- Jeudi 31 mai 2018
- Audition de Mme Marie Mercier sur les conclusions du groupe de travail de la commission des lois sur les infractions sexuelles commises à l'encontre des mineurs
- Échange de vues sur le projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes
- Projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes - Audition de Mmes Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice, et Marlène Schiappa, secrétaire d'État chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes
Jeudi 31 mai 2018
- Présidence de Mme Annick Billon, présidente -Audition de Mme Marie Mercier sur les conclusions du groupe de travail de la commission des lois sur les infractions sexuelles commises à l'encontre des mineurs
Mme Annick Billon, présidente. - Dans le cadre de nos travaux sur le projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, nous avons le plaisir d'accueillir ce matin notre collègue Marie Mercier, auteure d'un remarquable rapport de la commission des lois sur la protection des mineurs victimes d'infractions sexuelles1(*). Ce rapport a donné lieu au dépôt d'une proposition de loi adoptée par le Sénat le 27 mars dernier2(*) dont le texte figure dans vos dossiers. J'ajoute que Marie Mercier a été désignée par la commission des lois rapporteur sur le projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, qui devrait être examiné en séance par notre assemblée, selon toute vraisemblance, au début du mois de juillet.
Chère Marie Mercier, nous souhaiterions que vous nous présentiez les conclusions du groupe de travail de la commission des lois sur les infractions sexuelles commises à l'encontre des mineurs, qui tendent notamment à améliorer la répression pénale de ces infractions. Vos travaux sont fondés sur un très grand nombre d'auditions d'experts du monde judiciaire. Vous avez aussi entendu des représentants des associations ou de victimes. Nous avons tous en tête les précédents des « affaires » de Pontoise et Melun qui ont suscité une certaine émotion en septembre puis en novembre 2017. Ces « affaires » ont largement contribué à ce que le législateur se saisisse de cette question pour éviter ce type de décision.
La proposition de loi adoptée par le Sénat, et issue de vos travaux, a notamment retenu l'instauration d'une « présomption simple de contrainte fondée sur l'incapacité de discernement du mineur ou la différence d'âge existant entre le mineur et l'auteur ». Quelles raisons vous ont conduits à retenir cette solution plutôt qu'une présomption d'absence de consentement ou un seuil d'âge que beaucoup d'associations appellent de leurs voeux ? Pensez-vous que cette présomption de contrainte puisse garantir au mieux la protection des mineurs victimes d'infractions sexuelles ? Plus généralement, quelles sont les propositions du rapport d'information Protéger les mineurs victimes d'infractions sexuelles ?
Mme Marie Mercier, rapporteur. - La commission des lois s'est saisie des deux récentes affaires de Melun et de Pontoise que vous évoquiez, Madame la présidente. Pour nous, sénateurs, l'objectif n'est pas de réagir aux médias, mais à ce que ressent l'opinion publique face aux médias. La nuance est importante. Le président de la commission des lois m'a demandé de piloter un groupe de travail transpartisan, en y associant la délégation aux droits des femmes. Je remercie Laurence Rossignol qui m'a beaucoup aidée dans ce travail.
Pourquoi ai-je été nommée rapporteur du projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes ? Je ne suis pas spécialiste du droit et assez hermétique au fonctionnement de la justice ; je donnerai donc une « photographie » globale du sujet. En tant que médecin, j'ai une vision humaine de ce qui se passe réellement. Dans l'acupuncture, technique que j'ai apprise, le yin et le yang sont toujours imbriqués. C'est le clair-obscur de la réalité, un mélange que nous devons accepter, avec une certaine souplesse. Même lorsqu'on côtoie le pire - et ce travail nous a profondément marqués car nous y avons régulièrement approché le pire - il y a toujours quelque chose qui relève du bon. Je me doutais que ce chemin serait bordé d'épines, mais je ne savais pas qu'il nous toucherait autant. Nous avons reçu 400 témoignages sur l'espace participatif. Je mettais une heure et demie à en lire quatre, et un collègue m'a avoué ne pas pouvoir en supporter la lecture, car cela a dépassé parfois l'entendement... Laurence Rossignol m'avait prévenue.
Nous avons dressé un constat accablant de l'ampleur du phénomène, après avoir entendu des policiers, des médecins et des associations de victimes. Certes, la loi permet d'ores et déjà de réagir, mais elle est mal appliquée. L'article 227-25 du code pénal, qui existe depuis longtemps, réprime les atteintes sexuelles d'un majeur sur un mineur de 15 ans, mais il ne semble pas assez protecteur, notamment aux yeux des associations.
Comme un médecin, j'ai observé et recueilli les témoignages, j'ai réfléchi et proposé des solutions, dont ma proposition de loi. Mon rapport est un mode d'emploi pédagogique, pour tout citoyen. La stratégie globale de protection des mineurs doit prendre en compte tous les aspects du sujet. Dans le cadre de ces travaux, j'ai été interviewée par une radio russe qui voulait me faire dire que la France ne protégeait pas assez ses mineurs... Soyons vigilants ! La France s'occupe réellement de ses mineurs et a une politique louable de protection.
Mon rapport s'articule autour de quatre axes : prévenir les violences sexuelles - la prévention est le plus important, comme en médecine - ; favoriser la libération de la parole, le plus tôt possible, avec un allongement du délai de prescription pour que la victime soit entendue ; améliorer la répression pénale et disjoindre le procès pénal de la prise en charge psychologique.
La prévention est notre axe majeur, qui suscite beaucoup d'intérêt. Je suis intervenue dans les dix-neuf communautés de communes de mon département, et j'ai beaucoup appris de ces échanges avec les élus, qui s'imaginaient qu'en pleine Bresse, dans le Charolais, cet isolement protégeait de facto. Ce n'est pas vrai : il y a des attaques dans les collèges, les lycées, sur les réseaux sociaux... La prévention est indispensable, dès la naissance. J'ai eu connaissance de cas de bébés abusés à la maternité par leurs grands-parents, par les beaux-pères... La prévention passe par la connaissance des faits. L'horreur n'a pas de limites en ce domaine ! Cette éducation doit se faire, ce qui suppose le courage de dire les mots. Des attouchements se produisent sur les bébés lorsqu'on les change, un père se masturbe dans le bain avec sa fille de quatre ans...
Cette réalité touche les beaux pavillons comme les immeubles, les campagnes et les villes, tous les milieux sociaux. Sur quels critères un milieu serait-il privilégié ? Des milieux aisés financièrement peuvent être d'une grande misère humaine, en raison du manque d'interdits. Nous avons tendance à avoir un prêt-à-penser, comme lorsqu'on pense qu'être alcoolique signifierait boire des litres de vin. Une de mes patientes souffrait d'alcoolisme mondain et finissait par boire son parfum... Près de la moitié des auteurs condamnés pour viol sur mineur sont des mineurs, souvent en milieu familier ou familial. Il faut être vigilant lorsque l'enfant change brutalement de comportement après être allé à la danse, au foot ou à l'école, même en maternelle : il est probablement victime. Ainsi, un enfant de quatre ans racontait aux gendarmes qu'il avait vu ses parents fabriquer sa petite soeur dans la cuisine. Le père ne comprenait pas où était le problème, puisqu'il fallait bien que l'enfant le sache un jour, autant que ce soit avec nous ! Françoise Dolto n'a jamais dit de telles choses. Elle a expliqué que l'enfant construisait sa sexualité, mais en aucun cas avec des adultes ! Auparavant, on faisait parfois une sorte d'apologie de la pédocriminalité, sans comprendre que l'enfant était une personne en devenir, et non un adulte en miniature. Un orthophoniste ne va pas utiliser pour un enfant les mêmes méthodes que pour un adulte ! Notre approche de l'enfant a beaucoup changé depuis les années 1980.
Ce qui existait dans ces années-là se retrouve sur les enfants d'aujourd'hui, mais déformé et amplifié avec les téléphones portables. Vous avez l'impression que vous savez les utiliser, mais ayez conscience que les jeunes en savent beaucoup plus que vous sur ces appareils. En Bresse, le père d'une fille de douze ans a appris par hasard dans son téléphone qu'elle allait sur des sites de rencontres pour adolescents et se vendait dans une voiture à un « adolescent » de 45 ans disant s'appeler Kevin !
Il faut mieux recueillir la parole de l'enfant, mais la création de structures ne suffit pas : il faut également des professionnels formés.
L'unité médico-judiciaire (UMJ) de Châlons-sur-Saône, inaugurée avec drapeaux, tambours et trompettes, est un contenant sans contenu : il y a une glace sans tain, mais aucun psychologue derrière pour guider les questions de ceux qui accompagnent la parole de l'enfant. Pour qu'elle soit performante, une UMJ doit rassembler des professionnels formés pour recueillir le trésor qu'est la parole de l'enfant, comme à Saint-Malo où nous avons effectué un déplacement dans le cadre de nos travaux. Les questions posées ne doivent pas provoquer la fermeture de l'enfant. J'ai encore plus compris le drame en voyant de jolies poupées qui, une fois déshabillées, avaient un sexe d'adulte ! J'en ai été profondément marquée. Ces images me hantent encore. C'est un paradoxe, le « vert paradis des amours enfantines » a disparu... À nous de les protéger.
Avec les réseaux sociaux, les enfants se prennent en photo en se lançant des défis : on montre un bout de sein, un bout de sexe, puis un peu plus, on s'enhardit... Les enfants pensent que la photographie va être supprimée et disparaître, mais vingt minutes après, elle leur revient et restera ad vitam aeternam sur Internet... Je ne comprenais pas un confrère pédiatre qui interdisait le téléphone portable dans son service à l'hôpital. Je pensais qu'il était bon pour les enfants de pouvoir appeler à la maison, de recevoir un coup de fil de la famille... Mais les enfants photographiaient leurs compagnons de chambre et mettaient cela sur Internet... Ces problèmes n'existaient pas il y a vingt ans. L'éducation est importante, or il n'y a plus de socle de valeurs qui dise que mon corps m'appartient. Non, on ne récupère pas, à l'école primaire, son téléphone portable en échange d'une fellation. Je me suis rendue dans des collèges huppés comme dans les quartiers Nord. Ma dernière fille a 21 ans. Dans le collège le plus aisé de la ville, en 2006-2007, une fille de 5ème proposait des fellations tarifées ! Cela n'est pas nouveau. Le Code de Hammourabi, sixième roi de Babylone, datant de 1750 avant Jésus-Christ, interdisait déjà le viol et l'inceste. Nous devons savoir exactement ce qui se passe, avec ces prédateurs à l'affût.
Un pédocriminel est un collectionneur. Il possède 500 000 photos qui ne l'intéressent plus. Ce qui l'intéresse, c'est justement la 500 001ème, l'objet rare, qui mettra en scène par exemple le viol d'une petite fille de huit ans avec tel auteur. Et il cherche à échanger non pas pour de l'argent, mais pour avoir ce que les autres n'ont pas. Les gendarmes m'ont expliqué qu'ils récupéraient par cette technique les photographies sur les ordinateurs des pédocriminels. La justice peut aller très vite, et Facebook et Twitter savent supprimer rapidement ce type de contenus. Le problème se trouve dans les plateformes privées. Les 92 000 adresses IP de notre pays sont autant de mini plateformes qui s'étendent.
Voilà pourquoi l'éducation est capitale. Il faut laisser les associations compétentes expliquer pourquoi un enfant doit faire sa toilette seul à partir d'un certain âge, et que personne n'a le droit de le toucher. Une association indiquait qu'à chaque intervention en milieu scolaire, au moins un ou deux enfants venaient les voir pour témoigner. Le pédocriminel dit à sa victime : « c'est notre petit secret », il prétend qu'il fait ça par amour, qu'il s'arrêtera dès que l'enfant lui dira qu'il a mal... Mais le corps de celui-ci finit par s'adapter, et le cauchemar recommence. C'est atroce ! Mettre un préservatif sur une banane en classe de troisième, comme on le fait faire lors de certaines séances d'éducation à la sexualité, c'est beaucoup trop tard ! Pour voir, je suis allée sur YouPorn...
Mme Laure Darcos. - On y accède très facilement.
Mme Marie Mercier, rapporteur. - Il y a des vignettes et des synopsis, tout peut être visionné. Un enfant sur deux de moins de dix ans a consulté un site pornographique et s'en prend plein la figure, nombreux sont ceux qui ont vu un film entier à tout juste 14 ans... Le problème est que cela constitue leur éducation sexuelle, ils vont vouloir faire comme Rocco Siffredi, puis se retrouver en situation d'échec et perdre leur estime de soi. À cause de YouPorn, c'est l'idée de performance qui domine, pas la tendresse ni le plaisir. Les enfants finissent par visionner ces films à longueur de journée. Le couple mis en cause dans le procès d'Outreau visionnait des films pornographiques en permanence. Je ne parle pas de la pornographie entre adultes consentants, mais devant des enfants. Notre société doit être capable de poser des interdits et faire davantage de prévention, pour prévenir et réduire les violences.
