Mardi 24 septembre 2019
- Présidence de M. Vincent Capo-Canellas, président -
La réunion est ouverte à 9 heures.
Examen du rapport de la mission d'information
M. Vincent Capo-Canellas, président. - Nous examinons aujourd'hui le projet de rapport de notre mission sur les transports aériens et l'aménagement des territoires, établi par la rapporteure Josiane Costes.
La mission a été créée sur l'initiative du groupe du Rassemblement démocratique et social européen (RDSE), le 9 avril 2019, dans le cadre de l'exercice du droit de tirage prévu à l'article 6 bis du Règlement du Sénat. Nous avons débuté nos travaux le 14 mai 2019.
Permettez-moi de rappeler certains éléments de cadrage et d'organisation relatifs à nos travaux. La mission a entendu se concentrer sur les lignes d'aménagement du territoire (LAT), tout en intégrant une réflexion plus large sur la gestion des aéroports et l'impact climatique. En un peu moins de trois mois, la mission d'information a entendu en audition près de 70 personnalités, dont Mme Élisabeth Borne, qui était à l'époque la ministre chargée des transports. Nous avons effectué trois déplacements à Quimper, Aurillac et Rodez pour rencontrer les acteurs locaux, expertiser plusieurs types de lignes d'aménagement du territoire et évaluer l'impact de ces liaisons sur le développement économique et touristique. Elle a organisé trois tables rondes réunissant des compagnies aériennes régionales, des experts universitaires du transport aérien et des parlementaires ultramarins, députés et sénateurs, sur la continuité territoriale et la connectivité des outre-mer avec leurs bassins régionaux.
À la demande de la mission d'information, la direction de l'initiative parlementaire et des délégations a réalisé une étude de législation comparée sur le soutien au transport aérien comme instrument de désenclavement. Ciblée sur six pays, dont trois membres de l'Union européenne - l'Italie, l'Espagne et la Suède - et trois pays se situant sur d'autres continents - le Canada, l'Australie et la Colombie -, cette étude révèle les forces et faiblesses des différents modèles et permet de mettre en exergue un certain nombre de bonnes pratiques.
Enfin, il nous a paru important de permettre à chacun de s'exprimer sur le sujet. Une consultation en ligne, organisée entre le 14 juin et le 21 juillet 2019 sur la plateforme participative du Sénat, a recueilli 512 réponses et 180 contributions libres.
Je souhaite remercier tout particulièrement Mme la rapporteure, les membres de la mission et bien sûr chacun de nos contributeurs sans qui nos travaux n'auraient pas eu la même force.
Je donne sans plus tarder la parole à la rapporteure pour qu'elle nous présente le résultat de ce travail particulièrement dense et les points saillants du rapport.
Mme Josiane Costes, rapporteure. - Je tiens tout d'abord à vous remercier, monsieur le président, pour votre présidence bienveillante et attentive sur un secteur que vous connaissez bien puisque vous avez été maire du Bourget et que vous êtes actuellement rapporteur spécial pour la commission des finances du Sénat sur ces sujets. Je remercie également les membres de notre mission qui ont été nombreux à participer à nos auditions et à partager le point central de nos travaux, à savoir le rôle des transports aériens pour le désenclavement des territoires non desservis efficacement par le rail et par la route.
Le constat à l'origine de la création de cette mission est qu'aujourd'hui 1 million de Français vivent à plus de 45 minutes d'un accès à l'autoroute, d'une gare TGV ou d'un aérodrome. Par ailleurs, 10 millions de Français n'ont accès qu'à un seul de ces modes de déplacement.
Lors de nos déplacements en régions, nous avons pu constater, notamment à Quimper, Aurillac et Rodez, que certaines liaisons aériennes représentaient un enjeu vital pour le développement économique et touristique. Dans ces trois cas, comme pour les autres lignes d'aménagement du territoire, ce qui justifie un soutien public de l'État et des collectivités locales est l'existence même d'une activité humaine dans ces régions. Vous seriez étonnés d'apprendre que des entreprises de pointe, performantes à l'international dans des domaines aussi variés que le textile, la cosmétique, l'ingénierie, l'agriculture, y emploient des centaines de salariés dans l'industrie et les services.
