Mercredi 22 janvier 2025
- Présidence de M. Philippe Mouiller, président -
La réunion est ouverte à 9 h 05.
Audition des syndicats des étudiants en études de santé sur l'accès aux études de santé (1er cycle)
M. Philippe Mouiller, président, rapporteur. - Mes chers collègues, nous poursuivons ce matin nos auditions consécutives à l'enquête que nous avons demandée à la Cour des comptes au sujet de l'accès aux études de santé. Je vous rappelle que la Cour nous a présenté les conclusions de ses travaux le 11 décembre dernier et que nous avons entendu, la semaine dernière, les conférences des doyens et enseignants des universités.
Nous avons le plaisir d'accueillir cette semaine les syndicats des étudiants en études de santé. Sont présents autour de la table : M. Julien Besch-Carrière, représentant de l'association nationale des étudiants en médecine de France ; M. Ilan Rakotondrainy, président de l'Association nationale des étudiants en pharmacie de France (Anemf) ; Mme Camille Griseri, représentante de l'Union nationale des étudiants en chirurgie dentaire (Unecd) ; Mme Nassilaty Ali, représentante de l'Association nationale des étudiant·e·s sages-femmes (Anesf) ; Mme Louise Lenglin, présidente de la Fédération nationale des étudiant·e·s en kinésithérapie (Fnek).
Mesdames, Messieurs, je vous remercie de vous être rendus disponibles ce matin pour nous apporter un éclairage sur ces questions. Je vous indique que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo. Elle est retransmise en direct sur le site du Sénat et sera disponible en vidéo à la demande. Je vais vous céder à chacun tour à tour la parole pour un propos introductif d'environ cinq minutes. Mme Corinne Imbert, M. Khalifé Khalifé, Mme Véronique Guillotin et moi-même, rapporteurs de cette mission d'information, vous poserons ensuite les premières questions. Enfin, les commissaires qui le souhaiteront pourront également vous interroger.
Monsieur Besch-Carrière, vous avez la parole.
M. Julien Besch-Carrière, Association nationale des étudiants en médecine de France. - Bonjour à tous. Je suis Julien Besch-Carrière, étudiant en quatrième année de médecine à Toulouse, en césure, et premier vice-président de l'Anemf.
Cinq ans après la mise en place de la réforme, le nouveau système d'accès aux études de santé ne répond pas aux attentes. Une évolution de la réforme est nécessaire. Les objectifs fixés en 2019 n'ont pas été atteints. Ceux-ci comprenaient notamment la refonte de l'accès aux études de santé en une année formative et non sélective, la diversification du recrutement, la facilitation de la poursuite d'études, la réduction des risques psychosociaux, la limitation du gâchis humain. Ce cahier des charges, dont les intentions étaient ambitieuses et soutenues par notre fédération, n'a clairement pas répondu aux attentes. Cette réforme a échoué. Elle a conduit à une complexification de l'entrée dans les études de santé avec un système parcours d'accès spécifiques santé (Pass)-licences accès santé (LAS) illisible que les lycéens et les étudiants peinent encore à comprendre, à un sentiment d'injustice et d'iniquité largement partagé chez les étudiants de première année subissant cette réforme, à une faible diversification des profils socio-économiques et géographiques et, plus tristement, à un mal-être et une souffrance persistants en première année.
Il y a aujourd'hui urgence à agir et nous portons plusieurs propositions visant à refonder l'accès aux études de santé. En priorité, il apparaît nécessaire de simplifier l'accès aux études de santé, un enjeu également soulevé par la Cour des comptes. Nous proposons donc un retour à une voie unique et commune à l'ensemble des étudiants. Cette voie ne serait pas un retour à la première année commune aux études de santé (Paces), qui était unanimement décriée pour son gâchis humain et sa pression psychologique néfaste sur les étudiants. Cette nouvelle voie unique serait un tremplin vers l'interprofessionnalité.
Ensuite, les problèmes de communication entre les facultés de santé et les autres facultés disciplinaires engendrent de la confusion et pénalisent les étudiants, notamment ceux en LAS qui ne sont pas sous l'égide des facultés de santé et bénéficient, dès lors, d'un accompagnement moindre que les étudiants en Pass. Le niveau de réussite des étudiants en LAS est, par conséquent, plus faible. Un principe de bon sens s'impose. Cette nouvelle voie d'accès commune doit être gérée de manière centralisée par les UFR santé.
Sur le plan pédagogique, la part des enseignements dédiés à la santé dans la formation est une problématique majeure. Nous nous interrogeons sur le faible nombre d'heures d'enseignement dédiées aux sciences biomédicales dans les maquettes pédagogiques des LAS, et ce alors que ces étudiants souhaitent s'orienter vers des formations de santé. En découle une double injustice : des étudiants moins bien préparés que d'autres pour leur poursuite d'étude en santé avec un taux de redoublement plus élevé des étudiants issus de LAS, et un classement réalisé arbitrairement, à l'aide de formules mathématiques incomprises, sur des enseignements sans rapport avec la santé. Cette problématique de l'interclassement est également relevée par les différentes conférences des doyens des facultés. De fait, la sélection des étudiants doit impérativement se faire sur des enseignements communs liés à la santé. Cette proposition est soutenue par la conférence des doyens des facultés de médecine.
Une autre problématique de cette réforme est l'absence de pilotage adapté aux enjeux et d'une consultation appropriée des parties prenantes. Le résultat est un système hétérogène nationalement, imposé à la fois aux facultés et aux étudiants. Une évolution de la réforme de l'accès aux études de santé devra donc s'ancrer dans la concertation avec les différentes parties prenantes, les facultés, les universités comme les étudiants. Il convient de mettre en place un dialogue interministériel, de créer des groupes de travail et des discussions, mais aussi des comités de pilotage.
En conclusion, nous préconisons une voie commune et unique d'accès aux études de santé, gérée uniquement par les facultés de santé, avec une majorité d'enseignements liés à la santé. Ce nouveau système devra être cohérent, lisible et équitable, et son élaboration devra impliquer toutes les parties prenantes, en particulier les étudiants.
M. Ilan Rakotondrainy, Association nationale des étudiants en pharmacie de France. - Bonjour à tous. Je remercie la commission pour son invitation. Je suis étudiant en sixième année de pharmacie à Bordeaux, représentant aujourd'hui les étudiants en pharmacie. Je vais donc me concentrer sur les points spécifiques à la pharmacie.
Depuis la mise en oeuvre de la réforme Pass-LAS, 1 800 places vacantes ont été décomptées en pharmacie : 1100 en 2022, 471 en 2023, et 293 en 2024. Si on observe une résorption progressive de la quantité de places vacantes, ce nombre suscite l'inquiétude. Les conséquences de cette hémorragie, dont la plus grosse partie est déjà passée, sont préoccupantes pour les futures générations. Il est important de prendre en considération ce phénomène pour repenser la réforme de l'accès aux études de santé.
Le rapport Repères et références statistiques (RERS) de 2024 montre une augmentation du nombre d'étudiants en pharmacie de près de 9000 depuis 2013, ce nombre atteignant 31 770 étudiants en 2023. Ces données soulignent une dynamique d'évolution mais aussi un défi majeur : il faut assurer une formation lisible, efficace et attractive.
Aujourd'hui, nous préconisons des mesures à court et à long termes.
À court terme, il est nécessaire de combler les places vacantes pour répondre aux besoins démographiques de notre profession. Cela passe par la réouverture des autorisations de reversement des places non pourvues entre les Pass et les LAS. Nous avons constaté que des étudiants avec d'excellents dossiers sont refusés en Pass malgré l'existence de places vacantes. Nous pouvons également améliorer la communication et la promotion des études de pharmacie et des débouchés qu'elles offrent. À ce titre, le projet « Bouge ta pharma », soutenu par le Conseil national de l'ordre des pharmaciens, a vocation à promouvoir les études de pharmacie.
À long terme, la réforme actuelle doit tenir ses promesses : diversification des profils, réduction du stress et de l'angoisse de la sélection, lutte contre le redoublement systématique, facilitation de la réorientation des étudiants. Pour atteindre ces objectifs, nous préconisons une voie unique et commune d'entrée dans les études de santé.
Nous avons une inquiétude majeure quant à l'ajout d'une nouvelle voie d'accès directe aux études de pharmacie, proposée par la Cour des comptes sous forme d'expérimentation. La priorité est de simplifier, clarifier les modalités d'accès et renforcer la visibilité de la pharmacie. Or, empiler des dispositifs sans vision globale ne fera que complexifier l'accès à ces études. Notre enquête auprès des étudiants en pharmacie révèle un manque d'informations sur les débouchés : seulement 6 % d'entre eux étaient satisfaits de l'information reçue au lycée, et 43,23 % en première année d'études de santé. La pharmacie est méconnue avant d'entrer en études de santé, et mal comprise une fois dedans. Notre enquête permet de distinguer deux profils : ceux qui ont choisi la pharmacie et ceux qui ne savent pas encore s'ils souhaitent aller en pharmacie. 60 % des étudiants choisissaient la pharmacie en premier voeux avec le système Pass-LAS, contre 40 % avec le système Paces. Nous plaidons pour une voie commune et unique, combinée à un module de découverte des métiers, et ce pour conforter les étudiants dans leur choix dès la première année. Nous soutenons une réflexion sur la structuration des études de santé favorisant l'interdisciplinarité, au-delà de la simple gestion des places vacantes.
Mme Camille Griseri, Union nationale des étudiants en chirurgie dentaire. - Je suis Camille Griseri, étudiante en quatrième année de chirurgie dentaire à Nantes et vice-présidente chargée des affaires académiques et internationales de l'Unecd.
L'Unecd soutient une voie unique et commune pour la première année des études de santé, reposant sur l'interprofessionnalité. Nous estimons urgent de simplifier le modèle Pass-LAS actuel pour améliorer sa visibilité et sa compréhension chez les lycéens et les étudiants en première année.
Nous sommes préoccupés par le nombre croissant d'étudiants partant à l'étranger dans des établissements privés après un échec en première année en France. Ces formations, souvent onéreuses, posent des questions d'égalité des chances et de qualité de la formation.
Aujourd'hui, plus de 50 % des nouveaux chirurgiens-dentistes inscrits à l'ordre ont été formés à l'étranger, alors que la France fait face à une pénurie de chirurgiens-dentistes. C'est pourquoi, nous préconisons d'augmenter les capacités de formation en France. Cela nécessite un investissement dans les équipements et l'encadrement des étudiants, les services actuels étant souvent saturés.
L'ouverture de nouvelles facultés montrera ses effets dans les années à venir. Nous encourageons cet effort qui peut être encore amplifié. Un changement de modèle, s'il est nécessaire, ne doit pas être précipité. La mise en place hâtive de la réforme Pass-LAS en 2020 a entraîné une grande hétérogénéité de l'accès aux études de santé sur le territoire. Les filières médecine, maïeutique, odontologie, pharmacie et kinésithérapie (MMOPK) sont disponibles pour échanger avec les instances et coconstruire la suite du modèle Pass-LAS afin d'y intégrer la voix des étudiants.
