Jeudi 11 avril 2024

- Présidence de Mme Annick Billon, vice-présidente -

Femmes dans la rue : audition de M. Marc Guillaume, préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris

Mme Annick Billon, présidente. - Je remplace ce matin la présidente de la délégation aux droits des femmes, Dominique Vérien, qui effectue un déplacement à l'étranger dans le cadre de son mandat de présidente.

Mes chers collègues, nous accueillons ce matin M. Marc Guillaume, préfet de la région Île-de-France, préfet de Paris, dans le cadre de notre mission d'information sur les femmes dans la rue dont quatre sénatrices de la délégation ont été nommées rapporteures : Agnès Evren, Marie-Laure Phinéra Horth, Olivia Richard et Laurence Rossignol.

Il est accompagné de M. Laurent Bresson, directeur régional et interdépartemental de l'hébergement et du logement, et de Mme Annaïck Morvan, directrice régionale aux droits des femmes et à l'égalité entre les femmes et les hommes.

Je précise que cette audition fait l'objet d'une captation audiovisuelle en vue de sa retransmission en direct sur le site et les réseaux sociaux du Sénat.

Le sujet dont nous traitons ce matin se trouve au croisement de plusieurs problématiques relevant des compétences de la délégation aux droits des femmes : féminisation de la précarité, manque de solutions d'hébergement, lutte contre les violences sexuelles et sexistes, accès aux soins, ou encore insertion professionnelle et sociale.

Au cours de cette mission, qui aboutira à la publication d'un rapport à l'automne prochain, nous voulons mieux appréhender ce phénomène :

- d'abord mieux connaître et repérer les femmes à la rue ;

- savoir comment mieux les orienter vers les solutions d'hébergement et surtout de logement ;

- lutter contre tous les types de violences subies par les femmes dans la rue ;

- leur permettre un meilleur accès aux soins et une prise en charge dédiée de leur santé mentale et physique ;

- enfin, agir en faveur de leur insertion socioprofessionnelle.

Parmi les 330 000 personnes sans domicile en France aujourd'hui, on compte 40 % de femmes, seules ou, bien souvent, avec des enfants. Outre la question des femmes qui vivent dans la rue, celle de la prise en charge des enfants qui les accompagnent est également primordiale pour notre délégation.

Ces personnes sont majoritairement hébergées en centres d'hébergement d'urgence ou en centres d'accueil pour demandeurs d'asile. Ces solutions sont temporaires et incertaines : chaque mois, chaque semaine, chaque soir parfois, il leur faut rechercher une nouvelle place d'hébergement.

Parmi les personnes sans domicile, 30 000 personnes, dont environ 3 000 femmes, sont dites sans abri, c'est-à-dire passent la nuit dans la rue. Je ne dis pas « dorment dans la rue » à dessein, car les chercheuses et travailleuses sociales que nous avons rencontrées nous l'ont dit : ces femmes ne dorment pas, elles se cachent et sont en alerte constante pour éviter d'être des proies et échapper aux violences dont sont victimes 100 % des femmes après un an passé dans la rue. Nous pouvons imaginer les conséquences de cet état de veille permanent sur leur santé physique et mentale.

Lors de la dernière Nuit de la Solidarité à Paris, du 25 au 26 janvier 2024, 3 492 personnes sans solution d'hébergement ont été recensées, parmi lesquelles 12 % de femmes. Je précise que ce décompte n'est que parcellaire et ne peut donc être considéré comme entièrement fiable.

Nous le savons, en Île-de-France notamment, la pénurie de places d'hébergement d'urgence a amené l'État à dresser quatre niveaux de priorité : si les femmes victimes de violences ou enceintes de plus de sept mois relèvent du niveau 1, les familles avec des enfants de moins de trois ans ou souffrant d'une pathologie chronique ne relèvent que du niveau 3 de priorité.

En outre, dans certains départements, consigne a été donnée de ne plus procéder à des mises à l'abri en cas d'expulsions locatives. Or tous les travailleurs sociaux nous le disent : passer une seule nuit à la rue est terrible, cela enclenche une spirale néfaste et crée une défiance vis-à-vis de l'État et des services sociaux. L'hébergement d'urgence doit être proposé à ce « flux » de nouvelles personnes qui se retrouvent sans domicile.

Monsieur le Préfet, nous souhaitons vous interroger sur la situation particulièrement alarmante, dans la région Île-de-France, des femmes qui vivent dans la rue, parfois avec un ou plusieurs enfants, sans domicile voire sans abri.

Tout d'abord, puisqu'il faut les compter pour qu'elles comptent : avez-vous des statistiques estimatives du nombre respectif de femmes et d'enfants sans domicile et sans abri en Île-de-France ? Pouvez-vous également nous fournir le nombre de places d'hébergement d'urgence disponibles aujourd'hui en Île-de-France et son évolution depuis 2020 ? Nous comprenons bien que le contexte a évolué à la suite de la pandémie de Covid. Nous confirmez-vous que des publics cibles avec des critères de priorité associés ont été définis par la préfecture pour faire face à la fermeture de places d'hébergement d'urgence ? Quelles sont les raisons de cette diminution de places d'hébergement disponibles ? Quels moyens sont mis en oeuvre pour accompagner les personnes sans solution d'hébergement ?

Monsieur le Préfet, je vous laisse la parole pour une présentation liminaire puis je proposerai à mes collègues rapporteures de vous poser des questions et aux autres collègues présents également.

M. Marc Guillaume, préfet de la région Île-de-France, préfet de Paris. - Merci Madame la Présidente.

Mesdames les Sénatrices, Messieurs les Sénateurs, je vais essayer dans ce propos introductif de reprendre les principaux thèmes que vous avez évoqués. La situation de l'hébergement d'urgence en Île-de-France est marquée par une tension. Le parc d'hébergement est effectivement très sollicité. En moyenne 1 900 demandes sont non pourvues chaque jour au 115, dont à peu près 1 000 à Paris. Cette tension est réelle et pourtant nous hébergeons, chaque soir, près de 120 000 personnes en Île-de-France. C'est deux fois plus qu'il y a dix ans où nous en hébergions 57 000. Ainsi, c'est 40 % de plus qu'en 2017.

Cette augmentation représente, de la part de l'État, un effort financier de 1,6 milliard d'euros chaque année. Jamais l'État n'a financé autant de places d'hébergement en Île-de-France qu'au cours de ces trois dernières années, et il en finance encore davantage en 2024, contrairement à l'idée répandue d'une diminution du nombre de places. Par ailleurs, un effort supplémentaire est réalisé en cette année de Jeux olympiques grâce à des crédits additionnels pour prendre en charge des publics vivant à la rue parfois depuis de longues années.

Je reviens d'abord sur la question de l'évaluation du nombre de sans-abri et plus précisément de femmes sans abri. C'est un exercice difficile, car nous n'avons pas de données totalement fiables. La dernière grande enquête de l'Insee remonte à 2012. Nous pouvons donc la citer, mais nous savons bien qu'elle est sûrement dépassée. À l'époque, on estimait le nombre de sans-domicile pour l'Île-de-France à 28 000 adultes, dont 4 000 sans-abri. À Paris, lors de la Nuit de la solidarité en janvier dernier, 3 492 personnes ont été recensées sans solution d'hébergement sur le territoire parisien, dont 2 621 rencontrées dans les rues de Paris. Plus précisément, les autres personnes ont été rencontrées dans des parkings, des hôpitaux ou d'autres endroits. 12 % de ces personnes étaient des femmes, soit 419 femmes.

Hors Paris, à l'occasion d'autres décomptes, 785 personnes sans abri ont été dénombrées dans les trente-deux communes du Grand Paris, dont 86 femmes. Nous avons donc à peu près 400 femmes sans abri à Paris et une centaine de femmes hors Paris. Ces décomptes donnent des ordres de grandeur, mais ce chiffre est probablement sous-estimé, avec notamment la volonté de certaines femmes de se rendre invisibles par souci de dignité ou pour se protéger, a fortiori en soirée ou en début de nuit.

Pour approcher la réalité le plus possible, nous pouvons citer deux autres chiffres issus des maraudes qui circulent toutes les nuits. Les maraudes associatives ont rencontré 147 femmes au cours de leurs missions au mois de mars et le Samusocial 179. Ces chiffres sont assez cohérents avec le précédent, puisqu'il s'agit de personnes physiquement à la rue. Il est en effet nécessaire de rappeler que le terme de « personne à la rue » recouvre des situations très diverses. Il inclut les personnes vivant dans la rue, mais également dans des hébergements qui ne peuvent pas être définis comme des locaux d'habitation comme un hall d'immeuble ou un parking. Ainsi, parmi ces 400 personnes, 150 à 180, seraient physiquement à la rue.

Il est également très difficile de fournir le nombre de femmes prises en charge de manière totalement fiable dans le système d'hébergement, car le critère du genre n'est actuellement pas systématiquement pris en compte dans les enquêtes auprès du 115. Nous pouvons encore une fois essayer de donner des estimations. Sur la base des plateformes d'accompagnement social à l'hôtel, nous pouvons estimer qu'à peu près la moitié des adultes hébergés sont des femmes. Ainsi, sur 47 000 places d'hébergement en hôtel, environ 23 000 seraient occupées par des femmes. Hors hôtel, nous pouvons nous appuyer sur les données de la Drees (Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques) : selon l'enquête qu'elle a réalisée en 2021, 43 % des personnes hébergées, adultes et enfants, étaient de sexe féminin.

Au total, nous pouvons estimer que presque la moitié du public hébergé sur 120 000 personnes, à savoir 55 000 à 60 000, sont des femmes. Au regard de l'importance de rendre visible les femmes à la rue et celles hébergées, nous partageons avec la Dihal (Délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement), que vous auditionnerez tout à l'heure, la volonté de poursuivre la fiabilisation de la donnée au sein du SI-SIAO (Service informatique du Service intégré de l'accueil et de l'orientation).

Le deuxième point que vous abordiez, Madame la Présidente, était le parc d'hébergement. Face à la situation que je viens de mentionner, l'État a réalisé, continue à réaliser et réalisera un effort absolument sans précédent pour développer le parc d'hébergement et pour faire évoluer l'offre d'hébergement afin de prendre en compte les besoins spécifiques des femmes.

Au 31 décembre 2023, nous avions 117 132 places ouvertes à la fois dans l'hébergement généraliste et dans le Dispositif national d'accueil (DNA). Je pourrais vous donner les détails si vous le souhaitez, mais retenons à ce stade de nos échanges ce chiffre de 117 000.

