Mercredi 29 Janvier 2025

- Présidence de M. Laurent Lafon, président -

La réunion est ouverte à 9 h 30.

Proposition de loi visant à protéger l'école de la République et les personnels qui y travaillent - Désignation d'un rapporteur

La commission désigne Mme Annick Billon rapporteure de la proposition de loi n° 234 (2024-2025) visant à Protéger l'école de la République et les personnels qui y travaillent.

Audition de M. Maxime Saada, président du directoire du Groupe Canal+

M. Laurent Lafon, président. - Mes chers collègues, nous avons le plaisir d'accueillir aujourd'hui Maxime Saada, président du directoire du groupe Canal+. Je tiens à vous remercier, Monsieur le Président, d'avoir accepté notre invitation à participer à cette audition.

À la tête du groupe Canal+ depuis près d'une décennie, vous pilotez l'évolution de l'entreprise, qui a récemment célébré ses 40 ans, dans un environnement en pleine mutation.

Créée en 1984, Canal+ a révolutionné le paysage audiovisuel français, avant de devenir, au fil des années, l'un des plus grands groupes de médias au niveau mondial, comptant aujourd'hui 27 millions d'abonnés, dont un tiers en France.

L'année 2024 a marqué un tournant avec plusieurs décisions stratégiques majeures. Canal+ a fait son entrée à la Bourse de Londres en décembre, dans le cadre de la scission du groupe Vivendi. Le groupe a, par ailleurs, engagé la plus grosse acquisition de son histoire, celle de l'opérateur sud-africain MultiChoice.

En décembre dernier, vous avez annoncé le retrait de vos quatre chaînes payantes de la TNT, à partir de juin prochain.

Ce retrait met un terme à la présence historique de Canal+ sur le canal 4 de la télévision française et parachève sa transformation en plateforme numérique, agrégatrice de contenu. Vous avez évoqué, pour justifier cette décision, les conséquences économiques du non-renouvellement de la chaîne C8, décidé par l'Arcom en juillet dernier, une décision que vous contestez devant le Conseil d'État.

Vous avez, plus généralement, mis en cause un environnement fiscal et réglementaire jugé de plus en plus contraignant, en particulier du fait de la possible hausse de 10 % à 20 % du taux de TVA applicable à vos services.

Nous nous interrogeons bien entendu sur les répercussions de ces transformations sur le secteur de la création en général et celui du cinéma en particulier, auquel Canal+ est lié depuis son origine. Le groupe investit en effet chaque année 220 millions d'euros dans son financement, conformément à ses engagements, qui sont en cours de renégociation.

Le passage à un nouveau régime de diffusion intervient par ailleurs dans un contexte de concurrence exacerbée avec les grandes plateformes internationales. La montée en puissance des acteurs internationaux comme Disney, Netflix ou Amazon a en effet bouleversé le secteur.

Elle a aussi et surtout mis en évidence un certain nombre d'asymétries réglementaires qui font l'objet de la seconde partie de la proposition de loi sénatoriale relative à la réforme de l'audiovisuel public et à la souveraineté audiovisuelle qui sera sans doute débattue à l'Assemblée nationale dans les semaines à venir.

La fin de votre contrat de distribution avec Disney, les négociations en cours sur le financement du cinéma et la chronologie des médias et les ambitions croissantes des plateformes soulèvent ainsi de multiples interrogations sur lesquelles, Monsieur le Président, nous sommes impatients de vous entendre.

En effet, Canal+ n'est pas seulement un acteur économique clef. Le groupe joue également un rôle essentiel sur le plan culturel, et retient à ce titre toute notre attention.

Je vais à présent, Monsieur le Président, vous céder la parole, après avoir rappelé que cette audition est diffusée en direct sur le site internet du Sénat.

M. Maxime Saada, président du directoire du Groupe Canal+. - Monsieur le Président, Mesdames les sénatrices, Messieurs les sénateurs, je vous remercie pour votre invitation qui me permet d'aborder l'actualité du groupe Canal+, dont vous avez, Monsieur le Président, introduit les enjeux avec pertinence. Je profite également de cette audition pour vous adresser à toutes et à tous mes meilleurs voeux pour cette nouvelle année.

Je m'exprime aujourd'hui en tant que président du directoire du groupe Canal+, groupe que j'ai intégré il y a plus de vingt ans et dont j'ai pris la direction il y a plus de dix ans. Je suis fier d'accompagner son développement aux côtés d'équipes passionnées et talentueuses. Cette transformation a effectivement franchi des étapes décisives en 2024, notamment l'acquisition du bouquet de chaînes payantes OCS et de sa filiale de coproduction de films et de séries, Orange Studio.

Canal+ a également intégré Dailymotion, demeurant la seule plateforme vidéo française entièrement financée par la publicité, dont le rayonnement international séduit plus de 400 millions de visiteurs mensuels. En outre, le groupe accueillera prochainement les activités et les équipes de Group Vivendi Africa (GVA), fournisseur d'accès à la fibre optique en Afrique.

En novembre 2024, Canal+ a célébré 40 années d'existence, résolument dédiées à offrir le meilleur du sport et de la création. Quelques semaines plus tard, le 16 décembre, l'entrée du groupe à la Bourse de Londres marquait l'aboutissement d'une stratégie de réinvention conduite en quelques années, permettant aujourd'hui à Canal+ d'affirmer son modèle unique face aux plus puissants acteurs de l'audiovisuel mondial.

