- Mardi 18 mars 2025
- Mercredi 19 mars 2025
- Audition de Mme Adrienne Brotons, ancienne directrice de cabinet du ministre de l'industrie
- Audition de Mme Muriel Lienau, responsable de la zone Emena (Europe, Middle East and North Africa) de Nestlé Waters de 2020 à 2023, présidente de Nestlé France de 2023 à 2025, actuelle présidente-directrice générale de Nestlé Waters
- Jeudi 20 mars 2025
- Audition de Mme Isabelle Epaillard, ancienne directrice adjointe de cabinet du ministre de la santé (François Braun) et ancienne directrice de cabinet de la ministre déléguée chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé (Agnès Firmin Le Bodo)
- Convention judiciaire d'intérêt public (CJIP) - Audition de MM. Vincent Filhol, ancien magistrat, avocat et Nicolas Jeanne, professeur de droit pénal à l'université de Tours
Mardi 18 mars 2025
- Présidence de M. Laurent Burgoa, président -
La réunion est ouverte à 17 h 30.
Audition de Mme Sophie Dubois, directrice générale de Nestlé Waters France d'avril 2018 à janvier 2025, présidente de Nestlé France
M. Laurent Burgoa, président. - Mes chers collègues, permettez-moi, pour commencer, de remercier Mmes Anne Ventalon et Marie-Lise Housseau, qui ont eu l'amabilité de me suppléer la semaine dernière à la présidence de la commission d'enquête. Je remercie également tous ceux qui ont pu me témoigner des marques de sympathie en ce moment particulier.
Nous reprenons les travaux de notre commission d'enquête avec l'audition de Sophie Dubois, qui a été directrice générale de Nestlé Waters France d'avril 2018 à janvier 2025. Depuis le 1er janvier 2025, Sophie Dubois est la nouvelle présidente de Nestlé en France, succédant à Muriel Liénau.
Je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, notamment de cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende.
Je vous invite, madame, à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure ».
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Sophie Dubois prête serment.
M. Laurent Burgoa, président. - Je vous rappelle également qu'il n'y a pas de droit au silence devant une commission d'enquête, qui est non pas un tribunal - elle est dépourvue de finalité répressive -, mais une instance destinée à faire la lumière sur des processus ou des services, à recueillir des informations et à contrôler l'action du Gouvernement, grâce aux pouvoirs d'investigation spécifiques qui lui sont reconnus. Il en résulte que, selon la loi, « la personne qui (...) refuse de déposer ou de prêter serment devant une commission d'enquête est passible de deux ans d'emprisonnement et de 7 500 euros d'amende ».
Si vous estimez que votre réponse est de nature à aller à l'encontre du secret professionnel ou des affaires, donc que vous ne souhaitez pas la communiquer publiquement, il vous est loisible de demander à procéder à sa transmission en marge de l'audition publique ou par écrit à notre commission.
Enfin, j'ai accepté, à votre demande, la présence d'un conseil juridique à vos côtés, comme j'ai pu le faire pour d'autres personnes qui l'ont souhaité. Je rappelle que celui-ci ne pourra intervenir devant la commission.
Cette audition est diffusée en direct sur le site internet du Sénat.
Je rappelle que le Sénat a constitué, le 20 novembre dernier, une commission d'enquête sur « les pratiques des industriels de l'eau en bouteille ».
En effet, au début de l'année 2024, plusieurs médias ont révélé les pratiques illégales de certaines entreprises du secteur des eaux embouteillées, en particulier le recours à des traitements interdits sur des eaux minérales naturelles et de source. Notre commission d'enquête du Sénat vise à faire la lumière sur ce dossier, sous réserve des éventuelles procédures judiciaires en cours. Pourquoi et comment des traitements interdits ont-ils été utilisés dans certaines entreprises, et comment ont-ils pu ne pas être détectés par les services de contrôle pendant des années ?
Aujourd'hui présidente de Nestlé en France, vous avez dirigé de 2018 à 2025 les activités de Nestlé Waters en France.
Les directeurs des sites Nestlé des Vosges et du Gard ont reconnu que des traitements interdits existaient au moins depuis 2021, et Nestlé Waters, par la voix de Muriel Liénau, a avoué l'usage de ces traitements interdits au cabinet de Madame Pannier-Runacher, alors ministre déléguée chargée de l'industrie, le 31 août 2021. À cet égard, votre déposition est cruciale dans cette affaire.
À quoi servaient ces traitements ? Comment, pourquoi et par qui ont-ils été mis en place ? Qu'attendiez-vous de la réunion du 31 août 2021 au cabinet de Mme Pannier-Runacher ? Comment y avez-vous contribué, et que s'est-il passé ensuite ? Quelles ont été vos interactions avec les ministères et les services de l'État concernés, notamment les agences régionales de santé (ARS) Occitanie et Grand Est ou les préfectures du Gard et des Vosges ? Quelles leçons tirez-vous de cette crise, qui entame la confiance des consommateurs dans un secteur auquel nous tenons tous ?
Voilà quelques-uns des thèmes sur lesquels notre rapporteur souhaite vous interroger. Nous vous proposons de dérouler cette audition en trois temps : une présentation liminaire de vos réflexions, en vingt minutes environ, les questions de notre rapporteur, puis celles des autres membres de la commission.
Mme Sophie Dubois, directrice générale de Nestlé Waters France d'avril 2018 à janvier 2025, présidente de Nestlé France. - Je vous remercie de m'avoir invitée pour m'exprimer devant cette commission d'enquête. Je ne peux que souhaiter qu'elle puisse contribuer à une meilleure compréhension des enjeux auxquels sont confrontés l'ensemble des minéraliers.
Depuis le 1er janvier 2025, j'occupe la fonction de présidente de Nestlé France.
En tant que présidente de Nestlé Waters France marketing et distribution entre avril 2018 et décembre 2024, j'avais notamment la responsabilité du développement des marques et de leur commercialisation, c'est-à-dire des ventes, du marketing, de la finance et de la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) en France. Je tiens à préciser que la gestion des usines et des ressources en eau ne relevait pas directement de mon périmètre opérationnel. Néanmoins, mes équipes étaient évidemment en lien régulier avec les usines, afin de garantir la bonne coordination de nos activités.
À titre liminaire, je souhaite vous apporter les éléments de contexte qui me semblent essentiels pour mieux comprendre notre activité et l'environnement dans lequel elle s'inscrit.
Il me semble nécessaire de rappeler que l'eau minérale naturelle occupe une place importante historiquement et économiquement en France. Les consommateurs français ont un attachement très fort à certaines marques d'eau minérale naturelle, dont ils apprécient les qualités gustatives et minérales uniques. Être minéralier représente donc une responsabilité majeure : celle de mettre à la disposition d'un large public des eaux uniques issues de territoires protégés dont proviennent leurs compositions minérales et leurs propriétés gustatives.
Il existe près de quatre-vingt-dix marques d'eau minérale en France. Chaque source est unique, ses caractéristiques étant étroitement liées à son territoire d'origine. L'eau traverse différentes couches géologiques sur de longues périodes, ce qui lui permet d'atteindre sa richesse minérale. Sa qualité dépend donc de la qualité des sols et de l'environnement où elle s'infiltre. L'âge de nos eaux varie de quelques années pour Hépar à plusieurs millénaires pour Vittel Bonne source. Les caractéristiques de chacune de nos eaux leur confèrent des bénéfices spécifiques : Hépar, riche en magnésium, aide à réduire la fatigue et favorise le transit ; Contrex, avec sa teneur unique en calcium et en magnésium, contribue à la santé osseuse ; Vittel est une eau pour une consommation quotidienne, qui recharge en minéraux, mais qui est aussi très appréciée des sportifs ; Perrier séduit par son effervescence unique et son caractère rafraîchissant, qui en fait un leader incontournable du marché français des eaux gazeuses. Perrier est aussi une marque ancrée dans le territoire, au point que nous avons désormais un musée dédié à la marque, lequel accueille des centaines de visiteurs par an.
Notre métier est d'embouteiller l'eau à la source, en assurant les mesures et les contrôles nécessaires pour garantir la qualité et la sécurité alimentaire du produit aux consommateurs.
Comme tous les minéraliers, nous devons aujourd'hui répondre à de nouveaux enjeux pour continuer à construire l'avenir, dans un contexte qui a beaucoup changé. Nos conditions d'exploitation sont rendues plus difficiles par l'intensification des activités humaines et par le changement climatique, avec des périodes de fortes pluies ou de sécheresse qui sont de plus en plus fréquentes et de plus en plus intenses, et qui peuvent perturber le cycle de l'eau. Nous devons également projeter nos marques vers l'avenir et répondre aux nouvelles attentes de nos consommateurs et de nos clients, notamment en matière de développement durable et de produits sains. Enfin, nous devons moderniser nos sites en intégrant les nouvelles technologies.
Concrètement, comment intégrons-nous ces enjeux sur le terrain tout en continuant à assurer la sécurité alimentaire en toutes circonstances ? Tout d'abord, l'ensemble de nos processus de production ont été revus, avec notamment un enjeu de mise en conformité. L'entreprise a également fortement investi dans l'outil industriel pour le moderniser et ouvrir de nouvelles perspectives, et nous continuons à nous mobiliser pour assurer la gestion durable et responsable de la ressource en eau.
Depuis 2021, pour mettre ces procédés en conformité tout en continuant à assurer la sécurité alimentaire en toutes circonstances, l'entreprise a réalisé une transformation majeure des opérations de ses deux sites en France, dans le Gard et dans les Vosges. Comme nous l'avons expliqué depuis plus d'un an, Nestlé Waters France a, sous le contrôle des autorités et après avoir reçu la confirmation de la conformité du niveau de microfiltration utilisé, retiré les mesures de protection non conformes à la réglementation applicable aux eaux minérales naturelles en France, les dispositifs ultraviolets et les filtres à charbon, suspendu certains forages plus sensibles aux aléas climatiques dans les Vosges, réalloué certains forages à la production de boissons Maison Perrier sur le site de Vergèze et renforcé les mesures de contrôle et de gestion intégrée de la qualité. Nos directeurs d'usine ont eu l'occasion de vous expliquer dans le détail cette mise en conformité, puisqu'il s'agissait là de l'une de leurs feuilles de route.
L'entreprise a reconnu que ses pratiques passées n'étaient pas conformes au cadre réglementaire applicable en France, elle a exprimé ses regrets et mis en place un plan de transformation qui a permis de mettre fin à ces pratiques, qui ne pouvaient pas perdurer.
Beaucoup de choses ont été écrites sur le sujet, qui ont pu engendrer une grande confusion. Je tiens donc à être très claire : les eaux embouteillées par Nestlé Waters France, à savoir Perrier, Vittel, Contrex et Hépar, n'ont jamais présenté le moindre risque sanitaire. De nombreuses personnes auditionnées par votre commission l'ont d'ailleurs confirmé, dont l'actuel directeur général de la santé et son prédécesseur, le préfet du Gard et le directeur général de l'ARS Occitanie. En dehors de votre commission, le ministre délégué chargé de la santé et de la prévention a indiqué, dans l'hémicycle, qu'aucun risque à la santé publique n'était à déplorer, ce qu'a également fait le tribunal judiciaire d'Épinal, dans le cadre de la convention judiciaire d'intérêt public conclue en septembre dernier.
Comme je l'ai mentionné, un volet majeur de notre plan de transformation a été la mise en oeuvre d'un renforcement des mesures de contrôle et de gestion intégrée de la qualité sur nos deux sites. Aujourd'hui, près de 1 500 analyses sont réalisées chaque jour entre les sites des Vosges et de Vergèze pour garantir la qualité de l'eau et assurer la sécurité alimentaire de nos produits en toutes circonstances.
J'y insiste : « en toutes circonstances » ! Les aléas climatiques sont notre nouvelle réalité. Nous ne maîtrisons pas la météo, mais nous maîtrisons la qualité de nos eaux et assurons qu'elles sont toujours sûres, quoi qu'il arrive. D'ailleurs, les résultats de nos tests quotidiens sont à la disposition des autorités sur une plateforme collaborative de l'État nommée Resana, et les autorités font leurs propres tests régulièrement, tant à la source que sur le produit fini, et vérifient en permanence la conformité aux normes de sécurité alimentaire et de qualité.
Outre la sécurité, je tiens à ajouter que la composition minérale de nos eaux naturelles, qui rend nos eaux uniques, a toujours été préservée - c'est celle qui figure sur nos étiquettes. Pourtant, là aussi, notre offre a été régulièrement comparée à l'eau du robinet, alors même que nous n'ajoutions rien à notre eau et que l'eau du robinet, au contraire, fait souvent l'objet de traitements chimiques.
De manière plus générale, et je le regrette, certains médias ont déroulé un feuilleton anxiogène. Dans ce contexte, nous avons eu du mal à faire entendre notre point de vue, alors qu'aujourd'hui toutes les opérations de Nestlé Waters sont conformes au cadre réglementaire applicable en France et que toutes nos procédures de qualité sont adaptées pour nous permettre de faire face aux aléas climatiques en toutes circonstances.
Pour permettre la pérennité de nos activités et de nos marques, nous devons agir de manière proactive pour protéger les ressources, en adoptant des pratiques durables pour faire face au changement climatique, mais également à l'urbanisation, aux activités industrielles et aux pratiques agricoles qui peuvent se développer autour de nos sites. C'est la condition pour que nos marques puissent continuer à exister et pour répondre aux attentes des consommateurs. Cette préservation de la ressource est au coeur de notre métier de minéralier.
Chez Nestlé Waters, la préservation des ressources repose sur deux piliers fondamentaux : une connaissance approfondie du territoire, fondée sur des études scientifiques que Nestlé Waters réalise dans le Gard et dans les Vosges depuis plus de trente ans ; des investissements permanents. Depuis le début des années 90, Nestlé Waters a investi plus de 100 millions d'euros dans la préservation des ressources dans les Vosges et dans le Gard, nous permettant de mener des actions concrètes, en collaboration avec les acteurs locaux, visant à protéger les sols et à préserver ou même à restaurer la biodiversité. Ces investissements sont autant d'engagements envers les territoires au sein desquels Nestlé Waters s'est implanté en France. La protection de la ressource ne peut s'accomplir que de manière collective, en étroite collaboration avec l'ensemble des acteurs locaux.
Permettez-moi d'illustrer brièvement mon propos par quelques exemples concrets. À Vergèze, dans le Gard, Nestlé Waters aide les viticulteurs à réduire l'usage des pesticides et à se développer en bio. L'entreprise collabore également avec Vinci pour maîtriser les eaux de ruissellement de l'autoroute.
Dans les Vosges, le programme Agrivair, fondé à l'origine avec l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae), est un modèle unique de coopération. Depuis plus de trente ans, Nestlé Waters travaille avec les agriculteurs, les entreprises, les collectivités et les habitants pour concilier activités humaines et protection des sources. Fort d'une équipe de treize personnes, Agrivair promeut une agriculture durable, avec une politique « zéro pesticide » autour des sources de Vittel, Contrex et Hépar. Dans ce cadre, des terres agricoles sont mises gratuitement à disposition des agriculteurs, en contrepartie du respect d'un cahier des charges favorisant les pratiques respectueuses de l'environnement. Le programme repose sur un partenariat avec quarante exploitations agricoles engagées dans cette démarche. En parallèle, Agrivair travaille avec l'Office national des forêts (ONF) pour gérer durablement plus de 300 hectares de forêts. Agrivair a d'ailleurs été reconnu entreprise engagée pour la nature par l'ONF en 2023.
Au-delà de ses sources, Nestlé Waters travaille aussi à des programmes de régénération du cycle de l'eau dans les régions dans lesquelles nous sommes présents. Nous menons, par exemple, autour de Vittel, la renaturation d'un cours d'eau, le Petit Vair, qui traverse différentes zones clés de la ville - espaces naturels, zones d'habitation, station thermale ou encore hippodrome. À Vergèze, un plan ambitieux de restauration écologique est également en cours, comprenant reforestation et restauration des zones humides, comme la renaturation de la rivière Rhôny. L'objectif de ces programmes est de restaurer le régime naturel des cours d'eau pour limiter l'érosion et protéger l'habitat aquatique. Les berges sont revégétalisées pour renforcer les écosystèmes et la biodiversité. En un mot, ces projets redonnent vie au cycle local de l'eau.
La protection de la ressource et de l'environnement ne peut être gérée seule. Elle nécessite une collaboration avec l'ensemble des acteurs du territoire. D'ailleurs, à cette fin, j'ai été amenée, dans le cadre de mes fonctions, à échanger régulièrement avec les élus locaux des communes sur lesquelles nous sommes implantés, ainsi qu'avec les préfets, notamment sur les enjeux économiques de nos sites et de leur territoire, comme l'ont expliqué ici devant vous les maires de Contrexéville, Vittel et Vergèze, le 30 janvier dernier.
Enfin, tout notre effort de ces dernières années, dans le cadre du plan de transformation et au-delà, s'inscrit dans une vision d'avenir pour nos marques, qui anticipe les attentes des consommateurs et adapte notre offre aux évolutions du marché.
De fait, en parallèle de l'eau minérale naturelle, le segment des boissons connaît un fort potentiel de croissance. La demande pour les eaux gazeuses aromatisées en France a augmenté de 10 % en moyenne chaque année depuis dix ans. Les consommateurs sont toujours davantage à la recherche de plaisirs sains, tels que les eaux aromatisées ou les cocktails sans alcool.
Nous avons intégré cette tendance au travers du lancement de la gamme Maison Perrier, une gamme de boissons qui regroupe des eaux gazeuses aromatisées, des boissons à base de jus de fruits, des cocktails sans alcool et des boissons énergétiques. Cette nouvelle gamme, plus innovante et plus créative, renforce notre positionnement sur ce segment dynamique, pour répondre aux nouvelles attentes des consommateurs. Elle nous permet de proposer une offre commerciale complète aux côtés de notre marque historique.
Nous innovons aussi pour permettre à nos marques des Vosges de bénéficier du dynamisme du segment des eaux aromatisées. Nous avons, par exemple, lancé Vittel+, qui est leader du segment des eaux fonctionnelles, Vittel aromatisée, une gamme de boissons rafraîchissantes avec des ingrédients 100 % d'origine naturelle, ou encore, cette année, Vittel fruitée, une nouvelle gamme à base de jus de fruits.
Les nouvelles générations de consommateurs expriment également une attente croissante pour des produits à moindre impact environnemental : ils souhaitent des produits avec moins d'emballage, innovants et durables. Aujourd'hui, tous nos emballages sont recyclables et nous augmentons, année après année, la proportion de matières recyclées dans nos emballages. Nous utilisons, en moyenne, 65 % de matières recyclées dans les canettes et 50 % dans les bouteilles en polytéréphtalate d'éthylène (PET), et jusqu'à 100 % pour la gamme Vittel, hors bouchon et étiquette. Nos bouteilles en verre sont consignées et réutilisées pour 90 % d'entre elles. Nous réduisons également le poids de nos emballages et avons mis en place le bouchon solidaire. Dans les Vosges, nous avons également créé une ligne dédiée à la production d'un bidon Vittel 6 litres, réduisant de 20 % la quantité de plastique utilisée par rapport à une offre de six fois 1 litre. Notre bidon Vittel 6 litres est également fabriqué à 100 % à partir de matières recyclées.
Toutes ces actions nous permettent de répondre aux attentes fortes de nos clients et de nos consommateurs et de réduire nos émissions de carbone. Ces évolutions illustrent notre capacité à innover et à anticiper les attentes des consommateurs. Elles s'inscrivent dans une démarche globale qui vise à conjuguer performance économique et responsabilité environnementale.
En conclusion, Nestlé Waters a fait l'objet d'une couverture médiatique intense, mettant en cause l'intégrité de ses équipes au travers d'approximations et même, parfois, de contre-vérités, alors même que ce sont ces équipes qui ont fait tout le travail pour assurer la mise en conformité et en ont assumé les conséquences sur l'activité et la réputation. Ce qui est dit et commenté dans les médias a trait à des pratiques passées. Ce traitement médiatique a été éprouvant pour nous tous, que ce soit dans le Gard, dans les Vosges, au siège ou dans les forces de vente.
Pourtant, les équipes sont restées totalement mobilisées, et je les en remercie ici encore. Leur engagement ne faiblit pas, car, au-delà de leur travail, elles tirent une fierté sincère de ces marques emblématiques qui font partie de l'histoire et du quotidien des Français. Cet attachement dépasse d'ailleurs l'entreprise. Il est partagé par les habitants du Gard et des Vosges, pour qui ces eaux sont un patrimoine autant qu'un savoir-faire.
Enfin, je souhaite, à l'instar de mes collègues qui se sont exprimés ici, rappeler qu'une procédure pénale est en cours concernant des faits sur lesquels votre commission d'enquête mène également des travaux. Dans ce contexte, et avec tout le respect que je dois à votre commission, si certaines de vos questions portent sur des éléments relevant de cette procédure, je ne serai pas en mesure d'y répondre.
Je vous remercie de votre attention et me tiens à votre disposition pour répondre à vos questions.
M. Laurent Burgoa, président. - Je vous remercie, madame la directrice, pour vos propos.
Notre commission d'enquête est la plus impartiale possible. Nous ne sommes pas un tribunal, nous laissons l'information judiciaire se faire, mais dans notre rôle de contrôle des événements et de l'activité de l'exécutif, nous disposons de prérogatives.
Plus que tout autre, l'exemple de la commission d'enquête sur l'affaire Benalla, dont le président était notre ancien collègue Philippe Bas, devenu membre éminent du Conseil constitutionnel, montre bien que nous respectons les fonctions exécutive et judiciaire, et que celles-ci ont également du respect pour la fonction législative. C'est tout le sens de notre Constitution !
Je vous fais confiance, madame la directrice, pour répondre aux questions que Monsieur le rapporteur va vous poser. Je lui laisse immédiatement la parole.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je vous remercie, Madame Dubois, pour ces premiers éléments, qui suscitent cependant une réaction de ma part. Vous avez eu des mots assez durs pour la presse et les médias. Je rappelle que c'est grâce aux enquêtes journalistiques que le consommateur a pu être informé de l'existence d'une fraude de l'ordre, selon le service national des enquêtes (SNE), de 3 milliards d'euros. Par conséquent, je salue le travail qui a pu être fait par les différents journalistes.
Nous avons prévu d'entendre en audition les représentants d'Agrivair. Nous avons donc aussi la volonté de comprendre ce que vous mettez en place en matière de préservation de la ressource.
J'en reviens là où le président a commencé, à savoir à la manière dont les choses se sont passées, dont ces traitements ont été mis en place, quand et à quelle fin. Je ne crois pas que vous ayez apporté de réponses sur ces points. À notre connaissance, ces traitements ont été utilisés sur tous les sites français de Nestlé Waters. Par conséquent, il y a une dimension systémique. À quel niveau la décision a-t-elle été prise ?
Nous aimerions disposer de ces informations pour comprendre l'ampleur de ce qui a pu se passer chez Nestlé, même si nous entendons qu'un travail a été effectué depuis.
Mme Sophie Dubois. - L'entreprise a reconnu avoir utilisé, par le passé, des traitements non conformes. C'est une situation héritée du passé. Je ne sais pas de quand elle date.
Nous l'avons reconnu publiquement. Dans une démarche proactive, nous sommes allés voir les autorités pour leur exposer la situation. L'entreprise a exprimé ses regrets et a mis en place le plan de transformation qui a mis fin à ces pratiques, qui, en effet, ne pouvaient pas perdurer.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous parlez de pratiques du passé. Vous êtes arrivée chez Nestlé en tant que directrice générale en avril 2018, me semble-t-il. Voulez-vous dire que ces pratiques étaient antérieures à votre arrivée chez Nestlé ?
Mme Sophie Dubois. - Je ne sais pas à quand remontaient ces pratiques. Ce que je peux vous dire, c'est que je n'étais pas au courant de celles-ci quand je suis arrivée à la présidence de Nestlé Waters marketing et distribution en avril 2018.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Mais avaient-elles déjà cours ?
Mme Sophie Dubois. - Nous avons reconnu publiquement que l'on avait utilisé ces traitements non conformes. Je vous dis simplement que c'est une situation héritée du passé, que je ne sais pas de quand elle date et que je n'étais pas au courant à mon arrivée chez Nestlé Waters en 2018.
M. Laurent Burgoa, président. - Je voudrais juste une précision, madame. Vous avez été en fonction d'avril 2018 à janvier 2025 - arrêtez-moi si je me trompe.
Mme Sophie Dubois. - C'est bien cela.
M. Laurent Burgoa, président. - Lorsque Nestlé a rencontré le cabinet de la ministre Pannier-Runacher, le 31 août 2021, vous étiez donc bien en fonction en tant que directrice générale de Nestlé Waters France.
