Mercredi 20 mars 2019
- Présidence de M. Vincent Éblé, président, puis de M. Claude Raynal, vice-président -
La réunion est ouverte à 10 h 35.
Relations financières entre l'État et la sécurité sociale - Audition de MM. Christian Charpy, conseiller maître à la Cour des comptes, et Julien Dubertret, inspecteur général des finances
M. Vincent Éblé président. - Nous avons ce matin le plaisir d'accueillir MM. Christian Charpy, conseiller maître à la Cour des comptes, et Julien Dubertret, inspecteur général des finances.
En janvier 2018, MM. Charpy et Dubertret ont été chargés par Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé, et M. Gérald Darmanin, ministre de l'action et des comptes publics, de rédiger un rapport sur la rénovation des relations financières entre l'État et la sécurité sociale, dans la perspective du rapport que le Gouvernement devait remettre au Parlement en application de l'article 27 de la loi de programmation des finances publiques pour la période 2018-2022.
Ce rapport, qui nous a été adressé en septembre 2018, se fonde sur un examen approfondi de la trajectoire des finances publiques et des finances sociales, ainsi que sur le constat d'une complexité croissante des relations financières entre l'État et la sécurité sociale, pour formuler plusieurs propositions de simplification du financement de la sécurité sociale et de refondation des règles de compensation des exonérations. Pour rappel certaines de ses propositions ont d'ores et déjà été mises en oeuvre par le Gouvernement dans les lois financières pour 2019.
Notre commission a souhaité vous entendre afin que vous puissiez nous présenter plus avant les conclusions de votre rapport et nous faire part de vos propositions quant au financement de la sécurité sociale.
Je salue la présence du rapporteur général de la commission des affaires sociales, Jean-Marie Vanlerenberghe qui aura, tout comme Alain Joyandet, rapporteur spécial, ainsi que d'autres de nos collègues, des questions à vous poser.
M. Christian Charpy, conseiller maître à la Cour des comptes. - Merci, monsieur le président.
Deux précisions préalables... Tout d'abord, ce travail, je l'ai réalisé avec Julien Dubertret. Je suis conseiller maître à la Cour des comptes, mais les propos que je tiendrai aujourd'hui n'engagent toutefois pas cette dernière, pas plus que ceux contenus dans le rapport.
Nous avons été chargés de remettre un rapport au Gouvernement, qui en a ensuite adressé un autre au Parlement. Celui-ci s'inspire de nos travaux, sans reprendre exactement ce que nous avons écrit.
Pourquoi ce travail nous a-t-il été demandé ? La loi de programmation des finances publiques concernait, sur la période 2018-2022, l'ensemble des administrations publiques (APU), en prévoyant une réduction progressive du déficit public, les comptes des associations de sécurité sociale (ASSO) devant se rééquilibrer progressivement et la loi de programmation prévoyant par ailleurs de transférer une partie des excédents vers l'État.
Cette trajectoire méritait d'être explicitée, notamment en réexaminant les relations financières entre l'État et la sécurité sociale. L'objectif du Gouvernement était double, d'une part permettre un retour à l'équilibre global des APU et un retour progressif à l'équilibre de l'ensemble de ses composantes, même si l'État restait encore assez fortement déficitaire et, d'autre part, simplifier le financement de la sécurité sociale.
Je rappelle que les administrations de sécurité sociale ne concernent pas seulement la sécurité sociale au sens strict du terme, puisque s'y ajoutent les organismes complémentaires obligatoires - Agirc-Arrco -, l'assurance chômage - UNEDIC - et, enfin, les hôpitaux publics. Le solde des ASSO ne correspond donc pas strictement au solde de la sécurité sociale.
Par ailleurs, la Caisse d'amortissement de la dette sociale (CADES), qui appartient également aux administrations de sécurité sociale, enregistre un excédent structurel. Faute de dépenses, elle ne fait que rembourser la dette sociale, qui n'est pas une dépense en termes de comptabilité nationale. En revanche, les recettes qui lui sont affectées - contribution sociale généralisée (CSG), contribution à la réduction de la dette sociale (CRDS) - entrent dans la comptabilité nationale. Le solde des administrations de sécurité sociale comporte donc celui de la CADES, positif par définition.
L'objectif du Gouvernement est de simplifier tout cela mais, en même temps, de permettre le remboursement de la dette sociale constituée à la fois par le solde de la CADES et par le solde de l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS).
Dans notre rapport, nous soulignons que le retour à l'équilibre global est soumis à un certain nombre d'aléas, notamment la croissance économique. S'y ajoutent les aléas liés à l'évolution des comptes de la sécurité sociale elle-même. On voit bien que la trajectoire des finances publiques, telle qu'elle a été définie par la loi de programmation, a été assez fortement perturbée en fin d'année par les mesures de baisse des charges, qui conduiront à un déficit plus important de la sécurité sociale et qui peuvent remettre en cause le dispositif initial.
La deuxième partie du rapport vise à montrer combien les relations financières entre l'État et la sécurité sociale se sont fortement complexifiées au cours des années. Premier élément : les recettes de la sécurité sociale se sont très largement diversifiées. Cela remonte aux années 1990, à la création de la CSG, à la forte réduction du poids des cotisations sociales dans le financement de la sécurité sociale, et à l'attribution à la sécurité sociale de recettes nouvelles - nouvelles contributions sociales, affectation croissante à la sécurité sociale de taxes comportementales sur les tabacs ou sur les alcools et de diverses taxes de contributions dues par les entreprises, comme la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S) ou le prélèvement sur les jeux, taxe sur les assurances, sur les véhicules de société, part des redevances UMTS et taxe sur les salaires.
À ces ressources s'est ajoutée la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), puisqu'en raison de la mise en place d'allégements importants de cotisations sociales, il a fallu affecter des recettes nouvelles. À partir des années 2006 - et surtout 2012 -, on a affecté une part de TVA en compensation des baisses de cotisations sociales liées aux allégements sociaux. Cette part financée par l'impôt est donc beaucoup plus importante que dans le passé. Les transferts entre l'État et la sécurité sociale ont beaucoup évolué.
Dernier point sur lequel je souhaite mettre l'accent : cette structure de financement est mouvante et comporte, de temps en temps, des affectations de recettes qu'on retire ensuite. L'exemple de l'année 2018 est à ce titre assez frappant. On a réduit considérablement la fraction de TVA affectée à la sécurité sociale pour la transférer à l'ACOSS afin de financer des allégements de cotisations chômage. Avant 2017, on avait affecté toutes les taxes sur le capital à l'État. En 2018, on en a fléché une partie sur la sécurité sociale. On a également tendance à modifier les affectations de recettes à l'intérieur de la sécurité sociale en fonction de différents paramètres. Si certaines affectations sont logiques, d'autres répondent plutôt à une volonté d'équilibrer tel ou tel secteur de la sécurité sociale.
