Mercredi 5 février 2025

- Présidence de M. Laurent Lafon, président -

La réunion est ouverte à 9 h 30.

La situation des musées - Audition de MM. Emmanuel Kasarhérou, président de l'Établissement public du musée du quai Branly - Jacques Chirac, Kim Pham, administrateur général de l'Établissement public du musée du Louvre, Mme Julia Beurton, administratrice générale de l'Établissement public du musée d'Orsay et du musée de l'Orangerie - Valéry Giscard d'Estaing, et M. Christophe Chauffour, directeur général délégué de la Réunion des musées nationaux et du Grand Palais

M. Laurent Lafon, président. - Mes chers collègues,

Nous avons le plaisir d'accueillir ce matin les représentants de quatre de nos grands musées nationaux :

- M. Emmanuel Kasarhérou, président de l'Établissement public du musée du quai Branly-Jacques Chirac accompagné de M. Jérôme Bastianelli, directeur général délégué;

- Mme Julia Beurton, administratrice générale de l'Établissement public du musée d'Orsay et du musée de l'Orangerie-Valéry Giscard d'Estaing ;

- M. Christophe Chauffour, directeur général délégué de la Réunion des musées nationaux et du Grand Palais ;

- M. Kim Pham, administrateur général de l'Établissement public du musée du Louvre.

Notre commission n'avait pas eu l'occasion d'entendre les grands opérateurs muséaux depuis plusieurs années. Nous sommes donc très heureux d'échanger aujourd'hui avec vous sur la situation et les perspectives des musées nationaux, qui constituent une composante majeure de la politique culturelle de notre pays.

Par un hasard du calendrier, cette audition se tient alors que la question de l'état et de l'entretien des infrastructures muséales se trouve depuis quelques jours au coeur de l'actualité. Je fais bien entendu référence aux éléments relayés par la presse quant aux alertes répétées de Laurence des Cars, présidente-directrice de l'établissement public du Louvre, sur la vétusté de ce musée emblématique et la dégradation des conditions d'accueil de ses visiteurs.

En réponse à cette interpellation, le président de la République a présenté le 28 janvier un plan de rénovation visant à une « Nouvelle Renaissance du Louvre ».

Ce plan prévoit la création, à l'horizon 2031, d'une nouvelle entrée sur la façade orientale du bâtiment et le déplacement de la Joconde dans un espace autonome et accessible avec un titre d'accès dédié.

Le coût total de ces aménagements est évalué à 800 millions d'euros, financés de manière très minoritaire par l'État. Leur mise en oeuvre reposerait donc sur un développement d'ampleur des ressources propres du musée, à travers la mise en place d'une tarification différenciée pour les visiteurs extra-européens, l'accroissement du nombre de visiteurs accueillis dans des proportions considérables (avec une cible à 12 millions contre 9 aujourd'hui), la poursuite de la politique de licence et le développement du mécénat.

Nous souhaitons donc en premier lieu recueillir l'appréciation du musée du Louvre sur le contenu de ce plan et les modalités proposées pour son financement.

Cette proposition est-elle de nature à répondre aux différents points soulevés par la présidente de l'établissement, notamment en ce qui concerne la vétusté des installations ? Les cibles fixées pour le développement de la fréquentation et des ressources propres vous paraissent-elles atteignables ?

Au-delà de ces questions propres au Louvre, cette audition est également l'occasion de faire un point plus général sur l'état des infrastructures des différents établissements que vous représentez, les mesures mises en oeuvre pour assurer leur entretien, et les travaux, donc les investissements, qui vous paraissent aujourd'hui nécessaires. Je pense notamment aux importants aménagements prévus jusqu'en 2027 au musée d'Orsay, ou encore à l'impressionnante phase de travaux qui vient de s'achever au Grand Palais.

Sur ce sujet des infrastructures, nous souhaitons également vous entendre sur les mesures visant à assurer l'accessibilité de vos collections aux personnes handicapées.

Comme vous le savez, le sujet du handicap est un thème cher au Sénat, qui organisera, la semaine prochaine, un colloque pour les vingt ans de la loi de 2005. En tant qu'établissements recevant du public (ERP), vous êtes bien entendu concernés par l'obligation d'accessibilité des locaux prévue par cette loi ; à l'occasion de cet anniversaire, nous souhaitons connaître l'état de mise en oeuvre de cette obligation dans vos établissements, ainsi que les obstacles auxquels vous faites face pour y satisfaire.

Le deuxième thème que nous souhaitons aborder est celui des restitutions d'oeuvres d'art. Notre commission travaille de longue date sur ce sujet et, à l'initiative de mes collègues Catherine Morin-Desailly, Max Brisson et Pierre Ouzoulias, a adopté un rapport d'information et plusieurs textes législatifs relatifs au retour de biens culturels dans leur territoire d'origine. Avec plusieurs commissaires, j'ai récemment déposé une proposition de loi visant à la restitution à la République de Côte d'Ivoire du tambour « Djidji Ayôkwé », aujourd'hui entreposé au musée du Quai Branly.

Alors que nous sommes toujours dans l'attente d'un cadre législatif général sur cette question, ces questions se posent sans doute avec acuité dans la gestion quotidienne de certaines de vos collections. Nous aimerions donc recueillir vos témoignages sur la manière dont vous vous saisissez de ces enjeux, sur les échanges et les coopérations que vous avez sans doute déjà mis en place avec certains de vos homologues à l'étranger, ou encore sur le travail d'inventaire que vous avez lancé au sein de vos établissements.

Il nous serait également précieux de connaître vos attentes et vos observations quant au processus de déclassement qui pourrait un jour être mis en place dans la loi.

Monsieur le président, Messieurs les directeurs généraux, Madame et Monsieur les administrateurs, vous avez la parole pour un propos liminaire de quelques minutes puis je passerai la parole à mes collègues, et notamment à notre rapporteur pour les Patrimoines, Sabine Drexler.

Enfin, je vous rappelle que cette audition est captée et diffusée en direct sur le site internet du Sénat.

M. Emmanuel Kasarhérou, président de l'Établissement public du musée du quai Branly-Jacques Chirac. - Je suis très heureux d'être parmi vous et de répondre à vos questions. Le musée du Quai Branly est né en 1998 de la volonté de réunir et de réinterpréter les collections autrefois appelées ethnologiques ou même coloniales des musées nationaux. Il a la particularité d'être placé sous la double tutelle du ministère de la Culture et du ministère de la Recherche et de l'Enseignement supérieur. Il se consacre donc à la gestion, la valorisation et l'étude des collections, ainsi qu'à la recherche.

