Mercredi 13 décembre 2023
Audition de Mme Sylvie Pierre-Brossolette, présidente du Haut conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes (HCE)
Mme Dominique Vérien, présidente. - Mes chers collègues, je suis ravie d'accueillir au sein de notre délégation Sylvie Pierre-Brossolette, présidente du Haut conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes (HCE). Elle en est une interlocutrice fidèle depuis de nombreuses années.
Avant d'être nommée présidente du HCE en janvier 2022, elle en avait présidé la commission « Lutte contre les stéréotypes et les rôles sociaux ». À ce titre, elle avait été auditionnée à plusieurs reprises par notre délégation, notamment sur la place des femmes dans les médias audiovisuels.
L'expertise du Haut conseil à l'égalité est précieuse pour la délégation et je crois pouvoir dire que nous nous nourrissons mutuellement de nos travaux respectifs.
Les rapports récemment publiés par le HCE rejoignent d'ailleurs les préoccupations de notre délégation et je salue, une fois de plus, nos convergences de vues et un engagement commun en faveur des droits des femmes et de la lutte contre toutes les violences faites aux femmes.
Je pense bien sûr au rapport Pornocriminalité : mettons fin à l'impunité de l'industrie pornographique !, publié fin septembre 2023, qui s'inscrit dans la lignée du rapport de la délégation Porno : l'enfer du décor, sorti tout juste un an avant celui du Haut conseil. D'ailleurs, Laurence Rossignol appelle votre rapport le « tome 2 » du nôtre.
Je pense également à vos récents travaux sur les relations entre femmes et numérique, qui ont abouti à la publication début novembre 2023 d'un rapport intitulé La Femme Invisible dans le numérique : le cercle vicieux du sexisme. Ce sujet nous intéresse tout particulièrement et nous prévoyons d'ailleurs, à l'occasion du 8 mars, d'organiser, en partenariat avec la délégation à la prospective du Sénat, une table ronde sur le thème « Femmes et intelligence artificielle ».
À ces récents rapports du HCE s'ajoute le rapport annuel sur l'état du sexisme en France, confié au HCE par la loi du 27 juin 2017. Publié en janvier 2023, le dernier en date montre que le sexisme perdure dans toutes les sphères de la société et que ses manifestations les plus violentes s'aggravent.
Chère Sylvie Pierre-Brossolette, nous le savons, votre engagement féministe dépasse le cadre du seul Haut conseil à l'égalité, puisque vous êtes également une membre active de la Fondation des femmes. Vous y avez fait naître, puis présidé, La Cité Audacieuse, première institution en France totalement dédiée aux droits des femmes, qui abrite de nombreuses associations et qui est située à deux pas d'ici, au 9 rue de Vaugirard, pour celles et ceux qui souhaiteraient la découvrir. Je pense que nous pourrions même y organiser une visite de la délégation aux droits des femmes.
Je signale également que la Fondation des Femmes a mené un projet de recherche-action intitulé « Un Abri pour toutes », qui nous intéresse particulièrement au titre des travaux que nous allons mener cette année sur les femmes dans la rue.
Je vous laisse sans plus tarder la parole pour, d'une part, faire le point sur les derniers travaux du HCE et pour, d'autre part, partager avec nous vos analyses sur les chantiers à venir en matière de droits des femmes. Ensuite, mes collègues et moi-même pourrons vous poser des questions.
Mme Sylvie Pierre-Brossolette, présidente du Haut conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes. - Merci, chère Dominique. Bonjour à toutes et à tous.
Je suis toujours ravie de me rendre dans cette maison, qui m'a toujours si bien accueillie. Vos travaux rejoignent bien souvent ceux du HCE. Je vous félicite encore pour votre dernier rapport, qui nous a ouvert la voie sur le sujet de la pornographie. Ce tome 1 était très précieux pour que nous puissions achever notre travail et enfoncer le clou. J'y reviendrai.
Je vais vous rappeler en quelques mots les trois principaux rapports que nous avons sortis, ou du moins ceux qui ont eu le plus d'impact depuis janvier 2023, à savoir l'état du sexisme, la pornographie et le numérique.
Je n'oublie pas les deux autres rapports que nous avons publiés, tout aussi importants, mais un peu moins grand public. Le premier portait sur les centres de psycho-traumatismes (CRP), créés il y a quelques années. Nous en avons tiré un premier bilan dramatique. Ils ne sont pas assez nombreux et ne disposent pas de suffisamment de moyens. C'est bien de s'occuper des violences faites aux femmes, mais si on ne les soigne pas après leur traumatisme, elles le conservent à vie. Ces centres sont donc très importants. Nous avions émis des propositions dans le cadre de ce rapport. Élisabeth Borne nous avait indiqué qu'un rapport de l'Igas (Inspection générale des affaires sociales) compléterait peut-être notre enquête, étant donné que nous ne disposons pas des moyens nécessaires pour faire un tour de France. Je vous signale le sujet : les CRP sont déficients.
Ensuite, nous avons rédigé un rapport sur la diplomatie féministe, parce que nous sommes évaluateurs du Quai d'Orsay dans ce domaine. Il n'a pas vraiment plu à la ministre mais il pointait du doigt certaines insuffisances de mise en oeuvre, de portage au plus haut niveau et même de définition du concept. Nous pensons que nous pouvons aller plus vite et plus loin. Nous avons tout de même reconnu ce qui a été fait. Nous sommes un des rares pays à porter ce concept haut et fort. La Suède en était la créatrice, mais l'a abandonné depuis le changement de gouvernement.
Au-delà de ces deux rapports, trois autres ont davantage attiré l'attention. Le premier portait sur l'état du sexisme en France. Grâce à une étude ViaVoice, il a pu mettre en lumière la permanence, voire l'aggravation, ou du moins la persistance insistante du sexisme, y compris dans la jeune génération. Les 25-34 ans sont particulièrement concernés. Le sexisme, constaté dans toutes les générations, est plus grave dans cette classe d'âge. Il va toujours un peu plus loin que dans les autres classes d'âge. C'est contre-intuitif. On se demande comment cela peut être possible après #MeToo, les campagnes, les rapports et prises de conscience.
Lorsqu'on interroge les jeunes, ils indiquent être pour l'égalité, qu'ils qualifient de beau combat. Ils estiment que le Gouvernement n'en fait pas suffisamment. Pourtant, nous observons un décalage considérable, lorsque nous les interrogeons sur leurs pratiques, entre ce qu'ils professent et leur façon de vivre au jour le jour. Ils jugent qu'il est très bien que les femmes rentrent à la maison pour faire la cuisine, qu'il faut être un peu violent pour s'affirmer. On retrouve chez eux tous les éléments du sexisme ordinaire qui, dans un continuum que vous connaissez bien, débouche sur des violences et, pire, sur des féminicides parfois.
Nous avons mis en lumière ce sexisme et notre volonté de le combattre de deux manières. Nous les avons présentées lors de la remise de notre rapport au Président de la République, qui nous a reçus le 25 janvier dernier. D'abord, nous réclamons une éducation sexuelle à l'école depuis vingt-deux ans. Elle n'est pas en place, alors même qu'elle aurait pu éviter, je pense, beaucoup de dérives, de sexisme et de mauvaises idées sur ce que doit être la sexualité et sur les violences qui l'accompagnent. Nous avons insisté sur le sujet. Ces séances ne se mettent en place que dans un quart des cas. C'est très lent.
La deuxième voie pour combattre le sexisme est celle de la régulation du numérique. La génération des plus jeunes est sensible à #MeToo et aux professions de foi d'égalité entre les femmes et les hommes, mais elle baigne depuis son plus jeune âge dans le numérique. Les réseaux sociaux et le porno envahissent leur vie, avec des modèles de patriarcat, de domination masculine, de violences, tous très nocifs dans la formation de leur mentalité, de leurs réflexes. Si on ne lutte pas contre ces causes, il ne nous restera que nos yeux pour pleurer et déplorer le sexisme qui se poursuit. Nous pouvons toujours essayer de protéger les femmes des violences avec le Grenelle et mettre les auteurs en prison, mais si nous nourrissons de nouvelles générations d'hommes violents, nous pourrons continuer longtemps ainsi. Le serpent se mord la queue. Nous devons attaquer le mal à la racine. Il ne suffit pas d'organiser des Grenelle, tout aussi ambitieux soient-ils.
Ce cri d'alarme a été suivi par un second, plus terrible encore, lié au constat ayant suivi le vôtre dans le cadre du rapport sur le porno criminalisé. Nous avons insisté pour le nommer ainsi, car c'est bien de cela qu'il s'agit.
La pornographie mise en ligne présente dans 90 % des cas des contenus de violences passibles du code pénal. Ce dernier dispose qu'enregistrer et diffuser des séquences illégales est passible de la même peine, car il s'agit du même crime. Dans ce contexte, nous ne comprenons pas pourquoi l'État ne fait rien depuis que ces vidéos sont en ligne, depuis quinze à vingt ans. Il est impuissant, malgré un désordre public incroyable. Il reste dans une indifférence, un déni, estimant que « du porno, il en faut bien », que ce n'est pas bien grave, que les filles étaient consentantes.
Nous faisons face à une absence de prise de conscience du degré de violences atteint. Nous n'en sommes plus à un style de vidéo proche d'Emmanuelle. Nous avons, à votre suite et peut-être plus crûment encore, décrit les horreurs à la portée du moindre jeune - ce n'est pas mieux si elles sont à la portée des adultes1(*). Je ne vous rappellerai pas toutes les pratiques, parmi lesquelles le gang bang - il s'agit de pénétrer, à plusieurs, plusieurs des orifices des femmes jusqu'à ce qu'elles n'en puissent plus - ou la pratique la plus monstrueuse, le « prolapse ». Les gens le cherchent sur Internet, puisqu'on trouve 21 000 occurrences de ce terme. Ce qui fait jouir des hommes, c'est de regarder des viscères de femmes s'échapper des orifices distendus par des maltraitances, parce qu'on leur a introduit des engins et des pénis en trop grande quantité. C'est absolument atroce.
Les conséquences pour les femmes sont évidentes. Elles sont marquées physiquement et psychiquement à vie. Ne parlons pas des enfants. Selon une étude menée sur des garçonnets de 12 ans, 47 % d'entre eux pensent que l'acte sexuel s'accompagne tout à fait normalement d'actes de violence. 43 % pensent que les femmes aiment cela. Ils pensent qu'il s'agit de la norme. Si nous continuons ainsi, nous nourrirons des violences ultérieures effrayantes.
Nous recommandons une régulation du numérique qui permet une diffusion à haute dose de ces séquences abominables chez les jeunes et les moins jeunes. Nous avons pensé qu'il fallait conserver les procédures judiciaires, mais qu'elles ne suffisaient pas. D'une part, elles sont trop lentes pour ôter ces images épouvantables. D'autre part, elles ne sont pas très efficaces. Il faudrait remplir tous les tribunaux. Les parquets seraient débordés à courir derrière toutes les séquences condamnables.
Ainsi, le plus simple revient à les supprimer lorsqu'elles sont condamnables et illégales. Nous proposons, dans ce cadre, de confier cette mission à la plateforme du ministère de l'intérieur, Pharos (Plateforme d'harmonisation, d'analyse, de recoupement et d'orientation des signalements). Elle vise à supprimer des séquences nuisibles et non souhaitables. Elle le fait déjà pour le terrorisme et pour la pédopornographie - pas très bien d'ailleurs pour ce dernier point. En effet, nous avons mené un test en émettant des contestations, en mon nom.
Nous avons saisi Pharos à trente-cinq reprises sur des séquences de pédopornographie et de tortures, sans grand effet. Dans le premier cas, Pharos est compétent. Dans le second cas, nous aimerions qu'il le soit. J'en ai parlé au ministre de l'intérieur, qui a imaginé qu'il pouvait y avoir de l'ambiguïté. Je lui ai alors montré les photos des séquences, avec des enfants. On voyait à l'oeil nu qu'elles avaient 12 ans. Il en a convenu. Les équipes sont peut-être débordées, ou peut-être parfois dans l'ambiguïté des photos. En tout cas, le système ne fonctionne pas très bien. Tout de même, ces personnes pourraient mieux faire leur travail, bien qu'elles le fassent déjà en grande partie. Nous voulons leur donner une troisième compétence de suppression des scènes de torture.
Vos collègues de l'Assemblée nationale ont été convaincus de cette demande. La remise de notre rapport sur le porno est intervenue juste avant les discussions sur le projet de loi visant à sécuriser et réguler l'espace numérique. Les députés, convaincus, ont pu intégrer dans leurs amendements en séance publique cette mesure, votée contre l'avis du Gouvernement - à notre déception. Le projet de loi fera l'objet d'une commission mixte paritaire (CMP), en janvier ou février 2024. Le calendrier dépendra de Bruxelles, qui réclame certaines modifications au texte pour le rendre conforme aux dernières directives européennes.
Ainsi, notre mesure a été votée. J'espère qu'elle survivra à la CMP et qu'elle sera votée définitivement. Ce serait une très grande avancée en matière de droits des femmes et une très grande victoire conjointe du Sénat et du HCE.
Enfin, nous avons rédigé un rapport sur la présence et l'image des femmes dans le numérique. Le constat est partagé : nous sommes confrontés à une absence dramatique des femmes dans le secteur de l'informatique et des nouvelles technologies. C'est un manque à gagner pour le pays et une injustice pour les femmes. C'est absurde. Ce constat est dû à une mauvaise orientation des filles à l'école, dès le plus jeune âge. Nous observons déjà une différence dans le comportement des professeurs, qui ne traitent pas les filles comme les garçons en ce qui concerne le calcul. L'orientation et la réforme du bac ont achevé d'envoyer les filles dans la mauvaise direction. Nous avons encore perdu dix ans avec cette réforme.
Face à cette absence de femmes, nous préconisons des mesures radicales : des quotas dans le secondaire, à partir de la seconde, ainsi qu'en prépa. L'urgence le justifie. Les incitations ne servent plus à rien. Ce n'est qu'ainsi que les entreprises embaucheront des femmes. Proposer des lois comme celle de la députée Marie-Pierre Rixain est très bien - je la félicite de demander la parité au sein des entreprises --, mais ces mesures centrales doivent s'accompagner des mesures radicales d'orientation et de quotas que je citais, pour que les entreprises ne puissent plus invoquer la difficulté à recruter des ingénieures.
En plus de la place des femmes dans le secteur, l'image véhiculée sur le numérique est un réel sujet. Nous rejoignons ici le sujet du porno. C'est épouvantable. Nous avons mené une étude sur les 100 séquences les plus vues sur YouTube, Instagram et TikTok. Les conclusions sont nettes, tranchées et désolantes. Les stéréotypes et le sexisme, voire la violence, font rage sur les réseaux sociaux. On ne peut continuer à agir comme si ce n'était pas le cas. On a régulé l'audiovisuel. Les acteurs s'en sont plaints à une époque, mais ils ne considèrent plus que cette régulation est attentatoire à leur liberté. Elle leur paraît aujourd'hui normale. Il en va de même pour les réseaux sociaux, nés dans la liberté la plus totale. Ils ont apporté beaucoup de bienfaits, et le font encore, mais ils doivent tout de même être régulés, sous peine de véhiculer trop de sexisme et de stéréotypes. Toutes les libertés ont toujours été encadrées dans le pays des droits de l'homme et de la femme - donc, des droits humains. Il n'est plus possible de laisser le numérique sans aucune régulation.
Nous avons rencontré les présidents d'Instagram et YouTube. Ils se sont engagés à « se compter » publiquement chaque année sous l'égide de l'Arcom (Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique), et à publier leurs comptes. J'aimerais qu'une loi soit votée. Même si ces deux présidents sont volontaires, il vaut mieux rendre cette mesure légalement obligatoire. De même que l'audiovisuel doit rendre un rapport à l'Arcom chaque année, les plateformes devraient le faire aussi. Le fait de se compter permet de rendre visible le chemin qu'il reste à parcourir. Dans un second temps, nous pourrions leur demander de progresser chaque année pour tendre à une évacuation du sexisme.
Nous allons entamer des travaux sur différents sujets, à commencer par un nouveau rapport sur l'état du sexisme. Nous disposons de premiers résultats, qui ne sont guère réjouissants. Nous nous sommes interrogées sur les causes de son maintien dans les générations les plus jeunes, notamment. Nous y apporterons quelques réponses. La commission « Lutte contre les stéréotypes et la répartition des rôles sociaux » travaillera également sur les familles monoparentales, se nourrissant de vos travaux qui devraient être rendus à la fin du premier trimestre. Ils nous seront très utiles. Nous visons plutôt un rendu au début de l'automne. Une fois de plus, les femmes subissent la double peine. Cette monoparentalité, à 80 % féminine, pèse sur elles. Il nous faut absolument prendre des mesures spécifiques.