Vous reconnaissez les traitements illégaux et vous faites part du plan de modernisation que Nestlé a mis en place, ce qui est tout à votre honneur. Mais à quel moment avez-vous eu connaissance de ces traitements illégaux ? Ma question est simple ; pouvez-vous y répondre, madame ?
Mme Sophie Dubois. - J'ai été informée de ces traitements illégaux non conformes à l'été 2021.
M. Laurent Burgoa, président. - En gros, au moment de votre rendez-vous avec le cabinet de la ministre ?
Mme Sophie Dubois. - Précisément lorsqu'il a été décidé de mettre en place un plan de transformation pour mettre fin à ces pratiques passées.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous êtes directrice du groupe, vous apprenez qu'il y a eu des pratiques illégales et vous ne cherchez pas à savoir depuis quand elles ont cours. Autrement dit, vous ne diligentez pas d'enquête en interne pour identifier les raisons qui ont conduit à recourir à ces pratiques ? C'est pour le moins étonnant.
Mme Sophie Dubois. - Je rappelle que je n'étais pas chargée de la gestion des usines et de la gestion des ressources en eau. Mon périmètre de responsabilités se limitait au développement des marques et à la commercialisation. J'étais présidente de l'entité juridique Nestlé Waters marketing et distribution. Quand j'ai été mise au courant du dossier, en 2021, j'ai bien évidemment compris qu'il y avait un problème lié à la règlementation appliquée en France pour les eaux minérales naturelles. Toutefois, j'ai également compris qu'il n'y avait pas d'enjeu de sécurité alimentaire et que la composition minérale et le goût unique de nos eaux avaient toujours été préservés, ce qui signifie que l'expérience consommateur n'a pas souffert de ces traitements.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Les représentants du groupe qui ont été entendus par le cabinet de la ministre déléguée, chargée de l'industrie, en août 2021, ont indiqué avoir découvert l'existence de ces traitements illégaux en décembre 2020. Or vous nous dites n'avoir été prévenue qu'en août 2021, alors que vous êtes directrice du groupe ? Pouvez-vous nous confirmer cela ?
Mme Sophie Dubois. - La seule chose que je sais, c'est qu'il s'agit d'une situation héritée du passé.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Ce n'est pas ma question.
Mme Sophie Dubois. - Je vous confirme que j'ai été mise au courant de la situation à l'été 2021, au mois de juillet ou au début du mois d'août, je ne me rappelle pas précisément la date. Je n'étais pas présente aux réunions pendant lesquelles les représentants du groupe se sont entretenus avec les autorités nationales. Encore une fois, j'étais chargée des stratégies marketing et commerciale et pas de l'activité industrielle. Il n'y avait donc pas de raison que je sois informée de ces éléments avant la mise en place du plan de transformation, qui allait avoir des conséquences sur l'activité commerciale.
M. Laurent Burgoa, président. - La temporalité est un élément important dans ce dossier. Quand nous avons entendu en audition, il y a quelques semaines, l'ancien directeur du site de Vergèze, il nous a dit avoir eu connaissance de ces faits en mars 2021. Comment se fait-il que vous n'ayez pas eu l'information avant l'été 2021 ? Le délai est quasiment d'un trimestre. Or les moyens technologiques permettent une communication rapide de nos jours.
Mme Sophie Dubois. -Les directeurs d'usine ne me rapportaient pas.
M. Laurent Burgoa, président. - Vous confirmez donc n'avoir eu l'information qu'à l'été 2021.
Mme Sophie Dubois. - Absolument. Les directeurs d'usine rapportaient à la direction des opérations techniques, c'est-à-dire à une direction qui est séparée de la mienne.
M. Laurent Burgoa, président. - Dans mon propos introductif, j'ai précisé que vous aviez été directrice générale de Nestlé Waters France d'avril 2018 à janvier 2025. En tant que directrice générale, vous ne vous occupiez que du marketing ?
Mme Sophie Dubois. - J'étais chargée des stratégies marketing et commerciale plus particulièrement.
M. Laurent Burgoa, président. - Qui donc chez Nestlé Waters France s'occupait du sujet des traitements non conformes ?
Mme Sophie Dubois. - Je ne peux pas vous le dire, mais il y avait une direction technique chargée des opérations à la tête de laquelle se trouvait M. Ronan Le Fanic.
M. Laurent Burgoa, président. - Il s'agit donc plutôt de la direction technique opérationnelle.
Mme Sophie Dubois. - Oui. D'ailleurs, dans mon poste précédent chez Purina, je n'étais pas non plus responsable des usines qui rapportaient de la même manière à une direction technique séparée. Ce type d'organisation est assez courant dans des groupes comme le nôtre.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Cela fait un an et demi que le scandale a eu lieu et vous saviez que vous deviez venir déposer devant notre commission d'enquête. Pourtant, vous n'avez jamais organisé de discussion en interne pour savoir à partir de quel moment les traitements illégaux avaient été mis en place et pour quelles raisons ? En tant que directrice générale, vous n'avez pas été informée et vous ne pouvez donc pas nous donner d'éléments supplémentaires ?
Mme Sophie Dubois. - Sur ce sujet je n'ai aucune information sur les dates ou sur les personnes. Je me suis concentrée sur le plan de transformation dès lors qu'il a eu des conséquences dans le champ de mes activités, c'est-à-dire lorsqu'il a fallu revoir les plans marketing et commerciaux liés à des capacités d'approvisionnement plus limitées, notamment pendant les travaux sur le site de Vergèze, lorsqu'il a fallu refondre la marque Hépar, lancer la marque Maison Perrier et informer nos clients de l'évolution de nos activités. Il n'était pas dans mes attributions de faire une recherche de responsabilités sur ces faits qui relevaient du passé.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous nous confirmez donc que vous n'avez assisté à aucune réunion dans laquelle vous auriez été briefée sur ce qui s'était passé et informée d'éléments qui vous permettraient de répondre aux questions que nous vous posons dans le cadre de cette commission ?
Mme Sophie Dubois. - La seule communication qui m'a été faite concernait l'existence de ces traitements non conformes, au moment du lancement du plan de transformation visant à assurer la mise en conformité de l'ensemble de nos opérations.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - À votre connaissance, dans votre groupe, du côté opérationnel, y a-t-il eu des sanctions internes qui ont été prononcées à l'encontre de ceux qui avaient mis en place ces traitements ou qui les avaient perpétués ?
Mme Sophie Dubois. - Pas à ma connaissance. En tout cas, je l'ignore.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pour en revenir à la réunion du 31 août, vous nous avez dit ne pas y avoir assisté. Avez-vous été associée d'une manière ou d'une autre à la préparation de la réunion ?
Mme Sophie Dubois. - Absolument pas.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Mes questions portent surtout sur l'aspect opérationnel, notamment sur la fermeture des forages et les raisons qui l'ont justifiée, mais je crains que vous ne me répondiez à chaque fois que vous n'étiez pas au courant et qu'il faudrait s'adresser à la direction des affaires opérationnelles.
Mme Sophie Dubois. - Je suis prête à répondre à vos questions dans la mesure de mes connaissances. Toutefois, en effet, les questions techniques et scientifiques n'étaient pas dans mon périmètre de responsabilités. Mes connaissances en matière technique et industrielle sont donc limitées.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - La microfiltration était-elle dans votre périmètre ?
Mme Sophie Dubois. - Les questions industrielles n'étaient pas dans mon périmètre.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Dans ces conditions, je n'ai plus de questions.
M. Laurent Burgoa, président. - Après la réunion d'août 2021, avez-vous eu un retour sur ce qui s'était dit ?
M. Laurent Burgoa, président. - Ni en amont ni en aval ?
Mme Sophie Dubois. - Je n'ai été impliquée que lorsqu'il a fallu mettre en place le plan de transformation, à partir du moment où il a eu des conséquences sur les plans marketing et commerciaux.
M. Laurent Burgoa, président. - Si j'ai bien compris, dans votre groupe, le travail est organisé en silo. Chaque chaîne est séparée et chacun travaille dans son domaine.
Mme Antoinette Guhl. - Dans l'organigramme de Nestlé Waters, la direction des opérations dépend-elle de la direction générale ou ces deux entités sont-elles séparées ? Je n'ai jamais vu cela dans aucune entreprise.
Mme Sophie Dubois. - Je comprends que notre organisation puisse paraître compliquée. J'étais chargée de l'entité Nestlé Waters France marketing et distribution. Les usines sont des entités séparées, réparties entre Nestlé Waters Supply Est pour le site des Vosges et Nestlé Waters Supply Sud pour le site de Vergèze. Je n'avais aucune responsabilité opérationnelle.
Mme Antoinette Guhl. - Quand vous avez été informée du problème, en 2021, vous avez dû comprendre que l'appellation d'eau minérale naturelle ne convenait pas aux marques que vous commercialisiez, puisque la règlementation n'était pas respectée. Vous étiez responsable du marketing de sorte que le champ de vos responsabilités couvrait le produit, la communication, l'étiquetage, etc. Comment avez-vous géré le fait de ne plus pouvoir utiliser l'appellation d'eau minérale naturelle dans l'étiquetage des produits commercialisés par Nestlé Waters sous les marques Vittel, Hépar, Contrex et Perrier ?
Mme Sophie Dubois. - Je tiens à redire que la sécurité alimentaire de nos eaux a toujours été garantie.
Mme Antoinette Guhl. - Il s'agit de marketing, pas de sécurité alimentaire.
Mme Sophie Dubois. - Le goût unique de nos eaux, ainsi que leur composition minérale, ont toujours été préservés, de sorte que l'expérience consommateur n'a en rien été altérée. Les comparaisons avec l'eau du robinet n'ont pas lieu d'être dans la mesure où nos eaux sont d'origine souterraine, ancrées dans des territoires qui leur confèrent des caractéristiques uniques, ce qui n'est pas le cas de l'eau du robinet. En effet, les origines de cette eau peuvent être diverses, elle est traitée chimiquement et n'est pas forcément issue de nappes souterraines.
Mme Antoinette Guhl. - Confirmez-vous que vous ne pouviez pas, en tant que directrice marketing, continuer à utiliser l'appellation d'eau minérale naturelle pour les produits de votre groupe, car ceux-ci n'en avaient pas les caractéristiques ? Même si elles étaient puisées dans les sous-sols et gardaient une forme de minéralité, les eaux de Nestlé Waters n'avaient pas la pureté originelle nécessaire, puisqu'elles subissaient un certain nombre de filtres non autorisés pour les eaux minérales naturelles.
Mme Sophie Dubois. - Je ne peux que répéter ce que je viens de dire sans faire davantage de commentaires, car ces questions font l'objet d'un traitement judiciaire.
M. Laurent Burgoa, président. - Je crois qu'il faudrait que vous soyez plus explicite. Une procédure judiciaire est en cours, qui pourra durer des années ou bien être très courte. Dans l'intérêt général de votre groupe, et celui du Sénat, vous pourriez être plus prolixe.
M. Daniel Gremillet. - Vous avez fait état du montant des investissements qui ont été réalisés depuis 1990. Est-ce que ce montant englobe Agrivair et les achats fonciers qui ont été opérés sur le site de Vittel-Contrex ?
Mme Sophie Dubois. - Le montant de 100 millions d'euros que j'ai cité englobe Agrivair. Pour le reste, je complèterai ma réponse par écrit car certains points sont à vérifier.
M. Olivier Jacquin. - Cette audition est édifiante et votre stratégie de communication ne manque pas de m'étonner ! Vous vous revendiquez directrice marketing et lorsque votre système marketing est menacé par une fraude, vous ne semblez guère émue et votre seule réponse est de rappeler que la santé du consommateur n'est pas affectée. Je suis très étonné face à cette absence de responsabilité. Je ne suis pas certain que cela serve le groupe que vous tentez de défendre.
Mme Sophie Dubois. - Je n'ai pas répondu uniquement sur la partie qui touche à la sécurité alimentaire. Encore une fois, je ne peux pas me prononcer sur une qualification juridique. J'ai voulu insister sur le fait que la composition minérale de nos eaux et leur goût unique ont toujours été préservés. Nous n'avons rien ajouté à notre eau. De ce point de vue, l'expérience utilisateur n'a pas été altérée. Il m'est difficile d'aller au-delà dans mes commentaires.
Mme Audrey Linkenheld. - J'ai fait des études de marketing et j'ai bien en tête certaines notions comme le mix marketing ou les « 4P », pour produit, place, prix et promotion. Comme ma collègue Guhl, je suis assez surprise : vous nous dites que l'expérience consommateur n'a pas été altérée, mais la promesse client d'une eau minérale naturelle a-t-elle été respectée, dès lors que l'eau minérale a subi des traitements et n'est donc plus naturelle ? Or le respect de la promesse client doit être une priorité.
J'ai fréquenté le monde de l'entreprise et je comprends bien l'organisation de votre groupe, telle que vous nous l'avez exposée : il est tout à fait possible d'exercer comme directrice marketing et distribution une fonction de nature horizontale tout en ayant comme collègues des directeurs opérationnels qui gèrent des sites dans le cadre d'une organisation de nature plus verticale. Ce type d'organisation, comme vous l'avez dit, est assez fréquent dans les entreprises.
Toutefois, au sein de cette organisation, telle que vous l'avez décrite, il semble qu'il n'y ait pas de transversalité ni aucun arbitrage à prendre. Que se passerait-il en cas de désaccord entre la directrice marketing et distribution et son collègue, directeur des sites ? Ne revient-il pas à la directrice générale d'arbitrer ? Autrement dit, comment se font les discussions entre le vertical et l'horizontal ?
En outre, j'ai du mal à comprendre que, dès lors que vous avez eu connaissance de la fraude, dont je rappelle qu'elle a abouti à la mise en place d'un plan de transformation, vous vous soyez contentée d'une seule information pour construire votre politique marketing et distribution sans jamais chercher à la préciser, notamment auprès de ceux qui dirigent les sites.
Pourriez-vous donc nous préciser de nouveau l'organigramme et nous dire comment vous gérez la transversalité de votre organisation et qui prend les décisions en cas de désaccord ?
Mme Sophie Dubois. - La direction technique rapportait à la directrice générale Nestlé Waters Europe et je lui rapportais aussi.
M. Laurent Burgoa, président. - Pourriez-vous nous donner son nom ?
Mme Sophie Dubois. - Il s'agit de Madame Muriel Liénau.
M. Laurent Burgoa, président. - Nous l'entendrons en audition demain.
Mme Sophie Dubois. - Par ailleurs, je ne suis pas restée sans rien faire. Mon équipe s'est mobilisée sur la mise en conformité de l'ensemble des opérations. Encore une fois, la situation est un héritage du passé.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Mais vous nous avez dit que vous n'interveniez jamais sur les opérations.
Mme Sophie Dubois. - Je suis intervenue sur la partie du plan de transformation qui me concernait, soit l'adaptation des plans marketing et commerciaux à des capacités d'approvisionnement plus limitées, le lancement de la gamme Maison Perrier, la refonte de la gamme Hépar ou bien encore l'information des clients et des consommateurs. Tout cela entrait dans mon périmètre de responsabilités.
Cela fait bientôt quatre ans que l'entreprise a ouvertement reconnu les traitements non conformes et s'est mobilisée pour mettre fin à ces pratiques en lançant un plan de transformation avec courage et détermination.
Mme Audrey Linkenheld. - Vous n'avez pas répondu sur la promesse client.
Mme Sophie Dubois. - Encore une fois, l'eau du robinet peut provenir de différents endroits. Elle peut avoir un goût différent d'un lieu à l'autre et elle peut être traitée chimiquement. Les eaux minérales naturelles proviennent d'une source souterraine protégée et sont ancrées dans un territoire qui leur confère un goût et une composition minérale uniques. Ce sont ces bénéfices-là que recherchent les consommateurs et c'est la raison pour laquelle je peux dire que les traitements non conformes n'ont en rien altéré l'expérience consommateur.
Mme Antoinette Guhl. - Vous avez créé la marque Maison Perrier. L'avez-vous créée parce que l'eau utilisée dans ce cadre ne pouvait pas être vendue comme une eau minérale Perrier ?
Mme Sophie Dubois. - Le lancement de la gamme Maison Perrier relève d'une approche stratégique visant à répondre aux nouvelles attentes des consommateurs sur un segment des boissons en plein développement. Le projet de lancement de Maison Perrier était antérieur au plan de transformation et a été accéléré durant la mise en place de celui-ci. Les puits qui ont été alloués à la production de Maison Perrier étaient ceux sur lesquels il était plus difficile de maintenir la stabilité des caractéristiques essentielles de l'eau minérale, du fait de leur ancienneté.
Mme Antoinette Guhl. - Confirmez-vous qu'il existe bien deux qualités d'eau aujourd'hui, ce qui signifie que Maison Perrier utilise une eau qui ne peut pas être vendue comme une eau minérale naturelle, car elle a besoin d'être traitée ?
Mme Sophie Dubois. - Maison Perrier n'est pas vendue comme une eau minérale naturelle. C'est une nouvelle gamme de boissons destinée à répondre aux nouvelles attentes des consommateurs. Elle respecte parfaitement les règles applicables aux boissons, qui relèvent d'une règlementation distincte. Il s'agit d'une offre complémentaire de notre gamme historique d'eaux minérales naturelles qui répond à des besoins complètement différents. Pour l'eau minérale naturelle, les bénéfices sont liés à la santé, grâce à la teneur en minéraux. Pour la gamme Maison Perrier, les bénéfices sont liés au plaisir et à la variété.
Mme Antoinette Guhl. - La préfecture a déclassé deux puits dont l'eau ne peut donc plus être commercialisée sous l'appellation Perrier eau minérale naturelle. Or ce sont ces deux puits qu'utilise la marque Maison Perrier. Quand bien même cela ne relèverait pas d'une volonté marketing ou stratégique de la marque, dans la mesure où la création de Maison Perrier fait partie du plan de transformation, on peut considérer qu'elle est une réponse au déclassement de ces deux puits. Pouvez-vous nous le confirmer ?
Mme Sophie Dubois. - L'entreprise a décidé d'allouer ces deux puits, plus sensibles aux aléas climatiques, à la production de la nouvelle gamme de boissons Maison Perrier, qui nous permet d'innover et de répondre aux nouvelles attentes des consommateurs.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je tiens à dire que la manière dont vous êtes entrée dans cette audition m'a semblé parfaitement déloyale. Vous nous avez fait vingt minutes de réclame, ou de publicité, pour Nestlé. Puis vous avez répondu à nos questions à la manière d'un robot, tout en nous disant que vous n'aviez jamais discuté en interne, ce qui ne peut que susciter des interrogations sur la manière dont votre groupe fonctionne. L'une de nos collègues a préféré quitter l'audition tellement la situation est déplorable, et je la comprends. Nestlé n'a pas joué le jeu, dans cette audition. Tous les communiqués de presse indiquent que vous vous apprêtez à quitter la direction de Nestlé Waters France, or vous nous dites que vous ne savez pas ce qui se passe dans les usines du groupe. Une telle attitude face à la représentation nationale n'est pas acceptable. Cette audition n'aura servi à rien.
Mme Sophie Dubois. - J'ai essayé de répondre du mieux possible à vos questions, en fonction de mes connaissances et sous serment. J'ai essayé de vous expliquer l'organisation de notre groupe, dont je reconnais qu'elle est compliquée. Je ne peux que déplorer la manière dont vous interprétez mes réponses. Encore une fois, j'ai été mise au courant du sujet au moment du plan de transformation. J'ai participé à ce plan. Il s'agissait de décisions courageuses de la part de l'entreprise. Les équipes en place ont fait tout le travail et souffrent, aujourd'hui, des commentaires que l'on peut lire dans les médias, notamment sur la sécurité alimentaire de nos eaux. Je reconnais toutefois à votre commission d'enquête le mérite d'avoir levé le doute sur l'absence de risque sanitaire. J'ai fait partie de ces équipes qui, avec courage et détermination, ont résolu la situation. Pour le passé, je ne peux pas me prononcer et la justice est saisie.
M. Laurent Burgoa, président. - On peut être surpris, compte tenu des fonctions de directrice générale que vous avez exercées, que vous n'ayez pas eu connaissance des faits avant août 2021. Cela ne peut qu'attirer notre attention. Encore une fois, je ne suis pas un spécialiste du marketing, mais en tant que parlementaire et président de cette commission d'enquête, je suis surpris, compte tenu de l'importance de vos responsabilités, que vous n'ayez pas été informée plus tôt. Nous recommanderons à Nestlé de mieux faire circuler l'information au sein du groupe. Je suis un peu surpris, pour ne pas dire déçu.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 18 h 40.
Mercredi 19 mars 2025
- Présidence de M. Laurent Burgoa, président -
La réunion est ouverte à 13 h 30.
Audition de Mme Adrienne Brotons, ancienne directrice de cabinet du ministre de l'industrie
M. Laurent Burgoa, président. - Mes chers collègues, nous recevons aujourd'hui Madame Adrienne Brotons, qui fut directrice du cabinet du ministre délégué chargé de l'industrie et de l'énergie, Roland Lescure, de juillet 2022 à septembre 2024.
Madame Brotons, avant de vous céder la parole, je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, notamment de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.
Je vous invite maintenant à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Adrienne Brotons prête serment.
La commission d'enquête sur les pratiques des industriels de l'eau en bouteille a été instituée par le Sénat le 20 novembre dernier, après que plusieurs médias ont révélé, au début de l'année 2024, les pratiques illégales commises par certaines entreprises du secteur, en particulier le recours à des traitements interdits sur les eaux minérales naturelles et de source. Nous souhaitons faire la lumière sur ce dossier, sous réserve des éventuelles procédures judiciaires en cours.
La présente audition a pour objectif de nous éclairer sur la façon dont différents ministères ont géré les développements de l'affaire Nestlé Waters, entre juillet 2022 et septembre 2024.
Les documents qui nous ont été transmis en amont de cette audition montrent, Madame Brotons, l'importance de votre rôle dans cette affaire, ainsi que celui de votre conseillère, Madame Mathilde Bouchardon. En outre, ils révèlent la forte propension du cabinet du ministre de l'industrie à appuyer les demandes du groupe Nestlé, sans tenir compte ni du risque sanitaire potentiel ni d'une opération de tromperie massive à l'égard des consommateurs.
Pourquoi le cabinet du ministre s'est-il positionné ainsi ? Quelles instructions avez-vous reçues du ministre et quelles sont celles que vous avez adressées à Madame Bouchardon ? Quelle a été la nature de vos échanges avec le groupe Nestlé, ou avec d'autres groupes ? Quelles leçons tirez-vous de cette crise, qui entame la confiance des consommateurs et traduit la bienveillance relative des autorités à l'égard de cet industriel ?
Mme Adrienne Brotons, ancienne directrice de cabinet du ministre de l'industrie. - Je vous remercie, monsieur le président, monsieur le rapporteur, de me donner l'occasion de m'exprimer devant votre commission d'enquête. Je vais m'efforcer de vous restituer le plus fidèlement possible la chronologie des faits et, surtout, la façon dont nous avons construit notre réflexion sur ce sujet au sein du cabinet du ministre de l'industrie.
Cette réflexion a évolué au fil du temps, pour prendre en compte les nouvelles informations qui nous ont été communiquées dans le cadre d'un dialogue constant avec nos collègues du ministère de la santé et de Matignon.
Pour commencer, le 28 juillet 2022, je suis nommée directrice de cabinet du ministre délégué chargé de l'industrie et de l'énergie. Je prends donc mes fonctions en plein été, dans des bureaux vides et avec une équipe qui reste à constituer.
Le 2 août 2022, je reçois une demande de rendez-vous de la part de la présidente de Nestlé Waters, Madame Muriel Liénau. Nous recevons régulièrement des demandes de rendez-vous de la part d'industriels au sein du cabinet du ministre. Les rencontres qui en découlent nous permettent de mieux connaître les problématiques des industriels implantés sur le territoire français et de les informer des priorités du Gouvernement dans leur domaine.
Nous répartissons ces rendez-vous entre les conseillers, la direction du cabinet et le ministre. Quand la demande émane d'un président ou d'un directeur général, le rendez-vous a lieu avec moi ou avec le ministre lui-même.
Le courriel que je reçois de Muriel Liénau mentionne un rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) qui serait en cours de finalisation. Pour préparer ce rendez-vous, nous demandons à la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) de nous transmettre un certain nombre d'informations. Nous découvrons, à cette occasion, que la DGCCRF et les cabinets du ministère de l'économie ne disposent pas du rapport en question. Je demande donc au directeur de cabinet adjoint du ministre de la santé, Guillaume du Chaffaut, s'il peut me le communiquer, ce qu'il fait le 6 septembre 2022.
À la suite de différents échanges avec les services, j'apprends qu'une enquête administrative a été diligentée par une lettre en date du 19 novembre 2021. Elle devait être conduite par l'Igas, avec l'appui des agences régionales de santé (ARS) concernées et de la DGCCRF.