Dans la première partie du rapport, j'ai souhaité aborder la montée des inégalités économiques et sociales entre les territoires, notamment le sentiment d'abandon géographique d'une partie de la population française. Les auditions nous ont éclairés sur l'un des phénomènes les plus marquants de la recomposition des territoires au cours des trente dernières années : la métropolisation. Elle se manifeste par une concentration des activités économiques et de la population dans les principales métropoles du pays. Mon département du Cantal, par exemple, s'est vidé de sa population. La connectivité des territoires reste inégalitaire, et cette inégalité n'est pas résorbée par le maillage ferroviaire à grande vitesse.
L'idée directrice du rapport est que le soutien au transport aérien régional reste pertinent lorsque d'autres moyens de transport, le rail ou la route, ne lui sont pas substituables ou ne rendent pas un service comparable. À ce titre, le rapport établit trois constats majeurs.
Le premier constat est que le principe du soutien de l'État aux lignes régionales de service public est une pratique largement répandue pour relier les territoires ou les communautés isolées, aussi bien au sein de l'Union européenne, en Italie, en Espagne, en Suède qu'en Australie ou en Colombie.
On peut y puiser des exemples de bonnes pratiques : en Italie, la mise en place d'une conférence permanente pour les rapports entre l'État et les régions pour coordonner les politiques de développement aéroportuaires ; en Espagne, la fixation de tarifs de référence et de réductions pour les étudiants et les trajets familiaux ; en Suède, une plus grande transparence de la qualité de service grâce à la publication régulière sur internet des statistiques de retards ou d'annulation de vols des compagnies opérant des lignes de service public.
Deuxième constat, le modèle français s'appuie principalement sur une politique de soutien aux routes, via des lignes d'aménagement du territoire, subventionnées selon le modèle des obligations de service public (OSP). Le soutien aux aéroports constitue un axe de soutien important mais secondaire, par ailleurs supporté par les collectivités territoriales. Enfin, le soutien aux passagers se limite aux territoires ultramarins, visant plus à assurer la continuité du territoire qu'à en assurer l'aménagement. Ce sont principalement sur ces dispositifs de soutien que nous avons porté nos travaux, avec une attention particulière pour les outre-mer.
L'État comme le Sénat se sont saisis de la question du désenclavement des territoires.
L'État a adopté en mars 2019 une « Stratégie nationale du transport aérien 2025 », qui comporte quatre axes stratégiques : la transition écologique, la performance du transport aérien français, le transport aérien de demain ainsi que la connexion des territoires au trafic aérien. De plus, selon l'annonce faite par en juillet dernier par Mme Borne, alors ministre des transports, l'exonération des lignes d'aménagement du territoire de l'écocontribution proposée par le Gouvernement est une reconnaissance du rôle et de l'utilité des lignes d'aménagement du territoire en métropole et outre-mer.
Pour sa part, le Sénat a adopté en janvier dernier une proposition de loi visant à faciliter le désenclavement des territoires afin d'améliorer la qualité et l'accessibilité des moyens de transport dans les zones enclavées, notamment en matière de transport aérien.
Le troisième et dernier constat concerne l'apport du transport aérien à l'aménagement des territoires. Nous nous sommes intéressés à son impact sur le développement économique. Nous avons entendu au cours des auditions qu'une hausse de 10 % du trafic aérien entraînerait une hausse de 0,1 à 0,5 % du PIB, de 0,3 à 0,7 % des salaires et de 3,9 % de la démographie locale. Si, dans les régions « centres » (plus développées économiquement), c'est principalement la croissance économique qui attire le transport aérien, dans les régions périphériques le transport aérien stimule directement l'activité économique. Le trafic n'y est pas induit, mais il est moteur et porteur d'externalités positives pour l'économie locale.
Enfin, avant d'en venir au vif du sujet et à mes propositions, un mot sur le contexte entourant la mission. La question du climat n'est pas qu'une affaire d'actualité. Même si elle a largement occupé les médias pendant nos travaux, elle nous concerne toutes et tous. Aussi, il est apparu évident et incontournable que notre rapport devait s'attacher à répondre aux préoccupations de réduction des émissions carbone et concilier aménagement du territoire avec développement durable.
Le rapport formule trente propositions concrètes, réparties en sept axes thématiques, qui portent, d'une part, sur des recommandations de nature législative et réglementaire et, d'autre part, sur des préconisations de bonnes pratiques. Par ailleurs, sur ces trente propositions, cinq d'entre elles sont plus spécifiquement dédiées aux outre-mer et cinq autres visent à inscrire la desserte aérienne des territoires dans une trajectoire durable.
Permettez-moi de vous exposer les lignes directrices de ces propositions, sans les reprendre point par point.