J'ai eu l'honneur de pouvoir échanger avec vous à plusieurs reprises concernant la métamorphose du marché de la télévision, au cours d'une décennie jalonnée d'obstacles et de bouleversements successifs, parfois perçus comme autant de présages de la chute de Canal+. Ce nouvel environnement se caractérise par des marchés globalisés et digitalisés, investis par de nouveaux opérateurs, essentiellement américains, faisant figure de véritables colosses : Netflix, Amazon avec Prime Video, Apple TV+, Disney+, Paramount+, Universal avec Peacock et Warner avec Max. Leur positionnement sur nos segments, accompagné d'investissements significatifs dans les contenus, bénéficie d'un avantage concurrentiel majeur ; celui de pouvoir amortir les coûts sur une base d'abonnés en constante expansion. À titre d'exemple, Netflix enregistre 302 millions d'abonnés répartis dans 190 pays.

Face à ces nouveaux géants systémiques, le groupe Canal+ n'a eu d'autre choix que de se repenser, de surcroît dans un contexte marqué par des turbulences majeures : une perte de plus de 260 millions d'euros au titre de l'exercice 2015, suivie d'un budget 2016 déficitaire de 400 millions d'euros. Concomitamment, le groupe a subi de plein fouet les modifications profondes et accélérées des marchés de ces filières, ainsi que des usages en matière de culture. Ces menaces profondes, tant exogènes qu'endogènes, ont mis en péril la survie même de Canal+.

En réaction, nous nous sommes attachés à identifier les leviers nécessaires à la pérennité du groupe, mais également de son modèle. À cet égard, le soutien, les ressources et la patience de notre société mère, Vivendi, représentent un atout précieux, au même titre que le groupe Bolloré, actionnaire de référence.

Comment avons-nous intégré cette notion de pérennité dans la stratégie de Canal+ ?

Pour commencer, nous avons mobilisé nos efforts pour redresser l'entreprise sur le plan économique, en examinant l'ensemble des leviers au prisme de la réduction des coûts, à l'exception notable de nos engagements envers la création et les contenus. Fort de près d'un milliard d'euros d'économie, le groupe a ainsi retrouvé sa puissance d'investissement, mettant un terme à plusieurs années de décroissance.

Plaçant l'innovation et la diversification technologique au coeur de son projet, Canal+ a également entrepris avec succès sa transformation numérique. Créée en 2013, notre plateforme digitale propriétaire française porte aujourd'hui plus de 2 000 chaînes linéaires et à la demande, dans plus de 40 pays, rejoignant désormais les meilleurs standards du marché. Avec un milliard d'euros d'investissement annuel et plus de 1 000 ingénieurs, principalement basés en France, le groupe Canal+ constitue dorénavant un acteur majeur de la technologie.

La robustesse de notre outil technologique nous a permis d'adopter un positionnement unique au monde, de premier « super-agrégateur » proposant une offre culturelle premium répondant aux attentes des abonnés, souvent insatisfaits, voire perdus face à la fragmentation des offres. Grâce à des partenariats d'envergure avec les plus grands acteurs mondiaux - Netflix, Paramount, DAZN, Max et Apple - Canal+ se positionne comme le seul acteur proposant le meilleur des plateformes, en complément de ses propres contenus. Le groupe a conclu un accord pluriannuel inédit à l'échelle internationale avec Apple pour Apple TV+, récemment enrichi d'Apple Music.

Cette transformation digitale a par ailleurs contribué à élargir la distribution de Canal+. Outre les accords avec nos partenaires historiques, la marque s'est imposée au sein de l'ensemble des équipements technologiques, des téléviseurs connectés aux consoles de jeux. Plus récemment, le groupe a signé des accords novateurs pour la distribution de sa plateforme digitale dans plus de 40 pays avec le leader mondial LG, et pour l'intégration de son offre à bord des véhicules connectés du constructeur Renault, fleuron industriel français.

Parallèlement à cette diversification technologique, le groupe a pris des mesures pour se libérer de toute forme de dépendance et gagner en agilité. Aujourd'hui, Canal+ compte près de 27 millions d'abonnés répartis dans 50 pays, contre 11 millions en 2015. Canal+ s'est libéré de sa dépendance géographique envers la France.

Notre objectif est désormais d'atteindre, à moyen terme, un parc d'abonnés compris entre 50 et 100 millions, pour rejoindre le top cinq mondial des groupes audiovisuels. Nous misons sur les marchés matures en Europe, tout en développant notre présence sur d'autres territoires en forte croissance, notamment l'Afrique et en particulier l'Afrique subsaharienne. Cette région, forte d'une croissance économique moyenne s'élevant à 4,5 % par an, bénéficie en outre d'une dynamique démographique particulièrement favorable. Nous avons également saisi une opportunité de croissance externe avec M7, dont l'intégration a renforcé notre parc d'abonnés de plus de 2 millions en Europe de l'Est.

Toutefois, l'essentiel de notre expansion repose sur une croissance organique déployée sur l'ensemble des continents. Nous détenons aujourd'hui 37,2 % de la plateforme de streaming Viu, implantée en Asie du Sud-Est, et disposons d'une option pour en prendre le contrôle. Nous sommes également le premier actionnaire de la plateforme nordique Viaplay, avec 29,3 % du capital.

Enfin, le groupe a entamé l'acquisition la plus ambitieuse de son histoire avec MultiChoice, leader de la télévision payante en Afrique anglophone et lusophone, dont nous détenons aujourd'hui 45,2 % du capital. Cette opération permettrait au groupe Canal+ de franchir le cap critique de plus de 40 millions d'abonnés.

Cette prise d'indépendance géographique s'accompagne d'une stratégie d'émancipation à l'égard d'une génération d'abonnés. En effet, nous avons su attirer un public plus jeune, notamment grâce au lancement d'offres sans engagement, à la baisse significative de nos prix d'accès, et à la pérennisation de notre offre RAT+. Ainsi, plus de 500 000 jeunes ont individuellement souscrit à Canal+ dans les 18 derniers mois.