La commission « Violences faites aux femmes » s'intéresse déjà à la mission confiée par la Première ministre sur l'accompagnement des femmes victimes de violences, intrafamiliales, mais aussi sexuelles, et poursuivra ce travail. Comment réduire le décalage entre les 100 000 déclarations des victimes de viol ou de tentative de viol chaque année, et le moins de 1 % de condamnation des auteurs ? L'impunité est scandaleuse.
Nous nous intéresserons aux mariages forcés et aux mutilations génitales, qui perdurent. Nous ne pouvons laisser faire ou les oublier.
Nous nous pencherons également sur la contraception masculine car il n'est pas possible que le sujet ne repose que sur les femmes. Nous devons absolument inciter l'industrie pharmaceutique et les pouvoirs publics à mettre le paquet sur des recherches permettant la mise à disposition d'une contraception masculine, facile à prendre, pas trop chère. Ce fardeau doit être partagé. Cela fait partie de l'égalité entre les femmes et les hommes.
Enfin, notre commission « Diplomatie féministe, enjeux européens et internationaux » continue à oeuvrer avec le Quai d'Orsay. Nous étudions actuellement le plan « Femmes, paix et sécurité », dont nous sommes évaluateurs. Il y a encore beaucoup à faire.
Nous nous attaquerons ensuite à l'éducation à « 360 degrés » - sexuelle, à l'égalité, lutte contre les stéréotypes à l'école -, car c'est un tout. Nous avons déjà beaucoup de travail, et très peu de moyens. J'en alerte la représentation nationale. Nous sommes le Haut conseil le plus pauvre de France, le moins bien doté. Au prochain budget, je vous engage à motiver la commission des finances pour que nous soyons un peu mieux dotés.
Mme Dominique Vérien, présidente. - Merci pour cette intervention précise, concise, intéressante et directe.
Vous avez parlé des centres de psycho-traumatismes. Ils sont trop peu nombreux, tant pour les femmes que pour les enfants. J'ai eu l'occasion de m'entretenir sur ce sujet avec le cabinet de la secrétaire d'État chargée de l'enfance, Charlotte Caubel. Elle est prête à nous écouter pour voir comment déployer les soins spécifiques pour les victimes de violences évoqués par le juge Édouard Durand lors de son audition devant notre délégation le 9 novembre dernier. Un travail est à mener, nous regarderons ce que nous pouvons faire. Dans tout ce que vous avez décrit, je note que nous avons deux points communs, à commencer par la formation des jeunes à tout, que ce soit les maths, l'égalité ou la sexualité - éducation à la sexualité dont nous déplorons les défaillances. Nous avons besoin de formation et de mieux prendre en main nos jeunes. En effet, au travers des réseaux sociaux, et pas uniquement de la pornographie, l'image de la femme est très dégradée, voire dégradante. Il y a un travail à mener. L'un nourrit l'autre. Les jeunes consultant ces contenus les voient comme un modèle et les reproduisent.
Ensuite, le sexisme progresse chez les jeunes. Quand on les interroge, ils se disent pour l'égalité, mais ne l'appliquent pas. S'agit-il des mêmes jeunes ? Je vois des différences assez nettes, liées au niveau d'éducation global. Plus les jeunes sont éduqués, plus on observera une égalité, qu'ils auront d'ailleurs eux-mêmes vécue en famille. Quand l'éducation est défaillante, en revanche, on peut trouver des fragilités en ce qui concerne l'égalité entre les hommes et les femmes.
Pouvez-vous nous préciser la disposition dont vous appelez au maintien au sein du projet de loi visant à sécuriser et réguler l'espace numérique ? Enfin, nous avons déjà abordé le sujet « femmes et sciences », qui doit l'être dans sa globalité : à la fois sous l'angle des femmes scientifiques que l'on ne valorise pas et sur la question de l'attractivité des sciences pour les petites filles. Je pense que le travail doit être réalisé dès l'école primaire, parce que le décrochage intervient souvent entre le CP et le CE1. Si tel est le cas, vous pourrez toujours proposer des quotas au niveau du secondaire ou des prépas, mais il n'y aura pas plus de candidates. C'est une ingénieure en travaux publics qui vous parle. Il peut y en avoir quelques-unes, mais j'ai l'impression que nous avons également décru en la matière. J'avais le sentiment que nous comptions plus de filles s'orientant vers les mathématiques par le passé. Pourquoi ?
Mme Sylvie Pierre-Brossolette. - Une écrasante majorité des jeunes se dit favorable à l'égalité. Le sujet est presque partagé à l'unanimité. S'expriment-ils selon ce qu'ils pensent politiquement correct ? Le croient-ils profondément ? Je ne le sais pas, mais l'adhésion est très forte. C'est après que nous voyons, chez certains, la manifestation d'un sexisme qui paraît anachronique et décalé par rapport à ces professions de foi. Qui sont-ils exactement ? Nous n'avons pas les moyens de connaître les catégories sociales et les milieux de ces jeunes interrogés avec ViaVoice. L'échantillon en comptait tout de même 3 000. Il est difficile de tirer des conclusions : il nous faudrait des chercheurs - je ne demanderais pas mieux - pour identifier les profils chez lesquels les blocages sont les plus importants. Nous allons commencer à obtenir quelques réponses dans le cadre de notre deuxième rapport, sur les causes du sexisme : s'agit-il de l'éducation, du milieu familial, de l'environnement médiatique ? Dans quelles proportions ? Chez qui ? Cette étude nous donnera quelques éléments sociologiques, mais pas autant que si nous y travaillions deux ans avec une équipe de chercheurs qui se rendraient sur le terrain. Le décalage entre les discours est évident même si je ne suis pas en mesure de vous dire quelle catégorie sociologique précise est davantage sexiste.
La mesure relative à Pharos que j'évoquais correspond à l'amendement n° 999 au projet de loi visant à sécuriser et réguler l'espace numérique, adopté en séance publique à l'Assemblée nationale. Il vise à étendre la compétence de cette plateforme en matière de retrait de contenus, en ajoutant au terrorisme et à la pédopornographie la torture, la barbarie, l'inceste et le viol. Tous les groupes ont rédigé un amendement et c'est la rédaction du groupe socialiste qui a été conservée car elle regroupait l'essence de toutes les autres. J'y vois tout de même une faiblesse pour son examen par le Conseil constitutionnel. Il est demandé d'enlever les scènes de torture et de barbarie ou les représentations de telles scènes. Je crains que le terme « représentation » ne passe pas. Il pourrait être supprimé lors de son examen en CMP. Je pense que le texte ne serait alors pas censuré par le Conseil constitutionnel. J'ai eu l'occasion d'en discuter avec Laurent Fabius et Alain Juppé, qui siègent au Conseil constitutionnel. Ce dernier est, paraît-il, très remonté au sujet du déluge d'images pornographiques. Si un texte propose d'y remédier, je pense qu'il l'examinera avec un oeil bienveillant.
Bien entendu, la mesure que nous proposons est exorbitante du droit commun. On n'attend pas les décisions judiciaires pour supprimer des images, ce qui attente en quelque sorte au droit de communiquer. La cause semble tout de même le justifier. L'ordre public commande. Tant que ces vidéos sont en ligne, elles constituent une violence supplémentaire pour les victimes.
Pour que les mineurs ne puissent pas y accéder, il est par ailleurs préférable de les supprimer. Quel que soit le système que nous trouverons, il subsistera en effet un risque que les mineurs voient ces images. Admettons même que nous trouvions le bon système pour bloquer l'accès des mineurs sur leur portable, ils pourront toujours accéder à ces contenus via celui de leur grand frère, de leur cousin, de leurs parents. Une suppression pure et simple des contenus illégaux serait donc plus adéquate.
Le projet de loi visant à sécuriser et réguler l'espace numérique confie à la Cnil (Commission nationale de l'informatique et des libertés) et à l'Arcom le soin de mettre au point un référentiel déterminant les exigences techniques applicables aux systèmes de vérification de l'âge des utilisateurs pour les sites pornographiques. Ces sites vont faire des recours, qui dureront dix ans. Quel que soit le système proposé par l'Arcom et la Cnil, le système sera obsolète avant que les recours n'aient été traités.
Mme Marie Mercier. - Je déplore moi aussi que le texte inscrive dans la loi l'obligation pour l'Arcom de publier ce référentiel. La rédaction par l'Arcom d'un tel référentiel était une préconisation du rapport de la délégation aux droits des femmes mais qui n'avait pas nécessairement vocation à être inscrite dans la loi. Je déplore le manque d'étude d'impact de ministre Jean-Noël Barrot sur cette question.
Des associations poursuivent actuellement en justice des sites pornographiques accessibles aux mineurs, en se fondant sur la disposition de la loi du 30 juillet 2020 que j'avais portée, qui dispose que le blocage de l'accès des mineurs aux sites pornographiques ne peut se fonder sur une simple déclaration de l'internaute. Deux arrêts de la Cour de cassation leur ont donné raison. Or, les sites, qui disposent de moyens considérables, n'attendent que le vote de la loi SREN et du référentiel, qui arrêtera les saisines de la justice par ces associations.
Mme Sylvie Pierre-Brossolette. - J'ai regretté que vous n'ayez pas empêché cette partie du texte d'être votée en juillet dernier.
Mme Annick Billon. - J'aimerais revenir sur les conditions dans lesquelles nous avons travaillé sur ce texte. Une commission spéciale a disposé de deux semaines pour mener des auditions tambour battant.
Mme Sylvie Pierre-Brossolette. - C'est vrai. Je n'ai même pas pu être auditionnée.
Mme Annick Billon. - Peut-être qu'inscrire dans la loi la rédaction par l'Arcom d'un référentiel technique applicable aux systèmes de vérification d'âge n'est pas la solution. Mais il s'agit d'avancer sur ce sujet extrêmement grave. Nous devons peut-être inverser le raisonnement. Lorsque des produits sont mis en vente sur le marché, on ne demande pas à l'administration de trouver des moyens pour que le producteur les produise. Il revient à ce dernier de se mettre en conformité. Ainsi, les sites diffusant des informations et des vidéos devraient par eux-mêmes se mettre en conformité avec la loi.
Ce matin, à la commission de la culture, nous avons auditionné Roch-Olivier Maistre, président de l'Arcom. Nous devons avoir conscience que les images sont diffusées bien au-delà de leur support initial. Même si nous parvenons à bloquer des sites ou contenus véhiculant des images dégradantes de la femme ou des actes de barbarie, ces images seront regardées sur d'autres plateformes, d'autres outils. À titre d'exemple, l'émission Frenchie Shore est accessible moyennant un abonnement. Ainsi, sans cet abonnement, vous ne devriez normalement pas pouvoir le consulter. Pourtant, tous les contenus, qui montrent des agressions sexuelles, des défauts de consentement ou autre, sont republiés sur les réseaux sociaux.
Nous sommes en train de courir mais nous perdons la course de fond. La seule solution, pour tous les sujets que nous évoquons aujourd'hui, passera par l'éducation au numérique et à la sexualité. Sans cela, nous ne parviendrons jamais à inverser les chiffres du sexisme révélés par vos travaux.
L'égalité femmes-hommes a été déclarée grande cause du quinquennat, avec des actions et résultats satisfaisants et d'autres moins. Cette grande cause a eu le mérite de mettre en avant certains sujets. Des avancées législatives ont eu lieu. Seulement, nous n'avons pas reçu les budgets associés. Nous les attendons. Madame la Présidente, vous nous disiez tout à l'heure que le HCE manque de moyens. Nous attendons des budgets pour l'accompagnement des femmes, pour la lutte contre les inégalités salariales, pour l'hébergement d'urgence - bien que des places aient été ouvertes. Si nous ne parvenons pas à budgéter suffisamment, nous n'aurons pas accès à plus d'égalité, à moins de violences envers les femmes.
Sur la problématique de la pornographie, la délégation aux droits des femmes avait émis des propositions, qui ne sont pas sorties de nulle part. Elles ont permis d'interroger un sujet totalement absent des politiques publiques. Nous avons demandé des moyens supplémentaires pour Pharos et l'Arcom, de même que des missions complémentaires. Nous avons observé un déficit de volonté politique pour leur attribuer de nouveaux moyens.
Mme Dominique Vérien, présidente. - Je crois que trente nouvelles personnes rejoignent Pharos.
Mme Annick Billon. - L'Arcom était confrontée à un déficit de volonté pour que lui soient attribués davantage de moyens. C'est une réalité. Comment pourrait-elle mener ses missions lorsqu'une nouvelle loi sera votée, le cas échéant ? L'Arcom nous explique que les procédures pour supprimer les contenus sont lancées depuis trois ans mais que rien n'avance.
Nous sommes en train de courir après quelque chose que nous ne maîtrisons absolument pas. Toutes les lois que nous pourrons élaborer peineront à s'adapter à la technologie. Nous ne maîtrisons pas l'éducation numérique, qui avance plus vite que nous. Donnons-nous enfin les moyens de l'éducation à la sexualité et de vrais plans de sortie de violences, de vrais sites pour que les hommes comprennent ce que sont vraiment ces violences. Alors, peut-être avancerons-nous sur le sujet.
Ayons un raisonnement un peu plus comptable que celui que nous avons aujourd'hui. Combien coûtent les violences à la société ? Combien coûterait la mise en place d'un vrai plan contre les violences, pour l'éducation au numérique et à la sexualité ? Voilà le message que je veux porter. Merci pour tout le travail mené par le HCE. Ma dernière question concernera l'aide au développement. Vous avez évoqué un bilan assez contrasté. Pourtant, je sais que les sommes allouées à cette aide sont considérables. Pouvez-vous développer ce point ?
Mme Marie Mercier. - Je me permets de citer un article très intéressant sur les centres de psycho-traumatismes paru cette semaine dans Le Quotidien du médecin.
Mme Sylvie Pierre-Brossolette. - Je pense que nous devons mener des actions d'ampleur dans tous les domaines. Certaines actions ne coûtent rien. Dire que des séquences de violences illégales doivent être supprimées ne coûte rien. Lorsque j'ai parlé au ministre de l'intérieur d'éventuels problèmes de ressources humaines chez Pharos, il m'a répondu que ce ne serait pas un souci avec l'intelligence artificielle. Cette dernière aidera énormément les équipes, en détectant les scènes de torture ou, du moins, la majorité de celles-ci. Il y a évidemment quelques images plus subtiles. Avec le meilleur de la technologie, on pourra supprimer le pire.
C'est la volonté politique qui manque. Si nous disons que nous voulons le faire, nous pouvons le faire. Nous y sommes bien parvenus pour la suppression des contenus faisant l'apologie du terrorisme, sans avoir à dépenser des fortunes. Sur le porno, il est urgent d'agir, même si nous ne résoudrons pas tout et que la société restera violente. Je pense que le pire peut tout de même être évité et supprimé. Aucune rigueur budgétaire ne l'empêche. Si cette mesure, qui a été adoptée à l'Assemblée nationale, passe les derniers obstacles et qu'elle est appliquée, je vous assure qu'elle fera l'effet d'une douche froide aux producteurs, du moins français.
Vous connaissez le mécanisme de Pharos. Lorsqu'il repère une séquence qui doit être retirée, il demande au site de s'en charger. Si ce dernier n'est pas situé en France mais à l'étranger, et n'obtempère pas, la plateforme demande au fournisseur d'accès en France de le couper. Ce système est efficace. Le pouvoir de l'exemple sera important. Il existe des milliards de séquences. Pour autant, si nous les supprimons toutes pendant un mois, et si nous observons une volonté politique, l'exemplarité fera que le producteur se demandera si terminer en prison vaut le coup. En effet, la procédure judiciaire poursuivra les auteurs. Les hommes tournant sur les plateaux pornographiques sont accusés de viol. Dix-sept d'entre eux risquent la prison, après leur procès qui aura lieu prochainement. C'est du sérieux.
Si les séquences sont coupées, et si la publicité qui les accompagnait et rapportait des milliards d'euros sur le dos des femmes s'arrête, si les hommes finissent en prison, bon nombre de producteurs risquent d'être refroidis, du moins en France. Lorsque le pays aura montré l'exemple en la matière, l'Europe pourrait suivre ce chemin. Si tel est le cas, nous pourrions être le phare du monde. J'y crois profondément. De même que nous avons régulé la liberté de la presse, puis de la télévision, je pense que nous parviendrons à une régulation du porno. Je suis plus optimiste que vous à ce sujet.