On aboutit à un schéma de financement de la sécurité sociale d'une très grande complexité, avec énormément de taxes affectées à différents régimes. Le tableau qui figure dans le rapport date un peu, les choses ayant évolué depuis. Par exemple, la célèbre taxe sur les farines et autres blés durs a été supprimée, alors qu'elle était affectée au régime complémentaire agricole, mais beaucoup de petites taxes sont encore affectées à la sécurité sociale. C'est sur la base de ce dispositif que nous avons commencé à réfléchir à une simplification.
Le dernier élément sur lequel je souhaiterais insister, c'est le fait que tout ceci est lié à la politique d'allégement du coût du travail menée depuis les années 1990, à la volonté de réduire les charges sociales imposées aux entreprises et à la décision, sous le Gouvernement de M. Balladur, de compenser les allégements de sécurité sociale.
À l'époque, on ne compensait rien. La loi Veil a introduit un principe de compensation qui a été progressivement amplifié et consolidé. Le dispositif prévu à l'article L. 131-7 du code de sécurité sociale reste aujourd'hui la règle. Il prévoit que tout allégement de cotisations sociales et toute réduction de financement doivent faire l'objet d'une compensation à l'euro près.
De fait, cette disposition fait l'objet chaque année d'exceptions prévues par la loi de finances, remplaçant le principe de la compensation intégrale à l'euro près par une compensation pour solde de tout compte même si, pour certaines des exonérations, on reste sur le principe initial par le biais de crédits budgétaires.
L'un des sujets sous-jacents à notre mission était de savoir s'il fallait ou non modifier ces règles de compensation intégrale, qui sont contournées régulièrement chaque année. C'est l'objet de la troisième partie, à propos de laquelle je laisse Julien Dubertret présenter les propositions retenues par le Gouvernement.
M. Julien Dubertret, inspecteur général des finances. - Un certain nombre de pistes ont animé nos réflexions et ont été retenues par le Gouvernement. La première idée, compte tenu de la grande complexité qui vous a été indiquée, est bien entendu de simplifier et de stabiliser la structure des recettes affectées à la sécurité sociale.
J'évoquerai ensuite la question de la redéfinition des règles de compensation des allégements de cotisations, qui était gouvernée jusqu'à présent en principe - mais pas tout à fait dans les faits - par une idée de compensation à l'euro près. Il faudra également dire un mot des règles spécifiques qu'il nous semble pertinent d'appliquer aux exonérations ou allégements en dehors du champ de la loi de financement de la sécurité sociale dans deux cas particuliers.
Simplifier et stabiliser la structure des recettes de la sécurité sociale signifie essayer de définir un champ de ressources propres de la sécurité sociale. Au-delà des ressources historiques, un certain nombre de ressources annexes devraient légitimement trouver leur place du côté de la sécurité sociale. Elles sont présentées rapidement dans le rapport.
Il s'agit tout d'abord des contributions sociales assises sur des éléments de rémunération d'activité non soumis à cotisation sociale, qui représentent un peu plus de 400 millions d'euros. Les taxes comportementales sur le tabac ou sur l'alcool ont été instituées pour essayer de corriger des externalités négatives liées à certaines consommations. À vrai dire, chaque fois qu'un Gouvernement a essayé de rapatrier ces taxes du côté de l'État, elles ont été comme attirées par un aimant, et sont revenues du côté de la sécurité sociale. On incline donc à considérer qu'il s'agit bien là de ressources de la sécurité sociale.
La taxe sur les médicaments et celle sur les complémentaires de santé, les taxes dites pharmaceutiques, constitutives de leviers de négociation des prix du médicament, les clauses de sauvegarde, comme les fameux taux L et W, mécanismes de régulation de la dépense de médicaments qui prennent juridiquement la forme de taxes forment le reste.
En revanche, on peut s'interroger sur le maintien dans le champ de la sécurité sociale de taxes qui n'ont pas de lien avec la protection sociale. Leur place serait davantage dans le budget de l'État. Christian Charpy a précisé que certaines avaient été supprimées.
La taxe sur les salaires constitue un « gros morceau », puisqu'il s'agit de près de 14 milliards d'euros, dont l'affectation à la sécurité sociale ne revêt pas de logique particulière. Si l'on réattribue des taxes à l'État, il faut bien sûr trouver une compensation. Il paraissait plus naturel de jouer sur des recettes de TVA, qui présentent l'avantage d'une certaine simplicité.
La recette de TVA offre un autre intérêt : son dynamisme est proche de celui de la croissance du PIB. Ce serait une manière d'élargir le financement de la sécurité sociale, sous réserve qu'elle soit cadrée de façon suffisamment pérenne et ferme. Il ne s'agit pas non plus de créer un canal de subventionnement sans limite. Il convient de montrer une plus grande transparence face à l'effroyable complexité des relations financières entre l'État et la sécurité sociale.
La logique de solde de tout compte m'amène à la question de l'indispensable redéfinition des règles de compensation des allégements de cotisations. Christian Charpy a évoqué l'application de l'article 131-7 du code de la sécurité sociale, tel qu'il était conçu initialement avant d'être appliqué de façon de plus en plus approximative. On s'est en effet approché peu à peu d'une logique de solde de tout compte. À vrai dire, celle-ci ne nous paraît pas condamnable.
Si l'on sort du champ de compensation très précisément identifié pour entrer dans celui du financement d'allégements de cotisations, la logique d'attribution d'une recette pour solde de tout compte est une bonne chose. Ceci peut être complété sous les formes présentées dans le rapport avec, pour les allégements ciblés, le maintien d'un financement par compensation budgétaire à partir de dotations du budget de l'État.
Ceci permet de contrôler les velléités de multiplication d'allégements ciblés qui constituent le quotidien des relations entre certains ministères et Bercy. Si un ministère souhaite proposer un allégement ciblé, ou si un allégement paraît souhaitable, il faut confronter son coût aux possibilités de financement par l'État. Dans ce cas, un financement de compensation à l'euro près et en dotation budgétaire est responsabilisant.
En revanche, une fois clarifiée l'attribution des recettes entre l'État et la sécurité sociale, l'idée que chacun supporte les baisses de prélèvements associées aux recettes relève d'une forme de bon sens et de responsabilisation.
Enfin, s'agissant spécifiquement des allégements généraux, la lettre de mission par laquelle nous avions été saisis nous engageait à réfléchir à un partage des efforts, ce qui nous a semblé nouveau et envisageable. Lorsqu'on entre dans ce genre de considérations, qui ont été reprises par le Gouvernement, il faut le faire en prenant en compte les différentes contraintes que sont le retour à l'équilibre de la sécurité sociale, le déficit très important du budget de l'État, et le besoin de désendettement et de respect de la trajectoire de désendettement de la sécurité sociale.