Mme Nassilaty Ali, Association nationale des étudiant.e.s sages-femmes. - Bonjour à tous. Je suis étudiante sage-femme en cinquième année à Montpellier, actuellement en césure pour mon engagement étudiant. Je vous remercie de l'attention portée à l'accès aux études de santé. Un point préoccupant tient à l'existence de places vacantes en maïeutique. Elles représentent plus de 9 % des places disponibles en 2023 et 8 % en 2024. L'absence de prolongation du décret de fongibilité exacerbe ce problème, empêchant une redistribution efficace des places entre Pass et LAS. À titre d'exemple, à Lille, 10 places de LAS sont restées vacantes pour la rentrée 2024-2025, sans être redistribuées aux Pass. Cette situation va, à terme, amplifier la pénurie de sages-femmes.
Il est crucial de maintenir une voie d'accès unique et commune pour les filières de santé. En effet, 47 % des étudiants sages-femmes découvrent la profession au cours d'une année de candidature en Pass ou LAS. Supprimer cette voie d'accès, comme le suggère le rapport de la Cour des comptes, invisibiliserait davantage un métier déjà mal connu.
Ce problème s'inscrit dans une crise plus large de reconnaissance et d'attractivité du métier. L'enquête « attractivité » réalisée en 2023 par l'Anesf dresse un constat sévère : 72 % des étudiants sages-femmes estiment que le manque de reconnaissance a été le principal frein à leur engagement initial dans cette formation. Seulement 20 % des lycéens ont une vision claire du métier avant leur orientation, d'où l'importance de maintenir un accès commun aux filières de santé. La méconnaissance du rôle des sages-femmes, souvent réduit à l'accouchement dans l'imaginaire collectif, est un facteur clef de cette crise. Pourtant, la réalité de ce métier est bien plus vaste : suivi gynécologique, surveillance médicale des grossesses, orthogénie, accompagnement dans la procréation médicalement assistée (PMA), etc. Cette méconnaissance se retrouve également dans le rapport de la Cour des comptes, mentionnant des études de cinq ans, alors que la durée de celles-ci est de six ans depuis la loi Chapelier de 2023. Il est donc impératif de maintenir un accès commun aux études de santé pour garantir une découverte interprofessionnelle et ne pas aggraver la désaffection pour certaines disciplines comme la maïeutique.
Les conditions de formation sont également problématiques : indemnités kilométriques insuffisantes, manque de logements adaptés pour les stages, et dispositifs de contrat d'engagement étudiant encore insuffisants pour répondre aux besoins de certains étudiants et rendre certaines zones périphériques attractives.
Enfin, il est crucial de renforcer l'interprofessionnalité de la formation en permettant aux étudiants et étudiantes de collaborer avec d'autres professionnels de santé, dans un contexte où la coordination des soins devient centrale.
Nous appelons donc à des actions ambitieuses : une meilleure promotion du métier dès le secondaire, une amélioration des conditions de formation et de stage, une reconnaissance accrue du statut médical des sages-femmes, le maintien d'une voie unique et commune d'accès aux études de santé, et l'instauration d'une gouvernance nationale et territoriale claire garantissant un soutien aux étudiants dans tous les territoires. Ces mesures sont nécessaires pour créer des vocations et garantir une qualité des soins.
Mme Louise Lenglin, Fédération nationale des étudiants en kinésithérapie. - Bonjour à toutes et à tous. Je suis étudiante en kinésithérapie en quatrième année à Nantes et présidente de la Fnek.
La filière kinésithérapie est souvent invisibilisée dans cette réforme, elle est même absente de son texte cadre alors que plus de 2 000 étudiants y entrent chaque année via le système Pass-LAS. Le travail des étudiants en santé sur ce sujet est mené communément avec toutes les fédérations MMOPK et la Fédération des associations générales étudiantes (Fage). À titre d'exemple, nous avons été auditionnés pour le rapport de la Cour des comptes, mais déplorons l'oubli total de la mention de la filière kinésithérapie, pourtant tout aussi concernée par cette réforme et ses évolutions.
Les fédérations MMOPK demandent que la filière kinésithérapie soit pleinement intégrée aux arrêtés relatifs à la réforme d'entrée en études de santé. Au nom des 13 000 étudiants en kinésithérapie, je vous remercie de nous auditionner aujourd'hui pour porter leur voix avec toutes les filières MMOPK.
L'entrée dans les études de santé doit répondre aux défis du système de santé actuel. Il est donc crucial de promouvoir l'interprofessionnalité dès le début de la formation des futurs professionnels de santé, en partageant des temps d'échanges, des enseignements communs et en découvrant les différentes professions. Une voie d'entrée commune permet de construire un socle de connaissances commun et une culture partagée de la santé. Elle offre aux étudiants la possibilité d'explorer diverses professions sans hiérarchie préconçue et de comprendre l'importance de la coopération pour assurer des parcours de soins cohérents et efficace.
Actuellement, la multiplicité des voies d'entrée en kinésithérapie rend le système illisible et inéquitable. Parce qu'elle n'est pas intégrée au même arrêté que les autres études de santé, la filière de kinésithérapie dispose de multiples voies d'accès, en plus du système Pass-LAS, qui varient selon les territoires et les années d'études. Certaines voies d'accès en deuxième année, dans certaines universités, concurrencent le système déjà complexe du Pass-LAS, une licence hors santé comme en biologie ou en STAPS pouvant permettre d'intégrer cette filière.
À cette hétérogénéité des voies d'accès, il faut ajouter les expérimentations menées par quelques universités excluant la kinésithérapie des voies MMPOK pour l'intégrer à une première année commune avec les autres professions de rééducation. Le système est donc devenu illisible. Cette complexité nuit à l'orientation des lycéens et crée des disparités dans la formation initiale des étudiants. La coexistence de voies d'entrée parallèles n'est pas une solution. Une voie d'entrée unique clarifierait le parcours, réduirait le stress lié au choix d'orientation et permettrait aux étudiants de se concentrer sur leur volonté d'orientation et leur projet professionnel plutôt que sur des considérations stratégiques.
Dans un contexte de vieillissement de la population et d'augmentation des maladies chroniques, le besoin en kinésithérapie est croissant. La profession attire et pourtant les obstacles pour accéder à cette formation en France se multiplient : affectation à un établissement selon le lieu d'habitation avec un coût des études variant de 800 à 40 000 euros, éloignement des campus universitaires, restrictions à l'installation... Toutes ces entraves poussent une partie des étudiants à se former à l'étranger ou à renoncer à devenir professionnels de santé.
Par conséquent, il est essentiel de repenser cette première année comme une opportunité d'accéder aux études MMOPK dans un processus d'orientation global, tout en construisant un socle de connaissance solide et utile pour la suite du parcours. Afin de ne pas revenir au gâchis humain qu'était la Paces, une évolution de la réforme doit permettre à tous les étudiants de construire un parcours d'orientation continu, qu'ils poursuivent leurs études en santé ou dans une autre filière.
Les étudiants en kinésithérapie sont attachés à cette entrée commune dans les études de santé et demandent à être impliqués dans les processus décisionnels concernant ces évolutions. Il est urgent d'agir pour que les étudiants ne souffrent plus de cette entrée. Les étudiants concernés doivent être impliqués dans la réflexion et les comités de pilotage de la réforme. L'objectif est de créer une voie d'accès lisible, sereine et équitable pour les études de santé MMOPK, afin de mieux valoriser ces études et attirer les futurs professionnels de santé.
M. Philippe Mouiller, président, rapporteur. - Merci pour ces interventions. Je lance le débat avec une première question sur la mise en place d'une voie unique et homogène d'entrée dans les études de santé. Dans son rapport, la Cour des comptes suggère également de rétablir une voie unique d'accès fondée sur la création d'une première année de licence générale et scientifique, tout en envisageant de laisser les universités ayant opté pour un modèle « tout LAS » de le conserver. Que pensez-vous de cette différenciation ? Envisagez-vous la coexistence de ces deux systèmes ? Je voudrais votre avis sur cette première année générale et sur le double système licence santé et « tout LAS ». Je donne la parole à Corinne Imbert pour la deuxième question.
Mme Corinne Imbert, rapporteure. - J'aimerais connaître l'opinion de vos collègues étudiants dans les UFR santé où le système « tout LAS » s'est appliqué. Concernant la proposition de la Cour des comptes d'une entrée directe en première année de pharmacie, pourquoi ne la soutenez-vous pas ? Une telle réforme apporterait pourtant une grande visibilité à la filière pharmaceutique.
Ilan Rakotondrainy a mentionné la proportion d'étudiants actuels en pharmacie et dont le premier choix était la pharmacie en entrant dans la filière santé. Avez-vous des estimations similaires pour les autres disciplines ?
Enfin, bien que nous discutions des difficultés de l'accès aux études de santé, j'aimerais aborder la fin du parcours. Avez-vous des retours de la part des jeunes diplômés qui n'exercent pas la profession pour laquelle ils ont été formés ? Nous avons une idée pour la médecine, mais qu'en est-il des autres filières, notamment la pharmacie où le recrutement reste problématique ? Nous formons aujourd'hui un plus grand nombre d'étudiants aux professions de santé, mais une part non négligeable d'entre eux ne s'orientera pas vers ces métiers. Avez-vous un avis sur ce sujet ?
M. Ilan Rakotondrainy. - Merci pour vos questions pertinentes. Concernant le choix entre un système parallèle ou système « tout LAS », nous constatons des problématiques dans le système LAS comme dans le système Pass. Notre priorité est d'avoir une première année lisible et claire pour redonner de l'attractivité aux études de santé. La confusion actuelle crée une crainte des lycéens et de leurs parents, certains envisageant même de privilégier des études à l'étranger. Nous avons besoin aujourd'hui d'un système compréhensible et juste.
Nous avons des retours d'étudiants dans les systèmes « tout LAS ». Nous avons également pu observer des disparités entre les différentes licences LAS, au niveau des enseignements ou des plannings universitaires, créant une hétérogénéité de niveau entre les étudiants. Par ailleurs, les LAS conduisent à l'adoption de comportements stratégiques des étudiants, qui choisissent leurs études non pas en fonction de leurs affinités mais des perspectives d'accès à la deuxième année.
Quant à la proposition d'une première année d'accès direct en pharmacie, nous y sommes opposés pour plusieurs raisons. Cela créerait une rupture de l'égalité des chances avec une sélection biaisée favorisant les lycéens issus d'établissements privilégiés. Une telle évolution irait contre l'objectif de diversification des profils de la réforme actuelle. De plus, les lycéens ne sont pas toujours assez matures pour faire un choix aussi déterminant si tôt dans leur parcours. Aujourd'hui, une évolution de la réforme doit faciliter l'orientation des étudiants qui savent ce qu'ils veulent faire et l'accompagnement de ceux qui ne savent pas encore. Je vous rappelle que moins de 6 % des étudiants actuels en pharmacie estiment qu'ils disposaient de suffisamment d'informations sur les débouchés de cette filière au lycée. Avec une première année en accès direct, le risque est que les étudiants qui s'orientent en pharmacie quittent par la suite cette filière. Par ailleurs, ajouter une nouvelle voie d'entrée complexifierait davantage un système déjà peu lisible. Enfin, multiplier les portes d'entrée risquerait d'accroître les disparités entre les étudiants intégrés en études de pharmacie, alors qu'on constate déjà des différences de niveau entre ceux issus d'un Pass et ceux issus de LAS. Le taux de redoublement, en pharmacie, des étudiants issus d'une LAS 1 est de 17 % contre 9 % pour ceux issus d'un Pass.