Je pense que l'opinion va se retourner. Jusqu'ici, elle était soit indifférente, soit favorable à la liberté sur Internet. Maintenant, les parents sont inquiets pour leurs enfants. Ils ont compris le lien avec la violence. Il faudrait d'ailleurs qu'une campagne publique de l'État montre cinq secondes des tortures que l'on voit dans le porno, en demandant aux parents s'ils veulent que leurs enfants voient cela. L'opinion sera immédiatement favorable à cette régulation. Elle comprendra la nécessité de couper ces contenus. Internet est formidable, mais certaines choses ne sont pas tolérables. J'y crois. Je me bats.
Je pense que nous devons prendre le mal à sa racine. Tant que des détraqués jouiront devant des scènes de violence ou de torture, nous aurons raté notre coup. Ainsi, nous devons inculquer le respect dès l'enfance, montrer ce qu'est l'amour dans ses plus belles images et dénoncer les horreurs pour ce qu'elles sont. Sinon, les petits garçons, et même les petites filles croiront que c'est la norme.
Nous observons même des conséquences en matière de santé. Les gynécologues sont frappés par le fait que leurs jeunes patientes leur demandent ce qu'est la bonne taille des petites ou grandes lèvres. La chirurgie de la vulve se répand pour obéir aux canons de beauté des films pornographiques. Leurs compagnons leur demandent d'y être conformes. Elles-mêmes veulent l'être. Ainsi, il est nécessaire d'intervenir. L'État doit prendre ses responsabilités.
Je suis totalement d'accord avec vous sur le fait que cela ne suffira pas. Il nous faut de l'éducation, des budgets, mais aussi une régulation du numérique. En tout cas, je pense que nous ne devons pas renoncer avant d'avoir essayé.
Enfin, je plaide pour que toute aide au développement, tout contrat, toute relation avec des pays en voie de développement qui ne respectent pas les droits de l'Homme soient conditionnés à ce respect, ou du moins à des progrès en la matière. Sinon, je serais tentée de reconsidérer cette aide. C'est l'éga-conditionnalité au niveau international.
Mme Dominique Vérien, présidente. - C'est faisable quand on est en position de force. Je crains que la France ne le soit pas sur bon nombre de sujets. Elle a besoin d'alliances et oublie de s'intéresser à ce type de conditions.
Mme Annie Le Houerou. - Je partage complètement vos propos.
Je change de sujet pour revenir sur le sexisme ordinaire. Comme vous, je pense que sans quotas, nos pas sont si petits que l'on n'avance pas. Dans les esprits, tout le monde est d'accord sur l'égalité entre les femmes et les hommes, mais la réalité est toute autre.
Sur les filières scientifiques, encore faut-il que les filles aient envie de s'orienter vers ces métiers. Aujourd'hui, nous constatons que même lorsqu'elles le font, elles sont parfois si mal traitées qu'elles abandonnent. Avez-vous travaillé sur le sujet ?
Par ailleurs, on pense toujours aux filles dans les métiers majoritairement masculins, mais nous avons le même travail à réaliser sur les métiers majoritairement féminins. Nous devons le faire en parallèle. Les métiers du médico-social sont exercés par des femmes à 80 ou 90 % alors même que nous y avons besoin d'hommes. Ils y ont leur place. Ainsi, les quotas me semblent pertinents dans les deux sens. Cette approche vous semble-t-elle plus porteuse ?
Mme Sylvie Pierre-Brossolette. - J'approuve ce deuxième versant, mais il ne se réalisera qu'à condition de revaloriser les métiers dits féminins. Les hommes sont moins conciliants que les femmes : ils n'exercent pas de métiers aussi ingrats pour si peu d'argent. Ainsi, pour traiter mieux les femmes, il faut mieux les payer, ce qui attirerait aussi les hommes. Ce serait sain et plus normal, mais ça coûte de l'argent. Il faut le budgétiser. On trouve toujours toutes les excuses pour ne pas le faire. C'est évidemment une de nos revendications. Une revalorisation des métiers du care est indispensable. Il en va d'une élémentaire justice vis-à-vis des femmes qui les exercent. Cette revalorisation attirerait aussi des hommes et créerait ainsi de la mixité.
Ensuite, pour que les femmes soient attirées par des métiers dits « masculins », nous devons nous y prendre dès le primaire. Nous avons constaté des biais sexistes de la part des instituteurs, des habitudes de classe catastrophiques dès le jardin d'enfants. Même lorsque les filles sont bonnes en mathématiques, on ne les pousse pas. En outre, le nombre de professeurs de mathématiques est insuffisant, raison pour laquelle l'Éducation nationale décourage les jeunes de s'orienter vers des filières scientifiques. Elle n'y pousse que les garçons, se réjouissant quand les filles choisissent une autre voie. Elles vivent dans un milieu sexiste depuis l'enfance, où les représentations dans lesquelles on baigne inconsciemment montrent plutôt des hommes pilotes d'avion et des femmes infirmières. Ces modèles se reproduisent immanquablement, sans qu'on ait besoin de dire quoi que ce soit. Les filles s'orientent vers des études littéraires, parce qu'elles ont le sentiment que la société est un peu comme ça. Les rares qui tiennent bon en filières scientifiques sont écoeurées, bizutées, maltraitées et violentées. Nous avons demandé des mesures particulières dans les classes préparatoires, puis dans les métiers, avec l'obligation de mettre en place une réelle sécurité pour les femmes, sans quoi elles partiront en courant. Dans les métiers de la tech ou les start-ups, même celles qui commencent une carrière pleines d'enthousiasme sont confrontées à des comportements affreux, machos. De plus, les hommes n'encouragent pas les femmes à rester et conservent les bons postes pour eux-mêmes. Le décalage dans la jeune génération est incroyable. Ce grand écart est typique de la tech. C'est assez affreux. Ils ont des comportements machos. Nous observons un recul, alors que les filles avaient plus de bacs C que les hommes il y a vingt ans, avec plus de mentions très bien.
Insidieusement, le sexisme dans la société a progressé. C'est terrible.
Mme Dominique Vérien, présidente. - Je n'ai pas eu le sentiment d'être mise de côté lors de mes études.
Mme Marie Mercier. - Moi non plus.
J'aimerais également évoquer les livres scolaires et la représentation. J'ai entendu parler d'une étude qui demandait à des enfants de dessiner une figure en présentant cette activité soit comme de la géométrie, soit comme du dessin. Lorsque le professeur indiquait à la classe qu'elle ferait de la géométrie, les garçons ont mieux réussi l'épreuve. Pour la même figure, c'est les filles qui ont mieux réussi lorsque le professeur a invité les élèves à faire du dessin. Ainsi, dès le départ, les petites filles se disent que la géométrie n'est pas pour elles.
Mme Sylvie Pierre-Brossolette. - Nous observons un grand tabou sur les livres scolaires. Je crois que le ministre Attal a entamé des travaux sur ce sujet. Il a évoqué des manuels référents pour les mathématiques et la littérature, supprimant ici la liberté des professeurs de les choisir et la liberté des éditeurs. J'y suis favorable. Ne donnons plus cette liberté totale aux éditeurs. À partir du moment où ils réalisent un chiffre d'affaires considérable en distribuant des manuels scolaires dans un marché comptant des millions d'élèves, je pense que nous pourrions fixer des conditions : vous êtes labellisé si vous respectez un certain nombre de principes, dont une absence de sexisme dans l'histoire, la littérature... Les livres ne doivent pas être sexistes. Les élèves sont bien obligés d'acheter des livres scolaires et les professeurs, d'en commander. Je pense que l'Éducation nationale pourrait les labelliser, ou qu'une subvention devrait exister. En tout cas, une règle devrait être édictée pour que les livres sexistes ne puissent pas être vendus. Cela me paraît être un minimum mais nous sommes confrontés à un tabou éditorial.
Normalement, le sexisme est illégal. On n'a pas le droit de faire preuve de discriminations, qu'il s'agisse de sexisme, de racisme ou autre, sous peine d'être poursuivis devant les tribunaux. C'est la loi sur la discrimination. Pour autant, si vous dites que les noirs sont moins doués que les blancs en maths, vous êtes à juste titre accusé de racisme et condamné, alors que si vous dites que les filles le sont moins que les garçons, il ne se passe rien. Pourtant, la loi existe. Des actions devraient normalement être mises en oeuvre. J'aimerais sensibiliser les parlementaires sur cet état de fait très étrange.
Mme Dominique Vérien, présidente. - Je me permets de vous raconter une petite histoire. Les parlementaires de l'Yonne et le président du conseil départemental étaient invités par notre directeur académique des services de l'éducation nationale (Dasen) de Bourgogne-Franche Comté et le recteur pour la Région. Ils présentaient les initiatives en place. Un lycée proche de chez moi avait lancé une super initiative pour les mathématiques. J'ai demandé s'ils avaient vérifié que ce projet comptait autant de filles que de garçons et si les premières étaient incitées à s'en saisir. J'ai été confrontée à un long silence. Le Dasen m'a dit qu'il n'y avait pas pensé, alors même que ce sujet figure dans sa feuille de route - il doit veiller à ce qu'on incite davantage les filles à faire des mathématiques.
Par ailleurs, les maths sont la seule matière pour laquelle on est fier d'être mauvais. Personne ne se targue d'être mauvais en orthographe. D'ailleurs, il n'y a pas de raison de ne pas être bon en maths. C'est dans la tête. Cette matière se travaille depuis tout petit pour éviter ce blocage spécifique.
On a aussi l'image de la famille au sein de laquelle l'homme ramène l'argent et la femme fait un travail qui a du sens. On peut alors se permettre de moins payer les femmes. La question ne se pose pas que dans le care, mais aussi dans la justice. Bientôt, nous n'aurons plus que des femmes magistrates. Si nous voulons attirer des hommes, nous devons mieux les payer. Tant mieux pour les femmes, qui seront également mieux rémunérées. Pour autant, je ne sais pas si seul le salaire permettra de faire venir des hommes dans le care.
Enfin, les quotas ne me semblent pas nécessairement les plus adaptés pour attirer des femmes dans certains domaines car ce ne sont pas les mêmes éléments qui les font rêver. Il existe tout de même des solutions. À l'école spéciale des travaux publics, dont je suis issue, une section architecte ingénieur a été créée dans la section bâtiment pour attirer des femmes. Elles sont bonnes en maths mais bénéficient aussi du côté créatif de l'architecture. Elles se sont dit qu'il était intéressant de pouvoir dessiner des bâtiments et faire en sorte qu'ils tiennent. Elles ont une double compétence, ce qui prouve que ce ne sont pas les études qui les inquiètent. Je pense que nous devons y réfléchir.
Mme Sylvie Pierre-Brossolette. - Merci pour votre invitation. C'était un plaisir.
Jeudi 14 décembre 2023
Audition de la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf)
Mme Dominique Vérien, présidente. - Mes chers collègues, nous entamons ce matin nos travaux sur les familles monoparentales. Si nous avons décidé de nous pencher sur ce sujet, c'est qu'aujourd'hui, en France, une famille sur quatre est une famille monoparentale, avec une femme à sa tête dans 82 % des cas.
Les mères isolées font face à des problématiques spécifiques : coûts monétaires, temporels et psychologiques de la charge éducative qu'elles assument de manière prépondérante, risque accru de pauvreté, de précarité et de « mal logement », conciliation plus complexe entre activité professionnelle et vie familiale, isolement social...
L'objectif de notre délégation est d'étudier comment mieux les soutenir et les accompagner face à ces problématiques. Pour ce faire, nous avons nommé deux rapporteures, Colombe Brossel et Béatrice Gosselin. Nous comptons formuler des recommandations pour le début du mois de mars.
La Cnaf (Caisse nationale des associations familiales) a publié, en juillet 2023, un rapport pluridisciplinaire intitulé Les familles monoparentales. Conditions de vie, vécu et action publique, co-rédigé par quinze experts et chercheurs en sociologie, anthropologie, science politique, économie et droit.
Nous accueillons ce matin les deux coordinatrices du rapport, Marie-Clémence Le Pape, maîtresse de conférences en sociologie à l'université Lumière Lyon 2, collaboratrice extérieure au Bureau Jeunesse, Famille de la Drees (Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques, qui dépend des ministères sanitaires et sociaux) ; et Clémence Helfter, sociologue, chargée de recherche à la Cnaf. Elles sont accompagnées de Catherine Collombet, co-rédactrice du rapport, sous-directrice à la Cnaf, conseillère scientifique auprès du Haut conseil de la famille, de l'enfance et de l'âge (HCFEA).
Bienvenue à vous trois. Je précise que vous intervenez en tant que chercheuses et co-rédactrices du rapport, et non en tant que représentantes de la Cnaf, dont vous n'avez pas reçu mandat pour parler en son nom.
Votre rapport présente pour nous un double intérêt.
Tout d'abord, il dresse un panorama des profils, des conditions de vie et du quotidien des parents « solos ». Il va nous permettre de fonder nos travaux sur des données quantitatives et qualitatives, récentes et bien établies. Nous vous remercions par avance pour les données que vous pourrez nous fournir au cours de cette audition et ultérieurement par écrit. En particulier, que pouvez-vous nous dire des caractéristiques socio-économiques des mères isolées (en comparaison avec les autres parents, mais aussi avec les pères isolés) ? Quelle est la proportion de mères isolées parmi les allocataires de la Caf (Caisse d'allocations familiales) ? Quelle proportion de mères isolées perçoit une pension alimentaire ? Et quelle proportion de mères isolées est soumise à l'impôt sur le revenu ?
Ensuite, votre rapport présente et questionne les politiques publiques à destination de ces familles. Ce volet nous intéresse tout particulièrement, puisque l'objectif de nos travaux est de formuler des recommandations de politiques publiques.
Votre rapport déplore les effets ambigus des politiques familiales ciblées sur la pauvreté monétaire, qui ne s'attaqueraient pas, selon vous, aux causes de la précarité des mères isolées. Nous sommes intéressés par vos préconisations en la matière.
Vous nous direz en particulier quelle appréciation vous portez sur les allocations versées aux parents isolés, sur l'établissement de priorités d'accès pour les parents isolés dans l'accès au parc social et aux crèches, ou encore sur le régime fiscal et social de la pension alimentaire pour le bénéficiaire.
Par ailleurs, une enquête récemment publiée par Le Monde a mis en avant le ciblage des mères isolées dans les contrôles de la Cnaf, sur la base d'un algorithme qui calcule les scores de risque des allocataires, avec un biais négatif au détriment des mères isolées. Les familles monoparentales seraient ainsi surreprésentées dans les contrôles des Caf, puisque les parents isolés subissent 36 % des contrôles à domicile alors qu'ils ne représentent que 16 % des foyers recevant des aides. Que pouvez-vous nous dire à ce sujet ? Nous avons bien compris que vous ne portiez pas ici la position officielle de la Cnaf mais votre appréciation nous intéresse, car vous connaissez bien ces sujets.
Je vous vous organiser comme vous le souhaitez pour votre prise de parole.
Mme Marie-Clémence Le Pape, maîtresse de conférences en sociologie à l'université Lumière Lyon 2, collaboratrice extérieure au Bureau Jeunesse, Famille de la Drees. - Je vous remercie pour vos mots d'introduction, Madame la Présidente. Les questionnements que vous avez listés rejoignent pour partie ceux qui sont investigués dans l'ouvrage que nous avons rédigé à la demande de la Cnaf. Certains d'entre eux vont plus loin encore. En toute rigueur, c'est sur la base de cet ouvrage que nous apporterons des éléments de réponse aux questions sur lesquelles nous avons collectivement travaillé.
Cet ouvrage est le fruit d'un travail collectif produit à la demande du Conseil scientifique de la Cnaf, par une équipe de dix-sept spécialistes venus de disciplines différentes : sociologie, économie, droit, démographie, sciences politiques ou anthropologie. Ils ont travaillé de concert pour produire ce rapport à partir de l'exploration d'environ 500 références de la littérature francophone et internationale. Il offre un panorama des connaissances existantes, tant sur les conditions de vie et le vécu des familles monoparentales que sur leur prise en compte par les politiques et l'action publique.