Enfin, une révision majeure de notre stratégie éditoriale nous a permis de lever toute forme de dépendance à une quelconque catégorie de contenu. Certains se souviennent sans doute des inquiétudes formulées quant à la pérennité de Canal+ à la suite de la perte des droits de la Ligue 1. Certes, cette journée de 2018 demeure ancrée dans ma mémoire. Néanmoins, depuis ce tournant fondamental, le groupe s'est libéré de toute forme de joug éditorial, afin d'annihiler l'éventualité d'une situation comparable.

Nous avons enrichi notre offre pour proposer le panel de contenu le plus vaste de notre histoire dans tous les domaines : sport, films, séries, documentaires, animations, émissions, et programmes de flux. À ce titre, la capacité de Canal+ à produire ses propres contenus constitue la dernière brique de son indépendance, également renforcée par l'activité florissante de Studio Canal, qui possède aujourd'hui 19 sociétés de production à travers le monde.

Enfin, notre volonté de pérenniser le modèle de Canal+ s'incarne également dans la sécurisation de droits sur le long terme. Nous avons acquis les droits exclusifs de diffusion du Top 14 et de la Pro D2 auprès de la Ligue Nationale de Rugby, jusqu'à la saison 2032, confirmant notre place de principal financeur et soutien du sport français. Au-delà de la France, nous proposons aujourd'hui les droits longs les plus attractifs, à l'instar de la Ligue des Champions, d'abord acquise pour la France, puis pour l'Autriche et l'Afrique francophone, jusqu'en 2027. Le groupe a également conforté son statut de premier partenaire de la Premier League dans le monde, avec l'acquisition de l'exclusivité des droits en Pologne et au Myanmar jusqu'en 2028, portant à plus de 50 les territoires où Canal+ diffuse cette compétition d'exception. En outre, nous sommes désormais le premier diffuseur mondial de la Formule 1 et de la MotoGP en France, en Suisse, en Afrique et en Asie, jusqu'en 2029.

Ce même esprit guide notre détermination à inscrire l'exception cinématographique française dans une vision de long terme. Nous avons proposé pendant plus de deux ans aux organisations professionnelles du cinéma de renouveler notre accord, sur une durée allongée de cinq ans pour un montant total supérieur à un milliard d'euros auquel nous avons proposé d'ajouter les obligations héritées de l'acquisition d'OCS.

Ainsi, le groupe Canal+ ne s'est pas seulement adapté, il a érigé la pérennité comme valeur cardinale. Cette notion est au coeur de notre positionnement auprès des acteurs de la culture, du cinéma et de l'audiovisuel, mais également du sport. Chez Canal+, nous considérons que le sport est partie intégrante de notre culture.

S'agissant du cinéma français, je profite de cette tribune pour souligner son caractère absolument unique. Sa trajectoire de fréquentation en salles en hausse depuis 2022 jusqu'à plus de 180 millions de visiteurs en 2024, est aujourd'hui enviée par les cinémas du monde entier. En outre, 44 % de cette fréquentation a été captée par des films français, dont Le Comte de Monte Cristo et Un p'tit truc en plus, tous deux financés par Canal+. Ce chiffre, au plus haut depuis 2008, place la France à la première place, en Europe, en termes de parts de marché des productions nationales. Le cinéma français est le seul cinéma européen ayant survécu. À titre de comparaison, en 2022, la part de marché des productions nationales était de 21 % en Italie, 22 % en Espagne, 27 % en Allemagne et 30 % au Royaume-Uni.

Le cinéma français est également l'un des cinémas les plus récompensés, représentant près d'un quart de la totalité des titres sélectionnés dans les dix festivals majeurs. L'actualité illustre cette tendance, avec le récent record de nominations aux Oscars pour les films Emilia Pérez et The Substance.

Permettez-moi de l'affirmer : le succès du cinéma français est unique et il n'existerait pas sans le soutien de Canal+. Par son volume d'investissement massif et pérenne dans les contenus, le groupe contribue davantage que l'ensemble des autres acteurs réunis, qu'il s'agisse des chaînes gratuites ou des plateformes internationales.

En 2024, Canal+ a financé plus de 260 films français et européens. Chaque année, plusieurs dizaines de films ne pourraient voir le jour sans l'apport des chaînes du groupe. En 2024, sur 121 films préachetés, 45 ont été exclusivement financés par les chaînes du groupe Canal+. L'histoire de Souleymane, La nuit du 12 ou encore Le procès Goldman n'auraient pas vu le jour sans le soutien de Canal+. Ce rôle de premier financeur de la création cinématographique en France est lié à un montant supérieur à nos obligations, fruit d'un accord historique avec les syndicats représentant les professions du cinéma.

En 2024, la participation des chaînes du groupe Canal+ représente plus de 220 millions d'euros, auxquels s'ajoutent 50 millions d'euros de taxes sectorielles qui financent le budget du CNC. De plus, Studio Canal a investi plus de 200 millions d'euros dans les films français et européens. Au total, l'investissement de Canal+ dans le cinéma français et européen s'établit à près de 500 millions d'euros en 2024, à l'instar des années précédentes. Toutefois, ce montant est lié aux termes d'un accord interprofessionnel échu depuis le 31 décembre 2024.

Canal+ constitue en outre un partenaire de premier ordre, sans équivalent, de la diversité. En France, les films dans lesquels nous investissons sont produits par près de 130 sociétés de production différentes et indépendantes du groupe. Cet engagement participe à la vitalité du tissu industriel créatif français en contribuant significativement aux emplois directs et indirects associés à la création.

