- Mardi 21 mai 2024
- Mercredi 22 mai 2024
- Projet de loi d'orientation pour la souveraineté en matière agricole et de renouvellement des générations en agriculture - Articles relatifs à l'enseignement agricole - Audition de MM. Laurent Buisson, directeur général de l'Institut national des sciences et industries du vivant et de l'environnement (AgroParisTech), Michel Dantin, président du Conseil national de l'enseignement agricole privé, et Roland Grimault, directeur de l'Union nationale des maisons familiales et rurales
- Mission d'information sur l'intervention des fonds d'investissement dans le football professionnel français - Audition de M. Jaume Rourès, fondateur et ancien président de Mediapro
- Jeudi 23 mai 2024
- Mission d'information sur l'intervention des fonds d'investissement dans le football professionnel français - Audition de M. Jean-Marc Mickeler, président de la Direction nationale du contrôle de gestion (DNCG)
- Mission d'information sur l'intervention des fonds d'investissement dans le football professionnel français - Audition de M. Marc Sénéchal, mandataire judiciaire de la société Mediapro (ne fera pas l'objet d'un compte rendu)
- Mission d'information sur l'intervention des fonds d'investissement dans le football professionnel français - Audition de Mme Roxana Maracineanu, ancienne ministre des sports
Mardi 21 mai 2024
- Présidence de M. Laurent Lafon, président -
La réunion est ouverte à 16 h 30.
Mission d'information sur l'intervention des fonds d'investissement dans le football professionnel français - Audition de M. Christophe Bouchet, auteur de Main basse sur l'argent du foot français, ancien président et actionnaire de l'Olympique de Marseille
M. Laurent Lafon, président. - Nous poursuivons les auditions publiques de notre mission d'information, dotée des pouvoirs des commissions d'enquête, sur l'intervention des fonds d'investissement dans le football professionnel français. Je remercie M. Christophe Bouchet d'avoir accepté notre invitation.
Monsieur Bouchet, vous êtes ancien président de l'Olympique de Marseille, ancien maire de Tours. Vous êtes également journaliste et auteur de l'ouvrage intitulé « Main basse sur l'argent du foot français », paru en 2023. Vous revenez, dans ce livre, sur le dossier Mediapro, mais aussi sur la création en 2022 d'une société commerciale, dans le cadre d'un partenariat entre la Ligue de football professionnel et le fonds d'investissement CVC Capital Partners.
Notre mission d'information, dont le rapporteur est Michel Savin, s'intéresse au processus de financiarisation du football professionnel, qui touche la propriété des clubs comme l'exploitation des droits audiovisuels des championnats.
En effet, suite aux dispositions adoptées dans le cadre de la loi du 2 mars 2022 visant à démocratiser le sport en France, la ligue de football professionnel (LFP) a créé une société chargée de la commercialisation et de la gestion des manifestions sportives qu'elle organise.
Le fonds d'investissement CVC a acquis 13 % de cette société, moyennant un apport d'1,5 milliard d'euros. En acceptant cet accord, les clubs français se sont privés d'une partie de leurs revenus pour une durée indéfinie, dans un contexte qui reste incertain, s'agissant de l'évolution des droits audiovisuels.
La création de cette société commerciale représente un tournant majeur pour le football français. En Italie, en Allemagne, ce type d'accord a été rejeté. En Espagne, les modalités du partenariat avec CVC sont différentes et les deux plus grands clubs de la Liga, le Real Madrid et le FC Barcelone, s'y sont opposés. Les équilibres de l'accord et la distribution de la manne financière de CVC posent de nombreuses questions. En outre, des zones d'ombre subsistent sur certains aspects de ce partenariat et sur les conditions dans lesquelles les présidents de club l'ont approuvé, à une quasi-unanimité.
Monsieur Bouchet, vous avez reçu une série de questions qui résument les différents sujets d'intérêt de notre mission d'information.
Avant de vous donner la parole, je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre mission d'information, dotée des pouvoirs des commissions d'enquête, est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du Code pénal. Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure ».
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Christophe Bouchet prête serment.
M. Laurent Lafon, président. - Je vous remercie, également, de nous faire part de vos éventuels liens d'intérêts en relation avec l'objet de notre mission d'information.
M. Christophe Bouchet, auteur de Main basse sur l'argent du foot français, ancien président et actionnaire de l'Olympique de Marseille. - Je n'en n'ai pas.
M. Laurent Lafon, président. - Je rappelle que cette audition est captée et diffusée en direct sur le site internet du Sénat.
M. Christophe Bouchet. - Merci pour votre invitation. J'ajoute à la présentation que vous avez faite de moi, qu'entre la présidence de l'OM et mon mandat de maire de Tours, j'ai été pendant dix ans directeur général de Sportfive puis d'Infront Sports & Media, deux des principales agences sportives au monde, ce qui me donne une certaine familiarité et de la légitimité pour parler des accords dans le monde sportif.
J'ai compris à vos questions que vous en saviez déjà beaucoup, je vais donc aller droit au but... Je souligne d'emblée deux éléments qui ne figurent pas dans votre liste de questions, et qui ont pourtant leur importance : le rôle de Canal+ et celui des intermédiaires, banques et avocats d'affaires - intermédiaires qui ont joué un rôle prépondérant dans ces accords et qui ont touché pour cela des sommes considérables, extravagantes au regard du travail qu'ils ont fourni.
Vous connaissez le contexte de l'accord passé entre CVC et la LFP : la France était le seul pays d'envergure à avoir arrêté son championnat de football, cela a eu un impact économique mais aussi psychologique, cet impact s'est étendu dans le temps, j'y vois une explication d'une sorte de laisser-faire voire de laisser-aller de l'État vis-à-vis de la LFP, suite à une décision prise de manière quelque peu obscure.
Quelques mots sur la défaillance de Mediapro. L'appel d'offre lancé en 2018, donc avant la pandémie, était très sophistiqué et il a eu des effets économiques et psychologiques importants. Une société était appelée à prendre les droits qui étaient jusque-là répartis entre Canal+, TPS, Orange puis BeIn Sports, c'est un changement économique majeur. Une précision importante : ce n'est pas la LFP qui a exclu Canal+ de la compétition, c'est Canal+ qui s'est retiré au milieu de l'appel d'offres, Maxime Saada l'a reconnu devant vos collègues députés. Mediapro remporte le marché à compter de 2020, mais il y a le Covid-19, les conditions changent, et d'emblée l'entreprise n'honore pas une traite et se met en défaut. Pourquoi, à ce moment-là, la LFP n'a-t-elle pas tenté de négocier avec Mediapro ? C'est un mystère. Peut-être la négociation aurait-elle échoué, mais pourquoi n'a-t-elle pas été tentée ? Je ne me l'explique pas, parce que c'était le bon moment d'ouvrir le chapitre des garanties, étant donné qu'il n'y en a jamais eu dans le football - de véritables garanties n'ont jamais été apportées à cette échelle, Maxime Saada l'a reconnu, et personne, en réalité, ne peut garantir trois fois 1 milliard d'euros, il vaut mieux le dire clairement qu'entretenir des rumeurs.
Le fait de créer une filiale commerciale, ensuite, n'est pas un problème en tant que tel, je crois même que c'est une bonne idée, nécessaire à l'expression économique du football, car jusqu'ici les droits donnaient lieu à des discussions de marchands de tapis sans fin entre présidents de clubs. La filiale commerciale est une solution. Loi a encadré cette possibilité. Ce qui pose problème, c'est la répartition des droits prévue par cet accord avec CVC, et le fait qu'il soit illimité dans le temps - en fait, les modalités de l'accord sont tout simplement délirantes. La répartition entre les clubs est-elle équitable ? Non, elle est très singulière, si l'on se réfère à la valeur économique des clubs. En fait, entre les deux-tiers et les trois-quarts de la valeur économique du championnat français tiennent à deux clubs : le PSG et l'OM - c'est malheureux, parce que cela ne coïncide pas avec la valeur sportive, mais c'est une réalité économique. Or, sur 1,1 milliard d'euros à répartir, l'OM ne se voit attribuer que 90 millions d'euros, un montant proche de celui de clubs de bien moindre audience comme Rennes ou Nice, c'est incompréhensible - d'autres clubs comme Bordeaux, Nantes ou Saint-Etienne se voient également accorder des parts pour le moins étonnantes.
La question se pose donc : pourquoi les présidents de club ont-ils accepté ce deal ? Je n'ai pas la réponse, mais j'ai des informations et des hypothèses, des supputations - et je tâche de faire le tri entre les unes et les autres. Je sais, par exemple, que trois présidents de clubs - ceux de Lens, Lorient et Bordeaux - sont également propriétaires ou actionnaires ou encore gestionnaires de fonds puissants et reconnus, et qu'ils ont donc été en mesure de comprendre immédiatement que l'accord avec CVC était extrêmement défavorable à leur club. Pourquoi, alors, l'ont-ils signé ? C'est un mystère. On a justifié ce choix par la conjoncture d'alors, par la peur d'une faillite des clubs, c'est tout à fait exagéré et les propriétaires des clubs pouvaient apporter des fonds pour continuer leur activité - ce n'est donc pas une excuse valable, d'autant qu'il était aussi possible de contracter des dettes. Des clubs espagnols ont comparé la voie de l'emprunt et celle de l'accord avec CVC. La différence est considérable - ceci alors même qu'en Espagne, cet accord est limité dans le temps, alors qu'il est illimité en France...
L'accord passé entre CVC et la LFP est en réalité assez classique pour quiconque connait le marketing sportif. Ce n'est pas nouveau qu'un tiers, classiquement une agence, apporte de l'argent frais contre une rémunération sur la diffusion, pour quelques années, par exemple dix ans, j'ai passé bien des accords de ce type dans mes fonctions antérieures. Ce qui est tout à fait surprenant, ici, c'est qu'il n'y a pas de limite temporelle : l'accord est illimité dans le temps. C'est étonnant quand on sait qu'il n'y a guère d'aléa sportif au niveau d'une ligue. Chacun sait que la place d'un club en championnat peut changer rapidement - avant l'arrivée des Qataris, le PSG était 17ème et quasiment relégable, et la meilleure équipe que l'OM aie jamais eue, du moins c'est ce qu'on dit, a été reléguée en deuxième division, c'était dans les années 1970...
M. Michel Savin, rapporteur. - Dans votre ouvrage, vous êtes très critique envers les décisions prises par la LFP depuis quelques années. Vos critiques s'adressent en particulier à son président Vincent Labrune mais aussi à tous les présidents de clubs qui ont accepté, à chaque fois, quasiment à l'unanimité, ce qui leur était proposé par les dirigeants de la Ligue, d'abord sur Mediapro puis sur l'accord avec CVC.
Qu'est-ce qui vous a incité à mener cette enquête et à dénoncer les faits que vous exposez ?
M. Christophe Bouchet. - Étant resté un supporter de l'OM, quand j'ai vu la répartition entre les clubs, j'ai été surpris, d'autant que le montant total était étonnant : 1,5 milliard d'euros, c'est beaucoup, c'était un contrat comme j'aurais rêvé d'en obtenir quand je travaillais dans le secteur et je me suis aussitôt demandé comment on pouvait trouver une telle somme pour une ligue et des droits qui étaient en baisse plutôt qu'en hausse. J'ai cherché à comprendre. J'ai commencé par trouver ce contrat formidable pour les clubs, avant de comprendre qu'il était illimité dans le temps. Alors comme journaliste, mais aussi par esprit de responsabilité, peut-être en tant qu'ancien élu, et plusieurs ici savent que je suis tenace, j'ai voulu voir les choses de plus près - et j'ai constaté que dans cette histoire, tout ou presque était absurde. Alors j'ai écrit un livre. L'audience de ce livre a été plutôt bonne, mais sans comparaison avec ce qui s'est passé pour d'autres secteurs où des révélations de cet ordre ont provoqué un scandale, je pense aux maisons de retraite, aux crèches ; cette relative discrétion tient, je crois, au fait que les journalistes sportifs, qui connaissent le football, s'intéressent peu à l'économie du sport, tandis que les journalistes économiques ne s'intéressent pas beaucoup au sport, c'est la même chose avec le cinéma, où ceux qui commentent le cinéma ne s'intéressent guère à l'économie du cinéma. C'est dommage, parce que le sport, comme le cinéma, est une activité économique importante et un levier d'attractivité pour les territoires.
M. Michel Savin, rapporteur. - Quelles ont été les réactions à votre ouvrage dans le milieu du football ? Avez-vous eu des retours positifs en privé ? Si c'est le cas, étant donné l'unanimité qui continue à prévaloir sur le sujet, peut-on parler d'une forme d'omerta ?
M. Christophe Bouchet. - L'omerta a une connotation mafieuse, le terme renvoie à des sujets très lourds. Le football est un tout petit milieu, mais peut-on pour autant parler de mafia dans le foot ? Je ne le crois pas...
M. Michel Savin, rapporteur. - Pourquoi un tel silence ?
M. Christophe Bouchet. - C'est un milieu si restreint que peu de gens peuvent parler librement. Des présidents m'ont exprimé leur soutien, avant le 23 novembre 2023, date où les termes du contrat ont été votés une nouvelle fois à la suite de l'action intentée par le club du Havre - pour d'autres raisons ; j'ai également, à la veille de ce 23 novembre 2023, envoyé un mail aux présidents de club pour les alerter sur les conséquences de ce contrat dans le temps - mais je n'ai pas eu de retour et plusieurs qui m'avaient exprimé leur soutien, ont revoté l'accord...
M. Michel Savin, rapporteur. - À l'automne 2020, Mediapro se révèle incapable de payer la deuxième échéance du « deal du siècle » avec la LFP. Vous soulignez dans votre ouvrage la mauvaise volonté de la LFP, qui a refusé toute négociation avec le groupe espagnol. Jean-Michel Roussier, le président du Havre, nous a dit que Mediapro avait proposé 64 millions d'euros et un délai de quelques semaines pour négocier. Il n'y a eu aucune négociation, aucun début de discussion, aucune réponse sur cette proposition. Qu'en pensez-vous ?
M. Christophe Bouchet. - C'est une décision stratégique obscure de la part de la LFP. Ce que j'en sais, c'est qu'en juillet, la présidente de la LFP, Nathalie Boy de La Tour, avait senti qu'il y aurait des complications - le championnat avait été arrêté du fait de la pandémie, il fallait donc s'attendre à ce que Mediapro demande à renégocier. Ce qu'on nous explique, c'est qu'il aurait alors fallu se tourner aussi vers Canal+, BeIn Sports et Free, ce qui est vrai, parce que Canal+ avait racheté des droits à BeIn pour un peu plus de 330 millions d'euros, et Free avait dépensé 40 millions d'euros pour les droits internet. Cette négociation aurait dû avoir lieu, même si on ne sait pas ce qu'elle aurait donné. Les présidents de clubs sont des gens exigeants, ils avaient un accord dépassant le milliard d'euros, ils n'auraient peut-être pas accepté moins d'argent, mais on ne leur a pas proposé d'en discuter. Mediapro demandait un rabais sur deux ans, cela aurait permis à la LFP de se rapprocher de Canal+, dont la direction était furieuse depuis l'échec de 2018.
Une parenthèse sur les relations détestables entre la LFP et Canal+. En 2004, Canal+ arrive avec une somme extravagante pour acheter les droits de diffusion, son objectif est en fait d'écraser la concurrence : la LFP attendait 500 millions d'euros, Canal+ met 600 millions sur la table. Pourquoi ? Pour tuer tous les challengers, et Canal+ ne va pas changer d'attitude pendant 15 ans, avec chaque fois cette prime stratégique pour obtenir l'exclusivité. Or, dans l'appel d'offres de 2018, Canal+ renonce au milieu de la procédure, comme l'a reconnu Maxime Saada devant les députés, et la chaîne BeIn achète pour 330 millions d'euros ce qu'elle avait compris acheter pour 180 millions d'euros : les deux sociétés se sont trompées sur cet appel d'offres qui était certes sophistiqué, mais qu'elles ont probablement mal lu- peut-être les dirigeants étaient-ils trop sûrs d'eux ? En tout cas, ceux de Canal+ n'ont pas décoléré depuis, et les relations avec la LFP, de mauvaises, sont devenues détestables. Du reste, l'accord avec Mediapro aurait pu tenir si Canal+ avait accepté de négocier avec Mediapro, et l'avait choisie comme partenaire plutôt que BeIn Sports. Nous n'en serions pas là aujourd'hui. En réalité, Canal+ a joué un rôle décisif dans l'histoire qui nous intéresse, en choisissant BeIn et en refusant de négocier avec Mediapro.
M. Michel Savin, rapporteur. - Canal+ est un acteur incontournable pour tout nouvel entrant sur le marché français des droits sportifs. Peut-on envisager le foot français sans Canal+ ?
M. Christophe Bouchet. - La question est réversible - peut-on imaginer Canal+ sans le foot français ? Nous sommes à la mi-mai, et les droits ne sont pas attribués pour le prochain cycle de 3, 4 ou 5 ans. La discussion bloque avec Canal +. Il n'y aurait plus que BeIn en lice, mais on ne sait pas comment la négociation se passe avec Canal+. Pourquoi ce blocage ? Mais parce que les dirigeants de Canal+ ont vécu l'échec de l'appel d'offre de 2018 comme une humiliation, et la colère est toujours plus grande quand on a fait une erreur et qu'on s'en veut à soi-même...
M. Laurent Lafon, président. - Cependant, ce sont toujours les mêmes acteurs qui sont autour de la table...
M. Christophe Bouchet. - Oui, ce n'est pas un sujet, cela se passe pareil en Espagne et en Angleterre par exemple, les acteurs ne changent pas.
M. Laurent Lafon, président. - Le raisonnement de la LFP consistant à vouloir augmenter les droits de diffusion à chaque renégociation se comprend s'il y a toujours plus d'acteurs, de concurrence avec de nouveaux entrants - mais ce n'est pas ce qui se passe, puisque les acteurs restent les mêmes.
M. Christophe Bouchet. - Le raisonnement est valable aussi dès lors que le produit rapporte davantage, comme c'est le cas en Angleterre. En France, le produit football est-il à la hauteur de ce qu'il est devenu en Angleterre, en Espagne ou en Allemagne ? Non. Car depuis 25 ans, c'est-à-dire depuis que les clubs touchent des droits importants de diffusion, il n'y a pas de volonté commune des présidents de club de se structurer intelligemment, de façon à créer un produit football français qui soit à la hauteur de la concurrence. En 2004, j'étais autour de la table. On attendait 500 millions d'euros, je me souviens de Jean-Michel Aulas qui s'enthousiasmait et qu'on entendait le plus, au point qu'on lui demandait d'être un peu plus réaliste en lui répétant que si l'on obtenait 450 millions d'euros, ce serait déjà très bien... - mais voilà qu'on nous donne 600 millions d'euros ! J'ai alors proposé d'en mettre 100 de côté, pour créer par exemple une caisse de compensation par précaution, mais aussi pour nous structurer et nous internationaliser. Je peux vous dire que j'ai été mal reçu, je le raconte dans mon livre. Résultat : en 2004, nos droits domestiques étaient équivalent à ceux du foot anglais ; aujourd'hui, nos droits à l'international sont à 80 millions d'euros, ceux du foot espagnol à 800 millions et ceux du foot anglais bien au-delà... Nous n'avons pas structuré un produit foot français, il n'y a pas eu d'industrialisation - et je dois dire que les pouvoirs publics n'y ont pas poussé non plus...
M. Jean-Jacques Lozach. - Merci pour ce travail d'investigation. Vous êtes aussi un politique, aussi vous posez-vous certainement la question des suites, de ce qu'on peut faire désormais. Qu'espérez-vous de l'État, des parlementaires, et aussi des travaux de notre commission ? La LFP a une sous-délégation de service public, nous en avons défini les termes dans la loi du 2 mars 2022, où l'on est passé d'une tutelle à un partenariat : doit-on encadrer davantage cette sous-délégation ?
Dans votre livre, ensuite, vous évoquez un « club Europe », un accord entre six clubs français et Canal+, qui feraient la décision au sein de la LFP : est-ce le cas ?
Enfin, le président du PSG a demandé un audit sur Mediapro, mais il lui a été refusé : pourquoi ?
M. Claude Kern. - Dans cet accord très défavorable aux clubs, quel a été le rôle exact du ministère des sports ?
M. Jérémy Bacchi. - Comme vous, j'ai été alerté par le fait que l'OM ne se voyait attribuer que 90 millions d'euros. Ses matches sont moins regardés à l'étranger que ceux du PSG, mais cela n'explique pas tout. Quelles sont vos hypothèses pour expliquer que l'OM ait tout de même signé ?
Dans d'autres pays, on a eu recours à l'emprunt. Pourquoi cette voie n'a-t-elle pas été choisie - ici encore, quelles sont vos hypothèses, en plus de vos informations ?
Les droits de diffusion prennent de plus en plus de place dans les budgets des clubs. Dans ces conditions, la société commerciale mise en place pourrait-elle résister à l'éclatement d'une éventuelle bulle sur ces droits de diffusion ?
Enfin, n'y a-t-il pas d'autres voies pour maximiser la diffusion du football français, par exemple du côté du calendrier ou des émissions connexes aux matches, comme on en voit bien davantage en Angleterre ? Pourquoi ce travail n'est-il pas fait ?
M. Christophe Bouchet. - Il est difficile de dire qui, au sein des pouvoirs publics, est responsable du paysage sportif actuel - je dirais qu'à part le général de Gaulle, personne n'a entrepris de véritable politique sportive dans notre pays. On parle souvent de cinq grands pays européens pour le football professionnel, l'Angleterre, l'Espagne, l'Italie, l'Allemagne et la France, mais on devrait distinguer les quatre premiers, qui ont des dispositifs publics particuliers pour le sport professionnel, dont nous sommes dépourvus pour l'essentiel. L'Espagne a misé sur le sport professionnel avec le football, le basketball, les sports automobiles. Elle y a vu un levier d'attractivité pour le pays. En France, nous n'avons pas voulu aller dans cette direction, de même que nous ne nous fixons pas sérieusement des objectifs de médailles aux jeux olympiques - le soft power par le sport ne fait pas partie de nos priorités. Dans chaque ambassade espagnole, il y a un représentant du sport professionnel. Nous ne faisons pas ce travail. Le Président de la République est allé dans ce sens en Afrique, mais sans le résultat escompté. L'investissement dans le sport professionnel est donc un enjeu pour notre pays.
Sur le contrat passé avec CVC, le cadre est bien celui de la sous-délégation de service public à la LFP et le contrat, à ce titre, aurait pu être dénoncé. Or, on entend peu le président de la Fédération française de football sur le sujet, alors qu'il est au conseil d'administration de la filiale commerciale. Pourquoi ? Il faut se souvenir que le président de la FFF est élu pour le tiers par les présidents de clubs professionnels - on le voit mal, dès lors, critiquer une décision qu'ils ont prise. Il semblerait qu'il n'ait pas vu l'accord avant sa signature, en tous les cas il n'a pas fait de commentaire public.
Du côté du ministère, ensuite, il faut voir qu'il y a eu deux ministres, Roxana Maracineanu puis Amélie Oudéa-Castéra. La première, que j'ai eue longuement au téléphone, était contre cet accord, elle m'a d'ailleurs dit toute son admiration pour vous, Monsieur le rapporteur, qui aviez « tout compris ». Lors de l'examen de la loi en première lecture, elle a surtout développé des arguments contre le dispositif. Puis en deuxième lecture, elle était absente. Le débat a été éclipsé par celui sur le port du voile dans le sport et le vote est passé quasiment inaperçu. Je raconte les choses dans mon livre : j'ai demandé au ministère des sports s'ils avaient eu connaissance de l'accord - je pense qu'ils ne l'ont jamais eu entre les mains -, on m'a répondu par l'affirmative, puis quand j'ai interviewé la ministre actuelle, elle n'avait rien à en dire. Elle trouvait l'accord plutôt bon, puis je l'ai interrogée sur le bonus qu'avait reçu Vincent Labrune dans le cadre de cet accord. Comment se fait-il qu'un président d'une personne morale sous-délégataire du service public, puisse toucher un bonus de l'extérieur ? C'est un peu comme si un maire touchait une commission quand un promoteur venait construire sur sa commune... Mais la ministre m'a répondu qu'elle trouvait cela normal, puis comme je m'en étonnais, elle s'est lancée dans une explication assez pénible, je crois qu'elle s'est aperçue qu'elle n'avait pas donné la bonne réponse - en réalité, je crois qu'elle n'avait pas vu l'accord, Roxana Maracineanu ne voulait pas en entendre parler, peut-être pour des raisons liées à son passé de sportive professionnelle, et Amélie Oudéa-Castéra a été prise par d'autres sujets que le sport professionnel, c'est assez significatif. J'ai senti de la gêne au ministère, les membres du cabinet paraissaient désolés des réponses qui m'avaient été faites et, d'ailleurs, l'un d'entre eux s'est proposé de rédiger le compte-rendu de l'interview... je ne l'ai jamais reçu. Je pense donc, au fond, que le ministère des sports n'a pas validé cet accord pour son contenu, il ne le connaissait apparemment pas, mais parce que cet accord satisfaisait les présidents de clubs, sans coûter à l'État. Je crois qu'au ministère, on s'est dit que les présidents de clubs avaient trouvé une solution sans intervention de l'État, donc que c'était une bonne chose, sans regarder plus loin. On voit, maintenant, que les conditions en étaient très mauvaises. Le contrat n'est pas léonin, parce qu'il n'est pas interdit de contracter sans limite de temps. CVC pourra partir, d'ailleurs, en vendant son contrat au prix qu'il vaudra à ce moment-là, mais l'engagement demeurera.
Le « club Europe », c'est un contrat que j'ai bien connu lorsque je dirigeais Sportfive.S'il a joué un rôle important à l'époque, c'est parce que les présidents Gervais Martel, à Lens, Jean-Michel Aulas, à Lyon et Jean-Louis Campora, à Monaco, étaient très puissants, que leurs clubs étaient tous les trois sous contrat avec Sportfive et que Jean-Claude Darmon, le fondateur de Sportfive et qui avait signé ce « club Europe » avec Canal+, n'était jamais à court d'idées. Et d'ailleurs l'accord, tout en étant caché aux autres clubs, ce qui est une faiblesse, n'était pas absurde puisqu'il consistait à donner un avantage aux clubs français dès lors qu'ils étaient en championnat européen - c'est ce que fait Vincent Labrune à la LFP et c'est une bonne décision. Dans l'accord avec CVC, en effet, il y a d'un côté les droits domestiques, de l'autre les droits internationaux et il est dit que, désormais, les droits internationaux ne peuvent être touchés que par les clubs qui sont en championnat européen. Manque de chance, il y a des clubs qui ne se qualifient pas toujours pour l'Europe, comme quoi il faut faire attention quand il y a un aléa sportif... Et l'accord précise que les clubs bénéficieront des droits internationaux au prorata de leurs points UEFA. A ce jeu-là, le PSG est quasiment assuré de toucher au moins le quart de ces droits internationaux, ce qui peut expliquer que ses dirigeants aient signé l'accord, lequel accorde facialement 200 millions d'euros au PSG, alors qu'on estime qu'il en vaudrait le double, rapporté à la valeur globale de la Ligue. Le PSG s'y est donc retrouvé ; mais pas l'OM. Et je pense que la répartition, pour des clubs comme Rennes ou Nice, ou encore Clermont-Ferrand, qui a touché la même somme que Nantes, a fait pencher la majorité de l'assemblée générale. Reste la question de Lyon : pourquoi Jean-Michel Aulas a-t-il été parmi les premiers à voter pour un accord plutôt défavorable à l'OL ? Quelques semaines plus tard, fort de ces 90 millions d'euros apportés par CVC, il pouvait vendre son club...
Qui donc avait intérêt à cet accord avec CVC ? Pas les clubs, en tout cas - quelqu'un comme Joseph Oughourlian, le président du RC Lens le sait bien, lui qui manie parfaitement les chiffres. Qui donc sont les grands gagnants ? Il y a le président de la LFP, via le bonus qu'il a touché, et les intermédiaires, je vous en ai dit un mot dans mon propos liminaire.
Le contrat CVC est de ceux que les agences de sponsoring ont l'habitude de signer, il est usuel et ne demande pas une ingénierie extraordinaire. La LFP aurait eu à le faire analyser par des avocats spécialisés, elle y aurait engagé une somme comprise, probablement, entre 500 000 et 2 000 000 d'euros ; or, ici, les intermédiaires ont touché 37 millions d'euros ! C'est une somme tout à fait exceptionnelle, surtout rapportée au temps passé par ces intermédiaires. Il y a donc de grands gagnants.
L'accord CVC avait-il été pris de longue date ? Je le crois, c'est mon hypothèse. L'appel d'offres a été très rigoureux sur le plan juridique, mais ce qui l'a moins été, c'est la façon dont on est passé, en une semaine, de quatre fonds qui concourraient, à un seul fonds, CVC. Je pense qu'il y a là une façon de faire qui ne pouvait aboutir qu'à choisir CVC. Pourquoi ? Parce qu'un des fonds qui concourrait était Oaktree Capital, qui possède le club de Caen avec comme co-actionnaire Pierre-Antoine Capton, associé en affaire avec Matthieu Pigasse dans la société audiovisuelle Mediawan - cela ne serait pas passé. Un autre concurrent était le fonds Hellman & Friedman, qui passait pour excellent - mais manque de chance, il s'est retiré dans la semaine... Après, il y avait le contexte, la crise sanitaire, puis l'invasion de l'Ukraine par la Russie...
M. Laurent Lafon, président. - Le président de la LFP a-t-il eu des contacts avec CVC avant la conclusion de l'accord ?
M. Christophe Bouchet. - Oui, plusieurs sources l'ont dit, et il me semble qu'il avait aussi collaboré avec ce fonds - même si je ne sais pas s'il a été rémunéré à ce titre.
Il y a eu un ensemble de facteurs convergents : le départ de Mediapro, le vote de la loi qui n'était pas indispensable mais qui mettait tout le monde dans un certain état psychologique, les déclarations du président de la Direction nationale du contrôle de gestion (DNCG) laissant croire à une faillite imminente des clubs de Ligue 1, des interventions en conseil d'administration de la LFP de la part de personnalités du monde financier, qui encourageaient à aller vers cet accord avec CVC, en disant que c'était un bon accord, bien bordé... Un président de club m'a posé la question : « Qu'est-ce que je pouvais faire, face à Matthieu Pigasse qui disait que cet accord était une chance, et face à Jean-Michel Aulas, l'homme fort du système, qui nous appelait à signer ? » Effectivement, pourquoi s'y opposer ? Par ailleurs, je crois qu'aucun des présidents, je dis bien aucun, n'a lu l'accord lui-même...