En début d'année 2023, des incertitudes financières ont pu peser sur les dispositifs d'hébergement avec une trajectoire qui aurait pu conduire à une contraction du parc. Mais le Gouvernement a décidé de desserrer cette contrainte dès 2023 et ainsi, en moyenne annuelle, le parc d'hébergement généraliste en 2023 s'est élevé à 96 000 places. En janvier 2024, nos capacités, compte tenu de l'effet de trajectoire, étaient de 94 000. Mais pour 2024, la cible capacitaire pour l'Île-de-France donnée par le Gouvernement est de 96 500 places d'hébergement généralistes. Nous sommes donc sur une trajectoire en croissance, par rapport à la situation au 31 décembre 2023 et les 94 000 places que nous avions. Les services départementaux de l'État sont aujourd'hui très fortement mobilisés pour ouvrir de nouvelles places.

Par ailleurs, l'année 2024 est une année olympique. Le Gouvernement a donc décidé de dégager des moyens financiers supplémentaires pour faire face à deux types de situations.

La première est celle des personnes à la rue gravement désocialisées. 200 places pérennes supplémentaires sont en cours de création à Paris pour les grands marginaux, afin de prendre en charge ceux qui sont installés aux abords des sites olympiques. Il s'agit de places très qualitatives avec un suivi social élevé et adapté à ce public. C'est une condition nécessaire pour qu'ils puissent accepter ces places. 35 places sont déjà occupées depuis maintenant un mois, notamment dans deux immeubles du 17e arrondissement : une grande résidence sociale que nous venons d'ouvrir et un autre endroit. Il est très important de continuer à développer cette offre supplémentaire, laquelle vient en complément des places qui étaient d'ores et déjà ouvertes au titre du programme des grands marginaux.

D'autre part, toujours au titre des Jeux olympiques, le Gouvernement a décidé de financer en Île-de-France l'équivalent de 500 places d'hébergement supplémentaires en année pleine, ce qui portera notre cible capacitaire à 97 000, les grands marginaux étant hors plafond. Ainsi, l'effort historique est encore renforcé. Il est nécessaire de le souligner, car parfois nous pouvons lire des informations qui ne témoignent pas de cette réalité.

Malgré cette augmentation sans précédent de l'offre d'hébergement, notre parc est quasi saturé et ne permet pas toujours de répondre à la totalité du besoin. Cela tient aussi à la difficile fluidité du dispositif, c'est-à-dire au nombre de ceux qui en sortent. Cette fluidité est insuffisante vers le logement. Or elle seule permet de maintenir notre capacité d'accueil en amont dans les places d'hébergement. Cette saturation est également due aux difficultés d'accès au logement qui sont bien connues. À Paris, nous avons une attribution pour dix demandes dans le logement social, avec un délai d'attente très long. Cela tient enfin au profil des personnes hébergées. La majorité d'entre elles ne réunissent pas les conditions de régularité du séjour et, par conséquent, ne peuvent pas accéder au logement. Cette situation a eu d'ailleurs des conséquences considérables sur l'apparition de campements sur la plaque parisienne.

En la matière, il est nécessaire d'évoquer l'évolution de notre action depuis maintenant plus de trois ans. Jusqu'au campement de la Chapelle qui avait réuni plus de 3 000 personnes, il pouvait y avoir des opérations de mise à l'abri de campements très conséquents. Ce n'est plus le cas depuis 2021. Nous organisons des mises à l'abri en permanence tout au long de l'année. En 2021, nous avons réalisé vingt-huit opérations de mise à l'abri, soit presque une tous les dix jours pour 7 500 personnes. En 2022, nous avons opéré dix-neuf opérations de mise à l'abri. Nous avons pris en charge 6 700 personnes, dont 1 399 personnes en famille.

En 2023, les ministres de l'intérieur et du logement ont décidé, face à la saturation du dispositif, de proposer aux personnes à la rue qui le souhaiteraient, lors des mises à l'abri, des orientations vers la province afin qu'elles y bénéficient de conditions d'hébergement de bonne qualité. En 2023, nous avons mené trente-cinq opérations qui ont permis la prise en charge de 6 400 personnes. Parmi celles-ci, 3 400 ont accepté d'être orientées vers la province, ce qui a permis de réduire considérablement la taille des campements observés en Île-de-France.

Face à la tension, alors que la priorisation pour les prises en charge a toujours existé, c'est une responsabilité lourde pour les SIAO, notamment pour les écoutants, à chaque fois qu'ils prennent un appel. Tout au long de l'année 2023, nous avons travaillé en partenariat avec les SIAO à l'élaboration d'un cadre unifié d'intervention pour instaurer une équité de traitement dans les divers départements d'Île-de-France et pour harmoniser les pratiques.

Il en découle la grille de priorisation. Ainsi, les femmes enceintes, les femmes avec des nourrissons, les femmes avec des enfants en bas âge, les femmes victimes de violences, dont la situation paraît nécessiter une mise en sécurité immédiate, font partie des critères de priorité de prise en charge les plus élevés.

Cette grille de priorisation doit nous aider à faire face à la tension qui s'exerce. C'est une aide à la décision, uniquement une aide pour les écoutants, la décision leur revenant in fine. Cette grille vise également à garantir que les publics les plus vulnérables bénéficieront bien d'une prise en charge prioritaire, quel que soit le lieu de la demande.

J'en viens à mon dernier point, notre action pour développer une offre adaptée aux besoins spécifiques des femmes. En la matière, l'État s'est efforcé d'adapter son offre d'hébergement à ces besoins spécifiques, tout particulièrement lorsqu'elles sont enceintes, souffrent d'addiction ou sont victimes de violences.

En ce sens, je voudrais citer trois points. Le premier est que nous avons mis en place en 2021 un nouveau dispositif d'hébergement dédié aux femmes enceintes et sortant de maternité qui n'existaient pas auparavant. J'ai constaté l'inexistence d'un tel dispositif lorsque je suis arrivé et cela remonte maintenant à trois ans. Désormais 1 000 places sont consacrées : l'État a ouvert 1 000 places en CHU dédiées aux femmes enceintes ou sortant de maternité et à leur accompagnant. 80 % des places sont actuellement occupées par les mères et les nourrissons, les autres étant pour leur conjoint et leurs autres enfants.

Les enquêtes hebdomadaires nous révèlent le besoin. Fin décembre 2023, entre vingt et trente femmes étaient hospitalisées en maternité au seul motif de leur absence de logement. Si nous regardons les demandes d'hébergement exprimées auprès des SIAO pour les femmes qui ne seraient pas à l'hôpital, à peu près 445 demandes avaient été exprimées au mois de décembre 2023. Nous allons donc poursuivre ce dispositif très adapté à ce public spécifique. Il nous permet une sorte de « sur-priorisation » de ces femmes. En ce qui concerne les dispositifs qui doivent les accompagner, nous avons mis en place des accompagnants dédiés grâce à des référents périnatalité au sein des SIAO.

Deuxième action spécifique à destination des femmes : nous dédions aujourd'hui 2 800 places en Île-de-France aux femmes victimes de violences. Au cours des trois dernières années, nous en avons créé près de 600, 570 plus précisément. L'État a renforcé la mise en place de ces mesures de protection pour les femmes victimes de violences, notamment en matière d'hébergement, avec une augmentation des aides à destination des structures d'accueil spécialisées très importantes. Cela a été amorcé en 2017 et considérablement renforcé au sein du deuxième plan quinquennal « Pour le logement d'abord ».

Ce dispositif d'hébergement a donc connu une augmentation très importante du nombre de places : 165 % d'augmentation en dix ans. Nous sommes passés de 1 000 places en 2013 à 2 800 aujourd'hui, avec la création de 570 places au cours des trois dernières années. 873 places à Paris sont dédiées à ce public au sein des CHU, auxquelles s'ajoutent 42 places en résidence sociale. Aujourd'hui nous n'avons pas d'appels de victimes de violences qui ne soient pas traités. Toutes les demandes de mise à l'abri sur Paris sont reçues et instruites par la Halte Aide aux Femmes Battues, opérateur spécialisé avec lequel nous travaillons. Il représente un volume de trois à quatre signalements par semaine. Tout ceci nous permet de traiter ces demandes de mise à l'abri au sein d'un hôtel géré par Delta.

Nous avons également consacré des moyens à la prise en charge des auteurs de violence pour lutter contre la récidive. Deux centres de prise en charge des auteurs ont été créés en Île-de-France, dont celui de Paris géré par le Groupe SOS, groupe associatif, en charge également de la plateforme Éviction. 283 nuitées ont été proposées à des auteurs en Île-de-France sur 762 au niveau national.

Le troisième et dernier point spécifique aux actions à destination du public féminin concerne les accueils de jour et les places de halte de nuit pour les femmes. Nous pouvons illustrer cet effort par la situation à Paris pour répondre à l'urgence de la rue. L'État a développé des haltes de nuit en lien avec la ville et les différents partenaires. Nous les avons pérennisés depuis maintenant plus de cinq ans. À Paris, il existe huit haltes de nuit. Nous en avons ouvert une nouvelle cette semaine dans le quartier de la Bastille, dans laquelle je me suis rendu mardi soir. Sept sont dédiées exclusivement aux femmes et une est mixte. La dernière halte comprend 25 places. Ainsi, 211 places de halte de nuit ont été créées à Paris.

Ces haltes de nuit ne sont pas des centres d'hébergement d'urgence. Elles ont vocation à compléter les dispositifs existants que j'ai cités, pour faire en sorte que ce public isolé, désocialisé, en refus d'hébergement, ou en situation de rue potentiellement victime de violences puisse trouver un toit pour la nuit. Ces personnes sont rencontrées par les maraudes ou accueillies par les espaces solidarité insertion accueil de jour.

Au-delà de ce dispositif spécifique pour la nuit, il existe bien sûr une centaine d'accueil de jour à Paris avec un fort financement de l'État. Sept de ces accueils de jour sont dédiés uniquement aux femmes, dont deux prennent en charge des femmes victimes de violences : la Halte Aide aux Femmes Battues (HAFB) et le Phare (Paris Hébergement Accueil Écoute) de l'association Esperem. Enfin, le Centre d'hébergement et de stabilisation (CHS) Georgette Agutte, dans le 18arrondissement, accueille des femmes seules avec enfant.

Un petit mot en conclusion sur la prostitution, car cela figurait dans votre questionnaire et pour ne pas l'oublier, compte tenu de la spécificité de cette situation. En Île-de-France, nous travaillons énormément sur cette question. Notre commission de lutte contre la prostitution est installée depuis longtemps. Nous avons près de 500 parcours de sortie de la prostitution qui ont été réalisés. Notre commission est la plus active de France. Elle s'est réunie 78 fois depuis juillet 2017. 300 parcours de sortie de la prostitution ont été réalisés et 95 personnes ont été insérées dans les 24 mois.