Notre objectif est de garantir une orientation progressive et un accès équitable. Nous visons un système plus juste, plus lisible et plus pérenne, permettant aux étudiants de mûrir leur projet et d'intégrer la filière pharmacie en pleine connaissance de cause.
Mme Nassilaty Ali. - Concernant la question d'un accès direct en maïeutique, notre problème principal n'est pas le manque de candidatures, mais le manque de connaissance de cette filière. Seulement 20 % des étudiants en maïeutique connaissaient cette formation au lycée, et près de la moitié l'a découverte durant la première année Pass-LAS. Supprimer cette année commune réduirait considérablement les candidatures potentielles. Le problème qui en découle est la redistribution des places entre Pass et LAS. L'enjeu, c'est le décret de fongibilité entre les Pass et les LAS, qui ne permet pas toujours d'attribuer les places vacantes à des candidats méritants. Supprimer ces voies d'accès communes, permettant de faire connaitre le métier, augmenterait le problème d'attractivité de notre filière.
Quant aux jeunes diplômés qui n'exercent pas, la question est liée à la reconnaissance du métier. Une enquête récente montre que plus de 15 % des étudiants en maïeutique ne se voient pas exercer plus de 15 ans. De plus, 30 % souhaiteraient un exercice mixte, libéral et hospitalier, ce qui n'est actuellement pas possible pour les sages-femmes, contrairement aux autres professions médicales. Ces limitations contribuent au questionnement des étudiants et constituent des freins à l'exercice de notre profession.
M. Julien Besch-Carrière. - J'insiste sur le fait que l'idée d'une voie commune d'accès correspond à une volonté étudiante, notamment pour favoriser l'interprofessionnalité dès le début des études. C'est essentiel pour le système de santé. Nous nous opposons donc à l'accès direct aux études de pharmacie pour cette raison et parce que cette évolution irait dans le sens d'une complexification de l'accès aux études de santé.
Concernant le pilotage des universités, j'ai pu observer en tant qu'élu étudiant que les universités n'ont pas compris la réforme, ou ont du mal à la mettre en place. Une meilleure concertation avec les facultés est indispensable pour la mise en place de toute évolution de la réforme. Il faut éviter d'imposer des changements sans dialogue, et de faire subir aux étudiants cette réforme qui les concerne directement.
Le problème des jeunes diplômés qui n'exercent pas reflète des difficultés plus systémiques dans les études de santé : première année compliquée, cursus psychologiquement éprouvant, faible rémunération, conditions d'études parfois inadéquates. Le taux élevé de burn-out, de dépression et de suicide chez les internes est préoccupant. Cela reflète un problème plus global dans la formation.
Concernant l'évolution du système, il faut éviter la diversification et la hiérarchisation des voies d'entrée. Actuellement, le Pass est perçu comme la voie royale, tandis que la LAS est vue comme un choix stratégique. Une voie unique permettrait de rendre la première année plus formative que sélective.
Mme Camille Griseri. - Nous soutenons également une voie commune pour tous les étudiants en études de santé. Concernant la chirurgie dentaire, bien qu'elle soit parfois perçue comme un second choix après la médecine, de plus en plus d'étudiants la choisissent par vocation. La plupart des étudiants se plaisent dans la filière. Renforcer le module de découverte des métiers serait bénéfique et permettrait de mieux faire connaître les cinq filières de santé accessibles à l'issue de la première année.
Concernant la part des diplômés n'exerçant pas après l'obtention du diplôme, nous ne disposons pas de chiffres précis. Je rappelle que nous avons aussi un internat donnant accès à trois spécialités, dont une commune avec la médecine. En prenant en compte l'entièreté des diplômés, je pense que la part qui n'exerce pas reste très faible dans notre filière.
Mme Louise Lenglin. - Concernant la création d'une licence parallèle à la LAS, il faut éviter de confondre diversification des profils et multiplication des voies d'entrée. En effet, la coexistence de plusieurs voies entraîne une hiérarchisation, comme observée entre Pass et LAS, conduisant à des choix stratégiques plutôt que basés sur l'intérêt de l'étudiant.
Nos propositions s'appuient sur une enquête auprès de 13 000 étudiants en Pass- LAS. 43 % d'entre eux ont noté une différence de niveau en deuxième année selon leur parcours initial. C'est pour cette raison que nous proposons une voie unique avec un socle commun de connaissances à partir duquel construire une identité professionnelle propre. Là où le « tout LAS » s'est appliqué, l'enquête auprès des étudiants a fait remonter un déficit d'enseignements en santé, empêchant de construire une base solide. Nous préconisons donc une voie avec plus d'enseignements en santé, tout en maintenant des enseignements hors santé.
Pour la kinésithérapie, nous observons plus d'abandons en cours de formation que de diplômés n'exerçant pas. Les raisons sont multiples, notamment financières, avec des inégalités d'accès aux études sur le territoire. Le mal-être étudiant, qui commence dès la première année, est un problème majeur affectant la santé mentale des futurs professionnels de santé, qui ne peuvent pas arriver en fin d'études en étant proches du burn-out.
Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - Je vous remercie pour vos propos liminaires et vos premières réponses. Ma question porte sur la diversification géographique et sociale des étudiants recrutés dans les études de santé. Le rapport de la Cour des comptes a mis en évidence les faibles taux de réussite dans certaines LAS créées dans des universités de villes de taille moyenne sans UFR santé. Ces formations visaient à attirer des profils différents, mais cela a été un échec. Comment pensez-vous pouvoir mieux diversifier les profils avec une voie unique d'entrée en santé ? Quelles solutions proposez-vous pour une diversification à la fois géographique et sociale des étudiants recrutés dans les études de santé, tout en garantissant l'égalité des chances ? Comment mieux répartir l'offre de formation sur le territoire national ? Et dans ce cas, comment assurer que les formations proposées dans les universités de taille moyenne soient de qualité équivalente à celles dispensées dans les grandes universités ? En d'autres termes, quelles propositions pouvez-vous formuler concernant l'origine sociale et géographique des étudiants, notamment pour les territoires sans praticiens, les zones rurales ou les quartiers prioritaires de la politique de la ville ?
M. Khalifé Khalifé, rapporteur. - Je vous remercie d'être présents ce matin. Ma première question porte sur votre position concernant la sélection après la première année. Certains pays pratiquent une sélection à l'entrée après le baccalauréat. Est-ce un modèle intéressant pour vous ou restez-vous attachés au maintien d'une sélection après un an d'études ?
Concernant la loi de 2019 qui a remplacé le numerus clausus par le numerus apertus, certaines universités ont augmenté leurs effectifs d'environ 15 %, mais de manière très hétérogène. Qu'en pensez-vous, notamment pour les facultés qui n'ont presque pas augmenté leurs effectifs ?
Par ailleurs, que pensez-vous des préparations privées qui dénigrent le système d'enseignement public et favorisent la sélection ? Vous avez tous mentionné une voie unique, mais pouvez-vous préciser laquelle si elle n'est pas la Paces ?
Enfin, quelle est votre position sur les passerelles permettant à des ingénieurs ou d'autres profils académiques d'intégrer les études de santé ?
M. Julien Besch-Carrière. - Merci pour vos questions. Concernant la diversification des profils, il faut comprendre que cette réforme ne peut pas tout faire. La diversification académique doit se faire aussi avant l'entrée dans les études de santé, notamment par un travail sur l'orientation au lycée. Un gros travail sur l'orientation est à faire. Une année de LAS avec quelques heures d'enseignement dans d'autres matières ne suffira pas à changer radicalement le profil des étudiants en santé. La LAS a simplement conduit à prendre des profils similaires en leur accolant une étiquette comme la philosophie.
La diversification géographique et socio-économique, ces deux aspects étant liés, est un objectif phare. Les délocalisations et antennes universitaires sont une solution proposée, mais il est crucial de garantir des conditions de formation équivalentes. Territorialiser la formation pour répondre à ces problèmes peut créer un système à deux vitesses. Le rapport de la Cour des comptes souligne que, dans ces délocalisations, les étudiants ont souvent des conditions de formation et des taux de réussite inférieurs. Sans ressources égales, il est évident que des problèmes de réussite se posent. Nous soulignons donc la nécessité de garantir des conditions de formation similaires à celles des grandes facultés métropolitaines sur l'ensemble du territoire. Nous préconisons d'avoir une coordination nationale pour la mise en place de ces délocalisations, en s'assurant qu'elles s'inscrivent dans des contextes territoriaux adaptés, avec des lycées pouvant fournir des étudiants, et surtout qu'elles bénéficient de fonds et de dotations suffisantes.
Mme Camille Griseri. - Concernant les organismes complémentaires de formation pour la première année, nous ne soutenons pas les préparations privées. Nous pensons qu'elles vont à l'encontre de l'égalité des chances dans l'éducation. En revanche, le réseau de tutorat en France est très développé et apprécié par les étudiants. Ce tutorat fait également un travail d'orientation et de présentation des métiers. Il est donc essentiel de maintenir le soutien des universités à ces tutorats.
S'agissant des délocalisations et antennes de première année, nous y sommes favorables à condition qu'il y ait un accompagnement adéquat. Nous refusons un modèle entièrement distanciel. Il est crucial que les étudiants aient accès aux services universitaires (bibliothèques universitaires, centres régionaux des oeuvres universitaires et scolaires), garantissant des conditions favorables d'études à moindre coût, et puissent développer une vie sociale. L'enjeu pédagogique du présentiel est également important pour la compréhension des cours. Nous souhaitons un accompagnement complet des étudiants dans des zones plus éloignées des universités.
Concernant la voie commune envisagée pour la première année, nous souhaitons qu'elle soit commune à toutes les filières de santé, avec une majorité d'enseignements en santé. Cela permettra aux étudiants d'acquérir un bagage de connaissances important pour la suite de leurs études. Nous voulons maintenir des enseignements disciplinaires hors santé pour diversifier les profils et ouvrir le champ de la recherche. Cette pluralité de connaissances pourra être mobilisée tout au long des études.
Nous proposons également d'intégrer un module de découverte des métiers pour aider les étudiants dans leur orientation. Cette première année doit aussi préparer la suite pour les étudiants qui ne pourront pas accéder aux études de santé, afin d'éviter le gâchis humain de la Paces. L'objectif est que les connaissances acquises puissent être réinvesties dans la poursuite d'études, notamment dans des cursus scientifiques.