M. Laurent Lafon, président. - Aucun président de club n'a lu l'accord, ni vu le pacte d'actionnaire ?
M. Christophe Bouchet. - Le pacte d'actionnaires a circulé. Il a été remis par la LFP aux présidents de club, en novembre 2023. Ou, du moins, les présidents en ont eu un mais je ne sais pas s'ils l'ont lu. Quand les présidents de clubs se réunissent à Paris, loin de leurs clubs, c'est le moment pour eux d'évacuer le stress du championnat, qui est énorme. Ils sont à Paris, ensemble, ils doivent trouver des accords mais n'ont pas la tête à ça - depuis 25 ans, les présidents de club n'ont pas porté une attention suffisante au travail des services et des élus de la LFP, c'est une certitude.
M. Michel Savin, rapporteur. - Vous avez évoqué le vote de la loi, nécessaire à la création de cette société commerciale, vous citez plusieurs fois plusieurs personnes dans votre livre qui seraient intervenues sur cette proposition de création de société commerciale. Vous évoquez la ministre des Sports, le conseiller sport de l'Élysée, le conseiller à Matignon, et vous écrivez, page 261, que « certains conseillers incitent la ministre des Sports à écouter une commande reçue d'en haut ». Pouvez-vous nous préciser les rôles et les positions de chacun ?
La demande d'audit du PSG, ensuite, n'a pas eu de réponse favorable : pourquoi ?
Enfin, vous n'avez pas cité le nom de Marc Sénéchal, le conciliateur désigné par le tribunal sur proposition de Mediapro, nommé quelques mois plus tard expert indépendant par la LFP sur la rémunération des conseils, qui ont donc perçu la somme de 37 millions d'euros. Quel a été son rôle ?
M. Christophe Bouchet. - Vous savez mieux que moi que, pour qu'une décision d'une certaine ampleur soit suivie d'effet, il faut un alignement entre Bercy, Matignon et l'Élysée. C'était le cas ici. Le pouvoir a vu que le football professionnel était uni et qu'il réglait ses problèmes, sans grande dissonance - la chaine de décision du pouvoir y a dès lors été favorable. Peut-être a-t-elle eu tort de ne pas entrer davantage dans le détail, mais elle y a d'abord vu une opportunité de mettre fin aux plaintes de la part des clubs, privés de championnat au cours de la crise sanitaire.
M. Sénéchal a eu un rôle singulier : il a été mandaté à la demande de Mediapro, puis la LFP l'a désigné pour évaluer le prix à payer aux intermédiaires de l'accord avec CVC. Dans mon livre je rappelle qu'entre temps, Vincent Labrune, le président de la LFP, est devenu administrateur d'une société familiale de M. Sénéchal - à croire qu'il y a eu un coup de foudre entre les deux hommes, pas forcément au bénéfice des clubs.
Le PSG a demandé un audit dans une période perturbée, au moment où deux candidats se présentaient à la LFP, Michel Denisot et Vincent Labrune, le premier étant soutenu par le PSG. Quand Vincent Labrune l'a emporté, le courant est plutôt bien passé avec le président du PSG, Nasser al-Khelaïfi.Peut-être a-t-on demandé à celui-ci, c'est une hypothèse, de ne pas faire de vague à ce sujet ; la demande d'audit portait sur le deal avec Mediapro et pas sur celui avec CVC.
M. Laurent Lafon, président. - Cela peut signifier que le président du PSG n'était pas très informé sur le deal avec Mediapro, puisqu'il demandait un audit ?
M. Christophe Bouchet. - Non, il n'était pas au courant du « débouclage » de l'accord avec Mediapro, c'est une certitude, - certains ont parlé de « fiasco » et je trouve intéressant d'en parler un peu plus. En réalité, il n'était pas inintéressant d'avoir Mediapro comme partenaire : c'est une société de premier plan, une nouvelle enseigne, dont on s'est désormais privé à jamais. Il faut se replacer dans la chronologie, on est juste après l'élection de Vincent Labrune à la tête de la LFP, il doit traiter le dossier immédiatement, il ne croit pas à Mediapro et il imagine, j'en suis convaincu, que Canal+ va reprendre les droits, en quoi il se trompe. En tout état de cause, je pense que la négociation avec Mediapro aurait été la meilleure formule, elle aurait permis d'éclairer le sujet : est-ce que Mediapro avait les reins solides ? Est-ce que la Ligue n'avait pas commis d'erreur dans la demande de garantie ? Est-ce qu'il y avait un véritable actionnaire avec Mediapro ? Toutes ces questions resteront sans réponse, c'est dommage.
M. Michel Savin, rapporteur. - Dans votre livre, vous posez beaucoup de questions sur la position des présidents, vous vous demandez s'ils ont compris l'accord qu'on leur proposait - cela ne va pas sans inquiéter, dès lors que ces présidents gèrent des budgets de plusieurs centaines de millions d'euros pour certains. Qu'en dites-vous aujourd'hui, avez-vous des réponses complémentaires ? Les présidents, à votre avis, ont-ils pris connaissance du contenu du pacte d'associé et de sa durée ? Et savez-vous si CVC dispose de droits de veto au sein de la société commerciale et lesquels ?
M. Christophe Bouchet. - Les présidents sont dans une situation compliquée, l'accord a été renouvelé en novembre 2023 et ils doivent être, en quelque sorte, solidaires d'eux-mêmes. Ils ne savent pas combien leur club percevra la saison prochaine, je pense que les chiffres, quand ils seront communiqués, réveilleront les consciences. Cependant, ils ont bien en tête, désormais, que cet accord est illimité dans le temps. Et ils ont de quoi se poser cette question : comment revenir sur cet accord et à quel prix ?
M. Adel Ziane. - Vous soulignez l'intérêt de voir le football professionnel régler ses problèmes seul, mais ce qu'on voit en retour, c'est une forte incertitude et cela pose la question de la gouvernance à venir. Les présidents ont délégué une partie de leurs pouvoirs à la filiale commerciale, comment pourront-ils continuer à peser sur les décisions économiques et financières ?
La DNCG va bientôt recevoir les clubs pour discuter des budgets pour la saison prochaine, la question des droits de diffusion est très concrète : où en est-on ? Il devait y avoir entre 1,5 et 1,8 milliards d'euros pour le championnat français à répartir sur la période 2024-2028 : est-ce toujours d'actualité ?
M. Christophe Bouchet. - On n'atteindra pas les objectifs fixés dans l'accord avec CVC, car partout en Europe les droits stagnent et la concurrence est forte en matière de spectacle vivant, en particulier via les plateformes. Reste que le foot est un moteur exceptionnel d'attractivité pour les chaines de télévision, tant il y a du suspens dans les matches et le championnat. La part du foot diminue cependant, il faut y réfléchir.
Sur la gouvernance, la société commerciale n'est pas une mauvaise chose en soi. Pour y avoir assisté, je témoigne que les réunions avec les présidents de club tournaient au barnum invraisemblable, tellement certains pensaient détenir la vérité... Une société professionnelle est une bonne idée. Mais les présidents de club vont devoir se poser la question de savoir combien cette société commerciale leur coûte réellement, et si cette dépense est efficiente. Est-ce le cas lorsqu'elle est dirigée par le président de la LFP, qui est lui-même élu par les présidents de club ? Est-elle assez indépendante pour être crédible ? Il faudra surveiller cela de près.
M. Michel Savin, rapporteur. - Il est dit que le football français va désormais dépendre du Qatar, surtout si BeIn Sports reprenait les droits : qu'en pensez-vous ?
M. Christophe Bouchet. - Il est de notoriété publique que le président de la LFP ne prend pas une décision sans l'accord de Nasser al-Khelaïfi, cela a été le cas avec CVC. Si BeIn Sports venait à prendre les droits, cela ne ferait qu'entériner une situation où le personnage le plus important du football français, c'est le président du PSG et donc son actionnaire principal, Qatar Sports Investments - ce qui, pour moi, à titre personnel et d'un point de vue politique, est une anomalie.
M. Michel Savin, rapporteur. - Qui plus est, c'est le PSG qui perçoit le plus de droits TV...
M. Christophe Bouchet. - Oui, d'autant que les droits internationaux reviennent aux clubs qui disputent des compétitions européennes, ce qui est une bonne décision prise par Vincent Labrune.
On peut s'interroger aussi sur la plus-value apportée par CVC, essayer de savoir si le jeu en vaut la chandelle. En réalité, CVC n'a aucune expertise en sport, ce fonds investit dans le sport parce qu'on y fait des affaires et parce qu'en particulier, il a fait des affaires en Formule 1, en achetant à la casse et en revendant ensuite, sans changer le produit. CVC n'est pas expert en horlogerie parce qu'il est au capital de Breitling, ni en pâtes parce qu'il est au capital de Panzani - en réalité, CVC, ce sont des financiers qui sont très brillants en matière de finances, dans leur secteur, mais qui n'ont pas d'expertise ailleurs. La situation est probablement même moins favorable pour la LFP que si la Ligue s'était associée à un milliardaire, par exemple Vincent Bolloré, qui aurait pu la défendre à titre personnel, en y apportant son carnet d'adresse et son réseau.
M. Michel Savin, rapporteur. - S'il n'y a pas d'apport dans la commercialisation, pourquoi ne pas avoir emprunté ?
M. Christophe Bouchet. -Je l'ai écrit en toutes lettres dans mon livre : il faut considérer l'intérêt des uns et des autres, et regarder qui a gagné à cet accord.
M. Michel Savin, rapporteur. - Pouvez-vous préciser ?
M. Christophe Bouchet. - Si on dit aux clubs de s'endetter, il est difficile de leur demander ensuite des honoraires pour les banques d'affaires, pour les avocats d'affaires, des bonus pour les salariés de la LFP. Quand un club s'endette, il voit très bien ce qu'il va devoir rembourser, c'est concret. Mais ce n'est pas le cas avec CVC, et pour le moment les clubs ne voient pas encore ce que l'accord qu'ils ont signé leur coûte - je crois qu'ils vont s'en apercevoir dans les semaines à venir. Il y a des personnes qui avaient un intérêt personnel à cet accord, c'est ma conviction. Les faits montrent que Marc Sénéchal a attribué des sommes conséquentes aux intermédiaires. Je suis plutôt libéral et je comprends qu'un bonus récompense des droits que le talent de l'intermédiaire ferait augmenter, mais ce n'est pas le cas ici. Les banques d'affaires ont déjà touché l'argent qui va peser sur la vie des clubs ad vitam aeternam.
M. Laurent Lafon, président. - Y a-t-il un risque que la logique de financiarisation appliquée à la société commerciale, ait un impact sur les choix sportifs, à travers des droits de veto qui pourraient figurer dans le pacte d'actionnaire ?
M. Christophe Bouchet. - Vous abordez là le sujet de l'argent dans le sport. Je suis nuancé. L'argent ne corrompt pas nécessairement le sport, ce n'est pas l'argent qui a fait le dopage dans le cyclisme, par exemple, le dopage avait commencé bien avant. Quel est l'intérêt collectif des fonds d'investissements qui entrent dans les championnats, dans les clubs eux-mêmes ? Ces fonds vont-ils en venir à changer les règles et, en particulier, à opérer en ligue fermée ? Quelles conséquences sur la professionnalisation du sport, sur les territoires eux-mêmes ? C'est un débat très large, on ne va pas le faire ici, mais il me semble que l'évolution en ligue fermée est inéluctable, et que cela sauvera certains clubs - par exemple l'OM. Il y aura des intérêts contradictoires et il existe des formules intermédiaires - la Champions League, par exemple, est semi-fermée. Les fonds agissent-ils suffisamment en meute pour l'imposer ? Nous en sommes encore loin.
La multipropriété, en revanche, est un sujet tendu. Un fonds peut-il détenir plusieurs clubs ? Quand cela se fait, il y a des arrangements. C'est dangereux, à l'évidence - et je crois qu'à ce titre, la multipropriété est un sujet prioritaire.
M. Michel Savin, rapporteur. - Oui, la multipropriété progresse en Europe, des clubs français sont même en multipropriété avec des clubs étrangers, ce qui peut conduire à en faire des satellites de grands clubs européens : quel contrôle les pouvoirs publics peuvent-ils exercer, et doivent-ils le faire ?
Ensuite, dès lors que CVC est présent dans plusieurs ligues européennes, n'y a-t-il pas le risque de voir apparaître une ligue fermée à l'échelle du continent ? Est-ce un fantasme ?
M. Christophe Bouchet. - Non, ce n'est pas un fantasme. Si je dirigeais l'OM, je discuterais d'une ligue fermée avec mes collègues...
M. Michel Savin, rapporteur. - À l'échelle française et européenne ?
M. Christophe Bouchet. - J'en discuterais en tout état de cause.
M. Michel Savin, rapporteur. - Et si vous étiez à la tête du PSG ?
M. Christophe Bouchet. - Également. Le président du PSG a dit qu'il n'y était pas favorable, au vu de ce qui s'est passé en Angleterre et des réactions épidermiques qu'un tel projet a provoqué. Mais de son point de vue, on aurait tort de ne pas défendre la ligue fermée, d'autant qu'il ne faut pas manquer la chance d'y entrer... Une ligue fermée chercherait à couvrir les principaux bassins de population, les métropoles, il me semble logique que cela advienne. D'ailleurs, à chaque coup de boutoir des grands clubs européens, l'UEFA a changé son règlement, cela s'est déjà passé en 2000 avec le G14, un regroupement des 14 plus grands clubs européens qui a demandé et obtenu un changement. La question du politique est d'articuler une éventuelle ligue fermée avec le reste du sport : quelles taxes, quels championnats, qui possède les infrastructures... ? Voilà des questions importantes pour l'État et les collectivités territoriales. La propriété du Parc des Princes, par exemple, est un enjeu. Quel doit être le rôle des collectivités territoriales ? Jusqu'où peuvent-elles accompagner ce système qui se met en place ? Ces questions sont centrales.
M. Michel Savin, rapporteur. - Vous dites que la FFF est discrète - devrait-elle être au tour de table dans cette société commerciale, pour être dans le débat ? Vous dites que l'accord avec CVC n'est pas un bon accord, mais ni les clubs, ni la LFP n'ont demandé à en changer : comment peut-on modifier cet accord ?
M. Christophe Bouchet. - La FFF est plus que discrète, elle est absente du dossier. Je vois mal l'intérêt de son président à se placer contre le football professionnel. La ministre, pourtant en verve contre d'autres présidents de ligues, est inaudible ici. Nous parlons d'un très mauvais accord, catastrophique pour le football français. Comment revenir dessus ? CVC est attaché à sa réputation, ce sont des gens bien connus dans la finance, ils font leur travail dans les sociétés qu'ils reprennent pour les revendre - et, en tant que bons financiers, ils tiennent à leur réputation. C'est donc par le dialogue qu'il faut revoir cet accord. Pourquoi la LFP ne l'a pas fait lors de l'assemblée générale du 23 novembre 2023, alors que la porte était grande ouverte ? Cela aurait compté. Vous avez encore des auditions à conduire et si vos travaux montrent que cet accord est déséquilibré et qu'il a été pris à cause d'intérêts tiers, je crois que CVC n'aura pas envie qu'on en reste là.
M. Michel Savin, rapporteur. - Le président de la LFP est aussi le président de la société commerciale : est-ce excessif ?
M. Christophe Bouchet. - Je pense que c'est une erreur de concentrer les pouvoirs en une seule main, même si l'on peut comprendre que le succès commercial soit récompensé. Je crois, dans le fond, que CVC a besoin d'un cadre apaisé pour jouir pleinement de ses droits et que si ses responsables voient que leur deal extraordinaire - je ne crains pas de l'avouer : j'aurais adoré parvenir à un tel accord en tant qu'agent - ne passe pas, s'ils voient qu'il y a un décalage trop grand avec les perdants et qu'ils sont allés trop loin, je crois qu'ils reviendront négocier, parce que le déséquilibre ne leur est pas favorable.
M. Laurent Lafon, président. - S'agissant du droit de véto accordé à CVC sur l'identité du représentant de la LFP au sein de la société commerciale, est-ce une clause qui va trop loin ?
M. Christophe Bouchet. - Oui, bien trop loin. À titre personnel, j'étais favorable à la création d'une société commerciale, pour mettre de l'ordre dans des négociations qui ressemblaient à une cour d'école. Mais je ne comprends pas pourquoi les présidents de club n'ont pas demandé une place au conseil d'administration. Il aurait été facile qu'un président un peu versé dans le marketing y siège, il aurait même aidé la société commerciale et y aurait représenté ses homologues. Au lieu de quoi, la société commerciale ne comprend, sauf son président, que des personnels et des salariés - c'est un peu comme si, dans les collectivités on déléguait tout aux services techniques, sans plus aucun élu décisionnaire...
M. Jean-Gérard Paumier. - Quelles vous paraissent les mesures prioritaires à prendre pour les parlementaires ?
M. Christophe Bouchet. - C'est une question complexe. J'espère que votre mission éclairera des zones d'ombre. La balle est dans le camp de CVC, pour revoir les accords. Les droits de la saison prochaine seront moins élevés qu'attendu. Les clubs vont en subir les conséquences et ils vont devoir rembourser les deux années de décalage... CVC peut remettre des moyens, je crois que si ses responsables venaient en ne faisant que réclamer leur commission, ce serait catastrophique, surtout au moment où CVC envisage d'entrer en bourse... Je reste optimiste, CVC n'a pas intérêt à de la mauvaise presse. C'est compliqué pour le président de la Ligue d'aller vers CVC, les clubs eux-mêmes n'ont pas envie de titiller le fonds d'investissement. Trois présidents de club sont eux-mêmes propriétaires de fonds, ce n'est pas anodin non plus.
Je crois qu'il faudra aussi, en France, se décider à avoir une politique du sport en général, et du sport professionnel en particulier. C'est un facteur d'attractivité, de soft power. Voyez par exemple ce qui s'est passé pour la Corée du sud après les Jeux olympiques de Séoul en 1988.
M. Michel Savin, rapporteur. - Il y a eu un débat au Parlement sur le pourcentage des droits cédés à CVC, mais pas sur la durée de l'accord, et on découvre le droit de véto de CVC sur le représentant de la LFP dans la société commerciale, cela pose un problème d'équité et d'équilibre dans le fonctionnement même de cette société commerciale. Je vous trouve optimiste : vous dites que CVC tient à sa réputation, mais on se demande ce qu'elle pèsera, face à des conditions tellement intéressantes.
M. Christophe Bouchet. - Le risque le plus important pour CVC n'est-il pas qu'à l'issue de votre mission, votre rapport soit extrêmement sévère et que, par ailleurs, le Parquet national financier ne prenne des dispositions ? L'accord est favorable au fonds d'investissement, mais le risque réputationnel est très important, peut-être plus important que les sommes générées. Je crois que nous nous sommes fait avoir, collectivement. Je n'avais pas imaginé que CVC contournerait la loi par l'extension illimité du contrat, personne de l'avait vu venir. Maintenant, nous avonscompriset j'espère qu'on pourra travailler avec CVC, sinon ce sera compliqué. Je n'imagine guère les présidents de clubs etla LFP entrer en rébellion, et je crois que le problème, au fond, ne peut être réglé que par CVC.
M. Michel Savin, rapporteur. - Merci, nous avons eu beaucoup de réponses, merci pour votre liberté de parole.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 18 h 45.
Mercredi 22 mai 2024
- Présidence de M. Laurent Lafon, président -
La réunion est ouverte à 9 h 35.
Projet de loi d'orientation pour la souveraineté en matière agricole et de renouvellement des générations en agriculture - Articles relatifs à l'enseignement agricole - Audition de MM. Laurent Buisson, directeur général de l'Institut national des sciences et industries du vivant et de l'environnement (AgroParisTech), Michel Dantin, président du Conseil national de l'enseignement agricole privé, et Roland Grimault, directeur de l'Union nationale des maisons familiales et rurales
M. Laurent Lafon, président. - Mes chers collègues, l'examen du projet de loi d'orientation pour la souveraineté en matière agricole et de renouvellement des générations en agriculture (PLOAA) est l'occasion d'organiser une table ronde sur l'enseignement agricole. Celle-ci me permet, au nom de l'ensemble des membres de la commission, de saluer l'engagement au quotidien des équipes de direction et des équipes pédagogiques de vos établissements. Notre commission est particulièrement attachée à l'enseignement agricole, dont nous connaissons le succès en matière d'insertion professionnelle et sociale. Cet enseignement est une chance pour de nombreux jeunes. Nous l'avions d'ailleurs qualifié de « pépite » dans nos précédents travaux.
Monsieur Dantin, vous êtes le président du Conseil national de l'enseignement agricole privé (Cneap). Votre réseau est composé d'environ 190 établissements et représente 30 % des effectifs de l'enseignement agricole. Ces établissements accueillent près de 50 000 élèves dès la quatrième, ainsi que des apprentis. Six écoles d'ingénieurs appartiennent également à votre réseau.
Monsieur Grimault, vous êtes directeur de l'Union nationale des maisons familiales et rurales (UNMFR), riche d'un réseau de 430 maisons familiales et rurales (MFR) dans nos territoires. À la rentrée 2022, votre réseau accueillait 45 000 jeunes en voie scolaire, de la quatrième au brevet de technicien supérieur (BTS) agricole.
Monsieur Buisson, vous êtes directeur général de l'Institut national des sciences et industries du vivant et de l'environnement (AgroParisTech). Vos huit sites accueillent 3 000 étudiants et 250 enseignants-chercheurs, enseignants ou cadres scientifiques.
Nous souhaitons savoir si le présent texte répond à vos attentes et à la nécessité de former davantage de jeunes aux métiers de l'agriculture et de l'agroalimentaire. Notre pays est confronté au défi du renouvellement des générations : près de la moitié des professionnels du secteur partiront à la retraite dans les dix ans à venir.
Le PLOAA vise à augmenter le niveau de diplôme et à amplifier les efforts de recherche et d'innovation. Le texte est-il à la hauteur de cette ambition ? Que pensez-vous de la création d'un bachelor agro ou de son équivalent, cette terminologie ayant été supprimée en commission à l'Assemblée nationale ? Quelle est sa plus-value par rapport au BTS agricole et à la licence professionnelle ?
Enfin, quelles sont vos propositions pour améliorer ce texte ?
M. Michel Dantin, président du Conseil national de l'enseignement agricole privé. - Monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, permettez-moi tout d'abord, avec Mme Florence Machefer, la nouvelle secrétaire générale du Cneap, de vous remercier pour votre invitation.
Nés pour l'essentiel à la fin du XIXe siècle, nos établissements de formation en production agricole ont accompagné des générations de jeunes, qui ont ensuite eu à coeur de faire évoluer notre agriculture pour répondre à la commande politique de la Nation. Après la Seconde Guerre mondiale, une seconde vague d'établissements a vu le jour dans la mouvance de la Jeunesse agricole catholique (JAC), pour former des jeunes filles.
Puis l'ensemble des établissements a évolué. Le Cneap rassemble un peu plus de 180 établissements et représente aujourd'hui le tiers des effectifs de l'enseignement agricole. Il joue toujours un rôle clef dans la formation de nos futurs professionnels de l'agriculture, que ce soit en formation initiale, avec 44 000 apprenants, en apprentissage, avec 11 000 apprenants, ou en formation continue, avec environ 22 000 apprenants. Nous sommes et resterons attentifs à la juste place de notre fédération et au respect du libre choix des familles.
Par ailleurs, 27 % de nos effectifs suivent des formations dans le domaine du service à la personne et de l'animation des territoires qui sont également confrontées à des défis majeurs dans des territoires ruraux en forte demande de professionnels qualifiés. Je vous remercie de l'attention portée à cette filière, avec la mise en place d'une action recherche sur cette formation.
Environ 45 % de nos élèves sont boursiers nationaux. Nos résultats scolaires sont le fruit de l'engagement de nos équipes, des maîtres de stage, maillon essentiel dans nos formations, et des familles. Je tiens publiquement à les remercier.
Le Cneap a été étroitement associé à la préparation du PLOAA, puisque mon prédécesseur, M. Jean Salmon, a co-présidé l'un des groupes de travail. Assurer le renouvellement des chefs d'exploitation est un souci partagé et l'objectif d'accroître de 30 % le nombre d'installés une ardente obligation pour notre pays. Faut-il pour autant ambitionner d'augmenter de 30 % les effectifs de l'enseignement agricole ?
Nous sommes plus sceptiques, pour deux raisons principales. La première tient à l'absence de données sur les raisons de la perte, dans nos corps, d'anciens élèves. Combien sont sortis de nos établissements avec un projet d'installation et n'ont pas pu ou n'ont pas su le concrétiser ? Peut-être trois sur dix. Nous ne le savons pas précisément. Aucune donnée n'existe. Il faudrait lancer un vrai chantier d'étude, pour mieux accompagner les futures cohortes.
La seconde inquiétude concerne la baisse démographique générale, en particulier dans les territoires ruraux où sont implantés nos lycées. Toutes les filières professionnelles devront faire preuve d'un trésor d'inventivité pour séduire de jeunes recrues et assurer le recrutement des salariés de demain.
Le PLOAA, dans son volet formation, répond globalement à notre attente. Nous avons, avec nos établissements, porté cinq amendements devant l'Assemblée nationale ; à ce stade, nous pensons avoir été entendus sur les cinq points, entre autres sur le rôle des services à la personne dans les territoires pour favoriser l'installation de jeunes agriculteurs, la présence, à titre facultatif, d'ateliers pédagogiques et d'exploitation dans les établissements privés sous contrat, la création du bachelor ou l'égale capacité d'accompagnement des porteurs de projet par tous les établissements d'enseignement agricole dans le cadre de France Services Agriculture.
Depuis plusieurs années, les effectifs des étudiants inscrits en BTS agricole diminuent. De nombreux étudiants préfèrent poursuivre directement vers des formations de niveau bac+3 après leur baccalauréat, évitant ainsi le détour par un BTS agricole. Les diplômes de niveau bac+3, tels que les bachelors, ont aujourd'hui un fort attrait pour les étudiants. Ils sont perçus comme plus valorisants sur le marché du travail, offrant de meilleures perspectives professionnelles et des salaires potentiellement plus élevés. Les entreprises recherchent de plus en plus de tels profils et un niveau bac+3 est souvent considéré comme plus sécurisant par les étudiants et les familles. En effet, il réduit le risque de décrochage scolaire et assure une continuité dans le cursus éducatif. Les familles voient d'un bon oeil les formations qui garantissent une insertion professionnelle rapide et stable.
Si la question des moyens n'est pas le sujet de ce PLOAA, je profite cependant de mon intervention pour formuler deux inquiétudes et relever une incohérence. La baisse démographique affecte déjà certains de nos établissements, à laquelle il faut rajouter l'inflation du coût des fluides et des produits alimentaires. Des situations économiques fortement dégradées nous obligent à envisager la fermeture de certains établissements. Des saisines de tribunaux judiciaires sont d'ores et déjà engagées. Alors que, dans les territoires ruraux, ces établissements ont toutes leurs raisons d'être, nous avons besoin de votre aide pour maintenir un maillage territorial solide de notre appareil de formation et un accès à une formation agricole de qualité partout en France. Sans soutien de votre part, je dois malheureusement vous annoncer la fermeture de plusieurs de nos établissements à la rentrée prochaine.
Ma deuxième inquiétude concerne le turnover important des chefs d'établissement depuis plusieurs années, en particulier depuis la dernière rentrée scolaire. Nous constatons un nombre croissant d'arrêts maladie, des burn-out, des ruptures de contrat dès le premier trimestre. Cette difficulté de recrutement de chefs d'établissement, qui touche aussi l'enseignement public, menace la stabilité et la continuité de notre enseignement agricole. Il y a urgence à reconnaître que nos chefs d'établissement sont des personnes responsables et de confiance.
La direction générale de l'enseignement et de la recherche (DGER) semble avoir pris la mesure de ces difficultés, et nous nous réjouissons qu'un groupe de travail soit réuni. Ce travail doit conduire à la réduction du nombre d'injonctions administratives et à leur assouplissement, ainsi qu'à la livraison d'outils informatiques réellement opérationnels.
Nos établissements se voient refuser pour la prochaine rentrée des ouvertures de formation, alors que des demandes répondent à des axes forts de la loi et du plan de développement pour accueillir plus d'élèves en lycée agricole. Je vous assure que ces projets d'ouverture, que je défends auprès des services du ministère, répondent aux objectifs du PLOAA.
M. Roland Grimault, directeur de l'Union nationale des maisons familiales et rurales. - Je vous prie d'excuser le président de l'UNMFR, M. Ravon, retenu par une contrainte professionnelle. Les MFR sont des associations locales dont la gouvernance est composée d'au moins 50 % de parents actuels ou récents, de professionnels maîtres de stage ou maîtres d'apprentissage, ainsi que d'acteurs locaux. Nous sommes une des composantes de l'enseignement agricole non confessionnel, avec un statut associatif à but non lucratif.
Le PLOAA est très important pour l'ensemble du monde professionnel et le tissu rural ; il inclut tous les maillons de la chaîne, de l'orientation à l'installation en passant par la formation et les conditions de vie et de travail des agriculteurs.
Mon propos s'intéressera particulièrement à l'orientation : l'image d'une profession et les moyens mis en oeuvre, la soutenabilité de la profession, tels sont les éléments déterminants pour les jeunes et leur famille. Environ 50 % des activités des MFR sont sous la tutelle du ministère, avec des formations scolaires par alternance, et 50 % sont des formations dans l'artisanat, métiers de bouche, métiers de la mécanique ou de l'automobile. La corrélation entre l'image des métiers et les cohortes de rentrée est frappante : l'adéquation est très rapide. Une émission de cuisine à la télévision permet de remplir rapidement une section en hôtellerie-restauration. Un reportage sur la situation des maisons de retraite entraîne une chute quasi automatique des effectifs dans les secteurs du service à la personne.
Le PLOAA devrait englober l'ensemble des métiers et de la dynamique agricole. Nous pouvons attirer des jeunes aujourd'hui dans l'agriculture grâce à un changement d'état d'esprit sur les métiers manuels, qui sont aussi mécanisés et technologiques. La réforme de 2018 sur l'apprentissage a été une bouffée d'air salutaire. Nous avons pu consolider des investissements et faire face à l'augmentation des coûts et des salaires. Je souligne un point de vigilance : on entend que l'enseignement agricole serait un coût, et non un investissement. Revaloriser les métiers demande de travailler sur les moyens, mais aussi sur l'image. Certains de nos apprentis participent aux WorldSkills, ou Olympiades des métiers.