Ainsi, nous faisons face à une situation difficile à chiffrer de manière extrêmement précise, mais dont l'ampleur est néanmoins connue et face à laquelle l'État a engagé, de manière résolue depuis plusieurs années, des crédits en augmentation constante et encore en progression en cette année 2024.

Mme Annick Billon, présidente. - Merci beaucoup Monsieur le Préfet pour ce tour exhaustif et pour vos nombreuses réponses.

Je rebondis sur votre dernière information concernant la commission de lutte contre la prostitution, qui fait écho aux précédents travaux de notre délégation. Lorsque je la présidais, nous avions pu constater qu'un certain nombre de commissions départementales n'étaient, d'une part, pas en place, d'autre part, lorsqu'elles étaient en place, n'étaient pas très actives. J'imagine donc que la réussite de la commission que vous évoquez est à mettre au crédit de la déléguée régionale aux droits des femmes qui vous accompagne aujourd'hui.

Je vous remercie pour les informations précises que vous nous avez fournies et qui vont parfois à l'encontre de ce que nous pouvons entendre dans les médias. C'était important. Je pense notamment aux Jeux olympiques et aux places supplémentaires que vous citiez. J'imagine que ces places supplémentaires créées à l'occasion des JO sont pérennes.

M. Marc Guillaume. - Le dispositif que nous avons mis en place pour les grands marginaux est un dispositif évidemment pérenne et tout à fait exceptionnel. De fait, ce dispositif représentera sur l'année un peu moins d'une dizaine de millions d'euros, soit des crédits très importants pour ces places. Il nous permet de proposer à des personnes qui sont à la rue depuis de nombreuses années un logement de qualité avec une chambre, une kitchenette individuelle et une salle de bain.

Nous venons d'ouvrir dans le 17e arrondissement une résidence sociale d'environ 250 places. Nous avons mis de côté une vingtaine de chambres pour ces grands marginaux. Nous y sommes allés il y a une quinzaine de jours pour les premières opérations. Les maraudes sont allées voir depuis des semaines les intéressés pour les convaincre de rejoindre ces places. Il y a une forme de réticence au début, car si c'est pour rejoindre un gymnase ou un endroit où ils ne se sentiraient pas en sécurité, nous n'arriverions pas à les convaincre.

Un énorme travail est réalisé main dans la main avec les associations, Emmaüs, SOS et Aurore. Elles nous aident énormément. Elles sont avec nous pour le caractère qualitatif de ce dispositif. Ce sont des places pérennes et nous allons continuer à les développer dans les semaines à venir. Nous ouvrirons plus de 200 places de cette nature à Paris et s'il le faut, nous en ouvrirons d'autres notamment dans les départements de petite et grande couronne. Cette démarche s'inscrit dans l'héritage des jeux, héritage social extrêmement important.

Mme Annick Billon, présidente. - Merci Monsieur le Préfet. Vous avez donné le chiffre de 3 400 personnes orientées depuis Paris et la région parisienne vers les autres départements de France. Pourriez-vous préciser le profil de ces personnes et comment a été fait le choix des départements ? Était-ce un choix des personnes d'être orientées vers la province ? Ou ce choix a-t-il été établi car d'autres structures étaient en mesure de répondre à leurs besoins ?

Par ailleurs, je précise que des travaux sont menés actuellement au Sénat sur la santé périnatale, qui nous amènent à nous intéresser à la question des femmes enceintes sans domicile. Nous avons notamment eu l'occasion de nous rendre à l'hôpital Robert-Debré.

M. Marc Guillaume. - Le dispositif mis en place depuis 2023, via la circulaire publique des ministres datant du mois de mars, est un dispositif totalement volontaire. Ce dispositif vers les « SAS » et la province est proposé aux personnes lorsque nous effectuons des opérations de mise à l'abri. Concrètement, chaque semaine, nous avons une vision sur les régions de province qui accueilleront des personnes arrivant par bus. C'est le hasard qui fait qu'une opération de mise à l'abri se situera telle semaine et que telle destination vers les préfectures de province seront proposées.

Le profil concerne souvent des personnes isolées, notamment des hommes isolés qui sont intéressés par ce dispositif. C'est un peu moins le cas pour des personnes en famille qui restent le plus souvent à Paris. Le dispositif tourne chaque semaine avec trois destinations provinciales et il est proposé aux intéressés.

Le dispositif de prise en charge des femmes enceintes est radicalement nouveau, car il n'existait pas de dispositif propre aux femmes enceintes ou sortant de maternité. Nous avons donc créé ce dispositif en 2021. Il propose aujourd'hui 1 000 places. Le dispositif est conçu de telle sorte qu'un flux de trois à quatre demandes par semaine puisse être traité immédiatement.

En décembre 2023, vingt à trente personnes étaient encore à l'hôpital en attente. Compte tenu du nombre de places et de ce chiffre, il peut arriver que ces personnes restent quelques jours ou quelques semaines de plus à l'hôpital. Mais il y a une différence entre ce que nous entendons parfois et la réalité, c'est-à-dire un effort extrêmement conséquent. Par exemple, depuis trois ans, un effort considérable a été réalisé. Il faut le poursuivre. Nous devons régler peut-être telle ou telle situation encore plus vite, mais par rapport à la situation constatée il y trois ans, la différence est spectaculaire.

Mme Annick Billon, présidente. - Merci beaucoup Monsieur le Préfet pour ces précisions et pour la clarté de vos réponses. Je vais céder la parole aux rapporteures, tout d'abord à Agnès Evren.

Mme Agnès Evren, rapporteure. - Merci Monsieur le Préfet pour vos réponses extrêmement précises et la clarté de votre présentation.

Aujourd'hui, nous le savons, le Samusocial est complètement saturé. Les besoins explosent. Vous disiez que le budget progresse. J'avais noté que le budget de l'hébergement d'urgence avait au contraire baissé, puisqu'il était de 3,1 milliards et qu'il est aujourd'hui de 2,9 milliards. C'est vrai que cela peut paraître paradoxal, puisque les besoins ont explosé depuis plusieurs années. Je voudrais savoir quelles en sont les raisons. Que s'est-il passé pour que nous arrivions à cette saturation ? Parfois, des femmes enceintes sont à la rue et pour certaines accouchent à la rue.

Ces critères de priorité pour gérer la pénurie, même si rationnellement nous pouvons les comprendre, je trouve émotionnellement assez inhumain de devoir mettre en concurrence les publics et de choisir entre une femme enceinte de sept mois, une femme enceinte de six mois, un bébé de trois mois ou un bébé de quatre mois. Cela choque la conscience dans un pays comme la France, connu pour ses valeurs fondamentales de solidarité. Avez-vous des chiffres ? Car il nous a été dit dans certaines auditions que même des femmes fléchées pour être prioritaires dans l'accès à l'hébergement ne pouvaient pas accéder à ces places, car tout est saturé.

Vous avez parlé de l'organisation territoriale et de la coordination nationale. N'existe-t-il pas un problème au niveau de l'organisation ? En effet, nous avons l'impression malheureusement que les compétences sont tellement partagées que, quand l'État doit agir, le processus devient compliqué. Par exemple, c'est la Ville de Paris qui gère l'ASE (Aide sociale à l'enfance). La mission fondamentale de l'État est la mise à l'abri. Comment pourrions-nous organiser cette coordination de façon plus efficace ? Auriez-vous de ce point de vue des préconisations ?

M. Marc Guillaume. - Ce que j'ai cherché à dire est qu'au contraire la prise en charge ne cessait d'augmenter. Nous avions 57 000 places d'hébergement d'urgence il y a dix ans, nous en avons 120 000 aujourd'hui. Nous ne pouvons donc pas dire que l'État est inactif.

Mme Agnès Evren, rapporteure. - Je n'ai pas dit que l'État était inactif mais j'ai souligné le fait que les besoins explosaient.

M. Marc Guillaume. - Non, mais je l'entends. Je le lis parfois et je ne peux pas laisser dire cela. Au contraire, peu de politiques publiques ont connu une telle affectation de crédits pour faire face aux besoins. Il y en a peu. Les chiffres doivent être pris comme ils le sont.

Les maraudes, et je leur fais confiance, ont rencontré 147 femmes à la rue. Nous logeons 120 000 personnes tous les soirs et y consacrons un budget de 1,6 milliard d'euros. Aucun de ces chiffres ne doit être oublié. Le chiffre de 147 ne doit pas l'être, mais le chiffre de 120 000 ne doit pas l'être non plus. Je ne peux pas laisser dire, quand je lis dans la presse, que l'État serait inactif ou ne ferait pas face à la situation. Ce n'est pas vrai.

Encore cette année, nous augmentons le nombre de places. Nous avons donc conscience que la situation est compliquée. Nous avons mis en place depuis trois ans un dispositif propre aux femmes enceintes. Nous avons donc conscience qu'il existe une situation. Qu'il faille ensuite en permanence s'adapter, c'est vrai. Mais la majeure est que l'État développe des politiques exceptionnellement en croissance pour faire face à une situation complexe.

Je ne rencontre pas le problème de coordination au niveau national que vous avez évoqué. Nous travaillons main dans la main avec la Dihal, que vous auditionnerez tout à l'heure, de manière remarquable.

Du point de vue du traitement du public féminin spécifique, la DRDFE (Délégation régionale aux droits des femmes et à l'égalité) travaille remarquablement avec le niveau national. Nous n'avons pas de problème avec nos collègues des départements. Madame la Présidente évoquait la commission de lutte contre la prostitution, nous en avons une en place bien entendu dans chaque département en Île-de-France. Nous travaillons tous les jours avec les départements de petite et grande couronne pour faire face aux situations. En effet, eux aussi peuvent avoir des mises à l'abri à réaliser et des besoins de places.

Dans la coordination que nous opérons pour les Jeux olympiques, nous nous voyons chaque semaine pour faire le point de nos futurs besoins. Par ailleurs, vous évoquiez les collectivités locales. L'action de l'État est menée en bonne intelligence avec la ville et avec l'ensemble des collectivités locales, que ce soit pour l'implantation de nouveaux dispositifs d'hébergement d'urgence ou pour l'acceptabilité sociale.

Avant-hier, j'étais à la nouvelle halte de nuit que nous avons ouverte dans le quartier de la Bastille. C'est un local d'une régie immobilière de la Ville de Paris. L'État finance à 100 % le fonctionnement du centre. Nous travaillons donc main dans la main. Vous pouvez avoir des appréciations différentes de telle ou telle situation. Mais la majeure est que l'État développe en la matière des politiques très volontaristes à l'égard des besoins spécifiques des femmes.

