Mardi 9 avril 2024
- Présidence de Mme Marie-Claire Carrère-Gée, présidente -
La réunion est ouverte à 16 h 35.
Audition de M. Thomas Fatôme, directeur général de la Caisse nationale de l'assurance maladie
Mme Marie-Claire Carrère-Gée, présidente. - Mes chers collègues, nous poursuivons cet après-midi nos auditions avec celle de M. Thomas Fatôme, directeur général de la Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam).
Avant toute chose, je rappelle que notre mission, composée de 23 sénateurs de tous les groupes politiques, a été créée à l'initiative du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants (RDPI), auquel appartient notre rapporteur, Xavier Iacovelli. Notre rapport, assorti de recommandations, devrait être rendu public à l'été 2024.
Je précise que nous avons décidé d'inscrire nos travaux sur les complémentaires santé dans une perspective plus large que la question du pouvoir d'achat qui a inspiré la création de cette mission d'information. Nos questionnements portent sur le niveau de prise en charge des dépenses de santé par l'assurance maladie obligatoire (AMO) et par l'assurance maladie complémentaire (AMC), et sur les hausses de tarifs des complémentaires et leurs causes. Nous nous interrogeons sur le degré de redistribution et de mutualisation selon le niveau de revenu, l'âge ou le lieu de résidence.
Je rappelle que cette audition donnera lieu à un compte rendu écrit qui sera annexé à notre rapport, et que son enregistrement vidéo, disponible en direct, sera également accessible en différé sur le site du Sénat.
Monsieur le Directeur général, nous poursuivons avec vous une série d'auditions d'acteurs institutionnels qui nous a permis de recevoir le Haut conseil pour le financement de la protection sociale (HCFiPS), la Drees, le Haut Conseil de la famille, de l'enfance et de l'âge (HCFEA) ainsi que le Haut conseil pour l'avenir de l'assurance maladie (HCAAM). Nous entendrons tout à l'heure la Direction de la sécurité sociale (DSS).
Notre programme comporte également des auditions de représentants des organismes complémentaires et de divers acteurs de la société civile.
Parallèlement à cet agenda, des auditions sont conduites dans un format plus technique, notamment avec les syndicats représentatifs des professionnels de santé.
Dans un premier temps, le rapporteur va vous poser quelques questions pour lancer nos débats, puis je vous donnerai la parole pour une quinzaine de minutes. Nous aurons ensuite un temps de questions-réponses avec nos collègues ici présents.
M. Xavier Iacovelli, rapporteur. - Je remercie M. Fatôme de s'être rendu disponible. Notre mission d'information était initialement centrée sur le pouvoir d'achat des retraités, qui sont le plus touchés par les augmentations des tarifs des complémentaires santé, avant d'être élargie à l'ensemble des Français. Quel regard portez-vous sur la hausse des tarifs des complémentaires santé ces derniers mois et ces dernières années, et sur celles qui sont également annoncées pour 2024 ? Généralisation de la couverture complémentaire santé collective pour les salariés, 100 % santé, etc. : estimez-vous que ces mesures ont une incidence sur ce phénomène ?
Concernant le périmètre d'intervention de l'AMO et de l'AMC, notre système de prise en charge des dépenses de santé vous semble-t-il efficient ? Je souhaiterais également vous entendre sur la question de la lisibilité des contrats de complémentaires santé.
Nous avons à plusieurs reprises auditionné les professionnels de santé, qui rencontrent des difficultés importantes en raison de la charge de travail administratif qui leur revient du fait de l'articulation entre AMO et AMC. Il en découle pour eux des frais importants. Comment envisagez-vous ces situations, notamment en lien avec la gestion du tiers payant ? Certains professionnels renoncent d'ailleurs à l'application du tiers payant, faute de temps pour le traiter et en raison de complexités administratives. Qu'en pensez-vous ? La Cnam pourrait-elle être mise à contribution pour alléger cette charge ? Dans la même veine, nombre de professionnels souhaiteraient correspondre avec un payeur unique. Quel est votre point de vue sur cette question ?
M. Thomas Fatôme, directeur général de la Caisse nationale de l'assurance maladie. - Merci pour vos questions. C'est avant tout l'histoire qui a abouti à cette situation, d'ailleurs assez spécifique à notre pays, dans laquelle les mêmes soins sont couverts par l'AMO et l'AMC. Cette organisation s'est progressivement complexifiée, avec des taux de remboursement différents. Ce système est-il efficace ? S'il fallait repartir de zéro, il serait sans doute reconstruit différemment. La couverture complémentaire est l'une des composantes de la couverture des assurés, mais, dans cette répartition, c'est bien l'AMO qui porte le risque le plus lourd, au travers du système des affections de longue durée (ALO), des médicaments pris en charge à 100 %, etc. Cette répartition est fondée sur une logique très pertinente dans la mesure où le montant des cotisations à l'AMO, ne dépend pas de votre âge, ni de votre risque.
Récemment, l'articulation des financements a encore évolué, notamment par le biais du 100 % santé, réforme ayant permis de construire un système garantissant un accès aux soins renforcé, à des tarifs maîtrisés, donnant de la visibilité. Cela a pu coûter plus cher que prévu, mais le 100 % santé repose sur une articulation cohérente et réussie des financements recherchée depuis plusieurs années. Contrairement à ce que l'on peut parfois entendre, cette répartition des financements se traduit depuis dix ans par une augmentation du niveau de couverture par l'AMO et par une diminution du niveau de couverture par l'AMC, du fait du vieillissement de la population, du poids des maladies chroniques et du progrès technique. Le nombre de personnes en ALD augmente de 300 000 à 400 000 par an, ce qui revient à accroître les charges incombant à l'AMO. Ces dix dernières années, l'AMO a augmenté son niveau de couverture de près de trois points sur la consommation de soins. Le taux de remboursement du médicament augmente chaque année, parce que les médicaments remboursés à 100 % prennent de plus en plus de poids et qu'ils sont de plus en plus chers. Dès lors, il en résulte une augmentation du poids du financement public.
L'augmentation des tarifs des complémentaires santé est d'abord reliée à celle des dépenses de santé, et non à des transferts de l'AMO, puisqu'au contraire, la part des dépenses prises en charge par l'AMO augmente. La baisse du taux de remboursement des soins dentaires représente 500 millions d'euros, tandis que le chiffre d'affaires des complémentaires santé s'élève à plus de 30 milliards d'euros. Ce transfert est donc loin d'expliquer l'augmentation des tarifs ! Un travail mené en commun avec la direction de la sécurité sociale concluait à une hausse acceptable des tarifs de 5 à 7 %, mais pas de 8 à 10 %.
Vous m'interrogez sur les sujets de la lisibilité des contrats. Sans vouloir éluder la question, nous avons soutenu et accompagné des travaux menés par les complémentaires santé pour l'améliorer. Il appartient aux complémentaires santé d'assurer cette lisibilité. De ce point de vue, je pense que les points de repère que sont les contrats solidaires et responsables constituent une référence en matière de lisibilité. L'amélioration de la lisibilité des contrats ne relève pas de notre responsabilité. Nous sommes par ailleurs très engagés sur la complémentaire santé solidaire (C2S), ainsi que sur sa promotion et sa gestion.
S'agissant du tiers payant, la situation diffère selon les professions de santé. Dans le secteur de la pharmacie, son fonctionnement s'inscrit dans la durée de façon très positive. La situation est plus compliquée avec d'autres professions. Les organismes complémentaires se sont organisés à travers l'Inter-AMC pour proposer des plateformes de vérification des droits qui permettent, en théorie, la mise en oeuvre d'un tiers payant AMO-AMC relativement facile dès lors que les éditeurs de logiciels déploient ces solutions. Ce déploiement est en cours, mais il est relativement lent. Techniquement, nous serions en situation de gérer un système de payeur unique, qu'on appelle le tiers payant coordonné. Cependant, les complémentaires santé ne souhaitent pas ce type de dispositif, contrairement aux professionnels de santé. Un tel schéma impliquerait de notre côté une gestion très lourde de toutes les données des complémentaires santé pour procéder aux vérifications des droits. Ce schéma augmenterait les coûts de gestion de la Cnam. Il est irréaliste sans le partenariat des organismes complémentaires. Pour être clairs, nous n'avons jamais été demandeurs.
M. Xavier Iacovelli, rapporteur. - Le partenariat s'opèrerait de toute façon, puisqu'il n'y aurait pas d'autre possibilité.
M. Thomas Fatôme. - Nous ne sommes pas demandeurs, parce que cela représenterait en trésorerie un risque non négligeable que nous devrions porter, notamment en cas de dépassements d'honoraires. Il s'agirait d'un chantier complexe et pas complètement consensuel avec les complémentaires santé. De fait, des solutions existent, développées aujourd'hui par les éditeurs, avec des flux éclatés. Néanmoins, les éditeurs de logiciels déploient assez peu ces produits et les professionnels de santé les utilisent rarement. Notre priorité pour les prochains mois consistera à travailler avec les chirurgiens-dentistes libéraux, dans le cadre de la mise en oeuvre de la convention dentaire. Je rappelle par ailleurs que les professionnels de santé peuvent très facilement réaliser le tiers payant sur la part obligatoire et le font massivement quand la personne est en ALD. Cela permet aussi de limiter l'avance de frais par l'assuré.
M. Xavier Iacovelli, rapporteur. - Ce n'est pas du tout la part obligatoire qui pose problème, mais la part complémentaire.
Mme Marie-Claire Carrère-Gée, présidente. - Comme vous l'avez souligné, la sécurité sociale prend en charge le risque plus lourd, ce qui induit pour l'assuré un reste à charge assez modeste. Toutefois, pour certains types de pathologies, le reste à charge pour l'assuré peut être important. Par ailleurs, le taux d'effort, c'est-à-dire la contribution à une couverture complémentaire et le reste à charge, peut également être considérable. Bien qu'en général, le système protège bien les assurés face à la dépense de santé, le taux d'effort est croissant avec l'âge notamment. Je voudrais connaître votre appréciation sur l'application de la loi Évin, et savoir si, au sein du régime général, vous avez travaillé sur des pistes de mutualisation qui seraient de nature à limiter le taux d'effort des assurés les plus âgés. Je pense aussi aux travailleurs indépendants.
M. Thomas Fatôme. - Je partage le diagnostic sur le fait que, malgré la protection importante qu'offre le système, notamment dans le cadre des ALD, les niveaux de restes à charge peuvent rester élevés pour les personnes âgées. Je pose aussi la question des dépassements d'honoraires. Il pourrait être intéressant à cet égard d'étudier la situation des autres pays. Ces restes à charge seraient en tout cas incommensurablement plus élevés sans la protection majeure que fournit le système des ALD. La part des dépenses couverte est très significative.
Nous n'avons pas identifié, dans le cadre des dispositions de la loi Évin, un système qui garantirait, au moment de la sortie du contrat collectif, une couverture lisible dans la durée et donc des restes à charge plus acceptables pour les retraités.
J'ai le sentiment que le double mouvement de l'accord national interprofessionnel (ANI) de 2013 et de celui qui va se déployer dans la fonction publique pourrait permettre de mieux mesurer les conséquences d'une forme de démutualisation entre collectif et individuel.
L'analyse de ces sujets mériterait d'être approfondie. Pour nous, Assurance maladie, le principal levier reste la C2S. Son paramétrage pourrait donc évoluer pour tenir compte de façon plus fine des restes à charge et pour approfondir les conséquences de l'ANI sur la situation des retraités. On peut se demander s'il faut faire bouger la C2S ou la loi Évin.