Les élèves des classes de quatrième et de troisième en alternance, cursus spécifique proposé par les MFR, sont souvent en délicatesse avec le collège, et ont un sentiment de dévalorisation. Il faut alors faire un important travail de remédiation, d'acquisition des savoirs de base et d'orientation, grâce aux stages. Environ la moitié de nos élèves restent dans le domaine agricole, l'autre moitié s'orientant vers d'autres métiers. Tout cela demande des moyens considérables, notamment humains. Il faut travailler avec les parents, trouver le bon lieu de stage, ou en changer. Cela étant dit, grâce à ces classes, nous attirons des jeunes du monde rural ou périurbain qui ne viennent pas du monde agricole ; certains continuent ensuite en baccalauréat professionnel agricole.
De plus, 1 000 adultes suivent un parcours de formation continue d'aide à l'installation, afin d'acquérir le brevet professionnel responsable d'entreprise agricole (Bprea) ou notre titre propre, inscrit au répertoire national des certifications professionnelles (RNCP), de technicien entrepreneur en agriculture (TEA).
J'en viens à la question des moyens, soulevée par un député qui a vu deux MFR fermer dans le département dont il est élu en quatre ans. Il a décidé de déposer un amendement pour consolider les moyens des MFR, amendement adopté en commission des affaires économiques, puis très amendé, avant d'être adopté par l'Assemblée nationale. La logique de cet amendement est que les moyens augmenteront parce que les effectifs augmenteront. Les MFR reçoivent une aide par élève ; plus elles ont d'élèves, plus elles ont de moyens. Les MFR ne reçoivent que cette aide de l'État ; nous sommes employeurs de nos équipes pédagogiques, et 60 % de notre budget est constitué de la masse salariale. Cet amendement va dans le bon sens, mais n'oublions pas la grande fragilité des MFR, qui proposent essentiellement des formations sous tutelle du ministère de l'agriculture.
Ce que nous pouvions faire à une époque, à savoir demander à nos professeurs de travailler plus ou aux parents de financer plus la partie internat ou les frais de scolarité, nous ne pouvons plus le faire aujourd'hui ; les MFR accueillent les enfants des familles des plus défavorisées. De plus, nous rencontrons de grandes difficultés liées au marché de l'emploi : si nos personnels sont très motivés, ils sont aussi très volatils. Si les conditions de travail se dégradent dans une MFR, ils iront travailler ailleurs.
M. Laurent Buisson, directeur général de l'Institut national des sciences et industries du vivant et de l'environnement (AgroParisTech). - Je commencerai par un point déjà mentionné par mes prédécesseurs : l'importance de l'enseignement agricole pour l'agriculture française ou, plus exactement, pour « les agricultures » de France tant il est impossible de mettre en avant un modèle unique d'exploitation agricole. Les transitions que connaissent les agricultures de France, aujourd'hui, exigent des compétences toujours plus importantes. Le rôle de l'enseignement agricole est précisément de former ces compétences.
AgroParisTech, que je dirige depuis deux ans et demi, est la plus ancienne et la plus grande des écoles de l'enseignement supérieur agricole. Elle a deux berceaux : un berceau forestier à Nancy et un berceau à l'ouest de Versailles, au domaine de Grignon. Nous sommes désormais principalement à 80 % sur le plateau de Saclay, juste à côté de la commune d'Orsay. J'ai échangé hier avec mon collègue Philippe Choquet, directeur général d'UniLaSalle, que vous recevrez bientôt. Nous menons des actions conjointes entre l'enseignement public et l'enseignement privé, car nous avons exactement les mêmes défis à relever, notamment en matière de formation d'ingénieurs.
Nous assurons donc la formation des ingénieurs, mais aussi, en lien étroit avec les universités des sites où nous sommes implantés, celles des masters et des doctorants. Nous formons aussi des étudiants, appelés « auditeurs », au travers de masters spécialisés et labellisés par la Conférence des grandes écoles (CGE).
Nous formons à l'agriculture, à l'alimentation, à l'agroalimentaire, à la forêt, à la maîtrise et à la gestion des ressources en eau, à l'environnement et aux territoires, ces derniers jouant un rôle central dans le développement de toutes les activités évoquées ce matin.
Nos élèves sont soit sous statut propre d'étudiants, soit sous statut d'apprentis. Je m'associe aux propos de Roland Grimault sur l'importance de la formation par apprentissage. Nous accueillons les jeunes titulaires d'un brevet de technicien supérieur agricole (BTSA), d'un BTS, d'un bachelor universitaire de technologie (BUT) ou d'une licence pro en apprentissage. Nous sommes très heureux d'avoir ce type d'étudiants, qui apportent énormément de maturité, de recul et de sens pratique au reste de la communauté étudiante. Ils jouent un rôle de leadership.
Nos écoles enregistrent une proportion de boursiers plus importante que celle observée dans les autres écoles d'ingénieurs. Nous notons également une plus grande diversité des origines géographiques.
Le PLOAA est très important pour nos écoles, en particulier pour celle que je dirige. Nous nous sommes d'ailleurs engagés très tôt dans des concertations et des consultations. C'est ainsi qu'en mars et en avril 2023, avec les lycées agricoles d'Île-de-France - publics et privés -, nous avons organisé deux séances - l'une à Saclay et l'autre à Brie-Comte-Robert - au cours desquelles les étudiants d'AgroParisTech ont échangé avec des lycéens. Ces ateliers sur l'avenir de l'agriculture ont été suivis d'une restitution devant des professionnels.
Les enjeux du PLOAA sont nombreux. Tout d'abord, il s'agit d'augmenter de 30 % les effectifs dans les écoles d'ingénieurs par rapport à 2017. Nous avons bien sûr déjà fait une partie du chemin : AgroParisTech accueille actuellement en première année de formation d'ingénieur 400 étudiants ; nous devons en accueillir 480 étudiants à l'horizon de 2030. Nous nous mettons en ordre de bataille pour atteindre cet objectif, mais il nous faudra évidemment disposer de moyens supplémentaires.
Cette programmation ambitieuse annoncée dans le PLOAA recoupe les résultats d'une analyse prospective réalisée à AgroParisTech au cours des dix-huit derniers mois. Cet exercice prospectif confirme bien la nécessité d'augmenter le flux d'ingénieurs diplômés dans le secteur de l'agriculture.
Pour cela, il faut être capable non seulement d'accueillir les étudiants, mais également de les attirer. Mes prédécesseurs ont évoqué la question des vocations. En étroite concertation avec les écoles d'ingénieurs publiques et privées, nous sommes en train de mettre sur pied un dispositif afin de renforcer l'attractivité des formations d'ingénieurs dans le cadre de France 2030. Nous comptons bien déployer un programme ambitieux pour augmenter le flux de candidats dans nos écoles.
Il importe notamment de mettre l'accent sur la diversification des voies d'accès. J'ai déjà mentionné le recrutement de titulaires de BTS ou de BTSA. Nous cherchons aussi à développer l'accès par d'autres filières scientifiques, en particulier les classes préparatoires. Nous nous essayons également d'attirer davantage les étudiants étrangers et les post-bacs. Nos efforts semblent porter leurs fruits. Je préside le jury des concours agronomiques et vétérinaires : nous avons noté en 2024 un net rebond dans le nombre de candidatures par rapport au lent déclin observé les années précédentes. J'espère que cette année marquera un tournant dans l'attractivité de nos formations.
M. Michel Dantin a été très éloquent. Je ne peux que m'associer à ses remarques sur l'intérêt à développer le bachelor agro. Celui-ci permet de renforcer le lien entre les lycées agricoles et l'enseignement supérieur. Il permet également de désinhiber un certain nombre de lycéens n'osant pas rejoindre des formations bac+3 alors que nous recrutons aujourd'hui des titulaires de BTSA ou de BTS. Nous avons d'ailleurs engagé une action appelée « Devenir ingénieur avec un BTSA ». La création d'un diplôme bachelor agro nous permettrait d'aller plus loin, car il bénéficie d'une visibilité plus grande que la licence professionnelle.
Il importe également de prendre toute la mesure de Parcoursup, qui a irrémédiablement changé la donne et offre des perspectives intéressantes aux jeunes. Ces derniers peuvent à présent se projeter dans la durée en ce qui concerne leur avenir professionnel, ce que ne permettait pas le système précédent, lequel nous conduisait à recruter des jeunes à bac+2, c'est-à-dire des jeunes n'étant pas encore certains de vouloir rejoindre une formation d'ingénieur. Grâce au bachelor agro, ce ne sera désormais plus le cas et les élèves auront une visibilité sur trois ans.
Il est très important d'augmenter le niveau de compétence des actifs dans l'agriculture. À AgroParisTech, nous comptons parmi nos diplômés de nombreux exploitants agricoles. Nous cherchons à développer cette propension de nos étudiants à rejoindre directement le monde agricole. Nous sommes en train de réformer notre formation en ce sens. Nous avons historiquement un parcours entrepreneurial qui pousse un certain nombre de nos étudiants à créer des startups, mais nous avons décidé qu'il pouvait être très intéressant de créer également un parcours transversal « exploitation » pour inciter un certain nombre de nos étudiants à se projeter en tant qu'exploitants agricoles. Tous ne franchiront peut-être pas le pas, mais cela les formera durablement pour la suite de leur carrière puisque la majeure partie de nos diplômés, s'ils ne sont pas exploitants agricoles, viendront en appui à l'agriculture. Je pense, notamment, aux conseillers dans les chambres d'agriculture. Notre document d'analyse prospective montre bien tout l'intérêt qu'il y a à les former davantage sur un certain nombre de transitions - énergétique, agroécologique et numérique. Nous nous y attachons, en lien avec Chambres d'agriculture France.
Le PLOAA vise également à mettre l'accent sur la collaboration avec les entreprises. Sur la ferme de Grignon, nos 40 entreprises-partenaires viennent nous présenter sur site leurs innovations, aussi bien dans le domaine de l'élevage que des grandes cultures.
Enfin, si j'ai le temps, j'évoquerai tout à l'heure, au cours de nos échanges, un point important sur la procédure disciplinaire.
M. Christian Bruyen, rapporteur pour avis sur le projet de loi d'orientation pour la souveraineté en matière agricole et le renouvellement des générations en agriculture. - Vous avez effleuré trois sujets sur lesquels il me semble important de revenir.
Tout d'abord, l'article 3 engage les établissements à remplir une mission nouvelle consistant à mettre en oeuvre toute action visant à répondre durablement aux besoins d'emplois nécessaires, et assurant le développement des connaissances et compétences en matière de transition agroécologique et climatique. Que vous inspire cette rédaction ? Quels moyens et quelles adaptations nécessitera cette nouvelle mission ?
Par ailleurs, l'article 4 inclut notamment dans le contrat de plan régional de développement des formations et de l'orientation professionnelles des objectifs d'accroissement du nombre de personnes formées dans les secteurs de l'agriculture et de l'agroalimentaire. Cet article est-il de nature à organiser à l'échelle de chaque région la carte des formations, et donc de mettre fin à des situations de concurrence entre les différents établissements ? Au sein d'un même établissement, n'y a-t-il pas un risque de concurrence entre les formations agricoles et agroalimentaires et les autres formations, comme les services à la personne, qui font pourtant également état de besoins particulièrement grandissants ?
Enfin, l'article 10 prévoit un système d'accompagnement et de conseil à l'installation des jeunes agriculteurs via notamment la mise en place d'un parcours de formation. C'est évidemment une bonne chose, mais la rédaction de cet article en limite l'agrément aux seuls établissements publics d'enseignement agricole. Ne serait-il pas judicieux d'étendre cette capacité à l'ensemble des établissements d'enseignement agricole - publics et privés sous contrat -, d'autant que dans certains territoires il y a très peu, voire pas du tout, d'établissements publics ?
M. Bernard Fialaire. - Je salue les excellents résultats de l'enseignement agricole en matière d'accompagnement de nos enfants. Ce succès pourrait inspirer les autres types d'enseignements.
Le décret du 21 février 2024 a partiellement annulé les crédits adoptés en loi de finances initiale (LFI) pour 2024 de près de 4 millions d'euros. Comment vous êtes-vous adaptés à ces modifications budgétaires ?
Nous nous réjouissons tous de la mise en place du bachelor agro, car chacun appelait de ses voeux la création d'une formation bac+3. Mais, contrairement aux BTSA, cette formation ne pourra pas se faire en alternance ni donner lieu à une rémunération. Cela ne pénalisera-t-il pas la filière ?
Quel regard portez-vous sur le « contrat territorial de consolidation ou de création de formation », créé à l'article 4 ? Ce dispositif pluriannuel sera conclu entre l'établissement d'enseignement technique agricole, les autorités académiques des ministères chargés de l'agriculture et de l'éducation nationale, la région et les représentants locaux des branches professionnelles. Les autres collectivités territoriales intéressées pourront y participer. Ce contrat fixe le cadre à un plan d'action pluriannuel de consolidation des effectifs des classes ou d'ouverture de classes. Quel est votre avis ?
Enfin, on enregistre une fuite des élèves de l'enseignement agricole hors du monde agricole. On pourrait presque s'en réjouir, car cela signifie que les formations sont suffisamment généralistes. Mais comment faire pour, qu'en échange, les filières générales puissent à leur tour alimenter les formations agricoles ? On connaît l'appétence des étudiants pour les carrières commerciales ou autres secteurs plus rémunérateurs. N'y a-t-il pas un risque de captage par l'industrie agroalimentaire, qui peut offrir aux étudiants que vous formez des rémunérations bien supérieures ?
M. Laurent Buisson. - Comment former mieux et davantage nos étudiants aux enjeux des transitions agroécologiques et climatiques ? Cela passe évidemment, d'abord, dans les établissements d'enseignement supérieur - je pense qu'il en va de même dans les établissements d'enseignement technique agricole -, par la compétence des enseignants. Dans l'enseignement supérieur, la plupart de nos collègues sont des enseignants-chercheurs, et leurs sujets de recherche, à 80, voire 90 %, tournent autour des sujets liés à ces transitions, qu'il s'agisse d'agroalimentaire, de production agricole ou de production animale. Comment réduire l'impact environnemental de nos productions agricoles ? Comment améliorer le bien-être animal ? Comment réduire la consommation d'énergie dans les industries agroalimentaires ? Les sujets de recherche de nos collègues sont en très grande partie liés à ces défis qu'il faut relever.
Nous sensibilisons nos étudiants. Une enquête de l'Institut Agro Rennes-Angers a montré, voilà un an et demi, que les étudiants de nos écoles considèrent qu'ils sont bien sensibilisés à ces enjeux. En revanche, ils ont le sentiment que, dans l'enseignement que nous leur dispensons, la prise en compte de ces réalités n'est pas assez systématique : ils trouvent que les solutions que nous leur présentons ne sont pas encore assez marquées par la volonté de traiter ces grands sujets.
C'est évidemment l'une des motivations qui nous a poussés à ouvrir le chantier de la réforme de notre formation d'ingénieur. La maquette de formation doit davantage intégrer l'absolue nécessité de la prise en compte de ces objectifs et l'enseignement des différentes solutions. Il s'agit notamment d'expliquer à nos étudiantes et étudiants que les solutions peuvent être différentes suivant les situations et d'éviter l'enseignement de modèles un peu systématiques.
Aujourd'hui, dans nos écoles, les jeunes sont plus intéressés par les formations agronomiques que par les formations agroalimentaires. Nous ne partageons donc pas la crainte que vous venez de mentionner, monsieur le sénateur. Les industriels du secteur agroalimentaire nous alertent d'ailleurs sur cette évolution.
En revanche, je partage votre inquiétude sur la concurrence d'autres secteurs industriels ou économiques. En effet, nos formations, parfois très généralistes, permettent à nos diplômés de rejoindre des secteurs économiques très éloignés de l'agriculture. C'est sans doute lié au fait que nous avons, à un moment - peut-être à tort -, considéré que nous devions transformer nos écoles en écoles d'ingénieurs généralistes. Dans le contrat d'objectifs et de performance que j'ai signé avec le ministère, j'ai souhaité que figure, au chapitre 1er, l'affirmation de notre identité : nous devons former des jeunes qui vont travailler d'abord dans nos secteurs. Il me semble important, dans la formation que nous dispensons à nos étudiants, de toujours faire le lien avec nos secteurs d'intervention.
Par ailleurs, nous cherchons aussi à attirer des étudiants venant d'autres secteurs disciplinaires, comme des étudiants titulaires d'un DUT Mesures physiques. De fait, les transitions numérique et énergétique que connaissent nos agricultures nous obligent à recruter des jeunes disposant de compétences qui, pour l'instant, n'étaient pas représentées dans nos écoles. Je suis plutôt optimiste sur notre capacité à orienter nos jeunes vers ces sujets.
Sur la question des moyens, nous sommes évidemment sous tension. C'est d'autant plus vrai que nous continuons à assumer la responsabilité de deux sites désormais inutiles : le site de Massy et le domaine de Grignon, que nous avons abandonnés, même si, à Grignon, notre ferme est toujours là. Entretenir un domaine de plus de 300 hectares avec un château du XVIIe siècle est compliqué pour une école dont ce n'est pas forcément le métier ! Nous sommes très attentifs à l'aide que le ministère pourra nous apporter pour nous permettre de boucler notre budget, ces deux sites anciens « plombant » le budget de notre établissement. Le ministère étant parvenu à nous aider les années précédentes, nous espérons qu'il pourra à nouveau le faire en 2024.
M. Michel Dantin. - Je vais d'abord répondre sur l'article 4. À titre personnel, j'ai toujours été très dubitatif sur les documents de planification ; ils sont souvent peu utilisés. Toutefois, il me paraît indispensable de disposer de manière régulière d'une étude sur les perspectives d'emploi et les besoins d'évolution des qualifications. Les « guéguerres » qu'il peut y avoir seront-elles réglées pour autant ? Je l'ignore. Il me semble que l'organisation qui se dessine progressivement dans les départements, avec un directeur d'établissement de l'enseignement agricole public qui dirige l'ensemble des sites - nous réfléchissons nous-mêmes à des modèles assez proches -, permettra sans doute aux personnes de dialoguer et évitera des conflits inutiles, à un moment où nous sommes tous à la recherche de moyens.
Pour ce qui concerne l'article 10, le débat à l'Assemblée nationale n'est pas terminé, mais la question a été réglée en commission. La rédaction proposée nous satisfait. Tenant compte de la volonté de la grande majorité des députés, le ministère a proposé un nouvel article qui prévoit que l'autorité académique - la direction régionale de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt (Draaf) - sera chargée de mettre en place la méthode de suivi applicable à l'ensemble des établissements. Cela nous convient.
J'en viens à la question financière. Je rappelle que l'enveloppe prévue en loi de finances est affectée, à l'exception de 5 millions d'euros placés en réserve. C'est parmi ces 5 millions d'euros, qui étaient déjà « congelés », pour reprendre l'expression du directeur général de l'enseignement et de la recherche, que 4 millions d'euros ont été supprimés. Il est évident que cet argent nous manque, alors que nous discutons du nouveau protocole et que nous en arrivons à la clause intermédiaire.
Je pense que nous nous sommes fait quelque peu avoir il y a quatre ans, lors de la rédaction du dernier protocole et de la modification du code rural qui a eu lieu concomitamment. La loi Rocard est extrêmement claire : le montant de la subvention qui nous est alloué est basé sur le coût d'un élève de l'enseignement public, point ! Les lois de décentralisation intervenues en 1985 puis en 2004 ont prévu une part de décentralisation pour l'enseignement agricole public, les régions ayant reçu la compétence de fonctionnement des établissements - chauffage, cantine... -, au-delà du seul investissement. Cela n'a pas concerné le privé, et la question n'a pas été posée pour l'enseignement agricole privé sous contrat. Aujourd'hui l'État nous dit ne pas pouvoir contribuer dans des domaines ne relevant plus de sa compétence.
Or l'enquête que nous avons réalisée sur 120 établissements a montré que, fin 2023, le poste énergie avait augmenté, en moyenne, de 19 % par rapport à 2022, quand le poste alimentation avait augmenté de 14,5 % en gestion directe et de 7,5 % en cas de gestion assurée par une entreprise de restauration. Il n'empêche que l'État indique que cela ne relève plus de sa compétence ! Dans les prochains jours, je proposerai à mon conseil d'administration de mettre en place un comité d'audit composé de personnes extérieures au Cneap - si possible, d'anciens hauts fonctionnaires - pour essayer de clarifier ces questions de financements, en nous réservant toutes les voies de recours possibles.
De fait, certains de nos établissements sont en grand danger. Certains sont déjà dans les mains des tribunaux judiciaires. D'après le dernier pointage dont je dispose, 45 établissements sur 180 sont dans le « rouge brique », autrement dit en cessation de paiement ou en capacité d'autofinancement négative. Cela ne peut pas durer ! Alors que l'on parle d'augmenter les effectifs de l'enseignement agricole, nous risquons de nous retrouver avec des territoires qui n'auront plus d'établissements. Or les établissements qui relèvent de notre champ - à nous tous ici - forment des jeunes dans le secteur de la production agricole, sur laquelle le PLOAA se concentre.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous savez bien que des territoires ruraux sans services à la personne ne peuvent survivre ! On n'incitera pas les jeunes à s'installer dans un territoire s'il n'y a pas un minimum de crèches, de garderies, d'écoles... Il est donc nécessaire de maintenir les formations aux services à la personne dans l'ensemble des territoires. Au reste, c'est dans les territoires ruraux que le vieillissement de la population est le plus important. C'est donc là que nous aurons encore davantage besoin, dans les prochaines années, d'un accompagnement personnalisé des individus. Nos formations doivent donc, me semble-t-il - je le dis vraiment en conscience -, répondre à un vrai besoin de l'ensemble des territoires pour demain.
M. Roland Grimault. - Concernant la nouvelle sixième mission, je crois que tous les établissements agricoles ainsi que les MFR sont prêts à répondre aux différents besoins du monde agricole. J'ai souligné nos actions de formation continue en direction de personnes qui étaient parties du milieu agricole et qui y reviennent. C'est avant tout avec les régions que nous avons des marchés de formation. Nous allons continuer en ce sens.
Si je me fie à un point qui a été réalisé avec la DGER, je pense que l'ambition pour la formation de tous nos personnels est grande ; je la salue. Je crois qu'il faut beaucoup de réactivité. Le problème de la carte des formations est qu'il faut au minimum deux à trois ans pour mettre en place une formation. Je pense à un grand groupe de luxe qui s'est installé dans le Poitou. En six mois, nous avons développé, en apprentissage, une formation en maroquinerie de luxe : un accord entre ce groupe, la MFR et l'opérateur de compétences (Opco) a suffi. Que se serait-il passé si l'on avait attendu deux ans ? Je me méfie vraiment des cartes de formation, qui visent davantage à préserver certains établissements qu'à permettre le libre choix des familles.
Je ne crois pas qu'il y ait aujourd'hui de la concurrence dans les services à la personne, puisque c'est un pôle particulier de certaines MFR, chaque MFR étant spécialisée dans un ou deux secteurs d'activité professionnelle. La situation a changé compte tenu de la baisse globale des effectifs dans l'enseignement agricole. Lorsque les effectifs étaient très importants, les financements par élève créaient de la concurrence. Nous ne voudrions pas revenir à un tel système. Soit nous recevons une aide de l'État par élève, soit nous mettons en oeuvre un contrat d'apprentissage.
Nous pensons du bien du bachelor agro. De plus en plus de nos étudiants en BTS partent aujourd'hui en licence professionnelle. Certaines de nos MFR ont noué des partenariats avec des universités, avec le Conservatoire national des arts et métiers, etc. Nous développons de telles possibilités. Nous prendrons éventuellement des contacts avec les grandes écoles publiques pour développer le bachelor agro. L'offre ne sera pas forcément énorme dans notre secteur, mais elle est nécessaire pour nos étudiants en BTS qui veulent poursuivre leurs études.
L'idée du contrat territorial de consolidation est sans doute intéressante, mais nous nous sentons peu concernés. Je mets au défi l'administration de gérer une MFR à laquelle on attribue 5 000 euros par élève ! Comment se débrouiller avec cela ? Dans les établissements en milieu rural qui comptent entre 150 et 300 élèves, un internat est absolument nécessaire ; sinon, personne ne vient. Nous sommes également attachés à l'intérêt pédagogique et citoyen de l'internat, même si cet aspect d'éducation à la vie collective, au monde et aux autres de notre travail n'est absolument pas reconnu. C'est un problème.
Je reviens sur la subvention. Nous sommes à un tournant. Le président du Cneap a expliqué que ce qui lui était accordé était indexé sur ce qui est accordé à l'enseignement public, mais ce qui est accordé aux MFR est en partie indexé sur l'enseignement privé à temps plein... Nous sommes donc, dans cette chaîne, en bout de course. Nous demandons, d'ailleurs, de la transparence sur le calcul des coûts. Nous souhaiterions disposer d'éléments nous permettant de comprendre, sur des bases vérifiables, que tous les élus et les citoyens pourraient consulter, comment est, in fine, calculée notre aide par élève.
M. Michel Dantin. - Je voudrais ajouter quelques mots sur la carte des formations et le contrat territorial. J'ai insisté sur l'importance de la planification régionale et sur la nécessité de connaître les évolutions de l'emploi. Le contrat territorial tel qu'il est proposé me semble une excellente idée, particulièrement pour les secteurs de production. Par exemple, si l'on souhaite développer une filière de prunes dans une région, il est pertinent d'avoir une formation arboricole appropriée, avec l'accord de tous les acteurs du territoire.
Toutefois, il est clair que ce type de contrat ne pourra pas couvrir toutes les formations nécessaires. Hier matin, j'étais dans un établissement qui forme des jeunes au bac professionnel sur les nouveaux animaux de compagnie (NAC). Bien que cela puisse sembler éloigné de l'agriculture, ce cursus prépare des salariés pour des jardineries, par exemple. Un contrat territorial ne pourra pas déterminer s'il y a besoin d'une telle formation dans un lycée, ou non. Cette décision relève d'un arbitrage régional, surtout lorsque quelques formations spécifiques suffisent pour une grande région administrative, en fonction du marché de l'emploi.
Il faut donc trouver un juste équilibre entre les deux approches. Pour les filières de production et de services, le contrat territorial peut initier de vraies discussions entre les différents acteurs, à condition de préciser que rassembler les parties prenantes autour de la table ne signifie pas automatiquement qu'ils devront financer les initiatives. À cet égard, je trouve que la réponse de l'État manque de clarté.
Mme Marie-Pierre Monier. - Vous l'avez dit, 55 % des agriculteurs partiront à la retraite d'ici dix ans. La transition écologique est nécessaire, tout comme la lutte contre le réchauffement climatique. Le malaise du monde agricole est palpable, avec la mévente, et les enjeux pour le monde paysan et agricole sont immenses, étant donné leur omniprésence dans nos territoires ruraux. Ces éléments sont au coeur de l'examen de ce PLOAA. Notre commission s'est toujours préoccupée de ces questions, comme l'a rappelé le président. Nous n'avons pas seulement agi lors de l'examen du projet de loi de finances, où nous avons parfois soutenu des amendements pour obtenir plus de moyens, mais nous avons aussi mené des missions importantes. Notre mission d'information sur l'enseignement agricole, outil indispensable au coeur des enjeux de nos filières agricoles et alimentaires, en particulier, menée sous la présidence de Jean-Marc Boyer par la rapporteure Nathalie Delattre, a mis en lumière toutes les formations que vous proposez. Comme l'a souligné le président, l'enseignement agricole est une véritable pépite. Il parvient souvent à apporter une formation et un diplôme à des jeunes éloignés de l'école. L'agriculture elle-même est indispensable à notre société, car nous voulons consommer des produits de qualité, produits localement. L'enjeu est donc crucial.
Concernant l'article 4 et le contrat dont vous avez souligné la nécessité, vous avez mentionné l'exemple des animaleries dans les jardineries, indiquant qu'il pourrait y en avoir trois ou quatre dans une région. Cela m'amène à me demander si l'échelon régional est vraiment le bon. Par exemple la région Auvergne-Rhône-Alpes compte douze départements : je trouve cet échelon immense. Ne serait-il pas plus pertinent de calibrer ce contrat au niveau départemental ?
Les députés ont introduit un amendement à l'article 2 pour désigner, dans chaque département, un homologue du directeur académique des services de l'Éducation nationale, représentant les établissements d'enseignement technique et agricole, publics et privés, liés à l'État par un contrat. Pensez-vous que l'instauration d'un tel interlocuteur serait pertinente ?
Quant au bachelor, bien que vous sembliez valider cette formation, il y a eu beaucoup d'interrogations, notamment de la part des syndicats agricoles. Contrairement à une licence, le bachelor n'est pas un diplôme universitaire. La licence proposée, qui combine le BTS et une licence professionnelle, permet la poursuite d'études. Alors, quel est l'intérêt de ce bachelor ? J'avoue être perplexe sur ce sujet.
Enfin, vous avez beaucoup parlé des établissements scolaires sous tension financière, du financement par élève insuffisant et de la nécessité d'être réactifs sur les formations à mettre en place pour répondre aux besoins locaux. Cela revient toujours dans les discussions sur le projet de loi de finances. La trajectoire financière de l'enseignement agricole au cours des derniers exercices budgétaires vous paraît-elle cohérente avec l'objectif visé par l'article 2 de ce PLOAA, à savoir une augmentation significative du nombre de personnes formées aux métiers de l'agroalimentaire d'ici 2030 ?
Mme Catherine Belrhiti. - Merci, messieurs, pour vos exposés. La plupart des questions que je voulais poser ont déjà été abordées. Je souhaite cependant revenir sur un point essentiel que vous avez soulevé : la baisse démographique et son impact sur le recrutement des jeunes dans le monde agricole et les formations agricoles. À mon avis, ce n'est pas tant la baisse démographique qui pose problème que l'attractivité des métiers agricoles.
Actuellement, environ 18 000 jeunes obtiennent un diplôme chaque année dans le secteur agricole. Pour atteindre les 30 % préconisés, il faudrait en former 25 000. Ne faudrait-il pas commencer dès le plus jeune âge à mettre les enfants au contact du monde agricole, afin de leur faire découvrir ce secteur et ses opportunités ? Le Gouvernement a évoqué la possibilité de mettre en place un programme de découverte des métiers agricoles dès l'école primaire. Des initiatives existent déjà, comme le programme Savoir Vert, où des fermes proposent des parcours de découverte. En tant qu'acteurs de l'enseignement supérieur agricole, pensez-vous que cette mesure, telle qu'elle est prévue dans le PLOAA, pourrait susciter des vocations chez les écoliers, qui pourraient ensuite poursuivre leurs études dans vos établissements ? Ne serait-il pas judicieux de prolonger ce programme de découverte au collège et au lycée ?