Le premier axe tend à renforcer le suivi de la Stratégie nationale du transport aérien pour le désenclavement des zones isolées. Nous avons identifié au cours de la mission une lacune dans le dispositif mis en place par le Gouvernement : la présidence du Conseil supérieur de l'aviation civile (CSAC), qui est censé assurer ce suivi, est vacante. De la même manière, il est indispensable d'actualiser régulièrement la cartographie des aéroports français. On compte 550 aéroports en métropole et en outre-mer, et 120 plateformes qui opèrent une activité de transport commercial : se pose donc la question de la rationalisation de leurs activités dans le cadre de stratégies à développer par les régions.
Le deuxième axe de propositions vise à conforter les lignes d'aménagement du territoire en sécurisant sur le plan juridique la participation financière des départements aux lignes d'aménagement du territoire. En effet, ils sont censés intervenir lorsque l'intérêt touristique est prédominant mais parfois un département est appelé à participer au tour de table financier sans être lui-même délégataire pour l'organisation de la LAT. Par ailleurs, les collectivités territoriales gestionnaires de lignes sous obligation de service public ont manifesté un besoin en ingénierie : plus de soutien technique de la part de la Direction générale de l'aviation civile (DGAC) et davantage de partage d'expériences entre collectivités porteuses de projets afin de diffuser les bonnes pratiques.
Le troisième axe est, pour moi, essentiel : il faut améliorer la qualité de service des lignes d'aménagement du territoire. Comme vous le savez, avec quelque 360 000 passagers transitant sur des lignes sous OSP sur un total de 33 millions de passagers à Orly, elles représentent à peine 1,1 % du trafic de cet aéroport. Par ailleurs, hormis Air France, nous avons vu que la concurrence sur le secteur demeurait limitée et que le dispositif réglementaire devait être prochainement réformé.
Aussi, nous avons identifié plusieurs propositions concrètes : renforcer le contrôle des opérateurs de délégations de service public (DSP) et de leurs sous-traitants en matière de transparence des comptes d'exploitation et de respect des obligations de service public ; inscrire la qualité du service aérien et de l'accueil des passagers au titre des indicateurs de performance des LAT et du futur contrat de régulation économique d'Aéroports de Paris (ADP) ; créer les conditions d'ouverture à davantage de concurrence dans la définition des besoins des DSP en modernisant leur encadrement réglementaire pour concilier au meilleur coût la garantie des besoins exprimés par les collectivités et la souplesse d'exploitation nécessaire ; veiller dans les DSP à la mise en place d'une politique tarifaire plus favorable à la clientèle dite « VFR » (voyage, famille, relations) et de tourisme, en complément de la clientèle d'affaires.
Le moment est choisi pour opérer ces changements, car, si en 2018, on ne comptait que onze lignes d'aménagement du territoire métropolitaines, dont seulement six bénéficiant d'une subvention, en 2019 et les années suivantes de nouveaux besoins sont identifiés : Limoges-Lyon, Quimper-Paris. En 2018, 11,7 millions d'euros ont été affectés au financement de ces six lignes, ainsi que du dispositif d'aide sociale en Guyane, de la desserte de Saint-Pierre-et-Miquelon en été et de la desserte européenne de Strasbourg. Le Gouvernement prévoit de porter à 25 millions d'euros par an la dotation annuelle pour financer les renouvellements de DSP, pour Rodez par exemple, et la création de nouvelles DSP (Quimper et éventuellement Cherbourg ou Carcassonne) selon les informations transmise par les régions. Le dispositif repose également sur le financement des collectivités territoriales pour lesquelles l'amélioration du modèle économique de ces lignes est cruciale : optimiser les taux de remplissage, diversifier la clientèle et promouvoir l'attractivité économique et touristique des lignes.
Optimiser la gestion des aéroports par les collectivités territoriales est le quatrième axe de propositions. Il s'agit notamment d'encourager, d'une part, les autorités organisatrices de la mobilité à assurer la bonne desserte des aérodromes et à coordonner leurs actions de promotion du territoire, notamment en matière économique et touristique, et, d'autre part, les régions qui ne se sont pas encore saisies du sujet à élaborer une stratégie aéroportuaire régionale.
Concernant les outre-mer, cinquième axe, il est proposé d'ajuster les aides aux passagers : dans les territoires où plusieurs aides existent, travailler à la mise en place d'un guichet unique pour faciliter l'attribution de l'aide la plus favorable au potentiel bénéficiaire ; déployer des dispositifs d'aides permettant aux ultramarins de développer des liens, notamment professionnels, avec leur bassin régional.