On pourrait dire que le portrait est aujourd'hui bien documenté. La monoparentalité est un phénomène massif. Elle concerne davantage les femmes que les hommes, et les conditions de vie des familles monoparentales sont moins favorables que celles des couples avec enfants. Je commencerai par vous donner trois chiffres clés qui illustrent, selon nous, ces constats de mieux en mieux connus. Tout d'abord, en France, le taux de monoparentalité est particulièrement fort. Un quart des familles sont aujourd'hui monoparentales, contre moins de 10 % dans les années 1970. Cette situation de monoparentalité est plus fréquente en France que dans d'autres pays européens et la France se situe parmi les pays où le taux de monoparentalité est le plus élevé.
Ensuite, ce sont majoritairement des mères qui sont concernées, vous l'avez bien rappelé. Leur profil varie cependant selon le mode d'entrée dans la monoparentalité. Il est plus précaire pour les femmes qui ont perdu leur conjoint et celles qui se trouvent en situation de monoparentalité à la naissance de leur enfant. La part des hommes à la tête de familles monoparentales est globalement stable, même si cette proportion augmente très lentement ces dernières années, probablement portée par le développement de la résidence alternée. Enfin, les conditions de vie des familles monoparentales sont moins favorables que celles des couples avec enfants. 40 % des enfants qui vivent en famille monoparentale sont en situation de pauvreté monétaire. C'est 2,5 fois plus que les enfants qui vivent dans une famille composée d'un couple.
Cependant, même si ces constats sont connus, le cumul des inégalités auxquelles ces familles font face est pour l'instant largement impensé. Tout notre propos est ici de revenir sur ce cumul et de comprendre pourquoi nos politiques publiques peinent à atteindre leurs objectifs. La raison tient selon nous en trois points que nous allons développer aujourd'hui.
Premièrement, les familles monoparentales sont en première ligne des difficultés d'emploi et de conciliation entre vie professionnelle et vie familiale. Certes, ces parents ne sont pas les seuls à vivre ces difficultés, mais ces dernières sont particulièrement marquées dans leur cas. Deuxièmement, le niveau de vie des familles monoparentales est surestimé par les outils de mesure habituels. De ce fait, leur pauvreté est largement sous-estimée et, a fortiori, mal corrigée. Troisièmement, des stigmates persistent aujourd'hui et façonnent souvent douloureusement l'expérience qu'en font concrètement les parents en situation de monoparentalité. Ces trois points donneront lieu à un certain nombre de constats et, parfois, à certaines préconisations que nous vous soumettons.
Je passe la parole à Clémence Helfter pour vous présenter le premier point sur les difficultés d'emploi et de conciliation, et certaines préconisations.
Mme Clémence Helfter, sociologue, chargée de recherche à la Cnaf. - Le premier point concerne les familles monoparentales en première ligne face aux difficultés d'emploi et de conciliation des temps de vie. Les mères qui élèvent seules leurs enfants sont plus souvent au chômage, en CDD et en temps partiel subi. Elles sont surreprésentées dans des emplois peu qualifiés, socialement et financièrement dévalorisés, avec des perspectives d'évolution et de formation limitées. Elles sont ainsi très nombreuses dans les métiers du soin et du lien, ce qui tient notamment au cumul des contraintes qui oblige certaines d'entre elles, les moins diplômées en particulier, à adapter leur activité professionnelle à leur situation familiale. Dans ce cas, elles peuvent être amenées à privilégier des emplois compatibles avec leurs responsabilités parentales, quitte à ce qu'ils ne soient pas bien rémunérés ni perçus comme épanouissants.
Par ailleurs, les parents qui élèvent seuls leurs enfants - plus particulièrement les mères - sont confrontés à des contraintes temporelles particulièrement importantes dans l'articulation entre la prise en charge d'un enfant et l'exercice d'une activité professionnelle. En découle une plus grande difficulté à entrer ou à rester dans la vie professionnelle, et une charge, y compris mentale, plus importante de la vie familiale. Cette charge se traduit globalement par une réduction du temps non parental, c'est-à-dire du temps qui ne relève pas du rôle de parent - le repos, les loisirs, la sociabilité. C'est ce que nous avons appelé, dans l'état des savoirs, le coût de la monoparentalité éducative. Il est massif, mais largement invisibilisé. La priorité est souvent donnée à l'enfant, ce qui peut conduire à un surinvestissement de leur rôle de mère pour les femmes les plus précaires en particulier. Peut s'y ajouter une réduction du réseau de sociabilité pour les hommes comme pour les femmes. En résulte enfin un sentiment de solitude plus marqué, variable néanmoins, selon l'implication du second parent, lorsqu'il est présent.
Face à ces difficultés d'articulation, la logique voudrait que ces familles bénéficient davantage des dispositifs de conciliation. Or on constate au contraire que les parents isolés en bénéficient moins que les couples. Globalement, la plupart des dispositifs publics d'aide à la conciliation des temps de vie ne prennent pas, ou très peu, en compte les difficultés particulièrement importantes des parents isolés. Je citerai trois exemples, parmi tant d'autres. D'abord, le coût du recours aux assistantes maternelles est encore beaucoup trop élevé aujourd'hui pour les familles monoparentales modestes. Ensuite, la monoparentalité n'est pas prise en compte dans le barème des participations familiales aux crèches PSU (Prestations de service universel), puisque ces barèmes sont fonction uniquement des revenus et du nombre d'enfants et pas de la composition familiale. Enfin, les micro-crèches Paje (Prestations d'accueil du jeune enfant) n'appliquent pas de barème de revenus. Elles sont donc très peu accessibles pour ces familles, du fait de leur coût prohibitif et du niveau de revenu moyen des familles monoparentales. Or ces structures représentent aujourd'hui une part croissante de l'offre d'accueil.
Dans le cadre du futur service public de la petite enfance, une forme de priorisation pourrait être envisagée pour les parents isolés, voire un réel droit opposable à une solution d'accueil pour ces familles en particulier.
De plus, il est à noter que les parents isolés recourent très peu au congé parental et à la prestation qui indemnise une interruption ou une réduction d'activité, la PreParE (Prestation partagée d'éducation de l'enfant). Ce faible recours est principalement lié au montant extrêmement faible de l'indemnisation, qu'il conviendrait d'accroître pour faciliter le recours par les parents isolés à cette réduction d'activité.
Ces plus grandes difficultés de conciliation ne disparaissent pas aux portes de l'enfance. Quand on pense monoparentalité, on pense souvent à la petite enfance, aux mères et pères de jeunes enfants. Or quand ces derniers entrent à l'école maternelle ou élémentaire, les contraintes et enjeux associés à la situation de monoparentalité perdurent. S'ensuit une impérieuse nécessité d'élargir les solutions aux enfants plus âgés. Par exemple, un certain nombre d'aménagements pour les familles monoparentales devraient être mis en oeuvre pour les familles jusqu'à la majorité des enfants. Je pense notamment à l'accès et à la tarification de la cantine et du périscolaire. Ils ne sont pas toujours aménagés spécifiquement pour ces familles car ils relèvent du choix propre à chaque collectivité territoriale. Toutes ne prennent pas les mêmes décisions dans ce domaine.
Enfin, lors de l'entrée dans l'âge adulte, les difficultés financières que rencontrent les jeunes qui vivent dans les familles monoparentales peuvent être très importantes. Elles ne doivent pas être sous-estimées. L'aide parentale que reçoivent ces jeunes est bien moindre et ils affirment davantage devoir se priver fréquemment de biens de première nécessité par rapport aux jeunes dont les parents sont en couple. Nous pouvons en imaginer l'impact sur la poursuite des études et sur le reste de la trajectoire de ces enfants.
Le deuxième point concerne la pauvreté, très marquée et connue. Elle est pire encore que ce qu'on imagine et que ce qu'on mesure. Elle est largement sous-estimée et, de ce fait, mal corrigée. Les conditions de vie de ces familles sont particulièrement dégradées en moyenne, en comparaison aux autres configurations familiales. Les travaux montrent par exemple des difficultés importantes et croissantes en ce qui concerne le logement. Le fossé s'est creusé depuis le début des années 2000, avec davantage de problèmes de financements, de bruit, d'humidité, de chauffage. En réponse à ces problèmes de logement, les familles monoparentales sont davantage hébergées que les autres familles par des proches, que ce soit de façon temporaire ou plus durable, en particulier par leurs familles. Ces solidarités privées, bienvenues, assurent un rôle de filet de sécurité, mais on devrait se garder d'une vision trop enchantée de ces solidarités familiales. En effet, elles peuvent représenter un coût moral potentiellement élevé pour celles et ceux qui en bénéficient. Ce coût peut notamment se traduire par un sentiment de redevabilité ou par l'impression de ne pas être à la hauteur de son rôle parental.
Les travaux montrent aussi des problèmes de santé physique et mentale accrus pour les parents seuls et les mères en particulier, en lien non pas directement avec le fait d'être seul avec ses enfants mais avec la mauvaise situation socio-économique qui les caractérise.
Autre point notable, les inégalités de genre sont particulièrement marquées. Les pères isolés sont socialement et économiquement plus favorisés. Leur monoparentalité est moins durable. De fait, les séparations se traduisent par un appauvrissement beaucoup plus important et plus persistant pour les mères que pour les pères isolés. S'y ajoutent enfin la question lancinante des impayés de pension alimentaire et la question de son traitement social et fiscal. Nous pourrons y revenir dans les échanges, si vous le souhaitez.
Il faut donc savoir que la pauvreté beaucoup plus marquée des familles monoparentales est encore largement sous-estimée. En effet, les niveaux de vie sont calculés avec ce qu'on appelle des échelles d'équivalence. Elles ont été construites sur la base de situations de couple et passent donc à côté des surcoûts importants liés à la monoparentalité. Ces surcoûts proviennent essentiellement de l'absence ou de moindres économies d'échelle, que l'on peut faire quand on est deux, avec deux revenus - en particulier quand les deux travaillent - en matière de logement. De ce fait, les enquêtes surestiment le niveau de vie des familles monoparentales et, symétriquement, elles sous-estiment l'ampleur de la pauvreté monétaire qu'elles connaissent. Or, et c'est toute la difficulté, ce n'est pas seulement un problème de mesure et de définition. Les barèmes des transferts sont partiellement construits sur la base de ces échelles d'équivalence. Ainsi, ils prennent tout aussi mal en compte le coût monétaire direct de l'enfant pour ces familles. Cela plaide pour que le soutien destiné à alléger les contraintes monétaires liées à la charge d'un enfant soit plus important pour les parents isolés que pour les couples. C'est une question d'équité.
Les plafonds de ressources de la plupart des prestations prennent en compte le surcoût de l'enfant lié à la monoparentalité, mais ce n'est pas le cas des montants eux-mêmes, qu'il conviendrait donc d'augmenter. Cette hausse pourrait en particulier passer par une majoration des montants des prestations pour les familles monoparentales, telles que l'allocation de rentrée scolaire ou les allocations familiales. Pourrait s'y ajouter une majoration des coefficients pour les minima sociaux, et particulièrement du RSA et de la prime d'activité, ou une extension du RSA et de la prime d'activité majorée à tous les parents isolés.
Au total, certes, la redistribution par les transferts doit encore être améliorée pour ces familles, mais il nous apparaît que cette forme de compensation ne peut pas être la seule solution. Il est impératif, en parallèle, d'agir sur les causes de la précarité qui les touche massivement, ce qui passe en particulier par un renversement de la dégradation des revenus primaires, les revenus avant redistribution. Cette dégradation des revenus primaires est observée pour une part croissante de ménages, qu'ils soient monoparentaux ou non d'ailleurs. En effet, depuis deux décennies, et alors même que le taux d'emploi a augmenté, on constate une augmentation de la pauvreté, notamment de la pauvreté laborieuse. Aujourd'hui, l'emploi est de moins en moins suffisant pour sortir de la pauvreté, raison pour laquelle il apparaît indispensable d'agir aussi en amont sur la formation des revenus primaires, donc sur les salaires, notamment via la revalorisation des métiers à prédominance féminine.
Mme Marie-Clémence Le Pape. - Il nous paraissait enfin essentiel d'aborder la question de la stigmatisation. Les mères ou pères vivants seuls avec leurs enfants ne sont toujours pas considérés comme des familles comme les autres. Certes, le regard porté sur les familles monoparentales a été plus sévère par le passé, et l'est davantage dans d'autres pays qu'en France, mais le processus de déstigmatisation reste à ce jour inachevé. Ainsi, certains stigmates demeurent, même s'ils peuvent avoir changé de tonalité. Ils s'expriment moins sur le registre ouvertement accusateur de la panique morale, davantage sur le registre plus feutré de l'inquiétude sociale et de sa variante compassionnelle. Ces stigmates sont en partie liés à une norme qui imprègne toujours fortement notre présentation de ce qui fait famille, la norme de bilatéralité selon laquelle un enfant a deux parents. Ce principe culturel très ancré charrie la perception qui voudrait que les ménages monoparentaux souffrent d'un manque, et tout particulièrement d'un manque d'hommes, de l'absence du père qui incarnerait l'autorité et serait garant de l'équilibre familial. De fait, une forme de vulgate psychopathologisante imprègne durablement les représentations sociales. La figure repoussoir de la mère dévorante, instigatrice d'une relation exclusive et perçue comme malsaine avec son enfant est repérable dès les premiers écrits médicaux sur les mères célibataires à la fin des années 1960. Elle est loin d'avoir disparu. Sans être toujours énoncée de façon franche et claire, elle imprègne encore durablement l'imaginaire collectif. Les familles monoparentales ont tendance à être globalement perçues comme potentiellement dysfonctionnelles du fait même d'avoir à leur tête un seul parent - en général la mère.
Cette représentation a des effets concrets, notamment dans l'accompagnement des mères les plus précaires par le travail social. Alors qu'elles sont sommées de s'insérer sur le marché du travail, les mères seules sont moins souvent orientées vers des accompagnements visant directement l'insertion professionnelle, et plus souvent vers des accompagnements qui visent à travailler leur rapport à la parentalité, pensée comme un préalable à la prise ou à la reprise d'emploi. Dans le même temps, lorsqu'elles fréquentent des dispositifs de soutien à la parentalité, c'est une approche universaliste qui prime, faisant souvent abstraction des conditions de vie de ces mères, de leurs contraintes et de leurs besoins spécifiques, faisant néanmoins peser sur elles les injonctions classiques à la bonne parentalité.
Le travail social n'est pas le seul concerné. Les femmes qui élèvent seules leurs enfants peuvent aussi souffrir de la prégnance de cette figure dans leurs interactions avec les professionnels de la petite enfance, de la santé, de la justice ou encore de l'école. De ce point de vue, la question de la formation de l'ensemble des professionnels susceptibles d'accompagner ou d'interagir avec ces mères est cruciale. En va-t-il de même pour les pères qui se trouvent en situation de monoparentalité ? Pour les hommes, c'est la suspicion de ne pas savoir élever seul un enfant et de manquer de compétences qui pèsent. C'est pourquoi pour les pères séparés, l'entourage féminin, via l'implication de la grand-mère paternelle ou le souhait de remise en couple, est perçu comme un gage rassurant.
Au total, il est manifeste que les parents élevant seuls leurs enfants, et singulièrement les mères, sont pris en étau entre deux injonctions contradictoires : l'investissement parental est requis mais, dans le même temps, le détachement est exigé. Ces injonctions contradictoires pèsent également sur la vie intime des mères qui élèvent seules leurs enfants.
Si les remises en couple jugées trop précoces sont stigmatisées, l'installation dans une monoparentalité perçue comme excessivement durable est mal accueillie. De fait, la mise ou remise en couple des parents élevant seuls leurs enfants est une question qui traverse et conditionne l'attribution d'un certain nombre d'aides sociales. Dans le cadre des politiques de lutte contre la fraude et les indus, les modalités de contrôle des situations de concubinage mises en oeuvre aujourd'hui apparaissent porteuses d'une discrimination indirecte à l'endroit des femmes. Elles sont majoritaires parmi les allocataires du RSA majoré. Il est permis de penser que les vérifications effectuées quant à la situation d'isolement sont, dans une certaine mesure, susceptibles d'avoir des conséquences sur le choix de vie de certaines d'entre elles, qui renonceraient à une relation sentimentale de peur de perdre le bénéfice des allocations perçues jusque-là. Pour cette raison, nous considérons que la vie conjugale et son organisation concrète - cohabiter ou non, faire budget commun ou non - doivent être davantage rendues possibles pour les pères et les mères isolés. Cela passe concrètement par une déconjugalisation des prestations, à commencer par l'allocation de soutien familial (ASF), mais aussi par une déconjugalisation d'autres prestations, en particulier celle de la prime d'activité.
