagé surtout par la personne chargée de l'établir, rarement par l'ensemble des participants ! Suit un document d'orientation qui, au fil du temps, s'est transformé en plan détaillé de la négociation. En procédant ainsi, le politique « préempte » les éléments de la négociation. J'ai relu récemment le document d'orientation sur le compte personnel d'activité (CPA) : il fait sept pages, soit plus que le projet d'accord lui-même ! On y décrit par le menu comment il va falloir négocier. Les représentants des organisations patronales n'ont donc plus qu'à apposer leur signature sur un document rédigé par les organisations syndicales de salariés... La négociation sur le CPA a échoué parce que le document d'orientation avait tout dit.
Le document d'orientation s'appuie sur le droit existant et se limite souvent à superposer de nouvelles mesures à la complexité actuelle. Le pouvoir de négociation des partenaires sociaux étant totalement réduit, même avec la volonté de simplifier le droit social, le résultat final est une sorte de monstre : une « loi travail » qui ajoute 360 pages au code du travail, par exemple, sous couvert de simplification... Il nous est ensuite très difficile d'expliquer à nos adhérents que nous n'avons pas pu faire autrement parce que les dés étaient pipés.
L'ANI est ensuite transcrit dans la loi - les Français adorent ça : pour leur formation, ils ne jurent que par les diplômes, et pour réformer, il leur faut toujours des lois, quel que soit le sujet à traiter -, suivie par des décrets, des arrêtés, des circulaires. Au final, cette superposition effarante de dispositifs - le droit social s'apparentant désormais à un millefeuille - aggrave l'insécurité juridique. Autant il est intéressant que les partenaires sociaux soient saisis en amont et apportent une réflexion, autant il faut laisser un peu d'espace à l'imagination, à la possibilité de simplifier les dispositifs, cantonner la loi aux grands principes du droit social, afin que les acteurs disposent d'une certaine liberté.
Au fond, est-ce que nous ne nous porterions pas mieux si on nous faisait confiance ? Comment établir un climat de confiance dans l'enchevêtrement que je viens de décrire ? Cela paraît extrêmement difficile. Nous vivons dans la défiance, source d'insécurité juridique, elle-même à l'origine de procédures à l'envi. Ce n'est pas de cette façon que l'on encouragera le développement économique et social ni la création d'emplois. Notre pays est complètement verrouillé. Les patrons de petites et moyennes entreprises (PME) et de très petites entreprises (TPE) sont tétanisés à l'idée d'embaucher, compte tenu des difficultés qu'ils auront à résoudre.
J'ajoute que notre droit, pour couronner le tout, considère la petite entreprise comme un modèle réduit de la grande, ce qui est totalement faux. Tout est conçu à l'aune de la grande entreprise et les plus petites doivent se débrouiller pour se conformer aux mêmes critères. On en arrive donc à une situation de blocage.
On parle beaucoup du chômage. Quand on discute avec des chefs d'entreprise - et j'en suis un -, on constate qu'ils aimeraient se développer, mais qu'ils ont peur de le faire, parce qu'on ne leur fait pas confiance.
Pour aller au bout de ce raisonnement, il faut permettre le dialogue social direct au sein de la PME. Je salue le courage qu'a eu le Sénat de voter un amendement que nous avions proposé, pour permettre au chef d'entreprise de négocier directement avec ses représentants du personnel, sur des sujets comme l'organisation du temps de travail, un accord soumis à référendum en prévoyant une majorité qualifiée à 70 %, avec un contrôle de légalité a posteriori de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE), pour s'assurer de la régularité du processus. Dans une PME, qui est mieux placé que les salariés et le patron pour négocier sur l'organisation du temps de travail ? Cet amendement a été voté par le Sénat, mais n'a pas été retenu dans le texte définitif. Nous continuerons à défendre la logique consistant à définir un cadre légal simplifié, quitte à le compléter par des dispositions conventionnelles, comme l'accord type PME-TPE, qui nous paraît également une excellente idée. Il faut laisser la main à l'entreprise, quelle que soit sa taille.
C'est aussi un moyen de rétablir une concurrence équitable entre grandes et petites entreprises. En effet, la « loi travail » permet aux grandes entreprises de négocier sur des éléments de compétitivité, alors qu'elle ne le permet pas à leurs sous-traitants ni aux petites entreprises. Il en résulte donc une distorsion de concurrence.