Le musée dispose de 9 000 m² d'exposition au Quai Branly et de 100 m² au Louvre. Nous célébrons cette année les 25 ans de l'ouverture de la galerie au Louvre, et dans deux ans nous fêterons les 20 ans de l'ouverture du musée du Quai Branly.

La question de l'accessibilité aux personnes handicapées de ce musée du XXIe siècle a été intégrée dès sa conception. Nous détenons le label Tourisme et Handicap et nous candidatons cette année au label Diversité.

Nous avons renforcé notre capacité de réponse et d'investigation concernant les restitutions en allouant en 2020, par redéploiement, deux postes à cette thématique. Actuellement, trois personnels à temps plein et un personnel hors plafond d'emploi, financé grâce au Fonds de recherche de provenance franco-allemand mis en place par Mme Rima Abdul Malak il y a deux ans, travaillent sur ces questions.

Nous identifions à ce titre deux catégories d'objets, par application de deux critères établis en 2019 : les objets saisis par violence lors d'opérations militaires et ceux saisis par contrainte administrative. Les restitutions en 2021 de 26 objets à la République du Bénin résultent de l'application du premier critère, tandis que le travail sur le tambour de Côte d'Ivoire correspond au second. Nous étendons nos investigations au-delà des demandes explicites de six pays africains depuis 2020, couvrant l'ensemble de nos 290 000 objets provenant de quatre continents.

M. Kim Pham, administrateur général de l'Établissement public du musée du Louvre. - Je vous remercie, M. le président, pour votre introduction qui pose les différentes problématiques auxquelles nos établissements se trouvent confrontés.

Un diagnostic récent révèle des problèmes importants sur les bâtiments et équipements du Louvre. Le projet du Grand Louvre, conçu à la fin des années quatre-vingt et ouvert au début des années quatre-vingt-dix, a négligé certaines parties du Palais, notamment le quadrilatère Sully correspondant aux bâtiments situés autour de la Cour carrée, côté Est.

Par ailleurs, les équipements datant du début des années quatre-vingt-dix sont aujourd'hui obsolètes, ce qui est cause de fréquents incidents. C'est pourquoi il nous semble absolument nécessaire de lancer des schémas directeurs thématiques, qui pourront être fédérés dans un schéma général, pour la sûreté, l'électricité, le chauffage et la climatisation, les huisseries, etc., dans le cadre d'un plan climat respectueux du développement durable - puisqu'il nous faut, dans ce bâtiment ancien qui a traversé les siècles, gérer les problèmes de température et d'hygrométrie pour les oeuvres.

Cependant, une simple mise à jour des installations ne suffira pas. Si nous optons pour cette solution, nous serons confrontés aux mêmes problèmes à peu près tous les quinze ans et, en l'absence de résolution structurelle des problèmes, devrons relancer de nouveaux schémas directeurs. C'est pourquoi la présidente du Louvre réfléchit, en lien avec la ministre de la Culture et le président de la République, à une révision structurelle de notre approche des publics et de la présentation de nos collections. Cette réflexion inclut la création d'une nouvelle entrée côté Est, face à la colonnade de Perrault et Le Vau - magnifique acte architectural du XVIIe siècle -, et de nouveaux espaces sous la Cour carrée.

Ce projet vise à rééquilibrer les flux de visiteurs, en mettant fin au dogme de l'entrée unique sous la pyramide. La chance que nous avons d'exposer la Joconde se traduit par aussi une difficulté dans le traitement des flux de visiteurs, puisque plus de 80 % d'entre eux veulent voir ce tableau. Un rééquilibrage des flux entre les parties Est et Ouest de nos bâtiments, qui pourrait passer par une nouvelle localisation de la Joconde dans les espaces créés sous la Cour carrée, nous permettrait également de mieux présenter la diversité de nos collections, dont des pans entiers sont peu visités. Par exemple, nos concitoyens découvrent peu la peinture française, exposée à l'extrême Est de nos bâtiments.

Une nouvelle entrée orientale s'insérerait enfin de manière complémentaire dans la ville et permettrait une meilleure ouverture du musée au public de proximité parisien et francilien - même si le Louvre s'adresse à la totalité des visiteurs de l'Hexagone, et mène une politique de coopération régionale très forte.

Le financement de ce projet proviendra de trois sources : la licence de marque du Louvre Abu Dhabi, le mécénat international, et une contribution des finances publiques pour les schémas directeurs techniques. Une tarification différenciée pour les visiteurs non-européens sera également mise en place à l'horizon 2026.

Mme Julia Beurton, administratrice générale de l'Établissement public du musée d'Orsay et du musée de l'Orangerie-Valéry Giscard d'Estaing. - Je vous prie de bien vouloir excuser l'absence de notre président Sylvain Amic, qui est en déplacement à l'étranger.

Les musées d'Orsay et de l'Orangerie connaissent une forte dynamique. En 2023, nous avons accueilli plus de 5,1 millions de visiteurs, après 4,9 millions en 2024, dont 1,2 million à L'Orangerie et 3,7 millions à Orsay.

En 2025, nous entreprendrons d'importants travaux. L'Orangerie est actuellement fermée pour cinq semaines et rouvrira début mars. Nous y dissocions les flux d'entrée et de sortie pour améliorer l'accueil des visiteurs, dont le nombre a doublé en vingt ans. Ces travaux se poursuivront pendant 6 mois en site ouvert, avec la création d'une sortie par une passerelle du côté du Jardin des Tuileries. Ils permettront de fluidifier l'accueil des visiteurs et de désengorger les fonctions de vestiaire, de comptoir d'information et d'audioguides.

À Orsay, des travaux similaires débuteront fin 2025 et se poursuivront jusqu'à mi-2028, en site ouvert. Le musée accueillera des visiteurs pendant toute cette période. Nous créerons une sortie côté Seine pour fluidifier l'accueil et réduire les temps d'attente. Notre objectif n'est pas d'augmenter la fréquentation, mais d'améliorer les conditions d'accueil des visiteurs. Ces travaux visent à désengorger l'entrée en déplaçant la librairie et la boutique côté quai de Seine. Nous en profitons également pour renforcer notre démarche environnementale. Le parvis d'accès sera entièrement rénové pour résoudre les problèmes d'étanchéité qui causent des inondations dans nos sous-sols, notamment dans notre auditorium, et dans ceux de la gare SNCF voisine. La marquise, classée monument historique, sera intégralement refaite pour améliorer sa performance énergétique.