Enfin, un mot des règles spécifiques applicables aux exonérations ou allégements en dehors du champ de la loi de financement - Agirc-Arrco et UNEDIC : il nous a semblé que, dans ces cas, notamment dans celui des régimes complémentaires de retraite, qui restent dans une logique contributive, une compensation à l'euro près s'imposait. On est ici dans un cas sensiblement différent de celui des allégements généraux de charges.
M. Claude Raynal, président. - Une question du président Éblé tout d'abord : votre rapport souligne que, face à des règles européennes qui imposent un pilotage des dépenses « toutes administrations publiques (APU) », notre pays ne dispose pas réellement d'outils de pilotage consolidés. Comment pourrait-on selon vous rapprocher les modalités d'examen des lois de finances et des lois de financement de la sécurité sociale ?
Seriez-vous en particulier favorable à la mise en oeuvre de la proposition qu'il soutient avec le rapporteur général consistant à scinder la partie « recettes » de la partie « dépenses » des textes financiers de l'automne, pour permettre la présentation à l'été d'une loi fiscale regroupant les principales mesures en prélèvements obligatoires proposées par le Gouvernement, et l'examen à l'automne d'un projet de loi de finances (PLF) et d'un projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) recentré sur les dépenses ?
Par ailleurs, vous préconisez dans votre rapport de mettre fin au principe de compensation intégrale par l'État des exonérations de cotisations sociales et d'y substituer un principe de solidarité financière entre l'État et la sécurité sociale. Le Gouvernement a immédiatement mis en oeuvre cette recommandation, la loi de financement de la sécurité sociale pour 2019 instaurant des baisses de cotisations non compensées de l'ordre de 3,3 milliards d'euros à compter de 2020. Cette nouvelle règle a-t-elle vocation selon vous à s'appliquer de manière pérenne à toutes les nouvelles exonérations décidées en loi de financement de la sécurité sociale ?
Alors que la sécurité sociale revient enfin à l'équilibre, ces baisses conséquentes de recettes ne risquent-elles pas de dégrader les comptes ?
M. Christian Charpy. - On ne peut réellement parler d'absence de pilotage financier consolidé, une loi de programmation définissant le cadre global du pilotage, et un programme de stabilité indiquant chaque année, au mois de d'avril, la trajectoire « toutes APU ».
Par ailleurs, la loi de finances prévoit désormais un article liminaire qui comporte, en comptabilité nationale, l'évolution du solde « toutes APU ». En revanche, il est vrai qu'il n'existe aucun vecteur financier unique pour définir les crédits de l'État ou les prévisions de dépenses de la sécurité sociale. On le fait dans le cadre de deux lois financières différentes, le PLF d'un côté et le PLFSS de l'autre.
La coordination entre les deux fonctionne quand même un peu mieux que dans le passé, même si cela relève d'un travail de titans entre les différentes administrations au cours de l'été, et surtout au début de l'automne, pour que les choses concordent.
Nous n'avons pas proposé dans notre rapport de modification significative des dispositifs législatifs. La seule chose à laquelle nous avions réfléchi in petto a consisté à essayer de mieux coordonner les calendriers, ne serait-ce que pour avoir un débat commun sur les recettes. Nous n'étions toutefois pas allés dans le sens novateur que vous proposez en séparant la loi de finances « recettes » de la loi de finances « dépenses ». Nous étions plutôt favorables à l'idée d'un débat commun sur les recettes, tout en étant conscient qu'il existait des problèmes de calendrier qui n'étaient pas simples à régler.
Deuxième point : la loi de financement de la sécurité sociale compte quatre parties, notamment une partie « loi de règlement », que nous pensions préférable de séparer du dispositif pour la traiter au printemps.
S'agissant de la solidarité financière, nous avons considéré les APU comme un ensemble. Nous avons estimé que localiser le déficit n'avait pas énormément de sens, sinon un sens politique ou symbolique, surtout avec des financements croisés aussi importants. Le Gouvernement a décidé d'appliquer la règle du « chacun chez soi » dans le cadre du PLFSS 2019 et du PLF 2019, toutefois avant les événements de fin d'année. Que fera-t-il des allégements supplémentaires qui ont été décidés à la suite du mouvement des « gilets jaunes », qui représentent 3,4 milliards d'euros ? Décidera-t-il dans la loi de finances rectificative pour 2019 de ne pas les compenser ? Je n'en sais rien...
M. Julien Dubertret. - S'agissant du pilotage global, les lois de programmation des finances publiques et l'article liminaire de la loi de finances ne constituent pas un support de travail très opérationnel pour la construction de l'ensemble des comptes publics. Face à ces questions, plusieurs niveaux de réponse sont possibles. Le premier, qui obligerait à réformer la Constitution, serait de créer un texte unique, ce qui est plutôt la norme mondiale.
Le deuxième type de réponse consisterait à essayer de trouver des amodiations, en veillant à ne pas aller au-delà d'une modification des textes organiques. Peut-on trouver dans ce champ la proposition d'une première loi financière ? Je crains qu'on soit renvoyé vers le champ de la réforme constitutionnelle, puisque cela suppose de modifier en profondeur la définition de la loi de finances.
En revanche, on pourrait essayer de retrouver un peu l'équivalent par une discussion générale commune sur les volets « recettes ». Ceci n'a pas la même valeur qu'une discussion dans laquelle on examine des amendements, mais peut permettre d'éclairer les choses. Cela obligerait en outre le Gouvernement à coordonner les dépôts du projet de loi de finances et du projet de loi de financement de la sécurité sociale, qui pourront être examinés concurremment par le Parlement, avec une vision d'ensemble.
Toutes sortes d'autres choses peuvent améliorer ce pilotage d'ensemble : on peut très bien imaginer enrichir l'article liminaire du projet de loi de finances pour en détailler le contenu et essayer d'en faire le support d'un examen plus approfondi, notamment en matière des recettes, mais aussi de dépenses. On peut également l'enrichir d'objectifs. La discussion générale commune sur les grands équilibres et les recettes aurait sûrement une valeur, mais c'est davantage au Parlement d'en décider.
Je me permets d'insister sur la phase amont de préparation des projets de loi de finances et des projets de loi de financement. Ces processus sont peu coordonnés. Le processus politico-administratif interne à l'exécutif de préparation de la loi de finances commence très tôt, au début de l'année civile, voire un peu avant, et se termine fin juin ou en juillet.
Le processus de la loi de financement est bien plus court, beaucoup plus ramassé et tardif. On pourrait donc probablement remédier à l'atomisation de la discussion sans toucher un seul texte. Il suffit d'organiser la façon dont les choses se passent par le biais d'instructions.