Vous posez également le problème de la mesure de la représentativité des partenaires sociaux. L'établissement de la représentativité des organisations syndicales de salariés commence à être rôdé, mais le taux de participation aux élections professionnelles dans les TPE en dit long sur l'intérêt de leurs salariés à l'égard du fait syndical. Tout le monde doit y réfléchir, y compris les organisations syndicales qui devraient se demander si leur offre de services et leur discours conviennent à ces salariés. Tel n'est pas le cas, à l'évidence, sinon les salariés auraient manifesté davantage d'intérêt pour ces élections. Quant à la représentation patronale, le système est très complexe et il a fallu le réviser. On nous promet des résultats fiabilisés d'ici le mois d'avril et nous les attendons tous avec impatience. En effet, s'il est utile de pouvoir se compter, il est encore plus important de pouvoir travailler en confiance, rapidement, dans l'esprit que je viens de vous décrire.
M. Pierre Burban, secrétaire général de l'Union des entreprises de proximité (U2P). - Les sujets que vous abordez sont au coeur de notre travail, depuis des années. Je partage les conclusions des précédents intervenants, à une petite nuance près, sur la négociation dans l'entreprise.
L'organisation que je représente est issue du rapprochement de l'Union professionnelle artisanale (UPA) et de l'Union nationale des professions libérales (UNAPL). Dès l'origine, l'UPA a été créée, en 1975, pour devenir un partenaire social. En effet, nous représentons des secteurs qui, pendant longtemps, considéraient que, pour vivre heureux, il fallait vivre cachés : on laissait le Conseil national du patronat français (CNPF) et la CGPME négocier et on allait ensuite voir les parlementaires pour leur demander de nous exclure des dispositifs ainsi créés, ce qui explique pour partie l'existence des seuils dans le droit du travail. L'UPA est donc née de la volonté de participer au dialogue social.
Comme l'ont dit les précédents orateurs, ce dialogue social n'existe pas uniquement au niveau interprofessionnel. J'irai jusqu'à dire que les niveaux les plus importants sont la branche et l'entreprise - pour les entreprises qui peuvent négocier. Pour ce qui concerne les TPE, on constate une très forte vitalité de la négociation de branche.
En France, on veut aller trop vite et on oublie les fruits de l'expérience. La « loi Larcher » a été élaborée à la suite de la contestation d'une réforme dans la rue. On s'est alors demandé comment rendre les réformes plus légitimes et, surtout, plus efficaces. Les trois organisations présentes aujourd'hui autour de cette table ont, me semble-t-il, soutenu la « loi Larcher », car elle part d'un constat de bon sens : quand on engage des réformes sur des sujets touchant l'entreprise et les salariés, il est légitime de confier à leurs représentants le soin de négocier. Cette loi visait donc à renforcer le dialogue social, et pas uniquement au niveau interprofessionnel.
On a également voulu renforcer la légitimité des accords. C'était l'objet de la loi du 20 août 2008 portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail, pour les salariés, et de la loi du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, à l'emploi et à la démocratie sociale - modifiée par la « loi travail » du 8 août 2016 -, pour les organisations patronales. Évidemment, je partage le point de vue de Jean-Michel Pottier quant à la complexité du système, mais celui-ci a le mérite d'exister.
Pourtant, année après année, on constate que la « loi Larcher » n'est pas suivie par ceux qui devraient la respecter. Ce constat est aussi un appel. Quand une loi existe, mais que le plus haut niveau de l'État décide de s'en affranchir, le citoyen ordinaire ne comprend plus rien. Les précédents intervenants ont pris l'exemple des documents d'orientation : les premiers étaient très légers, mais ils ont fini par prendre quasiment la forme d'un projet d'accord, moyennant quelques modifications à la marge.
Si l'on veut vraiment réformer le pays - ce qui me paraît possible, y compris avec les organisations syndicales de salariés actuelles -, il faut prendre en compte les délais. Certes, on peut avoir l'impression que tout va plus vite - le passage du septennat au quinquennat y a peut-être contribué - : quand le chef de l'État s'exprime à la télévision, les gens pensent que la réforme annoncée est déjà faite, alors que ni le Gouvernement ni le Parlement n'ont été saisis. Réformer prend du temps, il serait peut-être bon de le rappeler. Si l'on veut bien réformer, il faut que les partenaires sociaux, le Gouvernement et le Parlement jouent des rôles complémentaires.
Je voudrais maintenant me tourner vers l'avenir. Sur ce point, mes réflexions rejoignent celles de Michel Guilbaud. Nous pensons qu'il faut conserver le cadre de la « loi Larcher », mais que le code du travail est devenu effroyablement complexe. Je travaille tous les jours depuis des années sur ce code, mais si on veut me « coller », c'est très facile, puisque je ne connais pas, ou mal, un grand nombre de ses articles...