Je souhaite insister sur un axe d'amélioration de la diversité sectorielle, à savoir la place des femmes dans la création. Nous nous félicitons de l'évolution positive de nos marqueurs faisant suite à une attention particulière du groupe Canal+ dans ses préachats. En 2024, 27 % des films préachetés ont été réalisés par des femmes, contre 21 % en 2021. Par ailleurs, le groupe a financé 40 % de premiers films réalisés par des femmes. Bien qu'elle soit encourageante, cette tendance demeure insuffisante à nos yeux. De ce fait, Studio Canal a créé un fonds dédié à la création portée par des femmes, afin de se positionner comme acteur de ce changement.

Nous sommes attachés à favoriser l'émergence des artistes et à les accompagner dans leur développement, y compris dans les moments difficiles. Ainsi, nous avons soutenu durablement des dizaines de cinéastes de renom, souvent depuis leur premier court-métrage, comme Justine Triet, Jeanne Herry, Audrey Diwan, Julia Ducournau, Jacques Audiard, Cédric Klapisch, Ladj Ly, Dominik Mol, Albert Dupontel, Michel Hazanavicius ou encore Matthieu Delaporte et Alexandre de La Patellière. Déterminés à accroître leur rayonnement, nous tenons à offrir aux artistes tous les supports classiques et digitaux ainsi que toutes les scènes d'expression, des écrans jusqu'aux planches de l'Olympia, qui également rejoint le groupe Canal+.

Cette conviction se traduit par des partenariats de filière. Vos récents travaux sur le financement du football ont mis en lumière le rôle des diffuseurs dans l'écosystème du sport en France. Les droits audiovisuels viennent soutenir les mécanismes de solidarité entre le sport professionnel et le sport amateur. Ainsi, nous estimons que notre vision de long terme auprès de nos partenaires, tels que la Ligue nationale de rugby ou la Fédération française de football, contribue à pérenniser un fonctionnement vertueux et solidaire fondé sur les droits audiovisuels, tout en continuant à offrir à nos abonnés le meilleur du sport.

Notre volonté de coopération partenariale est au coeur de notre démarche de maximisation de la valeur des filières à travers notre savoir-faire éditorial. Nous accordons une importance capitale à l'exposition et à la visibilité des contenus, autant de paramètres fréquemment sous-estimés par les ayants droit. À titre d'exemple, sur l'ensemble de son cycle de vie de six mois, un film en première diffusion sur Canal+ réalise une audience moyenne globale de plus de 1,1 million de téléspectateurs. En outre, nous proposons huit émissions hebdomadaires de cinéma, soit 380 émissions chaque année, représentant 120 heures annuelles d'émissions, sans compter les documentaires consacrés au cinéma. Notre histoire témoigne de l'importance que nous accordons à la création française, hexagonale et ultramarine, tandis que Disney+ ou Netflix affichent moins de 10 % de titres français dans leur catalogue. Notre série Wish, par exemple, met en avant plus de 100 artistes ultramarins, bénéficiant ainsi d'un prodigieux rayonnement, tant au niveau local qu'hexagonal.

Nous ne saurions consentir à de tels investissements sans protéger les filières et leurs écosystèmes contre le piratage. En 2023, l'Arcom relate un manque à gagner estimé à 1,5 milliard d'euros, dont 290 millions pour le secteur du sport. Par ailleurs, le piratage soustrait près de 420 millions d'euros de recettes fiscales et sociales à l'État.

Il convient de se mobiliser ensemble face à ce fléau, comme le fait l'association pour la protection des programmes sportifs (APPS). Je saisis cette occasion pour saluer l'engagement de votre commission, porté notamment par les voix de Monsieur le Président et de Monsieur Savin. Merci pour votre courage et votre soutien indéfectible sur ce dossier qui requièrent, aujourd'hui plus que jamais, de s'unir face à l'explosion et à la banalisation des offres IPTV.

Canal+ porte un projet réconciliant culture et industrie, misant sur ses axes de différenciation et s'appuyant sur une vision de long terme, tout en portant une ambition pour la création française et le marché national auquel nous restons attachés.

Néanmoins, nous sommes à la croisée des chemins. Quelle place occupera désormais le marché français dans le projet du groupe ? L'adoption d'une vision industrielle, pourtant nécessaire à la pérennité de tout écosystème économique, fait cruellement défaut au secteur de la création française. Cette lacune, ayant conduit la Ligue 1 dans la situation dramatique actuelle, risque de mettre aussi en péril le cinéma français. Elle se traduit par des décisions de court terme et des comportements non coordonnés menaçant de faire sombrer les entreprises françaises du secteur, ces dernières étant déjà pénalisées par rapport à leurs concurrents internationaux. Elle s'incarne en outre dans une réglementation devenue un véritable « cadavre exquis » de normes communautaires et nationales, venant détruire le terrain sur lequel devrait s'exprimer tout le potentiel de notre industrie. La liste des réglementations qui s'imposent aux acteurs français et auxquelles les acteurs internationaux échappent est longue.

Je ne conteste pas que certaines décisions récentes puissent répondre à une forme de logique, cependant, leur accumulation menace tout ce qui fait la force de Canal+ en France. Je pense en particulier à l'augmentation de sa taxe versée au CNC ; aux menaces continues sur son taux de TVA ; ou à la décision de non-renouvellement de C8, première chaîne de la TNT. J'en profite pour rendre hommage à toutes les collaboratrices et à tous les collaborateurs affectés par cette décision arbitraire de l'Arcom, dont l'une des missions est pourtant d'accompagner les transformations du paysage audiovisuel et numérique, tant pour les publics que pour les professionnels.

Récemment, l'Autorité de la concurrence, déjà responsable de la disparition de la plateforme CanalPlay, du fait de son incapacité à anticiper la concurrence de Netflix, s'est autosaisie afin d'enquêter sur le secteur de la télévision payante et du cinéma. Cette initiative vient entraver l'ensemble des discussions sectorielles engagées par Canal+ dans un contexte d'échéances déterminantes, notamment pour l'avenir de notre modèle national de création.