Peut-être faut-il s'interroger sur la question de la complétude des textes financiers. Il existe des « trous dans la raquette ». Ce sont des sujets sensibles, mais la balance des collectivités territoriales pourrait être mentionnée dans le projet de loi de finances, au moins pour information, ainsi que celle des organismes divers d'administration centrale (ODAC). Du côté de la loi de financement de la sécurité sociale, on sait que la balance des hôpitaux, les régimes complémentaires de retraite, le régime d'assurance chômage constituent des informations qui ne sont pas vraiment mentionnées parce qu'on est en dehors du champ du PLFSS.
Le PLFSS a été un énorme progrès par rapport à l'absence de texte qui régnait auparavant. Il n'y a aucun doute à ce sujet. Fin 1967, le Gouvernement était totalement passé à côté d'évolutions conjoncturelles qui amenaient à des pertes de recettes importantes. En urgence, début 1968, il a fallu organiser un collectif budgétaire pour renflouer la sécurité sociale, qui constituait un ensemble de comptes éparpillés. Grâce au PLFSS, on n'est désormais plus pris au dépourvu.
On constate toutefois une scission. Ce qui était un avantage crée donc à présent un inconfort.
Enfin, forcer chacun à parler le langage de l'autre - ou s'obliger à le faire - pourrait simplifier les choses. J'ai beaucoup mis « la main à la pâte » dans la rédaction du décret sur la gestion budgétaire et comptable publique, qui demande à l'État de parler simultanément dans deux langages, celui des crédits de paiement et des autorisations d'engagement d'un côté, et celui de la comptabilité générale de l'autre. La sécurité sociale est fermement positionnée sur la comptabilité générale, y compris en matière prévisionnelle. C'est un sujet de réflexion intéressant...
S'agissant des questions de solidarité financière et de compensation à l'euro près, quelle est la pérennité de ce qui a été mis en place en 2019 ? L'avenir le dira. Il me semble que ce qui a été proposé permet, de manière assez pragmatique, d'organiser la solidarité financière dans le respect des contraintes de chacun, et notamment des objectifs de redressement de la sécurité sociale. On n'a donc pas affaire à une règle gravée dans le marbre, mais à un objectif, qui semble devoir être décliné au fur et à mesure que le temps passe, et en fonction de la situation de chacun. Cela me paraît assez sage si on ne perd pas l'objectif de vue. Peut-être est-ce, à ce stade, le mieux que l'on puisse faire. Je pense que ceci a une chance d'être pérennisé.
Je voudrais compléter cette considération par l'idée qu'il faut se méfier d'un attachement excessif à la réalisation de l'équilibre de la sécurité sociale si, simultanément, le reste des comptes publics est dans un état de déficit important. Quel sens cela aurait-il de se réjouir d'un équilibre partiel si l'équilibre d'ensemble n'est pas là ? Nous sommes jugés sur celui-ci, et c'est ce que l'on doit viser au bout du compte.
M. Claude Raynal, président. - La parole est à M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général de la commission des affaires sociales.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général de la commission des affaires sociales. - Merci pour votre travail. Il n'était que temps d'ouvrir ce débat. Je remercie la commission des finances de s'y prêter. Le Gouvernement, sans attendre, s'est déjà saisi d'un certain nombre de vos préconisations, de manière d'ailleurs plus ou moins juste ou plus ou moins claire. Je pense en particulier aux coupes programmées de TVA en direction de la sécurité sociale, dont on a peine à trouver la justification théorique, et dont on a bien vu, dès le mois de décembre, qu'elles reposaient sur des hypothèses trop optimistes et caduques.
Mes observations m'amènent à vous poser trois questions, qui rejoignent largement celles du président Raynal, notamment au sujet de la compensation. J'avoue avoir de fortes réserves, tout comme la commission des affaires sociales, car il s'agit, me semble-t-il, d'un principe de responsabilisation de l'État décideur. Vous avez parfaitement rappelé ce qui a été réalisé avec la loi Veil. Sans cela, la tentation est grande de faire payer à la sécurité sociale les cadeaux de l'État que celui-ci n'aurait pas la possibilité de compenser, de même que de « miter » des impositions relativement pures, comme la CSG, ainsi que l'a été, au fil du temps l'impôt sur le revenu.
Dans un cas comme dans l'autre, la vertu budgétaire aurait peu à y gagner. Pour moi, la participation de l'État au retour des comptes sociaux à meilleure fortune gagnerait sans doute à passer, comme à l'automne dernier, par l'instauration d'exceptions supplémentaires au principe de compensation. C'est ce que vous proposez. Le tout est de bien se mettre d'accord sur les cibles et de pouvoir l'arbitrer. Cela passe par une acceptation politique et non par un abandon. J'aimerais connaître votre avis à ce sujet, qui me semble rejoindre vos remarques et vos propositions.
En deuxième lieu, ne serait-il pas nécessaire d'instaurer une règle d'or qui garantirait l'équilibre à moyen et long terme des comptes de la sécurité sociale, notamment après la disparition de la CADES, en 2024 ?
Une question vient naturellement à l'esprit : quid de la CRDS qui finance la CADES ? Que va-t-on en faire après 2024 ? Je connais les nécessités de maintenir un équilibre général des comptes d'ensemble de l'État comme de la sécurité sociale, mais tout cela nécessite de la clarté, des règles. Les choses ne peuvent se dérouler en catimini, au détour d'une loi de finances ou d'une loi de financement de la sécurité sociale. C'est ce que souhaite la commission des affaires sociales.
Enfin l'idée d'un examen conjoint de tout ou partie du PLF et du PLFSS figurait dans le projet de loi constitutionnelle, mais n'est pas pour autant constitutionnelle. Je note qu'à ce jour, nul n'a été capable de nous présenter un calendrier convenable. Nous en avons débattu : c'est actuellement compliqué.
Au-delà, les parties « recettes » des deux textes contiennent de nombreux articles qui ne concernent que l'une ou l'autre des commissions. Dès lors, ne conviendrait-il pas de limiter expressément tout éventuel débat commun aux articles qui ont justement une incidence sur les flux financiers entre l'État et la sécurité sociale ?
M. Claude Raynal, président. - La parole est à M. Alain Joyandet, rapporteur spécial de la mission « santé » et rapporteur pour avis sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale.
M. Alain Joyandet. - Pour ceux qui suivent ce sujet depuis fort longtemps, on voit bien que nous ne sommes plus dans le même monde. Il y a vingt ans, on se demandait comment payer ce que l'on devait, ce que l'on faisait de la dette, à tel point qu'on a placé celle-ci dans un organisme extérieur.