En lisant le rapport de l'Igas et la note de l'ARS Grand Est qui l'accompagnait, j'apprends plusieurs choses.
Tout d'abord, la note de l'ARS précise « qu'aucun risque sanitaire lié à la qualité de l'eau n'est identifié à ce stade et que la mise en place des traitements renforce même la sécurité sanitaire ».
Ensuite, concernant la fraude, la note de communication du rapport évoque le délit de tromperie des consommateurs et le dépôt d'une plainte en application de l'article 40 du code de procédure pénale.
Enfin, concernant la filtration inférieure à 0,8 micron, le rapport regrette l'existence d'un flou juridique, dans la mesure où ni la réglementation européenne ni l'arrêté du 14 mars 2007 n'indiquent de seuil de microfiltration autorisée, ce qui ouvre une marge d'interprétation.
Le 9 septembre 2022, nous recevons la présidente de Nestlé Waters. Lors de ce rendez-vous, nous décidons de l'écouter et de dire le moins de choses possible, pour nous donner le temps de construire avec le ministère de la santé une position commune. Dans mes souvenirs, l'équipe de Nestlé Waters nous expose la situation suivante : elle reconnaît l'existence de traitements illégaux aux rayons ultraviolets (UV) et au charbon actif, mais considère qu'il n'y a pas de risque sanitaire. Elle affirme même être en train de retirer ces traitements illégaux, en les remplaçant par des filtres inférieurs à 0,8 micron. Du reste, l'équipe précise que ces filtres seraient autorisés en Espagne et au Royaume-Uni et ne désinfecteraient pas l'eau.
À la suite de ce rendez-vous, nous alertons le cabinet de la ministre Madame Agnès Firmin Le Bodo et décidons de vérifier chacun des points évoqués par l'industriel. Nous cherchons d'abord à obtenir confirmation qu'il n'y a pas de risque sanitaire pour la population. Il ressort de plusieurs échanges avec l'Igas et le cabinet de la ministre Firmin Le Bodo qu'un tel risque n'existait pas.
Bien que l'industriel prétende être en train de mettre fin aux traitements illégaux, la fraude passée semble avérée. Nous cherchons donc à vérifier que le dépôt de plainte a été lancé et que la fraude constatée sera bien sanctionnée pénalement. Nous échangeons en ce sens avec nos services et les différents cabinets du ministère de la santé, jusqu'à obtenir confirmation, le 19 octobre, que le procureur a bien été saisi.
Par la suite, nous saisissons la DGCCRF, afin d'évaluer la véracité des cas de filtrations au Royaume-Uni et en Espagne évoqués par Nestlé Waters.
Enfin, nous nous faisons communiquer les textes et constatons, comme l'Igas, que la réglementation sur la filtration n'est pas claire. Si une directive européenne de 2009 interdit tout traitement de désinfection, l'arrêté du 14 mars 2007 définit une liste positive de traitements autorisés, mais ne précise pas le seuil de coupure acceptable pour la microfiltration.
En 2001, l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa), soit l'ancêtre de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses), autorise un industriel à recourir à une filtration à 0,8 micron, dans la mesure où elle vise un but technologique, s'accompagne d'un suivi de la qualité des eaux et ne modifie pas les caractéristiques microbiologiques de l'eau.
Une fois ces premières vérifications faites, et après un échange avec le cabinet de la ministre Firmin Le Bodo, nous transmettons une note commune à Matignon, le 28 septembre 2022. Celle-ci a été signée par le conseiller santé du cabinet de Madame Firmin Le Bodo et, du côté du cabinet du ministre de l'industrie, par la conseillère agroalimentaire.
Il n'est pas si courant d'adresser ce genre de note commune à destination de Matignon ; le plus souvent, le cabinet du Premier ministre prend ses décisions après avoir entendu des positions divergentes. Or, sur le sujet de la filtration, nous avons travaillé de concert et sommes parvenus à une proposition commune.
Dans cette note commune, nous rappelons plusieurs choses : tout d'abord, les manquements constatés par les inspecteurs sont constitutifs d'une fraude ; ensuite, aucun risque sanitaire lié à la qualité de l'eau n'est identifié ; enfin, la mise en place des traitements renforce la sécurité sanitaire.
En outre, nous partageons nos doutes sur la qualité de l'eau à l'émergence de la source en raison de ces traitements. Les filtres peuvent être autorisés par arrêté préfectoral, si l'exploitant démontre qu'il ne constitue pas un processus de désinfection. Notez que l'Espagne admet une filtration à 0,4 micron.
Sur la base de ces constats, les deux cabinets, dans la même note, proposent d'autoriser une filtration à 0,2 micron, si Nestlé apporte la preuve qu'elle n'entraîne aucun changement microbiologique de l'eau. Nous restons donc bien dans le champ de ce qui est autorisé par la réglementation européenne.
Nous proposons également de vérifier la qualité de l'eau à l'émergence de la source de la marque Hépar et d'encourager l'ARS à déposer plainte en vertu de l'article 40 du code de procédure pénale. Je rappelle que, à ce stade, nous ignorions toujours si la plainte avait été déposée et la justice, saisie.
À la suite de cette note, nous recevons, le 13 octobre 2022, une réponse de la part du cabinet du Premier ministre. Celui-ci nous ordonne de demander à Nestlé de cesser l'utilisation des traitements par charbon actif et rayonnement UV, de transmettre toutes les données permettant d'objectiver la qualité des sources et l'impact d'une microfiltration à 0,2 micron et, enfin, de prévenir les ARS et les préfets concernés.
Trois informations nouvelles vont modifier notre analyse de la situation et conduire à une nouvelle discussion interministérielle. Tout d'abord, le 30 novembre 2022, nous sommes informés par le cabinet de la ministre Firmin Le Bodo que le forage principal d'Hépar n'est pas pur à la source sur le plan microbiologique. Ainsi, il apparaît que l'eau issue de ce forage ne pourra pas être commercialisée sous le nom d'« eau minérale naturelle ».
Par conséquent, la demande de Nestlé de continuer à commercialiser cette eau avec une filtration à 0,2 micron, le temps de mettre en place son plan de modernisation, ne nous semble pas acceptable. Dès lors, nous recommandons à Matignon de suspendre l'autorisation d'exploitation pour ce site.
Le deuxième élément nouveau est la réception des avis de l'Anses, demandés pour appuyer les ARS dans leur analyse des effets de la filtration. Le premier avis, en date du 16 décembre 2022, rappelle l'état du droit, ainsi que les termes de l'avis qui avait été rendu sur la filtration à 0,8 micron. En outre, il cite des études scientifiques indiquant qu'une partie de la flore bactérienne naturellement présente dans les eaux souterraines peut ne pas être retenue par des filtres à 0,2 micron. Cela nous interroge et nous fait penser qu'il n'y a peut-être pas de désinfection automatique de l'eau à 0,2 micron.
Un mois plus tard, le 13 janvier 2023, l'Anses nous envoie un avis modifié précisant que, dans le cas d'Hépar, la filtration à 0,2 micron a un effet similaire à celui d'une désinfection. Je le précise, l'Anses effectue ce constat uniquement pour l'eau Hépar.
Nous comprenons de ces avis que l'impact sur le microbiome de l'eau doit être étudié au cas par cas, puisque l'Anses ne donne pas une réponse de portée générale sur l'impact d'une filtration inférieure à 0,8 micron. Ce point constitue, à mon sens, un aspect important du dossier.
Nous avons cherché à établir une règle nationale générale en nous appuyant sur l'expertise de l'Anses. Nous nous sommes rendu compte, à la suite de ses avis, que l'analyse de la désinfection ne pouvait être faite que localement, au cas par cas, par les ARS et, le cas échéant, avec l'appui de l'Anses.
Enfin, le troisième élément nouveau nous est communiqué par l'Igas, le 9 février 2023. Nous découvrons alors qu'un grand nombre d'arrêtés en France autorise une filtration inférieure à 0,8 micron et que certains arrêtés autorisent même explicitement la filtration à 0,2 micron.
Le 16 février 2023, une nouvelle réunion est organisée à Matignon pour échanger sur le dossier. Sur la base de ces derniers éléments, nous aboutissons à une position commune avec le cabinet de la ministre Firmin Le Bodo. Nous préconisons ainsi de retirer la qualification d'« eau minérale naturelle » au forage principal d'Hépar et d'autoriser, à titre temporaire, dans l'attente d'une clarification de la directive, une microfiltration inférieure à 0,8 micron, dans un but uniquement technologique. Le compte rendu de cette réunion est rédigé par le cabinet de la ministre Firmin Le Bodo.
Par la suite, Matignon envoie un projet de décision par courriel et demande aux cabinets concernés de faire part de leurs observations. Le cabinet du ministre de la santé propose quelques amendements, qui ont été approuvés par le cabinet du ministre de l'industrie. Ce texte deviendra donc le bleu, publié le 24 février 2023.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je vous remercie pour la précision de vos propos. J'essaierai, comme vous, de suivre le déroulé chronologique des faits.
Avez-vous pris connaissance du dossier lors de votre rencontre avec la présidente de Nestlé Waters, ou bien avez-vous été briefée par votre prédécesseur, d'une manière ou d'une autre, avant même d'être sollicitée par l'industriel ?
Mme Adrienne Brotons. - Je n'avais pas connaissance de ce dossier avant la demande de rendez-vous. C'est la sollicitation de Nestlé Waters et, surtout, la mention du rapport de l'Igas qui ont appelé notre attention. Voilà pourquoi nous avons préparé cette rencontre en amont, bien plus que nous le faisions pour d'autres rendez-vous.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous prétendez que l'industriel vous a informé de l'existence de traitements illégaux. Lors de ces échanges, avez-vous demandé à Nestlé Waters la date à laquelle ces traitements illégaux avaient été mis en place ? L'industriel a-t-il répondu à vos interrogations ? Avez-vous échangé sur le contenu, l'ampleur et l'intensité de la fraude qui venait de vous être révélée ?
Mme Adrienne Brotons. - Je n'ai pas retrouvé de compte rendu écrit de ces échanges, mais je me souviens que nous avions demandé à l'industriel de nous indiquer le moment à partir duquel les filtrations illégales avaient été installées. Or il ne le savait pas lui-même. Cela semble suggérer qu'il s'est contenté de récupérer ces sites et que les filtres étaient déjà posés. Par conséquent, cela pose la question du contrôle de ces installations.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Quelles informations avez-vous reçues à ce moment-là ?
Mme Adrienne Brotons. - Nestlé Waters m'a fait savoir qu'il procédait à un traitement par rayonnement UV et filtrage à charbon actif et que l'eau ne présentait aucun risque pour la population. En outre, il m'a indiqué vouloir remplacer ces installations illégales pour les remplacer par des filtres à 0,2 micron, notamment parce que l'Espagne et le Royaume-Uni tolèrent des filtrations inférieures à 0,8 micron.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Dans le cas d'un retrait des installations illégales, l'industriel évoque-t-il un risque de pollution ? Explique-t-il les conséquences d'une telle décision ?
Mme Adrienne Brotons. - Non, il semble dire que la filtration à 0,2 micron lui permet de commercialiser des eaux minérales naturelles, tout en préservant la santé des consommateurs.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Avez-vous eu des échanges avec le ministère de l'environnement et les services de l'État compétents en matière de consommation ?
Mme Adrienne Brotons. - Nous n'avons pas eu d'échanges avec le ministère de l'environnement sur ce sujet. Néanmoins, nous avons dialogué avec les services ministériels chargés de la consommation pour récupérer un certain nombre d'informations et préparer le rendez-vous avec Nestlé Waters. Je ne me souviens plus si nous avons eu un nouvel échange juste après. Par ailleurs, j'ai évoqué ce dossier lors de réunions hebdomadaires avec des directeurs de cabinet de Bercy.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Dans la note conjointe que vous avez rédigée avec le cabinet de la ministre Firmin Le Bodo, vous proposez d'autoriser une filtration à 0,2 micron, à condition que Nestlé apporte la preuve que cela ne modifie pas le microbisme de l'eau.
Avez-vous pris connaissance d'éléments vous permettant de considérer que l'industriel apportait bel et bien cette preuve ?
Voici ce qu'indiquait Mme Virginie Cayré, directrice générale de l'ARS Grand Est, dans une note du 17 novembre 2022 : « Les UV seront enlevés ou ont été pour partie seulement déjà enlevés, mais Nestlé les remplace systématiquement par des filtres à 0,2 micron, là encore, au motif de la sécurité sanitaire. Cette démarche de substitution interroge sur la qualité de la ressource elle-même et des installations de prélèvement, notamment sur la nécessité de désinfecter l'eau. Nous n'avons aujourd'hui aucune connaissance de la réelle qualité des eaux des ressources dans la mesure où les eaux étaient prétraitées lors de l'inspection. Cette position n'est pas acceptable. » Au demeurant, Madame Cayré précise que la filtration à 0,2 micron permettait, en soi, de désinfecter l'eau. En outre, je vous renvoie aux avis circonstanciés de l'Anses sur l'eau Hépar.
J'ai le sentiment que cette question est restée irrésolue jusqu'à la tenue de la concertation interministérielle dématérialisée (CID). Les éléments dont vous disposiez semblent révéler une modification du microbisme de l'eau, mais peut-être avez-vous reçu des informations qui vous ont permis d'écarter cette hypothèse ?
Mme Adrienne Brotons. - La note commune que nous avons transmise à Matignon, le 28 septembre 2022, ne fait que rappeler l'état du droit. A priori, aucun élément juridique n'indique que, à 0,2 micron, l'eau est désinfectée. C'est bien à l'industriel d'apporter la preuve que le procédé mis en oeuvre ne modifie pas le microbisme de l'eau. Voilà pourquoi nous avons demandé à Nestlé Waters de transmettre un certain nombre d'éléments, à la suite du courriel que nous avons reçu de Matignon.
Ces éléments ont été communiqués à l'ARS. Or l'ARS Grand Est nous fait savoir, à la fin de l'année 2022, qu'elle n'est pas en mesure de les analyser. La ministre Firmin Le Bodo a donc saisi l'Anses afin d'établir si la filtration à 0,2 micron modifiait le microbisme de l'eau. Le cabinet du ministre Lescure, quant à lui, n'a pas été associé à cette démarche.
M. Laurent Burgoa, président. - L'État demande systématiquement aux industriels de prouver qu'ils commercialisent une eau de qualité. Pourquoi ne serait-ce pas à lui d'apporter cette preuve ?
Mme Adrienne Brotons. - Je vais répondre à votre question, monsieur le président, mais je souhaite d'abord compléter mes propos précédents. Dans sa note du 8 novembre 2022, l'ARS Grand Est précise que le dossier Nestlé Waters implique une technicité qui va au-delà de ses compétences. Dès lors, elle est contrainte de faire appel à l'Anses pour rechercher des paramètres qui se situent au-delà de son contrôle habituel, ainsi qu'à la direction générale de la santé (DGS) sur les questions réglementaires du seuil de coupure de filtre.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous avez eu le bon réflexe en demandant à Nestlé Waters, conformément au sens de la réglementation, de prouver que la filtration n'avait pas d'impact sur le microbisme de l'eau. Or il apparaît que l'ARS Grand Est et l'Anses doutent du procédé mis en oeuvre par l'industriel et que celui-ci n'a jamais apporté la moindre preuve sur l'absence de modification de la qualité de l'eau. D'ailleurs, le préfet du Gard l'a mis en demeure de communiquer cette information, ce qui n'a toujours pas été fait à l'heure actuelle.
Encore une fois, il semble qu'aucun élément ne vous permette de dire que la filtration à 0,2 micron ne modifie pas le microbisme de l'eau.
Mme Adrienne Brotons. - N'étant pas experte du domaine de l'eau, je n'ai pas compétence pour dire si, oui ou non, une filtration à 0,2 micron modifie le microbisme de l'eau. Je ne suis pas en mesure de dire si les éléments que Nestlé Waters a communiqués aux ARS étaient complets, ni s'ils permettaient de prouver qu'il y avait, ou pas, désinfection de l'eau.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je vois une contradiction par rapport à ce que vous aviez énoncé le 9 septembre : vous indiquiez alors que, pour que la demande soit entendue, une démonstration devait être apportée. Vous nous expliquez maintenant que cela n'était pas, en définitive, votre affaire et que vous avez proposé une solution en réunion interministérielle sans avoir de réponse à la question essentielle dans cette affaire : l'eau était-elle filtrée dans un but de désinfection, ou non ? Autrement dit, l'entreprise vendait-elle encore de l'eau minérale naturelle ?
Mme Adrienne Brotons. - Si je puis me permettre, monsieur le rapporteur, de nombreux points sont évoqués et il y a quelques confusions.
Dans la note commune du 28 septembre, nous indiquons qu'il faut laisser à Nestlé Waters la possibilité d'apporter la preuve, si tel est le cas, que l'eau n'est pas désinfectée avec une filtration à 0,2 micron. Nous ne faisons que dire l'état du droit.
Pour cela, nous nous appuyons sur un avis de 2001 d'une des agences dont l'Anses est issue : l'Afssa. À cette époque, l'agence avait rendu un avis sur un cas particulier : un industriel l'avait saisie pour qu'elle confirme qu'une filtration à 0,8 micron n'entraînait pas de désinfection, et la mise en place de la filtration avait été autorisée. Nous décidons d'appliquer le même raisonnement.
Matignon nous donne alors son accord pour demander aux experts de récupérer les éléments de Nestlé Waters, de les analyser et d'en tirer des conclusions. Les ARS, qui, je le rappelle, sont sous la tutelle du ministère de la santé, nous semblent être les bons experts à solliciter. Mais celles-ci nous écrivent en demandant un appui technique de l'Anses.
Nous saisissons de nouveau l'agence, qui, je le redis, et c'est bien là toute la difficulté du dossier, ne rend pas un avis général sur la filtration à 0,2 micron. Ce que dit l'Anses dans son avis complémentaire, c'est que la filtration à 0,2 micron dans le cas de la source Hépar est une désinfection. Cette information n'a pas énormément de conséquences puisque nous savons, à ce moment-là, que la source en question n'est pas pure à l'origine et, en conséquence, que cette eau ne peut plus être une eau minérale naturelle.
Pour aller un peu plus loin, monsieur le rapporteur, je pense que votre question en cache une autre : pourquoi ne pas avoir choisi, dans le doute, d'interdire la filtration à 0,2 micron ? L'industriel aurait été en droit de nous reprocher d'avoir appliqué une règle non conforme à la directive européenne et de ne pas lui avoir laissé la possibilité de démontrer qu'il ne désinfectait pas l'eau.
Il nous revient d'appliquer le droit, pas de le tordre ! Il était donc logique que l'on permette à l'industriel d'apporter des preuves.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Tout ce que vous venez de dire ne me pose qu'un seul problème. Je l'ai énoncé précédemment et vous n'avez pas répondu à ma question, qui, il me semble, appelle soit un « oui », soit un « non ». À votre connaissance, l'industriel a-t-il apporté la preuve que la filtration à 0,2 micron ne constituait pas une désinfection de l'eau ?
Mme Adrienne Brotons. - Je ne peux pas vous répondre car, face aux éléments apportés par l'industriel, les experts n'ont pas apporté de réponse.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - L'État doit bien in fine se mettre en situation de répondre à la question... Si je suis votre raisonnement, la responsabilité de la situation incomberait à l'Anses. D'après vous, vous avez défendu une position dans le cadre d'un arbitrage en CID sans avoir le dernier mot sur le sujet, parce que les experts ne vous avaient pas aiguillée. Les représentants de l'Anses nous ont dit, en audition, avoir clairement indiqué que leur avis rendu au début des années 2000 était toujours valable et que la position du directeur général de la santé était nette.
Nous avons tout de même le sentiment que vous accordez une permission - je rappelle que la microfiltration est une possibilité dérogatoire ouverte par la directive - sans savoir si la démarche est conforme à la réglementation. Vous autorisez sans savoir.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pardonnez-moi, mais il est bien question - je reprends les conclusions de la CID - d'accompagner Nestlé dans son plan de transformation pour pouvoir accepter des seuils de coupure sous 0,8 micron.
Mme Adrienne Brotons. - Ces conclusions reprennent l'état du droit : dans le respect des textes communautaires, on autorise à descendre au-dessous du seuil de 0,8 micron, avec la limite que l'industriel doit apporter la preuve qu'il n'y a pas désinfection de l'eau.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Preuve qui n'a pas été apportée !
Mme Adrienne Brotons. - Encore une fois, les éléments sont analysés par les experts de l'ARS. Ceux-ci ne nous ont pas dit que la preuve avait été apportée ; ils ne nous ont pas non plus dit que l'inverse était vrai et qu'il y avait désinfection de l'eau. À ma connaissance, au moment où je travaille sur le dossier, les autorités sanitaires ont estimé qu'il y avait désinfection dans un seul cas : celui d'Hépar.
Si je puis me permettre, monsieur le rapporteur, je souhaiterais rappeler la teneur de votre audition des représentants de l'Anses. Vous demandez : « Est-ce qu'une microfiltration à 0,2 micron est, pour vous, assimilable à une désinfection ? ». Monsieur Schuler répond : « [...] En dessous de 0,4 micron, nous ne sommes plus dans une situation où l'on peut affirmer qu'il n'y a pas d'impact sur le microbisme de l'eau. » Vous relancez : « Donc cela signifie que vous considérez qu'il y a une modification du microbisme de l'eau, au point que cette eau ne peut plus être considérée comme de l'eau minérale naturelle ? » M. Schuler répond : « C'est difficile de répondre par oui ou par non [...] »
Dès lors que les experts, dont je ne fais pas partie, nous indiquent qu'il n'est pas possible d'apporter une réponse générale sur la filtration à 0,2 micron, qu'on ne peut le faire que sur des cas particuliers, comme le cas d'Hépar, nous les suivons. Nous avons une réponse claire sur Hépar ; notre décision l'est tout autant. Pour les autres sources, je n'ai reçu aucun élément m'indiquant que la filtration à 0,2 micron constituait une désinfection.
M. Laurent Burgoa, président. - Vous avez évoqué l'aspect juridique. N'aurait-il pas fallu saisir la Commission européenne à ce moment-là et demander l'avis de l'Agence sanitaire européenne ? Si cela n'a pas été fait, pourquoi ?
Mme Adrienne Brotons. - C'est en effet ce qui figure dans les préconisations du bleu issu de la consultation interministérielle du début de l'année 2023 et c'est la conclusion à laquelle nous aboutissons, après avoir peut-être perdu un peu de temps dans des allers-retours entre le local et le national. Nous comprenons que la difficulté de mise en oeuvre de la norme par nos experts nécessite que l'on en rediscute à l'échelon européen. Il est donc précisé, dans le bleu, que le secrétariat général des affaires européennes (SGAE) doit lancer une discussion avec les autres États membres en ce sens.
M. Laurent Burgoa, président. - Cela a-t-il été fait ?
Mme Adrienne Brotons. - Comme vous le savez, le SGAE est rattaché aux services du Premier ministre. Je ne sais donc pas répondre à votre question.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - La Commission européenne a clairement indiqué - mais postérieurement à notre affaire - que la filtration à 0,2 micron constituait bien une désinfection. L'interroger pendant l'année d'instruction aurait peut-être permis d'avoir une réponse.
Par ailleurs, Madame Mathilde Bouchardon nous a rapporté que, ayant sollicité la DGCCRF, celle-ci lui fait part, le 10 janvier 2023, d'un échange au niveau de l'Union européenne sur ce point et conclut que l'on se situe dans ce cadre très au-dessus de 0,4 micron, donc, a fortiori, au-dessus de 0,2 micron. Deux jours plus tard, le 12 janvier, répondant à une nouvelle question de Madame Bouchardon, elle indique n'avoir retrouvé aucun compte rendu dans lequel la Commission aurait formellement autorisé la microfiltration à 0,4 micron.
Autre point important, les grands concurrents français de Nestlé, comme Danone, nous déclarent n'avoir aucun problème avec la réglementation : ils filtrent à 0,8 micron, conformément aux avis de l'Afssa ou de l'Anses.
Il nous semble que, quand vous cherchez à obtenir des réponses, on vous dit plutôt non du côté européen, tout comme du côté de l'Anses et des ARS. Et vous finissez par dire plutôt oui. Quelque chose m'échappe dans la construction du raisonnement. Quel élément vous a déterminés, vous et vos collègues, à accompagner le plan de transformation, faisant, au passage, prendre un risque industriel au ministère de l'industrie ?
Mme Adrienne Brotons. - Lors de notre rencontre, les représentants du groupe Nestlé Waters nous indiquent que des filtrations inférieures à 0,8 micron sont pratiquées au Royaume-Uni et en Espagne. Nous cherchons à le vérifier, mais le benchmark ne nous permet pas de confirmer leurs dires. Nous ne trouvons que des comptes rendus de réunion dans lesquels les deux États interrogent la Commission européenne sur des filtrations inférieures à certains niveaux. Nous n'avons pas la réponse de la Commission européenne.