Ces travaux, d'un montant de 30 millions d'euros, dureront trois ans et seront financés par un mécénat exclusif de 20 millions d'euros du groupe LVMH et 10 millions d'euros provenant des fonds propres de l'établissement. Même si l'accueil des visiteurs sera temporairement perturbé, l'objectif est d'offrir de meilleures conditions à long terme.

En 2025, nous lancerons également la réhabilitation de l'hôtel particulier de Mailly-Nesle, quai Voltaire, à quelques mètres du musée d'Orsay, qui abritera notre centre de ressources et de recherche Daniel Marchesseau, nom du principal mécène de l'opération. Ce centre regroupera l'ensemble de nos ressources documentaires, y compris la bibliothèque, ainsi que les archives privées d'artistes et de collectionneurs. Il sera accessible gratuitement aux chercheurs, avec des horaires et des capacités d'accueil élargis, et projettera Orsay dans un nouvel âge de la recherche au bénéfice de la communauté nationale et internationale. Ce projet, d'un coût de 30 millions d'euros, est financé par 20 millions de mécénat et 10 millions de fonds propres, pour une livraison prévue en 2027.

La stratégie territoriale est un axe majeur du projet sur la base duquel Sylvain Amic a été nommé par la ministre de la Culture et le président de la République. Nous renforçons notre généreuse politique de prêts et de coopérations avec les musées régionaux, notamment à travers des formats itinérants. Nous venons de lancer l'opération « 100 oeuvres qui racontent le climat », proposant chaque année 100 oeuvres en prêt aux musées régionaux autour d'un thème spécifique. Les musées régionaux peuvent ainsi se saisir de cette thématique et proposer leurs propres expositions en résonance avec leurs collections. Une trentaine d'expositions ouvriront partout en France mi-mars.

En 2026, nous déploierons un camion itinérant pour atteindre les territoires ruraux les plus éloignés des musées, dans le cadre du plan ruralité porté par le ministre de la Culture.

Nous développons également des actions d'éducation artistique et culturelle au long cours. Actuellement, nous accueillons chaque semaine deux classes de l'académie de Limoges pour un séjour de trois jours à Orsay et à l'Orangerie, avec la prise en charge de l'hébergement et du transport grâce à un mécénat de la Société Générale. Cela nous permet de travailler toute l'année avec ces classes autour d'un projet, en l'occurrence autour des affiches puisque notre prochaine exposition, qui ouvrira au printemps, portera sur l'art de l'affiche. Le travail des élèves sera restitué à Orsay par une exposition en juin prochain. Ce programme sera reconduit dans d'autres académies les années suivantes puisque nous bénéficions d'un mécénat sur trois ans.

Il nous semble particulièrement important, dans le cadre de notre mission de service public, de nous investir à destination des publics français qui sont moins en contact avec la culture.

M. Christophe Chauffour, directeur général délégué de la Réunion des musées nationaux et du Grand Palais. - La Réunion des musées nationaux - Grand Palais (RMN-GP) est un établissement public industriel et commercial et non administratif comme les autres établissements, financé à 80 % par ses ressources propres. Ces ressources proviennent principalement des recettes des librairies et boutiques que nous gérons. Nous sommes leaders dans ce domaine, remportant de nombreux appels d'offres, notamment pour le Louvre, l'Orangerie, le Musée de l'Armée, le Conseil constitutionnel, le Hangar Y, ou le musée des Beaux-arts de Lyon. Nous imaginons aussi de nouveaux formats, comme le café-librairie de l'Orangerie.

Notre chiffre d'affaires s'élève à 120 millions d'euros, mais notre modèle économique basé sur les ressources propres nous oblige à rester vigilants pour assurer la pérennité de l'établissement.

En 2024, nos résultats ont été bons, notamment en termes de fréquentation, avec le début de la réouverture du Grand Palais. Nous avons réussi à ouvrir à temps pour les épreuves d'escrime et de taekwondo des Jeux Olympiques et Paralympiques. La réouverture progressive sera poursuivie jusqu'en juin. Actuellement, seule la nef est accessible, avec des expositions très populaires comme celles de Chiharu Shiota et Dolce & Gabbana. Ces expositions sont aujourd'hui complètes et nous avons décidé d'élargir leurs horaires d'ouverture.

La réouverture complète comprendra diverses expositions et l'accès au bâtiment pour tous les publics. Nous avons également établi un partenariat avec le Centre Pompidou pour coproduire des expositions et accueillir une partie de leurs agents ; une convention-cadre de cinq ans a été validée par nos deux conseils d'administration et signée par nos présidents en présence du ministère de la Culture. Nous accueillerons également le Palais de la Découverte, en travaux jusqu'à fin 2026, et nous organiserons une exposition avec le Mobilier National. Le Grand Palais renoue ainsi avec son histoire d'accueil de grands événements et de grandes expositions, dans la lignée des Galeries nationales créées par André Malraux.

Un autre enjeu pour 2025 est de respecter les engagements que nous avons pris avec les institutions culturelles publiques et privées. Nous gérons par exemple la boutique de la Fondation Louis Vuitton, et nous mettons notre expertise au service d'autres acteurs culturels en France et à l'étranger, à travers nos différents métiers.

Nous avons également l'ambition de renforcer notre présence dans les territoires, notamment via les 16 musées nationaux que nous gérons pour le compte du ministère de la Culture. Nous développons ces sites, comme le Musée national de la préhistoire des Eyzies, dont la fréquentation a augmenté à plus de 80 000 visiteurs. Nous étudions également des partenariats avec le Centre des monuments nationaux (CMN) et le Muséum national d'Histoire naturelle.

À la demande du ministère de la Culture, nous publierons l'année prochaine un guide des musées dans les territoires ruraux.