Le sixième axe vise à encourager la connectivité aérienne régionale, soit par le biais de liaisons transversales infra ou interrégionales, voire vers des pays de l'Union européenne, soit par la mutualisation des passagers sur une route à l'exemple de la ligne La Rochelle-Poitiers-Lyon. En particulier, nous avons identifié le dispositif d'aide au démarrage pour les collectivités territoriales qui souhaiteraient développer leur aéroport et leur desserte : c'est une aide d'État aux compagnies aériennes reconnue compatible avec le marché intérieur, qui peut prendre la forme d'une réduction sur les tarifs des redevances aéroportuaires dans la limite de 50 % pendant trois ans.
Enfin, septième et dernier axe, cinq propositions visent à concilier le désenclavement aérien des territoires avec le développement durable.
En premier lieu, si une écocontribution sur les billets d'avion venait à être mise en place dans la prochaine loi de finances, plutôt que d'entrer dans une logique d'interdiction des lignes intérieures, il est préférable, comme l'a indiqué Mme la ministre, d'exonérer les LAT et les outre-mer. En plus, il est proposé d'instaurer un abattement prenant en compte le degré de substituabilité entre l'aérien et le train. Par exemple, un vol Paris-Lyon (52 minutes de différence entre le train et l'avion) ne bénéficierait pas d'abattement et serait pleinement imposé. En revanche, pour un vol Paris-Nice (4 heures 20 d'écart entre le train et l'avion), un abattement de 100 % sur la taxe carbone serait appliqué.
Je termine par les propositions les plus porteuses d'avenir pour développer le transport aérien régional de demain.
Il faut orienter le produit de la taxation en priorité vers le financement de la recherche en faveur de l'aviation de demain.
Intégrer des critères environnementaux dans les obligations de service public permettrait d'orienter les compagnies vers l'utilisation des aéronefs les plus efficients en matière d'économie de carburant et de réduction des émissions carbone, notamment les avions « à hélices » qui utilisent des turbopropulseurs et qui consomment de 30 % à 40 % de kérosène en moins que les avions à réaction.
Une filière locale de production et d'approvisionnement en biocarburants aéronautiques pourrait dans un premier temps être expérimentée sur les lignes d'aménagement du territoire.
Enfin, l'aviation régionale française peut être le laboratoire à l'horizon de 2030 de la mise en oeuvre concrète du transport aérien hybride et décarboné. La dimension des avions d'environ 50 places et les distances de l'ordre de 500 kilomètres correspondent aux perspectives de développement des constructeurs. Le défi est exigeant, mais réalisable.
Tels sont les constats et les propositions du rapport que je soumets à votre approbation.
M. Vincent Capo-Canellas, président. - Je remercie Mme la rapporteure pour ce tour d'horizon complet. Nous avons embrassé des sujets très différents, des points de contact jusqu'aux droits de trafic et à la fiscalité, en passant par la transition énergétique.
Nos travaux ont permis de mettre en évidence des sujets méconnus. On oublie souvent que les petits pourcentages de trafic aérien cachent des enjeux essentiels pour l'économie de nos territoires. Il ne faut pas non plus oublier les passagers : les tarifs et la qualité de service sont tout aussi importants.
Les propositions portent à la fois sur des sujets stratégiques et sur des axes d'amélioration des LAT.
Nous devons aujourd'hui autoriser la publication du rapport. Mes chers collègues, vous pouvez, par l'intermédiaire de vos groupes, annexer des contributions à ce travail, mais je vous invite à prendre la parole dès maintenant pour faire part de vos observations.
M. Michel Canevet. - Je remercie Mme la rapporteure et les services du Sénat pour la qualité de ce rapport. Une question importante concerne les compétences régionales en matière d'organisation du transport aérien. L'État a bien entendu une légitimité totale à intervenir en la matière, mais les régions devraient s'impliquer davantage. Elles pourraient être représentées au conseil supérieur de l'aviation civile (CSAC) et mener, dans le cadre de cette instance, une concertation commune.
Je veux également évoquer la desserte des LAT par des avions à hélices, qui nécessitent souvent le recours à un bus pour amener les passagers à l'aérogare - même si à Orly le nombre de points au contact a été augmenté ! -, ce qui allonge la durée totale du voyage. Cet élément devrait être pris en compte dans le cahier des charges du contrat de régulation économique avec ADP. Pour les territoires excentrés, le transport aérien reste important. Le désenclavement des territoires est un facteur permettant le développement économique et touristique. Cet été, j'ai pu constater combien le nombre d'avions desservant la Crète était important... Nous pourrions développer le tourisme réceptif dans les régions touristiques françaises.