M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. - Rassurez-vous, il en est de même pour moi qui suis avocat. Nous avons tous conscience des limites du principe selon lequel « nul n'est censé ignorer la loi » !
M. Pierre Burban. - Imaginez dès lors le casse-tête pour les responsables des plus petites entreprises !
C'est la raison pour laquelle nous militons pour que le code du travail fixe uniquement les principes fondamentaux. Que peut-on négocier aujourd'hui sur certains sujets où il n'y a pas de marge de manoeuvre ? Dès que l'on évoque cet aspect, les syndicats de salariés se récrient ; or il ne s'agit pas de remettre en cause les droits, mais de réorganiser l'ensemble du dispositif juridique. Le code du travail doit fixer les principes fondamentaux et renvoyer aux branches professionnelles ce qui relève de l'ordre public conventionnel.
Nous souhaitons nous aussi que les entreprises qui le peuvent puissent négocier directement avec les élus du personnel, mais de très nombreuses entreprises ne le feront pas, pour de multiples raisons. Par exemple, on compte en France 1,6 million d'entreprises qui n'ont qu'un salarié ; chaque année, 40 000 accords d'entreprise sont signés, avec certains très grands groupes qui signent plusieurs accords, ce qui signifie que moins de 40 000 entreprises sont concernées. On pourra peut-être faire mieux, mais on ne pourra pas se passer de la négociation de branche. J'insiste sur ce point parce que, bien que certains le pensent, il ne sera pas possible d'assouplir les règles en renvoyant tout à la négociation d'entreprise.
Aujourd'hui, les plus petites entreprises hésitent à embaucher, en partie à cause de la complexité des règles à respecter en cas de licenciement. Or nous constatons une dérive due à cette situation - certaines plateformes étrangères en ont même fait un modèle économique -, à savoir le recours à des travailleurs indépendants en lieu et place de salariés. Si les lignes ne bougent pas en matière de droit du travail, ces dérives ne feront que s'aggraver.
M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. - Concernant le bilan de dix ans d'application de l'article L. 1 du code du travail, je comprends que vous êtes favorables à cette disposition, même si son application pourrait être améliorée.
Une première piste consisterait à revenir à des notes d'orientation plus stratégiques. Une deuxième piste pourrait porter sur le moment où le Parlement intervient : pourrait-on envisager que la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale ou du Sénat puisse entendre le Gouvernement avant la rédaction de la note d'orientation ou adresser ses remarques, comme une proposition de résolution, après avoir eu connaissance du projet de note d'orientation ?
Quelles sont vos suggestions pour une meilleure application de cet article ?
M. Michel Guilbaud. - Notre position sur l'article L. 1 du code du travail est plus mitigée que vous ne l'avez dit. On peut difficilement être contre son principe, mais nous nous demandons si le système n'est pas à bout de souffle lorsqu'il s'agit de travailler sur un texte aussi complexe que le code du travail. Dans ce que certains appellent « tripartisme », en ajoutant l'État aux partenaires sociaux - pour ne pas parler de quadripartisme, si l'on distingue le Gouvernement du Parlement -, on ne sait plus qui est responsable. En réalité, nous ne croyons pas au tripartisme : tant que les partenaires sociaux ne disposeront pas d'un espace de responsabilité pleine et entière, tant qu'on aura besoin d'un arbitre, Gouvernement ou Parlement, le résultat des négociations ira toujours vers davantage de complexité. On cherche toujours des compromis qui engagent tellement d'acteurs que le résultat ne peut qu'être extraordinairement compliqué.
Revenons sur les réformes sociales de ce quinquennat. En 2013, une loi a suivi la conclusion d'un ANI, mais le bilan est assez mitigé concernant sa portée, alors que nous avions pensé à l'époque faire une réforme importante - c'est sans doute lié à la complexité et à une logique de contreparties. J'ajoute qu'on pensait déjà, en 2013, à l'étape suivante, qui s'est retrouvée dans la « loi travail », car l'ANI esquissait tous les sujets qui y ont été repris. En 2014, sur la formation professionnelle, sujet plus technique, une loi a été adoptée après la conclusion d'un ANI. En 2015, une loi a été adoptée après un échec des négociations. En 2016, le choix a été fait de légiférer sans passer par la négociation.