Mme Annick Billon. - Merci, messieurs, pour ces présentations et les premières réponses que vous avez apportées. Je souhaite réaffirmer mon attachement à l'enseignement agricole, et notamment au réseau des MFR de Vendée, qui bénéficie d'un maillage particulièrement développé. Permettez-moi d'être assez terre-à-terre et pragmatique. Récemment, lors de ma visite dans un établissement, plusieurs écueils m'ont été présentés. Je vais vous en faire part et j'aimerais que vous me disiez en quoi ce PLOAA peut y répondre.
D'abord, les lycées agricoles rencontrent des difficultés pour recruter des enseignants compétents en matières techniques. De manière plus générale, les directeurs ne sont pas suffisamment aidés dans le recrutement des professeurs et doivent souvent mobiliser leur propre réseau, comme celui de l'Association pour l'emploi des cadres, ingénieurs et techniciens de l'agriculture. De plus, dans l'enseignement général agricole, il est obligatoire de recruter des profils ayant un master 2, sauf pour les enseignements techniques et spécifiques, ce qui n'est pas le cas dans l'Éducation nationale. Cette mesure découle d'un décret publié il y a trois ans, que la direction générale de l'enseignement et de la recherche du ministère de l'agriculture n'a jamais rectifié. Par ailleurs, il y a des problèmes d'articulation entre les contrats de droit public et de droit privé.
Le deuxième écueil concerne le pacte enseignant, qui rémunère des actions et projets qui étaient déjà menés bénévolement par les professeurs. Personne n'est en mesure de contrôler l'exécution de ces missions. Le pacte permet de valoriser les initiatives des professeurs et de dynamiser les projets extra-scolaires, mais la difficulté réside dans le contrôle de la réalisation effective de ces heures par les professeurs engagés. Certains enseignants touchent la rémunération du pacte alors qu'ils n'ont effectué que la moitié des heures de leur mission. Le contrôle des heures supplémentaires effectives était plus simple. À titre d'information, une heure supplémentaire est payée 38 euros, alors que dans le cadre du pacte, c'est 62 euros par heure. Un directeur doit effectuer environ 3 200 clics pour inscrire l'ensemble des pactes enseignants de son établissement, ce qui est loin de simplifier leurs tâches !
Le troisième point concerne le remplacement des enseignants. Le pacte s'avère efficace uniquement pour les remplacements de courte durée. Le quatrième écueil est l'overdose en logiciels et outils numériques. Les directeurs disposent d'une trentaine de logiciels, ce qui complique la gestion quotidienne. Enfin, en ce qui concerne l'attractivité, les mutations entre le ministère de l'agriculture et le ministère de l'éducation nationale sont dans certaines régions totalement impossibles ou très difficiles. Faciliter ces mutations contribuerait à une attractivité accrue pour le secteur. Pourriez-vous nous éclairer sur la manière dont ce PLOAA pourrait répondre à ces défis ?
M. Gérard Lahellec. - Je tiens à vous remercier pour vos interventions qui m'ont particulièrement touché. En tant que sénateur des Côtes-d'Armor, je porte une attention toute particulière à l'enseignement agricole, vu la diversité des formations que nous accueillons dans notre région, même au-delà de celles représentées ici aujourd'hui.
Vos présentations mettent en lumière une vérité fondamentale : l'enseignement agricole sait s'adapter à toutes les attentes. Le plus difficile est sûrement de définir précisément ce que l'on attend de lui, surtout dans un contexte où les politiques agricoles sont souvent en crise et où il n'y a pas toujours adéquation entre les conditions économiques de l'agriculture et les attentes de la société.
Cette difficulté ne peut être surmontée que par un investissement réel dans la formation. Celle-ci ne doit pas être vue comme un simple coût, mais comme un investissement crucial. Cela nécessite des moyens nouveaux pour augmenter les effectifs et pour relever le défi de l'élévation des qualifications et des diplômes. On ne peut pas se contenter de raisonner à moyens constants.
Par ailleurs, le thème de l'agroécologie est central. Il appelle à une évolution des connaissances et constitue un levier culturel important pour tous les types d'agriculture. Ces évolutions sont nécessaires pour cheminer vers un développement durable et pour défendre toutes les agricultures du monde.
Je vais maintenant aborder une question qui me préoccupe. J'ai récemment participé à l'inauguration de centres de formation de certaines filières agricoles, comme la filière porcine, qui affichent des ambitions affirmées. Je m'interroge sur les rapports que vous entretenez avec ces filières, qui semblent orienter leurs formations davantage vers des activités industrielles que vers les activités primaires de l'agriculture.
Mme Mathilde Ollivier. - Merci pour vos interventions. Nous sommes tous et toutes d'accord pour dire que nous devons absolument conforter et renforcer l'enseignement agricole, ce qui est l'objectif du PLOAA. Nous sommes plusieurs à l'avoir mentionné. Le dernier recensement agricole, opéré en 2020, dénombrait 496 000 exploitants agricoles pour 389 000 exploitations. La décroissance du nombre d'exploitants se poursuit, ce qui suscite de nombreuses inquiétudes, puisque 50 % des exploitants agricoles français seront partis à la retraite dans les dix prochaines années. Pour mettre fin à cette hémorragie et surtout pour assurer le renouvellement des générations en agriculture, l'enseignement est primordial, tout comme le sont les moyens qui doivent lui être consacrés.
Plusieurs interrogations demeurent, que plusieurs de mes collègues les ont déjà évoquées. Je commence par l'attractivité des métiers. Alors qu'on parle de besoins croissants pour atteindre les objectifs de formation des nouveaux jeunes agriculteurs, entre 2017 et 2022, 316 emplois dans l'enseignement agricole ont été supprimés. Vous l'avez mentionné, de nombreux établissements d'enseignement agricole sont en difficulté. Même si les difficultés de recrutement ont eu un impact limité sur la rentrée, avec 98,7 % des postes pourvus au 1er octobre 2023, on ne peut fermer les yeux sur le problème d'attractivité du métier d'enseignant, y compris dans l'enseignement technique agricole. Comment répondez-vous à cet enjeu, alors que vous êtes vous aussi affectés par les coupes budgétaires ?
J'en viens aux MFR. Vous nous avez parlé de la faiblesse de leur modèle de financement et de la grande fragilité financière d'une partie des MFR, alors que celles-ci jouent un rôle structurant en zone rurale pour assurer l'enseignement et le renouvellement des générations dans l'agriculture. La contribution accordée par l'État est loin d'être au niveau, vous l'avez souligné. Pouvez-vous revenir sur la proposition que vous portiez pour assurer un financement suffisant des MFR et sur l'amendement dont vous avez parlé, qui a été porté à l'Assemblée nationale et qui, selon vous, permettrait de répondre à ces enjeux ?
Enfin, l'agriculture doit répondre aux défis du siècle et à l'urgence climatique. Que pensez-vous de la mise en place d'un module d'agriculture biologique dans toute formation agricole ? Pourriez-vous également élaborer plus largement sur la manière dont vos établissements intègrent aujourd'hui la transition agroécologique ?
Mme Pauline Martin. - Comment préparez-vous les jeunes aux problématiques sociétales que nous connaissons et auxquelles ils devront faire face ? Quid de la dimension opérationnelle permettant de lutter contre un certain fatalisme ? Quelle est votre analyse sur les transpositions normatives auxquelles nos collègues ont fait allusion tout à l'heure, et auxquelles vos élèves seront confrontés dans l'avenir ? Au-delà du coût par élève, où en est votre capacité d'investissement ? Les financeurs publics ne semblent guère s'en préoccuper, à en juger par les MFR du Loiret.
M. David Ros. - Cette audition est très riche et très synthétique. Nous devrions vous recevoir plus souvent pour aider à la valorisation des métiers liés à l'agriculture, à des moments moins passionnels que ce qu'on a pu connaître par le passé...
Laurent Buisson a beaucoup parlé de l'intégration des techniques, de la technologie, du numérique, mais il n'a pas parlé de réglementation. C'est pourtant nécessaire pour comprendre les enjeux dans les différents métiers, que ce soit sur le plan financier ou au niveau européen. C'est un sujet auquel Michel Dantin sera sans doute sensible.
Ce PLOAA parle de planification, sans mettre en place un kolkhoze... Les besoins par filière, par métier, sont-ils clairement identifiés territoire par territoire ? Quel est le lien avec Parcoursup pour aiguiller le plus précisément possible les jeunes dans leur parcours ? Les acteurs économiques, notamment privés, sont-ils associés dans les formations ? Sont-ils associés à leur financement ?
Enfin, Roland Grimault parlait de réactivité entre évolution et évaluation. Vous paraîtrait-il intéressant de disposer d'un observatoire pour voir, dans la durée, si ce qui est mis en place est opérationnel et répond aux enjeux pour le pays, mais aussi pour le continent européen ?
Mme Alexandra Borchio Fontimp. - Je voudrais d'abord exprimer ma reconnaissance à tous les acteurs qui contribuent à attirer, former et développer l'enseignement agricole en France, un secteur qui, malheureusement, reste souvent en dehors des projecteurs médiatiques. L'avenir de l'agriculture dépend également de la formation des agriculteurs, comme l'a souligné M. le directeur d'AgroParisTech. Les étudiants et lycéens que je rencontre dans mon département sont passionnés, mais ils expriment également des craintes légitimes. Le mouvement des agriculteurs de cet hiver a bien illustré la fragilité du secteur.
La question de l'attractivité de l'enseignement agricole devient donc urgente. Il est crucial de susciter un choc d'attractivité dans les métiers agricoles et auprès des jeunes, tout en modernisant ces métiers pour relever les défis du renouvellement des générations, du dynamisme de nos territoires, qu'ils soient ruraux ou non, et de l'adaptation au dérèglement climatique. Par exemple, le lycée agricole d'Antibes, devenu le campus Vert d'Azur, consacre un budget croissant à sa communication et noue des partenariats tout au long de l'année pour valoriser ses filières, déconstruire les idées reçues et présenter la richesse et la diversité des métiers proposés.
Il est également important d'encourager les initiatives nationales, telles que le cinéma, avec des séries comme « DÉTER », qui déconstruit les préjugés sur les lycées agricoles, ainsi que l'opération « L'avenir du Vivant », qui fait découvrir des métiers et des formations dans nos départements. Nous devons avoir confiance en nos établissements et leur fournir les moyens nécessaires pour réussir.
Ma question porte sur l'orientation. Il n'existe actuellement nulle part en France de continuum dans l'accompagnement des jeunes sur un seul et même territoire. Un étudiant souhaitant se spécialiser dans tel ou tel domaine doit souvent déménager, car il n'y a pas de fil conducteur entre les collèges, les écoles et les lycées. Cela peut être décourageant. Ne serait-il pas intéressant de créer une forme de pacte territorial entre les communes, les départements et les régions, afin de développer une stratégie de découverte et d'accompagnement des formations agricoles sur un seul et même territoire ?
Mme Karine Daniel. - Je tiens tout d'abord à exprimer ma reconnaissance pour le travail des équipes sur le terrain dans le domaine de l'enseignement agricole. C'est un bel exemple de coopération entre le secteur public et le privé, qui assure un maillage territorial important, avec une grande diversité de formations.
La question des financements, que vous avez évoquée, est majeure, avec des spécificités concernant vos établissements. D'une part, le maillage territorial représente un coût global non négligeable, et d'autre part, la nécessité de diversifier les formations entraîne mécaniquement des économies d'échelle réduites et donc des coûts plus élevés. Cela doit être pris en compte, dans un contexte où il est nécessaire d'augmenter les effectifs et d'orienter davantage d'élèves vers les métiers de l'agriculture, conformément aux objectifs du PLOAA.
La crise traversée par l'agriculture n'est pas un facteur d'attractivité pour les jeunes. Les images véhiculées en ce début d'année n'ont pas donné une vision positive de l'avenir pour toute une génération qui pourrait pourtant se tourner vers ces métiers, dont les défis sont importants, motivants et novateurs. Nourrir le monde tout en préservant l'environnement est une double ambition noble, qui devrait susciter l'enthousiasme des jeunes et moins jeunes de notre pays et d'Europe en général. Bien sûr, tout ne commence pas avec ce texte et la mobilisation sur ces sujets dure déjà depuis des années.
J'en viens à l'attractivité des métiers agricoles. L'agroécologie et l'agriculture biologique sont des sources de motivation pour de nombreux jeunes, et ces formations doivent être mises en valeur. L'agroforesterie, par exemple, qui devra de plus en plus être intégrée aux exploitations agricoles, doit également faire partie des cursus de formation. Un amendement en ce sens a été adopté par l'Assemblée nationale, d'ailleurs.
Enfin, je tiens à souligner l'importance croissante des jeunes femmes dans le secteur agricole, non seulement en tant que co-exploitantes, mais de plus en plus en tant que chefs d'exploitation. Elles rencontrent cependant des difficultés et des obstacles spécifiques, par exemple vis-à-vis du secteur bancaire, ou de leurs collègues. L'enseignement agricole a un rôle crucial à jouer dans la déconstruction des stéréotypes et l'encouragement des jeunes femmes à s'installer de manière autonome dans ces métiers, car celles-ci constituent également une force de renouvellement dans la profession.
M. Jacques Grosperrin. - Merci pour vos interventions. Je tiens à exprimer ma gratitude pour vos compliments sur Parcoursup, un dispositif qui, malgré les critiques qu'il peut susciter, présente de nombreux avantages et un réel intérêt.
Je souhaite aborder deux points. Tout d'abord, ce PLOAA porte sur la souveraineté alimentaire et le renouvellement des générations en agriculture. Il est prévu qu'en 2035, le nombre d'exploitations agricoles en France sera inférieur de 30 % à celui d'aujourd'hui, mais que la surface agricole utilisée augmentera de 45 %. Ma première question porte sur l'orientation didactique face à ce changement de paradigme, où les exploitations agricoles seront certainement plus importantes. Comment vos centres de formation se préparent-ils à cette évolution ?
Ensuite, je souhaite aborder l'article 2 du PLOAA, qui concerne le soutien de l'État à la recherche, à l'innovation et à la diffusion des connaissances. La politique est souvent pavée de bonnes intentions, mais quels seront les engagements financiers pris à cet égard ? Certaines modifications ont déjà été apportées à cet article, notamment pour renforcer les compétences en gestion d'entreprise, en ressources humaines et même en compétences psychosociales. Les établissements agricoles sont-ils actuellement en mesure de répondre à ces exigences ?
Un troisième point concerne le turnover et le burnout des chefs d'établissements. Comment expliquer ces phénomènes dans le secteur public ? Est-ce dû à des difficultés de mutation, à des équipes moins complètes en raison de contraintes budgétaires ou organisationnelles ?
Enfin, en ce qui concerne les MFR, nous avons à coeur, au sein de cette commission, sous l'égide de Laurent Lafon, de veiller à ce que tous les établissements soient traités de la même manière. Nous sommes conscients des défis auxquels vous êtes confrontés et nous déposerons des amendements pour vous aider, notamment en ces temps de difficulté budgétaire, qui impactent souvent les personnes et les enfants les plus vulnérables.
Mme Sabine Drexler. - Merci pour cette audition très intéressante et inspirante et pour les informations que vous nous avez apportées. Dans quelle mesure les difficultés d'accès à la terre pour les jeunes qui ne sont pas issus du milieu agricole constituent-elles un frein ? Certains d'entre eux voudraient se lancer dans des filières de production, mais ils savent par avance qu'ils ne pourront pas prétendre à l'indépendance à laquelle ils aspirent, ni prendre les initiatives qu'ils pourraient prendre, notamment en termes de transition écologique.
M. Michel Dantin. - Je vais tenter de répondre à vos questions en regroupant les thèmes abordés. Je commence par les recrutements de personnel et l'épuisement des équipes de direction. La difficulté à trouver des candidats qualifiés concerne tous les employeurs, pas seulement dans le secteur agricole. Cependant, la pression sur les chefs d'établissement est exacerbée par un transfert progressif de charges administratives depuis l'État vers les établissements eux-mêmes. Il est crucial de simplifier les instructions et de fournir des outils informatiques fonctionnels pour alléger cette pression. Un groupe de travail a été constitué sur cette question, ce qui témoigne d'une certaine prise de conscience. Il est également nécessaire d'avoir des outils informatiques interopérables avec ceux de l'éducation nationale : nous sommes obligés de faire une saisie du parcours complet d'un élève alors que toutes ces données existent déjà.
Quant à l'attrait des métiers agricoles, il est nécessaire de distinguer entre l'attractivité du métier et l'enjeu démographique auquel nous sommes confrontés. J'ai été maire d'une ville de 60 000 habitants à l'est de la région Rhône-Alpes. Pendant mes six ans de mandat, j'ai fermé une classe de maternelle par an, dans un département, la Savoie, qui gagne un peu plus de 1 % de population par an ! La baisse démographique est devant nous, et la lutte que les filières vont se livrer pour garder de la main-d'oeuvre ne fera que se renforcer, ce qui rendra d'autant plus ardu d'augmenter de 30 % le nombre de jeunes agriculteurs.
Tout à l'heure, j'ai insisté sur le fait que nous perdions beaucoup de jeunes après le moment où ils sortent de l'établissement avec un projet. J'insiste sur le fait qu'aucune donnée n'existe sur les raisons de ces pertes. Les chefs d'établissement m'évoquent tous des jeunes qui étaient très motivés, avec des projets qu'ils n'ont pas pu concrétiser, sans que personne ne soit capable de me dire pourquoi. Il y a peut-être, en effet, la question du foncier. Mais c'est peut-être aussi l'arbre qui cache la forêt, car il y a actuellement beaucoup d'exploitations à céder. En fait, une multitude de raisons expliquent que ces projets n'ont pas abouti. Les 30 % que nous cherchons, ils sont peut-être là ! La DGER va lancer une étude sur cette question. C'est indispensable.
Le contrat prévu à l'article 4 doit-il être départemental ? Parfois, en fonction des réalités de territoire et de production, il pourrait être interdépartemental, ou intradépartemental : d'un point à l'autre d'un département, notamment en montagne, il peut y avoir de grosses différences. Je ne vois pas l'intérêt d'un directeur départemental académique pour l'agriculture. Nous avons de très bonnes relations avec les services régionaux de la formation et du développement (SRFD) ; même s'ils sont à Clermont-Ferrand, et nous à Chambéry, nous communiquons très bien.
Nos exploitations sont d'abord des lieux d'application des programmes, avec un caractère démonstratif. Elles ont eu tout au long de l'histoire, et notamment dans le développement agricole des années 1960, un rôle essentiel. Sur les questions d'agroécologie, elles peuvent continuer à jouer ce rôle. Lorsqu'elles comportent des ateliers technologiques, nous avons donc demandé à ce qu'elles soient reconnues pour l'enseignement privé sous contrat, ce qui n'était pas le cas jusqu'à présent. Mais il ne faut pas mélanger les sujets et confondre les itinéraires techniques. L'enjeu de l'adaptation au changement climatique, d'une manière globale, doit être intégré dans les programmes, au fur et à mesure que la recherche avance sur ce sujet. En ce qui concerne l'agriculture biologique, il est nécessaire de la considérer comme un itinéraire technique plutôt que comme une religion, comme c'est parfois le cas en France. Il faut enseigner cet itinéraire technique aux élèves pour les préparer à la polyvalence nécessaire dans leur future carrière.
Enfin, vous évoquez la transposition en droit français du droit européen ; nous pourrions en parler pendant toute la journée...
M. Roland Grimault. - Concernant la collaboration entre les ministères de l'agriculture et de l'éducation nationale au niveau local, nous avons remarqué un changement de regard depuis que ces deux ministères travaillent ensemble, notamment en ce qui concerne l'orientation vers les filières agricoles. Des directives claires ont indiqué aux chefs d'établissement que l'orientation vers l'enseignement agricole n'était pas un échec, ce qui est une évolution positive. Leur évaluation, même, en a tenu compte. L'idée de mettre les enfants au contact du monde agricole dès le plus jeune âge est ambitieuse et potentiellement bénéfique pour sensibiliser les élèves à l'origine des produits qu'ils consomment. En ce qui concerne les stages d'observation, il est louable d'offrir aux jeunes la possibilité de découvrir le monde agricole dès le collège. Cela peut contribuer à briser les stéréotypes et à susciter des vocations.
Concernant les enseignants et les directions d'établissement, il est regrettable que les MFR ne soient pas incluses dans le pacte enseignant, d'autant plus que leurs salariés réalisent déjà les missions demandées par ce pacte. Pour une association à but non lucratif, les bénéfices sont les capacités d'investissement. La baisse des investissements de la part des régions crée des difficultés pour les MFR, qui doivent parfois refuser des élèves faute de capacité d'accueil. Pour elles, investir un ou deux millions d'euros dans un internat hypothèque l'avenir pour plusieurs années. L'autofinancement est souvent de 50 %.
Les établissements agricoles sont capables de répondre de manière réactive aux demandes du marché de l'emploi, notamment en formation continue d'adultes. Cependant, il est essentiel de reconnaître le travail en amont nécessaire à la conception des formations, et il serait judicieux de valoriser cette part de l'activité. Les données nous sont fournies par de multiples organismes existants, il n'est donc peut-être pas nécessaire d'y ajouter un observatoire.
Enfin, sur la question de l'agroécologie et des transitions agricoles, il est encourageant de constater que les jeunes générations sont sensibles à ces enjeux. Cependant, elles expriment également des préoccupations quant à la complexité des normes et des réglementations qui encadrent leur activité, ainsi que par rapport aux difficultés d'accès à la terre pour s'installer.
M. Laurent Buisson. - Je vais me concentrer sur quelques points spécifiques, étant donné que mes collègues ont déjà abordé de nombreux aspects de la discussion. Tout d'abord, sur la question de l'attractivité de nos établissements, nous ne devons pas sous-estimer l'importance de promouvoir activement nos programmes auprès des étudiants potentiels. Même si nous avons une bonne réputation, nous devons continuer à nous battre pour attirer de nouveaux étudiants. J'ai constaté cela lors de l'ouverture d'une nouvelle voie d'accès en classe préparatoire.
En ce qui concerne les formations, nous avons remarqué que les jeunes préfèrent souvent les nouvelles options comme le BUT, ce qui peut affecter nos recrutements dans les filières traditionnelles comme les BTS. Cette évolution vers des formations plus longues peut s'expliquer par les exigences croissantes du marché du travail, qui rendent la troisième année de ces formations particulièrement pertinente pour acquérir des compétences supplémentaires, par exemple au sein d'ateliers méthanisation, d'ateliers agrivoltaïsme... Nos étudiants deviennent spécialistes des procédés chimiques ou biotechnologiques, deviennent un peu électriciens, etc. D'ailleurs, le PLOAA vise aussi à élever le niveau de compétence des agriculteurs.
Quant au financement des établissements privés, nous avons répondu à un appel à manifestation d'intérêt de l'État qui nous demande de solliciter des financements importants auprès de partenaires socio-économiques. Bien que ce soit parfois difficile dans un secteur économique comme le nôtre, nous devons persévérer dans nos efforts pour obtenir ces financements.
Sur la question de l'accès à la terre, il existe des initiatives, modestes, qui sont parfois le fruit de réussites individuelles dans des start-ups. Elles consistent à aider les jeunes à s'installer en assumant une partie du portage foncier, avec des mécanismes innovants. Cependant, ces initiatives restent insuffisamment nombreuses.
Enfin, je voudrais insister sur l'importance des compétences et de la formation des enseignants. Il est crucial d'aider nos collègues enseignants à monter en compétences, notamment dans des domaines comme les sciences humaines et sociales, qui peuvent jouer un rôle essentiel dans la lutte contre le fatalisme et l'anxiété chez les étudiants. Cette attitude me paraît contradictoire avec le choix du métier d'ingénieur. L'ingénieur est celui qui cherche des solutions qui n'existent pas encore. Si nous partons battus d'avance, nous n'avons aucune chance de trouver des solutions !
Sur tous ces points, il faut aider nos collègues enseignants et chercheurs à monter en compétences. La recherche, académique et expérimentale, est importante, tout comme la collaboration avec les centres techniques. Mes collègues zootechniciens travaillent beaucoup avec l'Institut de l'élevage, ainsi qu'avec tous les centres techniques agricoles réunis dans l'Association de coordination technique agricole (Acta), présidée par Mme Anne-Claire Vial. Nous essayons de nous rapprocher de ces centres techniques agricoles, car c'est là que les connaissances pratiques sont validées et peuvent ensuite être diffusées vers l'ensemble de la profession agricole.
À AgroParisTech, nous avons des sciences sociales : de l'économie, de la gestion, du droit, de la sociologie. Mais les sciences humaines sont bien moins représentées. À l'étranger, la place des humanités est plus importante. Avoir un philosophe, des historiens qui viennent replacer un certain nombre de grands débats dans des perspectives plus larges permettrait sans doute à nos étudiants, ou en tout cas à certains d'entre eux, de moins broyer du noir.
Je souhaite vous sensibiliser sur un point très technique, celui des procédures disciplinaires dans nos écoles. Pour traiter des problèmes qui peuvent être très douloureux, notamment la question des violences sexuelles et sexistes, nous disposons d'une procédure disciplinaire qui n'a pas été mise à jour depuis longtemps. Elle avait été copiée sur ce qui se faisait à l'époque dans l'enseignement supérieur. Depuis lors, le code de l'éducation a évolué, mais pas le code rural. Cela nous met en difficulté. Il y a eu un malentendu à l'Assemblée nationale lorsque le texte proposé sur ce sujet a été discuté. Si le Sénat peut reprendre cette question, ce sera très utile. Il nous faut une procédure avec une instance d'appel présidée par un conseiller d'État, permettant aussi de dépayser des dossiers, afin de garantir une réponse adéquate et juste à ces situations délicates.
M. Bernard Fialaire. - Avez-vous été atteint, dans vos établissements, par les manifestations antisémites ?
M. Laurent Lafon, président. - Merci à tous. Notre rapporteur a bien pris note de votre dernière proposition. Merci pour cet échange très complet sur l'enseignement agricole. Vous avez compris que c'est un sujet qui nous tient à coeur.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 11 h 30.
Mission d'information sur l'intervention des fonds d'investissement dans le football professionnel français - Audition de M. Jaume Rourès, fondateur et ancien président de Mediapro
M. Laurent Lafon, président. - Nous poursuivons les travaux de notre mission d'information, dotée des pouvoirs des commissions d'enquête, sur l'intervention des fonds d'investissement dans le football professionnel français, en entendant M. Jaume Rourès, ancien président et fondateur du groupe Mediapro.
Monsieur Rourès, merci d'avoir accepté notre invitation. Vous avez présidé de 1994 à 2023 la société Mediapro, dont vous êtes l'un des co-fondateurs. Basé à Barcelone, Mediapro est devenu, au fil des ans, l'un des acteurs mondiaux majeurs de la production audiovisuelle et de la gestion des droits sportifs, employant à ce jour plus de 7 000 salariés. En octobre 2023, vous avez quitté vos fonctions au sein de la société, à la demande de son nouvel actionnaire majoritaire, le fonds d'investissement Southwind Group, basé à Hong Kong. Southwind Group détient aujourd'hui environ 80 % de Mediapro, ayant repris le contrôle auparavant détenu par le fonds chinois Orient Hontai Capital. L'agence WPP demeure actionnaire minoritaire du groupe. À notre connaissance, mais vous pourrez nous le confirmer, vous possédez toujours une participation minoritaire dans le groupe que vous avez créé il y a trente ans.
Le 29 mai 2018, Mediapro sort grand gagnant de l'appel d'offres de la Ligue de football professionnel pour l'attribution des droits TV de la Ligue 1. L'entreprise remporte une part substantielle de ces droits, pour 780 millions d'euros. Quelques mois plus tard, elle acquiert aussi une partie des droits de la Ligue 2, pour 34 millions d'euros. Mediapro était alors déjà présent en France, ayant notamment contribué, depuis 2012, à la distribution et à la production des contenus de la chaîne beIN Sports. Pour la Ligue de football professionnel (LFP), l'appel d'offres de 2018 atteint un résultat presque inespéré puisque les droits totaux de la Ligue 1 dépassent alors le milliard d'euros.
Ce qui était un succès, tant pour la LFP que pour Mediapro, va toutefois se transformer, deux ans plus tard, en l'un des échecs financiers les plus retentissants du football français. Nous souhaitons revenir, avec vous, sur les circonstances qui ont conduit à cet échec.
Vous vous êtes beaucoup expliqué lors d'une audition à l'Assemblée nationale en 2021, quelques mois après le départ de Mediapro et l'interruption de la chaîne Téléfoot. Notre objectif n'est pas de vous faire répéter ce que vous avez dit à cette occasion. Notre audition sera un peu différente.
Avec Michel Savin, rapporteur de notre mission d'information, nous nous intéressons en effet au processus de financiarisation du football professionnel, qui touche la propriété des clubs comme l'exploitation des droits audiovisuels des championnats.
Notre attention se porte, en particulier, sur la genèse du partenariat conclu en 2022 entre la Ligue de football professionnel et le fonds d'investissement CVC Capital Partners.
Le départ de Mediapro en 2021 a entraîné des pertes financières importantes ou un manque à gagner pour la LFP, de l'ordre de 500 millions d'euros par an. Cet épisode a pu inciter la LFP à accélérer sa réflexion sur l'hypothèse de création d'une société commerciale.
En 2022, en effet, environ un an après le départ de Mediapro, le fonds d'investissement CVC a acquis 13 % de la filiale commerciale de la LFP, créée en application de la loi du 2 mars 2022. En contrepartie, CVC apporte un financement au football français à hauteur de 1,5 milliard d'euros versés sur trois saisons, ce qui correspond à peu près à ce qu'aurait versé Mediapro si le contrat s'était prolongé.
De façon plus générale, nous nous intéressons au rôle croissant des fonds d'investissement dans le football, et à ses conséquences en termes de transformation du modèle sportif européen. Votre regard sur cette question nous intéresse puisque vous êtes un acteur historique de ce secteur où les fonds souverains et les fonds financiers internationaux jouent désormais un rôle crucial, y compris au sein des diffuseurs.
La Liga n'est évidemment pas épargnée par ce mouvement. Elle a également conclu un partenariat avec CVC, mais à des conditions assez différentes de celles obtenues en France, trois des principaux clubs espagnols ne s'étant pas associés à ce partenariat.
Avant de vous donner la parole, je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre mission d'information, dotée des pouvoirs des commissions d'enquête, est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure ».