Mme Victoire Jasmin. - Le rapport décrit bien les difficultés rencontrées dans les territoires. Les propositions concernant les départements et les régions sont importantes. En Guadeloupe, pour l'aérodrome qui se situe à Marie-Galante, les évacuations sanitaires se font en hélicoptère. Des difficultés n'ont pas permis d'optimiser les moyens disponibles.
Les alternatives au carburant existent. Sur certaines lignes intérieures, des avions utilisent du biocarburant à hauteur de 50 %, ce qui s'inscrit dans une démarche de protection de l'environnement.
Les alternatives à l'avion ne sont pas envisageables aux Antilles, en raison des risques sismiques.
Au niveau systémique, nous sommes confrontés à l'impact négatif lié au surcoût des billets, puisque des compagnies aériennes, comme XL Airways, connaissent d'importantes difficultés.
M. Dominique Théophile. - La DGAC dresse des statistiques de trafic pour les passagers entre la métropole et l'international, de province à province et entre la métropole et l'outre-mer.
Il serait intéressant d'évaluer les déplacements entre l'outre-mer et l'international. La Guadeloupe est à quatre heures des États-Unis, par exemple. Ce trafic important pourrait être pris en compte dans les décisions d'investissement pour nos aéroports.
M. Pierre Cuypers. - Je remercie Mme la rapporteure et les services du Sénat pour ce rapport de référence, qui a été préparé dans des délais relativement restreints.
La proposition n° 29 vise à « initier » le développement d'une filière de production en biocarburants. Mais les outils de production existent déjà ! Il faut renforcer et encourager l'utilisation des biocarburants, qui intègrent les énergies renouvelables.
M. Vincent Capo-Canellas, président. - Préféreriez-vous les termes « appuyer » ou « renforcer » ?
M. Pierre Cuypers. - Oui ! N'« initions » pas un dispositif qui existe déjà.
M. Vincent Capo-Canellas, président. - Il faut être prudent : on peut parler d'une amorce de filière. Mais nous n'en sommes pas encore au stade d'une filière mature qui peut se développer dans de bonnes conditions économiques.
M. Pierre Cuypers. - Le biocarburant existe, mais la technologie doit s'adapter au transport aérien.
M. Vincent Capo-Canellas, président. - Le biocarburant n'est pas assez produit pour l'aéronautique. Le terme « initier » ne prend pas en compte l'existant, mais il ne faut pas considérer que tout est réglé aujourd'hui. Je ne doute pas que Mme la rapporteure trouvera la bonne formule !
M. Jordi Ginesta. - Mme la rapporteure a évoqué la possibilité de faire varier les taxes en fonction de l'écart de durée de trajet entre le train et l'avion. Les billets Air France entre Nice et Paris sont extrêmement chers si l'on rapporte leur prix à la durée du trajet. Air France bénéficie du monopole sur ce parcours. Il s'agit presque d'une « péréquation de solidarité » entre les voyageurs qui partent de Nice et ceux des lignes déficitaires. Peut-on imposer à Air France un prix du billet qui tienne compte uniquement du trajet, et non pas d'une solidarité nationale ?
La privatisation des aéroports n'a pas été abordée. Quel serait l'impact sur la desserte du territoire ? Nous perdrions toute maîtrise...
Mme Sonia de la Provôté. - Je salue le travail réalisé, d'autant qu'il a fallu resserrer les rangs à un moment donné pour retrouver une certaine cohérence !
Le septième axe, qui a été renforcé au cours de nos travaux, me semble très important : il doit avoir un poids suffisant dans le rapport pour éviter les critiques que l'on aurait pu nous adresser sur la question de la transition.
Le temps de déplacement est le coeur du problème : il faut exiger que les évaluations prennent en compte le temps complet d'un voyage, de porte-à-porte. La publicité se fait sur le temps de vol, mais il faut y ajouter une heure, voire davantage, notamment à Paris lorsqu'il s'agit d'aller d'un aéroport vers le centre de la ville.
Le rapport met en avant la stratégie régionale, qui me semble primordiale. Vous avez évoqué Cherbourg, qui ne fait pas partie des quatre aéroports de Normandie. Il va falloir remettre de l'ordre, car des collectivités infrarégionales ne peuvent pas soutenir la création d'une ligne alors même que la région essaye de son côté d'organiser les choses. La région me semble être le bon échelon pour traiter de la question des transports, qu'il s'agisse du train, de la route ou de l'avion. Le schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (Sraddet) sert à cela ! Les décisions ne doivent pas être prises en dehors de l'autorité qui a le meilleur regard sur l'intermodalité.