En dépit de cet environnement national hostile, Canal+ poursuivra son développement en renforçant sa stratégie de diversification et en accélérant son expansion internationale. Toutefois, qu'en sera-t-il du tissu créatif français, au sein duquel j'inclus le sport ?

Si le cinéma français conserve son caractère unique au monde, il repose largement sur le financement et l'accompagnement de Canal+. Vous comprendrez ainsi que notre ambition de préserver cette exception culturelle se heurte aujourd'hui à une pléiade de signaux négatifs à l'échelle nationale. Pourtant, nous disposons encore des ressources nécessaires pour reconquérir notre souveraineté et notre indépendance créative.

Dès lors, permettez-moi de vous interroger solennellement : qui pourrait contribuer à la construction d'une vision industrielle et culturelle de long terme, fondamentale à notre secteur, si ce n'est le Sénat ?

Je vous remercie de votre écoute, et me tiens à votre disposition pour répondre à vos questions.

M. Laurent Lafon, président. - Merci, Monsieur le Président. Je cède la parole à Cédric Vial.

M. Cédric Vial. - Permettez-moi de souligner, Monsieur le Président Saada, que nous sommes très heureux de vous accueillir et fiers du rôle que joue Canal+ dans le secteur audiovisuel français et international. Vous êtes en cours de réorganisation stratégique. À cet égard, votre retrait de la TNT emporte un certain nombre de conséquences juridiques. Cette décision est-elle liée à une volonté d'ouvrir votre actionnariat à des capitalisations étrangères ?

Vous avez fait le choix d'entrer à la Bourse de Londres. Dans votre développement, quelle sera la place de la France ? Canal+, qui était un groupe français présent à l'international, deviendra-t-il un groupe international présent en France ? Par ailleurs, la réduction des délais de la chronologie des médias pour certains de vos concurrents influence-t-elle votre stratégie en France : souhaitez-vous conserver une offre premium, ou envisagez-vous de privilégier un modèle plus flexible ?

Concernant votre sortie de la TNT payante, j'avoue ne pas avoir été convaincu, à titre personnel, par certains de vos arguments, invoquant les choix de l'Arcom. Comment voyez-vous l'avenir du groupe sur la TNT ? Que vont devenir les chaînes CStar et CNews ? En outre, votre sortie de la TNT pourrait-elle induire des conséquences fiscales contraires à vos attentes, eu égard à la TVA ?

Les taxes affectées au CNC vous semblent-elles adaptées compte tenu de l'arrivée de nouveaux acteurs ? Enfin, votre contribution de 220 millions d'euros au financement du cinéma sera-t-elle maintenue ?

M. Jérémy Bacchi. - Vous avez justement souligné que Canal+ investit dans le cinéma bien au-delà de ses obligations légales. Ma question est la suivante : quels facteurs pourraient conduire Canal+ à réduire ses investissements, quitte à se trouver en position moins favorable dans la chronologie des médias ?

Nous observons en outre le tournant stratégique de Disney+, désormais enclin à investir massivement dans le cinéma français. Comment percevez-vous cette évolution, et seriez-vous prêt à changer de paradigme et à réduire votre dépendance au cinéma ?

M. Michel Savin. - Le Sénat a mené récemment une mission d'information sur la financiarisation du football professionnel. La clause de sortie incluse dans le contrat de DAZN, actuel détenteur des droits de la Ligue 1, génère une profonde incertitude quant à l'avenir du football français et à l'évolution de la valeur des droits audiovisuels. Canal+ ne s'est pas positionné pour obtenir ces droits : jugiez-vous le prix demandé trop élevé ? Votre groupe pourrait-il, à l'avenir, envisager de diffuser à nouveau les rencontres de Ligue 1 ?

Enfin, notre mission a formulé 35 recommandations. Nous souhaitons renforcer la lutte contre le piratage. Nous préconisons d'introduire une incompatibilité entre les fonctions de membre du conseil d'administration d'une Ligue professionnelle ou de sa société commerciale et la détention d'intérêts ou l'exercice de fonctions dans une entreprise de diffusion audiovisuelle. Nous proposons, par ailleurs, de faciliter l'attribution des droits à un diffuseur unique.

Quel regard portez-vous sur ces propositions ?

M. Maxime Saada. - La sortie de la TNT n'avait aucunement pour objectif un changement d'actionnariat. Je veille à maintenir une transparence constante sur notre stratégie ; toutefois mes déclarations ne sont pas toujours prises en considération. Lorsque nous avons annoncé vouloir couper TF1, nul ne nous en croyait capables. Pourtant, nous l'avons fait. De même, Disney a pu se croire incontournable. En réalité, Canal+ se passera de Disney car les conditions économiques proposées étaient hors de portée. Concernant la Ligue 1, nous avions également rendu publique notre décision, en amont de l'appel d'offres. Enfin, nous avons explicitement affirmé notre position lors de multiples auditions : en cas de retrait de C8, Canal+ quitterait la TNT payante. L'écosystème de la TNT de Canal+ ne fonctionnait que grâce aux revenus publicitaires générés par C8. En quittant ce mode de diffusion, nous faisons disparaître un certain nombre de contraintes. Nous avons ainsi tiré les conclusions de la décision de l'Arcom, que j'estime arbitraire. Devant les réactions que j'aperçois dans cette salle, je me tiens à l'écoute de toute explication de nature à éclairer les motifs formels de cette décision prise par l'Arcom. Par ailleurs, nous n'envisageons aucunement de vendre la chaîne CStar, dont nous sommes pleinement satisfaits, tout comme CNews.

Il convient toutefois de souligner le déclin progressif de la TNT dans de nombreux pays. Contrairement aux prévisions, la diffusion par satellite résiste grâce à sa couverture étendue et à ses coûts maîtrisés. La décision de l'Arcom ne fait qu'accélérer cette décroissance inexorable en supprimant une chaîne populaire, précipitant la désaffection des jeunes à l'égard de la télévision linéaire.