M. Xavier Iacovelli, rapporteur. - En ce qui concerne le non-recours à la C2S, quelles pistes d'amélioration proposeriez-vous ?
Je souhaiterais également vous entendre sur les dérives dans le secteur de l'optique.
Vous parliez tout à l'heure de l'augmentation du coût de la santé dans son ensemble, et notamment de la prise en charge par l'AMO. Le coût de la santé a certes augmenté en France, mais le niveau de prise en charge a également augmenté. De ce fait, les Français ne se rendent pas compte du coût réel de la santé. Ne faudrait-il pas faire oeuvre de davantage de pédagogie en matière d'affichage des prix ? Auparavant, avec les vignettes à coller, nous connaissions exactement le prix d'une boîte de médicaments. Aujourd'hui, c'est moins clair. Sans remettre en cause la prise en charge, qui est importante et qui doit le rester, comment améliorer la lisibilité de son coût ?
Enfin, que pensez-vous d'une AMC publique et de la proposition de « Grande Sécu » ?
M. Thomas Fatôme. - Nous sommes engagés dans une série d'opérations d'information et de communication vis-à-vis des bénéficiaires de la C2S, en vue d'augmenter le taux de recours. Nous mettons également en oeuvre les dispositions des lois de financement de la sécurité sociale successives, qui ont permis de progresser dans la logique d'automatisation de l'attribution de la C2S. Désormais, les droits à la C2S sont ouverts automatiquement aux bénéficiaires du RSA. Il en résulte une progression du nombre de bénéficiaires de la C2S gratuite. Il existe également une part non négligeable de gens qui pourraient avoir recours à la C2S, mais qui sont couverts du côté de leur entreprise.
Mme Marie-Claire Carrère-Gée, présidente. - Avez-vous procédé à des enquêtes sur les populations concernées par ces situations ?
M. Thomas Fatôme. - Aujourd'hui, le taux de recours à la C2S payante atteint un tiers des personnes éligibles environ. Il est parfois difficile de convaincre de la nécessité de supporter une part du financement de la couverture complémentaire. Des arbitrages peuvent être effectués par les assurés en la matière. Nous pouvons y travailler avec des associations de lutte contre la précarité.
Mme Marie-Claire Carrère-Gée, présidente. - Et en matière d'optique, avez-vous des pistes pour mieux responsabiliser les assurés et les professionnels ?
M. Thomas Fatôme. - Nous avons réalisé des contrôles en 2023. Nous sommes allés contrôler des magasins d'optique pour vérifier que les cahiers des charges du 100 % santé étaient bien respectés. En effet, un certain nombre d'opticiens ajustaient leurs prestations au niveau de la complémentaire de l'assuré. Nous avons contrôlé plusieurs centaines de magasins et avons dû appliquer à des pénalités à certains d'entre eux, qui ne présentaient pas les équipements 100 % santé en vitrine, ou ne proposaient pas le devis afférent. Nous avons rappelé à l'ensemble des opticiens qu'ils avaient un cahier de charges à respecter.
Le sujet du coût réel de la santé est évidemment important et délicat. Sur le dos de l'ordonnance, les pharmaciens ont l'obligation de porter le coût du médicament. Nous fournissons des efforts pour mieux informer les patients sur le niveau des remboursements. En se connectant sur Ameli, les assurés peuvent disposer de ces informations.
Mme Marie-Claire Carrère-Gée, présidente. - Les patients se connectent largement sur Ameli parce qu'ils ne reçoivent plus de décomptes de remboursement.
M. Thomas Fatôme. - Avant la fin de l'année, nous allons réengager une procédure de notification par mail des remboursements. Cela répond également à des problématiques de lutte contre la fraude.
Mme Marie-Claire Carrère-Gée, présidente. - Il serait plus simple de ne pas devoir se connecter à son compte Ameli.
M. Thomas Fatôme. - Ces connexions au compte Ameli sont très simples. Il y a des enjeux de confidentialité.
Pour revenir à vos questions, je rappelle que ce sont des patients malades qui consomment des soins et qui entraînent des dépenses. Il y a une quinzaine d'années, l'Assurance maladie avait testé des récapitulatifs annuels de coût adressés aux assurés. Néanmoins, il est délicat d'indiquer à un malade du cancer ou à un hémophile que son traitement coûte des centaines de milliers d'euros... Nous faisons donc preuve de prudence, mais, effectivement, il faut progresser dans le sens d'une meilleure information, plus fluide.
M. Xavier Iacovelli, rapporteur. - Je crois au consentement à l'impôt et aux cotisations, y compris lorsque l'on est gravement malade. Nous entendons néanmoins la problématique que vous remontez concernant le fait d'annoncer le coût réel de leur prise en charge à des patients gravement malades.
M. Thomas Fatôme. - Sur l'AMC publique, un tel dispositif existe déjà. Il s'agit de la C2S, attribuée sous condition de ressources.
Mme Marie-Claire Carrère-Gée, présidente. - Il s'agirait plutôt de mettre en place une AMC publique, accessible à tous, pour les personnes non éligibles à la C2S.
M. Thomas Fatôme. - Ce dispositif poserait de multiples questions. Est-il juridiquement possible qu'un opérateur public propose une couverture complémentaire, relevant d'un marché privé, et dans quelles conditions ? Ces questions sont redoutables.
Mme Marie-Claire Carrère-Gée, présidente. - Il pourrait être envisageable qu'un contrat type de base doive systématiquement et obligatoirement être proposé par les complémentaires. Toutes les complémentaires seraient obligées de proposer cette offre de base, avec un dispositif de mutualisation entre organismes, en fonction des risques qu'ils assurent.
M. Thomas Fatôme. - Cela rejoint le débat sur les contrats responsables et solidaires, qui ont progressivement gagné en importance. Faut-il revoir leur contenu et rendre obligatoire un contrat que l'on pourrait qualifier d'entrée de gamme ? Quel serait l'objectif de cette complémentaire publique, si ce n'est de s'adresser aux personnes en situation de précarité ? Mais l'AMO a-t-elle vocation à intervenir sur un marché concurrentiel, pour l'ensemble des assurés ?
M. Xavier Iacovelli, rapporteur. - Cela rejoint la question des frais de gestion qui s'élèvent à 4 % pour l'Assurance maladie et à 20 % pour les complémentaires santé. Le fait de disposer d'une complémentaire santé publique ne permettrait-il pas d'inciter les complémentaires privés à réduire leurs frais de gestion ?
M. Thomas Fatôme. - Sans doute. Nous faisons des efforts systématiques dans ce domaine et nos frais de gestion sont aujourd'hui parfois inférieurs à 3 %, contre 5,5 % il y a dix ans. Nous avons supprimé 20 000 emplois en vingt ans et les courbes des coûts de gestion des différents acteurs se sont croisées.
Mme Marie-Claire Carrère-Gée, présidente. - Les champs d'activité sont cependant différentes.
M. Thomas Fatôme. - En effet. Les situations sont différentes. Nous pouvons néanmoins nous demander pourquoi le taux de 20 % des complémentaires n'a pas baissé, alors que nous réalisons tous des gains d'efficacité sur les systèmes d'information. Il faudrait comparer leurs frais de gestion actuels à ce qu'ils étaient il y a 10 ans. Certes, nos métiers sont différents, ainsi que la structures de nos coûts.
Pour revenir sur la question de la « Grande Sécu », si nous devions redéfinir un système en partant de zéro, je ne suis pas certain que nous construirions aujourd'hui le système dont nous avons hérité. Néanmoins, la réalité de la « Grande Sécu », c'est 30 milliards d'euros de prélèvements obligatoires de plus, puisqu'elle implique la transformation de cotisations privées en taxes. Cela représenterait également des coûts de transition absolument massifs, compte tenu du fait que le secteur des complémentaires santé emploie plusieurs dizaines de milliers de personnes. Cette opération poserait des questions très substantielles. Nous n'avons pas particulièrement développé ce scénario, mais avons plutôt travaillé dans le sens du renforcement de la coordination avec les complémentaires santé. Se pose aussi la question des dépassements d'honoraires, qui s'élèvent à 3 millions d'euros. Les complémentaires en couvrent un tiers. La prudence s'impose !
M. Bernard Fialaire. - Le ticket modérateur, qui avait une vocation de responsabilisation, a-t-il toujours du sens avec le tiers payant ? Je ne le crois pas.
Aujourd'hui, la sécurité sociale rembourse à hauteur de 70 % ou de 65 % du tarif opposable. Si elle devait rembourser à 100 %, il faudrait traiter la question des dépassements d'honoraires, ce qui ferait intervenir une assurance supplémentaire. Si le champ d'intervention de la sécurité sociale devaient être élargi, combien cela coûterait-il ? Certes, il en résulterait un prélèvement obligatoire supplémentaire, mais avec des frais de gestion moindres, et donc un pouvoir d'achat supplémentaire pour ceux qui ont à payer aujourd'hui. Surtout, cela instaurerait une équité qui n'existe pas, puisqu'aujourd'hui, les tarifs des complémentaires sont établis en fonction de vos risques, et pas de vos moyens. Nous devons interroger la pertinence de notre système, car il n'est pas vertueux.
M. Thomas Fatôme. - Aujourd'hui, 96 % des personnes bénéficient d'une couverture complémentaire et, très largement, d'une couverture responsable couvrant l'ensemble du ticket modérateur. Il s'agit donc d'abord d'un système de cofinancement, de partage de la charge, et pas d'un système responsabilisant qui viserait à freiner la consommation de soins. Tous les champs ne sont pas couverts par la sécurité sociale. Ce sujet est donc délicat. Tous les chiffrages afférents ont été réalisés par le Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance maladie (HCAAM). La réalisation de la « Grande Sécu » permettrait de gagner quelques milliards d'euros en réduisant le champ d'intervention des complémentaires et de leurs frais de gestion. Ensuite, il faudrait procéder à des transferts de personnels. Il faudrait également que le Parlement vote, par exemple, une augmentation significative de la CSG des retraités. Cette formule améliorerait le pouvoir d'achat, mais nécessiterait d'augmenter les impôts de 30 milliards d'euros. Je vous répète donc ma réserve sur ce scénario de « Grande Sécu », dont les inconvénients me semblent substantiels.
M. André Reichardt. - Je voudrais approfondir la question du rapporteur, et tout particulièrement ce que vous appelez la « Grande Sécu ». À l'aune de la dichotomie actuelle entre l'AMO et l'AMC, pensez-vous que le système actuel sera vivable encore longtemps ? Le Gouvernement envisagerait la fin de la prise en charge à 100 % de certaines ALD. Nous constatons que l'équilibre initial est complètement perturbé et il ne semble pas que la tendance soit à la diminution de la charge pesante sur les assujettis.
Nous auditionnerons demain le Président du régime local d'Alsace et de Moselle. Il s'agit d'un système particulier dans le cadre duquel les cotisations sont calculées différemment. Au moment de l'ANI, une demande avait été portée par l'instance de gestion du régime afin de ne pas passer sous les fourches caudines des complémentaires, mais de permettre au régime local de prendre en charge ce nouveau panier de soins. Cela aurait coûté moins cher. Il semblait alors n'y avoir aucune difficulté financière à envisager une amélioration de ce régime local. Or celle-ci a été refusée par le Conseil constitutionnel, pour ne pas éloigner davantage le régime local du régime général. Il est temps que cela change, parce notre régime local est équilibré, voire excédentaire. Ne faudrait-il pas réfléchir à l'exporter dans la mesure où il a toujours fait la preuve de son efficacité ?