Le chantier du Grand Palais, dont le coût est d'environ 500 millions d'euros, a été financé par un emprunt de 150 millions d'euros à rembourser sur 25 ans, soit une annuité de 9 à 10 millions d'euros à verser dès 2025, ce qui nous oblige à trouver un modèle économique viable. Nous disposons de 160 millions provenant du programme d'investissements d'avenir (PIA), et de 25 millions d'euros du mécénat exclusif de la Maison Chanel. L'État ayant repris 25 millions sur notre budget, ce mécénat ne nous a cependant pas permis d'améliorer nos ressources propres.

Mme Sabine Drexler - Notre président a évoqué la question des restitutions, donc des sorties d'oeuvres d'art des collections publiques ; je souhaiterais pour ma part évoquer le mouvement inverse, c'est-à-dire les conditions de l'entrée des oeuvres d'art dans les collections des grands musées.

Dans l'avis rendu par notre commission sur le budget des patrimoines dans le projet de loi de finances pour 2025, nous avons souligné la faiblesse des crédits dédiés aux acquisitions des collections publiques, qui restent stables autour de 10 millions d'euros depuis 2017, tandis que les prix s'envolent sur le marché de l'art. Les acquisitions faites par vos établissements sont en conséquence principalement assurées par la mobilisation de sources de financement non budgétaires, qui ne sont pas toujours stables d'une année sur l'autre.

Pourriez-vous nous donner quelques précisions sur la manière dont vous conciliez la modestie de ces crédits avec le besoin de renouvellement et d'enrichissement de vos collections ?

Ce sujet me conduit à aborder, de manière plus générale, la question de la diversification de vos recettes dans le contexte général de contraction des crédits budgétaires.

Les dernières annonces de la ministre et du président de la République sur la montée en puissance des ressources propres ont principalement porté sur le musée du Louvre. Qu'en est-il des autres établissements ? Jugez-vous également souhaitable la mise en place d'une politique tarifaire différenciée et le développement d'une stratégie de licence ? Quelle place faites-vous au mécénat, notamment au mécénat d'entreprise, dans la consolidation de vos financements ? Les outils fiscaux qui existent vous paraissent-ils adaptés ?

Enfin, puisque le Sénat est la chambre des territoires, je m'interroge sur la circulation des oeuvres souvent emblématiques de vos établissements au sein des musées de notre pays. Quelle est votre approche sur ce point ? Pourriez-vous nous donner des précisions sur les projets de coopération muséale que vous avez ou que vous pourriez mettre en oeuvre ? Cette dernière question s'adresse particulièrement au Louvre et au Musée du Quai Branly-Jacques Chirac puisque Mme Beurton et M. Chauffour y ont déjà répondu.

M. Emmanuel Kasarhérou. - Concernant l'enrichissement des collections, nous bénéficions des procédures de dation pour faire face à des montants importants. Nous recherchons également des acquisitions dans des secteurs moins sollicités par le marché, notamment dans l'art des XXe et XXIe siècle.

Pour la politique tarifaire différenciée, notre structure de public est particulière : nous accueillons 80 % de visiteurs français ou européens et 20 % de visiteurs internationaux. Une telle politique serait donc difficile à mettre en oeuvre car nous cherchons à augmenter la part du public étranger.

Concernant le mécénat, nous rencontrons des difficultés spécifiques liées à la nature de nos collections. Certains mécènes sont frileux en raison des questions de représentation, de légitimité et de risque culturel. Nos ambitions dans ce domaine restent donc modestes.

Nous travaillons depuis longtemps avec les territoires, principalement en Île-de-France. Nous avons des partenariats pluriannuels avec des communes comme La Courneuve et La Garenne-Colombes, ce qui nous permet de construire des projets adaptés à leurs attentes. Nous prêtons également des collections à d'autres villes comme Le Mans. Récemment, Argentat-sur-Dordogne nous a contactés pour un partenariat similaire à ceux mis en place en région parisienne.

M. Jérôme Bastianelli, directeur général délégué de l'Établissement public du musée du quai Branly-Jacques Chirac. - Concernant les acquisitions, nous bénéficions d'une double subvention fléchée de nos deux ministères de tutelle, le ministère de Culture et celui de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, représentant un peu plus de 500 000 euros. Nous complétons ce montant sur notre propre budget pour atteindre environ 1,3 million d'euros par an, sur un budget total de l'établissement de 60 millions d'euros. Cela nous permet d'intervenir sur le marché de l'art, comme lors de la vente Barbier-Mueller chez Christie's où nous avons fait quatre préemptions importantes.

Le mécénat génère environ 1,3 million d'euros de ressources propres, et les locations d'espaces 1,7 million. Nous avons dépassé les niveaux pré-Covid, mais nous approchons d'une asymptote, notamment pour les locations d'espaces, car nous devons aussi les utiliser pour des colloques scientifiques et des spectacles. Nous devons parfois arbitrer entre la génération de ressources propres et notre politique culturelle.

M. Kim Pham. - Concernant les acquisitions, nous disposons d'outils financiers adéquats. Notre décret statutaire de 1992 prévoit que 20 % de nos recettes de billetterie sont dédiées aux acquisitions, une idée qui remonte à la création du musée en 1793. Pour les grandes acquisitions, nous comptons sur le mécénat individuel et le mécénat d'entreprises, soutenu par des dispositifs fiscaux pertinents qui doivent être défendus. La procédure des trésors nationaux et les avantages fiscaux du mécénat classique sont particulièrement efficaces. Ces mécanismes nous ont permis d'acquérir récemment « La Dérision du Christ » de Cimabue et « Le Panier de Fraises » de Chardin, face à la concurrence de musées américains aux moyens considérables. Nous encourageons également le mécénat populaire, comme l'opération « Tous mécènes » pour le Chardin. C'est une opération que nous rééditons au moins une année sur deux, qui a montré, pour « Le Panier de Fraises », l'attachement des Français aux oeuvres essentielles de l'histoire de l'art.

Le Louvre est très actif en régions. Le Louvre Lens, qui nous permet d'atteindre un public très large et de présenter une partie importante de nos collections, est une très grande réussite, mais notre coopération s'étend à l'ensemble des territoires. Comme l'a rappelé le président de la République dans son discours il y a quelques jours, nous avons 35 000 oeuvres en dépôt sur le territoire français, soit autant que dans le Palais. Un dispositif numérique sur notre site internet permet de localiser ces dépôts dans chaque département.