Il nous reste sûrement en permanence à nous adapter à ce besoin. Mais ce que je cherchais à mettre en avant concerne l'ampleur des dispositifs que nous mettons en place et la volonté qui est la nôtre de les faire vivre. En effet, nous partageons avec vous l'idée que toute personne à la rue est une personne de trop et que toute femme à la rue et toute femme enceinte à la rue est ultra prioritaire.

Mme Annick Billon, présidente. - Merci beaucoup Monsieur le Préfet. J'ai évoqué les travaux de la mission sénatoriale sur la santé périnatale : les dispositifs mis en place dans l'établissement hospitalier que nous avons visité sont assez exceptionnels.

Lorsque vous nous parlez des chiffres de place d'hébergement, pouvez-vous faire la distinction entre les places pour des familles et les autres places ? Disposez-vous de structures permettant d'héberger une femme avec des enfants ou une famille ? Est-ce un sujet de complication ? Avez-vous des statistiques en la matière ?

M. Marc Guillaume. - Par exemple, les 47 000 places d'hôtel sont à 90 % occupées par des familles. Dans le prolongement de cette réunion, nous pouvons vous donner les différents chiffres. Nous essayons de nous adapter à chacune des situations. C'est particulièrement le cas pour les publics de femmes victimes de violences ou sortant de maternité.

Je m'excuse, car c'est un exemple qui n'est pas à l'aune des difficultés que nous sommes en train d'évoquer. Mais en période de grand froid ou en période de grande chaleur, nous ouvrons la préfecture et nos salles pour mettre des lits supplémentaires et accueillir les personnes. L'ensemble de l'appareil d'État est mobilisé de manière exceptionnelle et permanente pour ces publics. Effectivement, lire un certain nombre de chiffres ou d'affirmations qui ne reflètent pas ce volume de places d'hébergement et ces moyens engagés nous paraît nuire à la bonne compréhension de la situation.

De fait, cette situation appelle des mesures complémentaires en permanence, dont une évidente à laquelle nous devons travailler : notre connaissance de la réalité est partiellement insuffisante. Avec la Dihal, nous avons peut-être tardé à appréhender le fait que le SI des SIAO devait intégrer davantage d'informations genrées. Nous devons le faire. Nous devons nous adapter en permanence. Annaïck Morvan et Laurent Bresson le savent bien parce qu'ils sont en permanence sur le terrain pour faire vivre ces politiques. La situation n'est pas la même que celle d'il y a six mois ni celle dans six mois. Elle sera encore différente, car les flux et les personnes qui arrivent ne sont pas les mêmes.

Mme Annick Billon, présidente. - Merci beaucoup Monsieur le Préfet. Je laisse la parole à Marie-Laure Phinéra-Horth, rapporteure sur ce dossier au sein de la délégation aux droits des femmes.

Mme Marie-Laure Phinéra-Horth, rapporteure. - Merci Madame la Présidente. Je suis sénatrice de la Guyane, vous êtes préfet de l'Île-de-France. Je resterai donc géographiquement en Île-de-France. Je suis bénévole à l'Ordre de Malte et j'effectue régulièrement des maraudes. La dernière à laquelle j'ai participé a eu lieu lundi 8 avril. Je suis très heureuse que vous ayez pu communiquer des chiffres, car je suis sur le terrain et je fais des constats de terrain. Nous avons parcouru cinq arrondissements parisiens lundi soir et sur une cinquantaine de personnes rencontrées se trouvaient une quinzaine de femmes. Elles se regroupaient, car elles avaient peur et avaient besoin de sécurité.

Lorsque nous échangeons, elles nous font remonter les défaillances du 115. Nous avons essayé d'appeler. Il n'y a pas de place. Des personnes d'un certain âge sont dans la rue. J'ai le coeur sur la main et si je pouvais les récupérer pour les mettre chez moi, je le ferais. Ce sont des femmes. Elles ont peur. Une d'entre elles avait été agressée sexuellement et me disait : « Quand on me donne quelque chose, je le revends pour espérer obtenir une somme suffisamment conséquente pour prendre une chambre à l'hôtel ». De fait, elle a peur. Lundi, quand je suis rentrée chez moi à trois heures du matin, je ne vous cache pas que j'étais bouleversée. C'est dur et cela fait mal au coeur.

En revanche, nous n'avons pas rencontré d'enfants, uniquement des femmes en détresse. Nous pouvons leur apporter du soutien moral, échanger avec elles, leur donner à manger, à boire, des couvertures, des chaussettes, du déodorant, car elles ont des besoins.

Je vais garder ma question pour notre prochain auditionné, puisqu'elle concerne mon territoire.

Je pense que le rapport de la délégation devra aborder la question d'une réforme profonde du 115. En effet, vos services doivent être plus efficaces. Vos services font ce qu'il faut, mais cela ne suffit pas. Les femmes que je rencontre au cours de ces maraudes ne savent pas que je suis parlementaire, puisque je suis dans l'anonymat et bénévole. Lorsque j'étais maire, j'effectuais également des maraudes en Guyane. Mais à Paris, j'ai découvert des situations différentes. Chez nous, à part la pluie, il fait 30 degrés. Ici, il fait froid. Je vois des femmes qui n'ont pas de pull. Il existe une misère et une souffrance. Je voulais ainsi vous interpeller sur ce point.

Enfin, vous nous avez fourni des chiffres et vous avez expliqué la situation que je comprends. Mais je crois que beaucoup reste encore à faire.

M. Marc Guillaume. - Vous avez raison de souligner le travail des maraudes. Elles sont d'une très grande efficacité. Les maraudes sociales, dont celle de l'Ordre de Malte, nous ont aidés. J'en citais le chiffre tout à l'heure. En mars, ces maraudes associatives ont dénombré 147 personnes à la rue à Paris. C'est sans doute 147 de trop. Quand une maraude voit une femme à la rue, elle fait en sorte de lui chercher une place disponible. À chaque fois que je fais des maraudes, nous téléphonons si la personne accepte qu'on lui propose une place et il faut tout faire pour que cette nuit-là au moins, nous réussissions à la sortir de la rue. Le plus souvent, c'est le cas. J'ai commencé par vous dire que de nombreuses demandes d'appels au SIAO dans la journée ne sont pas pourvues. Il faut tout à fait le reconnaître, mais il faut le mettre en rapport avec la suite de la chaîne du logement. En effet, pour traiter encore davantage cette question de l'hébergement, il faut traiter la question du logement au-delà pour recréer cette fluidité. C'est donc l'ensemble de la chaîne qui est concernée.

En tout cas, à chaque fois qu'une maraude voit une femme avec un enfant à la rue, nous devons parvenir à faire en sorte que cette situation cesse dans l'instant et leur trouver une place, pour éviter que cette situation perdure.

M. Marc Laménie. - Merci beaucoup Monsieur le Préfet. J'associe à ma question mon collègue sénateur des Deux-Sèvres, Gilbert Favreau. Je suis moi-même sénateur des Ardennes. Nous ne sommes pas très loin de Paris et de la région parisienne. Mais nous ne rencontrons pas les mêmes problématiques, même si dans nos départements et nos territoires nous rencontrons également beaucoup de problématiques à caractère humain et social.

Vous avez très bien développé le volet humain - intervention, urgence - et le nombre de places en augmentation très significative au fil des années et les nombreuses demandes. Malgré le volet humain, tout a un coût.

En ce qui concerne la répartition territoriale, l'État reste le premier financeur des collectivités territoriales. Paris intramuros rencontre beaucoup de problématiques. La région Île-de-France comprend des départements très importants, proches de Paris, mais aussi éloignés comme les Yvelines ou la Seine-et-Marne qui touchent nos départements hors Île-de-France. Comment s'articule la gouvernance ? Par exemple, dans mon département des Ardennes, nous avons une déléguée aux droits des femmes, mais également le CIDFF (Centre d'information sur le droit des femmes et des familles), les associations et les collectivités locales. Dans les grandes villes se trouvent des CCAS (Centres communaux d'action sociale), mais les départements plus éloignés présentent également une part de ruralité. Comment interagissent les services de l'État et les collectivités territoriales, notamment les conseils départementaux, les villes, les CCAS, les intercommunalités, voire la région ?

Ensuite, quelle est la répartition territoriale de ces places d'hébergement d'urgence ? La mission budgétaire qui finance cette politique publique est la mission « solidarité insertion et égalité des chances ». Elle représente un montant financier très important de l'ordre de 20 milliards d'euros. Les besoins sont en augmentation et doivent être répartis sur l'ensemble de nos territoires. S'ajoute le volet associatif, partenaires, opérateurs de l'état. Il existe une grande diversité d'intervenants ce qui rend l'application de cette politique publique difficile et complexe.

Mme Annick Billon, présidente. - Pour compléter et clôturer ce tour de questions, Monsieur le Préfet, pourriez-vous revenir sur la définition des critères de priorité ? Je pense qu'ils aideront beaucoup les rapporteurs dans leur travail.

Vous avez indiqué qu'il s'agissait d'une aide à la décision. J'ai compris que ces critères n'étaient donc pas forcément appliqués et qu'il existait une marge d'appréciation du besoin. Ainsi, pourriez-vous nous redonner tous ces critères de priorité et nous dire si chaque critère a une population quasiment identique ou si des populations sont plus importantes pour les uns et pour les autres ?

M. Marc Guillaume. - Merci beaucoup. En ce qui concerne la répartition géographique, il y a environ 200 000 personnes hébergées en France, dont 120 000 en Île-de-France. 47 % des demandes d'asile arrivent chez nous. Au sujet de la répartition de ces 120 000 personnes, en tant que préfet de région, je vous parle à la fois de la Ville de Paris, des trois départements de petite couronne et des quatre départements de grande couronne. Les ministres ont décidé de mettre en place en mars 2023 un dispositif de départs vers la province pour que les intéressés bénéficient de conditions d'hébergement meilleures que celles qu'on peut encore obtenir en Île-de-France. En effet, le nombre de 120 000 personnes entraîne une complexité. C'est pourquoi ce dispositif a été mis en place et qu'un peu plus de 3 000 personnes bénéficient d'un hébergement en province depuis 2023. Mais cela reste un effort francilien tout à fait majoritaire.

Par ailleurs, vous avez raison de rappeler que la loi distingue les compétences de l'État et celles des départements qui ont la charge de l'hébergement des femmes enceintes et des enfants de moins de trois ans selon qu'ils limitent ou pas l'accompagnement social à ces personnes en situation régulière, hors situation relevant de la protection de l'enfance.