M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. - Maintenez-vous cette appréciation ? Nous avons des échos différents : certains disent qu'il y a bien eu négociation ou concertation, d'autres estiment que le texte avait tellement changé que l'on ne pouvait plus établir de lien avec le projet initial.
M. Michel Guilbaud. - Non, il n'y a pas eu de négociation. Le Gouvernement a fait en sorte que l'on ne puisse pas lui reprocher d'avoir ignoré l'article L. 1 du code du travail en disant qu'il avait posé la question lors d'une conférence sociale, mais aucune négociation n'a été ouverte. Mais si on nous l'avait demandé, nous aurions sans doute répondu qu'il était illusoire d'entrer dans une négociation aussi lourde et aussi large, en raison du calendrier. Nous étions d'accord pour que le Gouvernement légifère directement et nous avons souscrit à de nombreux objectifs initialement affichés. Cela prouve que nous avions nous-mêmes renoncé à aborder des sujets aussi structurants à l'approche d'une importante échéance électorale.
L'article L. 1 a été adopté à la suite de la crise du contrat première embauche (CPE). Il est frappant de constater, dix ans après, que le sujet à traiter reste le même, vu sous un angle certes plus large, à savoir déverrouiller l'embauche en modifiant les règles relatives au contrat de travail et au licenciement...
M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. - D'où votre bilan mitigé concernant l'application de cet article ?
M. Michel Guilbaud. - Il peut sans doute être amélioré, notamment sur la méthode, mais si on ne procède pas à une redéfinition du champ de responsabilité des partenaires sociaux, on se retrouvera devant les mêmes difficultés.
M. Jean-Michel Pottier. - Je m'associe à ce qui vient d'être dit et souhaite apporter un complément. Le principe de l'article L. 1 est intéressant, mais il faudrait s'appuyer sur un code du travail resserré, avec un ordre public social le plus succinct possible, pour laisser toute sa place à la négociation aux différents échelons que nous avons indiqués.
La gestion paritaire, qui n'existe que parce que des accords ont été conclus entre partenaires sociaux pour créer des régimes sociaux, est très intimement liée à la négociation paritaire. Nous constatons que nous arrivons aujourd'hui à un paritarisme « de caution » où, pour reprendre la recette du pâté d'alouette - « prenez un cheval et une alouette » - le paritarisme joue le rôle de l'alouette, mais, pour faire passer une réforme devant l'opinion publique, on se retranche derrière « la décision des partenaires sociaux ».
Prenons un exemple au coeur de l'actualité :
Pôle emploi. Son conseil d'administration est paritaire, mais les
partenaires sociaux, qui financent le système dans des proportions
démesurées pour un organisme de service public, y sont de fait
minoritaires
- 5 représentants syndicaux,
5 représentants patronaux, 5 représentants de
l'État, 5 personnalités qualifiées ou
représentant les territoires, avec un président nommé par
l'État -, et plus encore quand ils ne sont pas d'accord entre eux.
On voudrait nous faire croire que c'est une gestion paritaire, mais c'est une
pure caution !
Les seuls organismes où le paritarisme est réel sont les caisses de retraite complémentaire, les organismes qui gèrent les fonds de la formation professionnelle, notamment les organismes paritaires collecteurs agréés (OPCA), et l'UNEDIC. S'agissant de cette dernière, une négociation reprend actuellement sur l'indemnisation du chômage. Cette négociation avait échoué l'an dernier parce que le politique s'était immiscé. Le Premier ministre ayant fait des déclarations tonitruantes sur l'introduction de la taxation des contrats courts dans la « loi travail », la négociation a été bloquée. Une fois de plus, le politique a retiré aux partenaires sociaux l'élément de négociation qui aurait permis de parvenir à un résultat. Cette négociation reprend maintenant, et nous espérons que personne n'aura la mauvaise idée de recommencer ce type d'opération, sinon le résultat sera le même. Soit on fait confiance aux partenaires sociaux pour négocier des solutions simples - ce qui suppose que le périmètre de l'ordre public social soit restreint -, sans les emprisonner dans un document d'orientation, soit on laisse l'État décider de tout. Il faut clarifier la situation.
Nous sommes favorables à la négociation : elle nous paraît même indispensable à tous les niveaux, y compris celui de l'entreprise disposant de représentants du personnel. Pour les autres, il faut trouver une solution au niveau de la branche ou de la négociation interprofessionnelle. La confusion actuelle empêche de créer le climat de confiance qui permettrait aux entreprises de se développer et d'embaucher.