J'ai rencontré des responsables d'associations : cela fait trente ans qu'ils s'épuisent, sans qu'ils puissent avoir l'impression que la maltraitance se réduit. Redonnons-leur de l'optimisme ! Cela ne passe pas forcément par la loi. La valeur du respect de son corps doit être donnée par l'éducation, dès le plus jeune âge. Un pédiatre me demandait non pas de lui montrer la photographie d'un enfant, mais celle de celui qui le soigne et l'éduque, car l'enfant n'est rien sans celui-ci. Tout ne peut pas être inscrit dans la loi, mais on peut dire qu'en France, on ne touche pas à nos enfants !
Le recueil de la parole des victimes nécessite également de former des professionnels pour qu'ils puissent détecter de faux témoignages. En effet, il arrive qu'un enfant devienne un objet de marchandage dans un divorce, et qu'il dénonce faussement l'un de ses parents, me rapportaient les gendarmes. Certains adultes ont ainsi vu leur vie basculer et être l'objet d'erreurs judiciaires. C'est tout aussi inacceptable !
Nous proposons aussi de renforcer la répression pénale. Nous avons la tentation de faire une loi très précise. Or la vie est imprécise : la maturité des enfants est différente selon les individus. On ne va pas subordonner l'entrée au CP à une taille ou un poids standard ! C'est une courbe de Gauss, chaque enfant évolue à son rythme ; il faut aussi s'occuper des extrêmes et non seulement de la majorité. C'est pourquoi nous proposons d'allonger le délai de prescription.
L'évolution phare que nous proposons est la présomption de contrainte. Dans un procès, les preuves sont discutées entre le ministère public et le prévenu. Le procureur a la charge de la preuve. Le prévenu peut se défendre comme il l'entend : il peut prétendre que la victime s'est laissé faire, qu'il était convaincu qu'elle avait dix-neuf ans, et les jurés déclarer qu'elle l'avait cherché par la longueur de sa jupe ou son maquillage... Aujourd'hui, vous le savez aussi bien que moi, condamner quelqu'un pour viol suppose de démontrer qu'il y avait « contrainte, menace, violence ou surprise ». Nous proposons de supposer la contrainte, à l'auteur de démontrer le contraire, en cas de viol, en l'absence de discernement ou s'il y a une différence d'âge significative entre l'enfant et l'auteur présumé des faits. Il y a de facto une contrainte morale entre un instituteur et son élève. Inverser la charge de la preuve évite de parler de consentement, notion qui n'existe pas dans la loi. C'est notre mesure phare. Je vous rappelle l'audition de Flavie Flament3(*) par votre délégation, à laquelle j'ai assisté.
Enfin, désacralisons le recours au procès pénal. Depuis que je travaille sur ce sujet, j'entends de nombreux témoignages dans mon cabinet de médecin. Une de mes patientes avait été violée par son père à quatre ans. À mes questions, elle a répondu qu'elle n'aurait pas souhaité que son père aille en prison, mais que sa mère, ses frères et ses soeurs, qui étaient au courant, reconnaissent ce qu'elle avait subi. Cette femme doit admettre que ce n'est pas son histoire, ce n'est pas sa faute et qu'elle ne doit pas construire sa vie dessus. C'est l'histoire de son père, qui doit en prendre conscience et être soigné, le plus tôt possible. Lorsqu'un agresseur est passé une fois à l'acte, il ne doit plus être relâché dans la nature comme cela a malheureusement été le cas récemment, occasionnant le meurtre d'une petite fille. Il faut le souligner : les victimes elles, prennent perpétuité. Le discernement ne peut pas avoir d'âge, un viol est un viol, et ne peut être consenti. Je compte sur vous pour nous aider dans notre travail.
Mme Annick Billon, présidente. - Merci pour cette présentation, autant passionnante qu'effrayante, et étayée de nombreux exemples. Pourriez-vous nous présenter avec plus de précision le dispositif de « présomption de contrainte » adopté par le Sénat, dans le cadre de votre proposition de loi ?
Mme Laure Darcos. - Lorsque vous avez présenté vos travaux devant le groupe Les Républicains du Sénat il y a quelques semaines, j'ai pu constater l'émotion qui a saisi certains de nos collègues. Si un garçon de 8 ans joue en réseau à un jeu de guerre du Moyen Âge, avec une soi-disant mère de famille de 35 ans, il faut aussi lui expliquer que celle-ci a d'autres choses à faire. Les parents doivent être vigilants en matière de jeu en ligne et veiller à ce que ces personnes malintentionnées n'importunent pas leurs enfants...
La présomption de contrainte que vous proposez résoudrait peut-être les difficultés du Gouvernement sur l'article 2. Au cours de l'examen de votre proposition de loi en séance, au Sénat, je n'ai pas eu l'impression d'un vrai débat avec la ministre. J'ai proposé un article additionnel, voté sur tous les bancs, sur la responsabilité de l'entourage. Il a été repris par un député de La République en marche et voté par l'Assemblée lors de l'examen du projet de loi, sans mentionner que c'était une initiative du Sénat... Ce n'est pas très élégant.
Le procureur de la République de mon département m'a indiqué que la justice serait favorable à un âge minimal de consentement à un rapport sexuel, qu'il estime à 13 ans. Certains préfèreraient un autre seuil, mais nous devons réussir à obtenir une position commune, pour être plus forts.
Mme Annick Billon, présidente. - Les débats à l'Assemblée nationale sont révélateurs de l'attitude de la secrétaire d'État depuis le début de son mandat. L'objectif devrait être de protéger les mineurs. Le projet de loi du Gouvernement le fait-il mieux ? Je n'en suis pas persuadée. L'article 2 a été très mal compris dans l'hémicycle ainsi que par le grand public. C'est difficile de défendre un tel article alors que le Président de la République s'était prononcé à l'automne dernier en faveur d'un seuil d'âge de 15 ans en-dessous duquel il serait acquis que la victime n'a pu consentir. Cela a forcément créé une attente.
Mme Laure Darcos. - Lors d'une émission de Public Sénat, l'une des invitées proposait même un seuil à 18 ans !
Mme Annick Billon, présidente. - L'annonce du Président a été immédiatement comprise du grand public. Chacun a sa sensibilité. Le procureur François Molins nous a rappelé que l'âge de treize ans a une certaine cohérence en droit pénal. Ainsi, l'ordonnance de 1945 fixe l'âge du discernement du mineur à treize ans. Peut-on coupler votre proposition de loi avec le seuil d'âge de treize ans ? La loi fixe un interdit. Instaurer un seuil simplifierait les choses. La proposition de loi est importante dans l'inversion des charges de la preuve, mais quel écart d'âge serait acceptable, lorsque vous mentionnez une « différence d'âge significative » ?
Mme Laurence Cohen. - Merci pour votre exposé extrêmement précis, réfléchi et humain, qui nous a fait du bien. On nous demande de légiférer sur un sujet sensible. J'assume et je revendique d'être une militante féministe, mais je ne savais pas qu'il y avait un tel décalage, une absence absolue de protection des enfants, et j'ai été horrifiée. Des juges sont capables de parler d'une histoire d'amour entre une enfant de six ans et un adulte ! Notre première responsabilité, c'est de protéger l'enfant.
Le dialogue avec la secrétaire d'État semble difficile. L'article 2 a été d'autant plus rejeté que les parlementaires et les associations féministes ont eu l'impression de ne avoir été ni écoutés, ni entendus.
La société doit poser un interdit. Je suis plutôt favorable au seuil d'âge de quinze ans - j'ai déposé une proposition de loi en ce sens -, mais treize ans serait déjà mieux que rien. Comme l'a fait le Conseil français des associations pour les droits de l'enfant (Cofrade), coordination d'associations, pourrait-on proposer qu'entre zéro et treize ans, il y ait une présomption irréfragable, et de treize à quinze ans une présomption simple de non-consentement ? Entre quinze et dix-huit ans, il faudrait assurer la protection au cas par cas. Cela nuance plus les choses.
Sur le projet de loi, outre les déclarations fracassantes sur son caractère révolutionnaire, on nous déclare que nous n'aurions rien compris, et que l'article 2 permettrait une réelle protection. Mais cela aboutit quand même à une déqualification du viol, à travers la création d'une « atteinte sexuelle avec pénétration ». Le message est confus.
Mme Victoire Jasmin. - En Guadeloupe, l'actualité est marquée par le viol d'une fille de treize ans par cinq jeunes de dix-sept ans. Les réseaux sociaux prétendent qu'elle est fautive. Voilà la vraie vie, il y a un problème de perception par l'opinion. Nous sommes au coeur du sujet...
Mme Dominique Vérien. - L'inversion de la charge de la preuve que vous proposez ne va-t-elle pas à l'encontre du principe de présomption d'innocence ? Il faudrait alors prouver son innocence...
Mme Marie Mercier, rapporteur. - Voyons ce que le Gouvernement veut faire sur le fond à travers ce projet de loi.
Au cours de l'examen du projet de loi par l'Assemblée nationale, plusieurs dispositions adoptées au Sénat dans le cadre de l'examen de la proposition de loi dont j'avais pris l'initiative ont été repris par des députés sans nous citer. Ce n'est pas très juste. Nous travaillons tous dans le même sens pour mieux protéger les enfants.
Le Gouvernement veut bien faire. Pour l'article 2, l'idée était d'éviter que le cas de Melun ne se reproduise, et qu'un violeur sorte du tribunal après avoir été acquitté.
Mme Laure Darcos. - La correctionnelle serait une meilleure solution que les assises ?
Mme Marie Mercier, rapporteur. - La correctionnelle est une meilleure solution qu'une absence de solution. Le viol est un crime qui doit être jugé aux assises, mais il y a souvent un délai de sept ans entre le dépôt de la plainte et le jugement. Ce qui est clair, c'est que nous ne devons pas faire la loi en fonction du temps de la justice ni de l'activité médiatique. L'arsenal répressif existe, avec le délit d'atteinte sexuelle sur mineurs de moins de quinze ans, à l'article 227-25 du code pénal. Le Cofrade a renoncé à la présomption irréfragable en raison de la présomption d'innocence et du risque d'inconstitutionnalité. Pour toutes ces raisons, je pense que la présomption de contrainte est une bonne solution.
Mme Marie-Pierre Monier. - Fixer un seuil de quinze ans dans la loi permettrait une condamnation plus systématique et serait donc plus protecteur pour les jeunes victimes.
Mme Marie Mercier, rapporteur. - C'est déjà le cas avec l'article 227-25 du code pénal, qui réprime l'atteinte sexuelle d'une personne majeure sur un mineur de quinze ans, sans avoir à prouver la contrainte, la menace, la violence ou la surprise. Fixer un âge présente le mérite de la simplicité, mais ne soyons pas simplistes cependant. Avec la présomption de contrainte, le juge disposerait d'une certaine souplesse d'interprétation, que nous devons accepter, car aucun cas ne ressemble à un autre, même si c'est inconfortable.
Pour les mineurs auteurs, il n'y a pas de seuil d'âge minimal de responsabilité pénale : seul leur discernement est pris en compte. À partir de treize ans, seuls les mineurs reconnus responsables pénalement peuvent être condamnés à une peine d'emprisonnement.
Nous vous proposons une voie qui protège davantage - parce qu'elle protège tous les mineurs, jusqu'à dix-huit ans - plutôt qu'un seuil qui peut être dénué de sens suivant les enfants.
Mme Annick Billon, présidente. - Vos deux critères sont l'absence de discernement et l'écart d'âge significatif.
Mme Marie Mercier, rapporteur. - Une relation entre un homme de trente ans et une femme de quarante-cinq ans ne pose pas de difficulté alors qu'une relation entre une enfant de douze ans et un homme de dix-neuf ans, si ! Il convient de rester souple. Certains enfants précoces ont le quotient intellectuel d'un adulte dès l'âge de sept ans, mais le quotient émotionnel d'un enfant de quatre ans. Je connais bien ce sujet. Ne nous enfermons pas dans des dogmes ou des idéologies. Conservons plutôt la règle qui est dans la loi : il est interdit de toucher à un enfant. Enrichissons la loi en l'amendant, afin qu'elle obtienne de bons résultats.
Mme Annick Billon, présidente. - Chère collègue, nous vous remercions pour votre éclairage et pour tous ces éléments qui nous sont très utiles dans la préparation de notre rapport d'information sur le projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes.
Nous allons travailler pour essayer de trouver une solution consensuelle, qui répondrait aux attentes des uns et des autres.
Échange de vues sur le projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes
Mme Annick Billon, présidente. - Mes chers collègues, notre réunion se poursuit par un échange de vues sur le projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes. Qui souhaite intervenir ?
Mme Laurence Rossignol. - À mon sens, nous serons confrontés, dans le cadre de l'examen de ce projet de loi, à deux catégories de problèmes : un politique et un juridique, qui est plus technique.
Il y a un problème politique car le Président de la République a déclaré être favorable à un seuil de quinze ans en deçà duquel toute relation sexuelle entre une personne majeure et un mineur serait interdite. La secrétaire d'État était également intervenue avec fermeté dans ce sens, jusqu'à ce que nous découvrions le projet de loi qui ne comporte pas une telle disposition. On aurait peut-être pu éviter la crispation actuelle si les raisons de ce changement avaient été expliquées. Les relations sont donc dégradées entre la secrétaire d'État et le monde associatif. Ce climat tendu aboutit à ce qu'une loi qui aurait pu être acceptée fasse l'objet d'un certain rejet. On ne peut que le regretter.