M. Thomas Fatôme. - Votre première question me semble fondamentale. Elle dépasse le sujet du financeur, pour englober celui de la soutenabilité des dépenses de santé et de leur maîtrise. Comment faire face à une dépense de santé qui, mécaniquement, croît plus rapidement que la richesse nationale ? Les enjeux de la bonne utilisation des ressources de l'Assurance maladie, des 57 milliards d'euros de prescription des médecins, de la rationalité des parcours de soins, sont fondamentaux. La répartition du financement entre le public et le privé est secondaire. L'enjeu consiste à rendre la dépense soutenable. Je ne suis pas certain qu'une « Grande Sécu » aiderait beaucoup à assurer la soutenabilité des dépenses de santé à long terme, puisque nous ferions alors toujours face à l'organisation actuelle des systèmes de soins.
M. André Reichardt. - Il faut quand même tenir compte de la répartition entre AMO et AMC, dont les charges administratives sont totalement différentes, par exemple. Effectivement, la soutenabilité de la dépense est fondamentale, mais l'organisation actuelle du système pose également problème.
M. Thomas Fatôme. - Les frais de gestion représentent 7 milliards d'euros, contre une dépense d'assurance maladie de 250 milliards d'euros. C'est pourquoi j'estime que les enjeux résident d'abord dans notre capacité à nous assurer de la soutenabilité de la dépense de santé elle-même.
En ce qui concerne l'Alsace-Moselle, si les assurés et les entreprises en dehors de ces régions étaient prêts à financer un système qui se rapprocherait de celui de l'Alsace-Moselle, ce serait leur choix. Cela induirait une augmentation des cotisations d'assurance maladie obligatoire dans ces territoires. Je ne suis donc pas certain que les représentants des employeurs en seraient enchantés.
Mme Émilienne Poumirol. - Vous évoquiez le problème de la soutenabilité financière de la sécurité sociale. Celle-ci est curative à 97 % et oeuvre dans le domaine de la prévention à hauteur de 3 %. Nous avons donc des efforts à faire en matière de prévention pour changer notre façon d'agir. La prévention doit devenir une priorité. Serait-il possible de disposer d'une étude financière sur ce sujet ?
Nous constatons par ailleurs une forte dérive liée à la financiarisation de la santé, qui est évidente pour ce qui concerne les cliniques privées, les laboratoires, la radiologie et désormais le secteur des soins primaires. Dans ce contexte, une « Grande Sécu » permettrait de garantir un accès pour tous à la santé, sur l'ensemble du territoire, sans grever le pouvoir d'achat des gens tous les mois. Cela demande des transformations importantes, mais si on n'y travaille pas dès maintenant, si on n'a pas la volonté politique de le faire, on ne le fera pas. Avez-vous véritablement envisagé cette piste avant de l'écarter totalement ? N'est-ce pas plutôt un manque de volonté politique ?
M. Thomas Fatôme. - Je vous confirme que la prévention fait partie de nos axes d'actions prioritaires (dépistage organisé des cancers, vaccination, santé des enfants et bilans de prévention). En matière de dépistage organisé des cancers, nous sommes en train de mettre en oeuvre sept plateformes d'appels sortants vers les assurés.
Mme Marie-Claire Carrère-Gée, présidente. - N'est-il pas envisageable d'améliorer l'articulation avec les actions menées par les complémentaires ? Il semble qu'en la matière chacun mette en oeuvre ses priorités et ses programmes sans grande cohérence d'ensemble.
M. Xavier Iacovelli, rapporteur. - Certains organismes complémentaires utilisent la prévention à des fins commerciales.
M. Thomas Fatôme. - Sur ces sujets, nous nous contentons de mettre en oeuvre la politique de santé publique du Gouvernement J'ai indiqué aux organismes complémentaires que rien ne les empêchait de s'emparer de ces thématiques.
Mme Marie-Claire Carrère-Gée, présidente. - La prévention est beaucoup plus large que les axes que vous avez évoqués. Nous pourrions envisager une coordination, de façon à répartir les rôles, dans le cadre d'une politique nationale.
M. Thomas Fatôme. - Pour reprendre l'exemple du dépistage organisé, qui est un enjeu de santé publique majeur, nous sommes en retard en France. Nous serions très heureux que les complémentaires santé, qui disposent de canaux de contact dans les entreprises dont nous ne disposons pas, relayent ces messages sur l'importance de ces dépistages organisés vis-à-vis des salariés et des entreprises qu'elles couvrent. Elles peuvent le faire librement. Nous gagnerions peut-être à formaliser davantage un programme de prévention partagé, mais personne n'interdit aux complémentaires santé d'agir dans ces domaines.
La discussion relative au contrat responsable et solidaire ne me semble pas négligeable. Elle pourrait tendre à rendre ce contrat plus souple, pour que les assurés puissent choisir une couverture moins coûteuse et moins large.
M. Serge Mérillou. - Jamais le coût global de la santé n'a été aussi important. Il me semble que jamais le nombre de Français, notamment parmi les plus défavorisés, qui sont dans l'incapacité de se soigner, n'a été aussi élevé. De nombreux Français n'ont pas de couverture complémentaire et renoncent donc aux soins, particulièrement aux soins dentaires, mais ce comportement se remarque aussi dans l'optique et l'audiologie.
Par ailleurs, les coûts de gestion des mutuelles atteindraient 20 %. Ce chiffre est-il vérifié par le ministère ou une autre autorité ? N'y a-t-il pas de possibilité de les réduire ?
Avez-vous droit au chapitre quand il s'agit de fixer le prix de vente des médicaments ou la facturation de tous les actes médicaux ? Je suis particulièrement inquiet de constater une telle rupture sociale en matière d'accès aux soins.
M. Thomas Fatôme. - Nous constatons effectivement des difficultés d'accès aux soins, pour des raisons territoriales ou financières. Néanmoins, en France, 5,9 millions d'assurés disposent d'une complémentaire gratuite, la C2S, et 1,5 million d'assurés disposent d'une complémentaire santé partiellement payée par la puissance publique, soit plus de 7 millions de personnes. Plus de 12 millions d'assurés sont couverts à 100 % grâce au système des ALD, soit un niveau de couverture très significatif. Tout médicament coûteux est pris en charge à 100 %. Tout acte hospitalier dépassant 120 euros est pris en charge à 100 %. De plus, la France couvre un panier de soins très large, contrairement à ce que l'on observe dans d'autres pays. Il faut donc mettre en avant la performance du système de couverture et de l'investissement public, qui aboutissent à des résultats significatifs.
Avec le 100 % santé, près de 750 000 personnes supplémentaires ont bénéficié d'une audioprothèse. Pour plus de la moitié d'entre elles, les prothèses dentaires sont sans reste à charge. De même, d'importants progrès ont été réalisés dans le domaine de l'optique, et donc de façon globale, dans celui de l'accès aux soins.
Je ne reviendrai pas sur le sujet des frais de gestion des organismes complémentaires. Je ne suis pas en charge de la régulation de ce secteur, qui obéit à des règles prudentielles qui sont édictées par l'État. Cela dépasse mon champ de responsabilité.
Enfin, nous sommes membres du Comité économique des produits de santé, qui réunit les financeurs, les directions du ministère de la Santé et de Bercy. Ce comité négocie le prix des médicaments avec les industriels. Nous sommes partie prenante de cette instance collégiale.
Mme Marie-Claire Carrère-Gée, présidente. - En matière de lutte contre la fraude, menez-vous des actions concertées avec les complémentaires ?
M. Thomas Fatôme. - Nous avons entrepris, l'année dernière, de renforcer ces collaborations, en vue notamment de faire évoluer le cadre législatif, qui est assez contraignant en termes de gestion des données. Ces chantiers, pour le moment, n'ont pas abouti, mais nous souhaitons progresser sous l'égide de la DSS et en perspective du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2025.
Mme Marie-Claire Carrère-Gée, présidente. - Pourrez-vous nous transmettre ces éléments dans votre réponse écrite ?
M. Thomas Fatôme. - Oui. Pour prendre l'exemple des audioprothèses, nous avons lancé un programme de lutte contre la fraude. Je ne verrais que des avantages à ce que l'on partage mieux avec les complémentaires santé les éléments dont nous disposons dans cette perspective.
Nous détaillerons ces éléments dans notre réponse écrite, si vous le souhaitez.
Mme Marie-Claire Carrère-Gée, présidente. - Merci à tous.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 17 h 55.
La réunion est ouverte à 18 h 05.
Audition de M. Franck von Lennep, directeur de la sécurité sociale
Mme Marie-Claire Carrère-Gée, présidente. - Nous poursuivons notre programme de cet après-midi avec l'audition de Monsieur Franck von Lennep, directeur de la sécurité sociale. Je vous rappelle que notre mission d'information a été constituée à l'initiative du Groupe Rassemblement des démocrates progressistes et indépendants (RDPI), auquel appartient notre rapporteur, Xavier Iacovelli. Nous avons engagé ces travaux pour un rapport devant être rendu public à l'été 2024.
Cette audition fait l'objet d'une captation vidéo. Elle donnera lieu à un compte rendu écrit annexé à notre rapport. Parallèlement au questionnaire écrit qui vous a été adressé, le rapporteur et les sénatrices et sénateurs présents vous poseront des questions après votre intervention. Je cède la parole à Xavier Iacovelli, notre rapporteur.
M. Xavier Iacovelli, rapporteur. - Merci, Madame la présidente. Cette mission, lancée par le groupe RDPI auquel j'appartiens, portait au départ sur la question du pouvoir d'achat des retraités, mais nos interrogations portent sur un périmètre plus large.
Quel regard portez-vous sur la hausse des tarifs des complémentaires santé, notamment les transferts de dépenses vers les complémentaires santé et les évolutions récentes, telles que la généralisation de la couverture complémentaire santé collective pour les salariés et le 100 % santé ? De nouveaux transferts de dépenses de l'assurance maladie obligatoire (AMO) vers l'assurance maladie complémentaire (AMC) sont-ils envisagés ?
Quelles obligations pour les complémentaires santé le cadre du contrat responsable et solidaire comporte-t-il en matière de panier de soins, de remboursement, de gestion ? Existe-t-il des pistes de réflexion pour faire évoluer ce panier de soins ?
Pouvez-vous nous présenter les différentes dépenses publiques en vue de favoriser la couverture par un contrat de complémentaire santé, notamment les dépenses fiscales, les avantages sociaux et la complémentaire santé solidaire (C2S) ? Combien ces dispositifs coûtent-ils chaque année à l'Assurance maladie et à l'État ? L'effort consenti par la puissance publique en la matière est-il équitablement réparti entre les différentes catégories socioprofessionnelles et classes d'âge ?
Les professionnels de santé que nous rencontrons font régulièrement état de la charge administrative importante qu'impliquent pour eux les relations avec les complémentaires santé, notamment en matière de tiers payant. Certains demandent un payeur unique pour éviter cette surcharge et dégager du temps médical. Cette option vous paraît-elle envisageable ?
De manière générale, nous avons besoin d'informations sur la fraude mettant en cause l'AMC : quels sont les vecteurs de cette fraude, les acteurs principalement concernés, les mesures de lutte mises en oeuvre et les sanctions prononcées ?
M. Franck von Lennep, directeur de la Sécurité sociale. - Merci, Madame la présidente, merci Monsieur le rapporteur. Mesdames et Messieurs les sénateurs, je vais essayer d'être synthétique.