M. Pierre Burban. - La « loi Larcher » nous renvoie à la négociation. Il faudrait que le document d'orientation soit beaucoup moins détaillé et ne fixe que des objectifs. Ensuite, le résultat de la négociation fait l'objet d'une transposition intégrale dans la loi. Or il faudrait revenir aux principes de la Constitution de 1958, notamment ceux énoncés dans son article 34. Si la loi n'entrait pas dans les détails, la négociation retrouverait toute sa place. De notre point de vue, c'est indispensable.
M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. - Toujours dans l'idée de faciliter la conduite des réformes sociales, il faut poser la question de l'agenda. Tout à l'heure, les organisations syndicales de salariés ont évoqué le temps long de la négociation sociale. Seriez-vous favorables à un agenda du dialogue social pendant la durée de la législature ou du quinquennat, donnant une visibilité ? Cela pourrait aussi permettre d'éviter les postures dans le cadre de conférences semestrielles ou annuelles. Un tel agenda permettrait-il de mieux distinguer ce qui relève de la loi ou de la négociation collective et d'améliorer les conditions du dialogue social ?
M. Michel Guilbaud. - De mon point de vue, oui. Le MEDEF n'a pas de position formelle sur cet aspect, mais nous avons le sentiment que, à force de parler de détails et d'exécution, on perd de vue le cap. Là où le rôle du politique doit s'exercer pleinement, c'est quand il s'agit d'expliquer au pays l'ambition générale des réformes à réaliser pendant le quinquennat. Cela permet de donner à ces réformes tout leur sens économique et social et on sait comment se situer par rapport aux enjeux du code du travail, de la protection sociale, de la compétitivité, de l'emploi, etc. C'est au politique d'apprécier l'ordonnancement des réformes nécessaires, en fonction du contrat sur lequel il est élu. En tant que partenaires sociaux, nous savons alors le rôle que nous devons jouer dans la conduite de la réforme.
Le dernier quinquennat a connu des conférences sociales organisées annuellement, qui faisaient ressortir les sujets de négociation, mais nous n'avons pas eu de conférence depuis deux ans. Il nous semblerait naturel de disposer d'une visibilité dans l'agenda des réformes, dont un des volets relèverait de la responsabilité des partenaires sociaux, parce que l'on touche à leur domaine de compétence.
M. Jean-Michel Pottier. - Je suis sur la même position. Il faut apporter de la visibilité et de la stabilité, ce qui est impossible aujourd'hui avec l'empilement de réformes à courte vue. Les entreprises ont besoin de règles du jeu visibles et stables pour prendre leurs décisions. Un agenda sur la mandature serait donc une solution qui permettrait d'organiser les travaux de manière efficace.
On ne peut pas négocier en même temps sur quatre ou cinq sujets - certaines grandes organisations le peuvent peut-être, mais j'en doute ! Je pense qu'il en va de même pour les syndicats, puisque ce sont les mêmes personnes qui négocient : à un moment donné, on atteint la saturation. À l'heure actuelle, une négociation est en cours sur l'assurance chômage et deux concertations sont ouvertes, l'une sur le télétravail, l'autre lancée par la CPME sur la diffusion de la responsabilité sociétale de l'entreprise dans les PME-TPE. À un moment où l'on pourrait croire que l'activité s'est calmée, en raison des échéances électorales, il n'en est rien.
Le fait de pouvoir organiser les travaux en fonction de nos disponibilités propres serait un élément qui permettrait d'apporter une certaine stabilité et d'éviter les revirements...
M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. - Qu'il s'agisse de l'allocation des moyens de négociation ou de la visibilité, une souplesse des agendas est nécessaire.
M. Jean-Michel Pottier. - Tout à fait !
M. Pierre Burban. - Ma réponse sera très brève sur ce point : ce serait idéal.
M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. - Quel est votre avis sur le niveau optimal de la négociation sociale : entreprise, branche, etc. ? Y a-t-il trop de branches ? On évoque de temps en temps le modèle allemand, où la négociation de branche porterait sur les rémunérations et la négociation d'entreprise sur les conditions de travail. Comment les choses doivent-elles s'articuler ? Qu'est-ce qui permettrait d'améliorer le fonctionnement global du dialogue social?