Mme Louise Lenglin. - Je souhaite appuyer les propos de Camille Griseri sur les structures de préparation privée. Notre enquête révèle que 82 % des étudiants pensent que ces préparations sont obligatoires pour réussir son année en Pass ou LAS. Cela souligne l'importance du chantier d'orientation auprès des lycéens. Les tutorats universitaires ont un taux de satisfaction de 95 % parmi les étudiants en Pass-LAS. Ils jouent un rôle crucial dans l'information des lycéens et la déconstruction des clichés relatifs à l'orientation dans les études de santé, perçues depuis des dizaines d'années comme trop élitistes. Nous proposons une évolution des études de santé avec un parcours d'orientation progressif. Ainsi, la première année comprendrait plus d'enseignements en santé que l'actuelle LAS, tout en conservant un module hors santé pour rendre ces études plus accessibles.
Les étudiants MMOPK ont travaillé ensemble pour pouvoir construire un parcours d'orientation progressif avec une première année comprenant une majorité d'enseignements en santé, tout en maintenant des enseignements hors santé sans possibilité de redoublement. Ces étudiants, s'ils n'ont pas accès aux études MMOPK en fin de première année, intégreraient une deuxième année comprenant un peu plus d'enseignements hors santé pour qu'ils puissent s'orienter vers une autre filière dans le cas où ils n'entreraient pas en études MMPOK à l'issue de cette deuxième année. À la suite de ces deux chances, les étudiants qui n'intègrent pas les filières MMOPK pourraient valoriser leur parcours et s'orienter vers des formations connexes, tout en ayant un bagage en santé.
Mme Nassilaty Ali. - Je soutiens les propos de mes camarades et j'ajoute un élément concernant les personnes issues de passerelles. Elles apportent une diversification des profils bénéfique pour la formation. Actuellement, il existe quelques passerelles dans nos filières, ce qui est encouragé. La présence d'étudiants ayant déjà un parcours antérieur enrichit notre réflexion et notre vision de la profession. C'est un plus pour la formation et pour les étudiants qui se forment auprès de ces personnes.
M. Ilan Rakotondrainy. - Concernant la diversification des profils et la sélection en première année, nous avons identifié un frein qui est Parcoursup. Nous préconisons une sélection basée sur des examens tout au long de l'année plutôt qu'une sélection sur un concours unique. Avec les différentes fédérations présentes aujourd'hui nous avons élaboré une contribution intitulée « licence santé » détaillant nos recommandations, que nous pouvons vous transmettre.
Le tutorat pour l'accompagnement des étudiants en première année est principalement soutenu par les universités, avec une collaboration entre les étudiants étant passés en deuxième année et le corps enseignant. Ces tutorats sont reconnus par le ministère et évalués selon une grille d'agrément spécifique. Nous sommes préoccupés par le discours des préparations privées, qui peut générer un sentiment de peur chez les étudiants et exclure ceux qui n'ont pas les moyens financiers. La hiérarchisation des filières est aussi un discours qui nous inquiète et qui est tenu par ces préparations privées qui emploient le terme de « première année de médecine », excluant les autres filières. Nos tutorats, en revanche, offrent une diversité de discours adaptés aux besoins et attentes des étudiants.
Concernant les passerelles, mon expérience personnelle à Bordeaux montre que les étudiants venant d'autres parcours, comme la chimie ou la biologie, apportent une réelle diversité de compétences et d'approches, enrichissant ainsi la formation en pharmacie.
Mme Nadia Sollogoub. - Je vous remercie pour vos interventions, votre souhait d'un exercice partagé et coordonné devrait inspirer les politiques publiques pour le modèle d'exercice de demain.
Vous avez fait part de votre engagement pour promouvoir votre métier. Cependant, il faut distinguer l'attractivité de la profession de celle des études. L'existence de souffrances pendant le cursus, avec des risques de burn-out, peut être dissuasif pour les jeunes. Je m'interroge sur l'identification des points de blocage et de souffrance dans vos différents parcours. Un travail plus approfondi sur ces éléments est-il nécessaire ? Il est crucial de considérer non seulement le nombre d'étudiants qui commencent, mais aussi ceux qui exerceront effectivement sur le terrain, en tenant compte des abandons, des départs à l'étranger, et des diplômés qui n'exerceront jamais. Concernant les contraintes à l'installation, les mesures coercitives ne sont pas nécessairement la solution universelle, car elles pourraient pousser les jeunes à exercer à l'étranger après leurs études en France. Quels sont les autres points de blocage à explorer ?
Mme Céline Brulin. - Concernant la diversification des profils, quel est votre avis sur la récente réforme du lycée ? Les enseignements de spécialité à la carte et la disponibilité inégale de ces enseignements selon les lycées peuvent-ils impacter les études supérieures et la diversification ? La réintroduction des mathématiques est-elle pertinente pour les études de santé ?
Par ailleurs, concernant le décret empêchant la redistribution des places de LAS à Pass, pouvez-vous expliquer les raisons de ce blocage ? S'agit-il de contraintes financières ou pédagogiques ? Comment pourrait-on lever cet obstacle ?
Mme Florence Lassarade. - Je salue votre engagement. Les étudiants en médecine sont-ils suffisamment préparés aux contraintes horaires de leur future profession (travail de nuit, week-ends, heures non ouvrables) ? Il semble y avoir une grande déception face à ce décalage par rapport au reste de la population, malgré des études effectuées sur le terrain.
Concernant l'exercice mixte, peu développé dans vos professions, pensez-vous qu'il pourrait être la clé d'un meilleur bien-être au travail ? L'objectif serait de se retrouver dans un métier qui comble plutôt qu'il ne maltraite.
Enfin, pour les représentants syndicaux, discutez-vous avec les doyens d'université de la problématique du nombre de formateurs, qui semble limiter les capacités d'accueil ?
Mme Camille Griseri. - En ce qui concerne l'attractivité des études de santé, il est indéniable que celles-ci sont perçues comme difficiles, exigeantes et longues. Néanmoins, de nombreux lycéens envisagent cette voie. Il est essentiel que les étudiants ne se sentent pas découragés par des inquiétudes sur le mal-être dans les études de santé. Nous avons besoin de professionnels de santé, et il est nécessaire d'informer davantage les aspirants sur la nature de leurs études. Je pense qu'ils sont conscients de ces difficultés, et qu'ils essaient de s'entraider. L'accompagnement et le tutorat jouent un rôle essentiel en ce sens. Il faut persévérer dans cette voie. Il y a une part d'abandon dans certaines filières qui peut être due à ces raisons, ce qui est regrettable.
Concernant les chirurgiens-dentistes, les mesures coercitives d'installation suscitent des inquiétudes. Nous plaidons pour la liberté d'installation des nouveaux chirurgiens-dentistes diplômés, tout en reconnaissant les disparités dans l'accès aux soins. Nous encourageons les étudiants et néo-diplômés à s'établir dans des déserts médicaux, mais par le biais d'incitations plutôt que de contraintes. Des dispositifs tels que le contrat d'engagement de service public (CESP) peuvent aider, en plus du soutien offert par certains territoires.
Pour la réforme du lycée, la possibilité de choisir diverses spécialités favorise une diversification des profils. Cela permet aux étudiants, notamment ceux ayant un profil scientifique, d'explorer d'autres matières comme la géopolitique ou la littérature. Cependant, il subsiste des inégalités territoriales, et tous les lycées n'offrent pas l'ensemble des spécialités disponibles, ce qui peut entraver certains choix. Un manque d'information initial a également entravé les décisions des étudiants. C'est ce qu'il s'est passé avec les mathématiques. Il est important que les formations supérieures communiquent clairement leurs attentes pour éviter des blocages ultérieurs dans le parcours des étudiants, notamment un ou deux ans plus tard, lorsque certaines possibilités se révèlent inaccessibles du fait d'un choix fait au lycée par manque d'informations.
Enfin, en ce qui concerne l'exercice mixte, la très grande majorité des chirurgiens-dentistes exercent en libéral, tandis que ceux à l'hôpital jouent généralement un rôle d'enseignants. Bien que l'attractivité des carrières hospitalo-universitaires puisse diminuer, il est nécessaire d'inciter les étudiants à explorer cette voie, en mettant en avant les opportunités offertes par la recherche. Ce qui freine l'exercice en hôpital, ce sont les conditions matérielles, notamment le manque de personnel et de matériel. L'exercice mixte apparaît donc essentiel pour notre profession.
M. Julien Besch-Carrière. - Je reviens sur les questions d'attractivité du métier et de la formation en études médicales. Je ne pense pas que le métier de médecin manque d'attractivité. Aujourd'hui, nous avons discuté de hiérarchisation des filières et de l'image de voie royale que conserve la médecine dans l'imaginaire collectif. Je rejoins l'idée que la formation est difficile. Les étudiants sont conscients de cette difficulté, des heures passées en garde, en stage, etc. Pour autant, ce qui est souvent le plus difficile à vivre pour eux est la perte de sens. Lorsqu'ils s'engagent à consacrer du temps à autrui, il y a parfois une perte de sens lorsque la formation ne correspond pas aux attentes initiales. Il est essentiel de mener une réflexion approfondie sur les freins et les limites qui mettent en danger la formation et la santé mentale des étudiants. Je soutiens l'idée de revoir la formation pour améliorer le bien-être des étudiants. Ce n'est pas une fatalité que d'avoir des études difficiles et qui créent de la souffrance, c'est un fait acquis, une conséquence de notre modèle de formation.
Concernant la diversification des profils et la réforme du baccalauréat, nous devons nous interroger sur l'impact réel de cette réforme. Les effets sur les fondamentaux, tels que les sciences et les mathématiques, ne semblent pas poser de problème car la première année de médecine établit un socle commun. La question qui se pose est celle de l'orientation : la réforme a-t-elle empiré la situation ? Il est nécessaire de permettre aux étudiants de s'orienter de manière éclairée, sans auto-censure. Il existe une discrimination envers les lycéens ayant des profils socio-économiques différents, qui ne s'orientent pas vers des études de santé en raison de cette auto-censure. Il y a donc un travail à mener sur Parcoursup. Il est nécessaire de rétablir un continuum entre le bac - 3 et le bac + 3, permettant une transition fluide entre le lycée et l'enseignement supérieur.
Enfin, en ce qui concerne l'attractivité de la formation médicale et du métier de médecin, il n'y a pas actuellement de problème de places vacantes en médecine, comme l'a confirmé Monsieur Veber lors de l'audition de la Conférence des doyens de médecine. Les difficultés prévues pour l'année prochaine sont d'ordre logistique et réglementaire, pas liées au manque de candidats. À l'origine, la fongibilité entre les filières Pass et LAS a été limitée pour préserver l'égalité initiale entre ces systèmes, mais aujourd'hui nous constatons que cela ne fonctionne pas.