En conclusion, l'ampleur du chantier ne doit pas conduire à l'immobilisme, mais elle appelle impérativement une réflexion transversale sur l'ensemble des politiques et de l'action publique, et sur l'impact qu'elles peuvent avoir sur les familles monoparentales, les pères, les mères et les enfants qui vivent en leur sein. Je vous remercie.
Mme Dominique Vérien, présidente. - Merci beaucoup pour cette intervention. J'identifie ici une injonction contradictoire. Il faudrait prendre en compte le fait que les mères à la tête de familles monoparentales sont isolées, et ne pas prendre en compte le fait qu'elles soient en couple. Il est compliqué de combiner ces deux aspects. Je passe la parole à nos rapporteures.
Mme Colombe Brossel, co-rapporteure. - Il nous semblait intéressant de pouvoir dresser un état des lieux des familles monoparentales, tout en pensant qu'il était globalement connu, ou du moins que nous en connaissions les principales caractéristiques. Peut-être était-ce une fausse représentation. Vous venez d'en déconstruire certaines.
Dans cet état des lieux connu, certaines données chiffrées sont parfois contradictoires. Je vous lis et vous écoute avec intérêt. On compte trois millions de familles monoparentales. C'est la base sur laquelle vous avez travaillé. L'Insee communique quant à elle sur deux millions de familles monoparentales. Comment expliquer ces différences de chiffres ? Le tableau social des familles monoparentales doit-il être nuancé ?
Ensuite, au-delà des profils, avez-vous identifié des différences territoriales marquantes ?
Enfin, avez-vous identifié dans vos études un impact de la période covid sur les conditions socio-économiques, matérielles, de logement, d'accès à l'emploi ou de travail social ? Pouvez-vous nous alerter sur certains sujets dans ce cadre ?
Mme Béatrice Gosselin, co-rapporteure. - Le phénomène de la monoparentalité est de plus en plus inquiétant, au regard des chiffres en augmentation exponentielle. Pour le vivre au quotidien dans nos territoires, je vois que l'on se débrouille comme on peut quand on est une maman seule avec ses enfants. Vous l'avez dit, les conditions de vie sont souvent plus difficiles dans ces situations que lorsque l'on est en couple. C'est notamment le cas en ce qui concerne les logements. Nous le voyons au sein de nos territoires. Les familles monoparentales et à faible revenu occupent parfois des emplois précaires, voire très partiels et vivent dans des logements inadaptés. Elles ont parfois un accès très ardu à l'habitat ou aux loyers modérés, parce qu'il n'y en a pas suffisamment. Il me semble important de creuser ce point.
Je rejoins la Présidente Vérien sur le sujet des prestations. Si la maman est seule, leur montant est supposément plus élevé - bien qu'il soit loin d'être à la hauteur de ce qu'il devrait être - que lorsqu'elle est en couple. J'ai vu que les contrôles étaient plus nombreux au sein des familles monoparentales. Je crois qu'ils sont parfois dus à cette ambiguïté : on est seule, mais pas seule. La déconjugalisation des prestations me paraît importante. Je ne connais pas ses conséquences sur le plan financier. Je lance ici un pavé dans la mare, sans me figurer ce que cela pourrait représenter. Pour autant, cette mesure me semble intéressante afin que chacun ait droit à ce à quoi il peut prétendre selon sa situation. Pouvez-vous nous donner plus d'informations sur les conséquences de la déconjugalisation des aides ?
Mme Dominique Vérien, présidente. - Vous indiquiez que la France affiche le taux le plus élevé de familles monoparentales. Quels sont ceux des autres pays européens comparables ?
Mme Marie-Clémence Le Pape. - Je commencerai par les explications les plus faciles. Il faut être très prudent sur les données chiffrées. La mesure des familles monoparentales est très stable, mais peut varier d'une source à l'autre.
Dans les enquêtes de l'Insee, un parent est considéré comme famille monoparentale quand il vit seul avec ses enfants et qu'il n'est pas en couple. Pour être considéré comme vivant seul avec ses enfants, il faut, toujours dans les critères de l'Insee, vivre au moins la moitié du temps avec ses enfants. Sont ainsi comptabilisés les parents qui ont la résidence principale ou qui sont en résidence alternée. Les autres configurations ne sont pas considérées comme des familles monoparentales. Selon les enquêtes de l'Insee, le critère d'âge varie. Parfois, les familles monoparentales prises en compte sont celles avec des enfants mineurs, parfois elles le sont lorsqu'elles ont à charge des enfants de moins de 25 ans. Cette vision me semble, à titre personnel, adéquate, les difficultés des jeunes ne devant pas être oubliées. Parfois, les familles monoparentales englobent toutes les situations indépendamment de l'âge de l'enfant. Par exemple, un adulte qui vivrait avec sa mère seule, pour des raisons diverses, est considéré comme une famille monoparentale. C'est ce qui explique ces variations dans le nombre de familles monoparentales comptées.
Ensuite, on considère qu'on est une famille monoparentale quand on ne vit pas en couple. Là encore, l'appréciation de la vie conjugale dépend des enquêtes. Vivre en couple, c'est parfois vivre en « couple cohabitant ». Dans d'autres sources, cela correspond au fait de partager des dépenses communes. Ainsi, ces chiffres de la monoparentalité ne sont pas stables, parce qu'ils varient d'une enquête à l'autre. On ne mesure pas la même chose à chaque fois. Selon moi, nous devons adopter une certaine prudence lorsque l'on manipule ces chiffres et en préciser le champ pour éviter d'en avoir une vision déformée.
Ensuite, les différences territoriales existent. La monoparentalité est plus marquée et plus durable dans les départements et régions d'outre-mer. En Martinique et Guadeloupe, un enfant sur deux est considéré comme faisant partie d'une famille monoparentale. Cette monoparentalité est aussi beaucoup plus élevée, dans la France métropolitaine, au niveau du pourtour méditerranéen.
Lors de notre état des lieux, nous n'avons pas particulièrement mis la focale sur le covid. Nous ne pouvons donc pas répondre à votre question à ce sujet.
De plus, il nous faut nous questionner sur la signification d'une vie en couple aujourd'hui. Nous en avons peut-être une représentation assez traditionnelle et linéaire. Or nous observons deux éléments distincts. D'une part, des séparations qui s'étirent, notamment pour les familles les plus précaires qui sont obligées de cohabiter, alors même qu'elles se considèrent comme séparées. Nous voyons bien que les frontières de la séparation ne sont pas aussi claires qu'on peut le penser. D'autre part, pour le cas des femmes qui se remettent en couple, il faudrait regarder dans quelle mesure le nouveau conjoint participe au travail parental, c'est-à-dire à quel point il prend en charge les enfants et participe aux dépenses communes relevant de la charge de ces derniers. Vous l'aviez souligné, Madame la Présidente, cette question est complexe, parce que la vie en couple est elle-même complexe. Pour cette raison, nous avons proposé une déconjugalisation d'un certain nombre de prestations. Il me semble en effet que la difficulté actuelle concerne la possibilité de statuer sur le fait que ces personnes sont en couple ou ne le sont pas, notamment lors des contrôles.
Mme Catherine Collombet, sous-directrice à la Cnaf, conseillère scientifique auprès du Haut conseil de la famille, de l'enfance et de l'âge (HCFEA). - Dans le rapport, il a été indiqué que les situations de monoparentalité étaient plus fréquentes en France que dans la plupart des pays de l'Union européenne. Nous observons une différence nord-sud en Europe. En effet, la part des ménages monoparentaux est plus élevée en Europe du Nord - elle l'est même davantage qu'en France -, tandis qu'ils sont assez rares en Europe du Sud et de l'Est. Vous trouverez des éléments chiffrés dans le chapitre statistique du rapport.
Mme Clémence Helfter. - Madame Brossel, vous disiez qu'on peut avoir le sentiment de connaître le tableau social, mais qu'en réalité, on se trompe. On voit les enjeux de mesures et de frontières. On connaît les éléments que vous rappeliez, Madame la Présidente, dans vos mots introductifs. De notre point de vue, ce sont les conséquences de ce cumul d'inégalités et de difficultés sur les individus, les adultes, les enfants et la vie familiale qu'on peine à appréhender. En ne prenant pas suffisamment en compte cette dimension, on l'adresse mal dans les politiques publiques et on passe à côté d'une partie du problème. Selon nous, il faut embrasser la multiplicité des facteurs qui rendent la vie difficile pour les familles monoparentales et les adresser simultanément. En résulte la nécessité d'allier des mesures ciblées dans leur direction, conçues pour ces familles et en pensant à elles, et des mesures transversales. Nous avons insisté sur les salaires, la revalorisation des emplois à prédominance féminine, les stéréotypes de genre, le logement. Nous sommes confrontés à un problème de logement social pour tout le monde. Dans un contexte dans lequel le gâteau se réduit, comment se partage-t-on la pénurie ? Cette difficulté concerne les ménages monoparentaux, mais aussi les ménages les plus précaires, y compris les couples.
Mme Dominique Vérien, présidente. - L'âge d'entrée dans la monoparentalité baisse-t-il ?
Mme Marie-Pierre Monier. - J'aimerais moi aussi revenir sur les chiffres. Vous avez indiqué que nous étions passés de 10 à 25 % de familles monoparentales depuis les années 1970. Colombe Brossel vous demandait si vous identifiiez un lien avec le covid. Savez-vous pourquoi cette proportion a basculé ? Est-elle liée au taux de pauvreté en général ? Il serait intéressant d'en comprendre la raison car cette augmentation est énorme.
Il est décevant de constater qu'ici aussi, les stéréotypes de genre sont bien ancrés, et que les femmes en paient un lourd tribut.
Le tableau dressé est assez noir. Avez-vous étudié les solutions qui existent pour ces familles monoparentales ? Existe-t-il des collectifs, des associations ? Vous avez dit que certaines femmes essaient de se mettre en « couple », de faire une colocation, de se regrouper avec un partenaire pour limiter les conséquences de leur monoparentalité. Des structures associatives ou publiques existent-elles pour les accompagner ?
Quelles suites souhaitez-vous à ce rapport ? Vous évoquiez un besoin d'augmentation des moyens alloués. Vous voulez que les politiques publiques s'en saisissent ?
Mme Marie-Clémence Le Pape. - Du point de vue de l'Insee, les familles monoparentales ont des enfants globalement plus âgés que les autres, et moins nombreux, puisque la séparation intervient rarement dans les premières années de vie de l'enfant, mais plus fréquemment quand il est un peu plus âgé. Statistiquement, les familles monoparentales ont donc des enfants plus âgés que les familles dont les parents sont en couple. Cela explique en partie notre préconisation visant à ne pas uniquement penser à la petite enfance. Ensuite, la part des parents séparés dans les familles monoparentales est très forte, mais il ne faut pas réduire la monoparentalité à la séparation. Quand on travaille sur ce sujet, il est important de garder à l'esprit que si des questions importantes concernent la séparation, et notamment la pension alimentaire, d'autres parents sont en situation de monoparentalité dès la naissance de l'enfant. C'est la deuxième cause d'entrée dans la monoparentalité après la séparation. Elle est suivie du veuvage ou du décès du conjoint. En début d'exposé, je vous disais que les mères qui entrent dans la monoparentalité à la naissance de l'enfant ou à la suite du décès de leur conjoint sont plus précaires que les mères qui entrent dans la monoparentalité à la suite d'une séparation.
Pourquoi le taux de familles monoparentales augmente-t-il ? Cette hausse est continue et n'est pas corrélée à une période particulière. Simplement, les séparations augmentent de façon continue.
Je laisserai ma collègue vous répondre s'agissant des collectifs et associations. Nous avons quelques suggestions à vous communiquer.
Enfin, quelles suites attendons-nous de ce rapport ? Nous avions pour première ambition, en le réalisant, de dresser un portrait plus juste de la monoparentalité. Ensuite, à travers ce prisme pluridisciplinaire, nous voulions permettre de comprendre la monoparentalité sous toutes ses focales, là où jusqu'à présent elle était présentée sous des angles différents : économiques, psychologiques, démographiques ou sociologiques. Nous avions pour objectif d'offrir un regard pluridisciplinaire. Nous vous avons ensuite soumis un certain nombre de préconisations auxquelles nous croyons. Il vous revient de porter ces actions. Nous sommes ravies d'être auditionnées à cette fin.
Mme Clémence Helfter. - Vous demandiez pourquoi le taux de familles monoparentales était passé de 10 à 25 %. Cette question interroge la perception que nous pouvons avoir du couple. Est-ce un problème de ne pas être en couple ? Faut-il y trouver des solutions ? Est-ce un fléau ? Encore récemment, on a pu lire une tribune du socioloque Julien Damon qui affirmait « on n'a pas tout essayé contre la monoparentalité », comme on pourrait dire que l'on n'a pas tout essayé contre le chômage. La monoparentalité n'est pas nécessairement subie, désolante, accablante.
Vous disiez que le tableau présenté était sombre. Nous l'avons peut-être noirci, c'est l'exercice qui le veut. Pour autant, élever un enfant seul peut résulter d'un choix. On peut initier une séparation plutôt que de subir une relation de couple avec des rapports de domination, sans compter les violences conjugales. On en parle beaucoup aujourd'hui. Il existe de plus en plus de dispositifs contre les violences conjugales. Ils créent de la monoparentalité pour de bonnes raisons. Ainsi, nous ne pouvons pas nous contenter d'un discours selon lequel il faudrait absolument être en couple. Simplement, des compensations sont nécessaires dès lors que l'on fait un choix en conscience. Toutes les femmes ne sont pas affreusement délaissées par des hommes partis convoler avec des femmes plus jeunes. Parfois, la situation est choisie. Nous devons faire en sorte qu'on ne paye pas ce choix toute sa vie, et que les enfants ne le paient pas, en compensant, en socialisant, sans faire de ce choix une responsabilité et un poids individuels. Nous devons le voir comme une évolution de société, de culture. C'est probablement pour cette raison que la monoparentalité est moins stigmatisée en France que dans d'autres pays Européens au sein desquels sortir de la conjugalité et du mariage revient presque à sortir de la société, du commun, de ce qui est accepté. En France, on s'émancipe de plus en plus de la conjugalité, ou du moins du mariage. Ce n'est pas nécessairement une mauvaise évolution.
M. Gilbert Favreau. - Je voudrais revenir sur l'idée de déconjugalisation. Ce concept est plutôt récent. On en a beaucoup parlé à propos des époux et épouses de personnes handicapées. Une loi a consacré la déconjugalisation dans ce cadre. Dans le domaine dont nous discutons aujourd'hui, les contributions du conjoint - souvent le père - en matière de pension alimentaire sont fixées soit par un magistrat, soit au terme d'une convention passée entre les conjoints. Il est toujours possible de réactualiser une pension alimentaire, y compris lorsqu'elle a été fixée dans une convention amiable. Le système est donc bien différent. Si on revient devant le juge, celui-ci prendra en compte tous les éléments permettant de fixer la pension. Je pense que nous ne pouvons donc pas traiter la déconjugalisation de la même façon dans un divorce et dans les rapports entre parents que dans un couple de personnes dont l'une est handicapée. Cette nuance me semble importante. On a souvent tendance à penser qu'il est difficile pour une maman qui a la garde de ses enfants d'aller devant la justice. Pourtant, il me semble que l'aide juridictionnelle ou un certain nombre de dispositifs permettent tout de même de saisir le juge. Je voulais le souligner.
Mme Annick Billon. - Mesdames, merci pour vos propos et vos explications. Vous avez parlé de monoparentalité plus importante sur le pourtour méditerranéen, comme dans les outre-mer. Cette deuxième information fait écho à nos travaux menés l'année dernière, en commun avec la délégation sénatoriale aux outre-mer, sur la parentalité dans les outre-mer. Corrélez-vous cette situation à des grossesses précoces ? Découle-t-elle d'éléments culturels ? Cette prépondérance de monoparentalité dans ces territoires a-t-elle les mêmes conséquences qu'ailleurs ?
Ensuite, avez-vous, dans votre étude, dressé des statistiques des familles monoparentales ? Ce point a peut-être été abordé avant que je me joigne à vous.
Enfin, de nombreux travaux sur la précarisation ont été menés au Sénat. Le logement reste une difficulté. Nous connaissons une véritable crise, que ce soit en termes d'acquisition, de biens disponibles à la location, de logements sociaux... Qu'est-ce qui déclenche la précarisation ? Est-ce la crise du logement ou d'autres facteurs?