La première question porte sur la hausse des tarifs des complémentaires santé. La direction de la sécurité sociale ne dispose pas d'une base de données reprenant l'ensemble des tarifs de tous les contrats de toutes les complémentaires. Nous ne connaissons pas le niveau de leur hausse. Nous lisons, comme chacun, les chiffres que déclarent les complémentaires et les professionnels du secteur. La direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) suit l'évolution des dépenses globales des complémentaires, mais pas les tarifs individuels. Néanmoins, ces derniers mois, nous avons essayé d'estimer ce que pourrait être une hausse moyenne des tarifs, dans le cadre des échanges entre le ministère de la Santé et les organismes complémentaires en fin d'année dernière. Nous avons donc essayé d'estimer la hausse des prestations des complémentaires santé en 2023 et en 2024, sur la base des données dont nous disposons pour le suivi de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam). Nous suivons les dépenses de l'AMO et, avec les données dont nous disposons, nous pouvons essayer d'évaluer la hausse des dépenses des complémentaires. Cela n'est qu'une évaluation, parce que nous ne connaissons pas toutes leurs dépenses, mais il s'agit d'un cadre de référence intéressant. Pour 2023, nous estimons la hausse des dépenses des complémentaires à environ 4,5 % sur les prestations et, pour 2024, à un peu plus de 5 %. Cette hausse est plus élevée que les années précédentes, du fait de nouvelles dépenses en lien avec l'inflation et la dynamique de certaines dépenses. Elle reste cependant inférieure à ce que les complémentaires annonçaient en fin d'année 2023 : certaines familles de complémentaires santé annonçaient pour l'année 2023 une progression autour de 6 %, ce que nous n'avons jamais compris. Elles expliquaient que cette hausse n'avait pas été anticipée en 2023 et devait être rattrapée en 2024. Ensuite, le chiffre de 2024 a également fait l'objet de discussions. Les hausses de tarifs annoncées par les complémentaires ont parfois avoisiné 8 %, 10 %, voire 12 %, dans certains cas, ce qui n'est pas compréhensible. Le ministre de la Santé, Aurélien Rousseau, a indiqué en décembre aux complémentaires que l'estimation de la direction de la sécurité sociale correspondait à une hausse des dépenses autour de 5 %, qui peut expliquer des hausses de tarifs moyens entre 5 % et 7 %. Entre la hausse des dépenses et la hausse des tarifs, deux points supplémentaires peuvent être envisagés, en raison de l'effet de noria. La dépense moyenne des complémentaires augmente de 5 %, mais les dépenses individuelles peuvent augmenter plus vite. Techniquement, il nous semblait qu'une hausse moyenne comprise entre 5 % et 7 % pouvait s'expliquer. Ensuite, des spécificités individuelles peuvent entrer en jeu, en fonction du portefeuille de l'organisme complémentaire, de sa situation financière, etc. Toutefois, il ne nous paraissait pas possible d'imputer des hausses au-delà de 8, 9, 10, parfois 12 % aux décisions du Gouvernement.
Les prestations des complémentaires s'élèvent à environ 30 milliards d'euros. 5 % de 30 milliards d'euros représentent environ 1,5 milliard d'euros. Sur ce milliard et demi de dépenses supplémentaires des complémentaires, nous estimons à 350 millions d'euros les dépenses liées à l'augmentation du ticket modérateur dentaire, soit une part limitée. D'autres hausses devaient être financées par les complémentaires, notamment celle du tarif de la consultation médicale. Les complémentaires ne peuvent néanmoins pas imputer cela à des décisions du Gouvernement. Il s'agit de négociations conventionnelles auxquelles l'union nationale des caisses d'assurance maladie (Unocam) est associée. Il s'agit de la décision collective du système de santé et des assureurs, de base comme complémentaires. Il faut donc relativiser l'incidence des transferts de charges sur la hausse des tarifs. Il s'agit d'une part très minoritaire.
Au cours des 10 ou 12 dernières années, nous constatons une augmentation de la part prise en charge par l'AMO dans les dépenses totales. C'est bien en constatant cette augmentation, avérée par les chiffres de la Drees, que nous avons entamé il y a deux ans une discussion avec les complémentaires, pour envisager une forme de partage de la hausse des dépenses. Je ne peux pas dire que nous soyons totalement parvenus à convaincre les complémentaires. J'ignore si de nouveaux transferts sont prévus. Il ne faut pas laisser entendre que l'Assurance maladie se désengage. Elle ne se désengage pas, puisque sa part dans les dépenses a sensiblement augmenté depuis 2010. C'est elle qui a payé l'essentiel des dépenses liées à la crise covid. Elle ne se désengage donc pas, mais souhaite stabiliser sa part dans la dépense. Nous continuons d'en discuter avec les complémentaires. Celles-ci font état d'un besoin de visibilité, pour planifier la hausse de leurs dépenses et de leurs tarifs.
En ce qui concerne le contrat responsable et solidaire, nous voulons réfléchir sur la partie « responsable ». Personne en France ne propose de remettre en question l'acquis de solidarité. On ne fait pas payer davantage les gens parce qu'individuellement, ils sont plus à risque. La tarification est globalisée au risque, à l'âge en particulier, mais pas au niveau individuel.
Le contrat responsable est assez normé, mais avec des marges plutôt à la hausse. Des plafonds de remboursement sont prévus, par exemple en optique, mais il s'agit d'un socle, avec le ticket modérateur, le forfait journalier, le 100 % santé. Ensuite, les complémentaires peuvent rembourser davantage, avec des plafonds sur l'optique ou sur les dépassements des médecins spécialistes.
Quelles évolutions pourrait-on envisager ? Il ne faut jamais s'interdire de réfléchir ni d'évaluer le système actuel. Dans mes échanges assez récents avec les organismes complémentaires, nous étions tous d'accord pour constater que ce contrat responsable qui aura bientôt 20 ans, a été enrichi au fil du temps et des réformes. Peut-être est-il temps de prendre du recul et d'envisager, dans certains cas, certaines souplesses, voire davantage de marges accordées aux organismes complémentaires pour réguler les dépenses ou faire des économies. Nous ne sommes pas obligés de tout attendre du contrat responsable. Depuis longtemps, les organismes complémentaires solvabilisent largement le marché de l'optique en France, en dehors des obligations du contrat responsable, bien au-delà du socle instauré par le 100 % santé. Au cours des décennies 2000 et 2010, les dépenses d'optique ont augmenté fortement en France, probablement nettement plus fortement que chez nos voisins européens, en étant très largement solvabilisées par les organismes complémentaires. Des plafonds ont été mis en place, mais les garanties restent généreuses. C'est le choix des complémentaires, mais elles ne peuvent pas imputer leur politique au contrat responsable, qui peut être aussi une politique d'attractivité vis-à-vis de leurs assurés. Le contrat responsable pourrait certes être aménagé. D'autres mesures pourraient relever des complémentaires elles-mêmes. Sur le contrat responsable, je leur ai proposé que nous puissions en discuter, y travailler dans les prochains mois pour identifier des pistes. Lorsque j'échange avec les complémentaires sur le fait de mener une réflexion sur les différentes pistes face à la hausse du coût de la santé et des complémentaires pour les seniors, elles évoquent souvent le contrat responsable. Des propositions pourraient être étudiées dans les prochains mois sous cet angle afin de limiter le coût de la complémentaire pour les retraités.
Vous demandez comment caractériser la fraude du point de vue des organismes complémentaires. Nous ne sommes pas les mieux placés pour ce faire. Nous pouvons envisager que la fraude subie par les complémentaires est proche de la fraude que subit l'Assurance maladie obligatoire. Toutes les actions de détection, de contrôle et de sanction que mène l'Assurance maladie gagneraient à être davantage coordonnées avec les organismes complémentaires. Nous travaillons sur ce sujet avec l'Assurance maladie et avec les complémentaires. Nous espérons déboucher sur une proposition de mesure dans le cadre du PLFSS pour 2025.
Vous m'interrogez sur le tiers payant et le payeur unique. Cette demande de tiers payant coordonné n'est pas consensuelle parmi les professionnels de santé libéraux. Certains la portent, mais pas d'autres. À ce jour, cela n'a jamais été une orientation du ministère de la Santé que d'aller vers ce tiers payant coordonné. Nous continuons de souhaiter le déploiement le plus général possible du tiers payant, y compris sur la part complémentaire. Nous pouvons penser au dentaire. Avec le 100 % santé, les taux de tiers payant sont très élevés sur l'optique, mais ils restent encore insuffisants sur le dentaire. Le tiers payant coordonné n'est pas demandé par tous les professionnels de santé. Ceux-ci renvoient en revanche à la complexité du dispositif, mais les complémentaires estiment qu'ils ont construit des outils de gestion simples dans le cadre l'Inter-AMC. Nous ne pouvons qu'essayer d'enjoindre les uns et les autres à travailler ensemble pour améliorer les taux de tiers payant et déployer le tiers payant de la manière la plus large possible sur la part complémentaire. Il est compliqué d'imposer le tiers payant de façon générale aux professionnels de santé, tant qu'ils ne sont pas convaincus que, pour eux, ce n'est pas plus compliqué qu'un acte de remboursement quotidien.
M. Xavier Iacovelli, rapporteur. - Les professionnels de santé sont plutôt satisfaits du fonctionnement de la C2S et de l'AMO, mais ils rencontrent des difficultés vis-à-vis de l'AMC. Les remboursements des organismes complémentaires tardent, il y a des rejets de dossiers... Des efforts sont nécessaires.
M. Franck von Lennep. - C'est ce que nous répétons dans nos échanges avec les complémentaires. Nous les enjoignons fortement à améliorer le taux de tiers payant et à simplifier leur offre. J'ignore cependant le niveau de fiabilité de leurs systèmes. Nous aimerions que les complémentaires partagent avec nous leurs indicateurs sur la qualité de leur dispositif.
Mme Marie-Claire Carrère-Gée, présidente. - Il pourrait être intéressant de définir des indicateurs sur le fonctionnement du tiers payant, par exemple le taux de rejet, pour apprécier l'efficacité du dispositif. Il semble qu'il existe des marges de progression en matière de logiciel.
M. Franck von Lennep. - Les complémentaires nous indiquent être volontaires pour s'inscrire dans un processus transparent, tout en expliquant qu'elles ne peuvent pas tout pour déployer les solutions adaptées. Mes interlocuteurs dans les complémentaires m'expliquent que leur offre est de qualité.
Mme Marie-Claire Carrère-Gée, présidente. - Les professionnels réticents à pratiquer le tiers payant doivent bénéficier de systèmes fluides.
M. Franck von Lennep. - Il faut des systèmes automatisés très simples, comme ceux qu'utilisent les pharmaciens et les opticiens. Mais la situation n'est pas la même pour le médecin ou le professionnel seul dans son cabinet. Les complémentaires n'ont pas encore réussi à convaincre tous les professionnels de santé de la simplicité de leur offre.
Mme Émilienne Poumirol. - Vous indiquez que les complémentaires expliquent l'augmentation de leurs tarifs par des décisions gouvernementales, ce qui n'est pas le cas, à l'évidence. Nous en sommes tous convaincus. Vous n'avez pas la possibilité de contrôler les augmentations annoncées par les complémentaires, mais quelle est l'autorité qui pourrait fixer des limites en la matière ? Dans son ensemble, la santé représente une dépense extrêmement importante et fondamentale, qui ne relève pas du commerce. Qui pourrait jouer ce rôle de contrôle du tarif des complémentaires ?