Cela signifie, non pas qu'il n'y a pas de tels procédés dans ces États membres, mais que nous n'avons pas la preuve que les affirmations de Nestlé Waters sont vraies. D'ailleurs, nous n'avons pas non plus retrouvé le niveau de 0,4 micron mentionné dans le rapport de l'Igas.
Sur le fait que Nestlé serait le seul industriel à ne pas respecter les niveaux ou à demander une filtration à 0,2 micron, je vous rappelle que le rapport de l'Igas fait état de 30 % de non-conformité sur les arrêtés préfectoraux en France. Je doute que Nestlé représente 30 % des sources dans notre pays...
Vous revenez une nouvelle fois sur le fait que nous recevons des réponses plutôt négatives de la part de la DGCCRF, de l'Anses et de l'ARS. Je ne veux pas me répéter, mais j'y insiste : la DGCCRF dit avoir retrouvé un compte rendu dans lequel le Royaume-Uni et l'Espagne posent des questions sur des niveaux de filtration, mais ne se prononce pas sur la filtration à 0,2 micron ; l'ARS indique avoir besoin d'un appui de l'Anses ; celle-ci ne répond que sur le cas particulier d'Hépar.
Au moment de la prise de décision, je n'ai donc pas d'élément me permettant de dire que, dans tous les cas, la filtration à 0,2 micron est une désinfection.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Êtes-vous néanmoins d'accord pour dire que c'est à l'industriel de vous le prouver ? En aucun cas, l'absence de preuve ne peut vous amener à prendre la décision que vous prenez. Parce que l'industriel ne vous a pas apporté de preuve, vous devez agir en protecteur du droit des consommateurs et en garant du respect de la réglementation. Il me semble qu'à ce moment précis rien ne peut vous conduire à aller vers un accompagnement du plan de transformation.
Vous indiquez que l'ARS se bornait à dire qu'elle avait besoin d'appui technique. Sa directrice, Madame Cayré, indique pourtant que, « si la filtration à 0,2 micron n'enlève pas tous les micro-organismes, la flore microbienne est indéniablement fortement diminuée ; il s'agirait donc bien d'une désinfection, ce qui n'est pas autorisé ». C'est assez clair !
Mme Adrienne Brotons. - Cette phrase, vous le noterez, est au conditionnel et la note à laquelle vous faites référence se termine par une demande d'appui technique de l'Anses. Encore une fois, nous n'avons pas de preuve que la filtration à 0,2 micron est une désinfection. C'est pourquoi la CID et le bleu qui en est tiré se cantonnent à indiquer que l'industriel doit apporter la preuve et les autorités locales prendre une décision sur chacune des sources, sur la base de ces éléments et avec, s'il le faut, l'appui de l'Anses.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Nous avons un désaccord persistant sur le sujet. Passons donc à des questions complémentaires : lors de la CID, le cabinet d'Agnès Firmin Le Bodo prend de manière assez étonnante une position orthogonale à celle du directeur général de la santé. Les notes de Monsieur Salomon vous étaient-elles parvenues ? Avez-vous compris le raisonnement ayant conduit le cabinet à prendre une position proche de celle du ministère de l'industrie et contraire à celle de son administration ?
Mme Adrienne Brotons. - Nous n'avons pas eu connaissance des notes du directeur général de la santé. Nos interlocuteurs appartenaient au cabinet de la ministre, avec qui nous avons eu des échanges tout au long de la gestion du dossier et avec qui nous avons réussi à dégager des positions communes - ce qui n'est pas si courant, comme je l'indiquais dans mon propos liminaire.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Avez-vous eu des discussions avec les représentants de l'Élysée ? Endossez-vous complètement la décision prise en CID ou est-elle vue avec votre ministre ?
Mme Adrienne Brotons. - Nous avons eu des échanges avec Victor Blonde, mais plutôt dans le cadre de ses fonctions à Matignon. Je n'ai pas souvenir d'avoir eu le moindre échange avec Alexis Kohler sur le sujet.
En ce qui concerne votre deuxième question, si je me souviens bien de la chronologie des faits, nous faisons une première note au ministre avant même de rencontrer Nestlé Waters, à la suite de l'enquête lancée par la DGCCRF sur les eaux minérales. Dans ce cadre, nous mentionnons les deux minéraliers - Nestlé et Alma - sur lesquels pèse un soupçon de fraude. Nous instruisons ensuite le dossier et, au moment de la finalisation du raisonnement, nous faisons plusieurs points avec le ministre. Je n'ai pas mon agenda, mais je pense que c'était au début du mois de décembre, après que nous avons appris que la source Hépar n'était pas pure. Jusqu'à la CID, nous partageons les éléments à plusieurs reprises avec le ministre et construisons avec lui la position que nous allons porter.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Il était donc d'accord avec la position arrêtée ?
Mme Adrienne Brotons. - Oui, nous l'avons construite ensemble.
M. Laurent Burgoa, président. - Nous avons beaucoup parlé du ministère de la santé, de la direction générale de la santé et des ARS - à titre personnel, je partage l'idée que le risque sanitaire n'était pas avéré. Mais il y a aussi vos services. Pourquoi aucun signalement au titre de l'article 40 du code de procédure pénale, venant soit de votre ministère, soit des services déconcentrés, n'a-t-il été fait à propos du site de Vergèze, dans le Gard ?
Mme Adrienne Brotons. - Quand nous prenons connaissance du sujet, il est fait mention, dans les éléments d'information à notre disposition, d'un signalement à venir au titre de l'article 40. Nous allons vérifier que c'est bien le cas, alors même que ce signalement doit être fait par l'ARS Grand Est. Nous relançons plusieurs fois nos administrations et le ministère de la santé avant d'obtenir confirmation.
À partir de là, pour nous, ce signalement couvre l'ensemble des faits révélés par Nestlé Waters. L'Igas avait été saisie sur le fondement d'une autodénonciation de l'industriel, un rapport avait été élaboré, et il est impossible d'avoir connaissance du contenu d'un signalement au titre de l'article 40 quand on ne l'a pas rédigé soi-même. Quand bien même ce signalement n'aurait pas couvert l'ensemble des faits frauduleux révélés, le procureur de la République n'est pas restreint dans son champ d'enquête. On pouvait donc penser qu'il allait étendre son analyse au-delà des faits concernant les Vosges.
M. Laurent Burgoa, président. - Sans indiscrétion, quelle formation avez-vous ?
Mme Adrienne Brotons. - Je suis énarque.
M. Laurent Burgoa, président. - Comme vous le savez, chaque parquet, hormis ceux qui sont spécialisés, est autonome. Le parquet des Vosges ne peut pas intervenir dans le Gard.
Mme Adrienne Brotons. - Sauf erreur de ma part, le cadre de l'article 40 s'applique à tout agent public. Un procureur d'un département ayant connaissance d'une fraude dans un autre département ne doit-il pas en informer l'autre procureur ? C'est une interrogation, et c'est sincèrement ce que nous avons pensé.
M. Laurent Burgoa, président. - On voit bien, depuis le début de nos auditions, que les services de l'État travaillent beaucoup en silos. On ne va tout de même pas demander à nos parquetiers de se mettre en réseau pour s'informer ! Il aurait donc fallu quelqu'un pour saisir le parquetier de Nîmes et, s'il pouvait à la rigueur s'autosaisir, encore fallait-il qu'il dispose des éléments pour cela. D'où notre interrogation.
M. Khalifé. - Merci madame pour vos explications et la clarté de vos propos. Alors que le rapporteur évoque un travail en silos, vous avez parlé de cohésion des acteurs dans votre exposé liminaire. Je m'interroge sur l'aspect temporel : quand vous avez pris vos fonctions, vous n'avez pas eu l'historique. Au travers de mon métier, j'ai servi l'État pendant quarante ans : ne vous a-t-il pas manqué quelqu'un qui aurait pu suivre spécifiquement ce dossier au sein du cabinet, afin d'en connaître l'historique, de consulter les techniciens, etc. Le directeur de cabinet a mille sujets à gérer au quotidien : ne regrettez-vous pas de ne pas avoir fait appel à une ressource supplémentaire pour suivre spécifiquement ce dossier ?
On parle de fraude, puisqu'on a enfreint la loi. En quoi l'industriel en question avait-il intérêt à frauder ? Bien sûr, nous lui poserons la question. A-t-il négligé les installations qu'il a trouvées ? Vous nous avez dit que les dirigeants de Nestlé n'étaient pas au courant, mais je m'étonne que l'on se satisfasse de cette réponse, car ils ont bien dû s'apercevoir qu'ils n'achetaient pas le bon consommable. Comment expliquez-vous que Nestlé ait conservé ces anciennes pratiques ?
Mme Adrienne Brotons. - Au cabinet, nous avons toujours essayé de casser les silos, notamment en nous interrogeant sur des questions qui ne relevaient pas forcément de notre compétence, afin de vérifier qu'elles étaient bien gérées par les experts concernés.
C'est ainsi que nous nous sommes interrogés sur la sécurité sanitaire, pensant relever une contradiction entre ce que disaient, d'une part, l'ARS Grand Est, et, d'autre part, l'Igas. Cela n'était pas de notre compétence - nous aurions pu laisser le ministère de la santé évaluer le risque sanitaire -, mais nous avons contacté le cabinet de Madame Firmin Le Bodo et l'Igas pour leur faire part de nos doutes et avons provoqué une réunion entre l'Igas et les deux cabinets ministériels. Cela nous a permis de mieux comprendre le rapport de l'Igas et d'arriver à la conclusion qu'il n'y avait pas de risque sanitaire.
Votre question est certainement plus large et concerne probablement l'articulation entre la DGS et la DGCCRF, ou celle entre les ARS et l'Anses, sur lesquelles je ne suis pas forcément compétente pour répondre. À notre niveau, nous avons toujours essayé de nous assurer que les questions étaient traitées par les experts concernés, sans angle mort - même si cela était hors de notre champ de compétence.
Bien sûr, j'aurais aimé mettre quelqu'un sur ce dossier, mais la composition des cabinets ministériels est encadrée par un arrêté du Premier ministre. Le cabinet du ministre de l'industrie était composé de treize personnes et est passé à quinze quand nous avons récupéré l'énergie. Il ne s'agit pas que de conseillers « au fond », puisque cela comprend aussi le chef de cabinet, le chef de cabinet adjoint et la cellule communication. J'aurais aimé avoir un conseiller par dossier, mais malheureusement je ne disposais pas de la ressource disponible. C'était un dossier parmi les mille gérés par la conseillère chargée de l'agroalimentaire, de la santé, des biens de consommation et du made in France.
Pourquoi Nestlé Waters a-t-il voulu frauder ? Je ne peux pas répondre à la place de l'industriel : posez-lui la question. Mais je m'étonne comme vous qu'il n'ait pas eu connaissance de la présence de ces filtrations illégales installées avant l'acquisition des infrastructures.
M. Khalifé Khalifé. - Je suis très satisfait de la réponse.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Une instruction du ministre de la santé est en cours de rédaction pour autoriser un seuil de coupure de 0,40 ou 0,45. Avec le recul, regrettez-vous d'avoir pris cette décision au niveau de la CID, sans avoir la réponse à cette question fondamentale pour le consommateur : le microbisme de l'eau était-il, oui ou non, modifié ?
Mme Adrienne Brotons. - Permettez-moi de préciser que je n'ai pas pris de décision.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Effectivement, c'est le ministère de l'industrie qui a pris cette position.
Mme Adrienne Brotons. - La décision, avec laquelle nous sommes très à l'aise, a été prise par Matignon ; sur un tel un sujet aux implications juridiques, je tiens à utiliser les bons mots.
Je regrette profondément que nous n'ayons jamais eu de réponse claire à une question claire, posée par le directeur général de la santé à l'Anses : au-dessous de 0,2 micron, l'eau est-elle désinfectée ? Mais je n'attaque personne : je comprends pourquoi l'Anses nous dit qu'elle ne peut pas répondre, faute de règle générale. Dans son premier avis, communiqué en décembre, l'Anses cite même des études scientifiques qui laissent penser qu'il n'y a pas de désinfection au-dessous de 0,2 micron. L'analyse doit donc être faite au niveau local, ce qui n'est pas facile.
On constate un écart entre le texte juridique et la capacité des experts à le mettre en oeuvre, ce qui pose la question de la définition de la norme. Faut-il conserver telle quelle une norme, même claire, que les experts ne réussissent pas à mettre en oeuvre ou faut-il la faire évoluer ? Nous sommes arrivés collectivement, avec nos collègues du ministère de la santé et de Matignon, à cette conclusion : la règle européenne méritait d'être clarifiée pour être mise en oeuvre. Nous avons perdu du temps dans des allers-retours entre le niveau local et le niveau national, car nous n'arrivions pas à avoir de réponse à cette question.
M. Laurent Burgoa, président. - Compte tenu de votre expérience, quelle serait votre préconisation en matière de norme ?
Mme Adrienne Brotons. - Une telle préconisation doit être faite par des experts et prendre en compte l'évolution de nos sols. Le niveau de pollution de nos sols, en France et en Europe, pose la question des mécanismes de filtration de nos eaux profondes que nous autorisons, ou pas. Faut-il encore commercialiser ces eaux, notamment parce que nous allons manquer d'eau ? Les mécanismes de filtration qui n'étaient pas autorisés il y a quelques années doivent-ils l'être aujourd'hui ? Comment garantir que ces systèmes sont contrôlés par des experts ? Je ne peux pas répondre techniquement à cette question, qui me dépasse.
M. Laurent Burgoa, président. - Merci pour cette audition, éclairante et constructive, et qui améliore notre culture générale sur un sujet que nous découvrons au fil de l'eau et qui est plus ou moins pétillant selon les jours. (Sourires.)
La réunion est close à 14 h 40.
La réunion est ouverte à 16 h 30.
Audition de Mme Muriel Lienau, responsable de la zone Emena (Europe, Middle East and North Africa) de Nestlé Waters de 2020 à 2023, présidente de Nestlé France de 2023 à 2025, actuelle présidente-directrice générale de Nestlé Waters
M. Laurent Burgoa, président. - Il y a quelques semaines, M. le rapporteur et moi-même avions sollicité l'Élysée pour savoir s'ils pouvaient nous fournir des documents intéressants pour notre commission d'enquête. Le secrétaire général de l'Élysée nous en a transmis ; une fois ceux-ci analysés, M. le rapporteur et moi-même déciderons d'une éventuelle convocation des personnes concernées. Je tenais à vous faire part de cette information et je remercie le secrétaire général d'avoir fait droit à notre demande.
Nous poursuivons les travaux de notre commission d'enquête avec l'audition de Mme Muriel Lienau, PDG de Nestlé Waters depuis le 1er janvier 2025 et présidente de Nestlé France de mars 2023 à janvier 2025. Nous vous retrouvons avec plaisir ; vous nous aviez accueillis voilà quelques semaines sur le site de Vergèze dans le Gard. Je vous remercie pour cette rencontre cordiale et enrichissante.
Je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.
Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Muriel Lienau prête serment.
M. Laurent Burgoa, président. - Je vous rappelle qu'il n'y a pas de droit au silence devant une commission d'enquête, qui n'est pas un tribunal, puisque celle-ci est dépourvue de finalité répressive. Notre instance est destinée à faire la lumière sur des processus ou des services, à recueillir des informations et à contrôler l'action du Gouvernement, grâce aux pouvoirs d'investigation spécifiques qui lui sont reconnus.
Il en résulte que, aux termes de la loi, « la personne qui refuse de déposer ou de prêter serment devant une commission d'enquête est passible de deux ans d'emprisonnement et de 7 500 euros d'amende ».
Si vous estimez que votre réponse est de nature à aller à l'encontre du secret professionnel ou des affaires, et, partant, que vous ne souhaitez pas communiquer publiquement, il vous est loisible de demander à procéder à sa transmission en marge de l'audition publique ou par écrit à notre commission - je l'accepterai bien volontiers.
Enfin, j'ai autorisé, à votre demande, la présence d'un conseil juridique à vos côtés - je salue votre avocat, que nous avions déjà rencontré à Vergèze. Je rappelle que celui-ci ne pourra pas intervenir devant la commission.
Je rappelle rapidement que le Sénat a constitué, le 20 novembre dernier, une commission d'enquête sur les pratiques des industriels de l'eau en bouteille. Au début de l'année 2024, plusieurs médias ont révélé les pratiques illégales de certaines entreprises du secteur des eaux embouteillées, en particulier le recours à des traitements interdits sur des eaux minérales naturelles et de source.
Notre commission d'enquête vise à faire la lumière sur ce dossier, sous réserve des éventuelles procédures judiciaires en cours.
Cette audition a pour objectif de faire la lumière sur ce qui s'est passé dans les sites d'embouteillages d'eaux minérales : autrement dit, pourquoi et comment des traitements interdits ont-ils été utilisés dans certaines entreprises et comment ont-ils pu ne pas être détectés par les services de contrôle pendant des années ?
PDG de Nestlé Waters depuis le 1er janvier 2025 et présidente de Nestlé France de mars 2023 à janvier 2025, responsable de la zone EMENA (Europe, Middle East and North Africa) de Nestlé Waters de 2020 à 2023, chef des ventes et du marketing de Nestlé Waters de 2015 à 2018, cadre dirigeante de Nestlé Beverages France de 2007 à 2015, vous connaissez tout de Nestlé Waters.
Vous avez été en première ligne dans cette affaire. On notera, en effet, que Nestlé Waters, par votre voix, avoue utiliser ces traitements interdits au cabinet de Mme Pannier-Runacher, alors ministre de l'industrie, le 31 août 2021. Du reste, votre nom apparaît très souvent dans la documentation transmise par les ministères.
À quoi servaient ces traitements interdits ? Comment, pourquoi et par qui ont-ils été mis en place ?
Qu'attendiez-vous de la réunion du 31 août 2021 au cabinet de Mme Pannier-Runacher ? Que s'est-il passé ensuite ?
Quelles ont été vos interactions avec les ministères et les services de l'État concernés, notamment les agences régionales de santé (ARS) Occitanie et Grand Est ou les préfectures du Gard et des Vosges ?
Quelles leçons tirez-vous de cette crise qui entame la confiance des consommateurs pour un secteur auquel nous tenons tous ?
Voilà quelques thèmes sur lesquels notre rapporteur va vous interroger. Nous vous proposons de dérouler cette audition en trois temps : votre propos liminaire durant une vingtaine de minutes ; un temps consacré aux questions de notre rapporteur ; enfin, une dernière batterie de questions-réponses avec nos collègues.
Je forme le voeu que cette audition soit plus constructive que celle au cours de laquelle nous avons entendu votre collègue, Mme Sophie Dubois, ancienne directrice générale de Nestlé, et ce dans l'intérêt de nos institutions, de nos concitoyens - ils sont aussi des consommateurs - et même de votre groupe. Hier, Mme Dubois a indiqué que vous étiez au courant de l'affaire des « filtrations ».
Mme Muriel Lienau, responsable de la zone EMENA (Europe, Middle East and North Africa) de Nestlé Waters de 2020 à 2023, présidente de Nestlé France de 2023 à 2025, actuelle présidente-directrice générale de Nestlé Waters. - Merci pour votre invitation.
Nestlé Waters a beaucoup été évoquée devant vous ces derniers mois. Je suis heureuse d'avoir l'occasion d'exprimer directement le point de vue de l'entreprise pour apporter quelques précisions qui me semblent essentielles.
Vous avez déjà eu l'occasion d'auditionner certains de mes collègues. Naturellement, j'ai regardé ces auditions et j'ai pu constater une forme de frustration de votre part face à certaines réponses. Permettez-moi donc de souligner que je me tiens ici aujourd'hui devant vous en tant qu'architecte de la transformation de Nestlé Waters depuis 2020. Je suis ici pour vous apporter la clarté nécessaire à la poursuite des travaux qui, je l'espère, permettront de fournir une lecture approfondie et juste des enjeux auxquels Nestlé Waters, comme l'ensemble de l'industrie, fait face.
Je dois toutefois m'assurer de la préservation de nos droits de la défense du fait de l'instruction pénale menée au tribunal judiciaire de Paris sur des faits que votre commission a plusieurs fois évoqués. Comme cela a été indiqué par d'autres personnes de la société, je pourrais donc être amenée à ne pas répondre ici à certaines questions.
Je tiens également à parler au nom des salariés de Nestlé Waters, qui ont la responsabilité de produire des eaux qui figurent parmi les plus emblématiques de France. La qualité de leur travail et leur intégrité ont malheureusement trop souvent été remises en cause ces derniers mois sur la base de très nombreuses approximations et de contre-vérités. Je le déplore vivement et veux redire ici toute la pertinence de leur expertise et la qualité irréprochable de leur travail. Je les en remercie.
À nos consommateurs, je veux aussi redire que nous regrettons très sincèrement cette situation héritée du passé, mais que jamais la sécurité alimentaire n'a été en jeu et que tous nos efforts ont été consacrés à pouvoir continuer à fournir les eaux minérales naturelles dont ils apprécient les qualités minérales et gustatives.
Pour en venir à notre sujet, je dirige depuis le 1er janvier 2025 Nestlé Waters & Premium Beverages, une entité autonome au sein du groupe Nestlé. Précédemment, j'ai eu la responsabilité de la région Europe pour Nestlé Waters de janvier 2020 à décembre 2024. En parallèle, j'ai été présidente de Nestlé France de février 2023 à décembre 2024.
C'est à la suite de ma prise de poste que, à la fin de l'année 2020, j'ai appris la présence de traitements non autorisés - ultraviolets et charbons actifs - sur nos sites du Gard et des Vosges ; j'ai immédiatement décidé que ces pratiques ne pouvaient perdurer. C'était une situation héritée du passé dont je ne connais pas l'origine. Dès que j'en ai été informée, j'ai souhaité engager un plan de transformation à différents niveaux afin de sortir de cette situation de non-conformité, d'arrêter ces traitements et de trouver des solutions nous permettant de produire en totale conformité avec la réglementation en vigueur.
En 2021, j'ai également révélé à nos autorités de tutelle cet enjeu de non-conformité, proposé des options envisageables pour en sortir et piloté la mise en oeuvre de notre plan de transformation sous leur contrôle. Je ne renie aucune des décisions prises à cette occasion.
Avant de répondre à vos questions sur ce plan, laissez-moi exprimer les trois certitudes qui ont fondé mon approche tout au long de ce processus.
Première certitude : la sécurité alimentaire a toujours été et reste notre principale boussole. Notre devoir de minéralier est de mettre à la disposition des consommateurs des eaux uniques, issues de territoires protégés dont provient leur minéralité et dont la sécurité est assurée en toutes circonstances. Nous n'avons jamais failli à ce devoir et la sécurité alimentaire de nos produits n'a jamais été en cause, comme l'ont rappelé ici, devant votre commission, nombre d'intervenants. Les eaux minérales naturelles que nous commercialisons sous les marques Vittel, Contrex, Hépar et Perrier ont toujours pu et peuvent être consommées en toute sécurité. Nous avons toujours mis cet engagement au coeur de notre approche et cela requiert, comme vous avez pu le constater lors de votre visite sur le site du Gard le 7 février dernier, une rigueur absolue dans l'exploitation de nos sites et des contrôles permanents. En outre, je me permets d'ajouter que la composition minérale unique de chacune de nos eaux a toujours été préservée et a toujours été conforme à celle qui figure sur l'étiquetage.
Deuxième certitude : il s'agit là d'un enjeu sectoriel, car l'eau minérale naturelle est pour tous un produit vivant et sensible, soumis en particulier aux aléas climatiques et environnementaux et aux impacts de l'activité humaine. De plus, le travail des minéraliers doit respecter une directive européenne souvent qualifiée de floue, comme cela a été rappelé ici à de nombreuses reprises, car celle-ci date de plus de quarante ans et laisse aux États membres une large part à l'interprétation sur la manière d'atteindre les objectifs fixés. Or les pratiques que nous avons révélées n'étaient, selon l'inspection générale des affaires sociales (Igas), pas seulement réservées à Nestlé Waters et probablement plus répandues que ce qui a pu être évoqué. J'émets ici le voeu que votre commission, en clôturant ce débat, permette d'assurer la pérennité du secteur des eaux minérales naturelles françaises face à ces enjeux.
Troisième certitude : décider voilà quatre ans de porter le sujet de la non-conformité devant le Gouvernement était une décision difficile, mais indispensable à mes yeux pour opérer notre transformation sous le contrôle des autorités et conformément à leurs directives. Soyons clairs : nous n'avons jamais fait pression sur quiconque. Certains nous prêtent d'avoir forcé la main de je ne sais quel décideur ; c'est totalement faux. Bien sûr, nous avons eu des échanges avec des décideurs publics, mais nous avons toujours été respectueux de leur indépendance et des règles relatives à ce dialogue. Nous nous sommes ainsi toujours attachés à répondre en toute transparence à l'ensemble des questions qui nous ont été posées, que ce soit par les autorités administratives et politiques dans un premier temps, puis par la justice et par vous aujourd'hui.