Mme Catherine Collombet. - Aujourd'hui, un quart des parents non gardiens solvables déclarent ne pas verser de pension alimentaire. Plus leurs ressources sont élevées, plus la probabilité de versement est importante. Par ailleurs, des mesures de politiques publiques ont été mises en oeuvre ces dernières années. On a instauré une intermédiation a priori des pensions alimentaires, c'est-à-dire que la pension passe par une agence de recouvrement plutôt que d'être versée d'un parent à l'autre.
M. Gilbert Favreau. - Cette procédure est récente.
Mme Dominique Vérien, présidente. - Ce système fonctionne-t-il mieux ?
Mme Catherine Collombet. - Il est très récent. Nous n'avons pas encore d'éléments de bilan à apporter à ce sujet.
Mme Marie-Clémence Le Pape. - Deux chapitres de notre rapport sont spécifiquement dédiés aux pensions alimentaires. Nous vous invitons à les lire et à auditionner des spécialistes de cette question. Nous pensons notamment à Émilie Biland et Isabelle Sayn, qui ont participé à cet ouvrage.
Ensuite, la monoparentalité dans les outre-mer n'est pas extrêmement développée dans l'état des savoirs. Je ne peux donc réellement répondre à votre question. On note simplement que la monoparentalité y est plus durable et plus forte. Nous nous y sommes intéressés d'un point de vue statistique. D'un point de vue plus qualitatif, je sais qu'il existe des études menées sur la parentalité en outre-mer, mais nous ne pourrons pas répondre sur ce point.
Mme Dominique Vérien, présidente. - Pouvez-vous nous répondre s'agissant de la part du logement dans la précarité ?
Mme Clémence Helfter. - Je n'ai pas de pourcentage à vous communiquer. Vous demandiez en revanche si d'autres éléments pouvaient déclencher cette précarité. Je pense que nous ne devons pas sous-estimer l'effet de l'emploi, du revenu et du salaire. Ce sujet est systémique. C'est le serpent qui se mord la queue.
Les mères seules ne sont pas davantage à temps partiel que les autres. Elles représentent un tiers de cette population. En revanche, ce temps partiel est beaucoup plus vécu comme subi. On observe également des différences assez notables sur les quantités de temps travaillé, et donc les salaires et conditions de travail qui en découlent. Ce facteur ne doit pas être sous-estimé, d'autant plus qu'il aura des répercussions sur l'avenir : au temps et au salaire partiels succède une retraite partielle, avec toutes les conséquences induites. Je pense notamment à la capacité d'aider ou non ses enfants, une fois devenus adultes.
Mme Dominique Vérien, présidente. - Il me reste à vous remercier. C'était très intéressant. J'ai bien noté les noms de Mmes Biland et Sayn pour travailler sur le sujet des pensions alimentaires.
Audition du Secours catholique
Mme Dominique Vérien, présidente. - Je suis heureuse d'accueillir ce matin des représentants du Secours Catholique : Raphaël Badaoui, chargé d'études statistiques, co-auteur du rapport annuel du Secours Catholique sur l'état de la pauvreté en France, intitulé cette année Pauvretés : les femmes en première ligne, qui met en exergue - je cite - « une féminisation de la pauvreté et une aggravation de la précarité des femmes » ; et Sophie Rigard, chargée de projet action et plaidoyer « Accès digne aux revenus ». Bienvenue.
Le rapport annuel que j'évoquais, ainsi que, plus globalement, les actions et l'expertise du Secours Catholique nous intéressent à double titre ; tout d'abord, pour nos travaux sur les familles monoparentales, dont les rapporteures sont Colombe Brossel et Béatrice Gosselin. Alors qu'elles représentent 9 % des ménages en France, les familles monoparentales représentent 28 % des ménages rencontrés par le Secours Catholique, et les mères isolées représentent 39 % des femmes françaises rencontrées (35 % des étrangères).
Les données de la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf) montrent que le niveau de vie des familles monoparentales est nettement inférieur à celui des autres familles et que 41 % des enfants en famille monoparentale vivent sous le seuil de pauvreté, contre 16 % des enfants dont les parents sont en couple.
On se souvient qu'en 2018, pendant la crise des Gilets jaunes, les mères isolées avaient été nombreuses à occuper les ronds-points pour alerter sur leurs difficultés.
Vous nous présenterez le profil et les difficultés des mères isolées accueillies par le Secours Catholique, ainsi que les mesures nécessaires, selon vous, pour mieux les accompagner. Certaines voix plaident pour la mise en place d'un statut de parent isolé : qu'en pensez-vous ?
Nous souhaitons également vous entendre sur la problématique des femmes dans la rue, qui constitue notre seconde thématique de travail cette année. Nos rapporteures sont les sénatrices Agnès Evren, Marie-Laure Phinéra-Horth, Olivia Richard, ici présente, et Laurence Rossignol, qui a dû partir dans le Val-de-Marne.
Près d'un ménage sur trois accueillis au Secours Catholique en 2022 n'avait pas accès à un logement stable. Cette part a augmenté de dix points entre 2010 et 2019.
Vous indiquez dans votre rapport que « même si les femmes restent un peu mieux protégées contre le sans-abrisme, le nombre de femmes et d'enfants à la rue augmente et les situations précaires, en hébergement ou à l'hôtel, s'éternisent. »
On estime que 330 000 personnes sont sans domicile en France aujourd'hui. Parmi elles, 40 % de femmes, seules ou bien souvent avec des enfants. Environ 3 000 femmes dorment chaque nuit dans la rue. Les autres sont hébergées en centres d'hébergement d'urgence ou en centres pour demandeurs d'asile. Ces solutions sont temporaires et incertaines : chaque mois, chaque semaine, chaque soir parfois, il leur faut rechercher une nouvelle place d'hébergement.
Sur ce sujet également, vous nous ferez part, non seulement de vos constats de terrain mais aussi, et surtout, de vos préconisations.
Je laisse sans plus tarder la parole à Raphaël Badoui et Sophie Rigard. Je précise que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo.
M. Raphaël Badaoui, chargé d'études statistiques au Secours Catholique. - Merci beaucoup. Bonjour à toutes et à tous. Nous commencerons notre intervention par une présentation assez rapide des résultats de notre rapport, en nous concentrant d'abord sur les problématiques qui nous intéressent aujourd'hui. Les chiffres que nous vous exposerons ne sont pas représentatifs de la France dans son entièreté, mais uniquement des personnes accompagnées par le Secours Catholique, notamment en 2022. Nous estimons que nous accompagnons et rencontrons environ un million de personnes chaque année.
Je me permets de vous dresser un profil général, pour que vous ayez une meilleure connaissance des personnes que nous accueillons, au-delà des mères isolées, de façon à mieux appréhender la suite des constats qui vous seront exposés. Nous dressons un profil démographique des situations en termes d'emploi, de conditions de vie et de ressources des personnes accueillies, grâce à une enquête statistique produite chaque année.
Cette année, sans surprise et comme les années précédentes, nous constatons une surreprésentation des ménages composés d'un seul adulte. Les mères isolées sont le type de ménage le plus rencontré par le Secours Catholique : un quart des ménages rencontrés.
Il est important de garder en mémoire le fait qu'une personne sur deux accueillies au Secours Catholique est de nationalité étrangère. Environ un tiers sont sans papiers, mais un autre tiers affiche également un statut administratif régularisé. Le dernier tiers est en attente d'une réponse à la suite d'une demande. Ces dernières années, et surtout en 2022, nous avons constaté une hausse des primo-arrivants, c'est-à-dire des personnes arrivées dans le pays depuis moins d'un an, notamment en raison du conflit en Ukraine. Cette population est très féminine. En effet, beaucoup de femmes sont venues en France avec leurs enfants. Ce sont particulièrement des familles monoparentales. La réouverture de certaines frontières après la crise sanitaire n'y est pas pour rien. Il est essentiel de souligner que les personnes de nationalité étrangère se trouvent dans des situations de précarité bien plus extrêmes que ne le sont déjà celles de nationalité française que l'on rencontre. Plus d'un ménage étranger sur deux ne dispose d'aucune ressource financière.
Ensuite, je projette deux graphiques. Le premier représente la France entière et le second, les personnes rencontrées par le Secours Catholique. Vous voyez que 61 % de nos bénéficiaires sont en situation dite d'inactivité, c'est-à-dire très éloignés de l'emploi et sans être en recherche active d'emploi. Leur profil est différent des personnes en situation d'inactivité que l'on rencontre dans la population générale, qui sont majoritairement des retraités et des étudiants. Au Secours Catholique, il s'agit de personnes découragées dans leur recherche d'emploi, qui sont en inaptitude pour raisons de santé, ou qui n'ont simplement pas droit au travail en raison de leur statut administratif. Parmi les 17 % de personnes en emploi, nous constatons une représentation très importante d'emplois précaires, de contrats courts, de temps partiels, et caetera.
Enfin, nous constatons dans notre rapport une aggravation de la situation des personnes qu'on rencontre. Nous ne pouvons pas, à notre niveau, mesurer l'aggravation de l'ampleur du phénomène de pauvreté, comme l'a récemment documenté l'Insee en publiant ses taux de pauvreté, qui ont augmenté entre 2020 et 2021. Nous pouvons uniquement nous concentrer sur la situation des personnes que nous rencontrons chaque année. Cette situation s'est dégradée, notamment en raison de l'inflation. Tous les indicateurs de niveau de vie et de taux de pauvreté se sont dégradés lorsqu'on prend en compte l'inflation. De plus, on observe une hausse de la part de ménages sans aucune ressource. Celle-ci n'est pas liée à l'inflation.
Entrons à présent dans le vif du sujet. Je ne vous présenterai pas toute la partie thématique, dédiée à la féminisation de la pauvreté, mais j'essaierai de me concentrer sur les points qui nous intéressent, notamment sur les femmes vivant seules avec des enfants. Nous avons rédigé ce rapport, et avons choisi cette thématique, parce que nous observons depuis quelques années une augmentation de la part de femmes dans nos accueils et une aggravation de leur situation. La féminisation de la pauvreté se traduit dans les chiffres. Il y a une trentaine d'années, notre accueil se partageait pour moitié entre les femmes et les hommes, à peu près, comme dans la population générale. Aujourd'hui, 57,5 % des adultes rencontrés par le Secours Catholique sont des femmes.
Nous pouvons expliquer cette hausse de plusieurs manières. Nous en avons cité deux, qui nous apparaissent comme majeures, à commencer par la hausse de la part de femmes parmi les étrangers accueillis.
Il y a dix ou quinze ans, les étrangers qui arrivaient en France et qui étaient en difficulté ou en situation de précarité étaient surtout des hommes seuls. Ce n'est plus le cas. Aujourd'hui, beaucoup de familles ou de femmes arrivent dans le pays avec leurs enfants. S'y ajoutent le poids croissant des ruptures conjugales et la charge des enfants qui incombe toujours aux femmes. Parmi les femmes rencontrées par le Secours Catholique, plus d'un tiers sont des mères isolées. 22 % des femmes seules et mères isolées qui viennent dans nos accueils mentionnent une séparation, un abandon, un divorce récent.
Le profil des hommes et des femmes accueillis au Secours Catholique sont différents, s'agissant notamment de leur situation d'emploi. Ces éléments peuvent se retrouver dans la population générale mais sont exacerbés chez les personnes accueillies. Nous rencontrons autant de femmes que d'hommes qui sont en emploi - 17 % des adultes que nous accompagnons. En revanche, nous observons une très nette surreprésentation des temps partiels pour les femmes - 34 % contre 16 % pour les hommes. Ces écarts se retrouvent également dans la population générale. Les femmes sont plus souvent en situation d'inactivité - ni en emploi, ni en recherche d'emploi. Ce phénomène s'accroît, notamment entre 2021 et 2022. Quand elles sont dans ces situations, les femmes sont beaucoup plus souvent que les hommes « au foyer ». Seuls 2 % de leurs homologues masculins le sont, alors qu'elles sont 11 % dans ce cas.
Vous l'avez cité en introduction, on observe une dégradation des situations par rapport au logement. Sur le long terme, ce constat est aussi dû au fait que l'on accueille plus de populations de nationalité étrangère. S'y ajoute l'ampleur de personnes en logements précaires, donc instables - ici, on regroupe toutes les personnes qui ne sont pas locataires ou propriétaires, qui vivent en hébergement d'urgence, à la rue, chez un proche qui les accueille pendant une certaine période. La part de personnes dans cette situation augmente depuis dix ans au Secours Catholique. 29 % des femmes rencontrées n'ont pas de logement stable. Plus inquiétant encore est l'allongement de la durée passée dans ces logements instables : de cinq mois en moyenne en 2012 à un an et demi en 2022. Ils ne sont finalement plus des hébergements d'urgence. Passer un an et demi, en moyenne, dans cette situation, c'est plus que de l'instabilité.
Pour revenir à notre sujet, nous avons rédigé un chapitre sur la situation des mères, des ménages féminins avec des enfants à charge. En effet, nos chiffres sont assez parlants. La parentalité concerne toujours plus les femmes que les hommes. 93,3 % des enfants accompagnés par le Secours Catholique vivent dans un ménage où une femme est présente. Seules 6,7 % des personnes accueillies sont des pères isolés. Ce phénomène est donc assez rare. Nous avons voulu nous concentrer sur ces mères isolées et sur les couples avec enfants.
Dans nos chiffres, nous observons des demandes spécifiques de la part des ménages ayant des enfants à charge. La demande liée à des produits de première nécessité comme l'alimentation, les vêtements et l'accompagnement scolaire est plus importante, tandis que celle liée à l'emploi et au logement est plus faible.
Les mères isolées sont en outre les types de ménages les plus en activité parmi les personnes que nous rencontrons. Elles sont le plus souvent soit en emploi, soit à la recherche d'un emploi. En revanche, lorsque l'on s'intéresse aux couples composés d'un homme et d'une femme, on observe que l'écart de taux d'activité entre l'homme et la femme est très important au sein des couples avec enfants. C'est bien plus souvent l'homme qui a un emploi et la femme qui est au foyer ou qui n'est pas en recherche d'emploi. Dans les couples sans enfant, il n'y a pas d'écart significatif entre l'homme et la femme. Cette observation, à froid, implique beaucoup de choses, notamment dans le cas de séparations.
On observe que vivre avec des enfants semble limiter le fait de ne percevoir aucune ressource financière. Nous avons quelques hypothèses. Nous supposons que ces ménages sont mieux repérés par les services sociaux, qu'ils ont accès à certaines aides plus facilement. Durant la crise sanitaire, nous avons notamment remarqué dans notre précédent rapport que les mères isolées ont été un peu plus protégées que les autres ménages. En revanche, vivre avec des enfants accroît le risque de vivre sous le seuil d'extrême pauvreté. En effet, ces personnes ne se retrouvent pas sans aucune ressource, mais le fait d'avoir des enfants à charge ne permet pas d'atteindre un niveau de vie suffisant pour avoir des conditions de vie dignes.
En conclusion, nous avons produit une diapositive reprenant les chiffres concernant les mères isolées. Notre rapport comprend plusieurs focus sur ces ménages et, en particulier, sur ces mères que nous accueillons. Nous estimons que c'est une précarité de jeunes adultes. L'âge médian est de 41 ans mais nous rencontrons tout de même beaucoup de jeunes mères isolées. Près de 46 % des enfants rencontrés vivent dans ces ménages, avec une mère isolée. 62 % de ces femmes sont françaises. C'est plus que dans la population globale que nous accueillons. Elles sont majoritairement actives : 60 % sont en emploi ou en recherche d'emploi parmi les femmes françaises accueillies. C'est dans cette population que l'on retrouve le plus de personnes en emploi ou en recherche d'emploi. Ce constat signifie à la fois que les mères isolées sont obligées de trouver un emploi et que, même avec un emploi, quand on est seule à s'occuper d'un enfant, on ne s'en sort pas forcément. Il nous faut alors faire appel à des associations caritatives telles que le Secours Catholique.
Vous pourrez trouver davantage de chiffres directement dans le rapport. Je n'ai pas cité beaucoup de chiffres sur la problématique des femmes en errance, qui feront peut-être l'objet d'un futur rapport. Nous avons beaucoup à dire à ce sujet.
Mme Sophie Rigard, chargée de projet action et plaidoyer « Accès digne aux revenus ». - Je vais tenter de compléter rapidement cette intervention avec des éléments de propositions et de recommandations issus de notre rapport. Au Secours Catholique, nous nous attachons à écouter directement les demandes que formulent les personnes.