Concernant l'augmentation du numerus apertus, nous reconnaissons le besoin d'accroître le nombre de professionnels de santé. Cependant, il faut le faire judicieusement, sans compromettre la qualité de la formation. L'augmentation des effectifs sans moyens supplémentaires peut entraîner une diminution de la qualité et de la sécurité des soins français. Il faut doter les facultés des moyens nécessaires pour assumer cette augmentation. Les doyens le disent : ils doivent pousser les murs, renforcer la formation en distanciel. Aujourd'hui, les enseignements pratiques ou en petit groupe diminuent. Cela a des conséquences sur la qualité de la formation. Quand il y a dix ou vingt externes par service, cela nuit à la pratique. Le principe historique est de ne jamais pratiquer pour la première fois sur un patient, mais ce principe est mis à mal car les conditions de formation sont tendues faute d'un encadrement suffisant.
Nous nous opposons à la coercition pour régler les problèmes de démographie médicale, car cela nuirait à l'attractivité du métier. Nous préférons des mesures d'encouragement, comme le contrat d'engagement de service public (CESP) ou d'autres initiatives permettant de concilier liberté d'installation et réponse aux besoins d'installation.
M. Ilan Rakotondrainy. - Nous avons besoin d'une évolution de la réforme de la première année mais également de réformer nos études post-première année, notamment en pharmacie. Les conditions de travail influencent négativement l'attractivité des études de santé en France. Notre promotion des filières de santé, comme le projet « Bouge ta pharma », vise à mettre en avant les aspects positifs et les débouchés pour les lycéens et étudiants. Il y a un travail collectif à entreprendre en matière de promotion de nos filières et de nos métiers.
Concernant la répartition des professionnels sur le territoire, les pharmaciens sont déjà concernés par des mesures de zonage. Cependant, nous préconisons des mesures incitatives plutôt que coercitives. Cela passe notamment par l'amélioration des conditions de stage, car un étudiant qui réalise un bon stage a plus de chances de s'installer dans la région.
La réforme du lycée a conduit à des choix stratégiques, parfois au détriment des envies réelles des élèves. Lors des salons étudiants nous avons constaté que les lycéens et leurs parents cherchent à savoir comment optimiser par leurs choix d'options leurs chances d'entrer et de réussir en première année de santé. Ce sont donc des choix stratégiques.
Enfin, concernant le nombre de formateurs, nos universités manquent de moyens. Pour améliorer la qualité de la formation et augmenter le nombre de formateurs, il est crucial d'investir davantage dans les universités, qui portent le futur de la profession.
Mme Louise Lenglin. - Au vu des résultats de la réforme du baccalauréat, il ne semble pas pertinent de promouvoir un système de sélection sur dossier. Nous soutenons la proposition d'une première année de sélection commune, permettant une ouverture aux voies MMOPK.
Nous sommes conscients des enjeux d'accès aux soins sur nos territoires. Cependant, les mesures d'obligation d'installation sont dangereuses pour l'attractivité de nos professions et précarisent les étudiants, notamment en kinésithérapie, qui doivent payer des frais de formation élevés. Ces mesures se sont aussi révélées inefficaces par le passé sur certaines professions, avec des changements permanents de professionnels de santé qui ne permettent pas la continuité de l'accès aux soins. Le risque est de ne pas avoir seulement une difficulté de répartition territoriale des professionnels de santé mais simplement un manque généralisé de professionnels de santé.
Pour la filière de kinésithérapie, nous avons deux spécificités. Nous souhaitons l'exercice mixte, qui permettrait de diversifier les carrières et d'attirer des professionnels dans les secteurs en manque, comme les hôpitaux. Enfin, le non-rattachement de la filière kinésithérapie à l'arrêté commun des études de santé complique les passerelles avec les autres filières MMOP. Un étudiant en filière MMOP ne peut pas aller en filière de kinésithérapie et l'inverse est vrai aussi. Une évolution réglementaire nous apparaît donc nécessaire.
Mme Nassilaty Ali. - Je rejoins mes collègues sur plusieurs points. Une action est attendue sur le frein de la fongibilité. Concernant l'exercice mixte, de nombreux étudiants souhaitent une activité diversifiée. Actuellement, certains abandonnent l'hôpital ou le libéral car ils sont contraints de choisir entre les deux. Cette situation est absurde lorsque l'on sait que l'exercice mixte pourrait résoudre le manque de professionnels dans certaines structures. Pour la formation, nous avons besoin de formateurs en nombre suffisant et capables d'assurer une formation de qualité. De bonnes conditions d'encadrement, de travaux pratiques et de stages sont essentielles dès la deuxième année pour garantir une bonne professionnalisation et préserver la santé mentale des futurs professionnels.
Mme Annie Le Houerou. - Je vous remercie pour vos réponses précises. Cependant, je m'interroge sur l'atteinte des objectifs de diversité des profils et de réduction de la pression en première année. Vos propositions semblent revenir au système antérieur des études de santé, sans résoudre ces problèmes. J'ai mal compris comment le retour à la voie unique pourrait se faire effet négatif de maintien de pression sur les étudiants, ou de resserrage des profils recrutés. Je note la préoccupation concernant la compromission de la qualité des soins par l'accueil d'un plus grand nombre dans les études santé, mais il faut aussi considérer que l'accès aux soins est actuellement compromis pour de nombreuses personnes. Je ne suis pas totalement rassurée par vos réponses, bien que je comprenne que vous n'ayez pas toutes les solutions. Je conviens qu'il est essentiel d'accorder plus de moyens à l'université pour améliorer la situation.
Mme Émilienne Poumirol. - Nous avons compris que vous étiez unanimes sur la nécessité d'une réforme avec un accès unique. J'ai deux questions. Premièrement, concernant la préparation à l'orientation dans les lycées, certaines régions mettent en place des préparations générales aux études de santé. Qu'en pensez-vous ? Deuxièmement, pour éviter les écoles privées de préparation coûteuses, que penseriez-vous d'une préparation purement publique, comme ce qui est mis en place à Saint-Ouen ? Que penseriez-vous d'une préparation purement universitaire pour la kinésithérapie comme c'est le cas aujourd'hui pour les sages-femmes, et ce afin de limiter le coût des études ?
Mme Patricia Demas. - Je salue la fraîcheur de vos propos qui contrastent avec l'anxiété parfois générée par vos cursus. C'est un message positif bienvenu. Concernant le recours aux préparations privées pour près 80 % des étudiants de vos concours, avez-vous des données précises sur le compagnonnage et le tutorat ? Combien d'étudiants y ont recours et quel est leur taux de réussite au concours ? Pour le numerus apertus, vous avez évoqué les modalités administratives et les moyens logistiques. Les stages ne posent-ils pas problème au vu du nombre d'étudiants attendus ? Avez-vous envisagé d'élargir les conventions avec les CHU ou des établissements privés pour accueillir plus d'étudiants ? Qu'en est-il des médecins non agréés par les facultés qui pourraient recevoir des étudiants dans les zones rurales par exemple ?
Mme Louise Lenglin. - L'intégration pleine de nos écoles de kinésithérapie à l'université est la solution pérenne pour le financement et l'accès à la recherche. Cela permettra aussi aux étudiants d'être mieux intégrés avec les autres filières, corrigeant l'injustice actuelle où ils sont exclus après la première année commune.
Concernant le tutorat, je n'ai pas de chiffres précis, mais ces structures sont très accessibles et visibles pour presque tous les étudiants. Beaucoup y ont recours, parfois en parallèle d'une préparation privée, et constatent qu'il s'agit du meilleur accompagnement proposé. Notre volonté est de continuer à travailler ensemble, de favoriser l'interprofessionnalité et de maintenir cette énergie dans les fédérations étudiantes.
Mme Nassilaty Ali. - Nous ne proposons pas un retour en arrière, mais une évolution de la réforme visant moins de gâchis humain et plus de formation. Pour attirer les jeunes diplômés dans les zones rurales, nous avons évoqué les contrats incitatifs. Le manque d'attractivité de ces zones est dû à un manque de propositions concrètes. Il faut proposer des solutions attractives pour les jeunes diplômés. Concernant les préparations privées et les tutorats, nous encourageons davantage les tutorats, offrant un suivi complet par les pairs, tant sur le plan académique que pour la santé mentale. Pour les stages, nous avons déjà des conventions avec le public et le privé. Le défi est de maintenir la qualité de la formation face à l'augmentation du nombre d'étudiants, pour éviter de compromettre l'aspect professionnalisant des stages.
Mme Camille Griseri. - Nous sommes conscients des besoins en soins dans les zones rurales et soutenons un volontariat éclairé de la part des nouveaux chirurgiens-dentistes pour l'installation. Nous privilégions les tutorats aux préparations privées pour accompagner les étudiants en première année. À Nantes par exemple, plus de 95 % des étudiants y souscrivent et bénéficient d'un accompagnement optimal en première année. C'est une requête qui s'étend à tout le territoire. Pour les stages en filière dentaire, ils se déroulent à l'hôpital et en cabinet libéral en sixième année. Nous demandons un statut de maître de stage mieux encadré et renforcé, applicable à plus de chirurgiens-dentistes dans toutes les zones de France, rurales ou périphériques, car ce stage actif, en parallèle de celui à l'hôpital, est essentiel à la formation des étudiants.
M. Ilan Rakotondrainy. - Nous ne souhaitons pas un retour à la Paces, mais une évolution de la réforme vers un système de licence santé. Cette licence vise une orientation et une réorientation facilitées, une sélection hors Parcoursup non discriminante, et des années formatives et progressives pour les étudiants concernés. Pour l'orientation au lycée, nous insistons sur le lien avec les rectorats. Dans certains territoires, des liens se créent entre universités et rectorats, permettant aux étudiants de représenter leurs filières dans les écoles, collèges et lycées. C'est un moyen efficace de motiver les jeunes à s'engager dans ces études.
En pharmacie, nous effectuons déjà des stages dans des structures privées, au sein même des officines. En revanche, il serait intéressant d'envisager des stages dans d'autres types de structures favorisant l'interprofessionnalité. J'insiste sur l'importance de bonnes conditions de stage pour fidéliser les étudiants. Des mesures incitatives sont nécessaires pour permettre aux étudiants de réaliser ces stages dans de bonnes conditions. Pour conclure mon propos, nous nous positionnons en faveur d'une voie unique et commune qui facilite l'orientation et conforte les étudiants dans leur choix de carrière.
M. Julien Besch-Carrière. - Je soutiens les propositions précédentes et souhaite revenir sur deux points. Premièrement, les stages en périphérie en médecine sont très appréciés et déjà mis en place chez les étudiants. Ils permettent aux étudiants de découvrir les zones rurales et d'envisager un exercice hors des grandes métropoles et des CHU.
Deuxièmement, notre modèle de licence santé répond à la problématique des étudiants n'ayant pas réussi à accéder aux études de santé. Ce n'est ni un « tout Pass » ni un « tout LAS », mais une licence santé avec des enseignements majoritairement orientés santé en première année. Ce modèle permettrait aux étudiants ayant réussi à rejoindre une filière MMOPK de poursuivre correctement leurs études de santé, et à ceux n'ayant pas réussi de construire progressivement un projet professionnel alternatif. Nous vous invitons à relire notre contribution et à venir échanger avec nous sur ce sujet.