Quant au problème juridique, la proposition de loi dont Marie Mercier était rapporteur n'a pas toujours été bien comprise - on lui a reproché l'absence de seuil d'âge. Ce texte est si sophistiqué du point de vue pénal qu'il en devient difficilement compréhensible par l'opinion publique. Il est probable que le Gouvernement ne s'y ralliera pas. Dès lors, pour montrer que le Sénat répond à la demande des associations de protection de l'enfance et d'une partie du monde judiciaire, décidons-nous de nous arc-bouter sur la proposition de loi, qui ne parviendra jamais au terme de la navette parlementaire, ou trouvons-nous une solution prouvant que nous avons compris le problème, les objectifs, les solutions ? Il faudra défendre ce texte devant les pénalistes. Nous nous sommes probablement trompés depuis le début en cherchant à aller sur le terrain de la présomption de non-consentement en cas de viol.
Mme Annick Billon, présidente. - La majorité des rapports de la délégation aux droits des femmes, qui portent sur des sujets de société, ont été adoptés à l'unanimité. Nous devrions réussir à tenir une position qui honorerait le Sénat et qui valoriserait le travail de Marie Mercier.
Mme Laurence Rossignol. - Une relation sexuelle entre une personne majeure et un mineur doit être traitée comme un viol. Comme un viol, cela veut dire en tant que viol et autant qu'un viol, sinon nous sommes dans une voie juridique vouée à l'échec. Il n'y a pas de présomption en droit pénal - c'est un principe général du droit - mais en droit civil uniquement. J'ai relu l'avis du Conseil d'État et le texte du Gouvernement. J'ai déjà changé d'avis plusieurs fois depuis le mois d'octobre. À cette étape, à l'issue de mes réflexions, il me semble pertinent de sanctionner par des mêmes peines que le viol toute relation sexuelle entre une personne majeure et un mineur de moins d'un certain âge. Je suis favorable au seuil de treize ans. Il évite de rentrer dans le débat sur les différences de maturité entre enfants. La peine ne pourrait pas être inférieure au viol aggravé sur un mineur, soit vingt ans de réclusion. Le parquet conserverait néanmoins l'opportunité des poursuites, avec la possibilité, s'il le souhaite, de déqualifier les faits en délit passible d'un jugement au tribunal correctionnel, comme c'est le cas actuellement.
De même, le procès pénal garantira toujours les droits de la défense. Le mis en cause pourra toujours faire valoir qu'il ne connaissait pas l'âge de la victime et, le cas échéant, aboutir à un acquittement. On ne peut pas interdire à un avocat d'arguer du consentement de la victime, si les faits ne sont pas établis. Qu'est-ce qui serait alors inconstitutionnel ? Le législateur édicte ce qui relève d'un crime ou d'un délit.
Mme Annick Billon, présidente. - Nous pourrions proposer une formule prévoyant que toute relation sexuelle entre une personne majeure et un mineur de moins de treize ans est punie de la peine prévue à l'article 222-24 sur le viol aggravé. Il n'y aurait pas dans ce cas à s'interroger sur l'existence de menace, de contrainte, de violence ou de surprise.
Mme Laurence Rossignol. - On créerait une nouvelle infraction.
Mme Annick Billon, présidente. - Ce serait un nouvel interdit, de même que l'atteinte sexuelle condamne une relation sexuelle avec un mineur de moins de quinze ans.
Mme Laurence Rossignol. - Le Gouvernement prétend que le Conseil d'État y serait défavorable, mais j'ai relu l'avis du Conseil. Ce dernier était très réservé sur l'outrage sexiste, qui relève selon lui du pouvoir réglementaire. Or l'article 2 du projet de loi a été maintenu. La lecture du Gouvernement est à géométrie variable...
Le problème sera politique. Il faut convaincre qu'une telle mesure ne porterait atteinte à aucun principe de droit pénal.
Mme Laurence Cohen. - Pour moi, une relation sexuelle suppose la pénétration. Qui dit pénétration non consentie dit viol. Aussi, le projet de loi n'envoie-t-il pas un signal négatif en créant l'infraction délictuelle d'atteinte sexuelle avec pénétration ? Auquel cas, on aboutirait au paradoxe de considérer comme un crime le viol commis sur une personne majeure, quand le viol sur un mineur de quinze ans serait un délit.
Mme Laure Darcos. - Le viol a beau être un crime, il est souvent déqualifié en délit et les faits sont jugés devant le tribunal correctionnel. Cela aboutit donc à sanctionner des viols comme des attouchements.
Mme Laurence Rossignol. - Le code pénal distingue les atteintes sexuelles avec pénétration du reste. Ce que je vous propose ne change rien au code pénal sur le terrain délictuel, mais y ajoute une infraction criminelle avec pénétration qui, commise par une personne majeure sur un mineur, serait sanctionnée comme un viol.
C'est finalement un peu ce que fait le projet de loi, sauf que ce dernier insère cette nouvelle infraction d'atteinte sexuelle avec pénétration dans le volet délictuel du code pénal. Or il faut la considérer comme un crime, car c'est bien de cela qu'il s'agit.
En outre, je suis favorable à la disposition de l'article 2 prévoyant que, lorsque l'infraction de viol ne sera pas retenue par la cour d'assises, la question subsidiaire relative à l'atteinte sexuelle sur mineur de quinze ans aggravée par la pénétration sexuelle devra être obligatoirement posée, si la personne est mise en accusation pour des faits de viol sur mineurs de quinze ans. Cela permettra d'éviter tout acquittement dans ces situations. C'est une bonne chose.
À mon avis, il faut sortir du raisonnement sur l'instauration d'une présomption de non-consentement, car on nous opposera toujours qu'une telle mesure serait contraire aux droits de la défense et à la présomption d'innocence.
L'objectif sous-jacent du dispositif retenu par le projet de loi est aussi de désengorger les cours d'assises. Aujourd'hui, 80 % des affaires qui y sont jugées concernent les infractions sexuelles.
Certes, la réforme de la justice envisagée par le Gouvernement prévoit l'expérimentation de tribunaux criminels départementaux. Mais l'élaboration de la loi ne saurait être contrainte par les problèmes de fonctionnement de la justice. De plus, on ne peut pas s'appuyer sur des dispositifs qui n'ont pas encore été votés.
Mme Dominique Vérien. - Les formes de jugement alternatives à la cour d'assises permettent sans doute d'offrir une plus grande confidentialité. Souvent, au cours des procès aux Assises, les victimes doivent faire état publiquement de leur intimité, ce qui peut être perturbant.
Mme Laurence Rossignol. - Dans les affaires de mineurs, les assises statuent généralement à huis clos.
Pour en revenir au projet de loi, il complète l'article 227-25 du code pénal relatif à l'atteinte sexuelle en créant une atteinte sexuelle avec pénétration, avec une peine aggravée : les associations s'en offusquent car elles considèrent que des faits de viol ne seront de ce fait plus jugés aux assises comme des crimes, mais au tribunal correctionnel comme des délits. Cela ne ferait donc que renforcer la tendance à la correctionnalisation des viols.
On peut regretter que le Gouvernement ait reculé devant le risque d'inconstitutionnalité invoqué par le Conseil d'État s'agissant de la présomption de non-consentement. Pourtant, personne ne peut préjuger de ce que dira le Conseil constitutionnel. J'en veux pour preuve le projet de loi sur l'extension du délit d'entrave à l'IVG que j'ai porté devant le Parlement. On m'avait annoncé une censure du juge constitutionnel. Or ce dernier a validé la loi.
Mme Annick Billon, présidente. - Il est important que nous débattions de tous ces sujets pour mettre en valeur le rôle du Sénat, en nous appuyant notamment sur les travaux de la commission des lois.
Je rappelle que je m'étais abstenue en séance sur la proposition de loi de Marie Mercier, en tant que présidente de la délégation aux droits des femmes, car je ne voulais pas préjuger des conclusions de nos travaux, qui étaient alors en cours. Il ne s'agissait nullement d'une remise en cause de l'excellent travail accompli par Marie Mercier et ses collègues.
Mme Laurence Rossignol. - Je pense qu'il faudrait reprendre certains éléments de la proposition de loi Bas-Mercier, notamment son volet prévention. La grande force de ce texte est qu'il s'agit d'une loi d'orientation et de programmation. À cet égard, il porte une ambition plus grande que le projet de loi du Gouvernement.
Mme Annick Billon, présidente. - Il est temps de nommer un rapporteur sur le projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes.
Mme Laurence Cohen. - Il me semble qu'il serait politiquement pertinent de nommer un rapporteur par groupe sur ce texte. Nous n'en serons que plus forts lors de sa discussion.
Mme Laure Darcos. - Cela me paraît effectivement important. L'idéal serait de pouvoir déposer des amendements transpartisans au moment de la discussion en séance publique.
Mme Annick Billon, présidente. - Je vous rejoins sur ce point. Voici la liste des candidats pour chaque groupe :
- Laure Darcos pour le groupe Les Républicains ;
- Laurence Rossignol pour le groupe Socialiste et républicain ;
- Laurence Cohen pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste ;
- Françoise Laborde pour le groupe du rassemblement démocratique et social européen ;
- Noëlle Rauscent pour le groupe La République En Marche ;
- et moi-même pour le groupe Union centriste.
Tout le monde est d'accord ? Il en est ainsi décidé.
Nous devons expertiser plus avant la proposition formulée par Laurence Rossignol avant d'en reparler. Il nous faudra trouver un consensus d'ici l'examen du texte par la commission des lois. Cela va venir très vite.
Notre objectif est clair : protéger les femmes, et notamment les mineurs, des violences sexuelles.
Le projet de loi propose des avancées, mais le Gouvernement a sans doute manqué de pédagogie. Il y a un vrai sujet sur la forme et sur le fond.
Mme Laurence Rossignol, co-rapporteure. - L'enjeu est important. Il s'agit de montrer l'utilité et la pertinence des apports du Sénat dans la navette parlementaire.
Mme Laure Darcos, co-rapporteure. - Il me paraît nécessaire à cet égard de faire savoir que certains amendements adoptés à l'Assemblée nationale sur ce texte sont d'origine sénatoriale, même si cela n'a pas été précisé...
Au-delà de l'incompréhension des associations sur le projet de loi, j'ai entendu des remontées de terrain selon lesquelles des subventions de certaines associations seraient revues à la baisse. Or les associations jouent un rôle de première importance dans la lutte contre les violences. C'est totalement paradoxal et en contradiction avec la « Grande cause du quinquennat ». Il faut donc se mobiliser.
Mme Annick Billon, présidente, co-rapporteure. - Avant de nous séparer, je vous informe que nous aurons un programme chargé au mois de juin, avec plusieurs auditions dédiées à la préparation du rapport sur le projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes :
- jeudi 7 juin : audition du Conseil Français des Associations pour les Droits de l'Enfant (COFRADE) ;
- mardi 12 juin à 18h00 : audition de Danielle Bousquet, présidente du HCE ;
- mardi 19 juin à 18h00 : audition de Marie-Pierre Rixain, présidente de la délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale.
Je vous rappelle également que la même semaine, nous examinons deux rapports de la délégation :
- le 12 juin, à 13 heures, le rapport d'information sur les violences faites aux femmes dans leur spectre large, qui est le bilan de nos travaux de cette session ;
- le 14 juin, à 8h30, le rapport sur le projet de loi.
Nos délais sont contraints car nous devons être prêts dans l'hypothèse d'une inscription du projet de loi à l'ordre du jour du Sénat qui serait anticipée. Or nous devons, pour assurer la cohérence entre ces deux rapports, qui sont en quelque sorte imbriqués, les examiner quasiment conjointement.
Mes chers collègues, je vous remercie pour votre contribution active à nos débats.
- Présidence conjointe de Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, et de M. Philippe Bas, président de la commission des lois -
Projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes - Audition de Mmes Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice, et Marlène Schiappa, secrétaire d'État chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. - Avec Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, nous sommes heureux d'accueillir Mmes Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice, et Marlène Schiappa, secrétaire d'État chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes, pour cette audition sur le projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, dont Marie Mercier, qui était déjà rapporteur de la proposition de loi d'orientation et de programmation du Sénat pour une meilleure protection des mineurs victimes d'infractions sexuelles, sera rapporteur. Je tiens à dire d'emblée qu'il n'y a pas d'opposition, entre le Gouvernement et le Sénat, sur les objectifs poursuivis. Chacun est convaincu de la nécessité d'une prise de conscience collective et il convient de donner un coup d'arrêt à un certain nombre de comportements qui ne devraient plus avoir cours à notre époque. Être d'accord sur les fins toutefois n'empêche pas de discuter des moyens ; ce n'est pas parce que les objectifs poursuivis sont d'une légitimité incontestable que les moyens le sont aussi.