Nous travaillons encore une fois sur le territoire parisien de manière étroite avec les services de la ville et avec les différentes associations. Je n'ai pas de suggestions particulières à vous formuler en la matière. Nous avons besoin des uns et des autres. Madame la sénatrice Phinéra-Horth mentionnait le travail effectué par l'Ordre de Malte, mais c'est le cas de beaucoup d'autres associations. La huitième halte de nuit parisienne destinée aux femmes est gérée par Emmaüs. Ils en gèrent cinq à Paris. Nous avons besoin d'eux et des SI-SIAO. C'est un travail collectif et un objectif partagé.

Au sujet de la priorisation, vous avez tout à fait raison, Madame la Présidente, c'est une indication donnée. Notre objectif est que les situations, les plus « graves », soient toujours traitées : les femmes enceintes, les femmes avec des nourrissons, les femmes avec enfants en bas-âge et les femmes victimes de violences. Nous avons besoin qu'elles soient prioritaires. Nous vivons une forme de tension. Par conséquent, pour signifier qu'elles sont prioritaires, il faut bien que nous disions que cette mise en sécurité immédiate intervient avant les autres.

Pour autant, vous avez tout à fait raison, il s'agit d'une aide à la décision, et non d'exclure par principe telle ou telle personne parce qu'elle ne remplirait pas les critères de priorisation. Ce serait contraire au principe d'inconditionnalité de l'accueil. Ce n'est pas facile et la décision revient toujours à l'écoutant ou au travailleur social en contact avec la personne en demande d'hébergement. Nous vous transmettrons la grille avec les différentes catégories.

Mme Annick Billon, présidente. - Monsieur le Préfet, Monsieur le Directeur, Madame la Déléguée, je vous remercie sincèrement pour cette audition.

J'ai apprécié et j'imagine que les rapporteurs et les membres de la délégation également, la clarté de votre propos et la volonté que j'ai ressentie d'apporter des réponses aux situations et à l'explosion de cette précarité. Ayant moi-même eu l'occasion de participer à des maraudes, j'avais été surprise par le profil des personnes rencontrées. Ces femmes à la rue que j'avais pu rencontrer ne se considèrent pas comme étant à la rue pour des années et elles refusent souvent de l'aide parce qu'elles se protègent. C'est donc difficile pour les associations et pour les services de l'État d'accompagner dans la durée ces personnes.

Les budgets sont à la hausse. Le nombre de places est à la hausse. Malgré cette augmentation, vous devez faire face à une explosion de la précarité. Dans la mesure où la moitié des personnes hébergées en places d'hébergement d'urgence le sont en Île-de-France, j'aimerais savoir quelle est la différence entre le coût d'une personne hébergée en Île-de-France et celui d'une personne hébergée dans les territoires. J'imagine que la différence doit être importante, puisque la densité n'est pas la même.

M. Marc Guillaume. - Nous vous transmettrons ces éléments complémentaires, Madame la Présidente.

Je vous remercie pour ce que vous venez de dire. Indépendamment des chiffres et des budgets, la conviction que les services de l'État sont extrêmement mobilisés sur cette question est très importante pour nous. Avec Annaïck Morvan, nous allons la veille de Noël chaque année dans des centres abritant des femmes victimes de violences partager cette journée, un déjeuner ou un moment avec elles. Annaïck Morvan et ses équipes, ainsi que les différentes équipes logement et les équipes de l'État sont très mobilisées sur cette politique publique.

Mme Annick Billon, présidente. - Merci Monsieur le Préfet, pour votre engagement et la volonté que j'ai sentie chez vous, loin des postures ou des informations diffusées dans les médias.

Femmes dans la rue : audition de M. Jérôme d'Harcourt, délégué interministériel à l'accès à l'hébergement et au logement (Dihal)

Mme Annick Billon, présidente. - Je préside la délégation ce matin car je remplace la présidente Dominique Vérien qui a été amenée dans le cadre de ses fonctions à effectuer un déplacement à l'étranger.

Mes chers collègues, nous poursuivons nos travaux sur les femmes dans la rue. Après l'audition du préfet de la région Île-de-France, nous accueillons M. Jérôme d'Harcourt, délégué interministériel à l'hébergement et à l'accès au logement. Merci pour votre présence ce matin.

Vous êtes accompagné de M. Manuel Hennin, directeur de mission « accompagnement, parcours, accès au logement » à la Dihal, et de Mme Élise Corbes, cheffe de projet hébergement.

Je précise que cette audition fait l'objet d'une captation audiovisuelle en vue de sa retransmission en direct sur le site Internet et les réseaux sociaux du Sénat.

La Dihal est chargée d'assurer la coordination et le suivi des politiques étatiques en matière d'hébergement et d'accès au logement des personnes sans abri ou mal logées. Elle est donc centrale pour nos travaux, à la fois pour obtenir des données et pour mieux comprendre les priorités et l'action de l'État en la matière.

Vous le savez, il est important pour nous de disposer de données statistiques et sociales les plus à jour possible sur les femmes qui vivent actuellement à la rue, accompagnées ou non d'enfants. Les associations et chercheurs évoquent 40 % de femmes parmi les quelque 330 000 personnes sans domicile et environ 3 000 femmes ainsi que 3 000 enfants sans abri, qui passent la nuit dans la rue ; confirmez-vous ces chiffres ? Pouvez-vous nous fournir des chiffres récents ainsi que des informations permettant de dresser le profil social de ces femmes et de ces enfants ? En effet, pour développer des solutions adaptées, il faut tout d'abord être d'accord sur le diagnostic et comprendre pourquoi ces personnes n'ont pas ou plus de logement. Vous nous direz quels outils vous développez, en lien avec l'Insee, pour élaborer ce diagnostic, qui nous semble très parcellaire aujourd'hui.

Vous nous exposerez également les moyens déployés par l'État pour lutter contre le sans-abrisme et fournir à toutes les personnes sans domicile une mise à l'abri, via des places d'hébergement d'urgence, mais aussi des solutions de logement, en nous précisant quelle attention particulière est portée aux femmes.

L'accent est souvent mis sur l'augmentation récente des places d'hébergement d'urgence - ce dont nous nous félicitons évidemment. Cependant, depuis l'été dernier, des consignes semblent avoir été données au niveau national pour réduire le nombre de places, avec des objectifs chiffrés par région, qui ont conduit certains préfets à dresser des critères de priorité drastiques et à ne plus prévoir de mises à l'abri en cas d'expulsions locatives - nous venons d'interroger le préfet d'Île-de-France à ce sujet. Vous nous expliquerez les raisons et les modalités de ces consignes nationales.

Surtout, l'hébergement n'est qu'une solution imparfaite : il semblerait que 90 % des personnes sans domicile interrogées souhaitent en première intention accéder à un logement. Pourtant, pour reprendre l'expression de la chercheure Marie Loison-Leruste, lors de son audition la semaine dernière, « la logique de la prise en charge est celle de l'escalier : on monte progressivement les marches de la rue au logement » en passant par l'hébergement d'urgence, puis le logement intermédiaire, avant de se voir proposer un logement social.

Le programme Logement d'abord était censé inverser cette logique. Vous nous direz quel bilan vous tirez du premier plan quinquennal 2017-2022 et quelles sont les nouvelles priorités d'action du plan Logement d'abord 2. Une attention particulière est-elle portée aux femmes sans domicile dans ce cadre ?

Enfin, vous nous direz comment vous prévoyez de renforcer le rôle des SIAO dans la coordination et le pilotage de l'ensemble des acteurs de l'hébergement et du logement - État, collectivités et associations. Cette coordination apparaît en effet défaillante dans un certain nombre de territoires.

Monsieur le Délégué interministériel, je vous laisse la parole pour une présentation liminaire puis je proposerai à mes collègues, à la fois rapporteures et membres de la délégation, de vous interroger à leur tour s'ils le souhaitent.

M. Jérôme d'Harcourt, délégué interministériel à l'hébergement et à l'accès au logement. - Merci Madame la Présidente, Mesdames les Sénatrices, Messieurs les Sénateurs, Mesdames, Messieurs.

Merci pour votre proposition d'audition sur ce sujet important et qui nous concerne tout particulièrement. C'est l'occasion de rappeler que l'objet et la vocation de la Délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement (Dihal) est la lutte contre le sans-abrisme et pour l'accès au logement des personnes sans domicile. Nous sommes donc au coeur du sujet dont nous traitons ce matin et qui fait l'objet d'une mobilisation particulièrement importante depuis plusieurs années, sans que cela conduise à méconnaître la réalité des besoins, leur augmentation et les difficultés rencontrées sur le territoire, dont vous vous êtes fait l'écho au quotidien.

Je vais dans ce propos introductif revenir sur les questions d'information, de caractérisation des personnes et vous donner des éclairages sur l'augmentation des moyens. Puis, je terminerai avec des éléments sur le bilan du plan Logement d'abord et les perspectives devant nous. Je serai naturellement à votre disposition ensuite pour vos questions.

Le premier point concerne la question de connaître les personnes pour bien répondre et pour bien construire les solutions de politique publique. Vous savez notre difficulté à caractériser et à bien connaître le public des femmes sans domicile et sans abri. Nous avons quatre grands types de données mobilisables :

- les données statistiques de l'Insee et de la Drees (Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques), les plus scientifiques et les plus fiables, mais avec un décalage dans le temps et une rigueur méthodologique qui les rend difficiles à utiliser avec des actualisations fréquentes ;

- l'observation sociale qui se développe notamment à travers les Nuits de la Solidarité. Je proposerai dans mon introduction quelques éléments nouveaux et inédits pour essayer d'exploiter ces données et mieux comprendre la situation de ces personnes ;

- des enquêtes ad hoc qui peuvent être menées par les opérateurs ;

- les données dont nous disposons au sein de l'État dans les systèmes d'information, sur lesquels il sera intéressant de revenir pour vous dire là où nous en sommes dans le cadre d'un plan d'investissement massif de mise à niveau du système d'information de suivi : le SI-SIAO.

Pour bien comprendre la problématique, il faut distinguer les femmes sans abri des femmes sans domicile. Les femmes représentent environ 40 % des personnes sans domicile en France. Selon l'enquête sans domicile de l'Insee de 2012, données dont l'ordre de grandeur a été confirmé plus récemment par l'enquête ES-DS de la Drees, on estimait au 31 décembre 2020 à 46 % les femmes en centres d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS).