M. Franck von Lennep. - Si un organisme est déficitaire et n'atteint pas son ratio de solvabilité, l'autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) va lui imposer de prendre des mesures pour retrouver une bonne solvabilité. Or parmi ces mesures figurent des hausses tarifaires.
Comment encadrer ces hausses de tarifs ? Nous constatons des milliers de hausses tarifaires chaque année. Les complémentaires de bonne taille souscrivent des milliers de contrats différents. Même au sein de contrats collectifs, il existe des contrats « sur mesure » parallèlement aux contrats « standards ». De plus, en individuel, du fait des refontes des nouvelles offres, alors que les anciens contrats demeurent, avec l'accumulation du temps, plusieurs dizaines ou centaines de types de contrats peuvent coexister. Il est donc très difficile de tout normer, alors que tous ces contrats répondent à des problématiques différentes, avec des offres, des cibles, des populations couvertes qui sont différentes et, évidemment, des garanties elles aussi très différentes.
Comment encadrer davantage ? Il est parfois proposé de définir un ou quelques contrats de référence, plutôt en individuel, avec un tarif normé, dont les hausses annuelles seraient encadrées. Il ne s'agit pas là d'une proposition de la sécurité sociale, que nous n'avons de ce fait jamais analysée du point de vue juridique. Nous n'avons pas non plus du tout instruit la manière dont ce tarif serait fixé. Les tarifs ne sont pas forcément les mêmes partout sur le territoire, parce que le recours aux soins et leur coût ne sont pas les mêmes. Si le tarif était unique, le contrat deviendrait déficitaire pour certaines complémentaires. Il faudrait ensuite compenser ces pertes avec un dispositif de mutualisation.
Mme Marie-Claire Carrère-Gée, présidente. - Oui, il s'agirait d'un dispositif de mutualisation spécifique à ces contrats. Effectivement, de nombreux paramètres doivent être pris en compte, mais l'objectif consiste en une gestion à l'équilibre de ces contrats de référence de base, indépendamment du lieu de résidence de l'assuré ou de son âge. S'agissant de la préservation de la liberté d'entreprendre, peut-être pourrait-on inscrire dans la loi que toute activité d'assurance santé pour les personnes doit proposer cette offre, qui serait lisible et simple, pour bénéficier de tel avantage fiscal.
M. Franck von Lennep. - Pourquoi ne pas envisager effectivement une obligation de proposer une telle offre. Cependant, la question de la tarification se pose ensuite. Cela nécessiterait de rembourser les dépenses de certaines complémentaires en ponctionnant les autres.
Mme Marie-Claire Carrère-Gée, présidente. - Il s'agirait d'une sorte de régime commun, faisant intervenir l'ensemble des complémentaires, dont elles assureraient ensemble la gestion pour qu'il soit tarifé à l'équilibre.
M. Franck von Lennep. - Dans un tel contrat, la complémentaire ne serait jamais perdante. On peut se référer à la C2S, qui repose sur la mutualisation via la TSA. La complémentaire ne porte plus le risque dans ce système. La mutualisation que vous évoquez pourrait prendre la forme d'une taxe. Ensuite, les complémentaires déficitaires seraient remboursées. La C2S est un contrat normé, de qualité, mais pour lequel les complémentaires ne portent pas le risque et dont le tarif est encadré.
Mme Marie-Claire Carrère-Gée, présidente. - Nous pouvons citer l'article 4 de la loi Évin et l'article 7 de l'accord sur la protection sociale complémentaire (PSC) dans la fonction publique. Quelles autres pistes permettraient de limiter les écarts de coûts, qui iront croissant lors du passage à la retraite ?
M. Franck von Lennep. - Dans le schéma que nous venons d'évoquer, la dépense va augmenter également. Avec une tarification moyenne à l'âge, le contrat d'une personne de 80 ans restera coûteux, en l'absence d'aide publique, ce qui constitue d'ailleurs une différence avec la C2S. Pour ce dispositif, le tarif est plafonné à 30 euros par mois quel que soit l'âge.
Mme Marie-Claire Carrère-Gée, présidente. - Cette proposition de construire une complémentaire au sein de la sécurité sociale a-t-elle été étudiée ?
M. Franck von Lennep. - Il pourrait s'agir d'une complémentaire vraiment publique, qui proposerait des contrats tarifés au risque à l'ensemble de la population. Alors, elle induirait de vrais frais de gestion, qui seraient toutefois moindres que ceux des complémentaires privées car il n'y aurait pas de frais de publicité. Néanmoins, la tarification resterait identique dans cette complémentaire publique et dans une complémentaire privée, avec des coûts de gestion moins élevés. Par ailleurs, cela poserait de véritables questions juridiques, avec un acteur public en concurrence avec des acteurs privés soumis à des obligations prudentielles et au cadre de la comptabilité analytique.
M. Xavier Iacovelli, rapporteur. - Il ne lui serait donc pas possible de bénéficier de frais de gestion limités.
M. Franck von Lennep. - Cela me semble en effet compliqué. Les coûts de gestion pourraient être moindres, mais sur un contrat de 100 euros, les frais de gestion représentent 20 euros. Ces frais pourraient être portés à 10 euros, ce qui permettrait de vendre le contrat pour 90 euros, mais il faut cependant envisager une dérive par la suite, liée à l'augmentation des dépenses de santé et au vieillissement de la population. Le fonctionnement de la C2S est différent. Cette complémentaire santé publique est financée via une taxe, avec un bon panier de soins. Elle est aujourd'hui gérée de plus en plus par les CPAM et n'est pas tarifée au risque. Ce dispositif répond à un choix économique et politique.
Quelles sont les différentes pistes au sujet de la complémentaire des seniors ? Nous pouvons songer à un travail sur le contrat responsable et solidaire et sur des modalités de mutualisation entre actifs et retraités. Mais il faudrait que les actifs payent un peu plus cher si on veut que les retraités paient un peu moins cher. Une troisième piste possible consisterait en un travail sur la C2S et, par exemple, une réflexion sur des dispositifs dans lesquels on élargirait l'accès des retraités à ce dispositif. Aujourd'hui, le plafond de ressources est le même pour tous les bénéficiaires (autour de 1 800 euros). Lorsque vous dépassez ce plafond, la perte est beaucoup plus forte pour un retraité. Juridiquement, il ne nous semblerait pas impossible de prévoir un plafond plus élevé pour les retraités, du fait du coût plus élevé que représente pour eux la complémentaire et des restes à charge plus élevés. Il s'agit là de pistes de réflexion.
Mme Marie-Claire Carrère-Gée, présidente. - Merci de vous livrer à cet exercice théorique.
M. Bernard Fialaire. - Dans votre intervention, vous évoquez un développement du tiers payant. Le ticket modérateur aurait-il encore du sens dans ce contexte ? Le pouvoir d'achat des retraités sera-t-il amélioré avec le système que vous imaginez ? Pourquoi ne pas aller plus loin, vers la « Grande Sécu » ? On parle de complémentaire « publique » mais il me semble aberrant de réfléchir à réformer les organismes complémentaires.
M. Franck von Lennep. - Cette question de la « Grande Sécu » a été évoquée dans les travaux du HCAAM il y a deux ans. D'après votre raisonnement et le fonctionnement actuel du remboursement opéré par l'AMO et l'AMC, il est sûr que le ticket modérateur n'a aucun effet responsabilisant. L'avance de frais n'est sans doute pas responsabilisante en tant que telle, mais provoque du non-recours aux soins pour les plus modestes. Plus personne aujourd'hui ne présente le ticket modérateur comme un dispositif responsabilisant. Il s'agit simplement d'un partage de financement. Les travaux du HCAAM ont essayé de tracer de grandes familles de réflexion, avec notamment la « Grande Sécu » ou le décroisement de l'AMO et de l'AMC. Ce dernier n'est pas simple à envisager. Avec le 100 % santé, l'AMO et l'AMC sont intriquées. Un décroisement impliquerait de réformer le 100 % santé et de mettre ce dispositif totalement à la main des complémentaires. Dans cette perspective, le montant total de dépenses des complémentaires serait réduit par rapport à la situation actuelle. Si l'on pousse ce raisonnement, on aboutit à l'idée de la fin des complémentaires, l'AMO remboursant tous les soins et des assurances supplémentaires solvabilisant certaines dépenses. Les travaux du HCAAM ont montré que la moitié des 7 à 8 milliards d'euros de frais de gestion serait redistribuée en pouvoir d'achat aux assurés, soit 3,5 milliards d'euros de gains, au prix d'une modification drastique du financement des 30 milliards d'euros actuels de prestations, aujourd'hui financés par des cotisations des assurés et des employeurs et demain financés par des prélèvements obligatoires. À l'époque, le Gouvernement et le Président de la République n'ont donc pas repris ces réflexions, qui auraient également induit un énorme plan social dans le secteur des complémentaires santé et une hausse non négligeable de la CSG.
Ce scénario très théorique n'a pas été porté politiquement. Il s'agirait d'une réforme radicale, qui présenterait certes de forts avantages, mais également de réels inconvénients.
Mme Marie-Claire Carrère-Gée, présidente. - Dans le champ d'intervention des organismes complémentaires, certains actes non pris en charge par la sécurité sociale présentent un intérêt thérapeutique qui n'a pas toujours été reconnu par les autorités. Le seul fait qu'un assureur santé propose d'assurer certains actes ou pratiques, donne à ces derniers une crédibilité scientifique. Y a-t-il des réflexions sur ce périmètre ?
M. Franck von Lennep. - Ma réponse va être prudente. Cependant, il ne faut pas s'interdire, dans les travaux que nous allons mener avec les complémentaires sur le contrat responsable et solidaire, de nous pencher ce sujet. Aujourd'hui, les dépenses des complémentaires hors panier de soins, représentent un peu plus de 2 milliards d'euros (un peu plus de 1 milliard d'euros pour les chambres particulières, à l'hôpital ou dans les cliniques, et environ 1 milliard d'euros pour ces prestations qui ne sont pas prises en charge par l'Assurance maladie et qui correspondent à des médecines « douces » au sens large). Ces prestations bénéficient, dans le cadre des dépenses des complémentaires, des mêmes avantages fiscaux que les autres.
Mme Marie-Claire Carrère-Gée, présidente. - Pour les personnes qui souffrent de certaines pathologies, certaines prestations non remboursées peuvent être utiles.
M. Franck von Lennep. - Exactement. Nous pouvons également songer à certaines dépenses de prévention et à des dépenses assumées par les complémentaires sur la prise en charge de soins de psychologie. Certaines prestations hors panier de soins, financées par les complémentaires, peuvent être utiles dans certains cas et, un jour, rentrer dans le panier de soins. Il est délicat d'entrer dans cette question.
Mme Marie-Claire Carrère-Gée, présidente. - À ce propos, les enjeux financiers sont importants, mais pas majeurs.
M. Franck von Lennep. - Ils représentent quelques centaines de millions d'euros.
Mme Marie-Claire Carrère-Gée, présidente. - Merci beaucoup, Monsieur le Directeur, de vous être prêté à cet exercice. Merci chers collègues.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 19 h 05.
Mercredi 10 avril 2024
- Présidence de Marie-Claire Carrère-Gée, présidente -
La réunion est ouverte à 17 heures 30.