Grâce aux échanges entre la commission des lois et la délégation aux droits des femmes, et à la réflexion menée dans le cadre d'un groupe de travail pluraliste constitué par la commission des lois à l'automne dernier, le Sénat a formulé des propositions. Cela ne fut pas en vain : non seulement nous sommes déjà d'accord sur l'allongement du délai de prescription à trente ans pour les crimes sexuels commis à l'encontre des mineurs, mais en plus, nous avons eu le bonheur de constater que les députés de la majorité parlementaire ont su faire usage de nos travaux, les reprenant parfois mot pour mot dans leurs amendements, même dans leurs objets : ainsi des dispositions qui s'étaient vu opposer un avis défavorable du Gouvernement au Sénat ont été adoptées par l'Assemblée nationale avec un avis favorable du Gouvernement... C'est le cas pour l'extension de la surqualification pénale de l'inceste aux viols et agressions sexuelles commis à l'encontre de majeurs, de l'aggravation des peines encourues pour atteinte sexuelle sur mineur de quinze ans et de l'aggravation des peines pour non-assistance ou pour non-dénonciation des agressions et atteintes sexuelles commises à l'encontre des mineurs. En quelque sorte, le Sénat sert ainsi de bureau législatif aux députés de la majorité parlementaire, et nous aurions pu y voir une sorte d'hommage, si notre travail avait été cité... Hélas, cela n'a pas été le cas.
Nous avons aussi noté un progrès important sur le fond : le Gouvernement a clairement renoncé à un dispositif de nature inconstitutionnelle en abandonnant l'idée de créer une situation dans laquelle un agresseur aurait pu être condamné à vingt ans de prison sans avoir la possibilité de se disculper ; c'est ce qu'on appelle une présomption irréfragable de culpabilité. Celle-ci figurait dans le projet initial du Gouvernement, qui voulait certainement réagir à l'actualité. Mais après avoir pris le temps de la réflexion, et après avoir consulté le Conseil d'État, il a admis qu'une telle disposition était impossible dans un État de droit. En tant que président de la commission des lois, il m'appartient aussi, au risque d'apparaître parfois sans doute ringard, de veiller au respect des droits de la défense et de l'État de droit.
Nous nous demandons aussi pourquoi le Gouvernement a inscrit dans ce texte des dispositions qui relèvent du pouvoir réglementaire. La Chancellerie considère-t-elle désormais que les contraventions relèvent du domaine législatif ? Il faudrait dans ce cas modifier l'article 34 de la Constitution à l'occasion de la prochaine révision constitutionnelle ! D'autres dispositions relèvent aussi plutôt d'une circulaire ou d'une directive aux parquets de la direction des affaires criminelles et des grâces : c'est le cas, par exemple, d'une disposition précisant comment interpréter la notion de contrainte, qui est l'un des éléments constitutifs du viol. Nous devons aussi à cet égard être cohérents avec le travail que le Gouvernement a engagé, dans son projet de révision de la Constitution, en matière d'irrecevabilité des amendements dépourvus de portée normative ou qui relèvent du domaine réglementaire.
Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes. - Je tiens tout d'abord à remercier le président de la commission des lois d'avoir bien voulu associer la délégation aux droits des femmes à cette audition. Les violences faites aux femmes constituent pour nous une préoccupation constante. Ce projet de loi était très attendu depuis les annonces de Mme Schiappa au mois d'octobre dernier. Nous l'examinons désormais selon la procédure accélérée. Notre délégation a mis à profit les cinq mois entre l'annonce du projet de loi et sa présentation au conseil des ministres en mars pour mener une série d'auditions sur la problématique globale des violences faites aux femmes, qu'il s'agisse des violences sexuelles, intrafamiliales, conjugales, du harcèlement sexuel, des violences en ligne, etc. Certaines des conclusions de nos travaux se traduiront sous forme d'amendements au projet de loi. Celui-ci suscite d'énormes attentes de la part des associations de protection de l'enfance et de lutte contre les violences faites aux femmes, plus particulièrement des associations de victimes, notamment sur la question de la protection des mineurs. Je veux, à cet égard, souligner l'intérêt de la proposition de loi d'orientation et de programmation pour une meilleure protection des mineurs victimes d'infractions sexuelles, présentée par nos collègues Philippe Bas et Marie Mercier, et adoptée par le Sénat le 27 mars dernier. Ce texte constituera certainement une source d'inspiration dans le cadre de nos débats à venir. Notre objectif est de trouver la solution la plus protectrice pour les victimes et plus particulièrement pour les plus jeunes. Je tiens enfin, mesdames les ministres, à vous remercier de votre présence. Les membres de la délégation aux droits des femmes, en particulier, sont très heureux d'accueillir ce soir Mme Marlène Schiappa, puisque nous n'avons pas pu l'entendre au sein de notre délégation depuis le 20 juillet 2017.
Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. - Ce projet de loi est le fruit de la volonté forte exprimée par le Président de la République lors de son discours du 25 novembre 2017, à l'occasion de la Journée internationale pour l'élimination des violences à l'égard des femmes, de lutter contre les violences sexuelles et sexistes. Ses dispositions s'inspirent des nombreux rapports relatifs à l'amélioration du droit des femmes et à la défense des enfants victimes. Je pense ici, entre autres, à l'excellent rapport de la Mission de consensus Flament-Calmettes, qui a travaillé sur la délicate question de l'adaptation de notre droit de la prescription en matière de crimes sexuels commis sur les mineurs.
Ce texte permet aussi de répondre à l'incompréhension suscitée par des affaires judiciaires récentes, dans lesquelles des fillettes de onze ans ont pu être considérées comme ayant consenti à des rapports sexuels avec des hommes majeurs. Ce projet de loi permet enfin, dans le contexte, qui a suivi l'affaire Weinstein, de libération de la parole, d'améliorer notre législation pour lutter contre toutes les formes de harcèlement, qu'il soit commis sur internet ou dans la rue.
Je sais que le Sénat a mené un travail de réflexion sur le sujet, qui a abouti à l'adoption d'une proposition de loi en mars dernier. Sur certains points, nos deux textes présentent des différences, notamment sur le recours à la notion de présomption de contrainte qui figure dans la proposition sénatoriale, là où le Gouvernement a fait le choix d'une disposition de nature interprétative. Mais les deux textes présentent également un certain nombre de similitudes : l'allongement de la prescription à trente ans, l'extension de la surqualification pénale de l'inceste aux viols et agressions sexuelles commis à l'encontre de majeurs, l'aggravation - de cinq à sept ans - de la peine d'emprisonnement encourue en matière d'atteinte sexuelle, l'aggravation des peines d'emprisonnement pour les délits de non-assistance à personne en danger ou de non-dénonciation de mauvais traitements, lorsque ces délits sont commis sur des mineurs de quinze ans. Il m'apparaît donc que, au-delà de nos divergences sur la présomption, qui semblent difficilement surmontables d'un point de vue juridique, nous devrions pouvoir nous rejoindre sur certains points.
Ce projet de loi renforce de façon significative notre arsenal législatif répressif en matière de lutte contre les violences sexuelles, d'une part, et de lutte contre toutes les formes de harcèlement, d'autre part. Je présenterai le premier point et Marlène Schiappa vous présentera le second.
L'article 1er allonge le délai de prescription de l'action publique pour les crimes sexuels commis sur des mineurs, le portant de vingt à trente ans à compter de la majorité de ces derniers. Cette modification est apparue indispensable afin de laisser davantage de temps aux victimes pour porter plainte et de faciliter la répression de tels actes, notamment lorsqu'ils sont incestueux. Cet allongement de la prescription est cohérent avec l'augmentation générale des délais de prescription opérée par la loi du 27 février 2017. Avant cette réforme, qui a porté la prescription de dix à vingt ans pour l'ensemble des crimes, la prescription des crimes sexuels sur mineurs était déjà de vingt ans, donc plus longue que la prescription de droit commun. Il n'est donc pas absurde de rétablir la différence qui préexistait entre la prescription des crimes de droit commun et celle des crimes sexuels sur mineurs. Cet allongement est ensuite utile pour donner aux victimes le temps nécessaire pour dénoncer les faits, en prenant notamment en compte les mécanismes de la mémoire traumatique, et éviter ainsi l'impunité de leurs auteurs. Le délai de trente ans commençant à courir à compter de la majorité de la victime, celle-ci pourra porter plainte jusqu'à l'âge de quarante-huit ans, au lieu de trente-huit ans actuellement. À l'Assemblée nationale, plusieurs amendements visant à rendre imprescriptibles les crimes sexuels commis sur des mineurs ont été repoussés. En effet, il apparaît que l'imprescriptibilité doit être limitée aux crimes qui, par nature, sont imprescriptibles, à savoir les crimes contre l'humanité, notamment le crime de génocide. Par ailleurs, le délai de trente ans que nous avons retenu est celui qui est déjà prévu par notre droit pour les crimes les plus graves autres que les crimes contre l'humanité, comme les crimes de guerre, d'eugénisme et de terrorisme. Enfin, une imprescriptibilité des crimes sexuels sur mineurs serait très vraisemblablement censurée par le Conseil constitutionnel. Dans sa décision du 22 janvier 1999 sur le traité portant statut de la Cour pénale internationale, le Conseil n'a admis, en effet, l'imprescriptibilité que pour les crimes « touchant l'ensemble de la communauté internationale », ce qui n'est pas le cas des crimes commis à l'encontre des mineurs, en dépit de leur extrême gravité. C'est notamment pour ces raisons que le rapport Flament-Calmettes n'avait pas préconisé l'imprescriptibilité, mais plutôt un allongement de la prescription à trente ans. En revanche, le Gouvernement a donné un avis favorable sur un amendement des députés visant à compléter la liste des crimes pour lesquels la prescription est trentenaire, en y ajoutant le meurtre et l'assassinat en toutes circonstances, et pas seulement lorsque les faits sont accompagnés de tortures, dès lors que ces crimes sont commis sur des mineurs.
L'article 2, qui comprend trois mesures, est celui qui suscite le plus de débats. Tout d'abord, en matière de viol et d'agression sexuelle, il complète l'article 222-22-1 du code pénal : lorsque les faits sont commis sur la personne d'un mineur de quinze ans, la contrainte morale ou la surprise peuvent résulter de l'abus de l'ignorance de la victime ne disposant pas de la maturité ou du discernement nécessaire pour consentir à ces actes. Ensuite, en matière d'atteintes sexuelles sur mineur de quinze ans, le texte double les peines encourues, à hauteur de dix ans d'emprisonnement et de 150 000 euros d'amende, lorsqu'un acte de pénétration sexuelle a été commis par le majeur. Enfin, en cas de comparution devant la cour d'assises pour des faits de viol sur mineur de quinze ans, la question subsidiaire sur la qualification d'atteintes sexuelles devra obligatoirement être soulevée par le président de la cour d'assises si l'existence d'une violence, contrainte, menace ou surprise est contestée. Lors de la discussion à l'Assemblée nationale, l'esprit des dispositions contenues dans cet article a été préservé ; en revanche, tous les amendements qui tendaient à créer une présomption légale ou à retenir un seuil spécifique de treize ans ont reçu un avis défavorable du Gouvernement et ils n'ont pas été adoptés. Pour quelles raisons avons-nous agi ainsi ? Éclairé par l'avis très précis et très ferme du Conseil d'État, le Gouvernement a retenu la seule solution juridique possible pour améliorer la lutte contre les infractions sexuelles commises sur des mineurs. Je le répète, notre volonté ferme est que l'ensemble de ces crimes soient effectivement punis. Cette solution juridiquement acceptable consiste à préciser la notion de contrainte morale ou de surprise lorsqu'une atteinte sexuelle est commise sur un mineur de quinze ans. Dans cette hypothèse, l'objectif est de favoriser le recours à la qualification de viol ou d'agression sexuelle. En outre, l'objectif est d'aggraver la répression des pénétrations sexuelles sur mineur lorsque celles-ci ne constituent pas un viol. Il n'est pas possible de prévoir des règles spécifiques pour les mineurs de treize ans, car il nous a semblé que la fixation d'un double seuil d'âge à quinze ans, pour préciser les notions de contrainte et de surprise, et à treize ans, dans d'autres cas, aboutirait à une réforme particulièrement complexe, illisible et incompréhensible pour l'opinion publique. Surtout la fixation d'un seuil de treize ans donnerait, à tort, l'impression qu'une atteinte sexuelle commise par un majeur sur un mineur plus âgé, ayant entre treize et quinze ans, serait licite, voire tolérable, ce qui n'est évidemment pas acceptable. C'est pourquoi nous avons jugé préférable que le code pénal ne fixe qu'un seul et unique seuil, celui de quinze ans.
Comme l'a relevé le Conseil d'État, l'institution d'une présomption irréfragable en matière criminelle serait contraire aux exigences constitutionnelles de respect de la présomption d'innocence. Si un tel mécanisme est acceptable en matière contraventionnelle, voire pour certains délits, il ne peut s'appliquer à des crimes. Ont également été rejetés les amendements visant à faire de l'atteinte sexuelle sur mineur de quinze ans un viol ou une agression sexuelle, sans condition de violence, menace, contrainte ou surprise, en raison des réserves appuyées du Conseil d'État sur la constitutionnalité d'une telle disposition.