Nous collaborons sur des projets muséographiques et des expositions avec La Réunion, Nancy, Strasbourg. Nous participons également à la préparation des travaux et à la réouverture de musées en région à Nantes, Montauban, Amiens, Besançon, Dijon ou Montargis.

Mme Julia Beurton. - Nous disposons d'un dispositif similaire à celui du Louvre puisque 16 % de nos recettes de billetterie sont allouées aux acquisitions. En 2024, cela représentait 4,5 millions d'euros. Ce budget est significatif mais reste insuffisant face aux prix des grandes oeuvres impressionnistes. Nous comptons donc sur le dispositif des trésors nationaux et les dations. Il est crucial de défendre et de garantir la stabilité de ces mécanismes. Nos acquisitions majeures récentes, comme « La Partie de bateaux » de Caillebotte en 2023, ont été réalisées grâce au dispositif de trésor national. Des dations importantes sont également en cours pour des oeuvres de grande valeur artistique et financière.

Le budget d'Orsay est financé environ aux deux tiers par des ressources propres, comprenant la billetterie, le mécénat, la location d'espaces, les concessions, les éditions et les licences de marque. Cette part est en croissance et nous préparons une stratégie offensive pour la période 2025-2030. Cette approche permet aux musées régionaux, qui ont moins de capacités dans ce domaine, de bénéficier davantage des financements publics.

Concernant les outils fiscaux, notamment pour le mécénat, j'insiste sur le caractère crucial de leur stabilité. Les entreprises ont besoin de confiance et de continuité.

M. Christophe Chauffour. - Notre statut nous interdit d'acquérir des oeuvres, mais nous gérons à travers notre département des acquisitions celles des musées nationaux sans personnalité juridique et nous contribuons aux acquisitions du Louvre et d'Orsay. Nous avons été créés pour cette mission en 1895 à partir de la vente des bijoux de la couronne.

Nos ressources propres représentent plus de 80 % de notre budget, avec 64 millions d'euros provenant des librairies et des boutiques, 20 millions de la location d'espaces et des événements au Grand Palais, et 4 millions de notre maison d'édition. Nous avons développé ces activités pendant la fermeture du Grand Palais et nous comptons les maintenir malgré sa réouverture.

Nous avons également créé un fonds de dotation l'année dernière pour des partenariats à long terme, notamment avec des mécènes comme la Maison Chanel. Nous bénéficions actuellement de l'effet des Jeux Olympiques, puisque le Grand Palais était un site phare, ce qui génère de nombreuses sollicitations pour des événements et du mécénat.

M. Adel Ziane. - Il est important de prendre en compte la situation des musées en région, qui ne bénéficient pas du même soutien financier que les grandes institutions parisiennes. Le financement du ministère de la Culture pour les musées régionaux s'élève à 35 millions d'euros.

J'avais proposé un amendement pour augmenter les crédits d'acquisition des musées, qui a été rejeté par le rapporteur et par la ministre. Nous devrions réfléchir davantage au sein de notre commission à l'aide à apporter aux musées régionaux qui rencontrent des difficultés, malgré la circulation des oeuvres.

Je salue le succès du musée du Quai Branly-Jacques Chirac dans l'ouverture de notre regard sur des civilisations et les cultures méconnues. Vous avez mentionné l'importance de la co-construction sur les collections et leur légitimité, ce qui résonne avec le débat sur les demandes de restitution d'oeuvres d'art. Je note également que la première exposition du musée du Quai Branly au Louvre Abu Dhabi porte sur « Rois et Reines d'Afrique, Formes et Figures du Pouvoir ». Pouvez-vous nous présenter un état des lieux de la coopération engagée avec les pays d'origine pour les restitutions d'oeuvres d'art ?

Pouvez-vous également nous informer sur la coopération avec le Louvre Abu Dhabi, notamment en ce qui concerne le fonctionnement de l'accord intergouvernemental, dont vous faites partie au sein de France Muséum, et l'enrichissement des collections, qui était un enjeu majeur pour passer de 300 oeuvres à l'ouverture à plus de 1000 au bout de quelques années ?

Concernant l'éducation artistique et culturelle, dans une période où les faits scientifiques, le rôle de la science et de la recherche, l'avis des experts, qui sont les ferments de la rationalité de notre culture et de notre civilisation, sont remis en cause au quotidien par un relativisme des opinions qui devient la norme pour certains, le rôle des musées est essentiel. C'est un champ à investir avec force pour éduquer, informer les jeunes générations et faire des moins jeunes des citoyens éclairés. Il faut désormais aller chercher les publics là où ils sont et ne pas rester dans une position d'attente pour les recevoir. Quelles actions mettez-vous en oeuvre pour toucher les publics du champ social, les écoles et les associations ?

L'actualité récente nous invite enfin à évoquer le défi de la rénovation du musée du Louvre. Vous connaissez mon attachement particulier à cette institution, mais également ma connaissance approfondie du bâtiment et de ses complexités. Ce n'était pas un musée à l'origine, mais un palais, ce qui pose des difficultés de circulation qui invitent à la plus grande humilité.

Les montants annoncés semblent conformes aux besoins. Le projet de nouvelle entrée sur la colonnade de Perrault est un projet ancien, qui a déjà été évoqué dans les années 2010. De même, la puissance d'attraction nationale et internationale de la Joconde en fait à la fois une bénédiction, mais aussi une grande difficulté, tant elle perturbe et déséquilibre les flux au sein du musée. Il me semblerait judicieux que la commission prenne connaissance de la fameuse note confidentielle qui a été publiée par plusieurs journaux comme Le Parisien.

Pouvez-vous nous en dire plus sur le financement du projet, notamment le mécénat, l'utilisation des fonds propres, l'impact de la hausse du prix du billet, l'état du fonds de roulement, et le rôle potentiel du fonds de dotation du Louvre Abu Dhabi ?

Mme Catherine Morin-Desailly. - Concernant les restitutions, comment avez-vous été impliqués dans la définition des critères du projet de loi-cadre, actuellement en suspens, faisant suite au rapport Martinez ? Ces critères vous semblent-ils satisfaisants pour une démarche rigoureuse ? Développez-vous des coopérations avec d'autres grands musées européens sur ce sujet ?