M. Philippe Mouiller, président, rapporteur. - Merci pour votre participation à nos travaux. Nous allons maintenant passer à la deuxième partie de notre commission avec l'audition de Monsieur Bay.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Audition de M. Jacques-Olivier Bay, candidat aux fonctions de président du conseil d'administration de l'Agence de la biomédecine
M. Philippe Mouiller, président. - Mes chers collègues, nous entendons ce matin, en application de l'article L. 1451-1 du code de la santé publique, M. Jacques-Olivier Bay, candidat au renouvellement de son mandat de président du conseil d'administration de l'Agence de la biomédecine. J'indique que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo en vue de sa retransmission en direct sur le site du Sénat. Elle sera consultable en vidéo à la demande.
Je vous rappelle que l'Agence de la biomédecine, établissement public administratif sous tutelle du ministre de la Santé, a été créée par la loi de bioéthique du 6 août 2004. Notre assemblée est représentée au conseil d'orientation de l'agence par nos collègues Florence Lassarade, Bernard Buis et Pierre Médevielle.
L'agence est compétente dans les domaines de la greffe, de la reproduction, de l'embryologie et de la génétique humaines. Ses missions ont été complétées par la loi de bioéthique du 2 août 2021 en matière de procréation avec l'ouverture de l'assistance médicale à la procréation aux couples de femmes et aux femmes seules, le développement de l'autoconservation des gamètes et la mise en oeuvre du registre des donneurs.
C'est une agence que notre commission connaît bien. Je vous rappelle que nous avons reçu l'année dernière une enquête de la Cour des comptes sur les missions de l'Agence de la biomédecine et que nous avions entendu sa directrice générale, Marine Jeantet, pour donner suite à ces travaux. Pour mémoire, ceux-ci avaient montré : d'une part, des difficultés à mettre en oeuvre les avancées de la loi du 2 août 2021 (ouverture de l'aide médicale à la procréation - AMP - aux couples de femmes et aux femmes non mariées, autorisation de l'autoconservation des gamètes en dehors de tout motif médical et droit d'accès aux origines pour les personnes conçues à partir d'un don de gamète) ; d'autre part, des difficultés à maintenir une dynamique satisfaisante en matière de don afin de permettre le développement des activités de greffe et d'AMP.
S'agissant de la présidence du conseil d'administration de l'agence, je rappelle que cette audition ne donne pas lieu à un vote.
Je vous laisse la parole, Monsieur Bay, pour nous présenter votre action passée à la présidence de l'Agence de la biomédecine ainsi que vos projets pour votre prochain mandat, notamment à la lumière des constats de la Cour des comptes de l'année dernière. Les commissaires présents pourront ensuite vous interroger.
M. Jacques-Olivier Bay, candidat aux fonctions de président du conseil d'administration de l'Agence de la biomédecine. - Merci Monsieur le Président. Je suis honoré d'être proposé pour un second mandat à la présidence du conseil d'administration de l'Agence de la biomédecine. J'ai 59 ans, et mon premier mandat a été débuté lorsque j'avais 56 ans, par un décret du Président de la République publié le 1er août 2021. Je suis professeur des universités-praticien hospitalier (PU-PH) en oncologie au CHU de Clermont-Ferrand, spécialisé en oncohématologie et thérapie cellulaire.
Ma vocation de médecin s'est manifestée dès l'enfance, et j'ai choisi spécifiquement la cancérologie pour son aspect multidisciplinaire, les projets scientifiques inhérents à cette spécialité ainsi que les profondes relations humaines tissées avec les patients. Mes compétences se sont surtout développées en oncologie et en thérapie cellulaire, avec une formation scientifique ponctuée par une thèse d'université aux Etats-Unis et une habilitation à diriger des recherches. Mes séjours à l'étranger m'ont mené d'abord à Montréal puis à Los Angeles pour une période de 3 ans. Mon expérience aux États-Unis m'a confortée dans mon attachement au système de soins français, plus conforme à mes convictions et aux valeurs que je défends, la non-équité dans l'accès aux soins m'ayant souvent heurté outre-Atlantique. De retour en France, j'ai obtenu un poste de chef de clinique des université-assistant des hôpitaux (CCU-AH) au centre de lutte contre le cancer (CLCC) Jean Perrin, à Clermont-Ferrand. J'ai été nommé PU-PH en 2006 avec l'objectif de développer le service de thérapie cellulaire et d'hématologie clinique au CHU de Clermont-Ferrand, qui dispose aujourd'hui de 45 lits et compte 17 praticiens. En 2020, le service d'oncologie médicale du CHU de Clermont-Ferrand a été créé. Mes activités de recherche sont intégrées à une équipe qui devrait rejoindre bientôt une unité Inserm.
L'activité de thérapie cellulaire en cancérologie m'a toujours passionné. Outre mes activités cliniques et scientifiques, j'ai notamment présidé la Société francophone de greffe de moelle et de thérapie cellulaire de 2016 à 2020, je suis membre de la Société française d'hématologie, membre du conseil scientifique de la Société française du cancer, et j'ai intégré le groupe oncohématologie à l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM). J'ai aussi une activité d'expert, je suis rédacteur en chef du bulletin du cancer, membre du bureau de la Fédération hospitalière de France (FHF) dans sa section cancer, et assesseur auprès du Doyen de la faculté de médecine de Clermont-Ferrand.
À titre personnel, j'ai toujours fait le choix d'une indépendance de mes activités vis-à-vis de l'industrie pharmaceutique, ce qui me permet de n'avoir aucun conflit d'intérêts. Je ne participe à aucune réunion liée à l'industrie pharmaceutique. Mes travaux de recherche clinique et scientifique ont toujours été financés de façon académique par des associations comme la Ligue contre le cancer ou par l'État, au travers de programmes hospitaliers de recherche clinique ou d'appels d'offres d'agences sanitaires.
L'Agence de la biomédecine est un établissement public administratif créé par la loi de bioéthique du 6 août 2004. Elle succède à l'Établissement Publique des Greffes créé en 1994, au registre France Greffe de Moelle et à des missions et commission ministérielles qui se sont succédées. Son autorité de tutelle est le ministère du Travail, de la Santé, des Solidarités et des Familles, avec Catherine Vautrin comme ministre et le Docteur Yannick Neuder comme ministre délégué chargé de la Santé et de l'Accès aux soins. L'agence a des missions opérationnelles et de promotion du don. Elle applique et met en oeuvre la loi dans son périmètre, éclaire les pouvoirs publics par son expertise, et est compétente pour les greffes d'organes, de tissus et de cellules. Depuis 2004, elle s'est vue confier des missions complémentaires notamment en matière de procréation, d'embryologie et de génétique humaine. Vous le voyez, ses missions sont vastes, elles pourraient même paraître un peu disparates.
En synthèse, l'Agence de la biomédecine couvre les domaines médicaux et de recherche utilisant des éléments du corps humain donnés à un tiers, à l'exception du sang. À visée thérapeutique, il s'agit de greffes d'organes, de tissus et de cellules souches hématopoïétiques (CSH). À titre de traitement, certains composants du corps humain sont considérés comme des médicaments et dépendent plutôt de la Haute Autorité de santé et l'ANSM. Outre ces aspects thérapeutiques, l'Agence de biomédecine encadre également les prélèvements de tissus et de cellules, l'assistance médicale à la procréation, les diagnostics prénataux et pré-implantatoires, elle autorise également les centres de diagnostic pré-implantatoire et les centres pluridisciplinaires de diagnostic prénatal, ainsi que la recherche sur les cellules embryonnaires. Elle agrée des médecins, gère des registres, et assure le suivi des donneurs. Elle assure la vigilance et la biovigilance, et donne des avis sur les bonnes pratiques et sur les autorisations au niveau des agences régionales de santé.
Ses capacités opérationnelles sont accessibles 24h/24 sur tout le territoire français et à l'international, notamment pour la greffe d'organes en gérant la liste internationale des patients en attente de greffe, permettant la répartition des greffons, mais également pour les greffes de cellules souches hématopoïétiques allogéniques. Les missions de l'agence sont larges, et elles sont assurées par des agents pour lesquels j'ai un grand respect.
Concernant les instances qui régissent le fonctionnement de l'Agence de la biomédecine, le conseil d'administration, que j'ai eu l'honneur de présider, délibère sur les orientations générales, le programme d'investissement, le rapport d'activité annuel, les budgets et les comptes, les subventions et les dons et legs. La direction générale joue un rôle exécutif, elle était assurée par Madame Emmanuelle Cortot-Boucher au début de ma mandature, et l'est actuellement par le Docteur Marine Jeantet.
L'agence s'appuie sur un conseil d'orientation présidé par le Professeur Stanislas Lyonnet, traitant souvent de questions éthiques, réunissant des parlementaires, des membres de juridiction suprêmes, des associations, des représentants des sciences sociales et humaines ainsi que des professionnels de santé. L'agence s'appuie également sur un conseil médical et scientifique présidé par le Professeur Philippe Menasché, avec pour vice-présidente le Professeur Alexandra Benachi.
L'agence est structurée en deux directions générales adjointes : l'une chargée des ressources, l'autre de la politique médicale et scientifique. Cette dernière présente trois directions : prélèvement et greffe d'organes et de tissus, procréation embryologie et génétique humaine, prélèvement et greffe de cellules souches hématopoïétiques. Le programme d'action de ces sous-directions est sous-tendu par les plans ministériels spécifiques validés le 15 mars 2022, eux-mêmes soutenus par un contrat d'objectifs et de performances (COP) signé avec l'État. Enfin, l'Agence la biomédecine dispose de quatre services régionaux pour assurer des missions d'appui en proximité.
Les maîtres-mots de l'agence sont équité, transparence, éthique, solidarité, neutralité, expertise et engagement collectif. Sa devise est « Du don à la vie », et son étendard est un ruban vert symbolisant l'espoir et l'engagement pour le don d'organes et de tissus. Ce ruban a été créé et adopté le 22 juin 2019 par le monde associatif pour signifier engagement, gratitude envers tous les donneurs, et espoir pour les patients en attente de greffe.
Durant mon mandat précédent, l'agence a contribué à l'élaboration des plans ministériels 2017-2022 et 2022-2026. L'année 2021 était charnière, puisqu'il s'agissait de la fin du précédent plan stratégique 2017-2022. L'agence a apporté son expertise à l'élaboration de la loi relative à la bioéthique promulguée le 2 août 2021. Elle a reçu de nouvelles compétences, notamment la tenue d'un registre de donneurs de gamètes et d'embryons, essentiel pour l'exercice du droit d'accès aux origines. Toute personne issue du don de gamètes peut aujourd'hui avoir accès à l'identité de la personne qui a permis sa conception. Les anciens donneurs pourront être contactés par une commission. L'Agence suit également l'élargissement de l'assistance médicale à la procréation aux couples de femmes et aux femmes non mariées, ainsi que l'autoconservation des gamètes à des fins non médicales. Par ailleurs, l'Agence de la biomédecine exerce désormais un rôle de vigilance sur les projets de recherche concernant les cellules souches pluripotentes induites. Elle peut s'opposer à un protocole qui poserait des difficultés éthiques. De nouvelles compétences lui ont été attribuées concernant la greffe de cellules souches hématopoïétiques, notamment l'harmonisation des dispositions relatives à la prise de décision des majeurs protégés, en cohérence avec le code civil. L'agence doit également assurer un suivi des donneurs.