Les députés ont utilement amélioré la rédaction de la disposition interprétative relative aux notions de contrainte et de surprise en préférant l'abus de la vulnérabilité à l'abus d'ignorance et en supprimant la référence trop incertaine à la maturité. Lorsque les faits sont commis sur un mineur de quinze ans, la contrainte morale et la surprise sont effectivement caractérisées par l'abus de la vulnérabilité de la victime ne disposant pas du discernement nécessaire pour consentir à ces actes. L'article 2 a, en outre, été complété par plusieurs dispositions. La définition du viol a tout d'abord été revue, afin que tout acte de pénétration permette de caractériser l'infraction, qu'il soit commis sur la personne de la victime ou sur l'auteur. Le viol sera ainsi constitué par un acte de pénétration de toute nature, commis sur ou avec la personne d'autrui. La notion d'inceste a, par ailleurs, été étendue aux victimes majeures, comme le prévoyait votre proposition de loi, ainsi qu'aux faits commis par un cousin germain, lorsque celui-ci a autorité sur la victime. En outre, les peines encourues pour le délit d'atteinte sexuelle sur mineur de quinze ans sans pénétration - soit en pratique des attouchements - ont été portées à sept ans d'emprisonnement et à 100 000 euros d'amende. La définition du délit a été reformulée pour préciser que l'incrimination s'applique hors les cas de viol ou d'agression sexuelle. Il s'agit, là encore, d'une reprise de la proposition sénatoriale.
Plusieurs amendements ont, par ailleurs, permis d'enrichir utilement le cadre juridique en matière de répression des infractions sexuelles ou violentes. Les articles 2 bis et 2 bis B modifient le code de l'action sociale et des familles pour préciser que la politique de prévention du handicap mise en oeuvre par l'État, les collectivités territoriales et les organismes de protection sociale doit comprendre des actions de sensibilisation, de prévention et de formation concernant les violences, notamment sexuelles, à destination des professionnels et des personnes en situation de handicap. L'article 2 bis C aggrave les peines encourues à sept ans d'emprisonnement et 100 000 euros d'amende pour le délit de non-assistance à personne en danger et à cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende pour celui de non-dénonciation de mauvais traitement ou d'infraction sexuelle lorsque la victime est un mineur de quinze ans, comme le prévoyait le texte sénatorial. L'article 2 bis D étend la communication d'informations issues du fichier des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes aux présidents d'établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), par l'intermédiaire des préfets, comme cela se fait pour les maires. Enfin, l'article 2 bis E prévoit, dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la loi, la remise d'un rapport du Gouvernement sur les dispositifs locaux d'aide aux victimes d'infractions sexuelles et d'un rapport sur les dispositifs locaux d'aide à la mobilité de ces mêmes victimes.
Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État chargée de l'Égalité entre les femmes et les hommes. - Je suis heureuse de présenter notre projet de loi devant le Sénat, dont l'approche s'avère toujours précieuse. Il représente le fruit d'un travail engagé avant même l'élection du Président de la République, qui a qualifié l'égalité entre les femmes et les hommes de grande cause du quinquennat. Les attentes exprimées cet automne par les 55 000 participants au Tour de France de l'égalité ont confirmé notre ressenti : l'égalité réelle entre les femmes et les hommes est un voeu pieux si la société tolère que s'exercent massivement des violences sexistes et sexuelles. Le présent projet de loi constitue une réponse efficace et concrète à l'exigence de mieux condamner les infractions sexuelles, de mieux sanctionner les auteurs des violences et, ainsi, de mieux protéger les victimes, notamment mineures. Nous partageons tous le même objectif ! Ce consensus s'est exprimé dans les différents travaux dont le Gouvernement s'est inspiré pour élaborer le texte : la Mission de consensus menée l'an passé par Flavie Flament et Jacques Calmettes sur la prescription applicable aux crimes sexuels commis sur les mineurs ; les travaux parlementaires réalisés par la délégation aux droits des femmes et à l'égalité de l'Assemblée nationale, par les députés du groupe de travail sur la verbalisation du harcèlement de rue, ainsi que par le groupe de travail sénatorial sur les infractions sexuelles commises à l'encontre des mineurs ; enfin, la mission pluridisciplinaire d'experts installée par le Premier ministre.
Ces travaux ont mis en évidence un même constat : trop peu d'agresseurs sont poursuivis et donc punis pour leurs actes. Seulement 10 % des victimes de violences sexuelles portent plainte et seulement 10 % des plaintes aboutissent à des condamnations : 1 % des violeurs sont donc condamnés. Le projet de loi vise en conséquence à améliorer la sanction des violences sexistes et sexuelles, conformément à l'engagement pris par le Président de la République le 25 novembre 2017. Il représente ainsi un pilier de l'édifice que nous avons commencé à bâtir pour répondre à un triple objectif : mieux prévenir les violences, mieux accompagner les victimes et mieux sanctionner les agresseurs. D'autres mesures fortes le complètent, dont certaines correspondent à des préconisations de votre rapport sur les infractions sexuelles sur mineurs : l'ouverture, d'ici à la fin de l'année 2018, à titre expérimental, de dix centres de soins de psycho-traumatismes pour les victimes de violences ; le lancement avant l'été d'une plateforme de signalement en ligne gérée par les forces de l'ordre pour informer et orienter les victimes ; le déploiement d'un plan de formation initiale et continue des professionnels du secteur public - forces de l'ordre, personnel soignant, magistrats, enseignants - conformément aux objectifs de la circulaire du 9 mars 2018 ; enfin, des dispositifs inscrits dans le projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel et élaborés en concertation avec les partenaires sociaux et les organisations patronales pour faire reculer les violences sexistes et sexuelles au travail. Cette dernière initiative se double d'un appel à projets d'un montant d'un million d'euros, financé sur le budget de mon secrétariat d'État, pour soutenir les initiatives locales de prévention des violences sexistes et sexuelles au travail et d'accompagnement des victimes. À cet égard, je souhaite rappeler fermement que nous n'avons pas diminué d'un seul centime les subventions allouées aux associations nationales de lutte contre les violences sexistes et sexuelles ; plusieurs ont même été augmentées, comme l'aide dont bénéficie le Collectif féministe contre le viol. En outre, le Gouvernement finance, à hauteur de 4 millions d'euros, une ambitieuse campagne de communication visant à sensibiliser et à responsabiliser nos concitoyens aux violences sexistes et sexuelles. Jamais un gouvernement n'a consacré autant de moyens au combat culturel contre les agissements sexistes, terreau de toutes les violences de notre société !
Nous avons trop longtemps fermé les yeux, nourrissant ainsi le sentiment d'impunité des agresseurs. Notre projet de loi porte l'ambition de mettre un terme à une situation indigne en améliorant le traitement judiciaire et sociétal des viols et des violences sexistes et sexuelles, notamment commis sur mineurs. Outre notre ambition de condamner davantage d'auteurs d'infractions sexuelles, nous souhaitons élargir la définition du harcèlement pour pénaliser les « raids numériques ». Les ateliers du Tour de France de l'égalité ont mis en exergue l'exposition des jeunes à de nouvelles formes de violence sexiste et sexuelle en ligne. Insultes, harcèlement moral et sexuel, menaces de viol ou de mort : les violences commises dans l'espace virtuel ont les mêmes conséquences sur la santé, comme sur la vie sociale et intime des victimes. L'article 3 du projet de loi adapte notre droit à la lutte contre les raids numériques. La définition du harcèlement ne le considère constitué que lorsque les propos ou les comportements sont répétés par une même personne. Désormais, la répétition pourra résulter de l'action unique mais concertée de plusieurs auteurs à l'encontre d'une même victime. Les plaintes en seront facilitées et internet cessera de représenter un espace de non-droit pour les harceleurs.
Le projet de loi sanctionne enfin, avec l'article 4, le harcèlement dit « de rue » en créant l'infraction d'outrage sexiste, conformément à l'engagement du Président de la République. Angle mort de notre droit positif, le harcèlement de rue entrave pourtant gravement la liberté des femmes. Imaginez que près de huit femmes sur dix déclarent craindre de sortir seule le soir dans la rue, d'après une récente étude de l'Institut français d'opinion publique (IFOP) et de la Fondation Jean Jaurès. Les femmes qui, dans leur trajet quotidien pour aller travailler, doivent se préoccuper de leur sécurité et élaborer des stratégies d'évitement, ne peuvent avoir l'état d'esprit de conquête nécessaire à leur réussite professionnelle ! Les jeunes femmes qui se rendent à l'université ne peuvent réussir sereinement leurs examens si, chaque jour, elles s'inquiètent de leur sécurité dans les transports en commun ! La vie quotidienne des femmes est gravement affectée par le harcèlement de rue. Pour mieux les protéger, le texte permet, avec l'infraction d'outrage sexiste, de réprimer les propos ou comportement à connotation sexiste ou sexuelle imposés à une personne, portant atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, ou créant à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante. L'amende maximale, s'agissant d'une contravention de quatrième classe, est fixée à 750 euros, pouvant faire l'objet de la procédure simplifiée de l'amende forfaitaire à 90 euros si elle est réglée immédiatement. Lorsque les faits seront commis avec circonstances aggravantes - sur un mineur de quinze ans ou dans les transports en commun par exemple -, la contravention sera de cinquième classe, punie d'une amende maximale de 1 500 euros ou de 3 000 euros en cas de récidive. Par ailleurs, les auteurs des faits pourront être condamnés à des peines complémentaires, comme l'obligation de suivre un stage contre le sexisme et de sensibilisation à l'égalité entre les femmes et les hommes. Ces comportements pourront être verbalisés en flagrant délit par les forces de police, notamment par la police de la sécurité du quotidien formée à cet effet. La reconnaissance de cette infraction permet de poser un interdit social clair : il est interdit d'intimider des femmes. Il s'agit non pas d'une incivilité trop longtemps tolérée, mais d'un comportement pénalement répréhensible !
Le Gouvernement a fait le choix de la responsabilité en s'engageant avec une détermination absolue dans la lutte contre les violences, notamment lorsqu'elles sont commises à l'encontre des plus fragiles. Notre projet de loi constitue une avancée essentielle pour répondre à cette exigence. Il sera complété des mesures précédemment évoquées et des dispositifs annoncés par le Premier ministre lors du comité interministériel pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes, le 8 mars dernier. Nos concitoyens attendent que nous combattions avec la plus grande fermeté ceux qui portent atteinte à leur dignité, à leur sécurité et à leur liberté. Nous devons collectivement nous montrer à la hauteur de cette attente.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. - Un chiffre m'effraie et me laisse stupéfait : seul 1 % des viols, dites-vous, donnerait lieu à une condamnation. De quelle étude est tirée cette conclusion ? Les magistrats seraient-ils, selon vous, trop laxistes ?
Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Je laisserai la garde des sceaux répondre à votre seconde interrogation. Le chiffre officiel de 1 % a été établi sur le fondement d'une estimation : 10 % des viols donneraient lieu à des plaintes, dont 10 % se concluraient par une condamnation. Des freins expliquent ce faible résultat. L'accès à la plainte n'est d'abord pas toujours aisé, bien que le mouvement #MeToo ait entraîné une libération de la parole et, partant, un accroissement de 34 % du nombre de plaintes en zone de police et davantage encore en zone de gendarmerie, au cours du dernier trimestre de l'année 2017. L'accès à la plainte sera notamment facilité par la plateforme que j'évoquais précédemment. Quant à la proportion de condamnations, elle pourrait croître grâce aux nouveaux outils mis à la disposition des magistrats par le projet de loi. Enfin, le plan de formation que j'ai présenté avec Olivier Dussopt, secrétaire d'État en charge de la fonction publique, devrait également participer de l'évolution des comportements au sein des forces de l'ordre comme de la justice.
Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. - Les magistrats, bien entendu, ne sont pas laxistes. Par ailleurs, il convient de rappeler que le chiffre de 1 % représente une estimation. Peut-être faudrait-il réaliser des études plus approfondies pour s'assurer de sa réalité. Mais n'oublions pas dans une querelle de chiffres une situation juridique insatisfaisante. Plusieurs raisons expliquent le faible nombre de condamnations. D'abord, comme l'indiquait Marlène Schiappa, de nombreuses victimes de viols ou d'agressions sexuelles ne déposent pas plainte, raison pour laquelle nous avons souhaité développer un mécanisme de pré-plainte en ligne. Il ne s'agit aucunement d'une déshumanisation ou d'une robotisation de la justice, mais d'une possibilité offerte aux victimes de ne pas immédiatement se rendre dans un commissariat ou une gendarmerie. La pré-plainte permettra évidemment de convenir ensuite d'un entretien avec un enquêteur. Ensuite, la qualité d'écoute n'est vraisemblablement pas assez développée chez les forces de l'ordre, comme chez les magistrats. Des formations seront renforcées à cet effet. Par ailleurs, la preuve - je rappelle que le viol est caractérisé par quatre éléments : la violence, la menace, la surprise et la contrainte - est parfois délicate à établir ou à reconstituer. Enfin, il existe une tendance à la correctionnalisation des viols parce que le tribunal correctionnel va statuer plus rapidement qu'une cour d'assises, d'autant que les jurés parfois preuve d'une attitude plus sévère que les magistrats professionnels. L'ensemble de ces paramètres, qu'il faudrait plus finement analyser, aboutit au résultat que nous constatons en matière de condamnation.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. - Notre groupe de travail a procédé à une analyse similaire.