Il n'y a pas un autre pays au monde où une chaîne d'audience aussi significative que C8 soit ainsi supprimée, quoi qu'on pense de cette chaîne. En outre, sans préjuger de la pertinence des projets susceptibles d'émerger, leur positionnement actuel me semble voué à des audiences confidentielles. Or, la télévision fait déjà face à une concurrence féroce des plateformes comme TikTok et YouTube.

Les jeunes continueront-ils à regarder la télévision ? Quand on supprime une chaîne qui est très populaire, on se coupe de certaines populations qui ne regarderont plus la télévision. Je pense que l'Arcom a accéléré ce mouvement. S'agissant des répercussions fiscales, j'estime que notre retrait ne doit aucunement affecter notre TVA, dont je rappelle que le taux réduit est consubstantiel au financement du cinéma français depuis la création de Canal+. Ce taux est passé de 5,5 % à 7 % puis à 10 %. Certains considèrent aujourd'hui, au sein de l'administration fiscale, que nous serions redevables d'un taux à 20 %, au motif que nous opérerions comme une plateforme. Nous contestons cette approche : Canal+ constitue avant tout un ensemble de chaînes linéaires diffusant des événements en direct, du cinéma et des émissions de flux. L'essentiel de nos investissements porte sur le linéaire. Nos offres intégrant Netflix ou Paramount sont soumises à un taux de TVA de 20 %. Une application généralisée du taux plein entraînerait une charge supplémentaire de 200 millions d'euros pour un groupe qui demeure déficitaire en France. C'est d'ailleurs pourquoi le non-renouvellement de C8 nous conduit à licencier plus de 200 collaborateurs au sein du groupe. Nous ne sommes pas en mesure d'absorber un tel choc. Au total, cette décision affecte près de 700 emplois, directs et indirects, incluant les prestataires et intermittents.

Dans notre perspective de long terme, nous avons choisi le cinéma comme axe stratégique majeur de différenciation en France, en Europe et aux États-Unis. Pour la première fois depuis 1996, nous avons conclu des accords avec l'ensemble des studios hollywoodiens, nous permettant ainsi de diffuser, en France, les 100 premiers films du box-office 2023 dès 2024. Toutes les plateformes américaines ont choisi un régime « audiovisuel » et non un régime « cinéma ».

Notre accord avec Disney comportait trois composantes essentielles : la disponibilité des chaînes Disney sur la plateforme Canal+, la diffusion de films Disney en exclusivité sur Canal+ et un accord de distribution faisant de Canal+ le principal diffuseur de Disney+ en France. Après la rupture de ce contrat, Disney a choisi de basculer vers un régime « cinéma » pour pouvoir diffuser ses films plus tôt dans la chronologie des médias. Je ne vois aucune objection à ce que Disney contribue au financement du cinéma français à hauteur de 35 millions d'euros. C'est important, mais je ne parlerai pas d' « investissement massif », comme vous l'avez fait. C'est pourquoi je suis circonspect lorsque les organisations du cinéma évoquent la possibilité de faire bénéficier Disney de la même fenêtre de diffusion de 6 mois, pour un montant substantiellement inférieur à nos 220 millions d'euros. J'ai toujours été très explicite. Pendant des mois, nous étions prêts à signer avec les organisations pour plus d'un milliard d'euros. Elles ne l'ont pas souhaité. Aujourd'hui, il semblerait que Disney bénéficie finalement d'une fenêtre de 9 mois, tandis que le positionnement des autres plateformes reste incertain. Nous attendons simplement que les investissements consentis soient proportionnés aux fenêtres de diffusion accordées. Si Disney est à 9 mois pour 35 millions d'euros, Canal+ ne peut pas être à six mois pour 220 millions d'euros. Cette offre n'est plus sur la table.

De mon point de vue, notre accord actuel devra nécessairement être revu à la baisse. Aujourd'hui, les obligations de Canal+ s'élèvent à 100 millions d'euros. Elles sont calculées sur l'ensemble du chiffre d'affaires. Si Canal+ venait à scinder ses activités sport et cinéma - ce projet est à l'étude - cette assiette serait réduite et l'obligation pourrait mécaniquement tomber à 50 millions d'euros. Le choix est désormais entre les mains du cinéma français : conserver un modèle adossé à Canal+, avec un financement conséquent induisant une certaine dépendance ; ou s'en détacher, au risque de perdre 150 à 200 millions d'euros d'investissement. Quoi qu'il advienne, Canal+ saura s'adapter.

Concernant la Ligue 1, notre position est explicite : tant que le préjudice que Canal+ a subi ne sera pas compensé, nous ne reviendrons pas. Pour rappel, en 2021, 80 % des matchs ont été attribués à Amazon pour 250 millions d'euros, tandis que Canal+ devait s'acquitter de 332 millions d'euros pour seulement 20 % des rencontres. Nous avons contesté cette situation en justice et le dossier a été renvoyé devant la Cour d'appel.

Il faut d'abord remercier DAZN d'avoir consenti à investir dans la Ligue 1. Cependant, l'équation économique semble incertaine. Je ne pense pas que l'on soit au bout de l'histoire. Or, il n'existe aucune décision définitive chez Canal+. Nous nous adaptons. Si, aujourd'hui, la porte est fermée, il n'est pas exclu qu'elle puisse se rouvrir, en fonction des circonstances.

Concernant vos recommandations sur la financiarisation du football, je vois ce que vous visez, il est vrai qu'il y a des choses un peu étonnantes mais j'en ignore les détails. D'ailleurs, indépendamment des intérêts de Canal+, je tiens à vous féliciter. J'ai rarement vu un travail aussi rigoureux, juste et important pour le football français. Au-delà des mesures spécifiques évoquées, je soutiens la quasi-totalité de vos propositions.