Je vais désormais répondre aux deux grandes questions induites par cette transformation. Sur quoi celle-ci a-t-elle porté ? De quoi l'ensemble du secteur des eaux minérales a-t-il besoin ?
Tout d'abord, ce plan est bien plus qu'une mise en conformité. Il s'agit d'une modernisation, d'une transformation en profondeur de nos sites, de notre activité et même de nos marques. Mais cette transformation ne pouvait se faire du jour au lendemain. Il était évident qu'elle devait être menée sous le contrôle des autorités. Une fois que j'ai pris la décision d'arrêter le recours à ces traitements non autorisés, il n'était pas possible de simplement les retirer. La situation exigeait un ajustement industriel complet - et par définition complexe - et de grande ampleur qui prenne en compte la spécificité de nos sites. Il fallait également présenter cette situation et la manière d'y remédier aux autorités pour que cette transformation s'opère sous leur contrôle.
J'ai donc porté ce sujet devant le cabinet du ministre de l'industrie en août 2021. Dans les mois qui ont suivi, l'Igas a été saisie afin d'établir un état des lieux des activités de l'ensemble des minéraliers en France. Nous n'avons appris la création de cette mission qu'en février 2022 lorsque celle-ci nous a sollicités. Nous avons alors répondu en toute transparence à l'enquête de l'Igas. Comme vous le savez, nos échanges avec les autorités nationales ont repris durant l'été 2022, notamment sur la base de ce rapport, même si nous n'en avions pas connaissance pour notre part.
Les conclusions du rapport de l'Igas n'ont été portées à notre connaissance que le 23 février 2024. À l'occasion de nos échanges au cours de l'été 2022, nous avons soumis aux autorités nationales les options possibles pour mener à bien notre plan de transformation et nous mettre en conformité avec la réglementation. En février 2023, après la transmission de données en réponse aux questions posées, les cabinets des ministères de l'industrie et de la santé nous ont fait part des résultats des échanges interministériels qui s'étaient tenus. Sur la base de cette clarification, nous avons pu avancer.
Ainsi, notre plan de transformation a reposé sur quatre grands piliers.
Premièrement, le retrait des traitements non réglementaires après confirmation par les autorités que le type de microfiltration utilisé sur nos sites des Vosges et du Gard était conforme, et ce sur la base de données scientifiques partagées ; je reviendrai sur ce point dans un instant.
Deuxièmement, la suspension de certains forages dans les Vosges qui ne répondaient plus aux critères de stabilité des constituants essentiels de l'eau minérale. Sur le site du Gard, nous avons réaffecté deux forages à la production de boissons. Le lancement d'une nouvelle marque, Maison Perrier, était déjà envisagé et s'est accéléré dans ce cadre.
Troisièmement, le renforcement de nos procédures de contrôle de gestion intégrée de la qualité, conformément aux directives des autorités.
Quatrièmement, l'accélération de nos investissements visant à renforcer la protection de nos ressources en eau tant sur nos sites que dans l'environnement, face notamment aux risques climatiques et à l'impact de l'activité humaine.
Notre approche de la sécurité alimentaire repose donc sur une gestion intégrée de la qualité qui s'appuie sur un dispositif de filtration combiné à un programme strict de nettoyage des circuits d'embouteillage et à 1 500 analyses quotidiennes sur les deux sites, couvrant de multiples paramètres, notamment physico-chimiques, microbiologiques et sensoriels. Ces trois éléments nous permettent de garantir à tout moment la sécurité alimentaire de nos produits, sous le contrôle des autorités.
Nous avons investi 50 millions d'euros dans le cadre spécifique de ce plan de transformation et, au-delà, nous avons également investi de manière significative au cours des dernières années pour moderniser nos sites. Au total, ce sont près de 95 millions d'euros qui ont été investis au cours des cinq dernières années sur le site des Vosges et 150 millions d'euros sur le site de Vergèze.
De quoi le secteur des eaux minérales a-t-il besoin aujourd'hui ? J'ai la conviction qu'il faut clarifier le sujet de la microfiltration et surtout de son impact sur la flore de l'eau. Je souhaite en effet évoquer ce sujet crucial de la microfiltration qui semble encore malheureusement être à l'origine d'une certaine confusion - c'est normal, car celui-ci est très technique.
Il n'existe aujourd'hui aucun règlement autorisant ou interdisant une technologie de microfiltration particulière. L'avis de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa) de 2001 a seulement validé, sur la base d'un cas particulier observé sur l'un des 104 sites d'embouteillage d'eau qui existent en France, un traitement spécifique, le filtre céramique, dit 0,8 micron. L'avis n'exclut pas explicitement d'autres types de microfiltration.
L'ancien directeur général de la santé, M. Salomon, par ailleurs très critique à notre égard, soulignait lui-même lors de son audition devant vous que l'avis de l'Afssa de 2001 n'était pas un règlement, mais que l'utilisation du filtre 0,8 céramique analysée dans cet avis est plutôt, je le cite, « une bonne pratique ». Soulignons aussi que cette évaluation date d'il y a près de vingt-cinq ans. Beaucoup de technologies et de méthodes ont évolué depuis.
En ce qui nous concerne, comme vous le savez, les autorités ont accepté en février 2023 la possibilité que nous puissions, sous conditions, utiliser une microfiltration pouvant aller jusqu'à 0,2 micron sur nos sites du Gard et des Vosges. Les autorités ont pris en compte le fait que le niveau de microfiltration inférieur à 0,8 micron était autorisé dans d'autres pays européens soumis à la même directive ; que les autorisations pouvant aller jusqu'à 0,2 micron existaient déjà en France - il ne s'agit donc pas d'une exception accordée à Nestlé Waters - ; enfin, que des données scientifiques récentes démontrent qu'il ne s'agit pas d'une désinfection et que la flore naturelle de l'eau est préservée.
Nous avons soumis aux autorités locales des dossiers d'autorisation en ce sens avec de la microfiltration cartouche à 0,2 micron. Or, entre le 0,8 céramique et le 0,2 cartouche, nous parlons bien de deux technologies différentes comme nous vous l'avons présenté lors de votre visite sur le site du Gard. Toutefois, pour entrer dans plus de détails (Mme Muriel Lienau brandit un document comportant un graphique.), la courbe que je me permets de vous présenter démontre, en comparant la répartition des pores, que ces filtres ont des caractéristiques physiques très similaires. Ainsi, 90 % des pores du filtre céramique dit 0,8 micron, sont en fait inférieurs à 0,4 micron. Le pore moyen des filtres céramiques est d'environ 0,25 micron, ce qui est également le cas pour les filtres cartouche 0,2 micron. Cela est non pas un avis ou une opinion, mais un fait scientifiquement prouvé. Pourtant, aujourd'hui encore, les discussions se concentrent malheureusement exclusivement sur le seuil de coupure - ou pore - affiché sur les étiquettes de ces filtres - 0,2 ; 0,45 ; 0,8 micron - sans prendre en compte leurs spécificités techniques réelles.
Aujourd'hui, nous pouvons aussi établir scientifiquement que ces deux technologies ont les mêmes effets. Celles-ci préservent les constituants essentiels de l'eau minérale, dont sa minéralité, mais aussi sa flore naturelle, tout en garantissant la sécurité alimentaire. Ainsi, l'effet de ces deux types de microfiltration étant le même, il serait incompréhensible et illogique d'interdire l'un au profit de l'autre.
Le plan de transformation très significatif que nous avons engagé devait évidemment reposer sur la technologie la plus fiable, la plus solide, la plus normée et la plus durable, c'est-à-dire le filtre à cartouche à 0,2 micron. Je le redis ici avec force : nous avons transmis aux autorités compétentes - et nous continuons de le faire - toutes les données permettant de confirmer que ce dispositif actuel répond aux exigences du cadre réglementaire.
Un dernier mot pour conclure. Je suis fière d'avoir mené à bien cette transformation majeure, malgré les incertitudes et les débats qui persistent. Ce fut un défi considérable que mes équipes et moi-même avons relevé avec responsabilité et détermination. Je rappelle ici les trois principes cardinaux qui nous ont toujours guidés : assurer la sécurité alimentaire de nos consommateurs ; assurer l'exploitation en complète transparence vis-à-vis des autorités de tutelle et de contrôle ; assurer un avenir pour nos sites des Vosges et du Gard, pour les marques emblématiques qui en sont issues, pour nos salariés et pour les communautés locales.
Finalement, je crois que tous ces débats soulèvent une interrogation qui revient sans cesse : l'eau minérale naturelle a-t-elle un avenir ? Du côté de Nestlé Waters, nous avons tout fait pour que celle-ci en ait un. Personne ne pourrait imaginer la France sans sa centaine de marques d'eau minérale qui constituent un marqueur très fort du terroir et du patrimoine, au coeur des habitudes de consommation des Français, au restaurant comme à domicile. L'enjeu pour tous les minéraliers est de pouvoir demain, dans un contexte environnemental et climatique complexe, continuer d'offrir la plus grande sécurité aux consommateurs tout en préservant l'unicité de chacune de ces eaux, ainsi que leurs caractéristiques essentielles de minéralité, de flore et de signature gustative.
À nos yeux, les technologies existent aujourd'hui pour permettre au secteur de l'eau embouteillée de faire face aux enjeux du XXIe siècle en garantissant la sécurité alimentaire et en s'assurant de la conformité avec les réglementations en vigueur. Cela requiert certainement encore un débat d'experts, sans a priori ni dogmatisme, pour mieux prendre en compte l'ensemble des technologies disponibles sur le marché et comparer ce qui est comparable. Nos données et nos experts sont disponibles pour ce faire.
Merci pour votre écoute. Je me tiens désormais à votre disposition pour les questions, dans la limite de la préservation de nos droits eu égard à l'enquête judiciaire.
M. Laurent Burgoa, président. - Merci, madame la présidente. Je ne répondrai pas à la dernière phrase que vous avez prononcée. Comme je sais que vous suivez nos auditions, vous m'avez souvent entendu citer l'exemple de la commission d'enquête menée par le Sénat à la suite de l'affaire Benalla. Philippe Bas était alors le président de la commission des lois ; il est devenu depuis membre du Conseil constitutionnel ; c'est un gage de sérieux et de fiabilité juridique.
Je partage totalement votre point de vue et votre conclusion quant à l'importance pour notre pays de disposer d'industriels de l'eau minérale forts. Je pense pouvoir m'exprimer au nom de tous les membres de notre commission d'enquête : aucun d'entre nous ne souhaite qu'un site s'affaiblisse et encore moins que des emplois disparaissent. Nous sommes tous très attachés à nos territoires.
En revanche, il revient à notre commission - je fais confiance à M. le rapporteur et à l'ensemble de ses membres - d'apporter de la transparence sur des faits afin que nos concitoyens retrouvent confiance et puissent consommer sereinement ces boissons. Tel est notre objectif, sans vilipender un industriel plus qu'un autre. Nous avons visité le site de Nestlé dans le Gard ; vendredi, nous nous déplacerons en Haute-Savoie sur un site du groupe Danone et un autre du groupe Alma. Ainsi, nous nous serons rendus sur trois sites appartenant à trois industriels différents ; nous ne pourrons pas malheureusement nous rendre dans une usine située dans le Tarn, cher à notre collègue Marie-Lise Housseau ; cette dernière nous y représentera.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Merci pour votre présence devant nous aujourd'hui, madame Lienau.
Je tiens à vous rassurer quant à votre liberté de parole devant notre commission d'enquête : selon une jurisprudence constante de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH), les propos que vous tenez devant une commission d'enquête ne peuvent pas être utilisés par le juge pénal pour appuyer son dossier. Vous êtes donc plus libre ici qu'à l'extérieur pour vous exprimer et répondre à nos questions.
Mes premières questions portent sur l'historique de cette affaire, car nous n'arrivons pas à obtenir de clarifications et d'explications sur ce point. Or nous en avons besoin, les Français en ont besoin. Le Service national des enquêtes (SNE) estime le montant de cette fraude à 3 milliards d'euros. Nous voudrions comprendre sa genèse et savoir pourquoi elle s'est poursuivie.
Lors de votre propos liminaire, vous avez indiqué avoir été informée de cette fraude par les équipes en décembre 2020. Quelles sont les équipes qui vous ont informé de ce qui se passait au sein de votre groupe ?
Mme Muriel Lienau. - Comme je vous l'ai dit, j'ai pris mes fonctions en janvier 2020. C'était une année compliquée - je pense que vous vous en souvenez. Quelques semaines après ma prise de fonctions, j'ai dû gérer les conséquences du covid, avec des usines très impactées qui ont néanmoins maintenu leur exploitation pendant toute cette période. Il était important pour nous de mettre en place toutes les mesures de sécurité afin de protéger nos collaborateurs et d'assurer le transport de nos eaux. Cela a été ma priorité, ainsi que celle de mes équipes. Cette situation de crise a duré plusieurs mois, alors que je venais de prendre mes fonctions.
Lors de ce travail, j'ai passé en revue les processus. À cette occasion, certains membres de mes équipes m'ont alertée sur une situation héritée du passé.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - De qui s'agissait-il, s'il vous plaît ?
Mme Muriel Lienau. - Il s'agissait de plusieurs membres des équipes techniques.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pouvez-vous nous indiquer les noms de ces responsables, afin que ceux-ci puissent être entendus devant notre commission d'enquête, le cas échéant ? Quelles sont les équipes qui vous ont remonté ces éléments ?
Mme Muriel Lienau. - J'ai travaillé avec ces équipes techniques qui m'ont apporté...
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je me permets de vous reposer ma question. Qui était le chef de cette équipe technique ? Quelle est la personne qui vous a informée de la situation pour que nous puissions retracer la manière dont les choses se sont déroulées au sein du groupe dans les années antérieures ? Quelle est la personne qui vous a informée ?
Mme Muriel Lienau. - Cette équipe technique ne comportait pas de chef.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Quelle est la personne qui vous a informée, alors ? Quel est son nom ?
Mme Muriel Lienau. - Plusieurs personnes m'ont informée.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Quel est leur nom ?
Mme Muriel Lienau. - Je n'ai pas leur nom.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Que voulez-vous dire ?
Mme Muriel Lienau. - J'ai choisi de me concentrer sur l'avenir. J'ai choisi de ne pas rechercher de responsabilités individuelles.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Madame Lienau, je suis désolé de vous arrêter. Vous êtes devant une commission d'enquête. Nous vous posons des questions. Celles-ci sont légitimes, car elles permettent de comprendre ce qui s'est passé dans votre entreprise et de savoir comment vous avez réagi et si les Français peuvent désormais vous faire confiance.
Nous avons pris bonne note des mesures que vous avez prises. Mais nous avons besoin de clarté sur ce qui s'est passé. Qui vous a mis au courant de la situation qui avait cours au sein de votre groupe, s'il vous plaît ?
M. Laurent Burgoa, président. - Je vais peut-être changer la modalité des questions. Par quel moyen avez-vous appris cette information ? Est-ce au cours d'une réunion ? Par le biais d'un courrier ou d'un courriel ? Bien sûr, si c'est le cas, je vous demanderai de nous transmettre ces documents.
Mme Muriel Lienau. - Plusieurs éléments m'ont permis d'obtenir ces informations, que j'ai recoupées. Celles-ci ne provenaient donc pas d'une seule personne. J'ai choisi, avec ces équipes qui avaient la compréhension d'une situation qui était héritée du passé et dont j'ignore l'origine, de ne pas rechercher de responsabilités individuelles, mais de consacrer toute mon énergie pour trouver des solutions.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous refusez donc de répondre à la question de cette commission d'enquête, afin que nous puissions connaître les personnes qui vous ont informée et les postes que celles-ci occupaient au sein des usines. Vous refusez de nous expliquer comment cette information vous est parvenue.
M. Laurent Burgoa, président. - Je vais être plus sénatorial que le rapporteur. Même si nous n'avons pas pu obtenir grand-chose lors de son audition d'hier, Mme Dubois nous a parlé de l'existence d'un directeur opérationnel. Pouvez-vous nous expliquer l'organigramme de Nestlé ? Hier, on nous a dit que la directrice générale de l'entreprise ne s'occupait que du marketing : j'ai un peu de mal à comprendre. Lorsqu'on est directeur général, on chapeaute toute la maison.
En tant que PDG, et sans parler de la question de la filtration, existe-t-il un directeur opérationnel chargé de l'ensemble des questions techniques ? La réponse à cette question est oui ou non.
Mme Muriel Lienau. - Aujourd'hui, j'ai un directeur technique.
M. Laurent Burgoa, président. - Ce n'était pas le cas entre 2020 et 2022 ?
Mme Muriel Lienau. - J'ai mis en place une organisation avec différentes ressources techniques. C'est cette organisation que j'étais en train de mettre en place en 2020 qui m'a apporté ces éléments.
M. Laurent Burgoa, président. - À quelle période ? Le directeur du site de Vergèze nous a indiqué avoir eu des informations sur la filtration en mars 2021. Hier, Mme Dubois nous a indiqué avoir été mise au courant dans le courant de l'été 2021 ; en tout cas, elle connaissait la situation lors de la réunion du 31 août 2021.
Compte tenu de vos responsabilités, à quelle période de l'année 2021 avez-vous été informée de cette filtration ?
Mme Muriel Lienau. - Je vous ai dit que j'avais été informée de ces pratiques à la fin de l'année 2020. J'ai alors décidé...
M. Laurent Burgoa, président. - Était-ce par le biais du directeur du site ?
Mme Muriel Lienau. - Ce sont différentes personnes des équipes techniques...
M. Laurent Burgoa, président. - Je souhaite conserver l'amabilité nécessaire, mais il faut, madame, que vous soyez un peu plus explicite. Pouvez-vous nous préciser qui était le responsable ? Quand c'est flou, c'est qu'il y a un loup ! Nous transmettre cette information est non seulement dans votre intérêt, mais aussi dans celui de la maison Nestlé, si je peux me permettre.
Mme Muriel Lienau. - Comme je vous l'ai dit au début, cette question porte sur des faits qui font l'objet d'une procédure judiciaire. Je ne peux donc pas y répondre.
M. Laurent Burgoa, président. - Pas du tout, madame. Je suis désolé, mais, en tant que président de cette commission d'enquête, je suis contraint de vous rappeler que l'article 6 de l'ordonnance du 18 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires dispose que la personne qui ne comparaît pas ou refuse de déposer ou de prêter serment devant une commission d'enquête est passible de deux ans d'emprisonnement et de 7 500 euros d'amende. Le refus de communiquer les documents demandés par le rapporteur de la commission d'enquête est passible de la même peine.
Vous êtes donc tenue de répondre aux questions posées. Je vous rappelle qu'outre les peines mentionnées, le tribunal saisi peut prononcer l'interdiction de l'exercice de tout ou partie des droits civiques pour une durée de deux ans à compter de l'issue de la peine. Si vous estimez que votre réponse est de nature à porter atteinte au secret professionnel ou des affaires et que vous ne souhaitez donc pas la communiquer publiquement, il vous est loisible - je vous l'ai dit dès le début - de demander à notre commission de procéder à sa transmission en marge de l'audition publique ou par écrit. En revanche, il ne vous est pas possible de refuser purement et simplement de communiquer les éléments demandés, sauf à assumer que nous saisissions la justice.
Vous invoquez devant nous un droit à ne pas vous auto-incriminer dans la mesure où une procédure judiciaire serait pendante. Permettez-moi de vous rappeler que vous déposez sous serment et que le droit de se taire ne s'applique pas aux commissions d'enquête dès lors que ces dernières sont dépourvues de finalité répressive.
Si la CEDH a estimé que l'impossibilité pour les personnes comparaissant devant une commission d'enquête de pouvoir invoquer leur droit au silence était problématique, elle n'a toutefois pas jugé que cela constituait une violation de la Convention européenne des droits de l'homme. La Cour a en effet clairement rappelé que le droit à ne pas s'auto-incriminer s'apprécie uniquement devant le tribunal.
De ce point de vue, la teneur des déclarations faites devant une commission d'enquête importe peu. En effet, même si des propos tenus devant le Parlement peuvent effectivement amener une personne auditionnée à s'auto-incriminer, la Cour estime que la violation de ce droit n'est caractérisée uniquement que dans la mesure où un tribunal pénal fonderait la démonstration de culpabilité sur ces propos.
Autrement dit, selon la Cour, l'absence de droit au silence devant une commission d'enquête ne constitue pas en tant que tel une violation de l'article 6, paragraphe 1, de la Convention. Celle-ci ne pourra être caractérisée que devant le juge pénal, qui est seul tenu au respect de ce cadre juridique du procès équitable.
Selon la jurisprudence de la CEDH - pour les spécialistes, il s'agit de l'arrêt Corbet et autres contre France du 19 mars 2015 -, ce qui compte, c'est l'utilisation faite, au cours du procès pénal, des dépositions recueillies sous la contrainte devant la commission d'enquête. Si elles sont utilisées par le juge pénal d'une manière tendant à incriminer l'intéressé, il y a violation de l'article 6, paragraphe 1, de la CEDH.
En d'autres termes, la protection contre l'auto-incrimination ne joue pas devant la commission d'enquête, mais lors du procès pénal. Ce n'est pas à vous de vous taire, mais au juge de ne pas utiliser ce que vous aurez dit devant la commission. Contrairement à une lecture erronée de la jurisprudence de la Cour, la personne entendue en commission d'enquête est donc, de fait, protégée : ses propos ne pourront être utilisés contre elle lors d'un procès pénal.
Votre argument selon lequel vous ne pouvez apporter des éléments de nature à permettre à un juge pénal de caractériser une infraction n'a donc pas lieu d'être dans la mesure où vous pourrez expressément faire valoir devant ce même juge votre droit à ne pas vous auto-incriminer. Le juge pénal sera tenu par la décision précitée de la CEDH.
Au demeurant, notre commission d'enquête va spécifiquement vous interroger sur des faits que le groupe Nestlé a portés à la connaissance de l'administration et qui, pour une grande partie, ont été rendus publics. En d'autres termes, votre silence donne l'impression à la commission d'enquête, comme aux citoyens qui nous regardent, que votre groupe a d'autres choses à cacher qui n'auraient pas été révélées. Autrement dit, si répondre à nos questions revenait à vous auto-incriminer, c'est qu'il y aurait un motif à vous incriminer...
En conclusion, permettez-moi, madame la présidente, de rappeler que vous témoignez ici sous serment et que tout mensonge, y compris par omission, est constitutif d'un parjure sanctionné pénalement.
Je souhaite donc que vous fassiez preuve à l'égard de notre commission d'enquête de la transparence qui est attendue depuis des mois par les représentants de la nation, par nos concitoyens, par le personnel de Nestlé Waters, par mes collègues membres de la commission d'enquête, mais aussi par les autres acteurs d'un secteur globalement mis en cause.
Monsieur le rapporteur, je vous demande donc de reposer votre question.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je me permets de vous reposer ma question, madame la présidente. Pouvez-vous nous indiquer les personnes qui vous ont révélé l'existence de ces traitements illégaux en décembre 2020, s'il vous plaît ?
Mme Muriel Lienau. - Monsieur le président, je ne remets pas en question la légitimité de votre commission. Avec tout le respect que je dois à votre commission, nous avons déjà soulevé le sujet de la proximité entre vos travaux et une affaire judiciaire en cours. Moi-même et mes avocats vous avons fait parvenir plusieurs courriers, sans succès.
Malheureusement, je ne suis pas juriste et je ne peux pas débattre de ces sujets et de ces questions juridiques. Mes conseils juridiques me confirment que, compte tenu de la proximité des travaux entre votre commission et la procédure judiciaire, je ne peux pas répondre à cette question.
Mais je suis là devant vous - je vous l'ai déjà dit - pour vous apporter toute la clarté et toute la transparence sur le plan de transformation que j'ai mené depuis 2020.
M. Laurent Burgoa, président. - Pardon de vous couper, madame...
Mme Muriel Lienau. - J'ai mis toute mon énergie à travailler sur ce plan avec mes équipes. J'ai utilisé toute leur énergie pour apporter et trouver des solutions avec eux ; je m'y attelle depuis 2020.
M. Laurent Burgoa, président. - Madame la présidente, avec tout le respect que j'ai pour votre fonction, et après avoir mentionné les articles pertinents du code pénal, je vous demande de bien vouloir répondre à la question de M. le rapporteur, sans quoi je devrai malheureusement en tirer toutes les conséquences juridiques que je viens de vous exposer, avec les implications que vous connaissez sur le plan pénal.