Mme Marie Mercier, rapporteur. - Nous partageons bien entendu avec le Président de la République et le Gouvernement le désir de lutter contre les violences sexuelles et sexistes, notamment à l'encontre des mineurs de moins de quinze ans. Je dois pourtant vous avouer que je n'avais pas conscience de ce combat commun lorsque nous avons débattu de notre proposition de loi le 27 mars dernier... Vous aviez alors rejeté les amendements que nous proposions. Nous sommes certes ravis de constater qu'ils ont finalement été repris par l'Assemblée nationale lors de l'examen du présent projet de loi, mais quelque peu étonnés de vos revirements... Vous avez nommé une mission pluridisciplinaire au mois de février dernier, qui s'est peu réunie. Notre groupe de travail, sous la présidence de Philippe Bas, a auditionné, pendant cinq mois, plus de 120 personnes... Je regrette que nous n'ayons pas été associés à cette mission, afin d'oeuvrer en collaboration au bénéfice de la prévention des plus vulnérables. Vous auriez pu davantage nous associer ! Nous n'avons malheureusement pas pu prendre connaissance des conclusions de la mission pluridisciplinaire. Sans douter de leur intérêt, nous serions heureux d'en disposer.
Des interrogations demeurent à l'issue de vos propos liminaires. Je ne comprends ainsi guère la différence entre l'outrage sexiste et l'injure sexiste, déjà réprimée. Une contravention pour outrage sexiste pourra-t-elle, par ailleurs, être infligée à un mineur ? Le jeune âge est sans pitié et, trop souvent, les relations entre mineurs peuvent s'avérer d'une grande violence. Enfin, des moyens supplémentaires seront-ils alloués à la justice pour éviter le recours trop fréquent à la correctionnalisation de ces dossiers ? Pensez-vous que la création de tribunaux criminels réponde à la demande des victimes, qui ont grand besoin d'être entendues dans le cadre d'un véritable procès avec un jury populaire ? Dans notre proposition de loi, nous insistions, autour de trente-quatre propositions, sur la formation à l'écoute et au recueil averti de la parole des victimes.
Par ailleurs, j'ai cru comprendre que vous procéderiez à une simplification des stages dans le futur projet de loi. Dès lors, est-il de bon augure de créer un nouveau stage pour six mois ?
Nous partageons, je n'en doute pas, le même objectif, mais tout passe d'abord par l'éducation et le respect. D'ailleurs, les lycées et les collèges ne nous ont pas attendus pour travailler autour du harcèlement. Nous ne pourrons jamais tout écrire dans la loi. Il importe de prévenir, afin de protéger au mieux toutes les personnes vulnérables et nos enfants. Finalement, la réalité n'est qu'un clair-obscur.
M. François Pillet. - Personne ne pourra jamais soutenir - je l'espère en tout cas - que nous ne partageons pas avec fermeté le même objectif, surtout pas le Sénat, qui, historiquement et chronologiquement, a commis de nombreux rapports sur ce point, y compris sur le thème des violences en général. Ainsi a-t-il régulièrement contribué à améliorer la législation sur les violences intrafamiliales. Pour autant, je formulerai deux observations.
J'adhérerai certainement à la nouvelle définition du viol, qui permettra de mettre fin à quelques curieuses décisions de la chambre criminelle de la Cour de cassation. Toutefois, quand viendra l'heure du bilan, dans quelques années, il ne faudrait pas que notre combat semble avoir été engagé pour satisfaire notre bonne conscience. Le projet de loi apportera-t-il réellement des progrès aux victimes ?
Concernant l'allongement du délai de prescription, comme vous l'avez indiqué à juste titre, madame la garde des sceaux, dans tous les cas, le problème, c'est la preuve. Quand les témoins ont oublié, ou ont voulu oublier, quand ils sont morts, quand il n'y a plus aucune trace matérielle de l'agression, donnerons-nous vraiment une arme supérieure aux victimes en faisant passer le délai à trente ans ? Pour ma part, je ne le pense pas. Il y a là un risque supérieur, celui du dépérissement de la preuve, avec deux conséquences : la première au détriment des victimes qui, après avoir rouvert leurs blessures, risquent de s'entendre dire que la preuve n'est pas rapportée, et se retrouveront victimes une seconde fois ; la seconde au détriment des innocents, qui, en dépit du non-lieu ou de l'acquittement, ne pourront démontrer leur innocence puisque les preuves auront été effacées, et l'opprobre demeurera. Cette disposition ne me semble donc pas constituer un progrès. Il importe que les victimes libèrent leur parole le plus rapidement possible. Récemment, mon collègue François-Noël Buffet a envisagé la possibilité de faire en sorte que le traumatisme qui vous fait oublier pendant une certaine période de votre vie ce dont vous avez été victime conduise à une interruption de prescription, ce qui serait de nature à favoriser plus l'intérêt des victimes. Veillons à ce que l'allongement du délai n'ait pas pour conséquence d'aggraver les choses.
Par ailleurs, le Gouvernement aurait pu prendre la responsabilité de créer la contravention sans en passer par la loi, d'autant que, dans un avenir prochain, il nous sera proposé de faire en sorte que ce type d'amendements soit irrecevable d'office. Mais surtout, cette contravention existe déjà. L'injure sexiste, c'est une expression outrageante. S'il faut faire un peu d'orfèvrerie juridique et rédactionnelle, pourquoi pas ? Mais ne disons pas à tout-va que l'on va régler le problème, alors que tous les policiers affirment que cette disposition serait absolument inapplicable. Évitons de nous donner un peu trop bonne conscience en donnant l'illusion aux victimes que l'on va mieux traiter leur situation ! La situation catastrophique qu'elles connaissent ne se résoudra qu'en leur permettant, nous en sommes tous d'accord, psychologiquement et sociologiquement, de libérer leurs paroles. Encore faudrait-il plus de moyens budgétaires que prévu dans les lois de programmation.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. - In cauda venenum.
Mme Laurence Rossignol, co-rapporteure. - Merci, mesdames les ministres, pour vos exposés fournis.
Je veux vous dire ma satisfaction que soit allongé le délai de prescription pour les crimes sexuels commis sur mineurs. Les divers inconvénients présentés par notre collègue François Pillet ont déjà été évalués et pesés ; on peut d'ailleurs presque avoir les mêmes interrogations avec la prescription à vingt ans, notamment concernant la conservation des preuves. La pluralité de victimes et la répétition du même scénario permettent justement d'apporter des preuves. Dans l'affaire Flavie Flament, l'allongement de la prescription aurait permis de qualifier de viol ce qu'avaient subi toutes ces jeunes femmes victimes du même homme et de poursuivre celui-ci. Il faut prendre le risque, parce que les victimes demandent et attendent cette mesure. On répond là à une demande de la société, à faible coût juridique, à mon sens. Du reste, les victimes ne sont pas naïves, elles savent à quel point il va leur être difficile d'apporter la preuve, parole contre parole.
Introduire l'outrage sexiste dans la loi revient à poser des interdits. Il s'agit d'une sorte de cliquet civilisationnel. Le décret n'aurait pas eu le même impact. Le Gouvernement a souhaité que ce soit dit clairement après les campagnes contre le harcèlement. Je rappelle la campagne très réussie conduite par ma prédécesseure Pascale Boistard sur le harcèlement dans les transports en Île-de-France.
En revanche, il n'a échappé à personne que l'article 2 est déceptif : il a créé beaucoup de déception chez tous les parlementaires, au Sénat comme à l'Assemblée nationale, et dans tous les groupes, si j'ai bien compris. La déception est également large dans les milieux associatifs. Vous-même, Marlène Schiappa, avez annoncé au mois de novembre dernier vouloir fixer un seuil de présomption de non-consentement irréfragable. Les diverses péripéties entre vos annonces et le texte présenté aujourd'hui constituent probablement pour vous une petite déception. C'est la vie d'un ministre : il n'y a pas de honte à dire que l'on n'a pas obtenu ce que l'on voulait.
Par cet article, trois objectifs étaient visés, à mon sens : poser un interdit clair quant à toute relation sexuelle avec pénétration entre un majeur et un mineur ; poser le postulat qu'il ne saurait y avoir de consentement de la part d'un enfant lors d'une relation sexuelle avec un majeur - c'est la base - et, enfin, poursuivre cette relation sexuelle comme un viol s'entendant par en tant que et autant que. Nous avons fait l'erreur - j'y prends ma part - de chercher à étendre la définition du viol pour viser les relations sexuelles avec pénétration entre un majeur et un mineur. Or c'est impossible. Le viol a quatre caractéristiques : violence, contrainte, surprise ou menace, la contrainte pouvant être morale. On ne peut pas tordre la définition du viol pour arriver à y inclure une relation sexuelle dans laquelle la seule contrainte puisse être une contrainte morale, qui prête lieu à discussion devant les tribunaux. S'il n'y avait pas de discussion sur la contrainte morale, il n'y aurait pas de discussion sur le consentement de l'enfant. Vous avez fait le choix de rester dans le domaine délictuel, en créant une atteinte sexuelle avec pénétration, plus sévèrement punie que l'atteinte sexuelle, mais moins punie qu'un viol sur mineur : dix ans contre vingt ans. Cet écart trouble et on reste dans le délictuel et non pas dans le criminel. Or pour nous, il s'agit d'un crime et il n'y a pas de consentement possible. On nous oppose l'inconstitutionnalité, mais j'ai pour principe de penser que seul le Conseil constitutionnel sait ce qui est inconstitutionnel ou pas. Je le dis en connaissance de cause : pour avoir porté une loi dont tout le monde avait pensé qu'elle serait inconstitutionnelle, je constate qu'elle l'a été moins que prévu. Aussi, je vous propose de changer d'angle de vue.
Il est incontestable que la présomption irréfragable n'est pas acceptable en droit pénal, a fortiori en matière criminelle. En revanche, la chambre criminelle de la Cour de cassation a déjà jugé que, en deçà d'un jeune âge - en l'occurrence six ans - un enfant ne peut pas avoir consenti aux actes sexuels dont il est victime. La chambre criminelle de la Cour de cassation prendrait-elle des décisions anticonstitutionnelles ? La discussion porte donc bien sur l'âge, pas sur un principe juridique. Dès lors, à partir de quel âge considérons-nous que l'enfant n'a pas conscience de ce qu'il fait et qu'il ne peut donc pas avoir consenti à une relation sexuelle avec un majeur ? Après réflexions, études et discussions, nous sommes nombreux à considérer que l'âge est de treize ans. À douze ans, nous avons affaire à des enfants. Nous sommes un certain nombre ici à être parents. Personne n'irait imaginer qu'un enfant de douze ans peut consentir à une relation sexuelle avec un adulte. Avec un mineur, c'est une autre affaire. Madame la garde des sceaux, qu'est-ce qui nous empêche de prévoir qu'une relation sexuelle entre un majeur et un mineur de treize ans est un crime puni d'une peine de vingt ans ? Le parquet conservera toute opportunité des poursuites et pourra évaluer les situations spécifiques. La défense pourra présenter les mêmes arguments qu'aujourd'hui ; par exemple, que l'auteur des faits ne pouvait connaître l'âge de la personne ; les droits de la défense seraient ainsi respectés. Qualifier de crime une relation sexuelle entre un majeur et un mineur de treize ans me semble parfaitement conforme au droit constitutionnel.
Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes. - Merci, mesdames les ministres, pour vos exposés. Je rejoins totalement les propos de Laurence Rossignol. La délégation aux droits des femmes travaille depuis quelques semaines sur ce sujet et est arrivée à la conclusion qu'il était possible de créer cette nouvelle infraction qui ne reposerait pas sur la menace, la violence, la contrainte et la surprise, qui sont les critères du viol.
Je partage la proposition du Gouvernement d'allonger le délai de prescription de vingt ans à trente ans. Ce qui est valable pour vingt ans l'est aussi pour trente. Par nos auditions, nous avons compris l'attente de nombreuses victimes.
Je poserai une question concernant les moyens, madame la secrétaire d'État. Vous avez annoncé la création d'un numéro national dédié aux victimes de harcèlement sexuel. Il semblerait que coexistent plusieurs numéros pour les victimes de violences. Toutefois, n'est-il pas paradoxal de créer un nouveau numéro, alors que des dispositifs existent déjà et sont connus ? Dans un contexte budgétairement contraint, n'aurait-il pas été préférable d'allouer plus de moyens à des personnes déjà formées pour répondre aux attentes ? La multiplication des dispositifs de signalement ne risque-t-elle pas de compliquer la tâche des victimes pour identifier l'interlocuteur le mieux adapté ? À l'heure de la simplification, simplifions les choses pour les victimes ! Quelle sera la coordination entre le numéro national dédié aux victimes de harcèlement sexuel dont vous avez annoncé la création et le numéro d'écoute national destiné aux femmes victimes de violences ? Enfin, vous avez indiqué que les moyens dévolus aux associations étaient maintenus. Compte tenu de la libération de la parole et de la complexité à ester en justice, les associations que nous avons auditionnées ne peuvent pas répondre, à moyens constants, aux attentes des victimes. Que proposez-vous ?
Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. - Monsieur le président Bas, permettez-moi auparavant de répondre aux deux observations que vous avez formulées dans votre propos liminaire.