Pour les acquisitions, quels enseignements avez-vous tiré du rapport commandé par la ministre de la Culture à Christian Giacomotto, Marie-Christine Labourdette et Arnaud Oseredczuk sur l'amélioration de la sécurité des acquisitions des musées nationaux à la suite du scandale du trafic d'antiquités égyptiennes ? Les procédures d'acquisitions sont-elles mieux formalisées aujourd'hui ? Disposez-vous de moyens suffisants pour la recherche de provenance et la traçabilité des objets, tant pour les restitutions que pour les acquisitions ?

Comment votre stratégie territoriale s'articule-t-elle avec les institutions régionales ? Les projets peuvent-ils remonter des régions vers le national ?

Enfin, pourriez-vous nous en dire plus sur les coopérations du Louvre en matière d'archéologie à l'international ?

M. Pierre Ouzoulias. - Je souhaite exprimer mon inquiétude concernant la billetterie différenciée qui semble se généraliser dans le secteur culturel. Notre commission a déjà souligné la fragilité d'un financement des institutions muséales reposant fortement sur la billetterie, comme l'a démontré la crise du Covid-19. Par ailleurs, les Jeux Olympiques de Paris n'ont pas nécessairement bénéficié à toutes les grandes institutions culturelles, les nombreux touristes n'ayant pas tous franchi les portes des musées.

Je doute qu'une politique d'investissement puisse reposer sur des ressources aussi aléatoires, surtout dans un contexte géopolitique en évolution. Nous devons envisager la possibilité que certains flux touristiques puissent être interrompus pour des raisons qui nous échapperaient. Il faut considérer ces enjeux avec lucidité.

Je propose d'établir une feuille de route nationale pour la politique de mécénat, en collaboration avec la diplomatie française. Le Louvre a courageusement rompu ses liens avec l'Azerbaïdjan, mais d'autres partenariats potentiels méritent une réflexion approfondie. Je m'inquiète du manque de contrôle parlementaire sur certaines missions confiées à des agences ou à des sociétés anonymes détenues par l'État.

J'aimerais également connaître l'impact du Pass Culture sur vos ressources, notamment la part collective qui semble avoir un rendement cent fois supérieur à la part individuelle.

Enfin, je salue le partenariat avec Argentat-sur-Dordogne au sud de la Corrèze et je vous propose d'équilibrer vos relations avec le nord du département, notamment avec le musée de Meymac.

M. Jacques Grosperrin. - Je salue l'importance de vos institutions dans le rayonnement de la France, même si la démocratisation de la culture passe par les territoires, comme l'a souligné Adel Ziane. Je rappelle que le musée des Beaux-arts de Besançon, créé en 1694, un siècle avant le musée du Louvre, est le plus ancien musée de France.

Je vous félicite pour vos actions dans les régions, notamment la collaboration d'Orsay avec le musée d'Ornans autour de Gustave Courbet. Pourriez-vous détailler d'éventuelles collaborations futures avec les territoires ?

Concernant l'intelligence artificielle dans les musées, je note des initiatives comme « Bonjour Vincent » à Orsay et les dispositifs de génération de récits au Louvre Abu Dhabi. Comment envisagez-vous l'intégration de l'IA générative dans votre offre culturelle, tout en préservant l'authenticité de l'expérience muséale et en garantissant les droits d'auteur ?

M. Bernard Fialaire. - Je m'interroge sur vos dispositifs de recherche de provenance des oeuvres. Sont-ils spontanés ou uniquement mis en oeuvre en réponse à des sollicitations extérieures ?

Concernant la diffusion des oeuvres conservées dans les réserves au niveau national, avez-vous des services dédiés à la recherche de lieux d'exposition, ou répondez-vous uniquement aux demandes ?

Enfin, quelle est votre vision du musée de demain, intégrant les nouvelles technologies comme l'IA, les hologrammes, et les techniques de mise en valeur des détails des oeuvres, comme Google l'a réalisé avec le plafond de l'Opéra Garnier, permettant à un petit-fils de Chagall de découvrir l'endroit où il est représenté ?

Mme Béatrice Gosselin. - Concernant les oeuvres identifiées comme Musées Nationaux Récupération (MNR) dont les musées nationaux parisiens sont dépositaires, où en sont vos recherches sur leur provenance et la possibilité de restitution, sachant que l'identification des ayants droit devient de plus en plus complexe avec le temps ?

Par ailleurs, concernant le projet artistique et culturel mené par Orsay avec trois classes de Limoges, comment ce dispositif est-il organisé ? Les régions répondent-elles à un appel à candidatures ou existe-t-il d'autres moyens pour que les classes puissent en bénéficier ?

Mme Monique de Marco. - Je m'inquiète des coupes budgétaires et de la baisse de l'investissement de l'État dans nos musées, ainsi que de l'accroissement du poids du mécénat. Ce dernier ne devrait pas devenir le seul moyen de financement des lieux d'exposition, car il peut y avoir un risque de conflit d'intérêts avec les mécènes collectionneurs.

Je m'interroge sur les moyens alternatifs de financement, comme les bâches publicitaires sur les façades et les recettes des boutiques de musées. Quelle est la part de ces revenus ? Existe-t-il des critères de fabrication spécifiques pour les produits vendus ? Sont-ils fabriqués en France ou importés ?

Par ailleurs, j'ai trouvé très intéressante l'initiative prise par le Musée d'Orsay en septembre dernier, qui a permis aux visiteurs de découvrir 80 peintres contemporains parmi les toiles de maîtres. Je pense que ce type d'initiative répond aux attentes des Français et soutient la création contemporaine. Une deuxième édition est-elle prévue ? D'autres musées pourraient-ils s'en inspirer pour soutenir la création ?

Mme Sonia de La Provôté. - Je souhaite aborder la question de l'éducation artistique et culturelle. Comment envisagez-vous vos établissements comme des outils pédagogiques, non seulement à Paris mais aussi en dehors ? Comment construisez-vous votre projet autour de cette éducation, que ce soit par le biais de l'école, du Pass Culture, du numérique ou de le l'itinérance des oeuvres ? Les micro-folies sont des outils formidables mais encore trop rares.

Considérez-vous l'éducation artistique et culturelle comme un pilier essentiel de vos établissements, malgré son aspect peut-être moins rémunérateur ? Cette interaction avec les jeunes de tous milieux et de tous territoires me semble cruciale, ne serait-ce que pour justifier les sommes importantes investies dans vos institutions.