Madame, je vous demande de faire attention. Cette maison est empreinte de sagesse et nous disposons d'une administration de très grande qualité. Ce n'est pas notre première commission d'enquête ; j'ai notamment participé à la commission d'enquête sur l'influence croissante des cabinets de conseil privés sur les politiques publiques. Tout s'est très bien passé : je ne souhaiterais pas que nous ayons recours à certaines procédures pour la première fois.
Pour la dernière fois, madame, je vous prie de bien vouloir répondre à la question. Je demande à M. le rapporteur de vous la reposer, s'il vous plaît. Sinon, j'en tirerai toutes les conséquences.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je repose bien volontiers la question, monsieur le président.
Madame, pouvez-vous m'indiquer quelles étaient les personnes qui vous ont mise au courant de l'utilisation des traitements illégaux au sein de Nestlé Waters ?
Mme Muriel Lienau. - Monsieur le président, monsieur le rapporteur, je le répète : je ne suis pas juriste et je ne peux donc pas débattre avec vous de ces questions juridiques. Mes conseils juridiques et mes avocats m'ont confirmé que je ne pouvais pas répondre à cette question à cause de la proximité entre les deux procédures.
M. Laurent Burgoa, président. - Nous en prenons acte et nous verrons les conséquences que nous en tirerons dans les jours à venir.
Monsieur le rapporteur, essayez de poser de nouvelles questions ; espérons que nous aurons plus de chance dans les réponses.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je me concentre toujours sur la manière dont vous avez accueilli cette information, pour laquelle nous ne saurons pas - aujourd'hui, en tout cas - qui vous l'a révélée.
Je souhaite comprendre la manière dont les choses se sont passées en interne chez Nestlé Waters. Ces révélations ont eu des conséquences sur la réputation du groupe, sur son avenir. Elles ont entraîné beaucoup de turbulences pour les salariés. Avez-vous pris des sanctions internes vis-à-vis des personnes qui se sont rendues coupables de mettre en place ces traitements illégaux ?
Mme Muriel Lienau. - Comme je vous l'ai dit, j'ai mis toute mon énergie avec les équipes à trouver des solutions. J'ai fait des choix, des choix managériaux.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Madame, pouvez-vous répondre une fois à une question ? Cela nous aiderait ! Voulez-vous bien répondre à nos questions ? Les éléments de langage que vous prononcez avant chaque réponse rendent notre travail difficile. Répondez aux questions que l'on vous pose, s'il vous plaît. Les prétéritions de langage sont vraiment agaçantes !
Mme Muriel Lienau. - J'ai fait le choix de ne pas chercher de responsabilités individuelles. C'est mon choix, un choix managérial. J'ai fait le choix d'utiliser toute l'énergie de mes équipes pour trouver des solutions, pour transformer, pour évoquer le sujet en toute transparence avec les autorités. J'assume mon choix.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - D'accord. Cela veut donc dire que les salariés de votre groupe savent qu'ils peuvent bénéficier d'une forme d'impunité vis-à-vis du groupe lorsqu'ils ont recours à ce type de pratiques. C'est visiblement le choix que vous avez fait, en effet.
Avez-vous tout de même essayé de savoir quand ces pratiques avaient commencé sur les différents sites ? Les informations dont nous disposons indiquent que ce serait en 1993 sur le site des Vosges pour l'un des traitements et en 2000 pour un autre traitement. Confirmez-vous ces informations ? Pouvez-vous nous donner les informations concernant le site de Vergèze, s'il vous plaît ? Quand ces traitements ont-ils commencé ? Quelle a été la durée de l'infraction ?
Mme Muriel Lienau. - Je n'ai pas effectué de recherches. Je sais que cette situation est héritée du passé. De nouveau, dès la fin de l'année 2020, dès que j'ai eu connaissance de cette information, je me suis attelée à résoudre la situation.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous avez dit que cette situation était « héritée du passé ». Était-ce le cas avant l'arrivée de Nestlé sur les sites ou cette situation est-elle directement imputable au passé du groupe ?
Mme Muriel Lienau. - Je n'ai pas l'information.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous nous dites donc que vous ne savez pas s'il y avait un problème lorsque Nestlé a repris ces sites. Vous arrivez, vous n'avez aucune information et vous ne vous posez aucune question sur ce qui s'est passé, vous vous concentrez sur l'avenir. Voici la question suivante : pourquoi tout cela a-t-il été instauré ?
Mme Muriel Lienau. - Comme je vous l'ai dit, j'ai pris mes fonctions en 2020, j'ai eu connaissance de cette situation à la fin de l'année 2020 et j'ai alors décidé de mettre un terme à cette situation non conforme.
Je me suis tout d'abord assurée que la sécurité alimentaire avait toujours été préservée. Je me suis aussi assurée qu'il existait des solutions et j'ai compris, grâce aux équipes techniques, qu'il y en avait pour poursuivre l'exploitation du site.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Madame Lienau, vous recommencez à nous donner les éléments que vous nous avez déjà fournis en réponse à notre première question. Je pense que cela suffit.
Le dispositif comportait des traitements illégaux. Vous les avez remplacés : vous avez donc forcément procédé à leur analyse. Vous aviez d'ailleurs dit au Gouvernement que vous ne pouviez pas les retirer pour rien.
Pourquoi ces traitements illégaux étaient-ils utilisés dans les usines ? Quel était leur rôle ? S'agissait-il de compenser l'état trop vétuste des infrastructures par le biais de ces mesures d'hygiène ? Ou était-ce parce que la pureté originelle des puits était en cause ? Il convient peut-être de combiner ces deux explications, d'ailleurs.
Mme Muriel Lienau. - Je ne sais pas pourquoi ces traitements étaient utilisés. Je sais que ceux-ci permettaient d'assurer la sécurité alimentaire de nos eaux. J'ai compris qu'il existait d'autres façons d'y parvenir.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous avez donc compris que ces traitements étaient utilisés pour assurer la sécurité alimentaire. Dès lors, si ceux-ci étaient retirés sans qu'une autre mesure soit décidée, la sécurité alimentaire n'était plus assurée. Êtes-vous d'accord avec cette assertion ?
Mme Muriel Lienau. - D'autres traitements et d'autres filtres étaient utilisés. Pour remplacer les traitements non conformes, j'ai compris qu'il fallait revoir tout le design de l'usine. J'ai donc constitué une équipe afin d'aboutir à une refonte complète de notre outil industriel, de conforter la sécurité alimentaire grâce à la microfiltration, à de nouveaux processus stricts de contrôle et de nettoyage et aux contrôles de qualité que nous avons instaurés.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je reformule ma question. Lorsque vous avez supprimé ces traitements, il vous est apparu nécessaire d'arrêter un certain nombre de forages, à la fois dans les Vosges et sur le site de Vergèze. Faut-il en déduire que la stabilité originelle pour les forages en question n'était plus garantie ? Pouvez-vous me répondre par oui ou par non à cette première question ?
Deuxième question : vous avez investi 50 millions d'euros en tuyauteries et en processus en tous genres - pour le dire simplement - afin de sortir de cette situation. Faut-il en déduire que l'infrastructure elle-même était vétuste ? Cette vétusté rendait-elle nécessaires ces traitements illégaux à tel point qu'il a fallu combiner la microfiltration à 0,2 micron et des investissements colossaux pour compenser le retrait de ces traitements ? Là encore, pouvez-vous me répondre par ou par non ?
Mme Muriel Lienau. - Malheureusement, la réponse n'est pas aussi simple. C'était tout un processus qu'il fallait adapter, ce que nous avons fait. Nous avons pris la décision de suspendre deux forages dans les Vosges, car ceux-ci ne pouvaient plus assurer la stabilité des constituants essentiels de l'eau minérale. Telle a été notre décision. Nous avons aussi décidé de réallouer deux forages du site du Gard à la production de boissons.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - À notre connaissance, ce n'est pas votre décision : ce sont bien les autorités qui vous l'ont imposée.
Mme Muriel Lienau. - C'est notre décision. Les deux décisions sont les nôtres.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - À ma connaissance, la décision dans les Vosges vous a été imposée par les autorités administratives.
Je souhaite désormais vous poser une question relative à votre rencontre avec le ministère. Il me semble que la directive est assez claire : celle-ci n'implique pas de prendre rendez-vous avec le ministère de l'industrie lorsqu'on veut mettre en place un nouveau traitement. Je souhaite partager avec vous les termes de la directive. Une eau minérale ne peut faire l'objet d'aucun traitement autre que ceux qui sont listés par la directive. Les traitements listés par la directive sont ceux permettant de séparer des éléments instables comme le fer, le soufre, le manganèse, etc. Tous les autres traitements sont interdits, sauf à mettre en oeuvre une procédure spécifique. Toute mise en place d'un type de filtration doit donc faire l'objet de cette procédure spécifique, au sein de laquelle il faut démontrer qu'il n'y a pas de modification du microbisme de l'eau.
Ma question est donc la suivante : avez-vous engagé cette procédure et vous êtes-vous rapprochée des autorités européennes afin de faire valider ce traitement qui ne fait pas partie de la liste des traitements autorisés ?
Mme Muriel Lienau. - Comme je vous l'ai dit, j'ai évoqué ce sujet avec les autorités en août 2021. Nos deux sites industriels étaient touchés : cela impliquait une refonte d'ampleur. J'ai décidé de porter ce sujet auprès du ministère de l'industrie, notre ministère de tutelle : j'ai fait montre de transparence sur les sujets de non-conformité et j'ai apporté des solutions par le biais de ce plan.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pourquoi n'avez-vous pas eu recours à la procédure classique auprès de la Commission européenne, telle que celle-ci est prévue par la directive et les textes ? Aviez-vous eu des informations vous laissant penser que les traitements à 0,2 micron ne seraient pas acceptés ?
Mme Muriel Lienau. - J'ai suivi la voie qui me semblait la plus appropriée pour régler le sujet important de la non-conformité. J'avais décidé que cette situation ne pouvait plus perdurer : j'ai donc agi en toute transparence. À partir de ce moment, j'ai opéré sous le contrôle des autorités et selon leurs directives.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous n'apportez pas de précisions sur les raisons vous ayant conduit à ne pas utiliser la procédure ordinaire de révision.
Pourquoi ces révélations ont-elles eu lieu le 31 août 2021 ? Je rappelle le contexte : quand et comment avez-vous su que le SNE, qui dépend de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), menait alors son enquête sur l'utilisation des filtres par des industriels minéraliers ? Le SNE avait obtenu auprès des fournisseurs la liste de leurs clients et les factures afférentes.
Autrement dit, pour ne pas tourner autour du pot, est-ce parce que vous avez été prévenue par vos fournisseurs qu'une enquête était en cours et que vous alliez être repérée lors de cette enquête de la DGCCRF que vous avez pris contact avec le ministère de l'industrie ?
Mme Muriel Lienau. - Comme je vous l'ai dit, une fois que j'ai pris connaissance de la situation à la fin de l'année 2020, j'ai commencé à travailler avec mes équipes, en vue de préparer les solutions industrielles et le travail d'ingénierie. Durant l'été 2021, nous étions prêts pour porter ce sujet auprès des autorités. Nous avons appris par l'un de nos fournisseurs l'existence de l'enquête de la DGCCRF. Nous avons alors accéléré la présentation de notre plan de transparence auprès du ministère de l'industrie. Nous avons pris rendez-vous dans le courant du mois d'août ; la rencontre au ministère a eu lieu à la fin du mois.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous apprenez l'existence de l'enquête à la fin du mois de juillet et vous vous rendez au ministère à la fin du mois d'août : est-ce bien ce que vous êtes en train de nous dire ?
Mme Muriel Lienau. - Oui, tout était prêt, puisque nous avions travaillé sur ce plan de transformation depuis six mois.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Mais cela accélère un peu votre présentation devant le ministère.
Mme Muriel Lienau. - J'ai en effet accéléré la prise de rendez-vous.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Une chose me frappe : vous savez que vous utilisez des traitements interdits depuis décembre 2020. Mais vous ne les retirez de la production sur le site des Vosges que fin 2022, donc un an et demi plus tard ; pour le Gard, c'est en août 2023, soit plus de deux ans et demi plus tard.
Pourquoi les choses ont-elles pris autant de temps ? Est-ce parce que cela impliquait de profonds changements dans le processus industriel ? Vous avez dit que vous étiez prête à faire toute la lumière sur ce plan de transformation : pouvez-vous nous expliquer ce qu'il s'est passé, s'il vous plaît ?
Mme Muriel Lienau. - D'un point de vue industriel, un plan d'une telle ampleur dans une usine comme la nôtre - je pense que vous avez déjà entendu parler de certains plans dans d'autres usines - prend normalement cinq ans. Nous avons été capables de le réaliser en deux ans.
Comme je vous l'ai dit, nous avons commencé à préparer les travaux en 2021. Je les ai portés à la connaissance du ministère à partir d'août 2021. Ensuite, nous avons continué à travailler sur la préparation du plan et des travaux d'ingénierie. Comme je vous l'ai indiqué, à partir d'août 2021, nous nous sommes placés sous le contrôle des autorités et avons attendu leurs directives.
Le début de l'année 2022 a été marqué par l'enquête de l'Igas, à laquelle nous avons participé. En juillet 2022, nous avons présenté à nouveau l'avancée de nos plans de transformation qui étaient alors bien détaillés. Nous avons repris contact avec les autorités ; nous savions que le rapport de l'Igas avait été finalisé, mais, je le répète, nous n'y avons pas eu accès avant 2024.
En juillet 2022, nous avons présenté le détail de tous les plans de transformation afin d'en valider les étapes. Entretemps, dans le cadre de l'enquête de l'Igas, nous avions fait part de la situation à l'ARS Grand Est au printemps 2022 - je n'ai plus la date exacte en tête.
Sur le site des Vosges, l'inspection de l'Igas se cantonnait à une seule des marques produites, sur laquelle aucun traitement n'était appliqué. J'ai choisi de leur présenter la situation avec la plus grande transparence.
Nous attendions ensuite les instructions des ministères pour offrir la même transparence sur le site de Vergèze. Lors d'une visite en novembre 2022, nous avons présenté la situation et le plan de transformation, qui devait ensuite être accepté par les autorités locales.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Il s'agit d'un point important pour nous et je veux être sûr de bien comprendre ce que vous avez dit : vous avez attendu d'obtenir l'autorisation des ministères pour contacter les ARS ?
Mme Muriel Lienau. - Non, l'ARS Grand Est était associée à l'enquête de l'Igas. Nous leur avons présenté la situation à cette occasion. L'ARS Occitanie a été informée de la situation à Vergèze en novembre 2022.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pourquoi avoir attendu aussi longtemps ? Pourquoi se rendre d'abord au ministère de l'industrie et prendre contact bien plus tard avec les ARS, les autorités locales de contrôle ? Ce n'est qu'un an et demi plus tard que vous leur proposez une visite guidée.
Mme Muriel Lienau. - Nous attendions les instructions des ministères. À partir de septembre 2022, nous avons rencontré les ministères de l'industrie et de la santé à plusieurs reprises et nous leur avons proposé...
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - C'est donc sur l'instruction de l'État central que vous prenez contact avec les autorités locales de contrôle.
Mme Muriel Lienau. - Nous leur avons demandé plusieurs fois l'autorisation de le faire.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous le leur avez demandé plusieurs fois, et ce n'est qu'en septembre 2022 que les ministères vous ont donné leur autorisation, est-ce bien cela ?
Mme Muriel Lienau. - Cela a eu lieu en novembre 2022.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - La visite a eu lieu en novembre, mais, auparavant, vous leur aviez demandé plusieurs fois l'autorisation de prendre contact avec les ARS, n'est-ce pas ?
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Disposez-vous des traces de vos demandes ?
Mme Muriel Lienau. - Pas de traces.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Comment formuliez-vous vos demandes auprès des ministères ? Preniez-vous contact avec les directeurs de cabinet ? Est-ce M. Nicolas Bouvier qui s'en chargeait ?
Mme Muriel Lienau. - Nous avons eu plusieurs rendez-vous en septembre 2022 avec les ministères de l'industrie et de la santé, au cours desquels nous avons partagé les plans de transformation. Un rendez-vous avec les équipes de Matignon, qui coordonnaient les deux ministères, a eu lieu à l'été 2022. Puis nous avons eu plusieurs rendez-vous avec les ministères pour présenter le plan de transformation : offrir plus de transparence en était l'un des aspects essentiels.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je retiens de votre déposition que c'est l'État central qui a retenu un temps l'information pour les ARS et que ce n'est qu'au moment où vous avez eu son autorisation que vous avez pris contact avec elles. Ce n'est pas vous qui vouliez différer leur information.
Mme Muriel Lienau. - Je ne dis pas que l'État a retenu l'information. Je dis simplement que celui-ci nous a octroyé l'autorisation de le faire à ce moment-là.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Lors de la réunion du 31 août, vous exprimez la demande d'une microfiltration à 0,2 micron auprès des autorités.
Dans votre propos liminaire, vous avez beaucoup insisté sur le fait qu'il s'agissait d'un problème pour l'ensemble du secteur. Or, lorsque nous échangeons avec d'autres grands acteurs - Danone pour ne pas le citer -, ceux-ci nous disent que la réglementation sur les filtres à 0,8 micron a toujours été claire.
Pourquoi n'avez-vous pas imaginé une solution avec des filtres à 0,8 micron, à l'instar de ce que pratiquent vos concurrents ? Est-ce impossible de faire fonctionner vos usines avec de tels filtres, à tel point que vous avez absolument besoin des filtres à 0,2 micron ? Qu'est-ce qui justifie que cela ne soit pas possible pour vous ?
L'un de vos directeurs de site avait proposé une explication : les microfiltrations permettaient de gérer la formation de biofilms dans vos tuyaux. Nous avons interrogé Danone : ils nous ont dit qu'en présence de biofilms, ils nettoyaient leurs tuyaux. Dès lors, avez-vous décidé d'avoir recours à la microfiltration pour éviter cette maintenance supplémentaire ?
Mme Muriel Lienau. - Je souhaite tout d'abord corriger un point : nous n'avons formulé aucune demande en août 2021, nous avons juste informé les autorités de notre plan de transformation.
Ensuite, comme je vous l'ai expliqué, le microfiltre à 0,8 micron en céramique n'a de 0,8 que le nom. Sa filtration est en réalité de 0,25 micron, soit exactement le même niveau de filtration que le filtre cartouche 0,2 micron.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - C'est le document que vous avez brandi voilà quelques instants ?
Mme Muriel Lienau. - Oui, c'est ce que j'ai dit. Nous vous avions d'ailleurs expliqué cela lors de votre visite dans le Gard voilà un mois. Je m'étonne que vous n'ayez pas demandé depuis aux différents intervenants s'ils utilisaient des filtres céramiques ou des filtres cartouches.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Madame Lienau, nous avons posé un certain nombre de questions à la suite de notre venue dans le Gard. Je vois que vous suivez de près ce que nous faisons. Durant notre visite, vous nous avez aussi dit que vous aviez déposé de nombreux dossiers auprès de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) pour prouver votre bonne foi. Tout ce que nous avons comme dossier provenant de Nestlé pour justifier le filtre à 0,2 micron, c'est cette feuille recto verso avec une synthèse qui fait la moitié de la première page. (M. Alexandre Ouizille brandit une feuille.)
Si vous avez vraiment un dossier à votre disposition - nous vous l'avions d'ailleurs demandé de nouveau lors de notre visite à Vergèze -, donnez-le-nous, cela nous aidera. De plus, demain est la date butoir qui vous a été fixée le préfet du Gard pour apporter la démonstration que vous ne modifiiez pas le microbisme de l'eau. Demain, aurons-nous la bonne surprise, en ouvrant le journal, de découvrir que cette démonstration a été faite et qu'elle a été fournie à la préfecture du Gard ?
Mme Muriel Lienau. - Cette démonstration a déjà été faite dès les discussions avec l'Igas.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Ce n'est pas ce qu'ont dit l'Igas et l'Anses.
Mme Muriel Lienau. - Je peux vous faire parvenir les documents extrêmement complets que nous avons transmis à l'Igas, dont une étude prouvant, pour le site des Vosges, que le microfiltre à 0,2 micron à cartouche préserve la flore naturelle de l'eau qui se redéveloppe ensuite dans la bouteille. Nous avons partagé ce dossier, très complet, non seulement avec l'Igas, mais aussi avec les ARS Grand Est et Occitanie.
Dans le cadre de l'instruction en cours relative aux arrêtés préfectoraux, le préfet du Gard a sollicité des informations supplémentaires pour le site de Vergèze. Nous y travaillons ; celles-ci seront lui communiquées demain, comme vous l'avez précisé.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Merci.
Vous soutenez qu'il s'agissait d'un problème touchant l'ensemble du secteur. Or, à notre connaissance, Nestlé Waters est le seul groupe à avoir formulé cette demande auprès des autorités.
J'aimerais aussi comprendre ce qui s'est passé du côté de la Maison des eaux minérales naturelles. Lorsque nous sommes venus à Vergèze, vous nous avez expliqué que vous aviez pris la décision de vous en écarter. Mais lorsque Mme Cathy Le Hec, directrice des sources d'eaux minérales de Danone, a déposé devant nous, elle nous a dit l'inverse : « Ce sont les différents membres de la Maison qui ont ensuite exprimé la volonté de changer de gouvernance et nous avons donc demandé la démission du président. Un nouveau conseil d'administration a été constitué en l'absence de Nestlé et j'ai l'honneur d'en être la présidente, car, pour ce qui concerne Danone, nos marques ont été associées à plusieurs reprises par la presse au groupe Nestlé et il était important de rappeler que les marques Évian, Volvic, Badoit et La Salvetat n'étaient pas concernées par les faits. »
Confirmez-vous ce que vous m'avez dit à Vergèze, à savoir que c'est vous qui avez choisi de partir et que les propos de Mme Cathy Le Hec sont faux ?
Mme Muriel Lienau. - La représentante de Nestlé à l'association était Mme Dubois, qui a pris la décision de partir. Celle-ci n'était pas présidente.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Mais est-ce Mme Dubois qui a pris la décision de partir ou est-ce Nestlé ?
Mme Muriel Lienau. - Mme Dubois, en tant que représentante de Nestlé, a pris la décision de partir.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Ce qui a donc été dit par Mme Le Hec n'est pas correct ?
Mme Muriel Lienau. - Non, ce n'est pas correct.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Très bien. Je vais peut-être laisser la parole à mes collègues, puis je reprendrai mes questions.
M. Khalifé. - Merci, madame, pour toutes ces précisions. J'ai une question préalable : depuis combien d'années Nestlé a-t-il repris les deux sites concernés par cette enquête ?
Mme Muriel Lienau. - Nestlé est propriétaire des sites depuis 1992.
M. Khalifé Khalifé. - Au cours des dernières auditions, nous avons eu des informations qui me semblent un peu différentes de ce que vous avez dit : vous n'étiez pas au courant de ce problème, que vous avez découvert seulement au moment où vous l'avez déclaré tout à l'heure, sans en connaître la raison. Aujourd'hui, vous en connaissez la raison, qui est davantage liée à la qualité de l'eau extraite : c'est pourquoi il fallait réaliser ces traitements. C'est une information qui me semble importante et nouvelle pour cette commission.
Les ultraviolets et les filtres à charbon sont utilisés pour maintenir la qualité de l'eau. Je m'étonne que, de 1992 à aujourd'hui, des factures aient été payées pour avoir accès à ces techniques sans que l'entreprise sache à quoi celles-ci servaient. Or ces techniques ne sont pas habituellement utilisées pour la production de ce type d'eau : comment l'expliquez-vous ?
Mme Muriel Lienau. - Comme je vous l'ai dit, j'ai pris mes fonctions en 2020 : je ne sais pas ce qu'il s'est passé entre 1992 et 2020.
Je tiens à apporter une correction à vos propos. Oui, les filtres étaient utilisés pour assurer la sécurité alimentaire, mais il existait d'autres solutions pour y parvenir : ce sont ces solutions que nous avons mises en place ces dernières années.
M. Hervé Gillé. - Madame, si je résume rapidement - vous pourrez critiquer mon résumé -, vous avez donc voulu imposer un règlement avant qu'il n'existe.
Vous n'avez, délibérément, pas respecté la directive pour obtenir les autorisations d'un traitement à ce jour non autorisé.
Surtout, vous n'avez pas mis en oeuvre une enquête interne au sein de votre établissement pour démontrer la nécessité de mettre en place ces traitements non conformes. Vous n'avez pas mené d'enquête interne. Si vous en avez mené une, communiquez-nous les documents et les résultats s'y rapportant.
Autre question : vous nous présentez des éléments qui ne sont pas encore attestés aux niveaux national et européen, selon lesquels les procédures de traitement à 0,8 micron ou à 0,2 micron auraient exactement le même effet. Surtout, vous soutenez que les filtres céramiques dits à 0,8 micron seraient en réalité des filtres à 0,2 micron. Dans ces conditions, pourquoi n'avez-vous pas utilisé du 0,8 micron, puisque cela a le même effet selon vous ? Pourquoi avoir choisi du 0,2 micron ? Pourriez-vous clarifier ces éléments ?