C'est également sous mon mandat que les plans ministériels ont été mis en place à partir de mi-2022. L'agence a également fait l'objet d'une enquête de la Cour des comptes, dont les recommandations ont été présentées à la commission des affaires sociales du Sénat par Madame Véronique Hamayon le 31 janvier 2024. Ces recommandations concernaient notamment la création d'un registre national de gestion des gamètes, un meilleur pilotage des banques de tissus, la détermination de seuils d'activité pour certaines greffes d'organes, et l'accroissement du nombre de donneurs de cellules souches hématopoïétiques. Notre directrice de l'agence a apporté des réponses à ce rapport, notamment lors de son audition au Sénat le 14 février 2024.
Actuellement, l'agence dispose d'un budget de 97 millions d'euros. Ses recettes correspondent à une dotation de l'assurance maladie et à des ressources propres en rapport avec l'activité d'intermédiation du registre France Greffe de Moelle. L'effectif de l'agence est de 262,6 équivalents temps plein, dont 79 % des agents sont contractuels, 15 % sont détachés, et 6 % sont mis à disposition. En 2023, elle a supervisé 5 634 greffes d'organes, 1 200 greffes de cellules souches hématopoïétiques à partir de donneurs non apparentés, et enregistré 23 000 nouveaux inscrits sur le fichier de donneurs, avec 385 000 inscrits sur le registre français. En génétique médicale, plus de 540 000 examens génétiques moléculaires ont été réalisés. Concernant l'assistance médicale à la procréation, près de 27 000 enfants sont nés, avec plus de 700 nouveaux donneurs de spermatozoïdes et 940 nouvelles donneuses d'ovocytes, et plus de 13 000 patients ont bénéficié d'une conservation médicale de gamètes en raison d'une possible altération future de leur fertilité. Ce dernier point est particulièrement important pour les jeunes patients affectés d'une pathologie cancéreuse.
L'agence est reconnue pour son efficacité et son sérieux. Elle a reçu la visite du Docteur François Braun le 22 juin 2023, alors ministre de la Santé. Sa gestion financière est rigoureuse, avec un exercice budgétaire à l'équilibre. Le bien-être au travail est un souci constant de la direction, et le dialogue social est constructif et apaisé. Les projets et missions de l'agence sont développés en étroite collaboration avec les autorités de tutelle. Je souhaite témoigner des excellentes qualités des agents qu'elle emploie, ainsi que de leurs professionnalisme et dévouement à leurs missions. Je témoigne enfin que l'Agence de la biomédecine veille au profond respect des lois de bioéthique, aux principes fondamentaux d'équité, à l'éthique, à la sécurité, mais également au triptyque fondateur de la dernière loi de bioéthique : dignité, liberté et solidarité.
Pour la nouvelle mandature, trois plans ministériels stratégiques ont été élaborés et adoptés le 15 mars 2022 pour la période 2022-2026 : le prélèvement et la greffe d'organes et de tissus, la procréation et la génétique humaine, et le prélèvement et la greffe de cellules souches hématopoïétiques. Pour ces trois plans, un comité de suivi a été mis en place. Pour ce qui concerne le prélèvement et la greffe d'organes, les mesures innovantes sont le renforcement de la professionnalisation de la coordination hospitalière, le développement du prélèvement multi-sources, la révision des modalités de financement dans un sens incitatif, la création d'un indicateur de performance et la désignation d'un référent greffe auprès des agence régionales de santé concernées. Les objectifs sont de réduire le taux d'opposition et le nombre de patients en attente de greffe, de favoriser les schémas régionaux de santé autours de la greffe d'organes, de former et d'informer et de développer de nouvelles greffes de tissus.
Concernant la procréation, l'embryologie et la génétique humaine, les objectifs incluent la réduction des délais d'attente, la mise en place d'un registre pour l'accès aux origines dans le cadre de l'AMP avec tiers donneur, le fait de tendre à l'auto-suffisance nationale en dons de gamètes et d'adaptateur les nouvelles technologies aux pratiques quotidiennes. L'agence souhaite également promouvoir l'utilisation des stocks de gamètes entre centres et développer un système d'informations interopérable.
Le plan ministériel concernant le prélèvement et la greffe de cellules souches hématopoïétiques vise à garantir le maintien et l'accès aux sources de greffons, améliorer les conditions de prélèvement et de suivi des donneurs, maintenir la qualité des registres, renforcer la biovigilance, adapter les modalités de financement de ces activités, et poursuivre la communication sur le don non apparenté de cellules souches hématopoïétiques. L'objectif annuel est d'inscrire 20 000 nouveaux donneurs de moins de 36 ans sur le registre France Greffe de Moelle, en diversifiant les profils HLA (human lymphocyte antigen) et en masculinisant le registre. Conformément aux recommandations de la Cour des comptes, une réflexion est engagée sur la précision et le coût des typages HLA, ainsi que sur l'adéquation entre qualité et quantité de donneurs.
Un contrat d'objectifs et de performance établi pour la période 2022-2026 a été signé avec le ministre de la santé et de la prévention le 14 février 2023. Il s'articule autour de deux axes : l'un est médical et scientifique, et l'autre fonctionnel avec des objectifs stratégiques qui concernent notamment la dimension territoriale des actions de l'agence, la création et l'analyse des données, la formation des professionnels de santé, la communication avec le public, les systèmes d'information, les ressources humaines ainsi que le pilotage.
Sur les aspects prioritaires, l'Agence de la biomédecine travaille à augmenter le nombre d'inscrits sur le fichier des donneurs non apparentés de cellules souches hématopoïétiques, tout en maintenant la qualité des donneurs. Des actions fortes sont prévues : augmentation du budget de communication, incitation des donneurs de sang pour devenir donneurs de cellules souches, collaboration avec les associations de patients, et régionalisation du plan greffe avec une intense collaboration avec les agences régionales de santé. L'agence s'implique également pour maintenir le prélèvement et la greffe d'organes comme priorité nationale, en généralisant la greffe avec donneurs vivants, en renforçant les gouvernances hospitalières, en refondant le logiciel Cristal, et en menant des campagnes de presse incitatives au don d'organe.
Pour le don de gamètes, un plan d'action vise à réduire les délais d'attente, avec notamment une mutualisation des stocks. L'agence est attentive aux analyses génétiques et souhaite s'impliquer dans le pilotage et l'animation du plan national maladies rares. L'agence promeut la recherche médicale et scientifique en soutenant des projets de recherche, et en favorisant des interrelations entre les équipes de recherche. L'agence s'implique également dans les enjeux internationaux. Elle fait rayonner l'expertise française, notamment auprès de l'OMS, grâce à des accès privilégiés à des registres de données de qualité. Elle renforce également ses systèmes d'information, notamment Cristal (qui s'applique à l'activité de prélèvement et à la greffe) avec des travaux qui ont débuté en 2022 et devraient se terminer en 2025, et Syrenad (qui s'applique aux donneurs et receveurs de cellules souches hématopoïétiques) dont la refonte s'est terminée en 2024. Le système d'information doit également s'appliquer au registre national de refus des prélèvements.
La communication sur la promotion du don est une mission importante de l'Agence de la biomédecine, visant à maintenir la confiance du public envers les professionnels et à inciter au don. L'objectif est d'agir sur les intentions et sur les comportements en fédérant le plus possible les professionnels de santé et les associations d'usagers. Il faut tendre à une intention d'agir qui s'exprime par l'acceptation du don. La démocratie sanitaire est favorisée par l'implication des associations et des citoyens. À l'heure des réseaux sociaux, l'agence communique également pour protéger au mieux sa réputation en établissant des relations de confiance et de transparence. Elle communique également pour faire connaître ses intentions dans la sphère scientifique et médicale.
L'agence est également impliquée dans la transition écologique, notamment par le transfert de ses locaux dans un bâtiment partiellement occupé par la Haute Autorité de santé, dans le respect du souhait des agents et dans une logique d'écologie aujourd'hui indispensable.
En conclusion, je soutiens qu'il faut maintenir une démarche volontariste pour accueillir de nouvelles associations au coeur des groupes de travail et des comités de suivi permettant un renforcement de la démocratie sanitaire. En outre, une réflexion sur les sciences sociales doit s'instaurer, notamment par le soutien aux projets scientifiques mixtes qui s'ouvriront prochainement. C'est également le sens que l'agence veut donner aux rencontres de la biomédecine, dont la première manifestation a eu lieu les 12 et 13 octobre 2023, pour ouvrir l'agence aux évolutions scientifiques liées aux enjeux sociétaux.
Je suis motivé pour poursuivre la présidence du conseil d'administration de l'Agence de la biomédecine, mettant mes convictions, mon engagement, mon indépendance, mon attachement au respect des institutions et mon expérience au service de sa mission : transformer un acte altruiste de générosité en étincelle de vie pour autrui. En d'autres termes, être à la charnière de la générosité publique, du don de soi, et de l'excellence clinique au service des patients.
Mme Élisabeth Doineau. - Monsieur Bay, je tiens tout d'abord à vous féliciter pour votre parcours, qui est une fierté pour la France et un espoir pour les malades et les citoyens. Ma première question concerne le budget dont vous avez la responsabilité. Celui-ci a augmenté de 12 % depuis 2021, en raison des nouvelles missions confiées à l'Agence de la biomédecine. Dans un contexte de réduction des dépenses des opérateurs de l'Etat prévue dès 2025, le Sénat a ajouté dans le PLFSS 2025 un article visant à inscrire directement dans la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) le montant des dotations de l'assurance maladie à certaines agences de santé, dont l'Agence de la biomédecine. Concernant cet aspect budgétaire, j'ai deux questions :
D'une part, quelle est la nature de votre dialogue avec l'État pour dégager des marges d'efficience dans la gestion de vos effectifs et la définition de votre budget ? Quels ont été les principes directeurs du COP 2022-2026 à cet égard ? Disposez-vous d'un cadrage pluriannuel pour l'évolution du budget de l'agence ?
D'autre part, on observe un fort déséquilibre dans la répartition du budget de l'agence : 45 % sont dédiés aux cellules souches, près de 20 % aux organes et aux tissus, et seulement 3,5 % aux reins. Ce déséquilibre est-il pénalisant pour la conduite de l'ensemble des missions de l'agence ?
J'aurai ensuite une autre question : Même si une part largement majoritaire de Français se déclare favorable au don d'organes et de tissus après leur décès (80 % selon le dernier baromètre d'opinion), dans les faits, le taux d'opposition des patients décédés s'établit aujourd'hui à 36,1 %, après avoir significativement augmenté en 2023. D'autres pays présentent de bien meilleurs résultats, comme l'Espagne, souvent citée en référence puisqu'elle est le pays comptant le plus de donneurs d'organes décédés. Pourtant, en France comme en Espagne, la règle du consentement présumé s'applique. Qu'est-ce qui différencie selon vous la France de l'Espagne ?