M. Didier Mandelli. - Je salue à mon tour le travail de la rapporteure et des services.
La proposition n° 27 porte sur le fléchage de la taxe. Dans le cadre de la loi d'orientation des mobilités, nous avons demandé un rapport au Gouvernement sur l'utilisation des carburants alternatifs, qui intègrent notamment les biocarburants, dans les domaines maritime et aérien. Les pétroliers, les différents acteurs et les compagnies sont très avancés sur cette question. Accorder des financements importants à la recherche en la matière ne me paraît pas très pertinent. Je suis membre du conseil d'administration de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf) : nous n'avons pas pu financer les scénarios 2 et 3 du Conseil d'orientation des infrastructures (COI) par manque de moyens, alors que les infrastructures prévues auraient bénéficié à tous les territoires. Il me semble préférable de conforter les moyens de l'Afitf, pour permettre un véritable maillage du territoire, et les LAT.
M. Vincent Capo-Canellas, président. - La proposition n° 27 du rapport prévoit d'« orienter le produit de la taxation en priorité vers le financement de la recherche en faveur du transport aérien de demain et, dans une moindre mesure, vers le financement de l'Afitf ». Notre approche diffère effectivement de celle de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. Nous sommes ici davantage centrés sur l'enjeu d'aménagement du territoire porté par le transport aérien. Il convient de trouver un juste équilibre entre le financement de la recherche et les moyens de l'Afitf.
M. Sébastien Meurant. - J'adresse mes remerciements à notre rapporteure pour l'excellence du travail présenté. Le sujet est majeur, alors que des compagnies aériennes montrent des signes de fragilité et que les aléas géopolitiques risquent de bouleverser l'économie du secteur. Comme élu du Val-d'Oise, les plateformes aéroportuaires m'apparaissent essentielles à l'aménagement du territoire. En région parisienne, à Nantes comme à Toulouse, il s'agit d'une évidence. L'État doit, en conséquence, en conserver la maîtrise pour assurer une cohérence en matière d'aménagement du territoire. Quel est, par exemple, l'intérêt de développer une ligne à grande vitesse entre Paris et Toulouse alors qu'une ligne aérienne gérée par Air France est rentable sur le même trajet ? Il est indispensable que les acteurs concernés dialoguent. Dans l'industrie aéronautique, des avancées sont possibles s'agissant de la durée de transport et du développement des technologies durables.
M. Vincent Capo-Canellas, président. - La mission d'information a centré ses travaux sur les aéroports de petite et moyenne taille. Elle n'a donc pas abordé le sujet de la privatisation, largement discutée, par ailleurs, lors des débats sur la loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises. La situation économique des plateformes privatisées varie : si les aéroports de Nice et de Lyon fonctionnement de façon satisfaisante, celui de Toulouse souffre davantage.
M. Pierre Cuypers. - Le rapport ne fait pas mention du fret aéroportuaire, que certaines plateformes - je pense à l'aéroport Paris-Vatry dans la Marne - aimeraient voir développer.
M. Vincent Capo-Canellas, président. - Le fret, à lui seul, mériterait qu'un rapport lui soit consacré. Les compagnies présentes dans les aéroports de petite taille doivent rapidement faire tourner leurs avions ; le fret ne se prête donc guère à leur activité.
M. Pierre Cuypers. - Il existe aussi du fret dans des avions transportant des passagers sur des lignes rentables.
M. Vincent Capo-Canellas, président. - Les auditions que nous avons menées ont fait état d'un avis mitigé des compagnies régionales s'agissant du développement du fret aérien. L'activité nécessite une rotation moins élevée des avions et un volume de marchandises suffisant, ce qui ne peut être le cas sur certaines lignes.
M. Pierre Cuypers. - Le fret est important pour les entreprises des villes de taille moyenne.
M. Vincent Capo-Canellas, président. - Certes, mais l'activité n'est pas évidente à développer.
Mme Sonia de la Provôté. - Le fret mériterait effectivement un travail dédié, incluant le transport maritime et fluvial, ainsi que le rail.
M. Didier Rambaud. - Les recettes de stationnement dans les aéroports ne pourraient-elles pas alimenter le fonds de péréquation ? À Lyon, les passagers subissent un véritable racket...