Les femmes à la rue sont proportionnellement peu nombreuses, puisque depuis 2018, la Nuit de la Solidarité à Paris recense de manière constante entre 10 et 14 % de femmes parmi les personnes à la rue. Elles sont donc peu nombreuses en proportion, malgré tout plus nombreuses que onze ans plus tôt. En effet en 2012, dans une enquête de l'Insee, on les estimait à 2 % des personnes à la rue, soit un peu plus de 400 personnes lors de la dernière Nuit de la Solidarité donc.

Nous avons porté un mouvement de généralisation, de déploiement des Nuits de la Solidarité dans les grandes villes en France. C'est donc l'occasion de vous partager les données sur quatorze autres grandes villes, hors Île-de-France, hors Paris et hors Métropole du Grand Paris qui ont participé aux Nuits de la Solidarité l'an dernier. La donnée était à peu près équivalente. Nous étions à 15 % de femmes parmi les personnes rencontrées à la rue dans ces quatorze villes lors de la Nuit de la Solidarité du mois de janvier 2023. Ainsi, la part des femmes semble augmenter à la rue, mais le dénombrement reste difficile en raison de plusieurs facteurs :

- leur invisibilité dans l'espace public avec des stratégies d'évitement qui ont pu être décrites par les associations et les expertes que vous avez entendues lors des précédentes auditions ;

- la mobilité continue : la marche au cours des bus de nuit ;

- la présence dans des lieux ouverts au public ;

- l'installation à l'abri des regards, dans des squats ;

- une plus grande importance sans doute donnée à la présentation de soi, nourrissant un mouvement de retrait.

Si je reprends les données sur les Nuits de la Solidarité, consolidées à l'échelle des quatorze villes hors Paris et Métropole du Grand Paris, nous constatons que sont présentes à la rue sans tente, 42 % des femmes sans abri, contre 50 % des hommes sans abri. Inversement, la part des femmes est plus importante à être sous tente et en voiture. Ce sont des éléments à prendre avec prudence. Il y a des éléments de consolidation. Nous consolidons des données sur plusieurs villes sans que ce soit parfaitement scientifiquement rigoureux, mais cela donne des indices pour confirmer ces éléments.

S'ajoutent des difficultés de comptage des femmes hébergées chez des tiers par ailleurs. Selon l'enquête logement de l'Insee en 2013, environ 39 % des personnes hébergées chez un particulier étaient des femmes. Ces femmes hébergées sont par ailleurs fortement soumises au risque d'exploitation comme contrepartie de cet hébergement. C'est l'occasion de dire que cela fait partie des axes de mobilisation que nous portons à la Dihal. En particulier, au moment de l'accueil des personnes déplacées d'Ukraine, nous avions organisé en lien avec la Miprof (Mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains) un temps de formation à destination des professionnels associatifs pour faciliter le repérage des situations à risque et des victimes potentielles de traite et les conseiller sur l'orientation vers les dispositifs adaptés de protection et d'assistance.

De ces données, nous pouvons tirer quelques spécificités qui permettent de dresser le portrait social des femmes sans domicile :

- des parcours émaillés de violences. Si nous nous appuyons sur une étude de 2016 du Samusocial de Paris, 90 % des femmes vivant à la rue ont subi des violences au cours de leur parcours ;

- un état de santé physique et psychologique dégradé : en mobilisant les Nuits de la Solidarité, la part des personnes qui s'estiment être en mauvaise ou en très mauvaise santé est supérieure pour les femmes que pour les hommes : 37 % des femmes, contre 30 % des hommes à Paris. Sur les quatorze autres villes, ce sont 43 % des femmes, contre 36 % des hommes. Ainsi, j'annonce une part des mesures qui sont portées et qui sont en cours de déploiement notamment pour répondre à la problématique de la santé des femmes à la rue sur laquelle je reviendrai ;

- des phénomènes de renoncement et de non-recours : les données des Nuits de la Solidarité sont assez frappantes. Par exemple, 51 % des hommes contre 31 % des femmes fréquentent un point de distribution alimentaire dans les quatorze villes. S'agissant de la fréquentation des accueils de jour, 77 % des femmes n'en ont pas fréquenté au cours des sept derniers jours, là où 63 % des hommes n'en ont pas fréquenté. Nous constatons le même écart dans le recours à ces services pour d'autres items, comme le fait de prendre une douche, prendre un repas ou aller aux toilettes.

Dans le portrait dressé des femmes à la rue, nous rencontrons des phénomènes caractérisés de renoncement et de non-recours. Pour la suite, les travaux autour de l'enquête sans domicile de l'Insee de 2025 permettront d'améliorer la connaissance du sans-domicilisme féminin. Le questionnaire en préparation, auquel nous contribuons directement, contient des questions sur les violences familiales, physiques et sexuelles notamment.

En méthode, nous pouvons souligner une évolution importante pour limiter le non-recours, puisque le questionnaire sera administré notamment par des accompagnants de maraude et non plus seulement dans des points fixes, comme c'était le cas jusqu'à présent, aux points de distribution alimentaire par exemple.

Dans ce portrait statistique des femmes à la rue, un point spécifique concerne les demandes au 115.

Une première donnée a trait au nombre de demandeurs quotidiens moyen sur la période de l'hiver 2023-2024. Nous l'avons prise par convention comme couvrant le mois de novembre 2023 au mois de mars 2024. 8 524 demandeurs d'hébergement d'urgence sont comptabilisés en moyenne chaque jour, dont 30 % de femmes, 42 % d'hommes et 28 % de mineurs. Ce sont des données du SI-SIAO, ce qui me permet de préciser un élément : nous avons bien la précision de genre dans les données du SI-SIAO. Les femmes qui formulent des demandes d'hébergement au 115 sont plus jeunes que les hommes, avec une moyenne d'âge de 35 ans, contre 38 ans pour les hommes. Parmi les femmes en demande, 33 % sont des femmes seules et 23 % sont des femmes seules avec enfant. Il s'agissait des demandes d'hébergement d'urgence.

Maintenant, si j'en viens à l'indicateur important des demandes non pourvues, la demande non pourvue quotidienne moyenne sur la même période de novembre 2023 à mars 2024 est de 5 833. Cela correspond chaque jour en moyenne à 61 % des demandeurs. Ainsi, 61 % des demandeurs sont confrontés à une demande non pourvue. La moyenne descend à 54 % pour les femmes seules et 53 % pour les femmes seules accompagnées d'enfants. Cette moyenne descend, mais elle reste naturellement élevée, nous le reconnaissons.

Tous ces éléments caractérisent une situation de très forte tension sur les besoins, malgré un déploiement extrêmement important de moyens par l'État depuis plusieurs années pour y répondre.

J'en viens au deuxième temps pour vous proposer quelques éléments à ce sujet, et ce, sans méconnaître la réalité des problématiques qui persistent aujourd'hui. Notre action vise à prendre en compte la question des femmes sans domicile dans sa globalité avec deux axes complémentaires :

- d'une part, la prise en compte des besoins spécifiques des femmes à la rue dans l'hébergement généraliste, mais aussi à travers les dispositifs de veille sociale ;

- d'autre part, la mise en oeuvre de solutions plus spécifiques pour certains publics comme les victimes de violences conjugales, de violences intrafamiliales, de traite ou de prostitution.

Le premier levier de réponse renvoie directement à la mobilisation et à l'augmentation extrêmement importante des places d'hébergement, dont bénéficient, par voie de conséquence, les femmes sans domicile. Nous sommes aujourd'hui à un niveau historiquement élevé du volume de places d'hébergement généraliste : 203 000 places pour l'année 2024 rapportées à 150 000 places en 2017.

Dans la composition de ce parc, nous pouvons noter l'augmentation de l'hôtel qui par ailleurs pose un ensemble de sujets, d'enjeux et de problématiques auxquels nous essayons de répondre. Il s'agissait d'une réponse en urgence à des besoins importants. Mais c'est également une manière de répondre à la modification de la typologie des personnes, puisque nous pouvons accueillir des familles et des femmes avec enfants à l'hôtel, où historiquement la structure du parc d'hébergement est plus tournée vers la prise en charge d'hommes isolés. Nous étions à 45 000 places d'hôtel fin 2018, contre 68 000 places fin 2023.

Si nous souhaitons caractériser davantage le parc d'hébergement d'urgence, c'est l'occasion de dire un mot du système d'information SI-SIAO. Ce système d'information fait l'objet d'un plan d'investissement massif depuis 2021. Il a mobilisé des crédits du plan de relance et des crédits du Fonds pour la transformation de l'action publique. C'est un plan d'investissement massif qui nous a conduits à multiplier par quatre ou cinq les budgets annuels consacrés au déploiement de la politique publique du SI afin d'être à la hauteur des enjeux et des moyens de suivi.

Ce plan est pluriannuel. Nous pouvons nous appuyer sur ces données et les extractions de ce système d'information avec un peu de précision en ce qui concerne les demandes. Cependant, s'agissant de l'offre, le chantier est en cours cette année et témoigne de la difficulté d'utiliser le système d'information pour caractériser l'offre. Malgré tout, nous pouvons vous donner des éléments à partir de l'exploitation d'un autre système d'information que nous utilisons s'agissant des CHRS et des centres d'hébergement d'urgence. À travers le système de l'Étude nationale de coûts (ENC), nous pouvons comptabiliser 12 % des places de CHRS ou de CHU non-mixtes, dédiées à la prise en charge des femmes.

C'est également l'occasion de rappeler que la moitié du parc d'hébergement d'urgence est un parc en diffus, et non pas dans les structures d'hébergement collectives. Le parc en diffus, dans la mesure où il s'agit de logements qui sont isolés et indépendants, peut se prêter à l'accueil spécifique de femmes ou de femmes avec enfants. Tels sont les éléments de caractérisation du parc et de l'augmentation des moyens.

S'agissant des axes complémentaires pour répondre aux problématiques particulières, il en existe plusieurs. Le premier est de faciliter la décohabitation des femmes victimes de violences ou des femmes victimes de violences intrafamiliales et de leurs enfants. Plusieurs mesures sont prises, dont un investissement spécifique consacré à l'ouverture de places pour la mise en sécurité des femmes victimes de violences. Le parc spécialisé a plus que doublé en six ans, passant de 5 000 places d'hébergement en 2017 à 10 600 places fin 2023. Il comptera 11 000 places en juin 2024. Nous pourrons revenir si vous le souhaitez sur le ciblage de l'ouverture des places au regard des besoins départementaux. Plus globalement, ce sont plus de 150 millions d'euros qui sont dédiés en 2023 à la politique de mise à l'abri et d'hébergement des femmes victimes de violences. Au-delà des places dédiées, les femmes victimes de violences accèdent également au dispositif de droit commun.