Audition de M. Patrick Heidmann, président du Régime local d'assurance maladie Alsace-Moselle et de Mme Anne-Céline Freiss, directrice adjointe
Mme Marie-Claire Carrère-Gée, présidente. - Nous accueillons, cet après-midi, M. Patrick Heidmann, président du Régime local d'assurance maladie Alsace-Moselle, et Mme Anne-Céline Freiss, directrice adjointe.
Je remercie M. Heidmann et Mme Freiss d'être venus jusqu'à nous pour cette audition. Celle-ci fait l'objet d'une captation vidéo, diffusée en direct sur le site du Sénat et accessible en différé, et donnera lieu à un compte rendu écrit.
Avant toute chose, je rappelle que notre mission, composée de vingt-trois sénateurs de tous les groupes politiques, a été créée sur l'initiative du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants (RDPI), auquel appartient notre rapporteur, Xavier Iacovelli. Notre rapport, assorti de recommandations, devrait être rendu public d'ici à l'été prochain.
Je précise que nous avons décidé d'inscrire nos travaux sur les complémentaires santé dans une perspective plus large que la question du pouvoir d'achat qui a inspiré la création de la mission d'information.
Notre mission d'information compte trois élus d'Alsace et de Moselle : MM. André Reichardt, Claude Kern et Khalifé Khalifé. Notre collègue André Reichardt a mis en avant, au cours de nos travaux, l'exemplarité de votre régime ; votre présence aujourd'hui est donc précieuse.
M. Xavier Iacovelli, rapporteur. - Je m'associe aux remerciements de Mme la présidente.
Le régime local a fait l'objet, en 2012, d'un rapport d'information de notre collègue Patricia Schillinger, présenté au nom de la commission des affaires sociales et adossé à une saisine de la Cour des comptes. Dans son rapport, notre collègue a estimé que le régime local méritait « d'être expliqué et analysé, car des enseignements peuvent en être intelligemment tirés pour le reste du pays ».
L'enquête de la Cour des comptes a conclu que la transposition de ce régime au reste de la France n'était « guère envisageable, car elle impliquerait une augmentation des cotisations sociales des seuls salariés de 1,6 %, dans un contexte où le pouvoir d'achat est déjà affecté par la crise économique, sans dispenser de recourir à une assurance complémentaire facultative ». La Cour des comptes a toutefois noté que l'exemple alsacien-mosellan de couverture complémentaire obligatoire gérée par les caisses du régime général pourrait « être utilisé pour réfléchir à une meilleure articulation entre assurance maladie obligatoire et assurance maladie complémentaire. » Qu'en pensez-vous ?
Pouvez-vous nous présenter les spécificités du régime local, ses modalités de gestion, ses prestations et sa situation financière ? À quelles conditions peut-on s'y affilier ?
Comment ses dépenses et ses ressources ont-elles évolué ? Quels sont, selon vous, les principaux avantages de ce système ?
Quels frais de santé ce régime couvre-t-il ? Quel est son taux de prise en charge ?
M. Patrick Heidmann, président du Régime local d'assurance maladie Alsace-Moselle. - Nous vous remercions de nous avoir invités à présenter le régime local d'assurance maladie, car il occupe une place importante dans la protection sociale des Alsaciens et des Mosellans.
Le régime local possède une multitude d'atouts. Il prouve qu'un régime complémentaire de sécurité sociale peut avoir un haut degré de solidarité et, dans le même temps, assurer une meilleure prise en charge des soins. Il est tout à fait possible de garantir à la fois un taux de restitution très efficace et un coût moindre.
Mme Anne-Céline Freiss, directrice adjointe du Régime local d'assurance maladie Alsace-Moselle. - Le régime local d'assurance maladie d'Alsace-Moselle est une spécificité liée à l'héritage de l'histoire allemande de nos trois départements, qui ont bénéficié, à l'époque, d'une plus grande couverture santé que les départements français. Depuis lors, les dispositions régissant le régime local d'assurance maladie ont été intégrées dans le code de la sécurité sociale.
Pour présenter les mesures simplement, le régime local concerne tous les salariés en activité, au chômage ou à la retraite, qui travaillent en Alsace-Moselle. Il est obligatoire dès lors que l'on travaille en Alsace-Moselle. Les salariés paient une cotisation. Il couvre également les ayants droit, qu'ils soient mineurs - les enfants sont couverts jusqu'à leurs 24 ans - ou majeurs, ainsi que les conjoints à charge. En revanche, les travailleurs indépendants ne sont pas concernés. Les fonctionnaires non plus (sauf les agents titulaires à temps non complet de la fonction publique territoriale).
Au total, on dénombre 2 millions de bénéficiaires, dont 1,6 million d'assurés et 474 000 ayants droit. Plus de la moitié des bénéficiaires sont des actifs et 23 % sont des retraités. Près de 63 % de la population d'Alsace-Moselle est bénéficiaire du régime local.
Il s'agit d'un régime complémentaire : il permet d'être mieux remboursé des soins de ville - consultations médicales, transport, etc. - et des soins hospitaliers - le ticket modérateur et le forfait journalier hospitalier. Ainsi, les soins à l'hôpital sont gratuits. Les dépenses de santé s'élèvent, en moyenne, à 241 euros par personne en 2022. Le régime local n'intervient que dans la limite de 90 % des tarifs de la sécurité sociale - les dépassements d'honoraires ne sont pas pris en charge.
Mme Marie-Claire Carrère-Gée, présidente. - Le ticket modérateur est-il limité aux soins de ville ?
Mme Anne-Céline Freiss. - Oui. Les soins hospitaliers sont, quant à eux, totalement pris en charge.
Au total, le régime général rembourse 70 % d'une consultation médicale, le régime local 20 %, et 10 %, qui correspondent au ticket modérateur, restent à la charge du patient.
M. Patrick Heidmann. - Le transport est également pris en charge à 100 %, malgré l'avenant à la convention nationale des transporteurs sanitaires privés.
Mme Anne-Céline Freiss. - Le régime local est financé par une cotisation obligatoire, qui est proportionnelle aux revenus de chacun : plus on gagne, plus on cotise.
Les retraités et les chômeurs peuvent être exonérés de cette cotisation. Les seuils d'exonération sont les mêmes que ceux qui sont appliqués à la contribution sociale généralisée (CSG). Aujourd'hui, 23 % des retraités en sont exonérés, mais ils bénéficient tout de même du régime local.
Pour le dire simplement, avec le régime local, chacun cotise selon ses moyens et reçoit selon ses besoins. La solidarité est un principe fondamental du régime local ; elle est à la fois interprofessionnelle et intergénérationnelle. Le régime local est structurellement solidaire envers les chômeurs, les retraités, les personnes aux ressources faibles et les familles. Il couvre aussi les conjoints et les enfants à charge, jusqu'à leur vingt-quatrième anniversaire.
M. Xavier Iacovelli, rapporteur. - Si l'on a fait sa carrière à Paris et que l'on décide de partir à Strasbourg pour sa retraite, pourra-t-on bénéficier du régime local ?
M. Patrick Heidmann. - Pour bénéficier du régime local, il faut exercer une activité professionnelle en Alsace-Moselle. L'entreprise ne doit pas obligatoirement être implantée en Alsace-Moselle, mais il faut que le contrat de travail du salarié soit conclu en Alsace-Moselle. Par exemple, un étudiant qui a une activité salariée et qui cotise à ce titre bénéficiera du régime local. Aujourd'hui, 54 % des étudiants sont couverts par le régime local rien qu'en exerçant une activité salariée.
Mme Marie-Claire Carrère-Gée, présidente. - Quel est le niveau du taux de cotisation ?
M. Patrick Heidmann. - Il est aujourd'hui de 1,3 % du salaire brut total.
Mme Marie-Claire Carrère-Gée, présidente. - Et il est à la charge du salarié, n'est-ce pas ?
M. Patrick Heidmann. - Oui, c'est une spécificité : il n'y a pas de contribution employeur. Il y a un meilleur remboursement du régime local, car il couvre les soins de ville à 90 % et les soins hospitaliers à 100 %.
Aussi, si l'on souscrit à une complémentaire santé, celle-ci sera moins chère, de 40 % environ.
M. Xavier Iacovelli, rapporteur. - Si elle le permet...
M. Patrick Heidmann. - Elle le permettra toujours : c'est mécanique.
M. Xavier Iacovelli, rapporteur. - Cela signifie donc que les complémentaires santé qui interviennent en plus du régime général et du régime local proposent des contrats spécifiques aux salariés d'Alsace-Moselle.
M. Patrick Heidmann. - En 2016, le régime local a souhaité élargir la surface de sa prise en charge au panier de soins minimal prévu par l'accord national interprofessionnel (ANI), ce qui aurait considérablement simplifié la gestion de la complémentaire santé pour les entreprises comme pour les salariés. Cela ne s'est pas fait, pour plusieurs raisons, mais je n'entrerai pas dans le détail.
En Alsace-Moselle, le système de protection sociale est une « fusée à trois étages » : le régime général, le régime local et la complémentaire santé, dont le coût est de 40 % moins élevé que dans le reste de la France.
Dans le cadre du déploiement de la complémentaire santé, il est désormais obligatoire de tenir compte de la spécificité du régime local d'assurance maladie et de proposer des tarifs spécifiques de complémentaire santé pour les personnes bénéficiant de ce régime. Nous constatons malheureusement que cette obligation n'est pas toujours respectée en pratique, ce que nous regrettons, car cela peut avoir une incidence sur le pouvoir d'achat des ressortissants.
Mme Anne-Céline Freiss. - Le taux de cotisation, en baisse, est passé de 1,6 % en 2012 à 1,3 % en 2022. Il n'y a pas de cotisations patronales.
Le code de la sécurité sociale impose au régime local d'être à l'équilibre. Sa gestion et son fonctionnement sont obligatoirement transparents et publics. Son conseil d'administration prend toutes les décisions nécessaires pour assurer cet équilibre.
Sur 100 euros de cotisations encaissés, 99 euros sont redistribués, parce que les frais de gestion sont inférieurs à 1 %.
M. Xavier Iacovelli, rapporteur. - Comment est-ce possible ?
Mme Anne-Céline Freiss. - C'est possible parce que le régime local, qui fait partie intégrante de la sécurité sociale, se greffe sur le régime général. Aussi, ce sont les agents des caisses primaires d'assurance maladie (CPAM) qui affilient les assurés et qui versent les prestations. Concrètement, vous présentez votre carte Vitale, et, au lieu d'être remboursé à hauteur de 70 %, vous l'êtes à hauteur de 90 %.
En Alsace-Moselle uniquement, la caisse d'assurance retraite et de santé au travail (Carsat) instruit les droits au régime local au moment du passage à la retraite ; elle précompte ensuite les cotisations sur les pensions de retraite pour les salariés qui ne sont pas exonérés.
Les Urssaf prélèvent les cotisations sur les salaires, les pensions et tous les autres revenus de remplacement. Nous sommes en quelque sorte adossés au régime général.
M. Xavier Iacovelli, rapporteur. - En réalité, il n'y a pas de frais de gestion, car il n'y a pas de gestion...
Mme Anne-Céline Freiss. - Notre équipe se compose de sept agents.
M. Patrick Heidmann. - Nos frais de gestion sont liés aux conventions d'objectifs et de gestion (COG) signées avec les différents organismes partenaires.
Le régime local est géré par la sécurité sociale. Aussi, la carte Vitale fait office de tiers payant : les bénéficiaires se font rembourser sur la base des taux du régime local, et non seulement de ceux du régime général. Cela facilite l'accès aux soins et assure la solvabilisation des assurés.