Concernant les appels d'offres, à une époque, Canal+ détenait 100 % des droits de la Ligue 1, ce qui était perçu comme problématique. Pourtant, nous défendions l'idée que cette exclusivité garantissait des prix au plus bas. Si l'on supprime l'ensemble des verrous, nous risquons de nous retrouver avec des acteurs comme Mediapro, dont l'échec fut considérable. Il convient de veiller à ne pas reproduire les mêmes erreurs.

Nous avons toujours plaidé pour que les diffuseurs européens puissent conserver une part significative des droits, afin d'éviter qu'un acteur extraeuropéen ne monopolise l'ensemble du marché. Ce critère me semble fondamental dans l'attribution des droits, au-delà du cas spécifique de Canal+.

Mme Sylvie Robert. - Vous avez évoqué la possibilité de réduire de moitié votre investissement dans le cinéma français, si le nouvel équilibre ne vous convenait pas. Je comprends qu'il s'agit d'un rapport de force, néanmoins j'espère que l'engagement initialement annoncé, soit un milliard d'euros sur cinq ans, restera d'actualité.

Par ailleurs, votre objectif stratégique est-il de basculer vers un modèle de plateforme comme Netflix ou Amazon ? Souhaitez-vous abandonner la télévision ? Comment résister face à ces géants ? Le cas échéant, adopterez-vous un modèle d'abonnement similaire, avec une offre à prix moindre incluant de la publicité ?

Mme Sonia de La Provôté. - Vous êtes entrés en bourse à Londres et avez souligné la place croissante de l'anglais dans vos offres, concomitamment à l'essor de l'intelligence artificielle, dominée par le monde anglo-saxon.

Face à la montée d'un certain prêt-à-penser globalisé, le groupe Canal+ préservera-t-il son âme française dans ses choix stratégiques et éditoriaux ?

Mme Catherine Belrhiti. - Quels sont les impacts attendus de l'introduction du groupe à la Bourse de Londres sur son développement international ?

En quoi la création de la Fondation Canal+ illustre-t-elle votre engagement sociétal, notamment en matière d'accès à la culture, à l'éducation et à la diversité dans le paysage audiovisuel ?

Enfin, comment les partenariats avec Netflix et Paramount+ redéfinissent-ils le positionnement du groupe sur le marché, et influencent-ils l'expérience et la fidélisation de vos abonnés ?

Mme Laure Darcos. - La relation entre Canal+ et le cinéma a toujours été une belle histoire d'amour. À cet égard, je tiens à souligner que le refus des organisations syndicales du cinéma de reconduire l'accord relevait davantage d'une attente vis-à-vis des pouvoirs publics que d'un refus catégorique de signer avec vous.

Je souhaite également attirer votre attention sur un point : chaque année, nous oeuvrons ardemment pour préserver les crédits d'impôt destinés au cinéma. De son côté, Canal+ a toujours su préserver un équilibre avec les autres acteurs culturels, sans recourir à des arbitrages législatifs.

Je vous encourage vivement à maintenir ce formidable modèle, que le monde nous envie.

Mme Monique de Marco. - Canal+ a été précurseur et a contribué à entretenir la cinéphilie des Français. Vous avez déclaré dans Le Figaro : « La taxe que nous versons au CNC a augmenté de plusieurs dizaines de millions d'euros. Au même moment, le régulateur a choisi d'écarter C8 de la TNT ». Or, il n'y a à mon sens aucune correspondance logique entre ces deux constats. Il me semble important de rappeler qu'un soutien au financement du cinéma ne saurait ni justifier une exemption des obligations légales ni empêcher des sanctions en cas de manquement.

En revanche, je partage votre constat sur les insuffisances du cadre juridique actuel, qui place Canal+ en situation de concurrence inégale face aux plateformes étrangères. L'opacité sur les données de visionnage de ces plateformes bloque également d'autres dossiers comme la rémunération des auteurs dont les oeuvres sont utilisées par l'intelligence artificielle.

Enfin, nous avons été récemment sollicités par les professionnels du doublage, préoccupés par l'impact de l'IA sur leur métier. Quelle est la position du groupe Canal+ à cet égard ?

M. Jacques Grosperrin. - Vous avez dit que le sport était partie intégrante de votre culture. Michel Savin a abordé la question. La consommation sportive a changé, notamment celle des jeunes. Le sport a-t-il encore un avenir à la télévision ?

Par ailleurs, quelle est votre vision de l'avenir des filières cinématographiques, alors que les plateformes proposent des contenus toujours plus qualitatifs ?

M. Stéphane Piednoir. - Vous avez évoqué les droits sportifs. Avec l'essor du rugby et la nouvelle formule de la Ligue des Champions, court-on le risque d'une nouvelle flambée des prix ?

En outre, pourriez-vous préciser les déséquilibres réglementaires que vous évoquiez, afin que nous puissions approfondir ce sujet ? Je pense notamment aux réglementations touchant les acteurs français qui ne s'imposeraient pas aux autres acteurs.

M. Max Brisson. - Je souligne la cohérence de votre vision et la force de votre développement. Vous avez annoncé la disparition progressive de la TNT, tout en estimant que certaines décisions ont pu l'accélérer. Or, au Sénat, nous sommes particulièrement vigilants à toute forme de fracture territoriale. Nous souhaitons une télévision pour tous les territoires et pour tous les publics. Vous avez indiqué ne pas comprendre la décision de l'Arcom. Puisque cette audition est filmée, je renouvelle ici une demande à l'attention de l'Arcom et de son nouveau président : peut-il enfin nous fournir une explication crédible sur l'exclusion de C8 ?