Mme Corinne Imbert. - Merci, Président. Professeur, je vous félicite également pour votre parcours. Mes questions portent sur plusieurs aspects des compétences de l'agence :
Concernant les greffes d'organes, le besoin a presque quadruplé en 2025 pour atteindre plus de 23 000 demandes en 2020. En 2022, plus de 1 000 patients sont décédés faute de greffe. Quel scénario d'augmentation du nombre de patients en attente de greffe prévoyez-vous pour les prochaines années ? Comment répondre au défi de la greffe rénale face à l'augmentation de l'insuffisance rénale chronique ?
Au sein de l'Union européenne, des dispositifs transnationaux comme Eurotransplant facilitent les échanges d'organes entre plusieurs pays. Que pensez-vous de ce type d'organisation ? La France aurait-elle intérêt à y participer ?
Concernant la greffe de moelle osseuse, plus de 93 % des greffons destinés aux patients français sont importés, principalement d'Allemagne, représentant un coût financier important. Cette situation est-elle une spécificité française ? Pourquoi l'Allemagne parvient-elle à une plus grande agilité que la France ? Quelles solutions pourraient permettre d'améliorer l'accès aux greffons de moelle, alors que les donneurs français restent trop peu nombreux ?
Enfin, la crise sanitaire a fortement désorganisé les services hospitaliers et pénalisé l'activité de prélèvements et de greffes d'organes. En 2024, on constate une reprise de l'activité hospitalière, en est-il de même pour les prélèvements et transplantations ?
Mme Annie Le Houérou. - Je remercie également Monsieur Bay pour son parcours et son engagement. Le rapport de la Cour des comptes sur l'Agence de la biomédecine décrit une situation de débordement des acteurs de la filière de l'assistance médicale à la procréation depuis l'entrée en vigueur de la loi du 2 août 2021. Les nouveaux droits accordés aux couples de femmes et aux femmes seules ont entraîné un allongement des délais d'accès à l'AMP, jusqu'à saturation des listes d'attente dans certaines régions comme l'Île-de-France. Mes questions sont les suivantes :
Compte tenu de l'importance de la demande, quelles mesures permettraient d'assurer un accès effectif aux nouveaux droits créés par la loi pour toutes les femmes ?
Concernant le plan de lutte contre l'infertilité annoncé par le Président de la République en janvier 2024, l'Agence de la biomédecine a-t-elle été appelée à contribuer à son élaboration ? Quelles propositions portez-vous à ce sujet et quand ce plan pourrait-il voir le jour ?
M. Jacques-Olivier Bay. - Je vais synthétiser mes réponses. Concernant le budget, je pense que le dialogue avec nos autorités de tutelle a toujours été excellent. En tant qu'agence sanitaire, nous avons toujours été aidé, et nous avons bénéficié d'augmentations budgétaires pour nos nouvelles missions. L'agence est à l'équilibre, avec un déficit de 1 million d'euros prévu pour l'année prochaine, dû à des investissements en communication. Le budget prévisionnel déficitaire est lié à cet élan volontaire. Suite au non-vote de la loi de financement de la sécurité sociale, nous devons revenir au budget de l'année 2024 et faire des économies afin de récupérer environ 1,5 million d'euros pour le budget 2025. Nous investirons un peu plus dans nos fonds propres et ferons ainsi des économies. 1,5 million d'euros a été accordé par les tutelles pour servir notamment aux frais de déménagement. Néanmoins, le dialogue avec les tutelles est très constructif.
Concernant le budget de la greffe de cellules souches hématopoïétiques, la directrice générale de l'agence avait précisé que l'activité d'intermédiation est à la fois donnante et recevante. Nous achetons des greffons pour des structures hospitalières qui remboursent l'Agence de la biomédecine, qui ne sert que de relais.
Il n'est pas imaginable d'être totalement indépendant en France sur le registre des donneurs de cellules souches hématopoïétiques. Le registre compte 350 000 donneurs, nous plaçant au 16e rang sur 73 registres mondiaux. Il n'est pas envisageable d'être totalement autonome pour les greffons de moelle osseuse, étant donné la rareté des compatibilités HLA, mais il est vrai qu'il faut que nous soyons le plus diversifiés possible. Nous suivons les recommandations ministérielles pour l'inscription de nouveaux donneurs. L'objectif est de 20 000 nouveaux donneurs.
Pour les greffes d'organes, nous constatons une augmentation de la demande avec un offre qui augmente aussi un peu. Le nombre des inscriptions chaque jour est de 20 à 23 patients, pour un taux de greffe de 18 à peu près. Malheureusement, certains patients décèdent avant de pouvoir être greffés. Nous travaillons à sensibiliser la population sur le don d'organes, notamment par un investissement très important dans les campagnes de communication.
Concernant la procréation médicalement assistée, les délais d'attente ont été réduits mais restent importants, en raison d'un appel d'air et d'une demande forte des citoyennes et citoyens. C'est une bonne nouvelle, bien qu'il faille prendre conscience de ces délais. Ils étaient de 10 à 12 mois, et ont été un peu réduits aujourd'hui. Sur tous les centres d'études et de conservation des oeufs et du sperme (CECOS), certains sont plus receveurs et d'autres plus donneurs. Nous mettons en place un registre national pour optimiser la gestion des gamètes entre les différents centres.
M. Khalifé Khalifé. - Je m'associe à mes collègues pour vous féliciter pour votre carrière. Je regrette que les étudiants en médecine n'aient pas pu assister à la présentation de votre parcours.
J'ai deux questions concernant la communication et la formation des chirurgiens préleveurs. Le rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) a souligné les difficultés de mise en place de la régionalisation et d'implication des professionnels de santé, notamment des préleveurs. Le rôle des associations est crucial. Malgré l'augmentation du nombre de greffons, la demande reste supérieure à l'offre. Concernant la communication, l'implication des communes comme ambassadrices de l'Agence de la biomédecine sont des initiatives positives. Il faut aussi aborder les idées reçues sur les dons d'organes et l'aspect religieux. Comment, dans le contexte actuel, allez-vous communiquer sur ce point ?
Pour la formation des préleveurs, avec l'extension du protocole Maastricht III, certains greffons sont mal prélevés, entraînant du gâchis. Les prélèvements multi-organes posent des défis logistiques, mobilisant un bloc opératoire et plusieurs équipes pendant de longues périodes. Comment envisagez-vous d'améliorer ces aspects ?
M. Olivier Henno. - J'ai trois questions. Premièrement, quel est votre point de vue sur les innovations thérapeutiques, notamment en oncologie ? La France et l'Europe sont-elles toujours compétitives dans ce domaine ? Deuxièmement, dans un contexte international où le multilatéralisme s'effrite au profit de relations bilatérales basées sur des rapports de force, quelles conséquences voyez-vous pour la bioéthique, alors que la recherche et les innovations progressent très rapidement ? Enfin, quel impact l'intelligence artificielle pourrait-elle avoir sur votre mode d'organisation et sur l'approche de la bioéthique ?
Mme Anne Souyris. - Merci pour votre engagement, Monsieur Bay. J'ai deux questions. Premièrement, l'agence a noté une hausse significative de l'opposition au don d'organes (36,1 % en 2023), alors que 80 % des Français seraient favorables au don de leurs propres organes après la mort. Envisagez-vous que la loi sur la fin de vie puisse améliorer le renseignement du choix des Français sur le don d'organes ? Deuxièmement, concernant l'entrave à la recherche, le journal Le Monde a révélé en septembre que la Fondation Jérôme Lejeune, connue pour ses positions extrémistes et anti-avortement, a demandé aux tribunaux l'annulation de 61 autorisations de recherche allouées par l'Agence de la biomédecine à des équipes scientifiques de l'Inserm et du CNRS. Quel est votre point de vue sur ces obstacles à la recherche sur les embryons ?
Mme Émilienne Poumirol. - Merci, Monsieur le Président. Je voudrais revenir sur deux points déjà évoqués. Premièrement, concernant le plan de réarmement démographique et le sujet de l'infertilité, êtes-vous impliqués dans cette démarche ? Deuxièmement, concernant l'Union européenne, pouvez-vous clarifier la situation des conventions avec l'Allemagne ? Pourquoi l'Espagne, malgré sa proximité culturelle, semble moins engagée dans ce domaine ?
M. Jacques-Olivier Bay. - Concernant la qualité des greffons des cellules souches hématopoïétiques, il est important de comprendre que les échanges internationaux sont bidirectionnels. Si nous achetons des greffons à l'étranger, c'est pour obtenir la meilleure compatibilité pour nos patients. De même, des pays étrangers sollicitent le registre français pour la même raison. L'adéquation entre la quantité et la qualité revêt ici toute son importance. Cette internationalisation reflète la nature universelle de notre patrimoine génétique.
La communication est fondamentale dans notre domaine. Le ruban vert, initiative du monde associatif, illustre l'importance de la collaboration avec les associations de patients et d'aidants. Notre directrice générale encourage fortement cette démocratie sanitaire. Nos campagnes de communication sont conçues pour être inclusives et représentatives de la diversité de notre société. Elles visent à sensibiliser tous les groupes ethniques à l'importance du don d'organes. Il y a une volonté d'humanisme.
La formation est cruciale pour l'efficacité de notre action. L'Agence de la biomédecine s'engage dans une décentralisation croissante pour répondre aux inégalités territoriales, notamment dans les territoires d'outre-mer qui sont déshérités par rapport à la greffe. Cette décentralisation fait prendre conscience d'une réalité politique qui détermine l'application des plans ministériels.
Concernant la formation des médecins et chirurgiens, la Cour des comptes recommande d'établir des seuils d'autorisation pour l'activité de greffe. C'est une piste à explorer pour garantir la compétence des greffeurs. Le prélèvement multi-organes est confronté à des difficultés liées aux contraintes de personnels dans les hôpitaux publics, exacerbées par la crise du covid-19. Nous observons une reprise progressive de l'activité, mais nous n'avons pas encore atteint les niveaux de 2019.
Concernant la loi sur la fin de vie, il pourrait être intéressant d'y inclure une incitation au don d'organes, tout en reconnaissant que la plupart des personnes concernées ne pourront probablement pas être donneurs en raison de leur état de santé.
Enfin, nous sommes conscients des défis posés par la méfiance d'une partie de la population envers les professionnels de santé et de la recherche. C'est un enjeu majeur pour notre communication et notre action. L'agence s'efforce de communiquer efficacement pour promouvoir la science et l'éthique. L'intelligence artificielle est un sujet complexe qui va impacter notre quotidien, y compris potentiellement dans la gestion des fonds et des registres. Il faut être vigilant quant à l'utilisation des données.
Je vous remercie pour vos encouragements. Je souhaite que l'Agence de la biomédecine incarne une force d'unité. Malgré les défis et le multilatéralisme qui tend à se fissurer, j'espère que notre agence, en véhiculant des idées de fraternité, pourra poursuivre ces objectifs de vie commune.
M. Philippe Mouiller, président. - Nous vous remercions pour votre intervention et vos réponses. Nous suivrons l'évolution des travaux de l'agence avec intérêt.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 12 h 15.