Mme Marie-Claire Carrère-Gée, présidente. - Au point de vue du droit européen, quelle est la nature de ce régime ?
M. Patrick Heidmann. - Il s'agit d'un régime obligatoire, et non d'un régime complémentaire facultatif. Il relève donc pleinement du code de la sécurité sociale, si bien que toute modification implique l'intervention du législateur.
Nous devons prouver aux pouvoirs publics que nous disposons des ressources pour financer nos dispositifs de couverture, à l'instar du rattachement des agents à temps non complet de la fonction publique territoriale.
Mme Marie-Claire Carrère-Gée, présidente. - Quid du régime prudentiel ?
M. Patrick Heidmann. - Nous devons avoir au minimum 8 % de prestations de réserves, mais, rassurez-vous, nous en avons largement assez. Du reste, le taux de cotisation a été baissé, car nous accumulions des excédents à chaque exercice. Nous sommes là pour assurer un service optimum au coût le plus juste possible - c'est l'un des fils conducteurs du conseil d'administration.
Je préside le conseil d'administration du régime local depuis 2022. Sa gouvernance et sa composition sont singulières : il est pleinement représentatif de la population couverte par le régime local. Il se compose des représentants des cotisants et des bénéficiaires, dont des usagers du régime, tous désignés par les organisations syndicales représentatives. Un représentant de la Mutualité française y siège également.
La directrice du régime local est responsable d'une équipe de sept agents. Leur mission est d'assurer l'activité du régime au quotidien et d'apporter leur expertise au conseil d'administration, particulièrement sur la question de la prévention et de l'action sanitaire et sociale.
Le conseil d'administration agit dans le cadre fixé par le code de la sécurité sociale. C'est un cadre spécifique et élargi qui lui attribue des compétences étendues sur ses ressources et ses dépenses. Toutes ses décisions sont soumises au contrôle de légalité de l'État, lequel est assuré par la mission nationale de contrôle et d'audit des organismes de sécurité sociale (MNC).
Le conseil d'administration a pour mission de gouverner le régime en garantissant le meilleur niveau de prise en charge et en assurant son équilibre.
Le conseil d'administration est également très attaché à renforcer l'accès aux soins de ses assurés. Il a décidé d'ouvrir des droits à de nouvelles prestations en 2023, avec des prises en charge étendues dans le dentaire, les transports sanitaires et la télésurveillance médicale. Dans le même temps, il s'est engagé à ne pas augmenter les cotisations. L'objectif est bien de créer de nouveaux droits sans entamer le pouvoir d'achat des familles et des retraités, et donc d'éviter le renoncement aux soins. Grâce à ces nouvelles dispositions, ce sont près de 100 millions d'euros, en année pleine, qui sont restés dans la poche de nos assurés.
Le conseil d'administration du régime local décide aussi de financer des actions de santé publique. Il est particulièrement engagé dans la prévention sur les thématiques qu'il a identifiées comme étant prioritaires sur le territoire d'Alsace-Moselle, notamment les cancers, les maladies cardiovasculaires, la santé mentale et, depuis douze ans, l'activité physique et le sport-santé.
Une modification du code de la sécurité sociale entrée en vigueur cette année lui permet d'allouer davantage de moyens à des actions ciblées de prévention.
Le régime local est particulièrement proche de ses bénéficiaires et ancré sur son territoire. Il bénéficie d'une notoriété incontestée auprès de l'ensemble du monde socio-économique et du monde sanitaire et social. Il participe aux instances de démocratie sanitaire à l'agence régionale de santé (ARS) Grand Est, aux contrats locaux de santé ou encore au conseil économique, social et environnemental régional (Ceser).
Le régime local contribue à préserver le pouvoir d'achat de ses assurés en de très nombreux points. Les seuls frais de gestion qui pèsent sur les assurés sont minimes, puisqu'ils sont inférieurs à 1 %. Le régime local renforce l'accès aux soins, en remboursant davantage les soins de ville et les soins hospitaliers que le régime général. Il permet à toute la population d'accéder à des actions de prévention gratuites, quelle qu'en soit l'origine ou quelle que soit la couverture par la sécurité sociale.
En 2023, nous avons financé des actions à hauteur de 2,3 millions d'euros, en lien avec nos partenaires locaux. En 2024, nous avons prévu de porter cette enveloppe à 5 millions d'euros. Ces sommes circulent dans l'économie de santé locale. En raison de son taux de cotisation unique et des modalités d'exonération, le régime local profite particulièrement aux salariés, aux assurés aux revenus les plus modestes, aux familles et aux retraités. Être affilié au régime local permet de bénéficier par ailleurs d'un tarif de complémentaire santé qui doit, en principe, être minoré compte tenu du haut niveau de prestations déjà offert par le régime local.
Or, comme nous l'avons déjà dit, le régime local n'a pas la certitude que tous les organismes complémentaires jouent le jeu. Certains ne modulent pas le taux de cotisation pour les bénéficiaires du régime local, voire augmentent leurs tarifs. Sur ce point, la loi pourrait obliger les organismes complémentaires à minorer leur cotisation à due proportion. Par exemple, le transfert de la prise en charge des soins dentaires du régime général vers les complémentaires santé s'est accompagné d'une hausse des tarifs des complémentaires santé, alors que le régime local a décidé de prendre en charge ce transfert.
Mme Marie-Claire Carrère-Gée, présidente. - Y a-t-il des mutuelles locales ?
M. Patrick Heidmann. - Le régime local couvre les deux tiers de la population d'Alsace-Moselle. Certaines complémentaires santé ont des ancrages plus locaux ; elles s'adaptent au mieux. Toutes les complémentaires santé sont présentes sur notre territoire.
Mme Marie-Claire Carrère-Gée, présidente. - Quelle est la proportion de bénéficiaires du régime local ayant souscrit à une complémentaire santé ?
M. Patrick Heidmann. - Faute d'avoir des chiffres précis, nous nous appuyons sur ceux de la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees), qui indique que 96 % de la population a souscrit à une complémentaire santé.
Mme Marie-Claire Carrère-Gée, présidente. - Comme à l'échelle nationale...
M. Patrick Heidmann. - Oui, 96 %, c'est la proportion nationale ; il n'y a pas d'études à l'échelle locale.
Mme Marie-Claire Carrère-Gée, présidente. - On peut imaginer que certains, notamment les jeunes actifs, ne souscrivent pas à une complémentaire, car le reste à charge se compose presque uniquement des dépassements d'honoraires.
Mme Anne-Céline Freiss. - Une grande majorité de la population a souscrit à une complémentaire santé. C'est obligatoire, même si le régime local est un motif de dispense de la complémentaire santé en entreprise. On peut en effet être dispensé de celle-ci si l'on fait valoir le rattachement à un régime local.
Dans certaines localités, les dépassements d'honoraires sont très importants ; cela peut donc valoir le coût de souscrire à une complémentaire santé.
Le régime local permet de minorer la cotisation, mais il n'est pas certain que cette minoration de tarif soit à due proportion de l'apport du régime local.
M. Patrick Heidmann. - En moyenne, la complémentaire santé devrait être de 40 % moins chère.
M. Xavier Iacovelli, rapporteur. - Elle devrait, ou elle l'est ?
M. Patrick Heidmann. - Elle devrait. Dans les faits, ce n'est pas toujours le cas.
Dans les contrats collectifs, il faut prendre en compte deux aspects. Il y a d'abord une partie liée aux entreprises, qui fait l'objet d'une négociation. L'union nationale des organismes complémentaires d'assurance maladie (Unocam) a dû vous l'expliquer. Il y a ensuite le contrat individuel, qui concerne principalement les personnes sans emploi ou retraitées.
Les complémentaires jouent plus ou moins bien le jeu s'agissant des contrats individuels. En revanche, pour les contrats collectifs, ce n'est pas systématique.
M. Xavier Iacovelli, rapporteur. - Et, comme les complémentaires sont déficitaires pour les contrats collectifs, elles se rattrapent sur les contrats individuels ?
M. Patrick Heidmann. - Je ne puis vous le confirmer.
M. Xavier Iacovelli, rapporteur. - Quels paramètres du régime local pourraient être généralisés ?
M. Patrick Heidmann. - Le régime local peut être généralisé, mais il s'agit d'une question compliquée, qui doit être débattue avec l'ensemble des acteurs et des partenaires sociaux. Le rapport du Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance maladie (HCAAM) a proposé de généraliser certains d'entre eux.
L'Alsace-Moselle a l'histoire pour elle ! Le régime local est un système reconnu par le monde politique, syndical et patronal ; il est incontesté.
Nous couvrons 30 % à 40 % du personnel de la fonction publique, les contractuels et les contrats « exotiques », si je puis dire, à savoir les agents publics sous contrat de droit privé. La question de couvrir l'ensemble de la fonction publique peut se poser ; le conseil d'administration réfléchit déjà aux conséquences juridiques, techniques, et financières d'un tel changement.
C'est le conseil d'administration qui décide des recettes et des dépenses. Par exemple, le régime général a ramené son taux de prise en charge de 70 % à 60 % pour les soins dentaires, mais le régime local n'était pas obligé de prendre en charge les conséquences de cette diminution. Nous avons décidé de le faire, comme je l'ai dit, mais cela implique entre 27 millions et 30 millions d'euros de charges supplémentaires pour le régime.
Le régime local, par sa gouvernance, est souple. Par exemple, il n'est pas obligé d'attendre un an pour augmenter son taux de cotisation : il peut le faire d'un trimestre à l'autre, après réunion du conseil d'administration. Il a toute latitude pour prendre ce genre de décision, dans une logique de solidarité et de renforcement de la prise en charge et de l'accès aux soins. Les actions de prévention, qui représentaient 0,5 % du montant des prestations en 2023, peuvent désormais en représenter jusqu'à 3 %.
M. Bernard Fialaire. - Pour couvrir 100 % des dépenses liées aux soins de ville, de combien devrait augmenter la cotisation ?
Mme Anne-Céline Freiss. - Le code de la sécurité sociale ne nous permet pas de les couvrir au-delà de 90 %.
M. Bernard Fialaire. - Faisons l'hypothèse...
M. Patrick Heidmann. - Je dirais, après un calcul rapide : environ 0,1 %.
Le taux de cotisation est passé de 1,5 % à 1,3 %. Nous avons fait l'impasse sur 64 millions d'euros en année pleine. Nous dépensons 360 millions d'euros pour les soins de ville. Il faut donc ajouter 10 % à ce montant. On obtient 36 millions d'euros, soit une augmentation hypothétique du taux de cotisation de 0,1 %.
Mme Marie-Claire Carrère-Gée, présidente. - Il ne reste plus que les dépassements d'honoraires.
M. Patrick Heidmann. - Nous avons l'obligation de maintenir un ticket modérateur, quel que soit le soin de ville assuré.
M. André Reichardt. - En complément, je rappellerai l'impossibilité d'étendre le régime local d'assurance maladie au panier de soins de l'ANI, en raison de la décision du Conseil constitutionnel Société Somodia, comme l'ont rappelé les travaux d'une mission de parlementaires consacrée à cette question et à laquelle j'ai participé.
Le Conseil constitutionnel érige le droit local au rang de principe fondamental reconnu par les lois de la République, mais il précise également que le droit local ne peut évoluer dans un autre sens que celui du rapprochement avec le droit national. Comptez sur la haute fonction publique d'État pour veiller à la bonne application de cette décision !
Mme Marie-Claire Carrère-Gée, présidente. - Il y a un Parlement !