M. Michel Guilbaud. - Le sujet est délicat. Il faut revenir aux fondamentaux économiques. Pour l'entreprise, si son principal concurrent est chinois, américain ou établi dans un autre pays européen, elle attache moins d'importance à la manière dont le niveau normatif de branche va s'imposer à elle. Car à l'origine, le fondement des accords de branche était bien une question d'équité concurrentielle : il fallait éviter, dans un même secteur, l'apparition de distorsions de concurrence tenant uniquement aux conditions sociales. En France, comme tout le niveau normatif de détail se trouve dans la loi, la branche est privée de son vrai rôle. En plus, comme la concurrence est beaucoup plus internationale que nationale, l'entreprise doit pouvoir faire preuve d'agilité, non pas pour s'aligner sur le dumping social de pays lointains, mais pour trouver des compromis beaucoup plus adaptés à son terrain économique. Cela dit, il existe encore des secteurs moins exposés que d'autres à la concurrence internationale, par exemple dans les services ou le bâtiment, sans toutefois simplifier à outrance.
Quoi qu'il en soit, les points de vue sont très contrastés au sein du MEDEF sur le rôle que doit jouer la branche. A minima, elle doit pouvoir déterminer un socle applicable par les PME-TPE qui ne sont pas en situation de négocier des accords d'entreprise. Au-delà, la question de savoir si une branche peut décider elle-même que les règles qu'elle établit s'imposent aux entreprises ou n'ont qu'une portée subsidiaire fait l'objet d'un débat. Nous sommes d'ailleurs assez gênés par les dispositions de la « loi travail » qui ont repris l'idée d'« ordre public conventionnel ». Jean-Denis Combrexelle disait qu'il faudrait délimiter le domaine de la loi, puis définir un niveau d'ordre public conventionnel, le reste étant laissé à l'entreprise. La « loi travail » prévoit, quant à elle, que chaque branche négocie dans les prochains mois la définition de son ordre public conventionnel. Les branches nous ont fait savoir qu'elles n'avaient jamais fait cet exercice et ne pouvaient pas définir in abstracto leur propre code du travail. Les négociations de branche portent sur des sujets précis et avancent de façon pragmatique, en trouvant des compromis. L'idée d'une négociation sur l'ordre public conventionnel de la branche correspond à une vision très abstraite du dialogue social. Certains syndicats ont sans doute demandé l'introduction de cette disposition pour se rassurer par rapport à un discours qui portait uniquement sur l'accord d'entreprise, mais il nous semble que la portée pratique de cette disposition sera assez réduite, d'autant que l'on ne sait pas quelle part de l'ordre public social sera réservée à la loi.
Il n'est donc pas possible de répondre de manière univoque à votre question. Ce qui est sûr, c'est qu'il faut réduire l'espace de la loi et ouvrir un espace conventionnel. Il faudra débattre, selon les secteurs, les domaines où, d'une part, la branche pourra jouer un rôle normatif et ceux où elle jouera un rôle subsidiaire et, d'autre part, où l'entreprise pourra trouver le compromis le plus adapté à sa réalité économique.
M. Jean-Michel Pottier. - Les entreprises sont corsetées par des textes qui ne leur laissent pas la possibilité de choisir ce qu'elles négocient. À partir de 50 salariés, on leur impose toute une série de négociations, parfois d'une grande inutilité, qui ne passionnent pas toujours les représentants syndicaux de l'entreprise.
La réponse à votre question tient à la définition de l'ordre public social qui relève de la loi. Tant que cette définition n'existe pas, la réflexion est très difficile à mener. La « loi travail » demande d'examiner le cadre particulier alors que le cadre général n'est pas fixé.
M. Michel Guilbaud. - Monsieur le rapporteur, j'ai omis de répondre à votre question sur la restructuration des branches. Nous avons peut-être contribué à répandre l'idée qu'elles étaient trop nombreuses et ne jouaient pas pleinement leur rôle. Or ce rôle est complètement corseté. Le dialogue social est actif dans la plupart des branches, mais il porte sur des objets tellement limités par la loi que l'on ne peut pas reprocher aux branches de ne pas conclure de grands accords, puisque la loi ne le permet pas.
En ce qui concerne le nombre de branches, beaucoup d'idées fausses circulent. Certes, il existe bien 700 identifiants de convention collective (IDCC) mais, en réalité, une centaine d'identifiants a déjà disparu, 200 autres identifiants correspondent à des conventions territoriales liées à de grands secteurs, comme le bâtiment ou la métallurgie et, enfin, d'autres correspondent à des métiers en déshérence et concernent un nombre très faible de salariés. En fait, l'objectif de 200 à 300 « vraies » conventions collectives est atteint en pratique. On peut estimer que ce chiffre est excessif, mais le jour où la branche aura plus de responsabilités, on se rendra compte qu'on peut y mener un dialogue social actif. Des rapprochements sont sûrement nécessaires, et nous y travaillons activement, car nous mettons actuellement en place le comité paritaire de restructuration des branches prévu par la « loi travail ».