Aujourd'hui, on se pose la question de savoir ce que l'on va faire des excédents, mais je n'entends personne mettre en parallèle l'augmentation des cotisations salariales ou patronales. Dans ma jeunesse, on prenait 7 % ou 8 % du salaire brut des salariés : aujourd'hui on en prélève 24 %. Quid des excédents ? Ne faut-il pas rendre l'argent aux cotisants progressivement, même si je ne nie pas qu'il y a eu, ici ou là, des exonérations et que ce n'est pas la peine de chercher à équilibrer les comptes de la sécurité sociale si les comptes de l'État sont déficitaires ? On est dans un univers global, on ne peut y échapper.
En outre, il faudrait presque un deuxième rapport prospectif s'agissant de la question de l'âge de départ à la retraite et du risque de dépendance. Comment financer ces dépenses futures ?
N'est-il pas précipité de prélever immédiatement les excédents de la sécurité sociale, compte tenu du risque de dérapage des comptes et des nouveaux besoins en termes de modèle social ?
Vous n'êtes guère optimiste s'agissant de la souplesse que le Parlement pourrait avoir à propos du travail que nous réalisons sur le PLF ou le PLFSS. On l'a encore vu l'année dernière, il n'est guère facile de faire émerger quelques idées nouvelles !
Enfin, notre système est de moins en moins financé par la solidarité et de plus en plus par la fiscalité. Que pensez-vous de ce tournant ? Est-ce une bonne chose ? La meilleure solution pour redonner du pouvoir d'achat n'est-elle pas de baisser les charges ? Les Français ont contribué à l'amélioration des comptes. N'est-il pas temps de leur renvoyer quelques dividendes ?
M. Christian Charpy. - Il est vrai qu'il existe un écart considérable entre le dispositif ancien, lorsque la sécurité sociale était financée par des cotisations qui créaient des droits, et le système actuel, dans lequel les branches maladie et famille sont totalement universelles, une partie de la branche vieillesse comportant des droits qui ne sont pas assis sur le versement de cotisations.
La seule branche réellement contributive restant la branche accidents du travail, il n'est pas illogique, avec une universalisation plus grande de la sécurité sociale, que le financement soit diversifié et s'appuie sur davantage de fiscalité. Cela pose la question du partage des financements entre l'État et la sécurité sociale. C'est parce que notre système a changé que le mode de financement s'est modifié. S'y ajoute aussi le fait qu'on a considéré qu'un financement exclusif par les cotisations sociales pesait de manière excessive sur le travail et sur l'emploi.
Je ne crois pas que l'on puisse dire que le champ de la sécurité sociale et celui de l'État sont totalement différenciés. Au cours des trois à quatre dernières années, les dépenses de logement étaient partagées entre l'État et la sécurité sociale : on les a entièrement basculées de l'État. D'autres dépenses familiales, autrefois du côté de la sécurité sociale, sont passées à l'État, et des mouvements en sens inverse se font. On est donc sur un mode global de pilotage des dépenses et des recettes, aujourd'hui assez largement entre les mains de l'État, qui renouvelle la question du partage des recettes, de la compensation des allégements de charges, etc.
Vous l'avez entendu, nous sommes assez pragmatiques : une règle qui change chaque année est-elle encore une règle ? Elle constitue au moins un guide pour l'esprit, mais guère plus.
S'agissant de la règle d'or évoquée par M. Vanlerenberghe, il me semble que, dans sa déclaration de politique générale, le Premier ministre avait annoncé la mise en place d'une règle d'or. Nous y avons nous-mêmes réfléchi. Mon sentiment est qu'il existe plusieurs règles d'or possibles pour ramener la sécurité sociale durablement à l'équilibre.
En premier lieu, il faut effectivement que l'équilibre global des administrations de sécurité sociale soit inscrit dans le cadre plus général de la loi programmation des finances publiques et de l'article liminaire. De ce point de vue, ce serait une bonne chose de compléter l'article liminaire pour ne pas en faire un solde uniquement global, mais le distinguer APU par APU.
La règle d'or concerne aussi le solde de la sécurité sociale et ses branches. On ne peut évidemment imaginer que la branche accidents du travail soit durablement déséquilibrée ou durablement excédentaire. Il faut donc affirmer clairement que les branches les plus contributives doivent être à l'équilibre.
Globalement, le symbole politique du trou de la sécurité sociale est si fort que je n'imagine pas que l'on puisse considérer les déséquilibres comme normaux. Il ne faut pas verser dans le fétichisme, mais il convient de tendre vers un équilibre global des branches.
La règle d'or comporte un troisième pilier, celui du pilotage par la dépense. Ce fut le cas de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (ONDAM) pour l'assurance maladie. Cela fonctionne relativement bien. Le Comité d'alerte ne s'est pas encore prononcé sur l'ONDAM 2018, mais il est clair que l'on va arriver comme d'habitude à un « confetti » d'environ 30 millions d'euros. Le pilotage par la dépense doit donc être, selon moi, une règle très forte.
Le dernier élément de la règle d'or, c'est le pilotage par la dette. Il est inconcevable et inconvenant d'avoir une dette sociale. Chaque année, la loi de financement de la sécurité sociale prévoit un déficit de trésorerie pour l'ACOSS. Il faudrait qu'on arrive à réduire cette autorisation chaque année.
Quant à la CRDS, elle représente beaucoup d'argent. Celui-ci est considéré comme une recette en comptabilité nationale, mais il n'existe pas de dépenses. Le jour où il n'y a plus de dépense de remboursement de la dette sociale, il y a deux solutions : soit on utilise cet argent pour faire des dépenses, et on dégrade le solde, soit on supprime la CRDS, mais on le dégrade également. Il ne faut donc pas considérer que la fin du remboursement de la dette sociale représente le « nirvana » des finances publiques. Dans tous les cas, on dégrade le solde public au sens de la comptabilité nationale.
Il existe effectivement des besoins importants en matière de dépendance. Doivent-ils être financés par la CRDS ? Ce peut être un élément du dispositif. J'ai cru comprendre que l'on pourrait également repousser l'âge de départ à la retraite...
La question de la sortie de la dette sociale et de l'avenir de la CRDS n'est pas un sujet simple pour l'administration. Je n'ai d'ailleurs pas vu de proposition très claire en ce sens - à moins que la Direction du budget et Bercy aient des idées à ce sujet...
M. Julien Dubertret. - Christian Charpy a tout dit à propos de la règle d'or. Elle appelle nécessairement une vision coordonnée.
S'agissant de la compensation et de la responsabilité de l'État, on ne doit pas voir les choses de façon strictement identique selon qu'on est face à une exonération très ponctuelle pour des coûts limités ou face à une exonération générale. C'est le sens de nos propositions.
En effet, l'objet n'est pas tout à fait le même. Dans le premier cas, on est face à une intervention publique qui prend la forme d'une exonération. On sait en mesurer le coût, on en attend des effets, mais ils sont généralement assez limités et sectoriels.