Vous avez critiqué le Gouvernement, qui prend parfois des dispositions législatives que vous estimez de nature réglementaire, évoquant la question des contraventions, qui relèverait du domaine réglementaire. Ce processus s'est déjà produit, et vous avez vous-même, me semble-t-il, voté l'interdiction du voile intégral.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. - Je n'avais pas la chance d'être parlementaire à cette époque !
Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. - Par ailleurs, de telles dispositions ne sont pas censurées par le Conseil constitutionnel. Nous avons souhaité introduire la contravention pour outrage sexiste, considérant que cela revêtait une dimension puissante. J'ajoute de manière plus juridique que nous avons introduit à l'article 4 une nouvelle peine à titre complémentaire, celle de stage : un stage de lutte contre le sexisme et pour l'égalité entre les femmes et les hommes. Comme vous le savez, toute nouvelle peine doit être créée par la loi. Dès lors, il nous a semblé difficile de décorréler ces deux notions. C'est la raison pour laquelle nous avons utilisé cet instrument juridique. Évidemment, lorsque vous aurez adopté les nouvelles dispositions de la future Constitution, nous veillerons à ce qu'il n'y ait pas de dispositions réglementaires dans les dispositions législatives...
Vous avez également souligné qu'un certain nombre de dispositions, que nous qualifions nous-mêmes d'interprétatives, relèveraient de la circulaire. Certes, mais là encore, ce n'est pas la première fois que de telles dispositions sont ainsi introduites. J'en veux pour preuve l'article 222-22-1 du code pénal, qui est une disposition interprétative.
Madame le rapporteur, vous vous interrogez sur la pertinence de la création du tribunal criminel. Dans le projet de réforme de la justice que j'aurai l'occasion de vous présenter au mois d'octobre prochain, nous proposerons la création, à titre expérimental, du tribunal criminel, qui pourrait juger les questions de viol. Vous soulignez que les victimes attendent des procès avec jury populaire. Il y aura bien un procès, avec audition de témoins, avec la possibilité de s'exprimer aussi longuement que le président du tribunal le jugera nécessaire à l'établissement de la vérité, mais le jury sera composé de cinq magistrats. J'entends bien votre observation, que j'ai déjà entendue, mais on ne saurait affirmer de manière absolue que toutes les victimes veulent des procès avec jury populaire et on ne saurait généraliser cette demande. En tout cas, l'instauration des tribunaux criminels permettra de juger des viols en tant que crimes et plus rapidement que ne le fait la cour d'assises, non pas parce que la procédure sera plus légère, mais parce que le procès pourra avoir lieu dans des délais plus rapprochés.
Vous craignez que la future loi de réforme de la justice ne mette fin au stage prévu comme peine complémentaire pour l'outrage sexiste. Pas du tout, par souci de clarté, nous proposons de regrouper l'ensemble des stages.
Monsieur Pillet, vous vous demandez si ce projet de loi apportera réellement des progrès aux victimes, insistant sur cet adverbe. Vous avez même dit qu'il fallait éviter que nous ne nous donnions bonne conscience à peu de frais.
L'allongement du délai de prescription à trente ans poserait, selon vous, des problèmes de preuves. Bien évidemment, de ce point de vue, je ne peux que vous rejoindre. Pour autant, nous pensons que les phénomènes d'amnésie traumatique, qui ont été mis en évidence, pourront peut-être permettre de reconstituer des vérités sur la base de témoignages, voire de faits, lesquels seront de nature à apporter des éléments de preuve. N'oublions pas que les éléments de preuves scientifiques ont progressé. La méthode du faisceau d'indices que les enquêteurs et les juges pourront mettre en exergue pourra peut-être permettre la reconstitution d'éléments de preuve. Je ne pense donc pas que cette disposition soit totalement inutile, ni nécessairement contre-productive.
Par ailleurs, il me semble que certaines victimes auront besoin de dire ce qu'elles ont vécu. On ne peut pas adopter sur ces questions-là une position générale. Ce que nous proposons pour toutes ces personnes victimes de crimes pendant leur minorité me semble quand même un progrès.
Sur la distinction entre injure et outrage, il existe bien une distinction. Marlène Schiappa va y revenir.
Enfin, je m'étonne, monsieur le sénateur, que vous doutiez des moyens de la justice, qui seront considérablement accrus par la loi de programmation (1,7 milliard d'euros en cinq ans et 6 500 emplois, plus que tout ce qui a été fait auparavant).
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. - Nous sommes heureux que vous fassiez progresser le budget de la justice, mais je vous renvoie à la loi de programmation pour la justice de septembre 2002 : vous constaterez que l'effort budgétaire de cette période était nettement supérieur.
Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. - Madame Rossignol, vous soulevez un problème difficile : la rédaction de l'article 2, dont vous dites qu'il est déceptif. Je le comprends, compte tenu des attentes formulées par les uns ou les autres. Moi-même, j'avais évoqué une présomption à treize ans. Ce n'est pas que nous n'avons pas obtenu ce que nous voulions ; ce que nous voulions, nous l'avons obtenu, à savoir mieux combattre le crime de viol avec des instruments juridiques adaptés.
Vous dites que nous avons fait le choix de rester dans le domaine délictuel en créant l'atteinte sexuelle avec pénétration. Je ne suis pas d'accord : nous avons fait le choix de combattre le crime de viol en assouplissant considérablement la question centrale de la preuve pour la rendre quasi automatique pour les mineurs de quinze ans puisque, pour eux, la contrainte résultera de leur vulnérabilité par absence de discernement nécessaire. Ce faisant, les magistrats pourront, lorsque la situation se présentera à eux, décider que la contrainte découlera de la question du discernement et de la vulnérabilité : la violence est toujours établie. Nous nous donnons ainsi les moyens de combattre très efficacement les crimes de viol.
Par ailleurs, dans la situation actuelle, les atteintes sexuelles, donc délictuelles, sont envisagées sans distinguer s'il y a ou non pénétration. Cela me semble dangereux dans la mesure où le code pénal interdit déjà toute relation sexuelle entre un mineur de quinze ans et un majeur. Il me semble curieux de ne pas aggraver l'atteinte sexuelle lorsqu'il y a pénétration. Ce faisant, nous n'avons pas la volonté de correctionnaliser les crimes de viol. Au contraire puisque nous donnons au juge les moyens d'assouplir considérablement la charge de la preuve pour les mineurs de quinze ans.
Votre proposition reprend celle de M. Rosenczveig, à savoir la criminalisation de toute relation avec un mineur de moins de treize ans. Je pense que cette proposition est doublement dangereuse : d'une part, je ne suis pas sûre de sa constitutionnalité ; d'autre part, s'agissant d'une nouvelle peine, elle ne s'appliquerait que pour le futur et non aux plaintes actuellement instruites puisque la loi pénale n'est pas rétroactive.
Mme Laurence Rossignol, co-rapporteure. - Ce que vous dites est également valable pour l'article 2.
Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. - Non, puisque c'est interprétatif. Il peut donc s'appliquer aux faits passés.
Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Madame le rapporteur, pour élaborer ce projet de loi, au-delà du travail mené lors de la campagne présidentielle, il faut mentionner le Tour de France de l'égalité entre les femmes et les hommes, qui a réuni pendant près d'un an 55 000 participants, soit la plus grande consultation citoyenne jamais organisée par un gouvernement, en France métropolitaine et outre-mer, avec l'audition d'experts. Les conclusions de la mission interdisciplinaire sont disponibles en ligne sur le site de Matignon. En ce qui concerne la question de l'éducation, le Gouvernement considère que ce doit être une priorité, car c'est par l'éducation que nous pourrons faire avancer l'égalité entre les femmes et les hommes. Mais outre les politiques publiques et les actions menées par l'éducation nationale, une part de ce travail incombe aux familles. En tout cas, je vous renvoie à deux articles publiés dans L'Express et dans Version Fémina, dans lesquels le ministre de l'éducation nationale Jean-Michel Blanquer et moi-même avons détaillé les propositions du Gouvernement et les mesures mises en oeuvre à partir de la rentrée prochaine. Ainsi, nous avons décidé de mettre en place des référents égalité dans chaque établissement scolaire, c'est-à-dire une personne formée à l'égalité entre les filles et les garçons à laquelle tout le monde pourra s'adresser. De même, une « mallette des parents » sera déployée à partir de la rentrée prochaine contenant de la documentation relative à l'égalité entre les filles et les garçons (respect des valeurs républicaines, mixité non négociable entre les filles et les garçons, respect d'autrui, lutte contre les violences sexistes et sexuelles, y compris les plus violentes, qui ont cours dès le plus jeune âge, questions liées à l'orientation pour décloisonner les filières). Enfin, nous avons décidé de mettre en oeuvre les trois séances d'éducation à la vie affective et sexuelle prévues par la loi, mais jamais appliquées jusqu'à ce jour. Le ministre de l'éducation nationale a adressé une circulaire à l'ensemble des recteurs en ce sens, avec un catalogue de toutes les associations ayant un agrément « intervention en milieu scolaire ». Souvent, l'emploi du temps chargé des chefs d'établissement ne leur permettait pas d'organiser ces séances et ils ne savaient pas à qui s'adresser en toute sécurité. La « mallette des parents » nous permettra de correspondre avec les parents, qui doivent être pleinement associés à cette démarche.
En ce qui concerne l'outrage sexiste, il faut le distinguer de l'injure sexiste. L'outrage sexiste, que les femmes ont décidé d'appeler le harcèlement de rue, ne passe pas forcément par une injure verbalisée ; cela peut être des intimidations, des menaces verbalisées ou non, une action physique qui ne va pas jusqu'à l'agression. Quand quelqu'un vous suit dans la rue, rentre dans votre espace intime (et nous savons où commence l'invasion de notre espace intime), quand quelqu'un vous demande vingt fois votre numéro de téléphone de manière intimidante ou menaçante, quand plusieurs personnes se mettent en travers de votre chemin pour vous empêcher de passer, tout cela n'est pas caractérisé actuellement et aucune femme n'ira déposer plainte parce que trois inconnus l'ont suivie dans la rue en lui demandant à plusieurs reprises son numéro de téléphone. C'est pour cette raison que nous passons par du flagrant délit, pour que les femmes n'aient pas à déposer plainte, alors que plusieurs pays ont mis en oeuvre un mécanisme avec dépôt de plainte. Dans l'immense majorité des cas, ce sont les femmes qui sont concernées, mais l'Assemblée nationale a intégré dans cette définition de l'outrage sexiste les menaces à caractère sexuel, homophobe, ou en direction des personnes LGBTQI.
Monsieur Pillet, vous avez dit que les policiers étaient réfractaires.
M. François Pillet. - Ils doutent !
Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. -Dans un premier temps, certains syndicats de policiers ont effectivement fait part de leurs doutes et s'interrogeaient légitimement. Maintenant, grâce à l'impulsion du ministre d'État Gérard Collomb, les forces de l'ordre sont tout à fait partantes et ont hâte de pouvoir mettre en oeuvre la verbalisation de l'outrage sexiste. C'est la mission des forces de l'ordre que de protéger la population, notamment les femmes.
Madame la présidente, l'association qui gérait le numéro que vous évoquez a décidé de fermer son standard. Puisque nous ne pouvions pas laisser les femmes sans réponse, nous avons décidé conjointement avec ma collègue Muriel Pénicaud et la direction générale du travail de créer un numéro dédié. Nous considérons que, sur ces questions, l'État doit reprendre la main ; il n'est pas anormal qu'un service public apporte des réponses aux femmes victimes de violences sexistes et sexuelles.
Par ailleurs, les moyens de cette association sont totalement maintenus. Les subventions publiques, ce n'est pas du mécénat ; elles sont accordées en contrepartie d'une mission s'apparentant à une délégation de service public, à un service rendu au public. Puisque cette association renonce à assumer une partie de ce qui est prévu dans la convention, nous pourrions ne plus la subventionner. Or, eu égard au surcroît d'activité que vous évoquiez, nous avons maintenu cette subvention, même si elle a cessé son activité d'accueil téléphonique.
Je partage ce qui a été dit sur la variété des numéros, quelqu'un ajoutant même qu'ils étaient connus. Je ne le crois pas. Quand on demande aux femmes qui elles appellent en cas de violence sexiste ou sexuelle au travail, les numéros de téléphone arrivent en avant-dernière position après la police, les syndicats, l'inspection du travail, les amis, les proches, les collègues. Et si l'on demande le numéro de l'Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT), je ne suis pas certaine qu'il soit très connu. Nous avons eu des témoignages de ce flou lors du Tour de France de l'égalité entre les femmes et les hommes et dans les études que nous avons menées en ligne.
Nous avons créé une hotline à Cannes dont nous avons indiqué le numéro en direct sur Europe 1. Beaucoup de gens ont alors expliqué qu'ils pensaient que c'était la première fois qu'une ligne était créée pour les victimes de violences sexistes et sexuelles, ce qui montre à quel point il est nécessaire de créer un numéro d'entrée unique avant reroutage vers les différents numéros. La spécificité de chaque numéro et la compétence de chaque association ne sont pas remises en cause.