M. Jean-Michel Pottier. - Nous sommes tout à fait d'accord. Notre organisation regroupe plus de branches adhérentes, certaines assez petites, mais pas toutes. En revanche, l'intérêt de « mariages forcés » est très limité, ou alors il s'agira de « mariages blancs » ! La réalité de l'activité finit par s'imposer, ou alors on crée des sous-branches, ce qui prouve le caractère factice du regroupement. Un vrai travail de regroupement est en cours, il n'est peut-être pas très visible. Les moyens coercitifs prévus par la « loi travail » n'auront pas à être mis en oeuvre et le résultat attendu sera atteint assez vite.
M. Pierre Burban. - Tout a été dit sur la restructuration des branches. Beaucoup d'idées fausses et ridicules sont dues à la mauvaise interprétation de statistiques. Pour autant, le travail de regroupement a été très bénéfique. En effet, depuis des années, la DARES publiait des chiffres rattachant des salariés à des conventions collectives qui n'existaient plus. Or ces chiffres étaient utilisés par l'État. Le travail de regroupement a donc permis un toilettage général. On s'est ainsi aperçu, pour le calcul de la représentativité des organisations patronales, fondé sur le nombre d'entreprises adhérentes et le nombre de salariés, que nos chères déclarations annuelles de données sociales (DADS) devenues déclarations sociales nominatives (DSN) contenaient des informations fausses en termes de référence à la convention collective.
Un toilettage était donc nécessaire pour y voir plus clair. L'U2P a toujours considéré que la convention collective devait avoir un champ national. Dans certaines branches, comme la boulangerie ou la boucherie, il existait encore pour des raisons historiques des textes départementaux. En outre, des conventions sur les commerces de centre-ville signées vers 1950 existaient encore alors que les magasins avaient disparu. Certains IDCC subsistaient sur les feuilles de paie, quand bien même la convention concernée n'existait plus.
Dans une deuxième phase, si l'on veut réduire le nombre de branches à 100, il va falloir réfléchir. L'objectif est de conserver un champ conventionnel cohérent. Par exemple, la convention collective de la boulangerie artisanale, qui figure parmi les 50 plus grosses branches, ne doit pas fusionner avec celle de la boulangerie industrielle, car les modes de fabrication sont très différents et l'activité des salariés n'est pas du tout comparable, même s'ils travaillent tous sur une pâte à pain. Ce serait d'autant plus ridicule que la boulangerie artisanale regroupe plus de 100 000 salariés. Il faut impérativement que les conventions collectives prennent en compte la manière dont les activités sont exercées car c'est là leur raison d'être.
Quoi qu'il en soit, certaines professions sont en train de se rapprocher pour établir de nouvelles conventions collectives, mais il faut que ce travail soit assumé par les acteurs. Si on le leur impose, le résultat ne répondra plus à ce que doit être une convention collective.
C'est peut-être sur l'articulation entre négociation de branche et négociation d'entreprise que les nuances sont les plus grandes entre nous. L'U2P considère que la branche doit rester un lieu de régulation de la concurrence, même si j'ai bien entendu les observations sur la concurrence internationale qu'on ne peut ignorer. Il ne faut pas tout renvoyer à la négociation d'entreprise. Il importe donc de veiller à une bonne articulation. Qui plus est, la réforme de la représentativité patronale va obliger les fédérations patronales, indispensables pour qu'il y ait une négociation de branche, à prendre en compte les souhaits de leurs adhérents. L'idée très à la mode, toutes tendances politiques confondues, de renvoyer au niveau de l'entreprise la possibilité de déroger à un droit du travail beaucoup trop complexe et beaucoup trop lourd est illusoire, parce que les entreprises françaises, dans leur immense majorité, ne sont pas en capacité de le faire.
M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. - Pour conclure, pourriez-vous nous présenter vos propositions essentielles pour améliorer le dialogue social dans notre pays ?
M. Michel Guilbaud. - En ce qui concerne le cadre du dialogue social dans l'entreprise, nous avons préconisé l'instance unique, afin de permettre le dialogue social, quelle que soit la taille de l'entreprise, qu'elle ait des représentants syndicaux ou non. Il faut sortir de la multiplicité d'organismes et de compétences où personne ne se retrouve, sauf ceux qui la pratiquent au quotidien. On finit par ne plus appliquer que des règles formelles sans connaître leur raison d'être : on ouvre une négociation obligatoire prévue par la loi et on la ferme immédiatement parce qu'elle n'est pas adaptée à l'entreprise. Cette réforme permettrait d'ancrer le dialogue social dans la réalité économique de l'entreprise, les salariés étant davantage conscients de la nature du mandat confié à leurs représentants élus.