Au contraire, lorsqu'on s'intéresse à des allégements généraux et qu'on les réalise, c'est qu'on attend des avantages macroéconomiques. Si on baisse les charges sur le travail, c'est parce qu'on en attend une meilleure compétitivité, des créations d'emplois et un effet favorable en retour sur l'ensemble de l'économie et des comptes publics, dont ceux de la sécurité sociale. On pointe donc vers un problème technique et non pas seulement politique d'évaluation du coût d'une exonération générale des comptes sociaux. Si l'exonération générale est réalisée à bon escient, elle a des effets macroéconomiques positifs, et l'effet sur les comptes sociaux est au moins partiel.
Se placer dans une logique de compensation au jour le jour ou année après année se heurte à la difficulté de savoir ce que cela coûte réellement aux comptes sociaux. Maintenir cette vision dans le temps n'est pas légitime dans le principe, compte tenu de ce qu'est une exonération générale et, par ailleurs, apparaît techniquement dépourvu de justification au bout d'un certain temps.
Pour ce qui est de la question de l'examen conjoint et l'idée de le limiter aux incidences communes, j'entends bien, en termes d'organisation des débats, toute la pertinence de ce que vous mentionnez, mais j'attire votre attention sur une autre dimension : il convient en effet de fournir au Parlement et au Gouvernement une vision d'ensemble de la politique de prélèvements obligatoires. Nous avons inscrit notre réflexion dans la dualité entre PLF et PLFSS et avons essayé de clarifier les choses en essayant, sans remettre en cause ce cadre, d'attribuer à chacun les recettes qui lui étaient les plus naturelles, en tentant de simplifier les relations.
On ne peut cependant s'empêcher de constater que s'établit au fil du temps une forme de séparation en matière de prélèvements obligatoires qui n'est ni saine ni très efficace.
Les prélèvements obligatoires pèsent sur chacun, qu'ils interviennent au profit de l'État, des collectivités territoriales, ou de la sécurité sociale. Comprendre comment cet ensemble joue sur l'économie présente une vraie valeur, qu'on pourrait essayer de retrouver au travers d'un examen d'ensemble qui ne se limiterait pas à cela.
M. Joyandet pose des questions redoutables en matière de politique publique. J'ai l'impression que ceci plaide pour une vision d'ensemble. Autant il faut que les comptes des différentes administrations publiques soient organisés et de plus en plus clairs, ce qui ne plaide pas forcément pour un grand tout indifférencié, autant il est indispensable qu'on puisse le faire sur le champ le plus vaste possible.
La question est de savoir s'il est prudent ou non d'utiliser un excédent à ceci ou cela et si cela appelle des réponses plus faciles quand on a une vision holistique des finances publiques - pour parler de façon un peu pompeuse. On est alors en mesure de porter une appréciation sur l'ensemble des choix, et d'essayer de faire le mieux possible en fonction des objectifs.
M. Christian Charpy. - Certes, les comptes 2018 sont dans une situation bien meilleure qu'auparavant, mais il ne s'agit pas encore d'excédents ! En outre, la conjoncture bougeant souvent, il faut demeurer réservé. Nos prévisions en matière de finances publiques sont plus prudentes que par le passé, les prévisions macroéconomiques étant contrôlées par le Haut Conseil des finances publiques, mais il peut y avoir parfois de petits écarts entre les prévisions et la réalisation...
M. Claude Raynal, président. - Je pensais bien qu'on allait y venir ! La parole est aux commissaires.
Mme Nathalie Goulet. - Vous avez relevé la faiblesse des outils de contrôle et de pilotage. Vous n'évoquez toutefois pas les problèmes de fraude, qui constituent pourtant un enjeu financier relativement important. Or on a l'impression de ne pouvoir améliorer les dispositifs, et le rôle du Parlement semble relativement résiduel face à la grosse machine que représentent les systèmes de sécurité sociale.
Quels outils de pilotage pourriez-vous suggérer pour améliorer la détection et la lutte contre la fraude à la sécurité sociale ?
M. Jean-François Rapin. - Certaines branches excédentaires servent à alimenter des branches déficitaires. C'est le cas de la branche accidents du travail, dont l'excédent d'environ 1 milliard d'euros est transféré à la branche maladie pour compenser des accidents de travail ou des maladies professionnelles non reconnus ou non identifiés. Sur quels critères cela repose-t-il ? Qu'est-ce qui permet de justifier le montant de ce transfert ?
M. Jérôme Bascher. - L'Union européenne ne parle dorénavant plus que d'administrations publiques centrales (APUC). Or la France dispose d'autorités indépendantes et d'établissements publics de toutes sortes, dont le Parlement ne peut contrôler les déficits ou les excédents - ODAC, hôpitaux. N'y a-t-il pas quelque chose à faire dans ce domaine ?
Par ailleurs, la règle d'or suppose de gérer la dette, que ce soit celle de l'UNEDIC, qui est inadmissible, de la CADES, au moins aussi scandaleusement gérée, ou du Fonds de réserve pour les retraites (FRR). Cette dette devrait selon moi être traitée par le biais d'une gestion actif-passif (ALM), suivant ce dont on a besoin. La CADES se refinance à 2,4 % sur moyenne période, alors que le FRR sort des excédents à 4,2 %. Ces sommes permettraient, si elles étaient rassemblées par exemple à l'Agence France Trésor (AFT), d'améliorer largement le financement et le remboursement de la dette. Avez-vous une piste à ce sujet ?
M. Éric Bocquet. - Vous avez produit un rapport pour le Gouvernement, dont certains aspects, avez-vous dit, n'ont pas été retenus. Pouvez-vous nous dire lesquels ?
Vous avez par ailleurs bien démontré que la part des cotisations dans le financement de la sécurité sociale diminue assez rapidement. On était à 91 % avant que la CSG ne soit mise en place. On est aujourd'hui à 56 %. Cette tendance va-t-elle se confirmer au fil des années ? Pourrait-on parvenir à une absence totale de cotisations, remplacées par une fiscalisation, donc une étatisation du financement de la sécurité sociale - ce qui n'est pas forcément positif ?
Enfin, quid du paritarisme si cette perspective se confirme ? Ce serait un changement fondamental dans la gestion de la sécurité sociale. Finalement, peut-on imaginer, à terme, qu'il n'y ait plus du tout de taxation de la valeur ajoutée produite dans l'économie française ?
Mme Sylvie Vermeillet. - Dans quelle mesure les avantages non contributifs sont-ils couverts par des financements de solidarité, autrement dit par des financements alternatifs aux cotisations sociales ? Quelle est la part de chacun ?
Par ailleurs, comment imaginez-vous le financement des dépenses de retraite non contributives face à la création d'un régime universel unique de retraite fondé sur l'uniformité du rendement des cotisations sociales ? Il me semble que ce nouveau système de retraite s'oriente vers une distinction très ferme entre la partie contributive, assurantielle, et la partie solidarité.