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Jaume Rourès prête serment.
Je vous remercie par ailleurs de nous faire part de vos éventuels liens d'intérêts en relation avec l'objet de notre mission d'information. Vous pourrez notamment nous indiquer si vous êtes toujours actionnaire de Mediapro.
M. Jaume Rourès, fondateur et ancien président de Mediapro. - Je ne le suis plus depuis mon éviction.
M. Laurent Lafon, président. - Je rappelle à tous que cette audition est captée et diffusée en direct sur le site internet du Sénat.
Je vous laisse la parole pour un propos liminaire puis nous vous poserons un certain nombre de questions.
M. Jaume Rourès. - Comme vous l'avez dit, je ne travaille plus pour Mediapro. Par conséquent, je m'exprime en mon nom personnel. Par ailleurs, il y a encore des procédures judiciaires en France entre Mediapro, Canal+ et d'autres parties prenantes. Je suis donc contraint à la discrétion.
Je suis venu par respect pour votre institution et parce que l'intervention des fonds d'investissement dans le football fait des ravages en Europe et il est important d'en parler.
Je pense qu'il faut distinguer les fonds souverains, tels que celui qui possède le Paris Saint-Germain (PSG) des fonds d'investissement purs tels que CVC, présent en France ou en Espagne. CVC n'a réussi à s'implanter ni en Italie, malgré des négociations très avancées, ni en Allemagne, pour des raisons populistes.
Je ne suis pas opposé à la présence d'investisseurs dans le monde du football, mais les fonds attendent une rentabilité, très difficile à atteindre, de 20 à 25 %.
Les investissements, en termes de droits TV et de sponsoring, ont atteint en Europe un niveau qui ne montera plus. Dans ce cadre, il est très difficile d'imaginer une rentabilité importante. La montée des prix s'est arrêtée avant la crise sanitaire.
En Espagne, l'investissement de CVC n'est pas lié comme en France au départ d'un opérateur. La Liga cherchait à obtenir plus d'argent, non pas pour acheter de nouveaux joueurs, mais pour renforcer les infrastructures du football et sa digitalisation. Cependant, trois des clubs les plus importants ne sont pas partie prenante à ce contrat.
Je ne suis pas contre la création de sociétés commerciales qui sont un peu plus agiles en termes de négociation et évitent de passer par des autorisations qui prennent parfois des mois. Le vrai sujet est le contrôle exercé par la Ligue sur sa société commerciale. Il me semble exagéré d'avoir signé un accord courant sur 99 ans, surtout dans un championnat où les prix sont plus en crise que dans d'autres pays. Un appel d'offres a été lancé au mois d'octobre, nous sommes au mois de mai et aucune solution n'a été trouvée. Le chiffre de 500 millions d'euros proposé à la Ligue est en dessous de ce qu'elle attendait. La rentabilité et la durée de l'opération CVC sont difficilement justifiables. Dans 99 ans, nous ne serons plus là, ni nos enfants. Par ailleurs, la répartition des fonds entre les clubs est très inégale. En Espagne, ces fonds sont destinés à des projets concrets, notamment à des investissements sur les infrastructures pour accueillir dans les meilleures conditions la Coupe du monde 2030. On peut s'interroger sur la pertinence de ces choix ou sur les sommes investies dans la digitalisation.
En France, il n'y a pas d'objectifs concrets. Les fonds ont été répartis entre les clubs. C'est le PSG qui en reçoit la part la plus importante alors que c'est le club qui en a le moins besoin puisqu'il bénéficie d'autres financements.
Il y a également un risque de crise au regard des droits TV qui n'ont pas atteint le montant prévu et de la part versée à CVC.
M. Michel Savin, rapporteur. - Nous vous remercions de votre présence à cette audition. Comme le président l'a rappelé, nous travaillons sur plusieurs sujets comme la société commerciale et la multipropriété des clubs à l'échelle européenne.
Avant d'aborder le sujet de la société commerciale, nous souhaitons revenir sur le fait que la Ligue a choisi ce modèle en raison de la défaillance de Mediapro.
Quels éléments ont poussé Mediapro à intervenir sur le marché français ? Quelles étaient les perspectives envisagées par Mediapro à moyen et à long terme ?
M. Jaume Rourès. - Je ne représente plus Mediapro. Je dois donc me contenter de répéter ce que j'ai expliqué à l'Assemblée nationale pendant une heure et demie. Il est difficile pour moi de revenir aujourd'hui sur cette affaire dans le cadre d'une audition officielle.
Je vous ai dit qu'il y avait des procédures judiciaires en cours avec Canal+ et la Ligue et je ne veux pas que mes propos puissent les affecter.
M. Laurent Lafon, président. - Quelles sont ces procédures judiciaires en cours ?
M. Jaume Rourès. - Il y a une procédure devant l'Autorité de la concurrence depuis 2018 ou 2019 engagée par Canal+ et des procédures liées à la disparition de Mediapro en France. Mediapro a également suivi une procédure de conciliation confidentielle avec la Ligue.
M. Michel Savin, rapporteur. - Vous exerciez des responsabilités à l'époque où se sont déroulés les faits.
M. Jaume Rourès. - Je reconnais que la situation n'était pas facile. Nous avons gagné l'appel d'offres, mais la Covid est arrivée au moment où nous devions commencer à mettre en oeuvre nos projets. Nous avons demandé à la Ligue de renégocier les termes du contrat comme tous les acteurs économiques, dans le football, dans le sport comme dans tous les secteurs. La Ligue a refusé toute négociation. Nous avons entamé un processus de conciliation sous l'égide de M. Sénéchal et nous sommes parvenus à un accord qui était en principe satisfaisant pour la Ligue et pour Mediapro.
M. Michel Savin, rapporteur. - Sur ce chapitre, pouvez-vous préciser quels ont été les montants de rabais évoqués au cours de ces discussions ? Disposez-vous de documents échangés entre Mediapro et la Ligue ?
L'accord passé avec Amazon fait perdre à la Ligue, par rapport à celui signé avec Mediapro, un peu plus de 500 millions d'euros par an, ce qui correspond au 1,5 milliard d'euros du contrat signé avec CVC.
Pourquoi les discussions avec la Ligue n'ont-elles pas abouti ? Monsieur Roussier, qui travaillait chez Mediapro, nous a précisé que Mediapro avait proposé de décaler le versement des droits, de les diminuer de 200 millions d'euros et de verser 64 millions d'euros pour prouver sa bonne foi. Il a nous également dit que la Ligue aurait refusé de discuter de ces propositions. Or, vous dites que des discussions ont eu lieu. Confirmez-vous que la Ligue a refusé de négocier avec Mediapro ?
M. Jaume Rourès. - Je vous confirme que nous avons demandé une renégociation pour passer de 814 à 650 millions d'euros, ce qui correspondait à une baisse de 7 millions d'euros pour chaque club de Ligue 1 et de 3 millions d'euros pour chaque club de Ligue 2 en période de crise sanitaire où les stades étaient fermés. Je vous confirme également que nous avons proposé de verser à la Ligue 64 millions d'euros, somme qui correspondait au prix des matches jusqu'à l'arrêt des championnats en novembre 2020. Enfin, nous avons proposé d'engager la renégociation du contrat pendant une période de 5 semaines. La Ligue ayant refusé l'ensemble de ces propositions, nous avons entamé une procédure conciliation.
M. Michel Savin, rapporteur. - Confirmez-vous que seule la Ligue française a adopté cette position ?
M. Jaume Rourès. - Je le confirme. Nous avons renégocié nos contrats avec l'UEFA et plusieurs ligues. J'ai même renégocié les montants versés à la Ligue espagnole par les opérateurs étrangers avec des rabais de 8 à 15 %.
M. Michel Savin, rapporteur. - Quels étaient les montants des rabais accordés par la Liga ? Pouvez-vous nous transmettre des documents ?
M. Jaume Rourès. - Ces informations sont publiques.
M. Michel Savin, rapporteur. - Nous les avons cherchées sans les trouver.
M. Jaume Rourès. - Je ne sais pas si vous avez prévu d'interroger beIN mais ils ont obtenu un rabais sur les sommes versées à la Ligue espagnole.
M. Michel Savin, rapporteur. - Est-ce que vous parlez bien de la saison 2020-2021 ?
M. Jaume Rourès. - Je parle des saisons 2019-2020 et 2020-2021, chaque client n'étant pas touché de la même manière.
M. Michel Savin, rapporteur. - En 2021, le championnat a repris.
M. Jaume Rourès. - La ligue française est la seule qui s'est arrêtée !
M. Michel Savin, rapporteur. - Le positionnement de Mediapro est discuté. Mediapro est-il une agence ou un diffuseur de contenus ?
M. Jaume Rourès. - Mediapro était un diffuseur de contenus puisque nous avons créé une chaîne.
M. Michel Savin, rapporteur. - Comment expliquez-vous qu'entre 2018 et 2020 nous ayons l'impression que rien ne se passe ?
M. Jaume Rourès. - La situation est très gênante car je n'ai pas la capacité de vous répondre. En général, les championnats démarrent pendant l'été. Les accords avec les opérateurs et les moyens de diffusion doivent donc être mis en place trois à six mois à l'avance, cela n'a aucun sens d'y travailler plus tôt. Or, en mars 2020, nous avons été confinés, jusqu'à la fin du mois de mai. Nous n'avons donc pas été en mesure de mener nos analyses de marché, mais la chaîne était prête un mois avant le début du championnat.
M. Michel Savin, rapporteur. - Pendant cette période de préparation, avez-vous discuté d'un accord de distribution avec Canal+ et beIN et cherché à décrocher les droits de la Ligue des Champions ?
M. Jaume Rourès. - La chaîne que nous avons proposée disposait des matches de la Ligue des Champions grâce à un accord avec SFR.
M. Michel Savin, rapporteur. - Avez-vous engagé des discussions avec Canal+ avant le lancement de la chaîne ?
M. Jaume Rourès. - Comme je l'ai expliqué à l'Assemblée nationale, nous avons négocié avec Canal+ pendant plusieurs mois, à Paris et à Barcelone, avant le lancement de la chaîne. Nous avons également discuté avec beIN, je vous renvoie aux propos que j'ai tenus lors de cette audition. Des négociations avec l'ensemble des opérateurs étaient indispensables.
M. Michel Savin, rapporteur. - Au regard de cette expérience et des discussions qui sont encore en cours, pensez-vous que le football français puisse être diffusé sans Canal+ ?
M. Jaume Rourès. - Canal+ a construit une grille alternative avec le rugby, la Ligue des champions, le motocyclisme, la Formule 1, la ligue anglaise, ce qui lui a permis d'élargir son nombre d'abonnés. Il me semble difficile qu'elle change de position, mais elle peut trouver un accord avec le futur détenteur des droits, que ce soit Dazn ou beIN.
M. Laurent Lafon, président. - Comment se passaient les discussions avant et pendant la phase de conciliation avec la Ligue ? Avec qui discutiez-vous, uniquement avec le président de la Ligue ou avec d'autres interlocuteurs ?
M. Jaume Rourès. - Vous me mettez dans une situation inconfortable. Je vous renvoie à ce que j'ai expliqué à l'Assemblée nationale. Nous discutions avec des responsables de la Ligue et ses avocats, généralement au siège de la Ligue.
M. Laurent Lafon, président. - Avez-vous eu des contacts avec le conseil d'administration de la Ligue ?
M. Jaume Rourès. - Pas en tant que tel. Après l'élection de Vincent Labrune, la situation a changé, la Ligue ne voulait pas modifier le contrat, mais quelques mois plus tard elle a signé un contrat de 250 millions d'euros.
M. Michel Savin, rapporteur. - Avez-vous senti un changement de position de la Ligue entre l'ancienne et la nouvelle gouvernance ?
M. Jaume Rourès. - Le problème n'est pas la gouvernance. Les clubs, pas seulement en France, ont beaucoup de difficultés à travailler étroitement avec les opérateurs. Ils les considèrent comme de simples financeurs. Or, il est impossible de construire une ligue forte sans tenir compte des horaires de diffusion locale et internationale, du sponsoring, etc. Il faut une collaboration stratégique entre l'opérateur et la ligue. Pendant trente ans, Canal+ a investi des milliards d'euros dans le football, mais il n'en est rien resté, ni chez Canal+ ni dans les clubs, en raison de l'absence de travail stratégique. Il ne s'agit pas seulement de synergies, mais aussi de création de valeur. Il est indispensable de travailler ensemble.
Le championnat français est le seul à avoir été arrêté en Europe en raison de la crise sanitaire. Par ailleurs, la semaine où il a redémarré était celle où le PSG et l'Olympique lyonnais jouaient la demi-finale et la finale de la Ligue des champions ! Où était l'attention médiatique et celle des amateurs de football ? Elle était à Lisbonne. Si nous ne travaillons pas ensemble pour résoudre ce type de question, c'est très difficile.
M. Michel Laugier. - Mediapro a réussi dans tous les pays dans lesquels il s'est implanté, sauf en France. Cet échec est-il uniquement dû au Covid comme vous le laissez entendre ?
Si l'équipe de France fait partie des meilleures équipes du monde, les clubs français sont-ils à la hauteur ? Ne sont-ils pas surévalués par rapport aux autres pays ?
La direction du football français est-elle bien assumée ? Je crains en effet que trop de personnes cherchent à « tirer les marrons du feu ».
M. Jaume Rourès. - Je rappelle que j'exprime mes opinions personnelles.
Je pense qu'il y a un problème structurel dans la Ligue 1 française parce qu'elle vit essentiellement de la vente de joueurs, qui représente une part très importante du budget des clubs. C'est une démarche qui pèse sur la qualité du championnat. Il faudrait mener un travail sérieux pour réduire le décalage entre le PSG et les autres clubs.
Vous avez une équipe nationale fantastique, qui a été championne du monde et qui a joué la dernière finale de la Coupe du monde. Le départ de Mbappé du PSG constitue un problème important. La Ligue doit chercher des solutions structurelles et les pouvoirs publics doivent collaborer avec elle, sinon elle restera la ligue la plus faible parmi les cinq pays européens les plus importants, avec très peu de perspectives de croissance. Si Mbappé va à Madrid, la ligue espagnole va monter, la ligue anglaise est dans une autre situation, les Italiens se défendent assez bien et la ligue allemande, même si elle n'a pas beaucoup de succès à l'extérieur, est une machine à générer de l'audience.
Il faut chercher une solution structurelle à ce problème d'attractivité, en travaillant sur la stratégie avec les opérateurs et avec les pouvoirs publics. Je ne sais pas quel est le budget investi par les pouvoirs publics dans la télévision et dans la presse, mais une partie doit aller au football. Il faut peut-être travailler sur la fiscalité. La communauté de Madrid a voté une « loi Mbappé » qui permettra aux joueurs étrangers de payer moins d'impôts. Ce sont des éléments qu'il faut évaluer.
J'ai toujours eu l'impression qu'en France, le football ne faisait pas partie de l'offre culturelle. Le football est populaire parce qu'historiquement l'équipe nationale a été très performante et parce qu'il y a de très bons joueurs français partout dans le monde. Vous avez bâti un pays à partir de la culture, mais le football n'est pas considéré chez vous comme faisant partie de la culture. C'est différent dans les autres pays.
M. Jean-Jacques Lozach. - Quelle est aujourd'hui la valeur économique, la valeur marchande du football professionnel français ?
M. Jaume Rourès. - Je l'estime à 600 millions d'euros pour les droits domestiques. Avant le lancement de l'appel d'offres, j'ai été interrogé par une radio et j'ai répondu que l'estimation de 1 milliard d'euros était beaucoup trop élevée.
Avec les départs de Messi, de Mbappé et de Neymar, les droits internationaux de la ligue 1 ne sont pas faciles à vendre. La vente internationale doit être précédée d'un travail de préparation au cours duquel les équipes importantes iront jouer à l'étranger pendant l'été, d'anciens joueurs seront les ambassadeurs de la ligue, etc. C'est un travail de long terme. En Espagne, la valeur des droits internationaux est passée de 250 à 800 millions d'euros grâce à des années de travail de la ligue, des clubs et des opérateurs. La Bundesliga s'efforce de promouvoir le football allemand, mais le rapport à ce sport n'est pas le même que dans les pays latins ou latino-américains.
M. Michel Savin, rapporteur. - Que pensez-vous du chiffre de 200 millions d'euros pour les droits internationaux français ?
M. Jaume Rourès. - Il est exagéré. J'estime ces droits entre 100 et 150 millions d'euros. Jusqu'à la dernière saison, le football français était dans les mains de beIN Sports.
M. Jean-Jacques Lozach. - Pendant la période d'échanges houleux entre Mediapro et la Ligue, en 2019, 2020 et 2021, exercices au cours desquelles Mediapro dégageait des bénéfices, quel a été le rôle de l'actionnaire chinois ?
M. Jaume Rourès. - Vous insistez pour que je parle d'éléments que je me refusais à aborder. L'actionnaire chinois n'est pas intervenu, il a laissé la direction de Mediapro travailler.
M. Jean-Jacques Lozach. - Vous avez rappelé que Mediapro est un diffuseur de contenus. Pour pénétrer le marché français, vous aviez fixé un certain nombre d'objectifs, notamment en termes de nombre d'abonnés. Vous attendiez 3 millions d'abonnés, mais seules 600 000 personnes se sont finalement abonnées à votre chaîne. Est-ce que ce chiffre était un « coup de bluff » dans la négociation ou est-ce que vous avez vraiment cru pouvoir l'atteindre ?
M. Jaume Rourès. - Je vous réponds de façon générale puisque je ne peux pas citer d'éléments précis. Le chiffre de 3 millions a été donné par la presse qui a divisé 1 milliard d'euros par 30 euros par mois. Comme cela s'est passé dans certains pays latino-américains ou au Canada, un contrat de 4 ou 5 ans est déficitaire sur les deux premières années avant de devenir bénéficiaire les 2 ou 3 suivantes. Il faut aussi convaincre les clubs et la ligue de travailler avec les opérateurs.
M. Michel Savin, rapporteur. - Vous dites que Mediapro s'attendait à ce que le contrat avec la Ligue ne soit bénéficiaire qu'à partir de la troisième ou de la quatrième année. Vous saviez que vous alliez perdre de l'argent pendant les deux ou trois premières années du contrat, ce qui signifie que vous disposiez des fonds suffisants pour assumer vos obligations au moins la première année. Avez-vous subi une déconvenue de la part de l'un de vos actionnaires dès le début du contrat ?
M. Jaume Rourès. - Je continue à parler en général. L'Europe jouit d'une spécificité par rapport au reste du monde car la durée des contrats ne va pas au-delà de 3 ou 4 ans. Les investisseurs ne veulent pas porter de risques trop importants. Aux États-Unis et en Amérique latine, les contrats peuvent aller jusqu'à 10 ans. L'Europe utilise le droit de la concurrence non pour protéger les consommateurs, mais pour empêcher les opérateurs de développer des stratégies fortes comme on le voit avec Google ou Facebook. L'Europe n'ayant pas la capacité de développer des alternatives stratégiques de ce type, elle utilise les normes. Dans l'audiovisuel, il n'y a par exemple aucune plateforme forte, malgré la grande diversité culturelle. Un accord entre Canal+, les opérateurs espagnols et anglais et les télévisions publiques est impossible. Si l'opérateur ne parvient pas à travailler stratégiquement avec les ligues et si le contrat n'est pas renouvelé au bout de 3 ou 4 ans, il risque de perdre beaucoup d'argent. C'est pour cette raison que la valeur du championnat français est inférieure à celle d'autres championnats. C'est un problème qu'il faut résoudre pour que la compétition soit plus forte.
M. Michel Savin, rapporteur. - Je comprends que Mediapro a répondu à l'appel d'offres sans mesurer les risques auxquels il s'exposait.
M. Jaume Rourès. - Ce n'est pas ce que j'ai voulu dire. Comme je l'ai expliqué à l'Assemblée nationale, Mediapro avait la capacité de faire face à ses obligations. Les actionnaires ont laissé la direction de l'entreprise travailler. Nous avons eu un problème à cause du Covid. Ce n'est pas une excuse, mais une explication des difficultés auxquelles nous avons été confrontées avec la Ligue.
M. Patrick Kanner. - Je vous remercie pour vos explications. Avec des questions différentes, mais avec le même objectif, nous essayons de faire émerger la vérité.
Vous avez proposé à la Ligue une renégociation du contrat portant sur 200 millions d'euros pour vous permettre de retrouver un équilibre économique. La Ligue a refusé votre proposition. Pensez-vous qu'au moment où ils l'ont refusée, ses dirigeants avaient déjà en tête la solution de la société commerciale ?
M. Jaume Rourès. - Je ne crois pas. Je pense que les dirigeants de la Ligue étaient convaincus qu'ils parviendraient à un accord avec Canal+ si nous dénoncions le contrat. Nous avions des rapports avec les clubs et nous travaillions sur des perspectives.
M. Laurent Lafon, président. - Avez-vous eu des discussions avec des représentants de l'État, notamment avec le ministère des Sports, pendant cette période ?
M. Jaume Rourès. - Nous en avons eu.
M. Laurent Lafon, président. - Ces discussions portaient-elles sur la renégociation du contrat ?
M. Jaume Rourès. - Les positions étaient diverses puisque le sujet touchait le sport, l'économie, qu'il intéressait la présidence de la République, etc.
M. Patrick Kanner. - Le cabinet du président de la République était-il informé de la situation ?
M. Jaume Rourès. - Il l'était. Vous devez comprendre que je ne travaille plus pour Mediapro, ce qui m'interdit d'être plus précis. C'est la raison pour laquelle je fais référence aux propos que j'ai tenus devant l'Assemblée nationale.
M. Michel Savin, rapporteur. - Vous l'avez dit à l'Assemblée nationale, M. Roussier nous l'a confirmé, il y a eu des consignes pour ne plus travailler avec Mediapro.
Quelles étaient ces consignes, de qui venaient-elles ?
M. Jaume Rourès. - Une tribune médiatique disait que si le contrat se poursuivait, on verrait comment le défilé du 14 juillet et le Tour de France seraient produits par des étrangers.
Lors de mon premier entretien à la radio quand je suis venu expliquer quel était le projet de Mediapro, on m'a demandé pourquoi un étranger avait acheté les droits de la Ligue française. J'ai répondu que j'habitais en Catalogne à une centaine de kilomètres de la frontière française et que je ne me sentais pas étranger. Ce type de chansonnette, je l'ai eu tout le temps.
Quand nous avons achevé la conciliation, Mediapro qui était en France depuis des années est resté et a offert de continuer à produire le championnat pour le prochain opérateur à des conditions plus basses, avec une qualité indiscutable. Nous avions produit plusieurs championnats, la ligue, mais notre proposition a été rejetée parce que c'était nous. C'est un épisode pour lequel nous disposons de preuves écrites.
M. Laurent Lafon, président. - Vous dites que c'est la Covid qui a mis Mediapro et le contrat en grande difficulté et non la structure ou l'économie du contrat.
M. Jaume Rourès. - Avant que Mediapro ne remporte le contrat, Canal+ versait 750 millions d'euros à la Ligue. Nous avons payé 780 millions d'euros pour 8 matches et demi de ligue 1. Ce sont des montants comparables.
M. Laurent Lafon, président. - Dans cette période très particulière de la crise sanitaire, la France a fait le choix de soutenir au maximum les entreprises. L'État vous a-t-il proposé son soutien à travers un PGE ?
M. Jaume Rourès. - Le ministère de l'Économie pensait que le prêt consenti à la Ligue était suffisant pour résoudre la situation.
M. Laurent Lafon, président. - Ce montant était-il suffisant pour faire face à la baisse de recettes que vous demandiez ?
M. Jaume Rourès. - La Ligue a bénéficié d'un prêt dès que les matches ont été arrêtés par le Premier ministre.
M. Michel Savin, rapporteur. - Êtes-vous confrontés dans les autres pays aux interventions des cabinets ministériels ?
M. Jaume Rourès. - Nous y sommes confrontés, le football est très important. Peu d'événements font consensus national autant que le football. L'équipe nationale joue un grand rôle et le poids du football dans la société est indiscutable en Angleterre, en Espagne et en Italie. Il est donc logique que les pouvoirs publics suivent ces dossiers avec attention, sans forcément intervenir. Il est par exemple normal que le gouvernement, à travers sa ministre des sports, se soit saisi du dossier du piratage.
M. Patrick Kanner. - Je vous confirme que le gouvernement s'intéresse à tout ce qui touche le football français, que ce soit la FFF ou la Ligue. La question est de savoir comment se fait l'intervention et jusqu'où elle va pour ne pas dépasser les lignes rouges et éviter toute forme de conflit d'intérêts. Nous recevons demain la ministre des sports de l'époque et nous l'interrogerons sur ces points. C'est un sujet qui n'est pas que sportif !
Le contrat avec Mediapro ne prévoyait pas de garanties bancaires comme dans d'autres pays européens, garanties qui peuvent sécuriser le dispositif. Cette absence de garanties vous a-t-elle étonné ?
M. Jaume Rourès. - Il est impossible de fournir des garanties bancaires pour un contrat de 3,5 milliards d'euros. En Espagne le contrat porte sur 5 saisons et 4,5 milliards d'euros et la ligue espagnole n'a demandé aucune garantie. La pratique est plutôt de demander une avance et de mettre en place des alertes et des pénalités en cas de retard de paiement. Personne ne va demander une garantie bancaire à Canal+ !
M. Michel Savin, rapporteur. - Peut-être pouvez-vous plus facilement nous donner votre avis sur le nouveau contrat conclu entre la Ligue et CVC ? Vous nous avez dit que la durée de 99 ans était difficilement justifiable, que la répartition était très inégale et qu'il n'y avait pas d'objectifs concrets. C'est un constat très négatif.
CVC a-t-il une valeur ajoutée pour valoriser le championnat français ?
M. Jaume Rourès. - J'ai pris l'exemple de la ligue espagnole parce que le contrat était fléché vers les infrastructures (70 %), la digitalisation (15 %) et la dette (15 %). Les résultats à court et à moyen terme sont faciles à mesurer en termes d'amélioration des stades, de fréquentation, de création de musées. Les musées des clubs de Barcelone et de Madrid reçoivent près de 50 millions d'euros par saison. En France, il n'y a aucune contrepartie aux versements.
Sur la formule 1 ou la moto GP ou sur d'autres sports, les fonds travaillent quelques années avant de vendre l'activité à un autre fonds d'investissement puisque ce sont les seuls qui peuvent proposer des valorisations importantes.
CVC peut rester pendant 99 ans. Il a aussi la possibilité de vendre le contrat à un tiers. Les clubs n'ont aucune garantie sur ce qui se passera dans cinq ou dix ans. Ils ne savent pas s'ils auront le même partenaire. CVC est présent dans la Formule 1, la moto GP, le tennis, mais il n'a aucune expérience dans le football.
M. Laurent Lafon, président. - Vous nous avez dit que l'augmentation de la valeur de la Ligue 1 passait par des réformes de structure. Vous avez évoqué la fiscalité avec la « loi Mbappé ». Pouvez-vous citer d'autres réformes nécessaires pour le football français ? CVC a-t-il les compétences pour les réaliser ?
M. Jaume Rourès. - Il faut que les infrastructures des clubs, que les stades soient plus agréables, plus sûrs. Une partie des investissements publicitaires de l'État pourrait aussi aider le football. Il y a de nombreux éléments sur lesquels les pouvoirs publics peuvent et doivent intervenir. Il ne suffit pas d'organiser des réunions avec des opérateurs extérieurs, il faut chercher des solutions. Si en France, seul le PSG est en mesure de gagner le championnat, en Italie, en Allemagne ou en Angleterre il y a cinq ou six clubs qui luttent pour le titre, même si à la fin c'est Manchester City qui gagne. En France, il n'y a pas de réelle compétition. L'enjeu pour Lyon ou pour Marseille est de se qualifier pour un championnat européen et ainsi de bénéficier d'une aide financière importante. Cette situation est peu attractive.
Je ne suis pas opposé aux investisseurs, mais il faut des règles homogènes pour les investissements, par exemple en plafonnant le budget consacré aux joueurs à 70 % du budget total des clubs. Le football a besoin de contrôle. Il faut interdire aux femmes des joueurs de devenir secrétaires des clubs, comme on a pu le voir.
Malgré tout l'argent dont il dispose, le PSG ne parvient pas à gagner la Ligue des champions. On ne construit pas le football sur l'artifice. Les joueurs veulent aller à Manchester City qui l'a gagnée l'année dernière, à Barcelone ou à Madrid qui sont des clubs historiques. L'inégalité qui existe en France est mauvaise pour la Ligue 1. En Espagne, nous vendions la Liga. Messi et Ronaldo sont partis, mais rien ne s'est passé parce que nous vendions une marque, une tradition, une histoire. C'est ce que suit le public et non des marques artificielles.
M. Jean-Jacques Lozach. - Vous comparez le football français et le football espagnol. Nous pourrions aussi parler de la relation entre les supporters et les clubs. Les socios n'existent pas en France.
Cependant, vous ne pouvez pas passer sous silence la gestion de la dette du Real Madrid et du FC Barcelone. Ces deux clubs bénéficient d'une grande bienveillance, ce qui constitue une forme de concurrence déloyale.
Par ailleurs, pensez-vous que CVC va piloter longtemps la société commerciale du football français ?
M. Jaume Rourès. - La dette du Real Madrid est tout à fait soutenable. Le club est une machine à produire de l'argent. En jouant la finale de la Ligue des champions, il touchera 350 millions d'euros de droits TV. En revanche, la dette du FC Barcelone va l'obliger à chercher des solutions. Je suggère que le club introduise en bourse 25 % de son capital, tout en restant la propriété des associés. La dette est détenue par des fonds d'investissement qui ne font pas preuve d'une bienveillance particulière. Nous verrons comment le club fera face à ses échéances en 2027 et en 2028. Les pouvoirs publics et la ligue contrôlent étroitement la gestion économique des clubs.
En France, je ne sais pas quand CVC partira, mais en observant leur trajectoire d'investissement dans d'autres sports, on s'aperçoit que le fonds reste entre cinq et dix ans.
M. Michel Laugier. - Les diffuseurs historiques du football en France influencent-ils les dirigeants de la Ligue et de la Fédération ?
M. Jaume Rourès. - Je ne sais pas quelles sont leurs relations. La Fédération et la Ligue n'ont pas contrat avec Canal+. Je pense que Canal+ exerce une influence sur toute la culture française, sur le cinéma, les séries ou le sport. La chaîne diffuse la Ligue des champions et les audiences sont très élevées pour une chaîne payante.