Nous appelons également à une simplification de la norme, qui peut faire peur en raison de la revue de détail de l'ensemble du code du travail qu'elle suppose. Je dis souvent que la « loi travail » est une sorte de monstre, résultat de la mauvaise application d'un bon principe. On dit qu'on va inverser la hiérarchie des normes, mais on ne le fait que sur un sujet pour ne pas faire trop peur - Jean-Denis Combrexelle proposait de le faire sur quatre - et on procède en créant des sous-articles dans le code du travail. Le chef d'entreprise ne s'y retrouve pas et ne peut surtout pas négocier un compromis plus global adapté à son entreprise, abordant l'organisation, le temps de travail et les rémunérations. Si l'on ne fait pas confiance à cet échelon de négociation, le chef d'entreprise ne percevra pas de changement de la réalité du dialogue social.
Sans refonte du dialogue social à partir de la réalité de l'entreprise, les organisations de branche ou interprofessionnelles ne verront pas leur légitimité renforcée. La légitimité du dialogue social procède de l'entreprise, même si tout ne se passe pas à cet échelon.
M. Jean-Michel Pottier. - Pour la CPME, il faut, à court terme, revoir les seuils actuels de 11 et de 50 salariés, véritables plafonds de verre derrière lesquels les chefs d'entreprise préfèrent s'abriter. Si une entreprise passe de 49 salariés à 50 ou 51 salariés, le coût du travail augmente de 3 ou 4 points, mais surtout les charges administratives supplémentaires vont obliger le chef d'entreprise à renforcer son équipe ou à exercer d'autres fonctions que son métier initial, c'est-à-dire une activité pour laquelle il n'est pas formé et n'éprouve aucune envie. Tout cela explique pourquoi il y a 2,5 fois plus d'entreprises de 49 salariés que d'entreprises de 51 salariés. C'est la première des priorités, qui pourrait au moins prendre la forme d'une expérimentation.
Ensuite, il faut confirmer la possibilité de dialogue social direct avec les représentants du personnel dans les PME. Ce serait un moyen de reconfigurer l'action des organisations syndicales, dans la mesure où elles se sentiraient dans l'obligation d'apporter une offre de services répondant aux attentes des représentants du personnel dans les PME, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui.
Enfin, à plus long terme, à l'échelle du quinquennat par exemple, il faudrait s'atteler à la réécriture du code du travail, en conservant un ordre public social restreint défini par la loi et en laissant à la branche et à l'entreprise le soin de définir des cadres appropriés pour faire fonctionner le dialogue social sur des sujets plus nombreux et innovants.
M. Pierre Burban. - Le relèvement des seuils est une priorité pour les chefs d'entreprise. Nous l'avions proposé dans le cadre de la négociation qui a échoué en janvier 2015. Entre 11 et 49 salariés, le pourcentage d'entreprises en règle est très faible. Il faudrait remonter le seuil de 11 à 49 salariés. Par ailleurs, le passage de 49 à 50 salariés représente une marche très haute que beaucoup de chefs d'entreprise ne veulent pas franchir. En contrepartie, nous avons mis en place, depuis 2010, les commissions paritaires régionales interprofessionnelles de l'artisanat (CPRIA) qui font office de représentation externe du personnel. Plutôt qu'une représentation théorique, il s'agit d'une représentation « pratique ». J'insiste aussi sur le fait que les contentieux se retournent contre les chefs d'entreprise qui, de bonne foi, oublient de respecter des délais, etc. Il faut redonner confiance aux chefs des plus petites entreprises si nous voulons retrouver le chemin de la création d'emplois.
Ensuite, le chantier de la réforme du droit du travail et du code du travail ouvert sous ce quinquennat, avec les rapports Combrexelle et Badinter, doit être rouvert très vite, parce qu'il sera très long à mener. Si l'on veut progresser, il faudrait s'y atteler dès le début du prochain quinquennat, parce qu'il faudra que tous les acteurs concernés travaillent ensemble afin de garantir l'acceptabilité de ce type de réforme.
M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. - Je vous remercie d'avoir bien voulu consacrer du temps à notre mission d'information et de nous avoir présenté vos propositions. Nous pensons présenter notre rapport vers la mi-mai et nous vous en tiendrons informés.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 19 heures 10.