M. Jean-Gérard Paumier. - Cette audition permet aux responsables de quatre grandes institutions muséales de France d'être reçus dans ce Palais du Luxembourg, qui fut le premier musée de peinture ouvert au public en 1750.

Je salue les actions de coopération entre vos institutions et les territoires, comme le prêt des 100 oeuvres sur le climat par le Musée d'Orsay qui concerne le Musée des beaux-arts de Tours, ou l'exposition sur les arts premiers organisée avec le Musée du Quai Branly à Tours dans un lieu appartenant au Conseil départemental. Ces collaborations doivent se développer pour trois raisons : vos importantes réserves, les difficultés budgétaires des collectivités locales, et l'attente du public. Les expositions de qualité attirent toujours du monde, même en milieu rural. L'objectif est de maintenir une offre culturelle de qualité dans tous les territoires, notamment ruraux, malgré les contraintes budgétaires.

M. Kim Pham. - Notre partenariat avec Abu Dhabi se renforce depuis l'ouverture du musée en 2017. Un nouveau contrat de service entre la tutelle émirienne du Louvre Abu Dhabi et l'agence France Muséum vient d'être signé ; il modernise le cadre de coopération, puisque le musée n'a plus les mêmes besoins qu'avant son ouverture ou pendant ses premières années. Nous avons mis en place un nouveau dispositif de formation d'experts locaux, Muséo Pro, qui est très apprécié. Les collections propres du Louvre Abu Dhabi représentent désormais près des deux tiers des oeuvres exposées, bien que l'apport des musées nationaux français reste qualitativement essentiel.

Concernant les actions éducatives, nous les développons constamment. Il est important de préserver la gratuité pour les moins de 26 ans, malgré son coût budgétaire, et surtout la faire connaître. Lors de la Nuit des Musées, nous constatons que certains jeunes ignorent la gratuité permanente dont ils bénéficient au Louvre. Il est donc essentiel de constamment communiquer sur ce point. Nous avons mis en place plusieurs initiatives pour favoriser l'accès des jeunes au musée. Les mardis, jour de fermeture habituelle, sont désormais ouverts aux scolaires, offrant une expérience unique et inoubliable. Orsay a été pionnier dans ce domaine avant la crise sanitaire et le Louvre a suivi. Nous avons également créé la « Carte clé », inspirée par le sénateur Adel Ziane, qui permet aux éducateurs et aux professeurs d'avoir les outils nécessaires pour transmettre la richesse du Louvre aux jeunes.

Concernant notre situation financière, notre compte de fonctionnement est tout juste à l'équilibre, la masse salariale augmente - nous nous réjouissons que les fonctionnaires aient pu bénéficier de la hausse du point d'indice -, comme nos coûts d'exploitation, et notre fonds de roulement est très limité depuis la crise du Covid. Le fonds de dotation, alimenté par une partie de la licence de marque d'Abu Dhabi et par des dons et des legs, n'est pas consomptible. Seuls ses fruits, qui nous sont très utiles, peuvent être utilisés pour nos actions. La licence de marque du Louvre Abu Dhabi sera directement mobilisée pour la « Nouvelle renaissance » du musée.

En termes de coopération régionale, nous pouvons aller jusqu'à conférer le nom du Louvre à des musées régionaux dans des cas où la présence des collections du Louvre est particulièrement significative, comme le Louvre en Avignon, nouveau nom du musée du Petit Palais d'Avignon. Nous participons aussi à la réouverture prochaine du Musée de Bayonne.

À l'international, nous collaborons notamment avec l'Irak pour la reconstitution du Musée de Mossoul après les désastres causés par Daech et avec le Liban.

Le musée dépend aux deux tiers de ses ressources propres. Par conséquent, au-delà de la billetterie, le mécénat et les concessions sont des ressources essentielles, mais limitées par les contraintes du domaine et du Palais. Il est en effet difficile de proposer pour des événements ou pour des concessions des espaces dégradés, vétustes, voire dangereux.

Enfin, nous explorons les possibilités offertes par l'intelligence artificielle pour enrichir l'expérience muséale, en montrant mieux les carrefours entre les civilisations et donc entre les collections, l'histoire du Palais ou le contexte local de nos objets archéologiques, tout en continuant à privilégier la fréquentation directe des oeuvres.

M. Emmanuel Kasarhérou. - Concernant les restitutions, nous travaillons en transparence et en co-construction avec les nations et les communautés concernées. Nous avons reçu six demandes de restitution de pays africains et nous examinons chaque cas en détail avec les responsables des musées nationaux.

Notre approche de co-construction s'étend également à la production d'expositions. Nous en produisons 8 par an pour nos besoins propres et nous en faisons tourner 8 autres. Par exemple, l'exposition « Rois et Reines d'Afrique : formes et figures du pouvoir » au Louvre Abu Dhabi, dont la programmation s'ouvre de plus en plus au monde global, et qui est la première proposée sur le patrimoine africain dans cette région du monde, a été réalisée en collaboration avec des conservateurs français et africains.

Cette approche est systématique, particulièrement pour les cultures encore vivantes. Il n'est pas envisageable de parler de ces cultures sans que ceux qui les portent soient associés à nos projets. Nous préparons actuellement une exposition sur l'Amazonie, qui impliquera un commissariat conjoint entre le musée du quai Branly et des experts amazoniens.

Cette méthode nous permet de réévaluer constamment nos pratiques. Nous avons revu notre commission des acquisitions pour améliorer notre processus. Nous sommes très vigilants sur la provenance des oeuvres, quitte à renoncer à certaines acquisitions si nous manquons de temps pour effectuer les vérifications nécessaires.

Concernant les territoires, nous effectuons des dépôts d'objets, notamment dans les territoires d'outre-mer comme la Nouvelle-Calédonie et les Antilles. Nous organisons également des expositions itinérantes, comme récemment en Nouvelle-Calédonie et prochainement en Martinique.

En tant que douzième grand département patrimonial, nous jouons un rôle important d'expert et d'animateur du réseau français des musées possédant des collections extra-européennes. Nous organisons une réunion annuelle pour échanger sur nos problématiques et aider nos collègues à mettre en valeur ces collections parfois délaissées. Nous poursuivons ce travail d'accompagnement, notamment sur les questions d'enseignement, d'éducation artistique et culturelle, et de nouvelles technologies.