M. Michel Savin, rapporteur. - Le football français risque-t-il d'être dépendant du Qatar ?
M. Jaume Rourès. - La question ne se pose pas seulement pour le football français, mais aussi au niveau de l'UEFA. Mon ami Nasser al-Khelaïfi a beaucoup de pouvoir. Il est vice-président de l'UEFA, président de l'Association européenne des clubs (ECA) et il dispose de beaucoup d'argent. Le Qatar possède aussi des chaînes de télévision et achète des droits. Ce n'est donc pas seulement un problème français même si la France est le point d'appui du Qatar.
M. Michel Savin, rapporteur. - CVC possède des parts dans d'autres ligues européennes. La présence de fonds d'investissement dans les ligues européennes vous fait-elle craindre la création d'une super-ligue ?
M. Jaume Rourès. - Je n'y crois pas, tout comme la multipropriété ne répond pas à un projet sérieux pour le football. Il faut tester la nouvelle Ligue des champions. Le problème de fond de cette opposition entre la super-ligue et la Ligue des champions porte sur les sommes prélevées par l'UEFA. Si des fonds d'investissement arrivent à être présents de manière significative dans plusieurs endroits, il faudra changer les règles pour préserver le football.
M. Laurent Lafon, président. - Nous vous remercions des réponses que vous nous avez apportées.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 18 heures.
Jeudi 23 mai 2024
- Présidence de M. Laurent Lafon, président -
La réunion est ouverte à 9 h 35.
Mission d'information sur l'intervention des fonds d'investissement dans le football professionnel français - Audition de M. Jean-Marc Mickeler, président de la Direction nationale du contrôle de gestion (DNCG)
M. Laurent Lafon, président. - Mes chers collègues, nous poursuivons les travaux de notre mission d'information, dotée des pouvoirs des commissions d'enquête, en entendant M. Jean-Marc Mickeler, président de la Direction nationale du contrôle de gestion (DNCG), qui est la commission indépendante, hébergée par la Ligue de football professionnel, chargée de surveiller les comptes des clubs de football professionnels.
Monsieur Mickeler, je vous remercie d'avoir accepté notre invitation. Je précise que vous êtes, par ailleurs, directeur du métier Audit et Assurance chez Deloitte. Vous avez reçu un questionnaire qui récapitule les différents sujets d'intérêt de notre mission d'information sur l'intervention des fonds d'investissement dans le football professionnel français. Avec Michel Savin, rapporteur, nous nous intéressons au processus de financiarisation du football professionnel, qui touche la propriété des clubs comme l'exploitation des droits audiovisuels des championnats.
Depuis 2019, les investissements dans le secteur du sport à l'échelle mondiale ont considérablement augmenté, une tendance accentuée par les difficultés financières engendrées par la pandémie de Covid-19. Les fonds d'investissement s'intéressent non seulement aux clubs, mais également aux Ligues, ces dernières présentant un risque moindre en raison de l'absence d'aléa sportif.
En France, en 2020, en plus des conséquences de la pandémie, les clubs ont dû faire face au retrait de Mediapro, l'un des principaux détenteurs des droits audiovisuels du championnat. Ce départ a entraîné une perte de revenus significative, estimée à environ 500 millions d'euros par an. Nous attendons vos éclairages sur les répercussions de cette double crise, mais aussi sur le montant et la répartition des aides de l'État, lesquelles ont été substantielles pour faire face à cette situation d'urgence.
Dix-huit mois après le départ de Mediapro, le fonds d'investissement CVC Capital Partners a acquis 13 % de la filiale commerciale de la Ligue de football professionnel (LFP), créée conformément à la loi du 2 mars 2022 et chargée de commercialiser les droits audiovisuels des compétitions organisées par la LFP. En contrepartie, CVC finance le football français à hauteur de 1,5 milliard d'euros distribués sur trois saisons.
Cet accord a été approuvé quasi unanimement par les clubs. Néanmoins, nous nous interrogeons sur la pertinence d'hypothéquer ainsi pour l'avenir une partie des revenus du football français. Nous comptons sur vous pour nous éclairer sur les conséquences à long terme de ce partenariat sur les finances des clubs, qui nous paraissent d'autant plus préoccupantes que cet accord n'est pas limité dans le temps. La répartition des fonds apportés par CVC nous semble aussi poser question.
Avant de vous donner la parole, je vous invite à prêter serment.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Jean-Marc Mickeler prête serment.
Monsieur le président, vous avez la parole.
M. Jean-Marc Mickeler, président de la Direction nationale du contrôle de gestion (DNCG). - Permettez-moi de débuter cette audition en rappelant brièvement le rôle et le fonctionnement de la DNCG.
La DNCG est une commission indépendante constituée au sein de la Ligue de football professionnel et de la Fédération française de football. Elle est composée de 18 membres bénévoles dont les candidatures sont proposées par les instances du football et validées par le comité exécutif de la fédération. Encadrée par la loi et par un règlement adopté par les assemblées générales de la Ligue de football professionnel et de la Fédération française de football, sa mission principale est le contrôle financier des clubs professionnels.
L'objectif premier de la DNCG est de s'assurer qu'un club qui commence une saison dispose de toutes les garanties financières nécessaires pour la terminer, afin de préserver l'équité sportive des championnats. Pour ce faire, la DNCG peut imposer des mesures disciplinaires aux clubs et sanctionner les dirigeants en cas de manquement. Ces mesures et sanctions peuvent aller de l'encadrement préventif de la masse salariale à l'interdiction d'exercer un mandat de dirigeant, la relégation administrative dans une division inférieure, mais aussi des sanctions financières et des retraits de points.
La DNCG intervient également lors des reprises de clubs. Lorsqu'un propriétaire souhaite céder sa participation majoritaire, la DNCG émet une recommandation, ce qui impose au cédant et à l'acquéreur potentiel de venir présenter le projet avant finalisation.
Enfin, la DNCG s'est récemment vu confier une nouvelle mission importante : revoir l'activité des agents sportifs licenciés auprès de la Fédération française de football pour les opérations sur le territoire français.
La commission s'appuie sur les travaux d'une petite équipe de salariés permanents de la Ligue de football professionnel, qui instruisent les dossiers en vue des auditions des dirigeants et des actionnaires des clubs. La DNCG se base exclusivement sur des informations attestées par les commissaires aux comptes des clubs. Toute information produite devant la DNCG, une fois vérifiée par un tiers indépendant, est considérée comme valide et les chiffres présentés ne sont pas remis en cause. Notre rôle est d'exercer un scepticisme sur les hypothèses ayant conduit à la production de ces chiffres et de prendre des mesures si nécessaire en fonction de la pertinence de ces hypothèses. Ainsi, lorsqu'un bilan, un compte de résultat ou un budget prévisionnel est présenté, il est revu par le commissaire aux comptes du club, qui atteste de sa construction correcte. Cependant, ce commissaire n'émet pas d'avis sur les hypothèses sportives sous-tendant les revenus ou les investissements.
Je rappelle que la DNCG n'a aucune responsabilité sur les comptes de la Ligue de football professionnel et de sa structure commerciale. Elle n'a pas vocation à participer à l'attribution des droits audiovisuels, ni à la construction des appels d'offres, à la constitution de la société commerciale ou au choix d'un fonds d'investissement pour cette société. Son périmètre se limite aux finances des clubs.
Néanmoins, en tant que régulateur financier, la DNCG est un atout majeur pour le football français. Elle assure une forme de stabilité, de crédibilité, en protégeant un certain nombre de parties prenantes. Son fonctionnement rigoureux favorise l'arrivée de nouveaux investisseurs, plaçant le football français en position avantageuse par rapport à d'autres pays.
Cela nous amène au sujet d'aujourd'hui : l'intervention des fonds d'investissement dans le football français. Ces fonds opèrent à différents niveaux : en tant qu'actionnaires majoritaires, minoritaires, en tant que prêteurs, et maintenant en tant qu'actionnaires de la MediaCo. Il me semble important de rappeler quelques éléments de contexte essentiels.
Premièrement, le football professionnel français repose historiquement sur un modèle économique risqué. La quasi-totalité des clubs professionnels ont un déficit d'exploitation structurel. Aujourd'hui, bien que ce déficit se réduise, le modèle économique des clubs professionnels reste structurellement dépendant de la vente régulière de joueurs pour équilibrer les comptes. Cette situation est rendue possible par la qualité reconnue de la formation française, qui permet de sortir régulièrement de nouveaux talents. Cependant, ce modèle exige que les propriétaires aient les ressources financières nécessaires pour couvrir les pertes lorsque les ventes de joueurs ne se déroulent pas comme espéré.
Deuxièmement, le football professionnel français a particulièrement souffert de la crise du Covid. La France est le seul grand championnat où la compétition a été interrompue en cours de saison, avec un diffuseur qui a fait défaut, et des droits TV de remplacement en baisse. Cette conjonction de facteurs a entraîné, pour les clubs professionnels, un manque à gagner d'environ 1 milliard d'euros, un doublement de l'endettement qui est passé d'environ 500 millions d'euros à plus d'un milliard d'euros, et une réduction de moitié des fonds propres malgré les efforts significatifs des actionnaires.
Les aides de l'État ont été substantielles et ont joué un rôle crucial dans la survie des clubs. Cependant, ces aides n'auraient pas été suffisantes sans l'intervention des actionnaires existants notamment les fonds d'investissement déjà présents au capital d'un certain nombre de clubs, mais également sans la création de la société commerciale par la Ligue.
L'entrée d'un nouvel investisseur, via la prise de participation de 13 % dans la MediaCo, s'est avérée indispensable pour la quasi-totalité des clubs de Ligue 1. Cela leur a permis de compléter les efforts des actionnaires pour reconstituer les fonds propres et de poursuivre des investissements structurels dans les infrastructures, indispensables pour préserver et renforcer la compétitivité du football professionnel français en Europe. De plus, cela a également permis d'améliorer la compétitivité des effectifs, dans un contexte où la décision avait été prise par les instances de réduire le nombre de participants à la Ligue 1 de 20 à 18 à la sortie de la crise du Covid. Cette réduction a entraîné des efforts de renforcement des effectifs de la part de certains clubs pour garantir leur maintien en Ligue 1.
Enfin, même après restructuration et indépendamment du montant des futurs droits audiovisuels, le modèle économique d'un club de football professionnel reste très coûteux en capital, avec des risques étroitement liés à la performance sportive. Ainsi, il est crucial que les actionnaires soient solides et capables de couvrir ces risques grâce à d'autres sources de revenus.
Les fonds d'investissement s'intéressent de façon croissante au football professionnel français pour plusieurs raisons. Tout d'abord, le prix d'acquisition d'un club français demeure relativement attractif par rapport à d'autres championnats. De plus, la qualité de la formation française est reconnue comme exceptionnelle, ce qui ajoute un potentiel de valorisation supplémentaire. La Ligue 1 offre un potentiel de croissance. Cependant, son exportation reste un enjeu majeur.
La mission de la DNCG est claire. Son fonctionnement est efficace, comme en témoigne l'absence de défauts financiers dans les clubs français de Ligue 1 et Ligue 2, contrairement à d'autres championnats. La mission de contrôle financier des clubs fonctionne très bien. Cependant, notre mission reste limitée dans son périmètre, s'agissant des recommandations que la DNCG émet dans le cadre d'un changement de propriétaire. Il y a une attente très forte vis-à-vis de la DNCG, que sa mission légale ne lui permet pas de satisfaire, sa recommandation n'ayant aucun caractère prescriptif. Nous ne serions pas aujourd'hui en mesure de nous opposer à l'arrivée d'un investisseur que nous jugerions inadéquat pour l'écosystème français.
M. Michel Savin, rapporteur. - Merci, monsieur le président, pour ces remarques préliminaires. En écoutant vos propos, il est clair que l'objectif principal de la DNCG est de contrôler la gestion des clubs et leurs résultats financiers.
Ma question est la suivante : pensez-vous que la DNCG devrait avoir un pouvoir de contrôle sur la Ligue similaire à celui exercé sur les clubs ? Vous avez mentionné que la DNCG n'avait pas été consultée au sujet de la création de la société commerciale. Estimez-vous qu'il aurait été intéressant que la DNCG puisse donner un avis sur cette opération ?
M. Jean-Marc Mickeler. -Les comptes de la Ligue sont déjà certifiés par un commissaire aux comptes et examinés de manière indépendante. Je ne me prononcerai pas sur la nécessité ou non d'un tel contrôle.
M. Michel Savin, rapporteur. - Les clubs ont également des comptes certifiés par des commissaires aux comptes.
M. Jean-Marc Mickeler. - Je n'exclus rien mais c'est une discussion qu'il faudrait avoir avec l'ensemble des parties prenantes. Nous souhaitons maintenir notre indépendance vis-à-vis de la Ligue et de la Fédération car c'est ce qui fait notre force par rapport aux clubs. Je ne suis pas convaincu que notre indépendance par rapport aux clubs serait renforcée si nous avions un droit de regard sur le fonctionnement de la Ligue.
Concernant le deuxième aspect de votre question, nous sommes naturellement attentifs à toutes les mesures prises par la Ligue pour développer les revenus futurs des clubs. Les droits audiovisuels jouent un rôle essentiel dans le fonctionnement de la plupart des clubs, et ils sont généralement commercialisés par la Ligue.
Si la meilleure stratégie pour la Ligue consiste à faire appel à un partenaire expérimenté, capable d'apporter de nouvelles idées et des ressources supplémentaires pour augmenter les revenus des clubs, tant sur le territoire national qu'à l'international, la DNCG soutient cette approche. La constitution de la société commerciale, visant à attirer un nouvel investisseur et à trouver un montant substantiel d'au moins 1,3 milliard d'euros, était une mesure nécessaire pour garantir la survie du football professionnel français après la crise du Covid-19. Dans ces circonstances, la DNCG ne pouvait qu'accueillir favorablement cette initiative.
M. Laurent Lafon, président. - Le terme de « survie » est fort. Comment arrivez-vous au chiffre de 1,3 milliard d'euros ?
M. Jean-Marc Mickeler. - Le contrat Mediapro, combiné avec les autres accords existants, garantissait au football professionnel français des revenus de l'ordre de 1,3 milliard d'euros.
M. Laurent Lafon, président. - Il s'agit donc d'un manque à gagner, et non d'une baisse des revenus. Quand vous mentionnez une perte de 1,3 milliard d'euros, vous parlez d'une perte potentielle par rapport aux revenus prévus dans le contrat avec Mediapro, qui a été annulé. Si l'on considère les déficits effectivement inscrits dans les comptes des clubs, atteignent-ils 1,3 milliard d'euros ?
M. Jean-Marc Mickeler. - Les déficits cumulés des saisons 2019-2020, 2020-2021 et 2021-2022 s'élèvent à 1,6 milliard d'euros. C'est pourquoi je parle de « survie ». Pour la saison 2019-2020, les pertes s'élèvent à 270 millions d'euros, pour 2020-2021, elles atteignent 685 millions d'euros, et pour 2021-2022, elles sont de 601 millions d'euros. Ces chiffres tiennent compte des aides d'État, des droits de substitution et des abandons de comptes courants significatifs réalisés par les actionnaires de l'époque.
M. Laurent Lafon, président. - Pourriez-vous nous donner les chiffres de ces trois catégories ?
M. Jean-Marc Mickeler. - Il y a eu les compensations pour les manques à gagner, notamment les aides à la billetterie accordées par l'État, estimées à 75 millions d'euros sur trois exercices. Ensuite, le dispositif de réduction de charges, incluant le chômage partiel, l'exonération de charges et l'aide aux coûts fixes, représente 520 millions d'euros. Les clubs ont également eu recours aux PGE (Prêts Garantis par l'État) pour plus de 550 millions d'euros, sans impact sur le résultat. Le PGE de la Ligue, d'un montant de 225 millions d'euros, a eu un impact immédiat sur les résultats puisqu'il a été reversé soit en subventions, soit en compensation de droits télévisuels. Ce PGE spécifique a été mis en place pour pallier le manque à gagner dû au défaut de Mediapro, offrant ainsi une aide urgente et immédiate aux clubs.
M. Laurent Lafon, président. - Cumulées, les aides de l'État au football français s'élèvent donc à 1,5 milliard d'euros.
Jean-Marc Mickeler, président de la Direction nationale du contrôle de gestion (DNCG). - Dans les 1,5 milliard d'euros, vous incluez les 550 millions d'euros de PGE aux clubs, qui n'ont pas d'impact immédiat sur les résultats. Cet argent bénéficie aux clubs à long terme, mais lorsqu'on additionne les pertes, le soulagement de trésorerie par le biais du PGE n'affecte pas les chiffres que je viens de mentionner. Ce qui compte dans ces chiffres, ce sont les aides d'État de 75 millions d'euros et les réductions de charges.
M. Michel Savin, rapporteur. - Lorsque vous effectuez le contrôle des clubs, vous prenez en compte toutes ces aides. Ainsi, pour la saison 2019-2020, malgré le départ de Mediapro, les clubs ont reçu quasiment une somme équivalente à leur manque à gagner. Ils ont en effet perçu le premier versement de Mediapro, le PGE, un autre prêt accordé à la Ligue, les montants correspondant au lot numéro 3 de Canal plus et à la reprise par Canal plus des droits de Mediapro pour la saison 2020-2021. Au final, nous atteignons presque le montant prévu par le contrat initial de Mediapro.
M. Jean-Marc Mickeler. - Malgré ces mesures d'aide, il reste un manque à gagner de plus de 400 millions d'euros. Le déficit s'élève à 270 millions d'euros après prise en compte de toutes ces aides et intégration d'un manque à gagner d'environ 400 millions d'euros.
M. Michel Savin, rapporteur. - Vincent Labrune a clairement indiqué que les fonds de CVC n'étaient pas destinés à un plan de sauvegarde, mais plutôt à un plan de développement. Aucun club n'a-t-il bénéficié de ces fonds pour combler les déficits ?
M. Jean-Marc Mickeler. - Il y a une commission d'octroi qui a été mise en place, avec Vincent Labrune, moi-même et le président de la licence club, pour garantir que l'utilisation des fonds ne se substitue pas à l'investissement des actionnaires ni n'augmente uniquement la masse salariale. L'argent de la MediaCo et de CVC ne peut être utilisé que pour compléter l'effort des actionnaires, qui doivent remettre les capitaux propres à zéro ou à un niveau légèrement positif. Ensuite, une partie de cet apport peut être utilisée pour renforcer et prévenir les risques futurs, mais jamais pour renflouer un club sans effort préalable de l'actionnaire.
M. Laurent Lafon, président. - L'apport de CVC peut-il être utilisé par un club pour rembourser son PGE ?
M. Jean-Marc Mickeler. - Contrôler ou vérifier cela est extrêmement complexe. Pour bénéficier des fonds de la MediaCo, un club doit avoir des fonds propres positifs. Sinon, l'argent ne lui est pas versé. La commission d'octroi supervise ce processus et délègue cette responsabilité à la DNCG. Lors des auditions de fin de saison, un club sans fonds propres positifs s'expose aux mesures traditionnelles de la DNCG, accompagnées d'un avertissement fort : les actionnaires existants risquent de perdre le bénéfice de leur part de l'allocation de CVC si les efforts nécessaires pour reconstituer les fonds propres ne sont pas consentis.
M. Laurent Lafon, président. - Je vous pose la question, car le président d'un club a récemment affirmé qu'il avait utilisé une partie des fonds de CVC pour rembourser son PGE.
M. Jean-Marc Mickeler. - Il est difficile d'exclure cette possibilité. Si l'actionnaire a fait l'effort de reconstituer les fonds propres du club, devenant ainsi éligible aux fonds de la MediaCo, il peut ensuite utiliser cet argent comme bon lui semble. S'il estime ne pas avoir besoin d'investir davantage dans les infrastructures ou l'effectif du club, il peut le considérer comme faisant partie de sa trésorerie et l'utiliser pour rembourser des dettes envers l'État.
M. Michel Savin, rapporteur. - Avez-vous calculé l'impact financier global sur 10 ans de l'accord CVC, étant donné qu'il influence les clubs et que ces derniers préparent actuellement leur budget prévisionnel soumis à la DNCG ? Avez-vous envisagé différents scénarios de droits TV, sachant qu'il y a des incertitudes sur les futurs accords de droits TV qui affecteront directement les clubs ? Les clubs ont-ils reçu des simulations avant d'accepter cet accord ?
M. Jean-Marc Mickeler. - La DNCG n'a pas réalisé de simulations à 10 ans. Actuellement, notre priorité est de nous assurer que les clubs peuvent construire leur budget pour la saison à venir, 2024-2025, en tenant compte des discussions en cours sur les droits TV. Dans cet environnement, la plupart des clubs ne bénéficieront plus de la manne initiale de CVC. Ils doivent donc s'adapter en ajustant leurs dépenses en fonction de l'évolution des revenus.
M. Michel Savin, rapporteur. - La DNCG a-t-elle formulé des recommandations aux clubs, compte tenu de la situation concernant les perspectives de recettes issues des droits TV ?
M. Jean-Marc Mickeler. - Nous échangeons régulièrement avec les actionnaires et les présidents de club. Depuis le début de la saison, nous les encourageons à être vigilants et à travailler sur un scénario central, maintenant les droits actuels réduits de la part de 13 % de CVC. Avec un tiers des joueurs sous contrat arrivant à expiration cette année, la renégociation des conditions contractuelles permet d'ajuster la masse salariale, principal poste de dépenses, pour présenter un budget malgré les incertitudes sur les droits futurs.
M. Adel Ziane. - Nous entrons dans une période où vous allez contrôler les clubs professionnels. C'est une situation un peu inédite, puisque certains présidents de clubs évoquent le fait qu'ils vont se présenter devant la DNCG sans avoir de certitude sur le montant à inscrire sur les droits TV. Pourriez-vous donner des précisions sur le montant à inscrire ? Deuxièmement, comment assurez-vous la sécurité des budgets qui vont vous être présentés et leur pérennité ? Par ailleurs, vous avez évoqué le fait que vous n'aviez pas à porter de jugement sur l'intervention des fonds d'investissement au niveau des clubs. Je voudrais savoir si les documents concernant ces investissements vous sont transmis, s'ils sont disponibles, visibles, et s'ils peuvent être consultés de manière publique.
M. Jean-Marc Mickeler. - Sur le premier point, nous avons demandé aux clubs de prévoir un budget global identique, en soustrayant la part attribuée à CVC. Nous leur avons également demandé d'appliquer le nouveau guide de répartition, qui entraînera des modifications significatives pour certains clubs, quel que soit le montant négocié. Ce guide redistribue les droits de manière différente, favorisant les clubs ayant récemment performé sur la scène européenne. Ainsi, nous avons sensibilisé un certain nombre de clubs, en particulier ceux qui ont moins bien performé ces dernières saisons et qui pourraient être plus exposés dans les discussions à venir.
Concernant votre deuxième question, je préfère ne pas spéculer, mais pour les clubs dont les droits domestiques représentent une part significative de leur budget, nous serions contraints de prendre des mesures d'encadrement, voire des restrictions en matière de recrutement, en attendant la confirmation du montant des droits domestiques. Je refuse actuellement de prendre une décision anticipée, mais nous devrons probablement prendre des mesures de protection si la situation se présente.
Concernant la documentation, nous avons accès à tous les documents nécessaires, y compris les rapports de due diligence et les rapports de l'ensemble des conseils. Il n'est pas envisageable pour nous de réaliser une revue indépendante de l'ensemble de cette documentation, ni dans le cadre du contrôle financier, ni lors des opérations de reprise. Toutefois, nous analysons cette documentation avec un scepticisme rigoureux. En cas de doutes sur l'origine des fonds ou la pérennité des investissements, nous recommandons à la Ligue, qui en a la capacité légale, d'appliquer l'article 40 pour éviter l'entrée d'acteurs douteux dans l'écosystème.
M. Laurent Lafon, président. - Concrètement, cela signifie-t-il que les clubs qui ne bénéficient pas de droits internationaux verront une baisse significative de leurs revenus provenant de la Ligue l'année prochaine ?
M. Jean-Marc Mickeler. - Je vous confirme que c'est la direction qui est prise. Cependant, c'est plus complexe individuellement, car les clubs qualifiés pour les compétitions européennes bénéficient de droits de suite sur trois saisons. Un club n'ayant jamais participé aux coupes d'Europe au cours des cinq dernières saisons verra ses droits audiovisuels diminuer si l'augmentation des droits renégociés est inférieure à 13 %.
M. Michel Savin, rapporteur. - CVC doit aussi récupérer des montants au titre des deux dernières saisons.
M. Jean-Marc Mickeler. - Oui, selon un calendrier qui n'est pas encore très clair.
M. Michel Savin, rapporteur. - Le tableau que vous présentez est assez pessimiste. Certains clubs risquent de voir leurs recettes issues des droits TV diminuer, les poussant à vendre leurs meilleurs joueurs pour équilibrer leurs budgets. Cela pourrait faire stagner le niveau de notre championnat. En vendant leurs meilleurs joueurs à l'étranger, notre championnat deviendrait moins attractif, réduisant son intérêt pour les diffuseurs.
Le système est différent dans d'autres pays. En France, le pourcentage des recettes provenant des ventes de joueurs est bien plus élevé comparé à d'autres pays où les recettes de billetterie et les droits TV sont beaucoup plus importants.
M. Jean-Marc Mickeler. - Vous avez tout à fait raison. Pour réduire la dépendance des clubs aux droits TV, il est impératif de rendre le produit plus attractif, d'augmenter les recettes de billetterie, d'attirer plus de sponsors et de valoriser la marque des clubs.
Cela implique d'avoir un actionnaire fort qui investit dans les infrastructures. Pour attirer plus de spectateurs, il faut offrir une expérience complète, dépassant les 90 minutes du match. Un beau stade et des installations attractives incitent les familles à venir tôt, à consommer et à vivre une expérience globale.
L'arrivée d'investisseurs expérimentés dans ce domaine est donc essentielle. Cette approche va au-delà de la simple prise de participation de 13 %.
Nous avons constaté une augmentation significative des recettes de billetterie. Le championnat de France attire davantage de spectateurs, génère plus de revenus au stade et séduit de nouveaux sponsors. La situation actuelle est bien meilleure qu'il y a cinq ans.
Pour continuer sur cette voie, les clubs ont besoin d'aide et d'apports d'expérience. Ils doivent poursuivre leurs efforts de professionnalisation pour réduire leur dépendance aux droits TV.
M. Michel Savin, rapporteur. - Vous mentionnez justement une période où la France a attiré de grandes stars du football, ce qui a effectivement contribué à l'attractivité du championnat.
Les rapports de la DNCG montrent une augmentation significative des salaires des joueurs professionnels de Ligue 1 : +10 % en 2019-2020, +9 % en 2020-2021, et +20 % la saison suivante. Comment expliquez-vous que, malgré les difficultés économiques des clubs, illustrées par les déficits importants que vous avez mentionnés, les salaires des joueurs continuent d'augmenter ? Comment peut-on affirmer que le football français est au bord de la faillite tout en constatant une telle hausse des rémunérations ?
M. Jean-Marc Mickeler. - Si l'on soustrait du total les chiffres concernant un club en particulier, on constate que les salaires sont stables, voire en baisse, sur ces années-là. Nous avons également introduit un ratio contraignant pour tous les clubs, le ratio de 70 %, qui limite les dépenses salariales à 70 % des revenus certains ou quasi certains, comprenant les revenus d'exploitation et une moyenne historique des transferts réalisés par le club. Depuis la mise en place de ce ratio, nous avons constaté un renforcement significatif de la discipline en matière de masse salariale.
M. Patrick Kanner. - La mise sur le marché de dix stades neufs ou rénovés grâce à l'Euro 2016a attiré beaucoup de monde. Le confort offert par ces installations est un élément important.
Vous avez évoqué de manière plutôt bienveillante la vente de 13 % des parts de LFP Média à CVC. Y avait-il, selon vous, une autre solution financière mobilisable ?
M. Jean-Marc Mickeler. - Nous avons eu des discussions quasi hebdomadaires avec les actionnaires existants des clubs pour les inciter à investir davantage dans leurs clubs, afin de sauvegarder l'existant et de garantir un futur viable. Nous avons fait tout ce que nous pouvions pour les convaincre de réinvestir. Certains actionnaires, notamment les nouveaux, exprimaient le besoin d'un renforcement de la professionnalisation du système, afin de valoriser le produit et de le rendre plus attractif en France et à l'étranger.
Quant à la deuxième partie de votre question, en tant que président de la DNCG, je ne peux pas vraiment émettre d'avis sur l'existence ou non d'autres solutions possibles à l'époque. En tant qu'observateur, je constate qu'il est extrêmement complexe d'attirer des investisseurs sur le long terme, avec une espérance de rentabilité raisonnable, dans le sport professionnel en général, et dans le football en particulier.
M. Claude Kern. - Pensez-vous qu'à l'époque certains clubs risquaient effectivement le dépôt de bilan ?
M. Jean-Marc Mickeler. - Absolument. Tout le dernier tiers du championnat était exposé au risque de dépôt de bilan. Même avec l'aide de l'État, qui offrait quelques mois de trésorerie pour survivre, la situation restait critique. L'assistance financière de l'État ne permettait pas de fournir des fonds propres, ni de garantir la sécurité des joueurs et partenaires à long terme. En somme, bien que l'aide de l'État ait été cruciale pour combler les besoins immédiats en trésorerie, elle ne suffisait pas à garantir un avenir durable.
M. Michel Savin, rapporteur. - Après Mediapro, Canal plus a conclu la saison 2019-2020, et Amazon a obtenu un contrat d'environ 200 millions d'euros lors d'une nouvelle consultation. En cumulant ces montants, nous parvenons à peu près au niveau financier que percevaient les clubs avant l'arrivée de Mediapro. Ainsi, le football français fonctionnait avec un montant global d'environ 600 à 700 millions d'euros, loin du milliard attendu.
M. Jean-Marc Mickeler. - Je me suis exprimé publiquement lors de la signature du contrat Mediapro en appelant à la prudence. J'ai souligné qu'avant même la signature définitive de ce contrat, la masse salariale des clubs français avait déjà augmenté de 400 millions d'euros.
M. Laurent Lafon, président. - Si je comprends bien, les clubs en situation financière difficile avaient dépensé sans garantie de recettes correspondantes. Dans le monde des affaires, qualifieriez-vous cela de bonne ou de mauvaise gestion ?