Enfin, vous avez mis en place un plan de transformation et une modification du design. Très bien ! Mais si vous avez mis en place un tel plan, c'est qu'il y a eu au préalable des études pour l'élaborer. En amont de ces études, il y a donc forcément eu une étude pré-opérationnelle qui démontrait pourquoi ces changements étaient nécessaires au vu des défauts constatés, ainsi que l'effet correctif apporté par la modification du design. Pouvez-vous nous communiquer également ces études ? Nous aurions ainsi tous les éléments à notre disposition.
Dernier point : vous parlez de transparence à propos de la démarche que vous avez mise en place. Si vous étiez vraiment transparente, pourquoi n'avez-vous pas communiqué au public le défaut que vous avez constaté, en toute transparence ? Pourquoi avoir attendu ? En fait, vous n'avez même pas attendu, puisque ce sont des révélations externes qui ont dévoilé la non-conformité et le fait que vous n'aviez pas le droit d'utiliser une étiquette comportant l'appellation eau minérale. Pourquoi n'avez-vous pas communiqué au public, après votre rencontre avec le Gouvernement, de manière transparente, le fait que vous commercialisiez une eau non conforme ?
Mme Muriel Lienau. - Pour répondre à votre première question, il n'existe aucune disposition réglementaire autorisant ou prohibant un type de microfiltration particulier. En 2001, l'Afssa a validé une bonne pratique, qui s'est ensuite largement répandue dans toute l'industrie. Depuis, aucune étude n'a été faite - M. Salomon l'a dit clairement devant vous.
Nous apportons aujourd'hui une étude...
M. Hervé Gillé. - La directive, madame, mentionne 0,8 micron.
Mme Muriel Lienau. - Non, ce n'est pas indiqué dans la directive.
M. Hervé Gillé. - La question que je vous pose est la suivante : vous mettez sur la table un document précisant qu'un traitement à 0,2 micron est la même chose qu'un traitement à 0,8 micron. Dès lors, pourquoi n'avez-vous pas utilisé celui à 0,8 micron ?
Mme Muriel Lienau. - Nous avons bien sûr examiné les différents types de microfiltration possibles. La microfiltration à 0,2 micron est la seule qui soit normée et dont l'efficacité est stable. C'est pourquoi j'ai pris la décision, avec mes équipes, de l'utiliser.
M. Hervé Gillé. - J'en déduis donc que les microfiltrations à 0,2 et 0,8 micron, ce n'est pas la même chose.
Mme Muriel Lienau. - Ce sont deux types de technologies différents, mais, comme je vous l'ai montré, les caractéristiques physiques sont les mêmes, puisque la répartition des pores est la même et que les effets des deux techniques sont les mêmes. C'est pourquoi nous demandons que le filtre de 0,2 micron soit considéré au même titre que le filtre céramique à 0,8 micron, qui a été validé en 2001 par l'Afssa. Nous demandons une discussion d'experts pour valider le filtre de 0,2 micron.
M. Laurent Burgoa, président. - Je partage le point de vue de M. Gillé. Pour le dire de manière humoristique, moi qui suis chasseur, le plomb de 2 et le plomb de 8, ce n'est pas la même chose : je ne m'en sers pas pour le même gibier. C'est pareil en matière de filtration - je me permets de le dire.
Mme Muriel Lienau. - Monsieur, ce sont des normes et des données qui nous ont été transmises par l'Institut de la filtration et des techniques séparatives (IFTS). D'ailleurs, ces spécialistes de la filtration pourraient peut-être être entendus par votre commission. Je suis étonnée qu'aucun des fournisseurs de filtres n'ait été interrogé.
M. Laurent Burgoa, président. - Je vous remercie de nous proposer des personnes à auditionner. Je me permets juste de dire que nous attendions davantage d'informations de votre part sur les personnes qui pratiquent la filtration dans votre entreprise plutôt que des conseils sur les personnes que nous devons auditionner.
Mme Muriel Lienau. - Les données de l'IFTS nous ont donc conduits à choisir le filtre de 0,2 micron. Je l'assume. Quand j'ai compris que le filtre céramique dit 0,8 micron avait en réalité une filtration à 0,4 micron, il était important pour moi, après ce que nous avions traversé et dans un souci de transparence, d'utiliser le filtre de 0,2 micron qui a l'effet d'un filtre de 0,2 micron, et non un filtre de 0,8 micron qui, en réalité, a l'effet d'un filtre de 0,2 micron.
Choisir le moment où nous allions informer le public et les consommateurs de notre décision était une étape importante pour nous, après la mise en place du plan de transformation, la recherche de solutions, puis le lancement de Maison Perrier, resté confidentiel jusqu'au lancement effectif qui a eu lieu en 2024.
M. Hervé Gillé. - Mais vous avez continué à commercialiser.
Mme Muriel Lienau. - Nous avons opéré pendant tout ce temps sous le contrôle des autorités. En 2024, lors du lancement de Maison Perrier, nous avons porté le sujet auprès des consommateurs.
Mme Marie-Lise Housseau. - J'ai assisté aux témoignages des autres directeurs qui vous ont précédé. En fait, vous avez tous le même système de défense : vous avez été embauchés, on vous a averti plus ou moins tardivement du fait qu'il y avait des traitements interdits, mais aucun d'entre vous - ni vous, ni M. Desbrun, ni M. Fehrenbach, ni Mme Dubois - n'a cherché à savoir pourquoi de tels traitements étaient utilisés. Vous avez admis que c'était ainsi et vous nous avez tous dit que le challenge était de réorganiser et de mettre en oeuvre un plan de transformation ambitieux.
Aujourd'hui, vous refusez de nous dire qui vous a averti. On se focalise peut-être sur des personnes ; peut-être souhaitez-vous en couvrir certaines qui sont parties à la retraite. En réalité, je me demande si ce n'est pas beaucoup plus simple que cela : n'avez-vous pas hérité depuis 1992 d'un réseau tellement vétuste que les traitements étaient absolument obligatoires, sinon vous n'auriez pas pu assurer la sécurité alimentaire, primordiale pour vous ? Vous étiez donc tous au courant et vous vous êtes dit qu'il fallait faire quelque chose. Vous avez le mérite, visiblement, d'avoir engagé ce plan de transformation.
Quand celui-ci a été suffisamment avancé, et comme il y avait peut-être aussi des fuites dans la presse, vous êtes allée voir le ministère. Partant, je pense que les dégâts étaient peut-être beaucoup plus importants que ce que l'on soupçonne et que le problème durait depuis beaucoup plus longtemps ; je vous pose la question.
Mme Muriel Lienau. - Je ne comprends pas la question.
M. Laurent Burgoa, président. - Pour ma part, j'ai bien compris ! En résumé, la question de Mme Housseau est la suivante : la filtration a-t-elle été instaurée bien avant ce que nous pensons ? Le système a peut-être cours depuis que Nestlé a racheté les sites en 1992.
Mme Marie-Lise Housseau. - Avez-vous acheté une usine qui était vieillissante ? Le directeur du site de Vergèze nous a quand même dit que le réseau était sensible. On peut aussi le qualifier de vétuste. Dès lors, les traitements étaient obligatoires : vous n'aviez pas le choix. C'est pourquoi vous vous êtes dit à un moment donné qu'un plan de transformation majeur s'imposait. Vous avez injecté des millions d'euros, certes, mais vous n'aviez pas le choix. À Vergèze, tout le monde savait que le réseau n'était plus en mesure de fournir une eau sûre sur le plan alimentaire. Ma question est peut-être provocante, mais j'aimerais avoir votre réaction.
Mme Muriel Lienau. - Je le répète : je ne dispose pas d'informations sur la situation prévalant avant ma prise de poste. J'ai pris la décision - et c'était une décision courageuse...
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Non, ce qui est courageux, c'est de comprendre ce qui s'est passé, de faire une enquête interne, comme M. Gillé l'a indiqué, et d'aller au bout de la vérité. Être respectueux des consommateurs que vous avez fraudés : c'est cela, le courage. Ce n'est pas d'élaborer un plan de transformation une fois que le SNE est en train de mener une enquête.
Mme Audrey Linkenheld. - Je vais rebondir sur les derniers propos du rapporteur en commençant par un commentaire, puis je poserai mes questions.
J'imagine que vous avez suivi l'audition d'hier ; je vais évoquer aujourd'hui ce que j'ai hésité à dire hier à l'une de vos collaboratrices. J'ai eu avec elle un petit échange sur ceux qui, ici, avant d'être sénateur ou sénatrice, avaient eu la chance de faire des études de marketing ou de gestion ou de fréquenter des universités ou de grandes écoles. Je crois que c'est aussi votre cas.
J'ai connu une époque où, quand on voulait faire du marketing - c'était mon cas - et qu'on était à la recherche d'un stage ou d'un emploi, certains noms faisaient rêver. Votre entreprise en faisait partie. On était fiers de pouvoir faire ses classes dans ce type de groupe, parce que cela rimait avec professionnalisme et innovation. Je ne suis pas là pour faire votre publicité ; d'autres noms résonnaient dans l'esprit des étudiants, mais, quand même, votre groupe figurait en bonne place.
Trente ans après, ce n'est plus exactement la même chose, pour rebondir sur ce qui vient d'être dit par le rapporteur. Vous n'êtes pas juriste - cela, on l'a bien compris. Mais nul besoin d'avoir fait du droit pour comprendre ce que je suis en train de dire : je peux vous assurer que l'image que renvoie votre groupe est à cent mille lieues de celle qui était la sienne dans le passé. C'est préjudiciable pour vous, pour l'ensemble de la filière et pour tous ceux qui y travaillent, de l'ouvrier et de l'employé jusqu'au patron. C'est toute l'image d'un pays qui pâtit de vos déclarations.
Vous nous avez indiqué qu'au moment de prendre vos fonctions, vous avez engagé une revue de processus et que c'est au cours de celle-ci que vous avez découvert - on ne sait toujours ni par qui ni comment - les non-conformités pratiquées dans votre entreprise. Pouvez-vous nous expliquer ce qu'est une revue de processus ?
Hier, votre directrice du marketing et de la distribution nous a dit qu'elle était pleinement partie prenante du plan de transformation, mais qu'elle n'avait pas d'échanges particuliers avec la directrice des opérations. Pouvez-vous nous dire comment vous menez ce plan de transformation et nous indiquer s'il y a, oui ou non, des réunions transversales entre vous et les différents autres responsables chez Nestlé - ceux qui s'occupent des sites, du marketing, etc. ?
Vous nous avez indiqué que votre souhait de ne pas poursuivre à titre individuel les responsables des non-conformités était un choix managérial. Ce choix est-il dicté par le fait que les personnes qui sont à l'origine de ces non-conformités avaient agi sur ordre ?
Mme Muriel Lienau. - Les revues de processus sont des revues assez régulières que nous faisons sur les différentes usines. C'est à cette occasion que j'ai pris connaissance de certaines non-conformités, qui ont conduit à l'élaboration de mon plan de transformation.
Mme Audrey Linkenheld. - Ce n'est vraiment pas une question juridique, votre avocat n'a pas de raison de s'y opposer. Je voudrais que vous nous décriviez une revue de processus. Nous sommes ici un certain nombre à savoir comment fonctionne une entreprise, à savoir ce qu'est un meeting ou une revue. Je vous demande juste de me décrire une revue de processus chez Nestlé. Est-ce une réunion ? Avec qui ? À quelle fréquence ? En visioconférence ou en présentiel ? Avec un relevé de décision ?...
Mme Muriel Lienau. - Nous avons des revues régulières des opérations de toutes les usines au cours desquelles nous revoyons les processus et identifions les changements à opérer. Ce sont des réunions qui peuvent avoir lieu tous les trimestres avec les différents départements techniques.
J'ai mis en place le plan de transformation à partir de 2020 et j'ai, au fur et à mesure de l'évolution du plan, impliqué un certain nombre de personnes de l'entreprise, dont Mme Dubois, à partir de l'été 2021.
Mme Audrey Linkenheld. - Ma question portait sur la transversalité et la manière dont vous conduisez le plan de transformation. Mais je constate que, même lorsqu'il ne s'agit pas d'une question juridique, il est difficile d'obtenir une réponse précise.
Mme Muriel Lienau. - J'ai la responsabilité du plan de transformation : c'est donc moi qui ai piloté, en tant que manager, les équipes impliquées dans ce plan. Il s'agissait au départ des personnes des opérations - des personnels techniques -, puis j'y ai adjoint d'autres personnes qui devaient et pouvaient contribuer à ce plan, dont Mme Dubois. J'ai moi-même géré et coordonné l'équipe de ce plan de transformation et j'en assume la responsabilité.
Mme Audrey Linkenheld. - Il y a donc bien, dans l'équipe, le directeur technique et la directrice du marketing et de la distribution ?
Mme Muriel Lienau. - Il y a les équipes techniques, mais aussi toutes les équipes qui avaient besoin de faire partie de ce plan de transformation, à différents moments.
Oui, j'ai fait le choix managérial de ne pas rechercher de responsabilités individuelles, mais d'utiliser toute l'énergie et la connaissance des équipes pour trouver des solutions et de travailler tous ensemble sur le plan de transformation. Je l'assume.
Mme Audrey Linkenheld. - Ce n'est pas ma question. Votre choix managérial repose-t-il sur le fait que vous saviez que les personnes qui avaient eu des pratiques non conformes avaient obéi à la commande d'un manager ?
Mme Muriel Lienau. - Avant d'être dans mes équipes, je ne le sais pas. À partir du moment où j'ai pris mes fonctions et où ces personnes ont intégré mon équipe, j'ai utilisé toute leur expertise pour faire un état des lieux et travailler avec elles sur le plan de transformation.
Mme Audrey Linkenheld. - Pouvez-vous nous dire quelles fonctions vous occupiez chez Nestlé préalablement ?
Mme Muriel Lienau. - À partir de quand ? Je suis chez Nestlé depuis plus de trente ans...
Mme Audrey Linkenheld. - Avant votre prise de fonctions en 2020.
Mme Muriel Lienau. - J'étais responsable du marché suisse.
Mme Audrey Linkenheld. - Nestlé Waters ou Nestlé ?
Mme Muriel Lienau. - Nestlé Suisse.
M. Laurent Burgoa, président. - On m'informe que Mme Lienau est chez Nestlé Beverage France depuis 2007.
Mme Muriel Lienau. - Oui s'agissant de la France, mais je suis chez Nestlé depuis 1991 - j'étais en Allemagne auparavant.
M. Laurent Burgoa, président. - Vous connaissez donc bien la maison ?
Mme Muriel Lienau. - Oui, très bien.
Mme Antoinette Guhl. - Pour quelqu'un qui est chez Nestlé depuis 1991, vous avez bien peu de réponses à nous apporter, madame Lienau.
Je trouve absolument scandaleuses les deux auditions que nous avons eues, hier et aujourd'hui, de deux directrices de Nestlé. Nous sommes la représentation nationale, dans le cadre d'une commission d'enquête. Il est très irrespectueux à notre égard, mais aussi à l'égard des citoyens et de vos consommateurs, d'user de tels éléments de langage, préparés par vos avocats.
Alors que votre groupe fraude depuis aussi longtemps - cela fait vingt ans que vous utilisez des filtres pour produire de l'eau minérale qui n'en est pas, puisqu'elle ne devrait pas subir les traitements que vous lui faites subir -, un peu de transparence aurait été tout à l'honneur de Nestlé. C'est scandaleux.
D'autant plus que, le 13 juin 2024, alors que je vous interrogeais dans le cadre de ma mission d'information, vous m'aviez indiqué que tout allait très bien, que les puits étaient de bonne qualité, qu'il n'y avait aucun problème chez Nestlé Waters. Et le lendemain, le 14 juin, deux puits étaient fermés, parce qu'ils étaient pollués...
Ma question - puisqu'on tourne autour du pot - est la suivante : vos eaux ont-elles été contaminées aux bactéries fécales, aux pesticides et aux substances perfluoroalkylées et polyfluoroalkylées (PFAS), nécessitant des traitements pendant de nombreuses années pour pouvoir être vendues ? Oui ou non ? Qu'en savez-vous, vous qui êtes chez Nestlé depuis 1991 et chez Nestlé Waters depuis 2020 en tant que directrice ?
Mme Muriel Lienau. - Vous faites probablement référence à une déviation sporadique sur un de nos forages, en juin 2024, à la suite d'un événement climatique extrême, la tempête Monica. Nous avons alors décidé, avec les autorités, de suspendre ce forage et de mettre en place un protocole, validé avec lesdites autorités. Ce forage est toujours suspendu.
Mme Antoinette Guhl. - Vos eaux étaient donc bien polluées, par conséquent non conformes, au moment où vous me disiez qu'elles étaient de bonne qualité.
Je repose donc ma question : vos eaux ont-elles été contaminées aux matières fécales, aux PFAS et aux pesticides, nécessitant des traitements pour pouvoir être mises en vente dans le respect d'une forme de sécurité sanitaire, même si vous ne respectiez pas la réglementation sur les eaux minérales naturelles ? Oui ou non ?
Mme Muriel Lienau. - Toutes nos eaux sont pures à la source.
Mme Antoinette Guhl. - Je n'ai pas bien compris.
Mme Muriel Lienau. - Toutes nos eaux sont pures à la source. Comme je vous le disais, nous avons eu une déviation sporadique en 2024.
Mme Antoinette Guhl. - Qu'entendez-vous par sporadique ?
Mme Muriel Lienau. - Cela signifie qu'il y a eu, à l'occasion d'un événement climatique extrême, une déviation sporadique. Un protocole a alors été mis en place avec les autorités pour suspendre le forage, encore suspendu à ce jour.
Mme Antoinette Guhl. - C'est du sporadique qui dure...
Mme Muriel Lienau. - Il y a eu une déviation sporadique en 2024. Depuis, le forage est suspendu et toutes les données du forage sont transmises en continu aux autorités. Depuis, il n'y a pas eu de déviation sur ce forage, mais nous attendons la décision du préfet sur son utilisation.
Mme Antoinette Guhl. - Pensez-vous que, demain, les eaux que vous vendez pourront encore s'appeler « eaux minérales naturelles » ? Aujourd'hui, elles ne respectent pas la réglementation, puisque le filtre à 0,2 micron n'est pas autorisé. Vous deviez apporter des preuves au préfet. Pensez-vous que demain vous aurez le droit - parce qu'aujourd'hui vous ne devriez pas l'avoir - de vendre vos eaux sous la dénomination « eau minérale naturelle » ?
Pour avoir interrogé le préfet Bonet, nous avons bien compris en quoi le filtrage à 0,2 micron était problématique. Je vois bien où vous voulez en venir : vous vous dites que tant qu'on parlera de filtres en céramique, on n'abordera pas les autres sujets... Ce qui m'intéresse, c'est de savoir si, oui ou non, vous vendez de l'eau minérale naturelle, comme c'est écrit sur vos bouteilles, de Perrier notamment. Je veux donc savoir si, à l'intérieur, il y a de l'eau minérale naturelle ou s'il y a, comme cela a été le cas pendant des années, de l'eau qui ne mérite pas cette appellation.
Mme Muriel Lienau. - Le préfet a signé un arrêté préfectoral temporaire pour l'eau minérale de Perrier, en toute connaissance des traitements que nous utilisons aujourd'hui, dont la microfiltration cartouche à 0,2 micron sur le site de Vergèze. Il y a deux mois, le préfet nous a demandé des éléments complémentaires, notamment des études très exhaustives, qu'il recevra demain.
Mme Antoinette Guhl. - Vous avez travaillé en Suisse : la pratique française de tricherie qui consiste à utiliser des filtres, alors qu'il ne devait pas y en avoir, existe-t-elle dans d'autres pays où Nestlé est implanté, en particulier en Suisse ?
Mme Muriel Lienau. - Nos marques sont toutes formellement reconnues par les autorités locales, dans chacun des pays où nous sommes implantés.
Mme Antoinette Guhl. - Donc on ne saura pas !
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Utilisez-vous, dans vos usines ailleurs en Europe, des traitements illégaux ou de la microfiltration à 0,2 micron ?
Mme Muriel Lienau. - Nulle part en Europe, nous n'utilisons de traitements non conformes. Nous utilisons dans tous nos sites en Europe des traitements appropriés à chacun de nos sites, formellement autorisés par les autorités et en toute transparence.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je repose ma question : y a-t-il d'autres usines en Europe où vous utilisez des filtres à 0,2 micron, oui ou non ?
Mme Muriel Lienau. Nous utilisons des formes adaptées à chacun...
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous avez l'obligation de dire la vérité devant cette commission d'enquête.
Je repose donc ma question : avez-vous, ailleurs en Europe, des sites où vous utilisez, comme en France, des traitements à 0,2 micron, oui ou non ? Veuillez répondre sans jeter de coups d'oeil à votre avocat pour savoir si vous avez le droit de répondre. C'est pourtant une question simple...
Mme Muriel Lienau. - Nous utilisons des niveaux de microfiltration qui sont validés avec les autorités dans tous les pays où nous sommes implantés.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Ne pas répondre, c'est déjà répondre.
M. Laurent Burgoa, président. - Madame, vous avez occupé divers postes chez Nestlé France depuis 2007 ; vous connaissez bien la maison. Je vous fais une honnête proposition pour vous donner une dernière chance de nous communiquer les noms des personnes qui auraient pu mettre en place cette microfiltration : acceptez-vous de me transmettre ces noms, le cas échéant par courrier électronique ? Je m'engage à ce que leur audition ne soit pas publique afin de préserver leur anonymat - certaines sont peut-être à la retraite ou occupent d'autres fonctions.
Je vous donne une dernière chance. Mais autrement, je devrai malheureusement en référer au président du Sénat afin d'en tirer toutes les conséquences. C'est aussi dans l'intérêt de votre groupe. Merci de me répondre par oui ou non.
Mme Muriel Lienau. - Je maintiens ma position.
M. Laurent Burgoa, président. - Entendu. Nous en tirerons les conséquences.
La réunion est close à 18 h 15.
Jeudi 20 mars 2025
- Présidence de M. Laurent Burgoa, président -
La réunion est ouverte à 10 h 30.
Audition de Mme Isabelle Epaillard, ancienne directrice adjointe de cabinet du ministre de la santé (François Braun) et ancienne directrice de cabinet de la ministre déléguée chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé (Agnès Firmin Le Bodo)
M. Laurent Burgoa, président. - Nous poursuivons les travaux de notre commission d'enquête avec l'audition de Mme Isabelle Epaillard, ancienne directrice de cabinet de la ministre déléguée chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé, d'août 2022 à janvier 2024.
Madame, je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal et notamment de cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende.
Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Isabelle Epaillard prête serment.
M. Laurent Burgoa, président. - Nos auditions sont retransmises en direct sur le site internet du Sénat. Notre commission d'enquête sur les pratiques des industriels de l'eau embouteillée a été mise en place le 20 novembre dernier, à la suite de révélations parues dans plusieurs médias au début de l'année 2024, sur les pratiques illégales de certaines entreprises du secteur, en particulier le recours à un traitement interdit sur des eaux minérales naturelles et de source. Notre commission d'enquête vise à faire la lumière sur ce dossier, sous réserve, bien entendu, des éventuelles procédures judiciaires en cours.
L'audition de ce matin a pour objectif d'éclairer la façon dont le ministère de la santé a géré les développements de l'affaire Nestlé Waters, plus particulièrement d'août 2022 à janvier 2024 en ce qui vous concerne.
Les documents qui nous ont été transmis montrent l'importance de votre rôle. Nous voudrions comprendre l'évolution du positionnement du ministère de la santé dans cette affaire. Quelles ont été les instructions reçues de la ministre et celles que vous avez données à vos conseillers ? Quelle a été la nature de vos échanges avec le groupe Nestlé et avec le ministère de l'industrie ? Quelles leçons tirez-vous de cette crise, qui a entamé la confiance des consommateurs ? Notre rapporteur vous interrogera sur ces différents thèmes. Mais auparavant, vous pouvez développer un propos liminaire d'une vingtaine de minutes.
Mme Isabelle Epaillard, ancienne directrice adjointe de cabinet du ministre de la santé et ancienne directrice du cabinet de la ministre déléguée à l'organisation territoriale des professions de santé. - Je vous remercie de me permettre de m'exprimer devant votre commission d'enquête. Je m'exprime au titre de mes fonctions de directrice adjointe du cabinet du ministre de la santé et de directrice du cabinet de la ministre déléguée chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé, que j'ai exercées d'août 2022 à janvier 2024.
La feuille de route de la ministre déléguée, qui définissait ses domaines d'intervention, comprenait les questions liées à la santé et à l'environnement. J'ai donc été amenée à suivre et à conduire les travaux concernant ces champs dans le cadre de mes fonctions. Je m'attacherai à vous présenter le plus fidèlement possible la mission qui a été la mienne sur ce dossier.