M. Jérôme Bastianelli. - Le Musée du Quai Branly accueille environ 1,3 million de visiteurs par an, dont 150 000 à 180 000 jeunes dans le cadre scolaire. Pour développer cette fréquentation, nous collaborons avec les rectorats et avons mis en place des professeurs relais qui préparent les visites avec leurs collègues. Nous avons également créé la « Boîte à voyages », un jeu éducatif sur nos collections distribué gratuitement aux écoles.

Sur le champ social, nous travaillons avec diverses associations d'insertion et nous organisons des « Journées des associations » pour faciliter l'accès au musée aux populations défavorisées. Ces initiatives rencontrent un succès croissant, avec un nombre d'associations participantes en augmentation chaque année.

Mme Julia Beurton. - Pour les musées d'Orsay et de l'Orangerie, la recherche de provenance est une priorité. Chaque acquisition fait également l'objet d'une recherche en provenance et nous disposons d'une chargée de recherche dédiée qui examine les 276 MNR sous notre garde. Nous avons mis en place un plan quadriennal pour approfondir la recherche sur chacune de ces oeuvres et essayer d'identifier leurs propriétaires. Une exposition d'une vingtaine ou d'une trentaine d'oeuvres MNR est prévue fin 2025 pour sensibiliser le public. Nous développons également des cartels spécifiques pour les oeuvres MNR prêtées.

Notre stratégie territoriale est élaborée en collaboration avec les DRAC et les musées régionaux. Par exemple, nous soutenons une exposition Cézanne au musée Granet d'Aix-en-Provence en 2025 en prêtant nos oeuvres de Cézanne en appui du propos de cette exposition. Nous avons des coopérations pluriannuelles avec six musées, dont le Musée d'Ornans. Nous avons pour objectif d'élargir ce réseau de six musées du XIXe siècle et nous coordonnons un ensemble de trente musées à travers la France. Nous organisons des rencontres bisannuelles pour échanger sur la recherche, l'accueil des visiteurs et les stratégies de gestion des adhérents.

Nous mettons également l'accent sur l'éducation artistique et culturelle, en cherchant à créer des liens durables avec les jeunes visiteurs et leurs familles. Nous avons un partenariat triennal avec la ville d'Argenteuil, chère à Monnet, incluant des échanges scolaires et des projets comme le réaménagement des berges de la Seine. Avec le soutien de la Région Île-de-France, nous menons des actions dans les lycées professionnels de l'académie de Créteil, axées sur les métiers d'art et le design.

Notre collaboration avec l'académie de Limoges est née des liens que nous avions noués avec des inspecteurs de l'Éducation nationale et avec la rectrice. Elle implique dix établissements, qui se sont portés volontaires, ce qui illustre l'importance de l'engagement mutuel dans la réussite de tels projets.

Concernant le numérique, nous avons lancé l'exposition virtuelle « Paris 1874 » qui a attiré 80 000 visiteurs avec un taux de satisfaction de 98 %. Nous développons également des expériences immersives, en veillant à la justesse du propos derrière l'expérience, comme celle actuellement en tournée en Corée du Sud, présentant les chefs-d'oeuvre d'Orsay et la gare.

Nous explorons les applications de l'intelligence artificielle pour l'inventaire des oeuvres, la médiation et comme outil artistique. Un projet avec Agoria est en cours et sera présenté aux États-Unis.

Enfin, nous préparons une deuxième édition du « Jour des peintres » pour 2026, coïncidant avec les 40 ans d'Orsay. Nous continuons à investir dans des projets contemporains, établissant des liens entre les problématiques du XIXe siècle et celles d'aujourd'hui. Des expositions d'artistes contemporains comme Peter Doig, Nathanaëlle Herbelin et prochainement Lucas Arruda dans le cadre de la saison France Brésil s'inscrivent dans cette démarche, conformément au projet stratégique de Sylvain Amic.

M. Christophe Chauffour. - Concernant la fragilité de nos institutions culturelles, nous sommes tous conscients des défis actuels. Nous avons subi les effets du Covid et des JO, ces derniers ayant principalement impacté la fréquentation des établissements parisiens. Les musées en région ont connu une belle fréquentation cet été. Le soutien de l'État pendant la crise sanitaire a été crucial pour assurer la pérennité de nos institutions culturelles.

L'éducation artistique et culturelle est au coeur de notre mission. La RMN favorise la diversification des publics, notamment via les Galeries nationales du Grand Palais, créées pour présenter l'art en dehors des temples que sont les musées. Nous gérons la majorité des conférenciers des musées nationaux et nous développons des outils accessibles dans toute la France, y compris en outre-mer où nous avons de nombreux partenariats, comme avec le musée Victor Schoelcher aux Antilles.

Un partenariat avec les trois rectorats d'Île-de-France (Paris, Créteil et Versailles) a été signé pour la réouverture du Grand Palais, avec un espace dédié aux familles de plus de 1000 m2, le salon Seine, proposant des jeux autour de l'histoire de l'art. Comme nous n'avons pas de collections, nous pouvons parler de l'histoire de l'art de la préhistoire à nos jours, toutes civilisations confondues.

Une part du chiffre d'affaires des librairies-boutiques et des licences de marque est reversée aux musées d'accueil. Les ouvrages sont imprimés en France ou en Italie ; pour les produits, nous privilégions le made in France et les entreprises labellisées Entreprise du Patrimoine Vivant. Cette stratégie de montée en gamme fonctionne, avec une augmentation significative des paniers moyens.

Notre présence territoriale s'étend à travers la gestion des musées nationaux dans diverses villes (Ajaccio, Pau, l'Île d'Aix, Dijon, etc.). Nous cherchons également à développer des partenariats avec les musées territoriaux en leur offrant nos services.

Pour le musée de demain, nous nous concentrons sur l'expérience visiteur, de la réservation en ligne à l'après-visite. Notre objectif est de créer un parcours sans couture, adapté à tous les publics, qu'ils soient habitués ou non aux musées.

M. Laurent Lafon, président. - Je vous remercie pour vos réponses précises à nos nombreuses questions. Elles témoignent de l'intérêt que nous portons à votre travail et à celui de vos équipes, ainsi qu'à l'importance des établissements que vous dirigez. Ces institutions sont essentielles pour le rayonnement et la vitalité culturelle de notre pays.

Cette réunion a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 11 h 30.