M. Jean-Marc Mickeler. - L'écart moyen entre le budget annuel présenté en juin et les résultats réels en fin d'année s'élève à 25 %. Dans le monde des affaires, un tel écart serait intolérable pour la survie d'une entreprise. L'arrivée d'un investisseur vise à renforcer les exigences en matière de gestion, au-delà de l'aspect financier. La mise en place d'une commission d'octroi et d'un suivi rigoureux de l'utilisation des fonds contribue à équilibrer les aspects liés au renforcement des fonds propres, au développement des infrastructures et à l'investissement dans les joueurs pour maintenir des effectifs compétitifs en Europe. Il est inacceptable d'avoir un championnat qui cède ses meilleurs joueurs chaque année. Cette image ne correspond pas à notre objectif. Heureusement, de nombreux clubs sont aujourd'hui en mesure de retenir leurs meilleurs talents.
M. Michel Savin, rapporteur. - Dans ce contexte, l'impact de l'accord avec CVC se fera-t-il surtout ressentir pour les clubs non européens, renforçant ainsi le sentiment d'une Ligue à deux vitesses ? Avons-nous sept clubs qui dominent le haut du tableau, tandis que les autres risquent de perdre des ressources et de se retrouver dans une situation de championnat de deuxième niveau ?
M. Jean-Marc Mickeler. - Tous les championnats forts se caractérisent par la présence d'un noyau dur de 4, 5 voire 6 clubs qui se distinguent à la fois sur le plan financier et sportif, surpassant nettement les autres.
M. Michel Savin, rapporteur. - En Angleterre, la répartition des ressources entre les clubs n'est pas aussi déséquilibrée. De même, la distribution des ressources issues du contrat avec Mediapro devait être différente de celle retenue aujourd'hui.
M. Jean-Marc Mickeler. - La Ligue, avec le consensus des présidents de club, a décidé de réviser le guide de répartition pour favoriser les clubs ambitieux sur le plan européen, considérant que c'était crucial pour l'essor global du système. Il est important de reconnaître que les clubs considérés comme faisant partie du deuxième tiers du championnat ont également bénéficié du succès des grands clubs et du football français par le passé. C'est grâce à cela qu'ils ont pu valoriser leurs joueurs et renforcer leur structure financière. Bien que l'objectif général du championnat français soit de retenir ses meilleurs joueurs, cela ne peut pas être l'ambition individuelle de tous les clubs. C'est une réalité socio-économique qui s'impose à l'écosystème.
M. Adel Ziane. - Les droits TV sont directement liés au spectacle offert sur le terrain, à la qualité des joueurs et aux stars qui attirent les foules dans les stades. Certes, la France a longtemps été pourvoyeuse de talents, mais notre modèle économique repose souvent sur la vente de ces joueurs pour équilibrer les budgets. Cependant, cela ne crée-t-il pas un cercle vicieux ? Comme l'a souligné le rapporteur, l'écart entre les clubs français pourrait se creuser davantage, affaiblissant ainsi la compétitivité et réduisant la valeur globale de notre championnat. Ne risquons-nous pas, avec cet accord avec CVC, d'aggraver ces difficultés à l'avenir ?
Pour être plus précis, il y a un déséquilibre à considérer dans l'analyse des budgets des clubs. D'un côté, nous avons des investissements pour améliorer l'expérience globale, notamment en termes d'infrastructures et de billetterie. De l'autre côté, il y a une baisse des droits TV pour un grand nombre de clubs, comme l'a souligné le rapporteur. Ainsi, malgré les efforts pour renforcer l'expérience, il pourrait y avoir une dégradation de l'attractivité, en raison de notre difficulté à retenir les meilleurs joueurs dans les clubs français, diminuant ainsi l'intérêt des spectateurs en France et des téléspectateurs à l'échelle mondiale.
M. Jean-Marc Mickeler. - Je refuse de spéculer sur le montant final des droits TV, mais il est de notre devoir d'anticiper le pire. Je rappelle que les récentes négociations des droits TV dans divers pays ont montré des tendances à la baisse, voire des baisses confirmées. Au-delà du football français, il est nécessaire pour le football dans son ensemble de construire un modèle moins dépendant des droits TV à l'avenir.
De plus, je mets au défi quiconque de citer deux ou trois noms de joueurs présents dans la finale de la Ligue Europa d'hier soir, malgré la présence de joueurs de classe mondiale dans les effectifs des clubs français. Je souligne cela, car je crois fermement que certains joueurs français ont le potentiel pour rivaliser au niveau international, mais ils pourraient ne pas bénéficier de la même reconnaissance marketing s'ils restaient en France plutôt que de partir en Espagne. Ainsi, je pense que les clubs français prenant la décision de retenir ces joueurs font le bon choix, non seulement pour eux-mêmes, mais aussi pour le football français dans son ensemble. La force du football français résidera dans la qualité du spectacle offert sur le terrain, plus que dans les noms individuels des joueurs qui y évoluent.
M. Pierre-Antoine Levi. - Monsieur le président, récemment lors d'une interview, vous avez comparé la masse salariale des clubs français à celle de leurs homologues européens. Malgré des investissements massifs, les clubs français ne parviennent à se qualifier pour une finale de championnat européen qu'une fois tous les cinq ans, soit le même rythme que les clubs écossais ou néerlandais, dont la masse salariale est quatre fois moins élevée. Vous avez conclu que les clubs français dépensent trop par rapport aux résultats obtenus. Quelles sont vos propositions aujourd'hui pour remédier à cette situation ? Ne serait-il pas nécessaire d'encadrer davantage la masse salariale étant donné que les résultats ne sont pas au niveau attendu ?
M. Jean-Marc Mickeler. - Les clubs qui ont investi et participent aux compétitions européennes ont généralement les moyens financiers nécessaires et sont rentables. Il est de la responsabilité de la DNCG d'être observateur et de constater quand les résultats sportifs d'un club ne sont pas à la hauteur malgré des dépenses élevés. Il revient aux clubs de s'interroger sur l'efficacité de leurs investissements. Cependant, il n'y a pas de stress excessif actuellement, car un tiers des joueurs professionnels devront renégocier leur contrat, offrant ainsi aux clubs l'opportunité de réajuster leurs effectifs en fonction des nouveaux environnements des droits TV. Ceci, combiné à des choix judicieux des responsables sportifs, peut préserver la compétitivité des clubs, comme le montre le classement de la Ligue 1 en fin de saison.
M. Michel Savin, rapporteur. - Comment expliquez-vous la situation actuelle caractérisée par un appel d'offres infructueux et des négociations prolongées ? Quel est l'apport de CVC dans ces négociations ?
M. Jean-Marc Mickeler. - N'ayant été partie prenante d'aucune discussion, je ne suis pas en mesure de répondre à cette question.
M. Laurent Lafon, président. - Revenons sur les sommes redistribuées aux clubs suite à l'apport de CVC, environ 1,1 milliard d'euros. Pouvez-vous indiquer comment ces fonds ont été répartis entre équipements, fonds propres et masse salariale, et s'il existe un mécanisme de contrôle pour garantir leur utilisation vertueuse ?
M. Jean-Marc Mickeler. - La DNCG assure un suivi et un contrôle effectif de l'utilisation des fonds octroyés aux clubs par CVC. Les clubs fournissent des engagements qualitatifs sur l'utilisation des fonds, sans un fléchage précis au montant près. La DNCG vérifie la cohérence entre les déclarations des clubs et leurs actions, notamment en ce qui concerne les investissements dans les infrastructures et la masse salariale.
M. Laurent Lafon, président. - Le versement de 1,1 milliard d'euros à des clubs appelle un suivi précis.
M. Jean-Marc Mickeler. - Le suivi est effectué club par club, mais les montants octroyés ne justifient pas un fléchage précis de la façon dont les clubs les utiliseront. Les engagements pris par les clubs sont granulaires, mais il n'y a pas de chiffrage détaillé. Par exemple, certains clubs ont été encouragés à renforcer leur sécurité d'accès ou leur système de vidéosurveillance, mais sans spécifier les montants alloués à chaque projet.
M. Laurent Lafon, président. - Avec une injection de fonds de 1,1 milliard d'euros, nous pourrions pourtant nous attendre à un système de contrôle. Pourriez-vous nous donner les chiffres ?
Jean-Marc Mickeler. - Je m'exprime avec prudence, car nous sommes encore en cours de travail. Je vais vérifier ce que nous pouvons vous communiquer.
M. Michel Savin, rapporteur. - Il serait intéressant d'avoir la totalité de ces chiffres pour comparer avec ceux présentés par la Ligue.
M. Laurent Lafon, président. - Dans le compte rendu du conseil d'administration de la Ligue du 20 avril 2023, il est écrit :
« Vincent Labrune souhaite informer les membres du conseil qu'une interview du président de la DNCG est en cours de parution toute prochaine dans Les Echos. Il précise que celle-ci s'est faite en accord avec la LFP, tant sur le principe de l'interview que sur le contenu ou le sens des messages diffusés. »
De quoi avez-vous besoin pour renforcer l'indépendance de la DNCG vis-à-vis de la Ligue ?
M. Jean-Marc Mickeler. - Il n'y a pas de problème d'indépendance. C'est simplement une question de courtoisie. Chaque fois que je m'exprime dans les médias, cela suscite des réactions individuelles de la part des présidents de clubs. Ayant vécu cela par le passé, plutôt que de devoir ensuite expliquer mes propos lors de nombreux appels téléphoniques, je préviens le président de la Ligue. Je lui demande d'informer son conseil d'administration de la parution prochaine d'une interview et je lui en communique les principaux messages.
M. Laurent Lafon, président. - Merci, monsieur le président.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 11 h 05.
Mission d'information sur l'intervention des fonds d'investissement dans le football professionnel français - Audition de M. Marc Sénéchal, mandataire judiciaire de la société Mediapro (ne fera pas l'objet d'un compte rendu)
Cette audition ne fera pas l'objet d'un compte rendu.
La réunion est close à 12 h 55.
La réunion est ouverte à 14 h 30.
Mission d'information sur l'intervention des fonds d'investissement dans le football professionnel français - Audition de Mme Roxana Maracineanu, ancienne ministre des sports
M. Laurent Lafon, président. - Nous avons le plaisir d'accueillir Mme Roxana Maracineanu, ministre des sports de 2018 à 2022 dans les gouvernements d'Édouard Philippe et de Jean Castex.
Madame la ministre, merci d'avoir accepté notre invitation. Je vous souhaite la bienvenue devant notre commission d'information, dotée des pouvoirs des commissions d'enquête, sur l'intervention des fonds d'investissement dans le football professionnel français. Michel Savin en est le rapporteur.
Nous nous interrogeons sur le rôle croissant des fonds d'investissement dans le football, et sur ses conséquences. Cette évolution s'est accélérée en raison des difficultés financières subies par ces clubs, confrontés successivement à la pandémie de covid-19 et au retrait du Groupe Mediapro.
Nous nous interrogeons en particulier sur les équilibres de l'accord conclu en 2022 par la ligue de football professionnelle (LFP) avec le fonds d'investissement CVC Partners, en application de la loi du 2 mars 2022.
Le modèle sportif français repose sur une structure pyramidale et un principe de solidarité entre le sport amateur et le sport professionnel. Il est soutenu par l'État, qui joue un rôle central en déléguant une mission de service public aux fédérations sportives. Ces dernières ont la possibilité de subdéléguer certaines de leurs prérogatives à des ligues professionnelles. C'est le cas pour le football. Ce dispositif doit permettre de maintenir une cohérence et une synergie entre les différents niveaux de pratique sportive. En outre, les clubs de football participent à la richesse de la vie dans nos territoires, ainsi qu'au patrimoine sportif et culturel national.
Or, dans ce cadre, le partenariat avec CVC soulève de nombreuses questions. Il privera à l'avenir les clubs de football professionnel d'une partie de leurs revenus, alors que l'évolution des droits audiovisuels reste incertaine. Des accords similaires ont été rejetés en Italie et en Allemagne. Ils ont été acceptés en Espagne, sans que tous les clubs y adhèrent. En France, néanmoins, les clubs l'ont accepté à une quasi-unanimité.
Nous souhaitons aujourd'hui faire un point sur la genèse de cet accord avec CVC et ses équilibres. Nous attendons aussi vos éclairages sur les moyens d'améliorer le triptyque État - fédération - ligue professionnelle, en mettant évidemment l'accent sur la situation du football.
Je précise qu'un faux témoignage devant notre mission d'information est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du Code pénal. Je vous invite ainsi à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant « je le jure ».
Mme Roxana Maracineanu, ancienne ministre des sports. - Je le jure.
M. Laurent Lafon, président. - Je vous remercie par ailleurs de nous faire part de vos éventuels liens d'intérêts en relation avec l'objet de cette mission d'information.
Mme Roxana Maracineanu. - Il n'y en a pas.
Merci de m'auditionner sur un sujet qui m'est particulièrement cher. Il était au coeur de mon mandat et de mon action en tant que ministre des sports ces quatre dernières années. Ma volonté et cette loi dans laquelle s'intègre l'article 51 reflètent le travail et l'engagement que j'ai déployés durant cette période. Dès mon arrivée au ministère, j'ai voulu renforcer la place du sport au sein des autres politiques publiques, en prévision des jeux olympiques. J'insiste aussi sur le sport bénéfique pour la santé de nos concitoyens, essentiel pour la santé publique et la prévention. Il soutient l'éducation et l'émancipation de nos enfants, et favorise l'insertion et l'intégration des personnes les plus vulnérables de notre société.
J'ai également souhaité m'impliquer dans les questions démocratiques et éthiques que peuvent promouvoir le monde du sport et ses acteurs. Par cela, j'entends les actions visant à rétablir et préserver l'égalité entre les femmes et les hommes, ainsi que la lutte contre toutes les formes de discrimination et de violence, en particulier sexistes et sexuelles. Leur ampleur dans le domaine sportif m'a profondément choquée.
Tout au long de mon mandat, la protection de l'intégrité des pratiquants a été ma priorité. J'ai veillé à engager le monde du sport sur ces enjeux cruciaux. Je ne pouvais y parvenir sans le concours des acteurs délégués de services publics, des fédérations.
J'ai rapidement identifié les dysfonctionnements existant entre le ministère des sports, les fédérations et les ligues professionnelles. J'ai oeuvré pour rétablir un équilibre pourtant reconnu, mais insuffisamment explicité dans le code du sport.
Il m'a semblé primordial de saisir toutes les opportunités législatives, sans attendre la disponibilité du calendrier pour y inscrire une loi dédiée au sport. Elle était déjà en discussion, initiée par ma prédécesseure, Laura Flessel, et les acteurs du mouvement sportif. Nous avons poursuivi ce travail, lequel a abouti le 2 mars 2022, quelques jours avant la fin du calendrier législatif, après deux ans d'efforts.
Cette loi, proposée par les parlementaires, visait à rassembler l'ensemble du monde sportif et à intégrer les idées et convictions des parlementaires. Elle préparait l'héritage des jeux olympiques que la France s'apprête à accueillir.
Renforcer les liens entre le ministère, les fédérations et les ligues a été une priorité pour moi. J'ai voulu saisir l'occasion de la loi renforçant les principes de la république pour y faire figurer le sport. Je désirais que les fédérations et ligues professionnelles soient soumises à la signature d'un contrat d'engagement républicain. Le respect de l'intégrité et la protection des pratiquants devaient ainsi être élevés au rang de principes républicains.
Nous avons spécifiquement stipulé que l'État délègue aux fédérations et que ces dernières sous-délèguent aux ligues professionnelles. Nous avons également renforcé les liens entre le ministère des sports et les fédérations en précisant clairement que le premier devait donner des orientations, dans lesquelles s'inscriraient les contrats de délégation. Ceux-ci regroupent les stratégies des différentes fédérations autour de quatre axes principaux : la protection de l'intégrité, le dialogue social, la bonne gouvernance et la démocratie, ainsi que le développement durable.
J'ai mis un point d'honneur à quitter le ministère en mai 2022 après la publication des décrets relatifs à la loi votée en août 2021 et la signature de tous les contrats de délégation.
Cette nouvelle relation s'inscrit dans le contexte de la création de l'agence nationale du sport. Celle-ci permet au mouvement sportif de donner son avis sur la manière dont l'État dépense l'argent public dédié au sport, dans un contexte de crédits exceptionnels accordés grâce aux jeux olympiques en France.
Tout au long de mon mandat, j'ai veillé à préserver un équilibre entre les droits, les devoirs et les possibilités de développement du monde sportif. Ainsi, la loi du 2 mars 2022 prend forme avec un premier titre visant à renforcer la place du sport dans les politiques publiques des autres ministères, à ouvrir de nouveaux champs d'intervention pour les associations sur le terrain et pour les fédérations au niveau national, et à rechercher de nouveaux financements dans les budgets des autres ministères, notamment ceux de la santé, de l'éducation, de l'insertion et du travail.
Il était nécessaire de rattraper le retard sur certains aspects, notamment la parité, tout en restant exemplaires et porteur de valeurs. C'est en ce sens que le titre II de la loi aborde de nombreux articles liés à la gouvernance du sport et à ses modalités de renouvellement.
Ce titre renforce également l'article introduit dans la loi de 2021 visant à transformer cette relation de tutelle en une plus grande autonomie, tout en augmentant le pouvoir de contrôle du ministère des sports.
Le troisième titre de cette loi traite de l'évolution nécessaire des structures sportives pour les protéger, notamment après la crise sanitaire, une période d'incertitude considérable pour le monde du sport et pour la société en général.
J'ai veillé à ce que certaines initiatives tentées par le passé soient concrétisées dans la loi. Ainsi, le titre III ouvre la possibilité au monde du sport d'accéder à de nouveaux statuts, et permet aux ligues de créer des sociétés commerciales en charge de la commercialisation des droits. Il aborde également la possibilité de rémunération des dirigeants d'associations et fédérations sportives. En outre, il traite de la nécessaire protection de l'investissement des clubs dans la formation des sportifs professionnels, en permettant notamment de prolonger la durée du premier contrat professionnel de trois à cinq ans.
Je tenais à trouver un équilibre entre l'accompagnement des fédérations, qui assurent un accès démocratique au sport pour tous, et la nécessité de favoriser l'émancipation économique de ce secteur. Il est crucial de reconnaître que le financement de ces structures, qui garantissent la pérennité du sport amateur, provient en grande partie du sport professionnel. Promouvoir l'autonomie économique du secteur professionnel du sport est important non seulement pour lui-même et pour le spectacle sportif, mais aussi parce que nous disposons en France de dispositifs intéressants permettant une redistribution des ressources financières captées par ces structures professionnelles au bénéfice du sport amateur.
M. Michel Savin, rapporteur. - En 2022, un amendement a été déposé en cours de discussions à l'Assemblée nationale par Cédric Roussel, introduisant la possibilité pour les ligues professionnelles de créer une filiale commerciale pour la commercialisation et la gestion des droits d'exploitation audiovisuelle. Qui en est à l'origine ?
Mme Roxana Maracineanu. - Nous avons travaillé sur cette loi relative au sport dès mon arrivée, en prenant le temps de la négociation et de la discussion avec le mouvement sportif. Nous avons également cherché à rassembler les convictions de chacun, y compris celles des parlementaires.
Cette loi a été examinée en première lecture au début de l'année 2021. Elle comprenait seulement 12 articles. Nous voulions l'enrichir grâce aux contributions des parlementaires et du monde sportif. En raison de la crise sanitaire, du report des jeux olympiques et de la préparation de ceux de Paris, le mouvement sportif avait de nombreuses autres préoccupations à l'époque.
Si ma mémoire est bonne, l'amendement de Cédric Roussel n'a pas été déposé en commission, mais est arrivé directement lors des discussions en séance.
M. Michel Savin, rapporteur. - A-t-il déposé l'amendement à l'issue d'un travail préparatoire, ou d'une demande de la ligue ?
Mme Roxana Maracineanu. - J'imagine que toutes les personnes impliquées dans l'élaboration d'une loi sont consultées et auditionnées. Vous devriez directement interroger Cédric Roussel.
Lorsque j'ai pris connaissance de cet amendement et que j'ai envisagé de le modifier, j'ai rapidement compris qu'il était nécessaire d'introduire certains garde-fous concernant la relation entre les ligues et les fédérations.
Je me suis également penchée sur le rapport de MM. Kern et Lozach qui abordait cette question. Il recommandait déjà de permettre à la ligue de créer une société pour commercialiser les droits cédés par la fédération via les clubs.
Ces discussions, auxquelles vous avez également contribué, ont été déterminantes. Lorsque je suis arrivée au Sénat, vous pensiez vous aussi qu'il était important de retravailler cette disposition.
M. Michel Savin, rapporteur. - Nous avions pour objectif d'intégrer des garde-fous afin de mieux encadrer ce dispositif.
Vous avez donné un avis favorable à cet amendement, mais sans beaucoup d'enthousiasme lors du débat. Nous avons eu le sentiment que vous auriez préféré prendre plus de temps pour réfléchir sur ce sujet. Pour des raisons personnelles, vous n'étiez en outre pas présente lors de l'adoption du texte en deuxième lecture le 9 février 2022. Ce travail avait-il été préparé en amont ? Le ministère des sports travaillait-il déjà sur ce type de sujet ?
Mme Roxana Maracineanu. - Nous avons collaboré avec l'ensemble des parlementaires, tant de la majorité que de l'opposition, qui manifestaient un intérêt pour ce texte. Ce sujet n'avait pas été suffisamment exploré, raison pour laquelle l'amendement a été déposé en séance. Mon absence lors de la deuxième lecture ne résultait pas d'un quelconque refus de ma part. J'avais contracté le Covid-19.
Comme pour les autres articles de cette loi, nous étions conscients du temps dont nous disposions pour les examiner. Nous désirions bénéficier des contributions du mouvement sportif, tant professionnel qu'amateur, et consulter et discuter avec tous les acteurs concernés pour finaliser le texte au cours des différentes lectures.
Je voulais faire de cette loi une loi collaborative, participative et transcendant les clivages politiques, élaborée en concertation avec le mouvement sportif, les députés et les sénateurs.
M. Michel Savin, rapporteur. - Lors de nos auditions, il nous a été dit que la ligue avait préparé ce montage depuis 18 mois. Il est clair qu'un travail en amont a été effectué de son côté, en collaboration avec des experts financiers, des juristes et autres. Cet épisode législatif est donc arrivé au terme de cette discussion et de cette préparation.
Ainsi, comment expliquer que le ministère des sports n'était pas informé de la préparation de cette proposition par la ligue ?
Mme Roxana Maracineanu. - Lorsque MM. Lozach et Kern ont rédigé leur rapport en 2017, ils n'ont pas proposé cette idée de manière fortuite. Ils ont recommandé que la ligue puisse ouvrir une société commerciale pour commercialiser les droits. Cette idée existait donc déjà.
J'imagine que la problématique liée à Mediapro, qui allait se désengager du contrat, et les difficultés rapportées dans la presse ont accéléré la démarche. Au sein de la ligue, cette possibilité s'est naturellement imposée lors des discussions sur le modèle économique.
M. Michel Savin, rapporteur. - L'accord a été conclu quelques semaines après le vote de la loi, impliquant l'engagement de CVC en tant que partenaire de la ligue, assorti d'engagements substantiels concernant le pourcentage, la durée, le contrôle et d'autres aspects. Tous ces éléments figuraient dans le texte de la loi, ce qui peut effectivement susciter une certaine surprise quant au calendrier.
La ligue avait-elle l'assurance que cet amendement serait adopté par la majorité ?
Mme Roxana Maracineanu. - Il n'est pas possible de garantir l'adoption d'un amendement. Bien entendu, nous étions en contact avec le monde du football professionnel ainsi que le sport professionnel en général, tant avant qu'après la période de Covid-19. Nous avons apporté notre soutien au secteur en facilitant l'accès aux dispositifs d'aides de droit commun. Des mesures spécifiques ont été mises en place pour la billetterie. Cette réflexion a alors pris forme.
Il n'est pas surprenant que ces acteurs aient travaillé sur ce sujet, car c'était une période d'urgence pour eux. Leurs ressources financières étaient très limitées. Contrairement aux fédérations qui peuvent compter sur des bénévoles, la ligue dispose de salariés dédiés à ces questions. Elle devait donc trouver des solutions concernant les droits de rediffusion. Je suis convaincue que ces acteurs avaient anticipé ce travail.
M. Laurent Lafon, président. - J'imagine que vous étiez en contact avec le nouveau président de la ligue de football professionnelle, Vincent Labrune. Au même moment sont apparues les difficultés du contrat avec Mediapro. Des études avaient été engagées auprès de banques d'affaires pour étudier la mise en place d'une société commerciale. Je comprends que vous n'avez pas échangé sur l'idée de créer une société commerciale entre septembre 2020 et le dépôt de l'amendement évoqué.
Mme Roxana Maracineanu. - Des échanges ont porté, en lien avec la ligue, sur la reprise des compétitions, sur les violences et leur traitement par la ligue et les clubs, ainsi que sur les difficultés en termes de gouvernance.
La ligue travaillait sur le sujet de la société commerciale depuis longtemps. Nous nous demandions si une loi était nécessaire pour la créer. Nous considérions qu'un dispositif portant sur le transfert de la commercialisation des droits échouant normalement à la ligue, par subdélégation d'une fédération, devait y figurer.
M. Laurent Lafon, président. - Les services du ministère ont-ils travaillé spécifiquement sur ce besoin ?
Mme Roxana Maracineanu. - Cela nous paraissait naturel. Cet article de loi renforçait l'existence d'une délégation de service public. Il était préférable de l'encadrer.
M. Patrick Kanner. - Pourquoi n'avez-vous pas personnellement porté l'amendement gouvernemental au moment de l'examen du texte ?
J'ai trouvé une brève mention de notre sujet dans la Lettre A le 23 mars 2022 : « L'entrée du géant CVC Capital Partners au capital de la nouvelle filiale commerciale de la ligue de football a été arbitrée à l'Élysée. Ce dossier préparé par les banques Centerview et Lazare a été agréé par le secrétaire général de l'Élysée, Alexis Kohler, en personne. »
Ce dossier a-t-il quitté le ministère des sports pour être directement pris en charge à l'Élysée ? Ce ne serait pas particulièrement choquant, mais nous souhaitons comprendre qui était véritablement impliqué dans ce dossier. En particulier, un nom circule depuis plusieurs discussions : celui du conseiller sport de l'Élysée qui serait la cheville ouvrière de l'évolution financière et commerciale que nous tentons de démêler dans ce dossier.
Mme Roxana Maracineanu. - Cette disposition relative à la création de la société commerciale est apparue lors de la discussion du texte en séance. M. Roussel ne l'a pas proposé en commission. Il se peut qu'il ait eu des discussions avec Monsieur Labrune pour saisir toutes les subtilités du dossier.
À l'issue de cette première lecture, j'ai analysé tous les articles, en y portant la même attention. J'ai commencé à travailler avec tous les intervenants. J'ai cherché à sécuriser le contenu de cette loi. Je ne prétends pas que cela a été facile, car des discussions ont eu lieu avec d'autres ministres, le premier ministre, des conseillers, ainsi qu'avec le mouvement sportif, ceci pour plusieurs articles, et pas uniquement celui qui nous occupe ici.
Si vous comparez l'article 10 bis A tel qu'il a été déposé en première lecture avec l'article 51 de la loi finale, vous constaterez tous les garde-fous que nous avons souhaité y inclure. Ce « nous » concerne aussi les Sénateurs Savin, Lozach et Lafon. Nous avons insisté pour obtenir un avis conforme de la fédération sur la création de cette société commerciale.
Nous avons également souhaité que le champ d'action de la société soit limité aux délégations données à la ligue. Par exemple, nous avons explicitement exclu la commercialisation des droits aux paris, considérant les enjeux d'équité sportive si cette compétence était laissée à la société. Nous avons voulu sécuriser, collectivement, par décret, les catégories de personnes pouvant entrer au capital ainsi que les droits de vote, afin de prévenir tout conflit d'intérêts.
Nous avons souhaité réglementer par décret les conditions et les limites de la commercialisation des droits par cette société. J'ai eu le temps d'en préparer un avant mon départ, daté du 28 avril 2022, listant les catégories de personnes pouvant intégrer cette société. D'autres décrets ont été rédigés par la suite.
Ensuite, nous avons insisté pour que les statuts de la société soient approuvés lors de l'assemblée générale de la fédération et par la ministre.
Lorsque j'étais encore en poste, nous avons opéré quelques allers-retours sur les statuts. Nous les avons examinés et lus. Ils ont été soumis à l'assemblée générale de la fédération de football en juin. Celle-ci a également dû modifier ses propres statuts pour permettre cette adoption. Elle a validé la modification de la relation entre la fédération et la ligue, qui figure dans la convention de redistribution des ressources, ainsi que les statuts de la société commerciale.
Pour rester attractifs pour les investisseurs - dont CVC, dont l'implication avait déjà été annoncée entre notre travail sur cet article et la création de la société -, nous avons insisté pour que les décisions et la participation des actionnaires minoritaires soient incluses. Ils apportent les fonds, et doivent participer aux décisions.
J'ai veillé à ce que ce nouveau montage ne remette pas en question la convention entre la ligue et les fédérations, bien que nous n'ayons pas de pouvoir de contrôle à ce sujet. Cependant, le code du sport stipule clairement que cette convention doit être respectée. Nous avons veillé à éviter toute remise en cause de la taxe Buffet, qui est cruciale et actuellement gérée par l'agence nationale du sport.
M. Michel Savin, rapporteur. - Christophe Boucher nous a indiqué lors de son audition, après l'avoir écrit dans son livre, que vous n'étiez pas favorable à cet accord avec CVC. Le confirmez-vous ? Avez-vous dû défendre une position du gouvernement qui divergeait de votre position personnelle, en tant que ministre ?
Mme Roxana Maracineanu. - Lors de son audition, il a dit que j'avais tenu ces propos lors d'une de nos rencontres. Je ne m'en souviens pas. Ensuite, évidemment, je n'étais pas d'accord avec l'amendement 10 bis A tel qu'il a été proposé par M. Roussel. J'ai fait ce que j'avais à faire pour le mettre en cohérence avec le travail accompli précédemment.
M. Michel Savin, rapporteur. - Il est vrai qu'au Sénat, nous étions peut-être plus attentifs aux dispositifs de protection. Au départ, nous voulions limiter à 10 % les parts de la société commerciale détenues par un fonds d'investissement. Le vote ayant eu lieu au Sénat l'a porté à 15 %. L'Assemblée nationale n'a pas suivi ces recommandations et l'a porté à 20 %. Nous étions beaucoup plus restrictifs, en prenant exemple sur ce qui était en vigueur à l'étranger.
Nous avions également prévu que les revenus provenant de la commercialisation des droits d'exploitation et les contributions financières à la société commerciale soient répartis entre la fédération sportive délégataire, la ligue et les clubs sportifs, afin d'éviter que les fonds perçus ne soient détournés à d'autres fins.