Que demandent ces femmes que nous accueillons ? Elles veulent notamment savoir où loger le soir même, demain et les mois qui viennent. C'est la base. Elles ont besoin de se mettre à l'abri. Ce constat nous invite à relever un manque de 20 000 places d'hébergement d'urgence et à étudier la question de la régularisation de la situation administrative des personnes exilées. C'est en effet un frein énorme pour l'accès au logement des femmes étrangères et de leurs enfants. La question de l'adaptation du parc de logement à la réalité des besoins est à souligner. Nous sommes confrontés à un réel manque de développement d'une offre locative qui soit vraiment sociale, en particulier en Ile-de-France.
Ces femmes demandent à pouvoir subvenir à leurs besoins vitaux et à ceux de leurs proches, et notamment à protéger leurs enfants. Elles nous disent qu'elles sont prêtes à tous les sacrifices pour ce faire. C'est pour ces derniers qu'elles poussent la porte du Secours Catholique et de beaucoup d'associations de solidarité. Elles sont prêtes à manquer des repas, voire à plus, pour payer une sortie scolaire à leurs enfants et pour les protéger de toute la violence que représente la précarité.
Nous vous interpellons notamment sur la question d'une rémunération décente des personnes en emploi, mais aussi de celles qui n'ont pas d'emploi. Une partie de cette population travaille, nous l'avons dit, mais une autre partie est assez éloignée du marché de l'emploi. Avoir des enfants est compliqué et constitue un facteur d'éloignement du marché de l'emploi. Il est plus compliqué de retrouver un emploi, de s'organiser, de trouver un mode de garde quand on a des enfants. Il peut également être plus compliqué de trouver un emploi à temps plein. Ces personnes occupent plutôt emplois à temps partiels, qui s'accompagnent de revenus moins importants. Les rémunérations des femmes sont en outre structurellement plus faibles que celles des hommes. Les métiers qu'elles occupent sont moins valorisés et moins reconnus. Elles travaillent beaucoup dans les métiers du soin. Nous vous interpellons là encore sur la question des rémunérations décentes des métiers qu'occupent ces femmes.
La question de la situation administrative des personnes étrangères s'accompagne de celle concernant la possibilité pour elles de travailler. Celles que nous rencontrons nous disent qu'elles ne veulent pas dépendre de prestations sociales. Elles veulent pouvoir travailler, subvenir directement à leurs besoins et à ceux de leur famille. Se sentir dépendant d'une administration et d'une aide sociale, devoir justifier de revenus peut être vécu comme humiliant, infantilisant. Ces personnes ont envie d'être autonomes. Cette autonomie passe par la possibilité de travailler.
Ensuite, nous appelons à ce que les minima sociaux soient indexés sur le Smic, avec une prise en compte de l'inflation pour les ménages les plus précaires. Nous interpellons également sur le niveau du RSA en France. Il atteint aujourd'hui 607 euros, quand le seuil d'extrême pauvreté est fixé à 807 euros. Il est ainsi inférieur de 200 euros à ce qui correspond au minimum vital en France. À notre sens, ce n'est pas acceptable. Il nous apparaît que le RSA doit être valorisé à hauteur d'au moins 40 % du revenu médian, soit égal ou supérieur au seuil d'extrême pauvreté. Nous signalons un réel décrochage du niveau du RSA. Lorsque le RMI a été créé, en 1988, il s'établissait à 50 % du Smic. Aujourd'hui, le RSA s'établit à 35 % du Smic. Nous soulignons aussi le fait que le RSA devrait être étendu aux 18-25 ans.
Pour nous, et pour toutes ces femmes, il nous semble essentiel de travailler sur toutes les mesures qui peuvent leur permettre de garantir à leurs enfants l'accès à une alimentation saine et de qualité, aux vacances, aux loisirs et à la culture. C'est là-dessus que ces familles se privent énormément. Elles ont également besoin de temps de répit. Pour ces parents qui vivent dans la précarité et pour qui c'est un combat du quotidien, la charge mentale et matérielle des enfants nécessite d'autant plus des moments pour souffler en sachant que leurs enfants sont pris en charge dans des endroits dédiés, notamment des accueils de jour. Ils peuvent alors avoir des moments de répit qui leur permettent également de remplir toutes les démarches administratives, auprès de la CAF ou pour chercher un emploi, par exemple. Nous savons d'ailleurs que ces démarches sont de plus en plus compliquées du fait de la dématérialisation des services publics, de l'éloignement du numérique des personnes et de la disparition des accueils physiques et de l'accompagnement humain.
Enfin, ces personnes sont extrêmement vulnérables aux ruptures de droits et aux suspensions de droits. La Cnaf est malheureusement particulièrement concernée par des pratiques assez dures de rupture de droits, de suspension de droits, de demandes de remboursement, ou même de remboursement automatique d'« indus » sans respecter un « reste pour vivre » pour les ménages. Il nous semble essentiel de mieux combattre le non-recours aux prestations sociales pour les personnes et de cesser la stigmatisation des allocataires des aides sociales. En effet, cette stigmatisation explique en partie le non-recours aux droits. Il nous faut enfin rendre les services sociaux plus accessibles. Vous avez dû voir l'article du Monde qui a révélé des pratiques de contrôle ciblées sur les personnes les plus précaires. Il révèle qu'une femme seule avec enfants est plus susceptible d'être « mal notée » qu'un ménage composé de deux adultes, même avec des niveaux de revenus identiques. Cette mauvaise notation expose ce ménage monoparental à davantage de contrôles. Nous devons donc faire en sorte qu'une mère seule ne soit pas plus susceptible qu'un autre ménage d'être suspectée de fraude et de fausse déclaration à la CAF. Les moyens doivent plutôt être portés sur les besoins d'accompagnement de ces ménages. Les fausses déclarations peuvent dans certains cas s'expliquer par la complexité des démarches. Ces personnes ont besoin d'un accompagnement beaucoup plus poussé, notamment dans les moments de fragilité et de rupture. Ainsi, quand une femme se retrouve seule après une séparation, cela peut impliquer un changement de logement, un déménagement, un loyer parfois plus élevé à payer dans l'urgence, un passage d'un emploi à temps plein à un temps partiel accompagné d'une baisse de revenus... C'est à ce moment que l'on a besoin de travailleurs sociaux présents pour accompagner ces personnes dans leurs demandes d'aides, pour éviter que ces fragilités ne se transforment et n'occasionnent une bascule dans la précarité. Pour ce faire, il est nécessaire de renforcer l'attractivité des métiers du social. Nous avons besoin d'un vrai plan ambitieux de lutte contre la pauvreté, qui s'attaquerait à ses raisons structurelles en France, ce que ne fait pas le pacte des solidarités. Il est très cosmétique et comporte des incohérences à tous les étages. Je pourrais développer ce point dans un second temps, si vous me le permettez.
Mme Dominique Vérien, présidente. - Je laisse la parole aux rapporteurs.
Mme Colombe Brossel, co-rapporteure. - Merci pour la qualité de vos présentations et pour ce panorama complet. Il est très intéressant de lire dans votre rapport les verbatim qui y sont intégrés. Vous adossez aux enquêtes statistiques des rencontres avec les personnes que vous accueillez. Celles-ci relèvent des éléments très forts, notamment sur la question de l'indépendance, de l'autonomie, de la dignité, parfois à rebours de visions stéréotypées sur les familles monoparentales et les femmes à leur tête.
Je ne reviens pas sur ce que vous avez développé concernant la gestion algorithmique de la détection de l'erreur et de la fraude, qui donne une vision stigmatisante des familles monoparentales. Elle a fait l'objet d'un article du Monde. Vous avez parlé du non-recours aux droits. Avez-vous perçu, d'un point de vue quantitatif ou qualitatif, une dégradation de ce non-recours, ou une stabilisation ? Est-il plus compliqué aujourd'hui qu'il y a dix ou vingt ans de faire valoir ses droits lorsqu'on est une femme qui pousse la porte du Secours Catholique ? C'est le sentiment que nous génère l'impact de la dématérialisation ou de l'éloignement. J'aimerais que vous reveniez sur ce point.
Ensuite, le Secours Catholique porte-t-il des propositions plus spécifiques en matière de garde d'enfants ? Vous dites beaucoup de choses sur le logement et l'hébergement, je n'y reviens pas, mais qu'en est-il de la garde et de l'accompagnement des enfants ? Avez-vous des propositions à nous présenter ?
Enfin, au-delà de la question des familles monoparentales, je me permets d'avoir un mot sur les femmes à la rue. La sénatrice parisienne que je suis ne pourrait pas les passer sous silence, bien que je ne sois pas rapporteure sur ce sujet. Merci pour l'alerte que vous portez avec d'autres associations et collectifs, et avec des élus. Dans notre pays, aujourd'hui, des femmes et enfants dorment à la rue tous les soirs. Le chiffre de 3 000 enfants concernés au niveau national est considéré comme l'étiage bas. Je veux vous redire à quel point nous nous mobiliserons collectivement pour que l'on cesse de considérer qu'il est acceptable qu'un enfant dorme sur un trottoir, dans la rue, dans ce pays. Ce n'était pas le cas il y a dix ou quinze ans. Aujourd'hui, un système fou finit par faire établir des critères, parce que nous manquons de place, et pas parce que la bureaucratie a besoin d'elle-même pour se nourrir. Nous finissons par établir des critères qui font qu'une femme enceinte de moins de sept mois n'est pas prioritaire lorsqu'elle finit par appeler le 115 en ayant besoin d'un hébergement d'urgence. De même, un bébé de trois mois n'est pas prioritaire avec sa famille pour accéder à un hébergement d'urgence. Je souligne encore une fois notre mobilisation, au-delà de l'urgence et de l'ouverture de lieux qui ont pu exister ces dernières semaines à Paris et en Ile-de-France. Nous ne lâcherons rien sur ce sujet. Il est inacceptable qu'un enfant ou une famille dorme à la rue dans notre pays.
Mme Béatrice Gosselin, co-rapporteure. - Bonjour et merci pour ce rapport. Ma question rejoint celle de Colombe Brossel et concerne la fracture numérique, l'éloignement et la difficulté à obtenir toutes les informations. Il est nécessaire de parler des personnes qui vont aider, des assistants sociaux qui manquent cruellement et ne sont plus là pour faire le relais humain des démarches administratives. Des personnes en situations irrégulières se retrouvent alors sanctionnées et sont confrontées à des situations très difficiles.
Mme Olivia Richard. - Merci.
Vous avez évoqué des défaillances du pacte des solidarités, pourriez-vous développer ce sujet ?
Je suis co-rapporteure sur un thème qui semble effroyable, qui traite de la part croissante des femmes, bien souvent des mères, qui dorment à la rue. Nous avons vu des articles horrifiants sur des maternités qui ne laissent pas sortir les mères avec leur nourrisson, parce que l'un d'eux est mort. Heureusement que ces maternités agissent ainsi. Comment travaillez-vous ? Êtes-vous en contact avec des structures qui vous permettent de trouver des solutions ? Si oui, quelles préconisations pouvez-vous émettre ? Bien souvent, certaines institutions travaillent en silo. Comment coordonner une action plus efficace, qui permettrait de sortir ces mères célibataires ou familles monoparentales de la rue avec leurs enfants ?
Mme Dominique Vérien, présidente. - Je vous demande dans un premier temps de répondre aux rapporteures, avant de passer la parole à nos collègues.
M. Raphaël Badaoui. - Je vais tenter de commencer à répondre à vos interrogations, notamment celles qui portent sur les chiffres. Depuis une dizaine d'années, nous observons une forte augmentation du non-recours au RSA chez les personnes que nous accompagnons, passé de 22 à plus de 33 % entre 2012 et aujourd'hui. Nous l'expliquons par de nombreuses raisons, que Sophie Rigard a commencé à citer, mais aussi par le fait que nous accueillons de nouveaux profils de populations de nationalités étrangères, qui ne demandent pas les prestations auxquelles ils ont droit. A contrario du discours ambiant qui voudrait que les étrangers viennent en France pour toucher le RSA ou je ne sais quelle aide, c'est cette population qui en fait le moins la demande.
Je laisserai peut-être Sophie Rigard développer ce point du non-recours. Je peux toutefois vous indiquer que l'association est impliquée dans la démarche « Territoires zéro non-recours », car les problématiques d'accès aux droits des personnes que nous rencontrons sont une priorité de notre association.
Mme Sophie Rigard. - Effectivement, la situation se dégrade en termes de non-recours aux aides. Le taux de non-recours s'élève à 33 % s'agissant du RSA. La situation ne s'améliore pas, ce qui paraît assez logique au regard de la politique du Gouvernement en la matière, notamment au regard des mesures stigmatisantes de la loi Plein emploi. La réforme du RSA, qui instaure un principe de quinze heures d'activités par semaine a minima, ne va rien faire d'autre que continuer à aggraver ce non-recours et à entretenir des rapports assez humiliants et infantilisants entre les personnes concernées et les institutions. Certaines personnes ne peuvent pas travailler quinze heures, ni même moins. Ainsi, cette réforme se traduira par des suspensions du RSA ou des radiations. La Cnaf publie des études montrant qu'à la suite de sanctions d'allocataires du RSA, les personnes « sortent des radars ». Elles ne demandent plus à toucher cette aide. On perd donc la possibilité de les accompagner.
Le pacte des solidarités se donne des objectifs louables mais les politiques menées vont dans le sens inverse. D'un côté le pacte souhaite lutter contre le non-recours, de l'autre la loi Plein emploi va aggraver le non-recours au RSA. La prévention des expulsions locatives, qui correspond à un autre objectif du pacte, est à mettre en regard de la loi Kasbarian-Bergé, qui va clairement aggraver ces mêmes expulsions. Malgré toutes nos interpellations, nous avons le sentiment de ne pas être entendus. En outre, ce pacte se place dans une gestion d'urgence, mais ne s'attaque pas aux racines et aux causes structurelles de la précarité, notamment alimentaire. Je peux citer l'exemple d'une délégation du Secours Catholique du nord de la France qui nous annonce que la préfecture organise la manière dont, collectivement, les associations peuvent récupérer des pommes de terre dans des champs lorsqu'elles n'ont pas été ramassées, afin de lutter contre la précarité alimentaire... C'est donc cela l'action de l'État pour lutter contre la précarité alimentaire ? C'est assez lunaire dans un pays aussi riche que le nôtre qui devrait assurer des conditions dignes d'existence à chacun de nos concitoyens. C'est tout de même une promesse constitutionnelle.
Il existe des chemins qu'il serait bon de suivre. Par exemple, nous évoquions plus tôt les lieux d'accueil pour les personnes et les familles. Au Secours Catholique, nous développons avec les Apprentis d'Auteuil des maisons des familles. Nous vous invitons, si cela vous intéresse, à les visiter. Il s'agit de lieux ouverts, d'accueil de jour. Elles mettent en place des activités de partage, des moments de répit pour les parents, des ateliers liés à la parentalité... Il est très important de les développer. Le pacte des solidarités identifie des financements dans la convention d'objectifs et de gestion de la Cnaf à cette fin. Nous les y encourageons pleinement.
Ensuite, les pouvoirs publics s'emparent un peu plus de la question de la garde d'enfants et c'est une bonne chose. Je pense que nous pourrions nous orienter vers un système plus contraignant car il est encore incitatif, fondé sur des guides de bonnes pratiques, qui ne permettent pas le rattrapage pourtant nécessaire sur ce sujet. La question des modes de garde doit être traitée au regard des emplois qu'occupent les femmes, notamment précaires et en horaires discontinus. Quand on enchaîne plusieurs métiers très tôt le matin et très tard le soir, les modes de garde actuels ne sont pas adaptés. Une réflexion est nécessaire sur ce point. Par ailleurs, sur ce point, les orientations de la réforme France Travail (qui va au-delà des dispositions de la loi Plein emploi) nous inquiètent. Nous avons l'impression que l'idée serait de réserver le bénéfice de biens et services essentiels (logements sociaux, places en crèches) aux personnes en emploi ou prêtes à accepter un emploi. Or toutes les mères, en emploi ou non, ont besoin de temps de répit. La garde d'enfants n'est pas qu'un sujet de parents, mais aussi d'enfants, puisque ce doit être un lieu d'épanouissement pour ces derniers. Ainsi, l'accès à ces structures doit rester universel. Il faut développer l'offre pour ne pas avoir à en conditionner l'accès. Nous retrouvons ici un peu le même problème que les hébergements d'urgence : les pouvoirs publics instaurent des critères pour, en réalité, gérer la pénurie. Nous appelons à sortir de cette impasse.