Mme Josiane Costes, rapporteure. - Monsieur Canevet, l'échelle de réflexion idoine en matière de transport aéroportuaire me semble effectivement être la région. Hélas, l'appropriation du maillage territorial aéroportuaire varie considérablement d'une région à l'autre : si la Bretagne, l'Occitanie et la Nouvelle-Aquitaine apparaissent fort impliquées, il en va différemment de la région Auvergne-Rhône-Alpes, par exemple, même si le sujet sera intégré au Sraddet. Lorsque toutes seront impliquées, les régions pourront discuter ensemble du maillage territorial aéroportuaire dans le cadre de réunions organisées, pourquoi pas, par le CSAC, comme vous le suggérez.
La qualité de l'accueil devrait figurer dans le cahier des charges des délégations de service public. Mme de la Provôté a raison lorsqu'elle évoque l'aéroport d'Orly : l'usage fréquent des navettes et la circulation des passagers au travers d'interminables couloirs peuvent parfois doubler le temps de vol. À Aurillac, des améliorations sont toutefois visibles avec un taux de départ au contact de 48 %, mais il n'existe toujours pas d'ascenseur pour débarquer, ce qui demeure problématique pour certains passagers. Ces critères devraient être intégrés à l'appel d'offres ; ADP, il me semble, en a pleinement conscience.
Madame Jasmin, en outre-mer, il faut aussi réfléchir au maillage territorial aéroportuaire, d'autant que le rail ne peut faire concurrence à l'avion et que les récentes faillites de compagnies aériennes vont créer de grandes difficultés dans ces territoires. Les biocarburants - vous avez raison - doivent être développés.
Monsieur Théophile, comme l'ont montré les auditions, le trafic international à partir des aéroports de taille modeste mériterait d'être évalué et davantage pris en compte, notamment en outre-mer où les aéroports disposent d'un vaste bassin régional.
Monsieur Cuypers, les biocarburants sont déjà utilisés par l'industrie aéronautique, mais la filière demeure trop fragmentée. Elle nécessite d'être rationalisée. La recherche, en outre, doit être favorisée.
M. Vincent Capo-Canellas, président. - Notre rapporteure pourrait modifier la proposition n° 29 - « initier le développement d'une filière de production et d'approvisionnement en biocarburants aéronautiques localisée dans les territoires » - en préférant le terme « développer ».
M. Pierre Cuypers. - Il faut consacrer davantage de moyens au développement des biocarburants destinés à l'aéronautique.
Mme Josiane Costes, rapporteure. - J'approuve la proposition de modification de notre président : « Développer la filière » et la suite sans changement.
S'agissant du fret, monsieur Cuypers, nous avons évoqué le sujet avec plusieurs compagnies qui exploitent de petites lignes. L'activité ne les intéresse guère, car leurs avions, pour éviter les frais de stationnement, ne restent que peu de temps à Orly. Ils sont, en outre, de trop petite taille pour transporter un chargement de marchandises suffisant en plus des passagers.
La ligne Paris-Nice est commerciale, monsieur Ginesta, elle n'est pas subventionnée. Comme vous le dites, vu la situation de monopole, la compagnie fixe ses tarifs comme elle l'entend et nous n'avons pas de prise dessus.
M. Vincent Capo-Canellas, président. - On peut s'interroger aussi sur la fixation des prix, car ceux-ci ne cessent de changer en fonction de multiples critères. Air France, par exemple, teste la résistance au prix de l'acheteur pour maximiser sa profitabilité.
Mme Josiane Costes, rapporteure. - En effet, le prix des billets est à sa discrétion... Notre mission s'étant concentrée sur les petits aéroports, nous n'avons pas abordé la question de la privatisation, qui a été débattue par ailleurs.
En ce qui concerne la ligne pour Cherbourg, madame de la Provôté, la région s'est emparée du sujet puisque c'est son président qui nous a signalé ce sujet dans la réponse de la région Normandie à notre questionnaire.
Mme Sonia de la Provôté. - Je voulais signaler le fait que cela devait toujours passer par la région.
Mme Josiane Costes, rapporteure. - Je suis d'accord, même si certaines sont en retard sur ce point...
M. Vincent Capo-Canellas, président. - Cherbourg, de surcroît, est un aéroport militaire.
Mme Sonia de la Provôté. - Il y a des questions de sécurité nationale.
M. Vincent Capo-Canellas, président. - Comme l'a dit la rapporteure, les collectivités territoriales doivent dialoguer, et nous devons conforter la capacité des départements à intervenir, même s'ils ne sont pas actionnaires des sociétés d'exploitation des aéroports.