M. Adel Ziane. - Sur le sport, vous avez fait un pari sur le top 14. Le rugby français connaît aujourd'hui un développement important. Pourriez-vous préciser les conditions nécessaires à votre éventuel retour en tant que diffuseur de la Ligue 1 ? Quel est l'impact pour Canal+ de la perte d'une affiche hebdomadaire ?

Par ailleurs, vous exprimez votre incompréhension quant à la suppression de C8. Toutefois je tiens à rappeler que l'Arcom a motivé sa décision par des manquements répétés, incluant des humiliations publiques, des propos sexistes, ou encore des agressions en plateau. Il est important que ce débat repose sur ces éléments factuels.

M. Laurent Lafon, président. - La presse se fait l'écho d'un possible transfert de Cyril Hanouna sur M6. Menez-vous des discussions avec l'animateur pour qu'il reste dans le groupe Canal+ ?

M. Maxime Saada. - Nous avons tout mis en oeuvre pour éviter le rapport de force que vous évoquez, en proposant en amont un renouvellement de l'accord. Il semblait parfaitement envisageable de signer pour trois ans avec une prolongation possible si les conditions le permettaient. Force est de constater que les organisations du cinéma ne se sont pas précipitées pour signer.

Toute réduction de notre investissement est perçue comme une menace, alors qu'il s'agit simplement de tenir compte des nouvelles réalités du marché. En un temps éclair, Disney pourrait obtenir une fenêtre à 6 mois pour 38 millions d'euros en moyenne, alors que Canal+ a mis 10 ans pour passer de 12 à 6 mois ! Ce déséquilibre remet en cause la relation de long terme que nous avons construite, à l'instar de notre histoire avec la Ligue 1.

Notre partenariat avec le rugby fait figure de modèle. Les acteurs du rugby sont infiniment plus intelligents que ceux du football. La Ligue nationale de rugby (LNR) est en réflexion constante sur la valeur de son produit. Nous échangeons régulièrement avec ses dirigeants pour optimiser la valeur de celui-ci. Nous avons, par exemple, adapté les horaires de diffusion pour que les stades retrouvent un équilibre économique plus satisfaisant. Malgré la faiblesse de la concurrence, nous avons augmenté notre contribution car nous savons que cet argent va être réinvesti pour que le spectacle soit plus attractif. Cette approche a permis un investissement vertueux de Canal+ jusqu'en 2032.

Ensuite, notre ambition n'est pas de devenir une plateforme standardisée. Nous avons toujours privilégié un modèle hybride et tenons à renouveler notre engagement pour le cinéma français et européen. Peut-on assurer la viabilité de ce modèle malgré l'arrivée de Disney avec une fenêtre de 9 mois ? Peut-être. Nos équipes passionnées restent profondément attachées à défendre une offre culturelle française puissante. Le rayonnement du cinéma français est unique et, à ce titre, les crédits d'impôt s'avèrent effectivement déterminants. Par ailleurs, je ne remets pas en cause le rôle du CNC. Toutefois, l'élargissement de l'assiette de la contribution, entraînant pour Canal+ un surcoût de 30 millions d'euros, nous a semblé excessif.

Nous demeurons particulièrement attentifs au montant de l'abonnement. Les plateformes américaines, captant des parts de marché à prix réduit avant d'augmenter progressivement leurs tarifs, devraient vraisemblablement atteindre nos prix. La vision de Netflix est exceptionnelle : il s'agit de se substituer à la télévision. Canal+ suit une trajectoire inverse, en termes de prix de l'abonnement, en passant de 30 euros à 19,90 euros, et en proposant des offres spécifiques pour les jeunes.

L'accès à la culture incarne le coeur de mission de notre Fondation. Nous finançons par exemple un formidable projet de cinéma itinérant, permettant de projeter des films dans les villages éloignés des salles.

Pour se développer à l'international, Canal+ doit renforcer son offre en anglais, sans pour autant sacrifier la culture et les oeuvres françaises. Nous restons fermement attachés à notre singularité. À cet égard, nous contestons l'approche malthusienne de certains analystes du secteur cinématographique, et continuerons à soutenir la diversité du cinéma français.

L'entrée en bourse vise à accélérer notre développement international en permettant des acquisitions via des actions plutôt qu'en numéraire. Cette stratégie s'inscrit également dans la stratégie de rayonnement international de Canal+, suscitant l'intérêt croissant des investisseurs américains et anglo-saxons pour notre capital.

L'IA n'incarne « ni Dieu ni diable ». Elle offre des possibilités prodigieuses, notamment pour l'expérience utilisateur et la gestion de nos plateformes. Toutefois, son usage excessif présenterait un risque pour la création et les métiers du secteur, notamment le doublage. Il semble essentiel de l'encadrer tout en l'utilisant à bon escient. Ce que l'IA est déjà capable de faire aujourd'hui est à la fois impressionnant et terrifiant. Nous l'utilisons dans nos moteurs de recherche et de recommandations, ainsi qu'en matière technologique. Canal+ est présent sur des centaines d'équipements. L'IA constitue une grande aide pour répondre à cette problématique.

Nous poursuivons les discussions avec Cyril Hanouna. Un rapprochement avec un autre groupe audiovisuel est évoqué, cependant aucune décision définitive n'a été arrêtée.

Pour terminer, je tiens à souligner que votre enceinte représente un espace unique, éminemment propice aux débats sur le long terme, concernant l'avenir de la filière audiovisuelle, le piratage ou encore les droits sportifs. C'est un honneur et un plaisir de venir échanger avec vous.

M. Laurent Lafon, président. - Merci Monsieur le Président pour cet échange franc et approfondi, qui s'inscrit dans la continuité de nos discussions habituelles.

Cette réunion a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 10 h 55.