Vous évoquiez également les femmes à la rue. Nous avons rassemblé beaucoup d'informations que je ne vais pas pouvoir vous livrer intégralement aujourd'hui. Je pourrai les condenser et vous les transmettre dans un second temps. Je peux toutefois vous présenter des préconisations. Nous pointons d'abord le développement nécessaire des accueils de jour dédiés aux femmes sans abri et aux familles. Les travailleurs sociaux, notamment du 115, orientent vers les maisons des familles, mais elles ne sont que des accueils de jour. Des personnes y arrivent en pensant y trouver un lit, ce qui met les associations en difficulté. Il faut aussi savoir que nous en sommes à un tel niveau de saturation des services d'hébergement que le 115 oriente même des personnes vers les réseaux citoyens d'hébergement, qui sont pour partie des squats. En effet, les adresses des squats circulent pour orienter les personnes au mieux, ce qui place les travailleurs sociaux dans des situations complexes et inconfortables. Ils ne connaissent pas le niveau de sécurisation des lieux évoqués. On est tellement dans la débrouille pour trouver des solutions à ces femmes, ces hommes et ces enfants, que nous en arrivons à ces situations.
Nous identifions également un sujet d'investissement, d'adaptation et de réhabilitation des accueils de jour et de nuit. Notre délégation du Secours Catholique de Marseille nous dit qu'une ancienne école y a été transformée en dortoir, mais qu'elle n'accepte pas les enfants. Ces lieux ne sont pas vraiment adaptés pour accueillir les personnes. Un diagnostic de tous les lieux servant aujourd'hui d'accueil pourrait être réalisé pour ensuite mettre en place un programme de transformation.
Ensuite, il est essentiel d'améliorer la couverture d'accès à l'eau et à l'électricité. Nous voyons des bains publics réapparaître. Ils devraient être beaucoup plus nombreux, notamment si nous prenons en compte la précarité menstruelle. Les femmes ont encore plus besoin d'un accès à l'eau et à un endroit où laver leurs vêtements.
Il nous faut aussi renforcer les dispositifs d'« aller vers » spécialisés concernant les familles et les femmes à la rue, telles que les PMI mobiles, la médiation en santé et la médiation scolaire. Les femmes à la rue essaient au maximum de se cacher pour se protéger des violences que la rue engendre. C'est ce qui fait qu'il est compliqué de les trouver. Il est alors primordial de développer ces dispositifs pour nous rendre directement là où elles se trouvent. Elles ne viennent pas spontanément à nous.
Nous devons répondre à l'urgence de la situation hivernale et financer au moins 20 000 places d'hébergement généraliste supplémentaire en 2024. Il nous faut aussi créer au moins 15 000 places d'hébergement des femmes victimes de violences. Il semblerait que dans le Vaucluse, il ait été décidé de demander aux femmes victimes de violences de porter plainte contre leur agresseur potentiel pour avoir droit à un hébergement. Au-delà de la légalité potentielle de cette demande, qui nous interroge, celle-ci constitue un frein direct pour des femmes qui peuvent ne pas être à l'aise avec le fait de se présenter à des agents de police. Elles peuvent être en situation irrégulière ou de prostitution contrainte, par exemple.
Supprimer toute hiérarchisation des demandes d'hébergement en raison de la vulnérabilité est nécessaire. On en vient à dire qu'un enfant n'est pas suffisamment vulnérable pour pouvoir être hébergé, ça n'est pas tolérable. Je pense que nous nous accordons tous sur le fait qu'être un enfant est une preuve de vulnérabilité qui n'a pas à être démontrée. Il est aussi essentiel de réaffirmer le principe légal de maintien de l'unité familiale dans les consignes d'orientation passées au 115. Des mères d'enfants en très bas âge pourraient en effet accéder à un hébergement, mais leurs enfants plus âgés n'y sont pas acceptés, et des papas doivent dormir à la rue pour laisser leur femme et leurs enfants accéder à une place. Ils devraient pourtant avoir le droit de soutenir leur famille et d'être présents. Ainsi, nous observons beaucoup d'entorses à ce principe légal.
Nous vous interpellons également sur la nécessité de renforcer le programme d'humanisation des structures d'hébergement pour adapter le bâti et les projets sociaux à l'accueil et à l'accompagnement des femmes et des enfants. Il est essentiel de privilégier les structures à taille humaine avec des espaces privatifs, dignes et sécurisants, et des espaces collectifs dédiés à la vie commune et aux enfants.
Enfin, la question de la formation des professionnels des structures, de la veille sociale et de l'hébergement à la prévention, au repérage, à la prise en compte et à l'accompagnement des victimes de violences faites aux femmes et aux enfants est primordiale.
Vous trouverez dans notre document des verbatim des maisons des familles et un condensé d'études récentes sur les femmes à la rue.
Mme Dominique Vérien, présidente. - Il nous sera très utile. Je laisse la parole à mes collègues.
M. Adel Ziane. - Merci beaucoup pour votre présentation. Je concentrerai mon propos sur trois points en revenant sur des éléments de votre intervention.
D'abord, vous avez évoqué la création de maisons de répit. Elles sont extrêmement importantes, pas seulement pour accueillir des femmes en situation de précarité. On peut aussi les élargir, je pense, aux problématiques des familles ayant un enfant en situation de handicap. Tout cela, cumulé aux difficultés que nous connaissons aujourd'hui, génère une réflexion sur les défaillances des politiques de droit commun que l'on observe dans certains départements - dont la Seine-Saint-Denis dont je suis sénateur - et sur les solutions à développer pour y remédier. Au-delà de la dimension de répit, je pense que ces maisons peuvent permettre de mieux informer la population, ces familles, ces mères en difficulté de leurs droits.
En Seine-Saint-Denis, nous avons réagi avec beaucoup de véhémence face au sujet de l'algorithme utilisé par la CAF. Le Président de mon département a sollicité la Défenseure des droits pour comprendre son fonctionnement. Vous l'avez brillamment présenté dans votre rapport, ces familles monoparentales ne connaissent bien souvent pas leurs droits, ne savent pas qu'elles ont accès à des aides, en raison d'une fracture numérique, d'une problématique liée à la compréhension de la langue française... Nous sommes plutôt face à des familles en difficulté qui n'émettent pas de demandes pour accéder à ces aides.
Enfin, les problématiques de logement et d'hébergement d'urgence sont très connectées. Nous rencontrons ces difficultés en Seine-Saint-Denis. Des mamans à la rue, isolées, en difficulté, ont été dans l'obligation d'accoucher à l'hôpital Delafontaine, et y ont « bloqué » les lits dédiés aux maternités, parce qu'elles n'avaient pas la possibilité de rejoindre un hébergement digne et adapté à leur situation. Nous sommes intervenus après des ministres de la santé et du logement, parce qu'il était évident que nous devions apporter une solution à ces familles. Tout cela n'est pas déconnecté de vos propositions sur les moyens donnés aux bailleurs sociaux pour remédier à l'effondrement des constructions HLM. Nous devons être en capacité de proposer aux plus précaires, notamment aux parents isolés et familles monoparentales, des solutions d'hébergement. Ces problématiques appellent des renforcements politiques de droit commun dans notre pays.
Mme Marie Mercier. - Je vous remercie de votre présentation et remercie le Secours Catholique pour tout ce qu'il apporte. L'honneur d'une société relève de sa capacité à s'occuper des plus vulnérables de ses membres, en particulier les enfants. Laisser des enfants dormir dans la rue est impensable. Il est déjà intolérable que nous y laissions des adultes, mais c'est pire encore lorsqu'il s'agit d'enfants. On touche le fond.
Au Secours Catholique, disposez-vous d'analyses, d'études, de données pour connaître l'évolution de cette dérive absolue ? Depuis quand cette augmentation est-elle observée ? La crise du logement, qui va aller en s'amplifiant, continuera-t-elle à amplifier le problème ? Il nous faudra trouver une réponse, mais pour ce faire, il faut déjà bien définir la cause. Face à la pénurie de logements, il me semble qu'on adapte actuellement les besoins aux moyens - puisque nous n'avons pas de logements, nous trouverons des raisons de ne pas y placer des personnes - alors qu'il faudrait justement étudier les besoins et considérer les moyens à y allouer. Nous devons en même temps combattre ces besoins, puisque nous ne pouvons pas nous satisfaire de ces augmentations.
Pouvez-vous nous communiquer quelques chiffres ? Je sais que l'Unicef et la FCPE ont également travaillé sur ce sujet. Votre approche sera peut-être différente.
Mme Annick Billon. - Merci pour vos propos et pour le panorama clair dressé. Vos pistes de travail alimenteront nécessairement les réflexions de nos rapporteures.
Vous avez parlé d'un déficit de 20 000 places d'hébergement. En avez-vous établi un fléchage géographique et selon le type de famille ?
Ensuite, plusieurs cas de familles monoparentales ont été listés au cours de l'audition précédente : elles découlent d'une séparation, d'un décès de conjoint, ou existent dès la naissance de l'enfant. Dans la manière d'accueillir ces femmes, identifiez-vous des parcours plus simples, en raison d'accompagnements spécifiques ? Je pense notamment aux femmes victimes de violences intrafamiliales. Nous savons que le Gouvernement a ouvert des places spécifiques et en ouvrira d'autres. Elles sont toujours associées à un accompagnement pour se reconstruire. Le délai de sortie de ces parcours varie-t-il selon la situation des femmes, qu'elles soient seules avec leur enfant depuis la naissance de celui-ci, à cause d'une séparation, d'un veuvage, ou dans le cadre de violences intrafamiliales ? L'hébergement, c'est bien, mais l'accompagnement garantit la sortie d'une situation de précarité, de violences. Il constitue une possibilité d'envisager l'avenir autrement que dans la précarité.
M. Raphaël Badaoui. - Les maisons de répit devraient en effet être élargies au-delà des femmes en errance, en incluant notamment les personnes ayant à leur charge des enfants en situation de handicap.
Vous avez cité les textes co-écrits du rapport que nous vous avons présenté. On y retrouve beaucoup le rôle d'aidantes, assez invisible dans nos statistiques. Vous avez pu constater que beaucoup des personnes que nous accompagnons sont très éloignées de l'emploi. Ce n'est pas pour autant qu'elles sont inactives au sens propre du terme.
À travers toutes les recommandations énoncées par Sophie Rigard, nous demandons une reconnaissance des contributions à la société de toutes ces personnes, notamment des femmes. C'est flagrant, même si elles ne sont pas en emploi et productives au sens économique, elles apportent beaucoup à la société, notamment en prenant soin des enfants, d'un proche handicapé ou en étant bénévoles dans nos associations. Elles y sont beaucoup plus nombreuses que les hommes, comme dans tous les métiers du soin.
Concernant la documentation du phénomène des femmes à la rue, nous constatons un manque d'informations assez flagrant sur les personnes en errance de manière générale. Nous pouvons aller chercher des données du côté de la Fondation Abbé Pierre, notamment une estimation du nombre de personnes sans logement stable. La dernière enquête de l'Insee au sujet des sans-abri remonte à 2012, soit à plus de dix ans. Nous travaillons actuellement avec cet institut, en lien avec différentes associations, dans le cadre de la prochaine enquête qui devrait se dérouler en 2025. Nous disposerons de plus d'informations à ce moment-là. Des vagues d'enquêtes tous les dix ans ne nous permettent pas de suivre ces problématiques avec précision, ni de les documenter pour mieux les combattre.
Mme Sophie Rigard. - Les données que je citerai ne sont pas celles du Secours Catholique. Nous avons pu les glaner ici et là ces derniers temps, notamment dans le baromètre Enfants à la rue d'août 2023, réalisé par la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS) et l'Unicef. Le rapport de la Fondation des femmes et de la Fédération nationale solidarité femmes (FNSF) sur les femmes victimes de violences constitue également une source intéressante. En tout cas, la féminisation de la population sans domicile est réelle. Nous constatons une progression de 6 % de la part des femmes sans domicile entre 2001 et 2012. Selon le baromètre Enfants à la rue, parmi les personnes qui appellent un dispositif d'hébergement d'urgence, près de 7 000 personnes restent sans solution, dont près de 2 000 enfants. Ce constat ne concerne que les personnes qui contactent le 115. Bon nombre de personnes arrêtent de l'appeler du fait de sa saturation. Par ailleurs, les deux tiers des personnes sans solution d'hébergement après un appel au 115 sont désormais des familles. Ce phénomène est assez nouveau. En un an, le nombre de femmes seules sans solution a augmenté de 46 %. C'est énorme. 41 % des enfants sans solution ont moins d'un an.
Ensuite, vous m'interrogiez sur les territoires connaissant les plus fortes évolutions. L'augmentation atteint 100 % dans les Hauts-de-Seine, 80 % en Haute-Garonne, 65 % en Gironde et 46 % dans le Nord.
Monsieur Ziane, la situation que vous évoquiez à propos de l'hôpital Delafontaine fait écho à un article du Monde, qui a relayé le témoignage d'une sage-femme. Cet article cite également une assistante sociale du réseau Solipam, qui suit des femmes en grande précarité. Elle dit qu'en 2022, 37 % des femmes à l'entrée du dispositif étaient à la rue. Un an après, elles sont 60 %. Malgré les efforts réalisés, en novembre, un tiers d'entre elles étaient toujours ou à nouveau à la rue lors de leur sortie du dispositif. À cela s'ajoute le sujet des accueils mères-enfants, censés pouvoir accueillir des personnes en sortie de maternité. Ils sont totalement surchargés. Des diagnostics plus fins peuvent peut-être être réalisés sur chaque établissement.
En termes de structuration géographique des besoins en hébergement d'urgence, j'aurais du mal à vous répondre. Au regard des retours que nous adressent les Maisons des familles à Cayenne, Nantes, Grenoble ou Orléans, nous pouvons assurer que la situation est catastrophique partout. Nous avons besoin de places d'hébergements généralistes, mais aussi dédiées aux femmes victimes de violences, avec un accompagnement spécifique. Tous les professionnels doivent être formés à cette question. S'y ajoute la question des établissements d'accueil mère-enfant, notamment pour les femmes en sortie de maternité. Nous ciblons 15 000 places, comme d'autres associations spécialisées en la matière.
Je rejoins Raphaël Badoui sur le sujet de la reconnaissance des contributions des personnes sans emploi à la société.
J'aimerais terminer mon propos en revenant sur le rapport Un boulot de dingue sorti en septembre. Il vise à combattre l'idée reçue selon laquelle les personnes sans emplois seraient inactives. Elles sont loin de l'être. Elles sont extrêmement actives, parce qu'elles s'occupent d'un enfant malade, handicapé, d'une personne en fin de vie... C'est pour cette raison qu'il leur est parfois compliqué de retrouver un emploi. Elles souffrent de la stigmatisation de la société qui les considère comme passives et qui estime qu'il faudrait les « activer » par des heures d'activités obligatoires et par la menace d'une suspension de leurs revenus, comme le RSA. Nous appelons à davantage protéger les personnes dont les contributions sont essentielles. On a reconnu un statut pour les pompiers volontaires ou les élus locaux qui peuvent se voir rembourser des frais de garde d'enfants les soirs de conseils municipaux. De la même manière, nous devrions reconnaître que les situations évoquées plus tôt sont des contributions vitales à la société, et que cela donne droit à des remboursements de frais ou à des formations, au chômage ou à des trimestres de retraite.
Mme Dominique Vérien, présidente. - Merci. Notre collègue Jocelyne Guidez se bat pour que les accompagnants soient reconnus. Cette démarche est menée au sein de notre hémicycle. Je n'ai pas suivi l'ensemble du débat sur les quinze heures d'activité conditionnant le versement du RSA, mais cette contribution devrait être reconnue à ce titre. Nous pouvons peut-être le lui souligner.
Mme Marie Mercier. - Le fait d'être aidant d'une personne handicapée est déjà reconnu comme une activité permettant de s'exonérer de l'obligation des quinze heures d'activités, d'autant que cette aide demande bien plus de quinze heures par semaine.
Mme Sophie Rigard. - Il faudra tout de même prouver qu'on accompagne une personne en situation de handicap pour être potentiellement exonéré de tout ou partie de ces quinze heures.
Mme Dominique Vérien, présidente. - C'est un autre débat. Je vous remercie de ce témoignage et de votre rapport que nous avons lu ou lirons avec attention. Merci de votre présence.
* 1 Avertissement : les propos qui suivent décrivent de façon explicite des scènes de violence sexuelle.