Nous savons que des sommes considérables, dont 37 millions d'euros attribués aux parties impliquées dans la mise en place de la société CVC, ont été distribuées. Nous avions également proposé que la fédération française ait une présence plus significative au sein de cette structure, avec initialement un droit de vote, voire un droit de veto. Un refus nous a été adressé. Il nous a été indiqué que la fédération n'avait pas sa place dans la société commerciale.
Lors de nos débats au Sénat, il était clair que nous partagions des préoccupations importantes concernant la structure de cette opération et la nécessité de mettre en place des mesures de protection adéquates. Ainsi, avez-vous été contrainte de défendre une position qui n'était pas la vôtre ?
M. Patrick Kanner. - L'article 51 a été intégré dans la loi du 2 mars 2022. Selon la Lettre A du 23 mars 2022, l'Élysée avait approuvé cet accord, ce qui signifie que cette validation n'a pas eu lieu entre le 2 et le 23 mars, mais bien avant.
Avez-vous connaissance du fait que l'Élysée aurait pris en main ce dossier ?
Mme Roxana Maracineanu. - J'ai exprimé clairement ma position et mes convictions personnelles. J'ai fait évoluer cet amendement autant que possible dans la direction qui me semblait la plus opportune. Si vous jugez nécessaire d'entendre les avis des autres personnes mentionnées, vous pouvez les interroger.
M. Patrick Kanner. - Saviez-vous que l'Élysée travaillait sur ce dossier ?
Mme Roxana Maracineanu. - Il l'a fait, comme sur chaque article de la loi, selon ses prérogatives et ses convictions. Nous n'avons évidemment pas travaillé seuls sur cette loi dans son intégralité. Cette position ne me surprend pas, au regard de la situation d'urgence dans laquelle se trouvaient les clubs et la ligue à l'époque. Ils étaient prêts à agir, tandis que le débat sur les questions de parité a dû être repoussé, les fédérations sportives n'étant pas prêtes.
M. Laurent Lafon, président. - Nous reviendrons sur la situation d'urgence pour comprendre le déroulé des évènements.
Nous avons du mal à tout comprendre, malgré notre familiarité avec le processus législatif. Vous avez souligné à plusieurs reprises votre approche ouverte au dialogue avec les parlementaires, dans toute leur diversité.
Ce texte législatif, que vous portiez avec ses nombreux articles et auquel vous étiez particulièrement attaché, reflète clairement votre vision du sport à travers plusieurs de ses dispositions, même si ce n'est pas nécessairement le cas pour celui-ci.
Il est évident que des réunions de travail ont eu lieu entre vos services et Cédric Roussel. Il est difficile d'imaginer qu'un tel article qui correspondait à une demande de la ligue, soit introduit en séance sans que vous en ayez eu connaissance au préalable.
Mme Roxana Maracineanu. - J'ai eu l'honnêteté de vous dire que je visais au départ un projet de loi. Ce fut finalement une proposition de loi.
Elle a été portée par les parlementaires qui ont souhaité partager leurs préoccupations avec moi. J'ai pu les soutenir dans les négociations avec d'autres ministères pour obtenir un avis favorable. Je tenais moi-même particulièrement à certains amendements, sur lesquels j'étais plus encline à travailler avec les parlementaires concernés.
Je ne prétendrai pas que cet article est celui auquel j'accordais le plus d'importance au quotidien. Cependant, dès son apparition, j'ai travaillé dessus de la même manière que sur les autres. Je n'y étais pas opposée, mais j'ai cherché à y imprimer ma marque, en rétablissant un équilibre entre les fédérations et les ligues. Nous avons trouvé un compromis pour faire avancer cet article.
Effectivement, Cédric Roussel étant le rapporteur du titre III, j'ai eu l'occasion de discuter avec lui à ce sujet.
M. Michel Savin, rapporteur. - L'épisode Mediapro a eu lieu entre 2019 et 2020, alors que la loi a été votée en 2022. Le délai de deux ans entre ces deux évènements sous-entend que la ligue a préparé la création de cette société commerciale.
L'amendement est pourtant apparu en cours de route. N'avez-vous pas eu le sentiment qu'il vous était imposé ?
Mme Roxana Maracineanu. - Votre commission s'est tenue le 5 janvier 2021, plus d'un an avant le vote de la loi. Vous imaginez bien que l'on a eu le temps de travailler sur cet amendement, déposé en première lecture le 11 mars 2021, et le vote de la loi, un an plus tard.
Tout le monde sait que les parlementaires travaillent avec les mouvements sportifs et les instances. J'imagine que l'amendement n'a pas été écrit tel quel par la ligue. J'ai consulté différentes ligues et fédérations, le mouvement sportif, les conseillers du président de la République. Sur cet article comme sur tous les autres, une discussion a été entamée au sein du gouvernement et avec les parlementaires et le mouvement sportif. C'est le chemin classique d'élaboration de la loi.
M. Jean-Jacques Lozach. - Vous avez évoqué à plusieurs reprises le travail accompli avec mon collègue Claude Kern dans le cadre d'une mission d'information intitulée « Muscler le jeu du football professionnel ». Réalisé entre 2016 et 2017, il répondait à une crise profonde marquée par des tensions importantes entre la fédération et la ligue. À cette occasion, nous avons formulé plusieurs recommandations visant principalement à mieux encadrer les relations entre la fédération et la ligue, en clarifiant notamment les compétences partagées et exclusives entre elles.
Certaines de ces recommandations ont été prises en compte, bien que peu aient été appliquées entre 2017 et 2022.
En 2021, la nécessité d'un projet de loi pour établir une politique nationale sous l'égide du gouvernement, plutôt qu'une simple proposition de loi, faisait consensus. À ce moment-là, des travaux préliminaires avaient commencé avec votre cabinet. Incluaient-ils déjà la création d'une société commerciale pour la ligue ?
Mme Roxana Maracineanu. - Il me semble que cette question de la société commerciale n'était pas abordée dans le projet de loi. Je pense aussi que la crise sanitaire et la défection de Mediapro ont accéléré le mouvement pour la ligue. Elle a pu se rappeler de sujets dont vous aviez discuté lors de vos auditions.
M. Jean-Jacques Lozach. - Après ce travail préparatoire, nous avons connu une grande zone blanche. Le débat sur la société commerciale est arrivé au dernier moment, en catimini. Je n'ai pas le souvenir d'auditions sur ce sujet avant l'arrivée du texte en séance. Je me souviens en revanche de pressions diverses.
Mme Roxana Maracineanu. - Je pense que ce sujet a connu une accélération due à la crise du covid. Le ministère des sports était à l'époque concentré sur les chantiers de sauvegarde du système sportif. Quand l'opportunité de la loi s'est manifestée, j'imagine que la ligue, comme le reste du monde sportif, a lancé cette idée.
M. Laurent Lafon, président. - Pouvons-nous revenir sur le contexte financier du football professionnel en 2020 ? Des messages alarmants vous parviennent de la part de certains acteurs, indiquant être en situation de cessation de paiement et de faillite. À l'époque, disposiez-vous de chiffres précis sur la situation financière des clubs pour justifier ce message, ou celui-ci n'était-il qu'oral ?
Mme Roxana Maracineanu. - La direction des activités de contrôle et de gestion (DACG) produit annuellement des rapports détaillés dans l'exercice de ses fonctions. Nos échanges ont principalement porté sur l'interruption des compétitions due au covid, les pertes significatives de recettes liées à la billetterie, ainsi que sur les démarches que j'ai entreprises en tant que ministre des Sports auprès du ministère des Finances visant à garantir une prise en compte équitable de tous les acteurs dans l'octroi d'aides.
Les estimations avancées lors de nos discussions avoisinaient 600 à 800 millions d'euros de pertes. Nous insistions sur l'urgence de l'aide à la billetterie, qui n'était pas encore validée. Nous n'avons pas abordé en détail la manière de compenser les pertes ou de stabiliser la situation financière de chaque club. Ce domaine ne relève pas des compétences directes du ministère des sports. Nous avons débloqué un montant de 207 millions d'euros pour atténuer les impacts des pertes de recettes sur la billetterie, dont environ 75 à 80 millions ont été alloués au football et au rugby. Les fédérations étaient également prises en compte, car elles organisent des évènements, tels que Roland Garros.
Nous avons débloqué 100 millions d'euros sur le Pass'sport, pour le monde amateur.
M. Laurent Lafon, président. - Des aides ont pris la forme d'exonération de charges sociales. Connaissez-vous leur montant ?
Mme Roxana Maracineanu. - L'estimation de Bercy avoisinait 7 milliards d'euros d'aides pour le sport en général. Je ne dispose pas du détail pour le football. Sans doute la direction des sports a-t-elle réalisé ce travail. Vous pouvez vous tourner vers Fabienne Bourdais pour en savoir plus.
M. Laurent Lafon, président. - Dans les conseils d'administration de la ligue professionnelle de football, le 8 septembre 2021, il est précisé que l'État a accordé à celle-ci un rescrit fiscal concernant l'opération de versement des fonds du prêt garanti par l'État (PGE) aux clubs professionnels en juin 2020. Connaissez-vous le montant et la nature de ce rescrit ?
Mme Roxana Maracineanu. - Non. Je pense que Bercy en a discuté avec le monde du football.
M. Laurent Lafon, président. - La ligue peut-elle négocier un rescrit fiscal avec Bercy sans que le ministère des sports en soit informé ?
Mme Roxana Maracineanu. - Quand j'étais ministre des sports, je ne faisais pas de rescrits fiscaux.
M. Laurent Lafon, président. - Vous n'en avez pas eu connaissance ?
Mme Roxana Maracineanu. - Je sais que ces acteurs ont fait des prêts garantis par l'État (PGE), comme d'autres entreprises. Des rescrits fiscaux ont été accordés dans d'autres secteurs, intéressant Bercy, parce qu'ils rapportent beaucoup d'argent en impôts et taxes.
J'ai participé à des réunions pour défendre le secteur sportif auprès du ministre de l'économie. Nous étions associés à certains plaidoyers, en faveur des salles de sport notamment. Elles m'ont contactée pour obtenir des aides spécifiques, ou des réglementations sanitaires particulières.
Dans cette période, comme toujours, tous les acteurs avaient accès à tous les ministres. Ils n'avaient pas nécessairement à passer par moi.
M. Laurent Lafon, président. - Étant donné que vous réfléchissiez aux besoins du monde du sport à cette période, il aurait été normal que Bercy vous informe de l'octroi d'un rescrit et de son montant.
Mme Roxana Maracineanu. - Dans ce cas, vous m'auriez demandé si j'avais intercédé en ce sens auprès de Bercy. Il est courant que ses administrations collaborent avec celles du ministère des sports. Il est probable que l'information soit connue au sein de l'administration ministérielle. Personnellement, je n'ai pas été informée directement de l'octroi d'un rescrit fiscal spécifique au football professionnel.
M. Michel Savin, rapporteur. - Une information a-t-elle été partagée entre Bercy et le ministère des sports s'agissant des PGE accordés à la ligue ?
Notre attention se porte spécifiquement sur le sport professionnel, particulièrement le football, dans le contexte tendu. Nous savons que la ligue est parvenue à percevoir des fonds importants, tels que le premier versement de Mediapro, l'utilisation du prêt garanti par l'État, et le bon de sortie de Mediapro évalué à 100 millions d'euros. Cette gestion financière semble avoir permis de limiter les pertes sur cette période.
Cependant, il demeure un point de confusion concernant les discours persistants sur le risque de faillite et de défaillance des clubs. À ce moment-là, aviez-vous perçu la situation de manière similaire ?
Mme Roxana Maracineanu. - Je pense que vous aurez accès à ces informations au ministère de l'Économie et des Finances pour évaluer de manière précise la nécessité de recourir à un fonds d'investissement ou à des prêts.
La responsabilité des fonds destinés à compenser les pertes de billetterie a été confiée au ministère des sports. La direction des sports s'est chargée de les répartir parmi les clubs. Nos conseillers budgétaires étaient au fait des critères de distribution, notamment la part des PGE reçue et les exonérations de charges salariales. De cette manière, nous pouvions suivre de près les aides de l'État attribuées à chaque club.
M. Michel Savin, rapporteur. - Abordons maintenant l'épisode impliquant CVC, marqué par la création d'une société commerciale et l'entrée d'un fonds d'investissement dans le capital de celle-ci. Hier, M. Rourès indiquait que cette affaire avait été suivie de près par les autorités publiques, notamment le cabinet du Premier ministre et l'Élysée. Pourriez-vous le confirmer ?
Mme Roxana Maracineanu. - J'espère que l'Élysée et Matignon se sont occupés de ce sujet, qui fait partie de leurs prérogatives.
De quelle période parlez-vous exactement ?
M. Michel Savin, rapporteur. - J'évoque la période de l'entrée en scène de CVC dans le capital de la société commerciale. Dans le même temps, Mediapro engageait des discussions concernant son droit de sortie, et des négociations étaient en cours avec Canal + pour éventuellement reprendre le flambeau. M. Rourès a indiqué que ces dynamiques étaient suivies étroitement par les services de Matignon et de l'Élysée, mais pas par le ministère des sports.
Mme Roxana Maracineanu. - Je ne dispose pas de ces informations. J'ai toujours veillé à éviter les ingérences dans mon rôle de ministre. Je m'en suis tenue à entendre les besoins des divers acteurs et à plaider auprès des autres ministres pour que les ligues reçoivent les aides auxquelles elles avaient droit. J'ai examiné leur distribution pour m'assurer que d'éventuels trop-perçus seraient régularisés. Il n'était pas dans mes prérogatives de me mêler des contrats et discussions avec les différents acteurs. Cette compétence relève de la ligue.
M. Michel Savin, rapporteur. - La loi prévoit que la ministre des sports doit approuver la création de la société commerciale ainsi que ses statuts et leur modification. Ont-ils bien été transmis au ministère ? Les avez-vous approuvés ? Le ministère a-t-il reçu le pacte d'associés et le plan d'affaires de la filiale créée par la ligue ?
Mme Roxana Maracineanu. - Tout cela s'est passé après mon départ. Des échanges ont eu lieu entre la ligue professionnelle et le ministère des sports lors de l'élaboration des statuts. Nous avons entrepris l'examen de ces documents dès leur rédaction, bien que la loi exige simplement notre approbation. Normalement, l'adoption des statuts devait d'abord être soumise à une assemblée générale de la fédération, suivie de leur transmission au ministère.
M. Michel Savin, rapporteur. - Le ministère a-t-il pu examiner ces documents ?
Mme Roxana Maracineanu. - Moi, non, mais le ministère a pu le faire ensuite.
Quelques échanges de travail ont eu lieu, mais il ne me revenait pas d'approuver ce projet avant la fin de la rédaction et le vote de l'assemblée générale.
M. Patrick Kanner. - L'assemblée générale approuvant le projet initial a eu lieu le 1er avril. Vous avez quitté le ministère en juin.
Mme Roxana Maracineanu. - L'annonce a été faite aux clubs le 1er avril, mais l'assemblée générale fédérale s'est tenue le 18 juin. Le ministère n'a pu les approuver qu'après qu'ils aient été approuvés par les différents acteurs.
Nous avons fait circuler les statuts deux fois. Je sais que le cabinet avait commencé à les examiner.
M. Laurent Lafon, président. - Qu'en est-il du pacte d'actionnaires ? A-t-il été lu par votre cabinet ? J'imagine que le ministère en a eu connaissance, au regard du système de délégation et de subdélégation en vigueur.
Mme Roxana Maracineanu. - Non. Il me semble que cela ne fait pas partie des documents qui doivent nous être soumis.
M. Michel Savin, rapporteur. - À ce moment-là, avez-vous des contacts avec la fédération française de football et son président ? Nous avons l'impression qu'elle n'était pas très présente durant ces échanges.
Mme Roxana Maracineanu. - Je pense que le sujet la concernait au plus haut point, d'autant plus qu'il a nécessité une modification des statuts de la fédération et de la convention. J'imagine que le président a donc lu ces documents.
M. Michel Savin, rapporteur. - Au mois d'avril, la ligue prend note de la proposition de M. Labrune de désigner Marc Sénéchal en tant que représentant pour négocier les honoraires des conseils de la LFP selon les règles habituelles de la profession. Celui-ci a proposé la répartition d'une enveloppe de 37 millions d'euros à des banquiers et avocats, mais aussi des membres de la ligue. Quel est votre avis sur ce dernier point ?
Mme Roxana Maracineanu. - Vous m'auditionnez en tant qu'ancienne ministre des sports. Je n'ai pas à m'immiscer dans les affaires des ligues ou des fédérations dans ce cadre.
M. Laurent Lafon, président. - Et en tant que citoyenne et sportive de haut niveau ?
Mme Roxana Maracineanu. - Je pourrai vous donner mon avis hors caméra.
M. Laurent Lafon, président. - Ce point mérite d'être éclairci. La ligue dispose d'une subdélégation de la fédération, qui elle-même reçoit une délégation du ministère. En l'occurrence, le fait qu'elle choisisse son partenaire pour la société commerciale, par un dérivé juridique, découle de la délégation que vous lui attribuez. La personne qui a choisi CVC Partners reçoit un bonus non négligeable lors de la mise en place de la société commerciale, de la part de la société qu'il a choisie lui-même, avec l'accord du Conseil d'administration. Ce fonctionnement interroge dans un système sous tutelle du ministère.
Mme Roxana Maracineanu. - Le ministère des sports délègue aux fédérations la compétence sur un ensemble spécifique de domaines. Nous ne pouvons intervenir, débattre et donner notre point de vue que sur ce champ.
En parallèle, un certain nombre d'attributions sont déléguées par la fédération à la ligue. Je ne vous cache pas que dans ma vie personnelle et dans mes discussions, j'ai certainement un avis sur ce sujet. Cependant, en ma qualité de ministre, il serait pour moi déplacé de m'immiscer dans les affaires financières et internes des ligues et des fédérations.
M. Michel Savin, rapporteur. - Quelle est votre vision sur l'arrivée de fonds d'investissement dans les ligues professionnelles sportives ? La voyez-vous d'un oeil favorable pour le sport français ? Par ailleurs, que pensez-vous de l'ampleur que prend la multipropriété des clubs professionnels ?
Mme Roxana Maracineanu. - Le sport a besoin d'investisseurs privés. D'ailleurs, pendant tout mon mandat, je n'ai eu de cesse d'oeuvrer en faveur de la mise en commun des moyens de l'État, des collectivités dédiées au sport, du mouvement sportif et du monde économique. C'était aussi l'objectif de l'agence nationale du sport.
Cette démarche est innovante, étant donné que l'administration n'a pas l'habitude de travailler avec le secteur privé.
Fondamentalement, je ne suis pas opposée à l'investissement du secteur privé dans le champ du sport. J'aimerais évidemment que plus d'entreprises françaises s'y intéressent, de façon à changer la place du sport dans notre société. Il existe des fonds d'investissement français qui pourraient investir dans un cadre bien réglementé.
Il est du rôle d'un ministère et de l'État de veiller à la bonne gouvernance de cette collaboration, à l'absence de conflits d'intérêts, et de faire attention à ce que l'argent des fonds d'investissement serve à atteindre les objectifs définis conjointement dans une gouvernance partagée.
Ainsi, je suis favorable à un encadrement de ce recours.
M. Michel Savin, rapporteur. - Est-ce encadré aujourd'hui ?
Mme Roxana Maracineanu. - Je me suis mise au service de ces acteurs durant l'élaboration de cette loi. La durée du processus a été assez significative, et je crois que nous avons pris les mesures nécessaires pour sécuriser suffisamment les aspects en question, aboutissant à un équilibre bénéfique pour les fédérations. Celles-ci ont le droit de créer des sociétés commerciales, de solliciter des investisseurs privés et éventuellement de commercialiser des droits qui n'ont pas été subdélégués à des entités sportives professionnelles ou à des ligues professionnelles.
Je considère que la redéfinition de cet équilibre était justifiée et bien fondée. Dans cet article, nous avons veillé à intégrer des garde-fous, tout en maintenant l'attractivité nécessaire pour les investisseurs potentiels. Cependant, il est important de souligner que ce domaine n'est pas de mon ressort. Je ne suis pas garante de la compétence des personnes en charge ni de leur incapacité. Mon rôle se limite à veiller au respect des contrats de délégation et de subdélégation existant au sein de ces instances.
Il est envisageable qu'à l'avenir, une parité dans ces organes décisionnels y amène des individus ayant un intérêt accru pour le contenu des documents et des questions en jeu. Dans tous ces aspects, je considère que l'État a pour rôle d'accompagner cette évolution, tout en reconnaissant que toute réforme exhaustive hors de nos compétences immédiates n'est pas réalisable du jour au lendemain.
M. Michel Savin, rapporteur. - Vous avez évoqué la démocratie. Il s'avère que le président de la ligue préside aussi la société commerciale, CVC. En cas de remplacement, la ligue propose et CVC possède un droit de veto. Ce fonctionnement vous paraît-il démocratique ?
Mme Roxana Maracineanu. - J'ai été interpellée, lors du changement de gouvernance de la ligue, par le fait que les rôles de président et de directeur de la ligue étaient désormais occupés par un unique président-directeur général. Je comprends qu'il prend la direction de cette société commerciale, en tant que président de la ligue. J'imagine que des gens le nomment.
M. Michel Savin, rapporteur. - Le fonds d'investissement a le pouvoir de refuser la nomination d'une personne. Pensez-vous que c'est démocratique ?
Mme Roxana Maracineanu. - Je ne faisais pas partie du vote. J'espère que ceux qui ont examiné et approuvé ces statuts se sont posés cette question.
M. Michel Savin, rapporteur. - Le fonds d'investissement CVC avait été initialement présenté comme disposant d'une expertise reconnue dans la négociation des droits TV. Cependant, nous constatons aujourd'hui de nombreuses difficultés, notamment l'échec de l'appel d'offres et le recours à des négociations directes. Cette situation suscite des inquiétudes parmi les clubs qui élaborent leurs budgets prévisionnels.
Les revenus des clubs reposent en partie sur la billetterie, la vente de produits dérivés et les droits TV, ainsi que sur les transferts de joueurs. Craignez-vous que les revenus des droits TV ne répondent pas aux attentes ? Si les objectifs ne sont pas atteints et que les clubs sont contraints de vendre leurs meilleurs joueurs pour équilibrer leurs finances. Cela pourrait occasionner une stagnation du niveau de notre championnat et une perte de l'intérêt des diffuseurs pour notre championnat.
Ne sommes-nous pas dans un cercle vicieux où des revenus insuffisants des droits TV conduiraient à une disparité persistante, avec quelques clubs ayant des ressources considérables et les autres luttant pour suivre ?
Mme Roxana Maracineanu. - Il a été évoqué un danger, non seulement au niveau national mais également européen : celui d'une ligue fermée où seuls les meilleurs clubs seraient concentrés et isolés entre eux. Cette proposition a été avancée comme une solution de sortie de crise pour préserver ces clubs ainsi que la compétitivité de certains pays vis-à-vis d'autres. En tant que ministre, j'ai fermement exprimé mon opposition à cette idée, défendant plutôt un système pyramidal incluant une diversité d'acteurs.
Dans le même temps, j'ai adopté une position équilibrée en reconnaissant la valeur des nouveaux entrants, notamment du secteur privé, apportant des idées novatrices en matière de marketing sportif et d'organisation d'évènements. Lors de mes échanges avec M. Labrune sur la volonté de la ligue de créer une société, il a souligné le besoin de cette expertise pour optimiser la commercialisation des droits du football français, particulièrement à l'international.
Lorsque j'ai soulevé la question de l'internalisation de cette expertise au sein de la ligue, il a mentionné les défis liés à l'évolution interne, y compris les contraintes salariales et les processus décisionnels.
Cette discussion fait écho à nos précédentes conversations sur les violences dans les stades après la reprise des matchs. J'avais alors suggéré d'utiliser une partie des revenus des droits pour établir un fonds de mutualisation visant à résoudre ces problèmes récurrents. Il m'avait répondu qu'une grande partie des revenus générés par la ligue était immédiatement redistribuée aux clubs, rendant difficile la constitution d'un fonds de roulement pour des investissements mutualisés. Cette situation illustre les limites de la ligue dans son rôle actuel, bien qu'elle soit représentative des clubs professionnels. Elle pourrait bénéficier d'une capacité accrue à agir de manière proactive sur des enjeux importants.
En tant que ministre, j'attendais des ligues professionnelles qu'elles mobilisent leurs ressources sur ces questions, conformément aux contrats de délégation des fédérations auxquels elles sont soumises. Bien que des actions aient été entreprises, principalement dans le cadre de la responsabilité sociale des entreprises et des fonds de dotation, il manquait une unité spécifique pour traiter des problèmes tels que les violences dans les stades et le développement durable. Il semblait que la création d'une société commerciale pourrait offrir une nouvelle perspective sur ces sujets.
M. Michel Savin, rapporteur. - Comment expliquez-vous la difficulté que rencontre la ligue aujourd'hui ? Des discussions ont aujourd'hui lieu entre le Président de la ligue, les représentants de BeinSport, le président du PSG. Quelle image cela renvoie-t-il ? N'y voyez-vous pas de conflits d'intérêts ?
Nous comprenons bien que cette nouvelle répartition ne permettra qu'aux clubs participant à des coupes d'Europe de bénéficier des droits internationaux.
Par ailleurs, quelle est votre position quant à une éventuelle baisse des droits télévisuels, en sachant que CVC sera prioritaire à hauteur de 13 % sur l'ensemble des revenus de la ligue ?
Mme Roxana Maracineanu. - J'ai pu entendre vos inquiétudes à l'occasion des auditions précédentes. Je suis spectatrice de ce qu'il se passe aujourd'hui. Je ne peux vous en dire plus.
M. Jean-Jacques Lozach. - Le ministère est-il consulté par la ligue sur le mode de répartition des fonds liés aux droits audiovisuels ? Des visions différentes s'opposent dans ce cadre : celle du ruissellement et celle de la solidarité.
Mme Roxana Maracineanu. - Le ministère intervient principalement pour vérifier si les modalités de distribution des fonds respectent les critères définis dans un court paragraphe de la loi, stipulant que ceux-ci doivent être basés sur la performance des clubs, leur notoriété et la solidarité entre eux. Il est donc essentiel de s'assurer que la taxe Buffet est correctement appliquée et qu'elle bénéficie au sport amateur ainsi qu'au budget de l'État, notamment au ministère des sports. De plus, il est crucial de vérifier si la convention entre la fédération et la ligue est respectée et viable.
Cependant, le code du sport ne va pas au-delà de ces critères et ne prend pas position sur la répartition proprement dite, laissant cette responsabilité aux clubs eux-mêmes. En effet, ces derniers ont voté pour ces modalités de répartition à deux reprises. Par conséquent, ceux qui n'étaient pas satisfaits de ces décisions auraient dû exprimer leurs réserves à ce moment-là.
M. Jean-Jacques Lozach. - Au niveau du contrôle, nous savons que le football français est structurellement déficitaire. À la fin de la saison, les actionnaires renflouent les clubs concernés, de même que les transferts. Ne pensez-vous pas qu'une commission de contrôle devrait se charger de la traçabilité des fonds dans le cadre des transferts, en complément du travail de la direction nationale du contrôle de gestion (DNCG) ?
Mme Roxana Maracineanu. - Vous avez raison. Cette réflexion peut concerner plus largement tout l'argent investi dans le sport et dans l'organisation d'évènements sportifs. Nous voyons régulièrement apparaître des ligues et des compétitions sortant du cadre de l'organisation classique du mouvement sportif international. Il est légitime de se demander d'où viennent ces fonds, quand on sait qu'ils pourraient provenir du trafic d'armes, de drogues, d'êtres humains. Ils pourraient faire l'objet d'un meilleur contrôle et d'une meilleure traçabilité. Cette fonction pourrait être attribuée à la DNCG.
M. Jean-Jacques Lozach. - Où en est-on du remboursement des PGE ?
Mme Roxana Maracineanu. - Je ne sais pas. Je suppose qu'il se déroule bien.
M. Michel Savin, rapporteur. - Vous avez mentionné le concept de solidarité, et je souhaite revenir sur la répartition des droits TV qui résultera des négociations directes à venir. Si les résultats ne correspondent pas aux attentes de la ligue, certains clubs pourraient voir leur part considérablement réduite, entraînant des difficultés budgétaires au sein de leur club.
L'article 5 de la convention entre la fédération et la ligue stipule que le comité exécutif de la fédération française de football peut intervenir pour réformer toute décision prise par l'assemblée et les instances élues qu'il jugerait contraire à l'intérêt supérieur du football.
Cette nouvelle répartition est approuvée, mais susceptible de mettre en difficulté un certain nombre de clubs à l'avenir, surtout ceux du centre et des niveaux inférieurs. Pensez-vous que la fédération pourrait identifier un risque potentiel et la réévaluer ? Dans d'autres pays, les écarts de répartition entre les clubs de haut niveau et ceux situés plus bas sont bien moins importants. Ce que l'on observe en France pourrait-il compromettre l'intérêt supérieur du football ?
Mme Roxana Maracineanu. - Lorsque j'étais ministre des sports, mon intérêt majeur concernait la lutte contre les violences dans le sport, et notamment le football, et celui du président de la fédération concernait l'intérêt supérieur du football. Les rôles étaient bien répartis.
M. Michel Savin, rapporteur. - La répartition entre les clubs était beaucoup plus égalitaire à l'époque de Mediapro. La nouvelle répartition laissera apparaître d'importantes différences entre les clubs bénéficiant des droits internationaux, et les autres. La fédération pourrait-elle se saisir du sujet ?
Mme Roxana Maracineanu. - Je suppose que vous faites référence à l'activation de l'article 5, qui jusqu'à présent a principalement été utilisé pour des questions d'accession et de relégation dans les compétitions. Si cet article peut être invoqué dans ce contexte, alors oui, il offre cette possibilité. C'est précisément pourquoi la fédération a été intégrée à tout ce processus. De même, le ministère des sports a été inclus dans ce processus initial, notamment en ce qui concerne l'approbation des statuts.
Cependant, il est clair que c'est à la fédération de remplir son rôle de délégataire, en subdéléguant la commercialisation de ses droits, que ce soit à la ligue, par l'intermédiaire de la ligue, ou à une entité commerciale. À la fin, elle conserve le contrôle ultime. Elle demeure propriétaire des droits, même si elle les a concédés à plusieurs reprises pour leur commercialisation.
M. Laurent Lafon, président. - Merci d'avoir répondu à nos questions.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 16 h 05.