M. Claude Raynal, président. - Messieurs, vous avez la parole.
M. Christian Charpy. - Tout d'abord, la fraude est par définition difficile à évaluer. Celle qui concerne la TVA est évaluée à une somme comprise entre 12 milliards d'euros et 100 milliards d'euros. Aujourd'hui, les organismes de sécurité sociale et l'État mettent en oeuvre des dispositifs plus modernes d'évaluation et de détection de la fraude, en recourant de façon bien plus massive qu'auparavant au data mining - l'exploration des données -, qui permet d'identifier les employeurs qui ne versent pas de cotisations et les fraudeurs aux prestations.
Cette fraude entache le consentement à l'impôt, aux prélèvements, et crée une suspicion générale vis-à-vis des systèmes sociaux ou publics. La lutte doit donc rester une priorité absolue. La mise en place du service de traitement des déclarations rectificatives (STDR), il y a quelques années, a permis de faire rentrer quelques milliards d'euros bienvenus dans l'escarcelle de l'État. C'est un travail continuel.
S'agissant des transferts interbranches, il est incontestable que certains accidents du travail ou maladies professionnelles sont bien sous-déclarés, soit que l'employeur ou le salarié ne le déclare pas, soit parce qu'un cancer peut avoir une origine professionnelle non univoque, mais qui joue néanmoins un rôle.
Une commission, présidée par un collègue honoraire de la Cour des comptes, définit chaque année le montant de ces dépenses avec des épidémiologistes. Cela aboutit en général à une fourchette assez large, comprise entre 500 millions d'euros et 1 milliard d'euros. La commission communique ce montant à l'État, qui indique ensuite combien il prélève. En fonction des excédents, on va plutôt vers le haut ou vers le bas de la fourchette. Aujourd'hui, on est plutôt vers le haut. Cela se justifie sur le fond. Pour ce qui est du montant, on peut s'interroger. C'est en quelque sorte une variable d'ajustement.
S'agissant de la question de M. Bocquet, nous avons adressé un rapport au Gouvernement. Celui-ci est ensuite responsable de ce qu'il rédige pour le Parlement. On avait évoqué certains sujets, comme la question de la règle d'or. Le Gouvernement n'est pas complètement au clair sur ce qu'il veut faire. Il n'a pas souhaité reprendre ce sujet, d'autant que la commande de la loi de programmation portait exclusivement sur les relations financières entre l'État et la sécurité sociale. On nous a demandé de réfléchir aux questions de règle d'or. On l'a fait pour alimenter le débat, mais il n'y a pas d'écart entre ce que nous avons dit et ce que le Gouvernement a repris.
Pour ce qui est de l'évolution, je pense que le financement assis sur le travail demeurera. Il est cependant assez résiduel. On aurait pu se demander s'il n'aurait pas fallu que la structure de financement soit liée à la structure des dépenses : par exemple, on aurait pu estimer nécessaire de financer la branche famille entièrement par l'impôt. Elle est financée à plus de 70 % par des cotisations sociales. Il ne serait donc pas absurde de la placer ailleurs.
Organiser des transferts devient extrêmement compliqué. Je pense qu'il est bon d'avoir une logique de principe, mais il faut faire preuve de pragmatisme.
Je pense que la part du financement fiscal s'est accrue significativement. Il n'est pas sûr qu'on ait encore de la marge.
Quant au paritarisme, j'ai le plus grand respect pour les partenaires sociaux, mais il est vrai que leur rôle est aujourd'hui plus important en matière de retraite complémentaire que de retraite de base.
Le rôle de l'UNEDIC était primordial. Il a tendance, en la circonstance actuelle, à se réduire. Les partenaires sociaux sont aujourd'hui bien moins en phase qu'autrefois. La seule branche dans laquelle ils sont très actifs, ce sont les accidents du travail et, pour la partie famille, la gestion des dépenses et les priorités du Fonds d'action sanitaire et sociale.
S'agissant de la question des retraites et des avantages non contributifs, l'essentiel est aujourd'hui financé par le Fonds de solidarité vieillesse (FSV), lui-même financé par le biais de financements classiques. On peut dire qu'il s'agit globalement de financements non assis sur le travail. L'autre partie des avantages non contributifs sont des avantages familiaux de retraite, financés par un transfert de la CNAF, qui a longtemps servi à réduire ses excédents naturels, qui auraient incité à créer des dépenses nouvelles en matière d'assurance familiale.
Pour ce qui est de l'avenir du système de retraite, m'interrogeant moi-même sur le nouveau système, j'ai du mal à voir comment les avantages non contributifs seront financés demain. Il y aura forcément une partie assurantielle pure et une partie non contributive forte. Il y a ce que l'on connaît en matière de sécurité sociale, comme les avantages familiaux de retraite, et ce qui viendra du monde des fonctionnaires, avec les régimes actifs de retraite. On est dans le domaine de la solidarité : si un policier ne travaille pas au-delà de 62 ans, c'est sans doute parce qu'il a beaucoup travaillé avant et qu'il a eu des fonctions difficiles. On ne peut imaginer que le montant de sa retraite ne soit déterminé que par les 26 années de travail qu'il aura accomplies entre 26 ans et 52 ans s'il part à cet âge. Il y aura donc forcément un financement complémentaire non contributif.
J'attends personnellement d'être éclairé sur l'ensemble de la réforme et ne suis donc pas en mesure d'aller plus loin.
M. Julien Dubertret. - S'agissant des questions de M. Bascher, on voit bien qu'il existe des lacunes dans l'appréhension des projets de loi financiers.
Le Parlement y remédie lui-même, puisque le Sénat, il y a quelques années, considérant que les effectifs des établissements publics formaient un point de fuite en matière de contrôle des effectifs publics, a mis en place un plafonnement qui a constitué une règle supplémentaire à la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), qui s'impose désormais de façon évidente. On peut donc parfois, à la marge des textes, faire progresser le contrôle.
J'adhère totalement à l'idée de mieux appréhender tous les organismes qui gravitent dans les textes financiers. L'une des raisons qui expliquent qu'on ne les y trouve pas aujourd'hui vient du fait qu'ils sont parfois juridiquement, à un niveau élevé, dotés d'une forme d'autonomie. On n'a pas estimé devoir les soumettre à un vote centralisé en loi de finances ou en loi de financement.
On peut se poser la question à propos des établissements publics, à qui on a voulu octroyer une certaine autonomie de gestion. Les régimes complémentaires de retraite relèvent d'une réflexion à peu près identique. Ce sont des administrations publiques. Pour autant, elles relèvent de règles de gestion qui ne les mettent pas complètement, tant s'en faut, dans la main des pouvoirs publics - même s'il existe des interactions.