S'agissant des moyens, 1,28 million d'euros vont au Centre d'information sur les droits des femmes, 60 000 euros supplémentaires sont attribués au collectif féministe contre le viol, tandis que l'appel à projets que nous avons lancé sur les violences sexistes et sexuelles au travail est doté de 1 million d'euros. Ce budget est complété par l'interministériel, notamment les 900 000 euros du ministère de la justice pour le « téléphone grave danger ».
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - Madame la garde des Sceaux, vous avez dit que votre objectif était de mieux combattre le crime de viol. Pourriez-vous nous éclairer sur les modalités de votre projet de loi : en dépit de ma formation, j'ai eu du mal à comprendre le résultat des discussions à l'Assemblée nationale.
Rappelons quelques faits. En septembre 2017, un homme de vingt-huit ans a une relation sexuelle avec une enfant de onze ans. Le parquet de Pontoise estime que la contrainte n'est pas établie de manière certaine et décide de poursuivre pour atteinte sexuelle. Émotion. En novembre 2017, la cour d'assises de Seine-et-Marne a à juger pour crime de viol un homme de trente ans ayant eu une relation sexuelle avec une enfant de onze ans, neuf ans après les faits. En raison de l'absence de contrainte démontrée, le jury prononce l'acquittement. Émotion.
Dès le 11 novembre, vous avez annoncé, madame Schiappa, un projet de loi visant à instaurer une présomption irréfragable de non-consentement. D'où cet article 2, complexe à comprendre et, comme l'a dit ma collègue Laurence Rossignol, déceptif. Lorsqu'elle dit qu'il faut parfois reconnaître que l'on n'a pas eu ce qu'on voulait obtenir, c'est une façon de vous suggérer de ne pas prétendre que ce qui est proposé aujourd'hui est ce qui avait été proposé le 11 novembre. Peu importe, nous avons tous le même but.
Avec la combinaison, à l'article 2, des modifications apportées aux articles 222-22-1 et 222-27-26 du code pénal, vous pensez pouvoir poursuivre de manière plus efficace les atteintes sexuelles avec pénétration sur mineur. En quoi ces dispositions auraient-elles permis d'éviter les situations de septembre et novembre 2017 ? Il y avait clairement une infraction pénale. Sauf preuve du contraire, c'est encourager la correctionnalisation de faits qui, pour chacun d'entre nous, sont en réalité des viols. Madame la garde des sceaux, en quoi vos dispositions permettent-elles de mieux combattre le crime de viol sur mineur ?
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. - On ne peut pas postuler que les deux instances qui ont à juste titre scandalisé nos concitoyens l'année dernière résultent de malfaçons de la législation. On pourrait au contraire penser que, avec une bonne législation, il peut y avoir de mauvaises pratiques et que l'essentiel de l'effort doit par conséquent porter sur les moyens des tribunaux et la pratique des magistrats. Cela étant, la différence entre le viol et l'atteinte sexuelle avec pénétration, c'est que cette dernière ne requiert pas que soient réunis les éléments constitutifs du viol : il est plus facile de caractériser une atteinte sexuelle. Mais je ne veux pas répondre à la place de Mme la garde des sceaux.
Mme Brigitte Lherbier. - Mesdames les ministres, vous avez dit que l'égalité des chances était impossible si l'on ne réglait pas ces problèmes de violences. Élus de terrain, nous avons tous été confrontés à la souffrance psychique et physique de personnes fréquentant nos permanences, et l'on garde des séquelles de ces témoignages douloureux et oppressants. Dans ma permanence, tous les mois des femmes me racontaient combien elles souffraient sous les coups de leur mari. On pourrait penser que c'est un problème de classe sociale, de mauvaise connaissance du droit, mais les témoignages se suivaient mois après mois.
Vous avez parlé des plaintes en ligne. Cela favorisera le dépôt de plainte, car il faut convaincre de faire cette démarche. De même que l'aggravation des sanctions peut être incitative. Mon état d'esprit était le suivant : si l'on fait de la pédagogie dans ces zones où les gens n'ont pas forcément accès au droit, ce sera un plus. Or samedi dernier, j'ai croisé au Touquet une femme très classe d'une soixantaine d'années - ce ne sont pas uniquement les jeunes femmes qui subissent des violences - assise sur un banc, complètement perdue et repliée sur elle-même. Elle m'a dit qu'elle ne rentrerait pas chez elle le soir parce que les coups pleuvaient, ajoutant qu'elle ne cessait d'appeler la gendarmerie et qu'elle ne savait plus où elle en était. Elle m'a dit également avoir assisté à une réunion de 300 femmes dans une ville voisine, dont elles sont toutes ressorties honteuses de ce qui leur arrivait. Le médecin qu'elle est allée voir lui a dit qu'elle était peut-être tombée dans l'escalier. Il n'y a pas de preuves.
Toutes ces femmes s'interrogent sur l'après-procès : le conjoint violent va être condamné, mais que vont-elles devenir ? Ainsi, cette dame m'a expliqué être mariée sous le régime de la séparation de biens, ne rien posséder, vivre dans une tout petite ville où la pression sociale est forte. Il faut donc aussi envisager l'après, notamment reloger ces femmes pour les éloigner de leur conjoint. L'arsenal législatif ne suffit pas ; il faut aussi développer le social.
Mme Françoise Laborde, co-rapporteure. - Il a été répondu à nombre de questions que je voulais poser. Moi aussi j'ai décortiqué l'article 2, au sujet duquel je vous fais grâce de mes réserves. Nous en reparlerons en délégation jeudi matin. Permettez-moi juste de dire que je regrette l'intitulé du chapitre II, à savoir « Dispositions relatives à la répression des infractions sexuelles sur les mineurs ». Pourquoi ne pas parler de « violences » ?
Je veux ici insister sur ce qui touche à l'inceste. Certes, la surqualification pénale d'inceste a été étendue aux actes sexuels commis par l'auteur cousin germain de la victime, mais sans que cette surqualification soit généralisée - cela reste une situation aggravante aux termes des articles 222-31-1 et 222-27-2-1 -, ce qui n'est pas satisfaisant.
La question de l'âge reste un problème majeur. Nous allons donc devoir accorder nos violons : treize ou quinze ans ?
Mme Marta de Cidrac. - J'aurais souhaité que nous puissions nous rencontrer plus en amont de ce texte important.
Juste une observation : une loi doit être à la fois simple, facile à comprendre et surtout facile à appliquer. Or il me semble que le présent texte ne présente pas toutes les garanties en termes de simplicité. Il faudrait sans doute le retravailler.
Par ailleurs, surtout avec un sujet comme celui des violences faites aux femmes, sans doute conviendrait-il de mettre un peu plus de coeur et un peu moins de technicité dans un texte de ce type. Les victimes ne sont pas forcément toujours en demande ce que la loi pourrait penser pouvoir leur donner.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. - Le coeur, c'est ce qui inspire le législateur, le cas échéant, mais la règle de droit pénal doit être aussi précise et objective que possible. Il s'agit de condamner parfois à de très lourdes peines de prison des personnes qui ont commis des actes de violence. Par conséquent, la simplicité que l'on recherche pour tous les textes n'est pas toujours possible si l'on veut garantir les droits fondamentaux, à la fois ceux des victimes et ceux des agresseurs. Si l'on recherche l'expression d'une plus grande fraternité, d'une plus grande humanité, ce n'est pas forcément dans la lecture du code pénal qu'on trouvera la satisfaction de cette quête.
Mme Marta de Cidrac. - Ma question de fond était celle-ci : en quoi ce texte permettra-t-il d'éviter les situations rencontrées l'an passé ?
Mme Laure Darcos, co-rapporteure. - Ce texte ne traite pas suffisamment des victimes en situation de vulnérabilité. Certes, l'Assemblée nationale a voté un amendement relatif aux femmes atteintes d'un handicap, mais je pense aussi aux SDF, aux personnes âgées : il arrive que des abus sexuels soient commis au sein d'établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes. Je ne crois pas non plus à la pénalisation du harcèlement de rue, même si cela part d'un bon sentiment. Je pense que les mesures prises contre les frotteurs dans les transports en commun, grâce à Valérie Pécresse, sont une très bonne chose. Il est beaucoup plus facile pour les policiers de prendre les auteurs de tels actes en flagrant délit. De même, permettre aux femmes qui rentrent tard le soir de descendre du bus près chez elle est une très bonne initiative. Cela se fait en Île-de-France, mais aussi dans d'autres régions. J'ai moi-même fait les frais de ce harcèlement de rue, mais il me paraît compliqué de le réprimer, d'autant que les policiers ne sont déjà pas assez nombreux.
Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. - Sur les affaires de Pontoise et de Seine-et-Marne, je m'exprime avec beaucoup de prudence puisqu'elles ne sont pas closes : à Pontoise, le tribunal a renvoyé l'affaire devant un juge d'instruction et en Seine-et-Marne, un appel a été interjeté.
Les dispositions que nous vous proposons d'adopter auraient pu modifier radicalement l'approche des juges. La question de la contrainte morale et de la surprise subit une atténuation de preuves. Par conséquent, en raison de l'abus de vulnérabilité et parce que la victime n'a pas le discernement nécessaire, le juge aurait parfaitement pu statuer différemment, compte tenu des éléments dont j'ai connaissance sur ces deux dossiers.
Madame Lherbier, vous avez fait état d'une situation de souffrances. Vous pouvez mesurer également la difficulté des policiers et des magistrats, qui sont confrontés très fréquemment à ce type de dossier et la difficulté qu'ont ces derniers à rendre une décision en respectant toutes les règles du procès équitable, la présomption d'innocence, les droits de la défense, etc. C'est là une confrontation extrêmement délicate entre ces règles de notre état de droit et les souffrances auxquelles ils font face.
Madame Laborde, vous évoquez la surqualification de l'inceste. Vous jugez que les ajouts de l'Assemblée nationale ne sont pas suffisants. Nous aurons l'occasion d'en débattre en séance.
Madame de Cidrac, je partage pleinement ce que vous dites sur la nécessité d'une loi simple, facile à comprendre et à appliquer. En présentant les choses assez simplement, nous pouvons faciliter la preuve du crime de viol et faire en sorte que toute agression sexuelle soit gravement sanctionnée. C'est dans l'exposé des motifs de ce texte.
Enfin, madame Darcos, Mme Schiappa va vous répondre sur les victimes vulnérables.
Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Je suis un peu tatillonne sur la sémantique : parler de frotteurs à la place d'agresseurs sexuels, c'est minimiser leurs actes et délégitimer les victimes dans leur capacité à porter plainte. On désigne par frotteurs les hommes qui frottent leur sexe sur les corps des femmes, et cela est caractéristique d'une agression sexuelle.
Je salue comme vous l'action menée par Valérie Pécresse en Île-de-France. Elle a choisi de faire de la lutte contre les violences sexuelles une cause importante. C'est ce que nous voulons faire au niveau national : aller vers du flagrant délit, grâce à la police de la sécurité du quotidien.
Je rejoins ce que vous dites au sujet de l'arrêt à la demande. Cela fait partie des annonces faites par le Président de la République le 25 novembre à l'occasion du lancement de la grande cause nationale du quinquennat à l'Élysée, qui ne se limite pas à ces quelques articles de loi. Si l'on reprend l'ensemble des annonces et du Président de la République et du Premier ministre, vous constaterez qu'à presque chaque fait correspond une réponse publique.
En ce qui concerne les personnes les plus fragiles, en particulier les personnes handicapées, le travail avec l'Assemblée nationale a permis d'enrichir ce projet de loi, puisque des amendements présentés à la fois par la majorité et l'opposition ont été adoptés, notamment en matière de formation.
Nous sommes en train de mettre en place, département par département, autour des préfets, une plateforme en ligne accessible aux travailleurs sociaux, aux élus, à la police, à la justice, aux professionnels de santé, pour un accès plus direct aux logements d'urgence pour reloger les femmes victimes de violences conjugales ou intrafamiliales.
Je revendique d'avoir un certain nombre d'émotions et quand on recueille toute la journée les témoignages, les demandes, les attentes de ces victimes de violences sexistes et sexuelles, on est évidemment aussi guidé par l'émotion. Mais au moment d'écrire un texte de loi, on est aussi guidé par la raison, et je le revendique de la même manière. C'est un travail d'équilibre entre émotion et raison. C'est ce que nous avons essayé de faire avec la garde des sceaux et c'est ce qui explique l'adhésion forte de l'opinion à ce texte (entre 69 % et 92 % d'opinions favorables selon l'IFOP).
En matière de pédagogie, je partage ce que vous disiez, madame la sénatrice : on peut toujours faire plus clair notamment à destination des personnes les plus éloignées de nos débats.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. - Merci, madame la garde des Sceaux, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues. Rendez-vous en séance publique dans quelques jours.
* 1 Protéger les mineurs victimes d'infractions sexuelles, rapport de Marie Mercier fait au nom de la commission des lois, n° 289 (2017-2018).
* 2 Proposition de loi d'orientation et de programmation pour une meilleure protection des mineurs victimes d'infractions sexuelles, n° 84, session ordinaire de 2017-2018, 27 mars 2018.
* 3 La
délégation a auditionné Flavie Flament le 18 janvier 2018,
dans le cadre de son rapport sur les violences faites aux femmes (
http:
#toc5).