Un autre moyen spécifique est de promouvoir et de favoriser le maintien à domicile avec des mesures d'éloignement de l'auteur ou le relogement de la victime quand c'est possible. Cela me permet de dire un mot de l'accès au logement. Depuis le Grenelle contre les violences conjugales, le taux d'attribution de logements aux femmes victimes de violences augmente. Pour vous donner une idée, nous sommes à environ 10 000 attributions par an depuis 2019, à rapporter à une base de départ de 6 000 attributions par an en 2015. Nous avons travaillé avec les SIAO pour améliorer la connaissance et la coordination des acteurs avec les accueils de jour et les hébergements.

Enfin, une action spécifique vise à héberger les auteurs de violences en situation de précarité et à assurer leur éviction. 492 places ont été recensées pour les auteurs de violences conjugales et précaires. Un projet de création de 250 places a été acté l'an dernier. Il s'agit ainsi du premier axe spécifique permettant de faciliter la décohabitation des femmes victimes de violences conjugales ou intrafamiliales.

Le deuxième axe consiste à prendre en compte les besoins spécifiques des femmes sans domicile et j'établirai le lien avec des éléments de caractérisation et de portrait social de ma première partie. Une première mesure importante porte sur l'ouverture de solutions spécifiques aux femmes enceintes et sortant de maternité. 2 500 places ont été ouvertes, dont 1 500 issues de la stratégie pauvreté et pérennisées dans le cadre du Pacte des solidarités. La stratégie nationale de lutte contre la pauvreté et le Pacte des solidarités ont été l'occasion de porter directement ce besoin de solutions spécifiques s'adressant aux femmes sortant de maternité.

Le deuxième point consiste à améliorer le repérage des femmes sans domicile et leur accompagnement avec la création de vingt accueils de jour dédiés aux femmes dans le cadre du Pacte des solidarités. C'est fondamental, puisqu'il s'agit parfois du seul point de contact que nous avons avec les femmes à la rue. Avec les données de la Nuit de la Solidarité, nous savons que 70 % des personnes sans abri n'appellent pas le 115.

Le troisième point est de faciliter la prise en compte de leurs besoins de santé. Je vous ai donné l'écart, au sein des personnes rencontrées lors des Nuits de la Solidarité, entre les femmes et les hommes qui se déclarent en mauvaise ou très mauvaise santé. Nous portons le déploiement d'un réseau de coordinateurs en santé des femmes sur dix territoires qui porteront des actions de santé globales auprès des femmes et des actions de formation des professionnels dans les structures.

Enfin, le dernier axe a trait à la prévention et à la lutte contre les violences sexistes et sexuelles dans l'hébergement généraliste mixte. C'est aussi un axe de travail qu'il ne faut pas négliger, celui de travailler à la sensibilisation de l'ensemble des professionnels du secteur. Nous avons conçu un e-learning qui, depuis l'an dernier, a été vu par 1 250 professionnels de centres d'hébergement et dont nous continuons à porter le déploiement.

Je vous propose de terminer cette introduction avec des éléments de réponse à votre demande s'agissant du plan Logement d'abord et du rôle des SIAO. Je suis perplexe quant aux propos qui ont pu être tenus devant votre délégation sur la pérennité du parcours en escalier. Depuis 2017, nous menons en effet une stratégie claire qui est celle du logement d'abord et qui promeut l'accès et l'orientation directs vers le logement des personnes sans domicile.

C'est une stratégie qui porte ses fruits. Elle s'est appuyée sur plusieurs leviers. Le premier levier est celui d'une mobilisation de l'ensemble des acteurs quant à l'attribution de logements sociaux. Les données sur l'attribution de logements sociaux pour les personnes sortant d'hébergement ou à la rue depuis 2017 montrent que leur part dans le total des attributions augmente. Cela explique que, malgré le contexte de baisse globale des attributions et de crise du logement, l'orientation des personnes sans domicile, à la rue et hébergées, continue de se maintenir à un bon niveau. C'est le résultat d'une politique de pilotage par les objectifs, avec des objectifs fixés au préfet, déclinés et suivis mensuellement par la Dihal. Plus globalement, ils sont aujourd'hui intégrés dans le dispositif de suivi des réformes prioritaires mises en place par le Gouvernement.

Au total, 122 300 attributions de logements sociaux sont comptabilisées pour les ménages sans domicile depuis 2017, soit une hausse de 43 % par rapport à la période 2013-2017. De plus, le plan Logement d'abord a permis le développement de solutions de logements adaptés avec 40 000 nouvelles places créées dans le parc privé en intermédiation locative, dispositif qui permet de trouver du logement dans le parc privé. Les 40 000 nouvelles places constituent une augmentation de 118 % par rapport au parc existant en 2017. La dynamique se poursuit puisque nous sommes à 46 000 nouvelles places fin 2023 par rapport aux données du premier quinquennat. La même dynamique est observée s'agissant de la création de places de pension de famille avec 7 200 nouvelles places ouvertes entre 2017 et 2022, soit une augmentation de 47 % du parc par rapport à fin 2016. Cette augmentation s'est poursuivie durant l'année 2023 avec 8 400 places. Au total, l'ensemble de ces leviers mis bout à bout nous permettent d'estimer aujourd'hui à plus de 550 000 le nombre de personnes qui ont accédé, depuis 2018, depuis la rue ou l'hébergement d'urgence, au logement. Nous pourrons revenir si vous le souhaitez sur les éléments plus détaillés s'agissant du premier plan Logement d'abord ou des objectifs que nous avons pour le deuxième plan.

Mais nous pouvons dire aujourd'hui que la France est probablement le pays européen qui a porté le plus loin cette stratégie de lutte contre le sans-abrisme et pour l'accès au logement direct. Pourquoi cela ne suffit-il pas ? Il y a derrière une question de réponse à l'urgence, mais également la question des conditions de régularité du séjour pour permettre l'accès au logement social. Ce sont autant de facteurs qui ne permettent pas d'être dans un modèle où nous sommes directement projetés dans le logement. Mais l'orientation est bien celle du logement d'abord pour limiter au maximum le parcours en escalier qui est le modèle dont nous revenons.

Je vous remercie. Je suis à votre disposition pour répondre aux questions.

Mme Annick Billon, présidente. - Merci beaucoup Monsieur d'Harcourt pour ces éléments de réponse précis aux questions qui vous avaient été posées dans mon propos liminaire. Je vais maintenant passer la parole aux deux rapporteures présentes. Nous allons commencer avec Marie-Laure Phinéra-Horth, sénatrice de la Guyane.

Mme Marie-Laure Phinéra-Horth, rapporteure. - Merci Madame la Présidente et merci d'avoir précisé que je suis sénatrice de la Guyane, car je ne parlerai ni de l'Île-de-France ni de la France hexagonale, mais de la France ultramarine.

Monsieur le Délégué interministériel, mon territoire est confronté depuis quelques années à l'arrivée massive de migrants originaires du Proche et du Moyen-Orient. Ils vivent dans les rues, surtout sur le chef-lieu de Cayenne où sont situées les différentes administrations et associations. Certes, l'État propose des hébergements d'urgence, mais aujourd'hui la puissance publique est dépassée par ce phénomène, comme en Île-de-France d'ailleurs. Nous venons d'entendre le préfet de l'Île-de-France et nous avons bien compris les grandes difficultés constatées à Paris et en région parisienne. Parmi ces migrants, nous retrouvons beaucoup de femmes qui subissent des violences et d'autres atrocités. Je sais que votre délégation possède un pôle « migrants » et que la Dihal a accompagné les services de l'État dans la création de places d'hébergement à Sinnamary, commune située à 100 kilomètres de la ville capitale. L'Ofii (Office français de l'immigration et de l'intégration) se trouve à Cayenne et nous hébergeons les personnes à Sinnamary.

Je souhaite savoir comment la Dihal s'adapte à la situation très spécifique de la Guyane. J'ai évoqué la question des distances, propre à ce territoire. J'ai assisté à la pose de la première pierre à Sinnamary au cours de laquelle la représentante de la Croix-Rouge indiquait que les personnes logées à l'hôtel du Fleuve, et qui y sont toujours en ce moment, ne voulaient pas se rendre à Sinnamary. Une organisation avec des minibus est en place pour les conduire à des rendez-vous à l'Ofii, mais elles disent préférer trouver un lieu d'hébergement à Cayenne. Toutefois, à Cayenne, nous manquons de places d'hébergement.

Je sais que vous effectuez un réel travail, mais il reste insuffisant. Je le vois, quand je vais à Cayenne, les habitants se plaignent de voir des personnes planter des tentes dans la rue dans des conditions sanitaires déplorables. C'est une situation, qui j'avoue, « énerve » les Guyanais. Nous n'avons pas l'habitude de voir cela chez nous. Mais malheureusement les guerres incitent des personnes à immigrer chez nous, à y chercher le bien-être et surtout à tenter de transiter vers la France hexagonale. En effet, ils ne viennent en Guyane pas pour y rester, mais sont de passage. En attendant, il faut les héberger.

Mme Agnès Evren, rapporteure. - Je rebondis sur les chiffres que vous avez donnés : 61 % des demandes d'hébergement, dans une période très circonscrite, n'ont pas été pourvues. Combien de ces demandes relevaient des critères de priorité fixés par la région Île-de-France ? Nous savons hélas que la perte d'un logement correspond malheureusement au début de la précarisation. Ainsi, quelles actions menez-vous pour prévenir l'expulsion locative ? Enfin, vous disiez que 70 % des femmes à la rue, comptabilisées lors des Nuits de la Solidarité, n'appelaient pas le 115. Est-ce lié au fait que les besoins explosent et que, très souvent, quand nous appelons le Samusocial il n'y a hélas pas de réponse ? L'absence de réponse est-elle liée à l'absence de solutions à proposer ? Comment expliquer le fait que certaines personnes considèrent que le Samusocial ne peut plus être le recours ?

M. Jérôme d'Harcourt. - Je vous remercie pour ces questions qui vont me permettre d'expliquer toute la difficulté et toute la complexité de cette politique publique, chacune de vos questions en étant la parfaite illustration.

Madame la Sénatrice, s'agissant de la Guyane, je vous remercie d'avoir souligné et visiblement d'avoir eu écho du travail important que nous menons en Guyane avec la DGCOPOP (Direction générale cohésion et population) pour accompagner le territoire dans la création de places pour répondre aux besoins importants.