Le sujet représente à l'évidence une voie de progrès. Il faut sans doute le faire en prenant quelques précautions. Il existe dans la loi de finances, comme dans la loi de financement, une gradation dans l'appréhension des choses. Certaines dotations sont votées sous un plafond limitatif de crédits. D'autres le sont sous un plafond évaluatif. Certains items de dépenses font l'objet d'une simple évaluation. On peut imaginer que les éléments financiers soient seulement là à titre informatif, ce qui ne retire rien au caractère indispensable de l'information si l'on veut opérer un choix pertinent.
Quand on se penche sur le sujet, on s'aperçoit de la nécessité de progresser dans l'appréhension de l'image d'ensemble. Il faut reconnaître que tout n'est pas à mettre exactement au même plan dans la préparation de ces projets de loi au niveau gouvernemental et législatif.
Vous avez parfaitement raison de dire que ce sont là des points de fuite : il faut éviter de donner l'impression d'améliorer un solde public ou un niveau de dépenses en oubliant de mentionner que cela dégrade mécaniquement l'équilibre des finances publiques.
S'agissant de la gestion de la dette, je ne suis pas certain d'être totalement en phase avec vous. Le FRR n'a pas de dette, mais des excédents, un actif, qu'il ne gère finalement pas si mal que cela, puisqu'il rapporte chaque année 2 milliards d'euros aux organismes de sécurité sociale par le biais de la CADES.
Pour le reste, depuis maintenant un an et demi à deux ans, la gestion de la CADES est confiée à l'AFT. Cela fonctionne plutôt bien, même si, de fait, les règles ne sont pas les mêmes en matière de gestion de fonds.
Je me suis souvent interrogé sur le point de savoir pourquoi les règles étaient différentes. J'avais proposé qu'une enquête soit menée par la Cour des comptes sur la gestion comparée de la CADES et de l'AFT. Ce travail a été réalisé il y a quelques années. La gestion de l'AFT était alors assez bonne. Ce qu'on a pu faire récemment montre qu'il n'y a pas trop de difficultés.
Le vrai sujet porte sur l'ACOSS, qui ne peut s'endetter qu'à court terme. Nous vivons une période d'anesthésie de la dette, avec des taux d'intérêt faibles, voire négatifs à court terme. Pourvu que cela dure. Le Gouvernement a décidé en 2019 de basculer une partie de la dette à court terme sur la CADES, avec effet en 2020. Cela présupposait un risque de remontée des taux d'intérêt à court terme, ce qui n'est pas avéré pour le moment, mais il était également plus sûr de sanctuariser des financements pour le remboursement de la dette en confiant une partie de la CSG à la CADES.
M. Alain Joyandet, rapporteur spécial. - Si 15 milliards d'euros sont repris à l'ACOSS, il reste néanmoins un solde de dette. Lors de nos auditions, les évaluations portant sur ce solde ont divergé : l'un de nos interlocuteurs nous a dit que les 15 milliards d'euros suffiraient à apurer la dette de l'ACOSS, le reste n'étant que du besoin en fonds de roulement, servant à financer les écarts de trésorerie entre les emplois et les ressources. Un autre de nos interlocuteurs nous a dit que ces 15 milliards d'euros constituaient un montant inférieur à ce qu'on aurait dû transférer pour apurer la dette de moyen et long terme. Quel est votre avis à ce sujet ?
M. Christian Charpy. - La dette de l'ACOSS est actuellement de 25 milliards d'euros. Dans mon souvenir, le point bas de la trésorerie de l'ACOSS en cours d'année doit être supérieur à 32 milliards d'euros. On peut donc se dire que l'à-coup maximum est de l'ordre de 8 milliards d'euros à 10 milliards d'euros. On aurait pu faire davantage mais si on réalise cette reprise de dette et qu'on la consolide par un transfert de CSG d'ici 2024, on aura fait une large partie du chemin.
M. Philippe Dallier. - Vous avez reconnu que le paritarisme était affaibli. Ceci étant dit, la question mérite d'être posée. On a vu combien le fait de marquer une certaine distance vis-à-vis des élus locaux ou des partenaires sociaux pouvait poser problème. On est tous d'accord pour dire que le déficit du budget de l'État ou de la sécurité sociale signifie la même chose au bout du compte, et qu'on ne peut rétablir l'un en déséquilibrant l'autre, mais que pensez-vous de l'affaiblissement des partenaires sociaux ? C'est une question très politique - peut-être trop - qui mérite d'être posée.
Mme Christine Lavarde. - Ma question s'écarte du sujet traité ce matin, mais les citoyens, dans le cadre du grand débat, demandent que l'on publie tous les ans un récapitulatif de l'ensemble des dépenses de chacun - coût d'un enfant scolarisé, coût des dépenses sociales... Pensez-vous que ce soit techniquement possible ?
M. Christian Charpy. - Je crois que les partenaires sociaux ont un rôle à jouer dans la sphère sociale. Ce serait une erreur de le réduire. Ce sont les seuls à avoir pris la décision d'instaurer une règle prudentielle avec six mois de réserves obligatoires.
Dans le domaine de l'assurance chômage, je considère les droits rechargeables comme une grave erreur financière. À l'époque, j'étais directeur général de Pôle Emploi. Sur le fond, en général, les partenaires sociaux ont pris des mesures courageuses, et c'est souvent l'État qui les a empêchés de le faire. Par exemple, pendant longtemps, ils ont voulu réduire les avantages des saisonniers. Chaque année, l'État s'y est opposé. Il existe en même temps un problème de représentativité qui n'est pas du tout le même que celui que connaissent les maires ou les élus de la République.
S'agissant du second sujet, c'est techniquement assez simple. On connaît les dépenses de retraite, on sait qui touche des allocations familiales. On a aussi un relevé des dépenses de maladie. Quelles conclusions peut-on en tirer ? Je prends mon exemple : je n'ai rien coûté à l'assurance maladie pendant des années. Depuis quinze jours, je lui coûte énormément d'argent. Que peut-on en déduire ? Que je suis un mauvais Français ? Il est vrai qu'il existe un besoin de transparence aujourd'hui insuffisamment assuré.
Un travail sur la répartition des dépenses publiques a été réalisé dans le cadre du grand débat par Bercy, ramenant les dépenses à un budget de 1 000 euros : je trouve que cela a été très utile. Le faire chaque année régulièrement et le répartir ensuite par grandes catégories d'administration publique serait très utile. On a besoin de transparence. C'est la condition du consentement au prélèvement.
M. Éric Bocquet. - Je propose qu'on indique également la richesse produite par chaque salarié de ce pays en face des dépenses qu'il a pu générer !
M. Claude Raynal, président. - Je vous remercie pour la qualité de vos interventions.
La réunion est close à 12 h 10.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.