M. Benoît Huré. - En effet. La loi NOTRe fait qu'il est impossible, pour les départements, d'intervenir, puisqu'ils n'ont plus la compétence sur les transports - ils ont d'ailleurs transféré aux régions les moyens qu'ils y consacraient - et ne peuvent plus participer à une activité économique. Un toilettage de la loi NOTRe serait donc bienvenu, lorsque l'occasion s'en présentera.
Mme Josiane Costes, rapporteure. - En fait, nombre de départements, lorsqu'ils ne sont pas délégataires, participent au tour de table et financent des lignes aériennes au titre de leur compétence sur le tourisme, même lorsqu'il ne s'agit pas de lignes touristiques.
M. Vincent Capo-Canellas, président. - Cela renvoie au débat sur la solidarité intrarégionale, car c'est parfois le département qui connaît l'importance d'une ligne pour la vie économique locale et, s'il n'avance pas un premier montant, la région ne suit pas. Il faut donc conforter les départements.
M. Benoît Huré. - De plus, les aéroports sont souvent situés dans une agglomération, qui pourrait aussi se charger de les soutenir.
Mme Sonia de la Provôté. - La sécabilité des compétences est prévue, et l'on peut transférer en partie une compétence à une autre collectivité territoriale.
M. Vincent Capo-Canellas, président. - Mais il ne faudrait pas non plus que la région se dessaisisse du sujet ! Une réflexion nationale pour que les régions mettent en oeuvre des stratégies volontaires serait bienvenue.
Mme Josiane Costes, rapporteure. - La proposition n° 27 concerne bien l'Afitf, monsieur Mandelli. Il ne s'agit pas de la déshabiller, bien sûr : nous en avons besoin !
M. Vincent Capo-Canellas, président. - Ce sont les termes « et dans une moindre mesure » que l'on pourrait modifier.
M. Didier Mandelli. - Cela laisserait la possibilité d'arbitrer.
Mme Josiane Costes, rapporteure. - Nous allons trouver une formulation satisfaisante. Sur les petits aéroports, le parking est souvent gratuit, comme à Aurillac, ou très peu cher, comme à Rodez.
M. Vincent Capo-Canellas, président. - Certains aéroports font même de cette gratuité un argument commercial.
Mme Josiane Costes, rapporteure. - Cela provoque aussi des abus...
Je vous propose d'intituler le rapport : « Réduire la fracture territoriale par le transport aérien ».
M. Jordi Ginesta. - Tous les écologistes seront contre.
Mme Josiane Costes, rapporteure. - Je propose alors : « Le désenclavement par le transport aérien : un enjeu de cohésion des territoires ».
M. Jordi Ginesta. - Excellent !
M. Vincent Capo-Canellas, président. - C'est plus long, mais plus complet.
Mme Josiane Costes, rapporteure. - Et moins ciblé sur une catégorie de territoires.
M. Dominique Théophile. - Et pourquoi pas : « Le transport aérien : enjeu de cohésion du territoire » ?
M. Vincent Capo-Canellas, président. - La notion de désenclavement me paraît importante. Celle de cohésion du territoire compte aussi. Les titres des rapports sont rarement trop brefs...
M. Éric Gold. - Il faut aussi mentionner l'aménagement du territoire.
Mme Sonia de la Provôté. - Tout à fait, l'aménagement s'entend également pour des territoires qui ne sont pas enclavés.
M. Benoît Huré. - Je propose : « Le transport aérien : outil de désenclavement et de cohésion des territoires. » Ou bien : « La contribution du transport aérien au désenclavement et à la cohésion des territoires. »
M. Vincent Capo-Canellas, président. - Qu'en pense la rapporteure ?
Mme Josiane Costes, rapporteure. - J'aime assez « Contribution du transport aérien au désenclavement et à la cohésion des territoires ». Car l'aérien est un moyen parmi d'autres pour désenclaver.
M. Vincent Capo-Canellas, président. - Avec ou sans article ?
Mme Josiane Costes, rapporteure. - L'article n'est pas obligatoire dans un titre, qui peut être elliptique. Tous les territoires y trouvent leur compte, puisqu'il y a les mots « désenclavement » et « cohésion ».
M. Vincent Capo-Canellas, président. - Merci à tous. Je vous propose d'autoriser la publication du rapport.
Le rapport est adopté à l'unanimité et la mission d'information en autorise la publication.
La réunion est close à 10 h 20.