M. André Reichardt. - Pour aller à l'encontre de cette décision, il faudrait déposer une proposition de loi, car le Gouvernement, qui suit la haute administration, ne déposera jamais de projet de loi en ce sens.
Les gouvernements successifs - mon propos n'est pas de nature partisane - ont toujours considéré que la décision Société Somodia devait être appliquée ainsi. Le président de l'Institut du droit local alsacien-mosellan, Jean-Marie Woehrling, conteste cette application rigoureuse de la décision du Conseil constitutionnel.
M. Patrick Heidmann. - On a souhaité couvrir totalement le panier de soins de l'ANI parce que le régime local en assurait déjà 70 % ; cela ne coûtait donc pas grand-chose de porter cette couverture à 100 % !
Cela aurait eu comme conséquence une amélioration non négligeable de l'accès aux soins. Cela aurait également évité des frais de gestions aux entreprises et des dépenses pour les salariés, car il n'y avait pas d'obligation de souscrire à une complémentaire santé d'entreprise à l'époque.
Mme Marie-Claire Carrère-Gée, présidente. - Je réfléchis à haute voix : si la sécurité sociale prenait en charge ce périmètre, elle ne pourrait pas le faire uniquement pour les salariés. Pour être affilié à la sécurité sociale, les conditions sont beaucoup plus souples et ne sont pas liées au fait d'avoir cotisé...
Mme Anne-Céline Freiss. - L'esprit de la décision Société Somodia est de ne pas accroître les inégalités entre l'Alsace-Moselle et le reste de la France, mais il faut bien rappeler que l'on finance le régime local, il n'est pas gratuit ! Dans la mesure où il y aurait une cotisation complémentaire, il ne s'agit pas d'offrir un avantage.
M. Patrick Heidmann. - Je le redis, en Alsace-Moselle, nous avons une fusée à trois étages, contre deux étages dans le reste du pays, pour une couverture du même panier de soins. Simplement, il y a un acteur supplémentaire : le régime local. Cela ne crée pas d'inégalités de prise en charge, mais un système qui rend un service optimal.
Autre exemple qui découle de la logique de la décision Société Somodia : l'État négocie avec les partenaires sociaux un panier de soins, un taux de cotisation, une participation financière, etc., mais il ne dit pas qui doit honorer ce panier de soins. Le régime local souhaite être un acteur de la couverture sociale des salariés. Il ne crée pas d'inégalités, mais au contraire, une équité de traitement. Seule la façon d'assurer ce droit est différente.
M. Xavier Iacovelli, rapporteur. - Le système alsacien-mosellan - la fusée à trois étages - est-il plus avantageux pour le pouvoir d'achat que le système applicable dans le reste du territoire - la fusée à deux étages ?
Mme Anne-Céline Freiss. - Le régime local est intéressant pour le pouvoir d'achat des personnes retraitées, pour les familles nombreuses et pour les personnes aux revenus les plus modestes. Quant au jeune cadre dynamique qui perçoit un très haut salaire, il sera content de bénéficier du régime local au moment de la retraite...
M. Claude Kern. - C'est l'esprit de solidarité !
M. Patrick Heidmann. - Exactement !
Il faut aussi bien préciser un point : la cotisation du salarié, qui est de 1,3 % du salaire brut, couvre le salarié, son conjoint s'il n'a pas d'activité professionnelle, et tous les enfants jusqu'à leur vingt-quatrième anniversaire, quelle que soit la composition familiale. Cette cotisation est prélevée sur la fiche de paie du salarié.
C'est bien différent de ce que vous trouvez dans d'autres systèmes. Il s'agit d'une solidarité à la fois intergénérationnelle, interprofessionnelle et intrafamiliale.
M. Xavier Iacovelli, rapporteur. - On comprend l'intérêt : les salariés ne connaissent pas de gap au moment du passage à la retraite.
M. Patrick Heidmann. - Lorsque les salariés partent à la retraite, comme dans le reste de la France, la participation de l'employeur disparaît. Cela crée une différence significative dans les cotisations versées aux complémentaires : la cotisation est multipliée par quatre à la retraite.
Toutefois, les assurés d'un régime local, qu'ils soient actifs ou retraités, restent redevables auprès du régime d'une cotisation au taux de : 3 % de leurs revenus. Pour la plupart des retraités, le montant de la cotisation en euros diminue donc avec leur revenu lors du passage à la retraite. Cela limite l'effort supplémentaire demandé aux seniors pour la couverture de leurs frais de santé.
M. Xavier Iacovelli, rapporteur. - Le gap est moins important que dans le régime général, où l'on perd les 50 % de prise en charge de l'employeur, et où la cotisation à la complémentaire augmente lors du passage à la retraite, dans la mesure où l'employeur ne participe pas au financement de la cotisation au régime local et où le taux de cotisation reste le même.
M. Patrick Heidmann. - Vous avez bien compris.
Mme Marie-Claire Carrère-Gée, présidente. - Les salaires brut moyens sont plus élevés dans vos départements. Si l'on prend le salaire brut moyen français, c'est-à-dire autour de 3 500 euros par mois, avec un taux de cotisation de 1,3 %, les cotisations s'élèvent à 30-40 euros par mois en moyenne.
M. Patrick Heidmann. - Au moment du départ en retraite, il y a une mutualisation complète du système entre les actifs et les retraités. C'est un système très efficace et solidaire. C'est également un fil conducteur des décisions prises par le conseil d'administration.
Mme Marie-Claire Carrère-Gée, présidente. - Votre système couvre environ la moitié des frais non remboursés par le régime de base, et mutualise complètement entre retraités et salariés, ainsi qu'avec leurs ayants droit. Pourriez-vous préciser le nombre d'années de cotisations requis pour bénéficier de cette couverture ?
Mme Anne-Céline Freiss. - Au moment du départ à la retraite, le régime local est obligatoire si l'assuré a relevé du régime local pendant les cinq dernières années de sa carrière ou pendant dix ans durant les quinze dernières années, et si l'assuré a été affilié au régime général des salariés pendant la plus longue durée de sa carrière.
Si l'on a cotisé au moins soixante trimestres au cours de sa carrière, le régime est facultatif et, au moment de partir à la retraite, on dispose d'un an pour opter.
Mme Marie-Claire Carrère-Gée, présidente. - Et le chômage ?
M. Patrick Heidmann. - Ceux qui bénéficient des allocations chômage continuent à bénéficier du régime local. La question de la portabilité des droits ne se pose pas.
Mme Marie-Claire Carrère-Gée, présidente. - Le régime local ouvre donc des droits, même à ceux qui n'ont pas effectivement cotisé.
M. Patrick Heidmann. - S'ils étaient exonérés, ils continuent à en bénéficier.
M. André Reichardt. - Il est possible de travailler dans une entreprise en étant exonéré de l'obligation de souscrire à la complémentaire santé de son employeur du fait de l'affiliation au régime local. Il manque seulement le dernier étage, c'est-à-dire l'AMC. En conséquence, beaucoup de salariés sont attachés à ce système.
Les complémentaires ont des frais de gestion importants. L'intérêt de la demande qu'avait formulée le prédécesseur de Patrick Heidmann était de supprimer ces frais de gestion en confiant cette responsabilité à une instance centrale. À l'époque, l'adhésion à une complémentaire n'était pas obligatoire en entreprise, contrairement à aujourd'hui. Les entreprises ont donc été contraintes de répercuter ces coûts, ce qui a posé problème, notamment dans le secteur artisanal, où les chefs d'entreprises nageaient - passez-moi l'expression - « en brasse coulée ».
De fait, les chefs d'entreprise ont souvent d'autres préoccupations que la paperasserie... Ils étaient donc souvent dépassés par ces tâches administratives et devaient faire appel à des tiers, ce qui entraînait des frais de gestion supplémentaires.
Il est regrettable que l'instance locale n'ait pas pu aller aussi loin que souhaité à l'époque, car cela aurait permis une simplification considérable, comme l'a souligné Patrick Heidmann.
Mme Marie-Claire Carrère-Gée, présidente. - Qu'est-ce que « l'instance locale » ?
M. André Reichardt. - L'instance locale désigne le conseil d'administration, composé des organisations de salariés, notamment les syndicats.
M. Patrick Heidmann. - Les membres du conseil d'administration étaient favorables à l'extension du panier de soins de l'ANI. Nous avions chiffré cette extension, et nous avions clairement indiqué son coût, ainsi que les possibilités d'évolution pour le couvrir.
Cette extension était particulièrement importante pour les petites entreprises et les artisans, qui ne disposent pas des mêmes ressources que les grandes entreprises de plus de cent salariés. La mise en place de la complémentaire santé obligatoire dans les entreprises a entraîné des surcoûts significatifs, comprenant, selon les contrats les prestations, les frais de gestion et les taxes.
Par exemple, la prise en charge des soins dentaires coûte entre 28 millions et 30 millions d'euros au régime local, mais, pour une complémentaire, cela coûterait bien plus, car il faudrait y ajouter les frais de gestion et les taxes. Imaginez le montant ! C'est pourquoi j'ai souligné que nous avions réussi à préserver jusqu'à 100 millions d'euros annuels de pouvoir d'achat pour les salariés et leurs familles en Alsace-Moselle.
M. André Reichardt. - J'insiste sur la simplification. Il suffit de présenter sa carte Vitale ; il n'y a pas besoin de présenter de carte de mutuelle.
L'idée de la surcomplémentaire assurée par l'instance locale est géniale. Malheureusement, cela n'a pas fonctionné comme prévu. Peut-être que, dans le cadre d'un texte sur la différenciation, nous avancerons sur cette question.
M. Claude Kern. - On essaye toujours de tuer ce qui marche !
M. André Reichardt. - Quel est le montant de l'excédent du régime ?
M. Patrick Heidmann. - L'excédent d'exploitation s'élève à 19 millions d'euros en 2022. En 2023, l'excédent prévisionnel d'exploitation est de 1,2 million d'euros et de 9,3 millions après affectation des produits financiers.
D'ailleurs, nous demandons à avoir accès aux mêmes possibilités de gestion financière qu'un organisme de sécurité sociale, que l'Agirc-Arrco ou que les établissements publics. Nous faisons de la gestion de père de famille. Nos produits financiers représentent 4 % de notre bilan. Cela permettrait d'améliorer le résultat du régime. Nos possibilités de placements financiers sont encore limitées.
En 2024, notre déficit prévisionnel est de 17 millions d'euros. Nous l'avons fait intentionnellement.
M. Xavier Iacovelli, rapporteur. - Pourquoi ?
M. Patrick Heidmann. - Nous l'avons fait pour réduire l'accumulation de nos réserves.
M. André Reichardt. - Quel est le montant des réserves ?
M. Patrick Heidmann. - Nous disposons de neuf mois de prestations en réserve, soit largement au-dessus de ce qui est imposé par la loi. Nous considérons que six mois de réserves suffiraient.
Mme Marie-Claire Carrère-Gée, présidente. - Si je ne m'abuse, les Alsaciens-Mosellans ne sont pas soumis à la taxe de solidarité additionnelle (TSA).
M. Patrick Heidmann. - En effet, la cotisation du régime local n'est pas soumise à la TSA.
Mme Marie-Claire Carrère-Gée, présidente. - Cette différenciation ne doit pas être pour vous déplaire...
M. Patrick Heidmann. - C'est lié à la particularité de notre statut...
Mme Marie-Claire Carrère-Gée, présidente. - Je vous remercie.
La réunion est close à 18 h 45.