Cela m'inspire plusieurs réflexions. La première est que le territoire concentre, ce n'est d'ailleurs pas le seul territoire ultramarin soumis à cette pression, toute la complexité de cette problématique. Cette pression résulte de flux migratoires de demandeurs d'asile. Notre enjeu est d'apporter une réponse coordonnée avec celle du ministère de l'intérieur s'agissant des places et des dispositifs nationaux d'accueil pour accueillir les demandeurs d'asile.

L'enjeu pour nous est également d'intégrer les territoires ultramarins dans les politiques de droit commun et de porter le déploiement du Logement d'abord en Guyane. La communauté d'agglomération centre Guyane fait partie de la quarantaine de territoires éligibles à la mise en oeuvre accélérée du Logement d'abord. Nous couvrons aujourd'hui à peu près toutes les grandes métropoles du territoire national. Nous sommes engagés dans un partenariat tripartite entre l'État, ses services déconcentrés et les collectivités territoriales. C'est important, car c'est également une nouvelle manière de mener une action publique territorialisée et partenariale avec les collectivités. Elle revêt tout son sens en matière d'accès au logement. Nous savons que la réponse ne peut pas venir seulement de la mobilisation préfectorale. Elle vient également d'une mobilisation partenariale de l'ensemble des partenaires, des collectivités, des contingents Action Logement sur le territoire et d'une organisation transversale et territoriale à mettre en place.

Nous essayons également de répondre aux besoins en Guyane avec l'ouverture d'un centre spécifique de grande marginalité. Il s'agit d'un dispositif renforcé pour accompagner la prise en charge des grands précaires avec une approche pluridisciplinaire, un suivi et un accompagnement social soutenus.

S'agissant des chiffres de demandes non pourvues, ils doivent être appréhendés avec plusieurs éclairages complémentaires. D'un côté, les appels au 115 ne renvoient pas seulement à des personnes qui sont en situation de rue, mais à l'ensemble des personnes dans des situations de mal-logement, à la rue, mais aussi dans des halls d'immeuble, des caves, des squats ou des voitures.

En outre, nous savons que le taux de décroché est bas et peut nourrir un phénomène de non-recours constaté dans les données issues des Nuits de la Solidarité. Ce sont des éléments importants qui nourrissent notre réflexion sur l'évolution du 115. Plusieurs axes permettent d'y répondre. Le précédent ministre en charge du logement avait annoncé à l'automne dernier une mesure de renforcement de 500 ETP (équivalent temps plein) des SIAO. Ces effectifs supplémentaires permettront de renforcer globalement les SIAO pour répondre aux besoins. Puis, nous portons un plan de modernisation du 115 qui visera à maîtriser, moderniser, sécuriser l'infrastructure et le pilotage du 115, et à rendre ce service public plus accessible tout en améliorant la qualité des réponses et contributions au Logement d'abord. C'est un chantier lourd et important qui nécessite l'adaptation de l'infrastructure et de la technologie de cet outil.

L'écoute et la capacité à répondre aux appels sont une chose, la capacité à proposer des logements en est une autre. Nous pointons du doigt la tension entre, d'une part, une crise de l'accès au logement et, d'autre part, des situations de régularité au regard du séjour, condition nécessaire pour pouvoir accéder au logement, qui peuvent être limitées. Le chantier de réforme du 115 ne résoudra pas tout, mais il s'agira d'un premier élément de réponse.

Vous avez parfaitement raison de souligner l'importance de la prévention. Il vaut mieux agir en amont et éviter que les situations se dégradent. C'est pourquoi nous sommes extrêmement prudents concernant les remises à la rue prématurées ou les situations de rupture.

Nous arrivons au bout du troisième plan interministériel de prévention de l'expulsion locative. Plusieurs des mesures qu'il contient sont déjà, ou sont en voie d'être, pérennisées. Je pense notamment aux équipes mobiles de prévention d'expulsion locative et au renforcement des Ccapex (Commission de coordination des actions de prévention des expulsions locatives). Nous créerons aussi des permanences d'accès au droit dans un certain nombre de départements.

Dans le deuxième plan Logement d'abord, la prévention des expulsions locatives fait partie des axes de son déploiement. Autrement dit, aujourd'hui, l'enjeu ne concerne plus seulement la poursuite de la dynamique, l'attribution et les créations de places. Mais il s'agit aussi de développer la prévention en amont et de renforcer l'accompagnement social et la veille sociale.

Mme Marie-Pierre Monier. - Vous avez mentionné le ciblage des départements en fonction des places d'hébergement disponibles. Il serait bon d'obtenir une information plus précise quant aux départements concernés. J'ai la même question que ma collègue Agnès Evren sur le 115, car j'ai été interpellée par le fait que trop peu de femmes y font appel.

Ensuite, les femmes restent-t-elles dans les logements dans lesquels vous les mettez ? Quand vous arrivez à trouver des attributions de logements sociaux, surveillez-vous cet indicateur ?

Quel accompagnement menez-vous pour que la situation de ces femmes soit stable ? Je suppose qu'il ne s'agit pas seulement de les mettre dans un logement et de les sortir de la rue. Je ne sais pas si cela relève de vos attributions, mais comment faites-vous en sorte qu'elles y restent ? Quel est le suivi de ces femmes placées ?

M. Marc Laménie. - En tant que délégué interministériel, vous intervenez sur un certain nombre de ministères et avec beaucoup d'intervenants, que ce soit l'ensemble des collectivités territoriales, les opérateurs de l'État, les partenaires, les associations et les bénévoles. Les intervenants sont donc nombreux.

Le volet est humain comme vous l'avez fort justement rappelé. Comment se répartissent vos effectifs ? Comment s'articulent les moyens humains entre le siège à Paris, la région parisienne, la métropole et l'outre-mer ?

Vous avez rappelé l'importance de la lutte contre les violences intrafamiliales. Comment s'articulent les dispositifs existants financés sur le budget de l'État et les engagements financiers de tous les partenaires, associations et collectivités territoriales ?

M. Jérôme d'Harcourt. - En ce qui concerne le ciblage, des places dédiées sont ouvertes aux femmes victimes de violences conjugales ou intrafamiliales. Ces places sont également ouvertes aux femmes victimes de traite des êtres humains et de prostitution. C'est une acception large qui doit être considérée. Ces places sont ouvertes en privilégiant les départements et en croisant deux indicateurs : d'une part, le taux d'équipement et, d'autre part, les faits de violences constatés à partir des données de la police et de la gendarmerie.

S'agissant des attributions de places pour les victimes de violences, il faut garder à l'esprit deux éléments. D'abord, l'accueil en hébergement d'urgence peut se prolonger dans un temps long.

J'accompagnais le ministre du logement, Guillaume Kasbarian, et la ministre chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations, Aurore Bergé, en déplacement vendredi dernier dans des centres dédiés à Évreux et à Louviers. Les professionnels constatent que les femmes prises en charge dans les hébergements ont besoin de temps, notamment pour se poser. Vous l'avez vu aussi sur le terrain dans vos déplacements. C'est un élément indispensable. Dans le cadre de cette prise en charge, un accompagnement spécifique est mis en place par les professionnels et les travailleurs sociaux tenant compte des violences qu'elles ont pu subir. Ce temps de prise en charge est important et renforcé. Cela explique aussi que le budget consacré à l'ouverture des places dédiées est supérieur à des places de droit commun.

Le deuxième élément d'appréciation concerne le nombre de places de logement attribuées. Je vous ai communiqué les données : 10 000 places en moyenne sur les cinq dernières années. En 2017, 7 761 logements ont été attribués à des femmes victimes de violence, contre 11 165 attributions de logements en 2022. L'accompagnement n'est pas aussi intensif que dans l'hébergement où elles sont vraiment en présence de travailleurs sociaux. Mais les personnes peuvent être suivies dans le cadre des mesures de droit commun et de dispositifs « d'aller vers ». Un fonds dédié existe et il est ouvert à ces personnes comme à d'autres.

Enfin, la Dihal est d'abord la délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement. C'est une direction d'administration centrale responsable de la mise en oeuvre du programme 177. Elle porte donc, pour le compte du ministère du logement, l'ensemble des crédits de la stratégie et de la politique publique de lutte contre le sans-abrisme, le pilotage de l'hébergement d'urgence et de l'accès au logement. L'ouverture de crédits prévisionnels en loi de finance initiale (LFI) s'élève à 2,9 milliards d'euros. Nous pouvons comparer ce montant à celui de crédits en LFI 2023 qui s'élevaient à 2,78 milliards d'euros, sans préjudice naturellement des ouvertures de crédits qui peuvent intervenir en cours d'année ou en gestion dans le cadre des collectifs budgétaires. De ce point de vue, la Dihal agit directement pour le compte du ministère du logement.

La Dihal est également une délégation interministérielle rattachée au Premier ministre. D'une part, la Dihal est issue d'une logique de décloisonnement de l'action publique, d'autre part, elle est née pour établir un pont entre le monde de l'hébergement d'urgence, le monde du logement, le monde du social et le monde de la pierre.

Il est important de conserver cette approche décloisonnée interministérielle, car c'est d'abord une réponse aux besoins des personnes. C'est une approche globale des personnes. Les personnes sans domicile sont soumises à des problématiques de santé, de troubles psychiques, de mobilité et d'accès à l'emploi. Ainsi, le positionnement interministériel nous permet d'avoir une plus grande facilité à mobiliser l'ensemble des acteurs et à répondre par la mobilisation de leviers adéquats au service des personnes.

Nous sommes une direction d'administration centrale. Nous nous appuyons sur un réseau de services déconcentrés. Il s'agit principalement, mais pas que, des effectifs placés dans les Directions départementales de l'emploi, du travail et des solidarités (DDETS), et les Directions régionales de l'emploi, du travail et des solidarités (DREETS) ou les DDETS en outre-mer. Ces services ont des liens avec l'ensemble des acteurs. S'ajoute une dimension régalienne. Nous sommes effectivement liés directement aux préfets.

En outre, la dimension liée à la production de logements nous amène à être en lien avec les Directions départementales des territoires et les DREETS.

Mme Agnès Evren, rapporteure. - Aurons-nous des réponses écrites au questionnaire qui vous avez été transmis ?

M. Jérôme d'Harcourt. - Nous vous transmettrons des réponses précises à ce questionnaire détaillé et nous pouvons naturellement vous transmettre des éléments plus globaux.

Mme Agnès Evren, rapporteure. - Ce serait très précieux pour nous, merci.

Mme Annick Billon, présidente. - Merci Monsieur d'Harcourt. Je pense que cette audition était tout à fait intéressante et complémentaire de l'audition précédente du préfet de la région Île-de-France. Des éléments précis nous ont été donnés dans l'une et l'autre de ces auditions.