Je me suis attachée à adopter une méthode rigoureuse, par étapes, reposant sur un postulat de départ : m'assurer qu'à aucun stade du dossier la santé des consommateurs n'était mise en danger. C'est avec ce postulat que j'ai abordé la gestion de ce dossier, qui, signalé par l'industrie et concernant le secteur des eaux minérales naturelles, s'est appréhendé dans un cadre interministériel, en veillant à ce que chacun reste dans son rôle et ses responsabilités.
Avec mon conseiller chargé des questions de santé environnementale, je me suis efforcée de travailler, à chaque étape, en prenant appui sur l'expertise de la direction générale de la santé (DGS), de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) et des agences régionales de santé (ARS) concernées - Grand Est et Occitanie. J'ai également échangé avec le cabinet du ministre délégué chargé de l'industrie, en particulier sa directrice de cabinet et sa conseillère santé, agroalimentaire, produits de grande consommation et Europe.
Compte tenu du caractère interministériel du dossier, j'ai aussi veillé à tenir régulièrement informé le conseiller santé de la Première ministre. J'ai sollicité, avec le cabinet de l'industrie, des points d'étape, qui, précédés de notes de présentation des travaux, ont fait l'objet de comptes rendus. La dernière réunion, organisée par Matignon le 16 février 2023, s'est conclue par une position fixant la ligne à suivre. Cette position a été « bleuie », à l'instar d'autres processus concernant plusieurs champs ministériels et nécessitant un arbitrage de Matignon, sous la forme d'une concertation interministérielle dématérialisée (CID) entre les cabinets concernés et Matignon, entre le 22 et le 23 février 2023.
Permettez-moi de revenir sur les différentes étapes de ce dossier, en suivant l'ordre chronologique.
Je suis amenée à en assurer l'animation et la conduite pour le compte de la santé à compter de septembre 2022, conformément à la répartition des domaines d'intervention fixés dans la feuille de route de la ministre déléguée. Le conseiller industrie du cabinet de la Première ministre sollicite en effet la direction du cabinet du ministre de la santé dans la perspective d'une prochaine rencontre avec la direction de Nestlé Waters. Je prends alors connaissance du dernier point de situation du dossier, datant de juillet 2022, quand l'inspection générale des affaires sociales (Igas) rend son rapport de mission relatif à l'autorisation, au traitement et au contrôle des eaux minérales naturelles et des eaux de source. Je comprends que cette mission fait suite à l'enquête diligentée par le service national d'enquête de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) au sein du groupe Alma et à la démarche du groupe Nestlé pour sa filiale Nestlé Waters auprès du cabinet de la ministre chargée de l'industrie à l'été 2021.
Dans son rapport, l'Igas établit les constats suivants : le contrôle sanitaire des eaux embouteillées révèle que, dans leur très grande majorité, elles sont conformes ; une part non négligeable de désignations commerciales, 30 % selon l'Igas, fait l'objet de traitements non conformes, pointant un problème de pratique de la part des industriels concernés ; la réglementation est insuffisamment claire et laisse une marge d'interprétation.
Je prends également connaissance des actions menées par la directrice générale de l'ARS Grand Est concernée par le suivi du site vosgien de Nestlé Waters, au travers d'une note qu'elle a établie avant ma prise de fonction, le 27 juillet 2022. Tout en précisant qu'aucun risque sanitaire lié à la qualité de l'eau embouteillée n'a été identifié lors de l'inspection réalisée par ses services en avril 2022 dans le cadre des travaux de l'Igas, la directrice générale fait état de pratiques de traitement par ultraviolets (UV), par charbon actif et de la mise en place de filtres dont la « présence n'est pas en soi un obstacle à la délivrance de l'appellation, mais à condition qu'ils soient préalablement déclarés et que l'exploitant démontre qu'ils ne constituent pas un processus de désinfection, c'est-à-dire qu'ils ne modifient pas les caractéristiques microbiologiques de l'eau embouteillée ». Enfin, la directrice générale de l'ARS Grand Est s'interroge sur les suites à donner, en envisageant le recours à l'article 40 du code de procédure pénale auprès du procureur de la République d'Épinal, ce qu'elle fera quelques jours après la reprise du dossier par mon cabinet, par courrier daté du 3 octobre 2022.
Dans la perspective de la rencontre entre les conseillers industrie et santé de Matignon avec la direction de Nestlé Waters, s'engage un travail d'analyse et d'appréciation de la situation sous ses différents angles, associant les conseillers ayant la charge du dossier au sein des cabinets des ministres chargés de l'industrie et de l'organisation territoriale des professions de santé (OTPS), ainsi que l'expertise des équipes de la DGS.
Une première note conjointe industrie-santé est ainsi préparée et adressée à Matignon. Un point détaillé de la situation et du contexte y est présenté et de premières recommandations sont émises. À ce stade des investigations, la note confirme qu'aucun risque sanitaire lié à la qualité de l'eau embouteillée n'est identifié. La mise en place de traitements renforce même la sécurité sanitaire de l'eau embouteillée.
Nous produisons cette note dans un contexte normatif marqué par le caractère flou et imprécis des dispositions de la directive européenne du 18 juin 2009 relative à l'exploitation et à la mise dans le commerce des eaux minérales, caractère d'ailleurs souligné par la mission de l'Igas en juillet 2022 et qui entraîne des pratiques disparates au sein des États membres. Cette directive est transposée en droit interne par l'arrêté du 14 mars 2007, qui définit une liste positive des traitements autorisés et en exclut a contrario tout autre non listé.
En ce qui concerne la microfiltration, aucun seuil de coupure n'est précisé dans la réglementation. Il faut en fait se reposer sur l'avis de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa), devenue ensuite l'Anses, en date du 29 novembre 2001, lequel indique qu'« un dispositif de filtration tangentielle ayant un seuil de coupure de 0,8 micron peut être utilisé pour le traitement d'eau de source ou d'eau minérale naturelle avec l'objectif de retenir des particules présentes naturellement dans l'eau au captage », mais, un peu plus loin, qu'il « ne doit pas être utilisé pour rendre les caractéristiques microbiologiques des eaux conformes aux dispositions réglementaires ».
Sur la base de cet avis, la mise en oeuvre d'une microfiltration avec un seuil de coupure de 0,8 micron est tolérée par les services, sous réserve qu'elle soit mise en oeuvre dans un but exclusivement technologique et qu'un suivi de la qualité de l'eau soit réalisé avant et après traitement afin de s'assurer qu'il n'y a pas d'influence sur les caractéristiques microbiologiques de l'eau. En revanche, cet avis ne dit rien sur le caractère admissible ou non des filtrations à un seuil de coupure inférieur.
De nos échanges avec la DGS en particulier, il sera finalement convenu, en l'état de nos investigations, de présenter une nouvelle note proposée par le cabinet santé, évoluant dans ses recommandations, qui est adressée le 2 octobre à Matignon, précisément au conseiller santé de la Première ministre. La position relative à la technique de filtration est plus strictement exprimée. En effet, après discussion et échanges avec la DGS, il nous paraît alors utile, dans le cadre du processus d'échange mis en place, d'interroger la proposition d'autoriser le groupe Nestlé à avoir recours à une filtration avec un seuil de coupure. Les risques de contentieux sont à prendre en compte, notamment au regard de la directive du 18 juin 2009.
Le 13 octobre, nous sommes destinataires d'une note adressée par les conseillers industrie et santé de Matignon, proposant de suivre une ligne de conduite reposant sur quatre axes : demander à l'industriel de fournir sous un mois aux ARS concernées toutes les données permettant d'évaluer l'effet des mesures mises en place, notamment du filtrage à 0,2 micron, sur la qualité microbiologique de l'eau ; rappeler à Nestlé la nécessité de cesser tout traitement par charbon actif et UV pour le marché national ; solliciter au début du mois de novembre, une fois que les contrôles auront pu être menés localement par les ARS, l'avis de ces dernières et des préfets quant aux éventuelles dérogations qu'ils pourraient accorder dès lors qu'il est constaté qu'il n'y a pas de changement de la qualité microbiologique de l'eau entre l'amont et l'aval ; en matière de méthode, demander à l'industriel de travailler directement et en transparence avec les préfets et ARS concernés, Grand Est et Occitanie, avec un suivi par les cabinets OTPS et industrie.
En fait, je n'ai pas attendu le retour de Matignon pour saisir le directeur général de l'ARS Occitanie et appeler son attention sur le site de Vergèze, dans le Gard, qui produit Perrier. En outre, le 20 octobre, une réunion est organisée, associant les préfets et les directeurs généraux des ARS, ainsi que le cabinet industrie, suivie d'une réunion avec la direction de Nestlé Waters en présence également du cabinet industrie, le 24 octobre.
Lors de ces échanges, nous présentons les axes d'action à conduire par les directeurs généraux d'ARS, en particulier les contrôles nécessaires avant d'envisager de donner suite à la demande de filtrage à 0,2 micron. L'échange avec Nestlé Waters, au cours duquel les plans de transformation des sites de Vergèze et des Vosges sont abordés, pose les enjeux pour Nestlé Waters et repose essentiellement sur la question du maintien de la microfiltration à 0,2 micron, assortie du retrait des traitements par UV et charbon actif. Au cours de cet entretien, les deux cabinets exigent de Nestlé Waters que cette filiale se mette à la disposition des préfets et des ARS.
Dans les faits, et par un suivi précis et régulier du dossier avec le directeur général de l'ARS, je sais que Nestlé Waters et l'ARS Occitanie se sont rencontrés le 3 novembre, rencontre qui a été suivie d'une visite technique sur site le 30 novembre, ainsi que d'une réunion au niveau de la préfète un peu plus tard. De son côté, la directrice générale de l'ARS Grand Est nous adresse, le 8 novembre, une première analyse des retours d'informations et des données fournies par Nestlé Waters sur le site des Vosges. Comme demandé lors de la réunion du 24 octobre, les traitements par UV et charbon actif ont bien été retirés, mais les filtres à 0,2 micron ont été maintenus.
Face à l'absence de textes clairs et aux compétences techniques nécessaires pour vérifier l'absence de modifications microbiologiques, la directrice générale de l'ARS fait état du besoin d'un soutien technique, notamment de l'Anses. Après échange au niveau du cabinet OTPS avec la direction de l'Anses, le directeur général de la santé saisit officiellement l'Agence le 23 novembre 2022. La saisine demande l'évaluation de l'impact d'une microfiltration à 0,2 micron sur le microbisme naturel de l'eau minérale naturelle avant son conditionnement.
Alors que nous nous préparons à transmettre au conseiller santé de Matignon un point de situation sur les actions conduites depuis mi-octobre en vue d'une nouvelle réunion de suivi du dossier prévue le 1er décembre, je suis informée par la directrice générale de l'ARS Grand Est, après les contrôles réalisés mi-novembre sur le site des Vosges, de forts risques de fermeture de la production, compte tenu des difficultés liées à l'arrêt de la production de Contrex et des mauvais résultats constatés au captage Hépar-Essar. En particulier, les résultats des contrôles font état d'une contamination au forage principal qui ne se constate plus après filtration, rendant l'eau conforme, ce qui démontre l'effet de surtraitement apporté par la filtration. J'en tiendrai informé le conseiller santé de Matignon.
Toutefois, dans ces conditions, j'adresse, le 30 novembre 2022, une note de situation non définitive à l'attention du conseiller santé de la Première ministre, expliquant ma position d'attente après la saisine de l'Anses, dont le rendu, initialement prévu le 15 décembre 2022, sera finalement remis le 13 janvier 2023.
Dans cet avis du 13 janvier 2023, l'Agence rappelle celui de l'Afssa de 2001, selon lequel la microfiltration n'est pas interdite. L'Anses estime que les autorités disposent des moyens d'encadrer l'utilisation des dispositifs de filtration, au travers notamment de l'arrêté du 14 mars 2007 modifié, qui doit permettre de documenter l'impact de la microfiltration sur le microbisme de l'eau, en amont et en aval de la filtration, et, de là, de construire un éventuel dossier de demande d'autorisation.
En prenant en compte le cas espagnol également, à l'origine d'une sollicitation auprès de la Commission européenne sur les traitements de filtration avec un seuil de coupure à 0,4 micron, l'Anses recommande d'échanger avec les autorités espagnoles ou la Commission européenne, rappelant que, conformément à l'arrêté du 14 mars 2007, la demande visant à ajouter un traitement devra être transmise à la Commission européenne, qui sollicitera l'Efsa (European Food Safety Authority - Autorité européenne de sécurité des aliments, AESA).
C'est à cette étape de nos travaux que nous transmettons, le 26 janvier 2023, une note qui reprend la position de la DGS datée du 20 janvier 2023. La note propose un scénario de sortie qui prend appui sur l'avis de l'Anses et qui s'articule de la manière suivante : une suspension immédiate de l'autorisation d'exploitation et de conditionnement. Toutefois, la note précise également que la décision pourrait être temporaire et réversible si Nestlé Waters met en oeuvre un plan d'action pour recouvrer la qualité de l'eau à l'émergence, en particulier sur le site des Vosges, s'agissant de la source Hépar-Essar, et selon des conditions de surveillance et de suivi à respecter sous l'autorité des préfets et des directeurs généraux d'ARS.
C'est également à ce moment, au début du mois de février 2023, que nous demandons à la DGS de conduire une enquête auprès des correspondants Eaux dans les ARS pour vérifier s'il existe des arrêtés d'autorisation et d'exploitation d'eaux minérales naturelles ou de source précisant une microfiltration inférieure au seuil retenu par l'Afssa, soit 0,8 micron. En effet, dans sa note du 20 janvier, la DGS mentionne d'autres sites d'embouteillage d'eau qui utiliseraient des traitements non autorisés.
À l'issue de cette enquête flash, il apparaît que dix-sept arrêtés en vigueur sont concernés, dont celui qui est appliqué dans le Bas-Rhin, comme nous l'indiquera par courriel la directrice générale de l'ARS Grand Est. Dans ces conditions, la direction des affaires juridiques (DAJ) du ministère de la santé est consultée. La DAJ indique, dans sa note du 15 février 2023, qu'il n'existe pas de seuil réglementaire européen ou français - les avis de l'Afssa de 2001 et de l'Anses de 2023 ne constituent pas des actes réglementaires, mais offrent une analyse scientifique et des recommandations. Elle explique que certains représentants de l'État chargés de délivrer les autorisations ont ainsi pu s'en écarter. La DAJ préconise également de saisir les instances européennes, en particulier l'Efsa, pour enclencher une discussion entre experts et engager une revue des différentes pratiques européennes.
C'est donc après avoir pris en compte ces derniers éléments que je fais connaître au conseiller santé de la Première ministre la position que nous porterons le 16 février lors de la dernière réunion organisée à Matignon : saisine de l'Efsa pour éclaircir le point des microfiltrations et du seuil ; dans l'attente, maintien de l'autorisation de fait de la microfiltration au-dessous de 0,8 micron ; mise en place d'une surveillance renforcée en amont et en aval pour garantir la sécurité sanitaire des eaux exploitées ; arrêt provisoire de l'exploitation de l'émergence Hépar-Essar jusqu'au recouvrement d'une qualité conforme de l'eau.
C'est donc en repartant de notre position, discutée lors de la réunion du 16 février, que nous proposons un compte rendu qui est validé par le cabinet industrie. Compte tenu de la nécessité opérationnelle de transmettre aux autorités sanitaires déconcentrées - les ARS -, un document posant les principes sur lesquels elles pourront s'appuyer, nous demandons à Matignon, comme c'est la pratique pour fixer une ligne de conduite dans le cadre de travaux interministériels, de « bleuir » le document. Les conseillers santé et industrie de Matignon demanderont au Secrétariat général du Gouvernement (SGG) d'organiser une concertation interministérielle dématérialisée (CID), qui se déroule entre le 22 et le 23 février 2023.
La ligne est fixée dans ce document et s'articule autour de cinq axes : mise en place sans délai d'un plan d'action renforcé par l'industriel sous le contrôle du préfet et du directeur général de l'ARS ; possibilité, au regard des autres autorisations déjà accordées et en l'absence de normes empêchant ce niveau de filtration, d'autoriser, par modification des arrêtés préfectoraux, la pratique des microfiltrations inférieures à 0,8 micron, sous réserve d'une demande d'autorisation par l'industriel ; mise en place par l'ARS Grand Est d'une surveillance renforcée de la qualité de l'eau aux différentes émergences ; définition, dans le cadre du plan de transformation du site prévu par l'industriel Nestlé Waters, d'une démarche d'accompagnement et de contrôle de la qualité de l'eau aux différentes émergences, placée sous l'autorité du préfet du Gard et du directeur général de l'ARS Occitanie ; demande au Secrétariat général des affaires européennes (SGAE) de conduire une analyse de la situation de la microfiltration et des pratiques existantes dans les autres pays de l'Union européenne afin d'envisager, le cas échéant, de solliciter une évolution de la réglementation européenne.
Dès lors, s'est engagée la phase de suivi des plans d'action fixés par la CID. Nous rencontrons une dernière fois, côté santé, la direction de Nestlé Waters avec le cabinet industrie le 20 février 2023. Cet échange a pour objectif de présenter le plan d'action de l'industriel - fixé par le « bleu » qui arrivera par la suite -, dont nous attendons une mobilisation forte, réactive et constante sur les sites des Vosges et de Vergèze.
Au cours des semaines suivantes, nous avons continué de suivre avec attention la mise en place des plans d'action et de contrôle par des échanges réguliers, en particulier avec les deux directeurs généraux d'ARS concernés, qui sont nos interlocuteurs naturels en tant que chargés de la mise en oeuvre sur le terrain des plans de surveillance et de contrôle : suivi du retrait des traitements par UV et charbon actif, fermeture des deux points de forage Hépar. Les deux ARS pourront également s'appuyer dans leurs travaux sur les équipes techniques mises à disposition par l'Anses. Je me suis également assurée de la saisine par le Secrétariat général des affaires européennes de la Commission européenne en interrogeant le conseiller santé de Matignon.
Au terme de cette présentation reprenant volontairement la chronologie des étapes qui ont scandé le suivi de ce dossier, je souhaiterais revenir sur quelques aspects abordés au cours de mon propos et qui me semblent bien illustrer la manière avec laquelle ce dossier a été construit.
C'est d'abord la constance. Nous avons appliqué avec constance et méthode le postulat de départ, à savoir nous assurer de l'absence de risque sanitaire, préoccupation qui ressort de tous les documents écrits dans le cadre de ce dossier et que les directeurs généraux de la santé ont rappelée sous serment devant votre commission d'enquête. Les différentes étapes qui ont rythmé ce dossier démontrent le sérieux, la rigueur, mais aussi l'humilité avec lesquels nous nous sommes efforcés de conduire ce dossier complexe.
C'est ensuite la méthode, comme en témoignent les échanges de courriels très réguliers qui attestent de ce suivi fin et constant. J'ai conduit, pour la partie santé, ce travail interministériel : en requérant les analyses et avis des autorités sanitaires, de la DGS, de l'Anses, mais aussi des ARS ; en échangeant régulièrement avec le cabinet industrie, mais également en rendant compte à Matignon ; en veillant à prendre en compte les différentes dimensions du dossier, d'abord sanitaire - postulat de départ -, mais aussi économique et social ; en formalisant, dans un souci constant de transparence et de partage d'informations, les positions et décisions prises au travers de comptes rendus, de notes, mais aussi du relevé de la CID de février 2023 - autant d'éléments que je tiens à votre disposition.
Cette méthode atteste, s'il devait y avoir le moindre doute, comme le laissaient peut-être entendre certains articles de presse, l'absence de pression et même d'intervention dans le suivi de ce dossier. Je mesure qu'aujourd'hui je témoigne devant vous sous serment. Je vous remercie de votre attention et me tiens à votre disposition pour répondre à vos questions.
M. Laurent Burgoa, président. - Merci beaucoup, madame Epaillard, de ce propos liminaire. Avec ses questions, le rapporteur va aussi reprendre l'historique du dossier.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - En effet, je vais m'efforcer, moi aussi, de reprendre cette chronologie pour vous interroger sur d'éventuels changements de pied que nous avons identifiés, et en comprendre la nature et la raison.
À la fin du mois de septembre 2022 - puisque vous nous avez dit vous saisir du dossier à cette date -, Pierre Breton, qui est sous votre responsabilité au sein du cabinet, coécrit une note avec son homologue au cabinet de l'industrie, Mathilde Bouchardon. La note en question, transmise au cabinet de la Première ministre le 28 septembre, propose notamment d'autoriser Nestlé Waters à poursuivre la microfiltration à 0,2 micron, à condition que l'industriel apporte la preuve de l'absence de changement du microbisme de l'eau.
Pierre Breton transmet cette note à la DGS le 27 septembre 2022 en demandant une relecture technique et éventuellement des ajouts ou des corrections de votre côté. Le lendemain, le 28 septembre 2022, à 9 h 30, Jérôme Salomon, directeur général de la santé, renvoie la note largement amendée par ses équipes en écrivant : « Nous ne pouvons pas soutenir la proposition d'autoriser le groupe Nestlé Waters à avoir recours à une filtration à un seuil de coupure à 0,2 micron, [...] il y a forcément un impact sur la composition microbiologique de l'eau, dans le non-respect de la directive 2009/54. »
Vous disiez tout à l'heure qu'il y a un flou sur la réglementation. S'agissant de la procédure à suivre, les choses me semblent assez claires : la demande visant à ajouter un traitement doit être faite auprès du ministre non pas de l'industrie, mais de la santé. Cette demande doit être ensuite transmise à la Commission européenne et il faut apporter la preuve de l'innocuité du traitement et du fait qu'il ne modifie pas la composition de l'eau minérale naturelle ni son microbisme.
Je ferme cette parenthèse et reviens à ce que vous écrit Jérôme Salomon : « Cela créerait un précédent. Le recours à un traitement UV peut interroger sur la qualité microbiologique des ressources en eau exploitées par Nestlé Waters. L'existence de risques sanitaires liés à la présence de virus entériques d'origine hydrique ne peut être exclue si ce traitement de microfiltration était assimilé à tort à une désinfection par Nestlé Waters. » À 18 h 07, le même jour, vous transférez la note à Cédric Arcos, sans reprendre ces amendements et en mentionnant, comme dans la note initiale, le seuil de 0,2 micron.
Que s'est-il passé entre-temps ? Pourquoi avez-vous finalement écarté la position de la DGS ? La DGS est-elle revenue sur sa position entre 9 h 30 et 18 h 07 ? D'après ce que nous a dit M. Salomon sous serment, il n'a jamais été d'accord avec cette position sur le 0,2 micron. Dans le courriel à Cédric Arcos, vous avez un échange à ce moment-là, à 18 h 07. Concernant la préconisation finale sur la technique de filtration, il vous demande : « Me confirmes-tu que la DGS est bien en phase ? », et vous répondez : « Oui, c'est vu avec eux. » Il est alors 21 h 42 (Mme Isabelle Epaillard le confirme.)
Je ne comprends pas : la position de la DGS est totalement antagoniste à celle de la note jointe, mais vous dites à M. Arcos, du cabinet de la Première ministre, que c'est vu avec eux et que c'est validé avec eux. Pouvez-vous nous en dire plus sur cette contradiction ?
Mme Isabelle Epaillard. - J'ai écouté l'audition de Jérôme Salomon et ai relu avec attention ces échanges de courriels, qui remontent à plusieurs mois. Quand je réponds « Oui, c'est vu avec eux » à Cédric Arcos, à 21 h 42, le 28 septembre, pour moi, on est toujours sur une note conjointe avec un paragraphe « constat ministère de la santé », qui reprend in extenso le message qu'avait transmis, le 28 septembre, le directeur général de la santé concernant le 0,2 micron. Je pense donc qu'entre-temps les services ont travaillé, que nous avons une nouvelle note, et c'est dans ce sens que je réponds. Je sais que sur ces dossiers-là, j'ai travaillé régulièrement, pratiquement tous les jours et je fais passer une note le 2 octobre, qui donne ma position.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Que s'est-il passé ?
Mme Isabelle Epaillard. - Lorsque je réponds à Cédric Arcos « Oui, c'est vu avec eux », je sais qu'il y avait des travaux en cours. Mais pour moi, on était sur la version de la note que j'ai là, qui comprenait bien un constat du ministère de la santé reprenant les éléments de Jérôme Salomon.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous diriez donc que c'est une erreur : la note qui est partie n'est pas la note sur laquelle vous vouliez dire « Oui, c'est vu avec eux », si je vous comprends bien.
Mme Isabelle Epaillard. - Oui, et entre-temps cette note a été reprise et minore la position de la DGS. Je reprends donc les éléments, j'en reparle avec Pierre Breton et nous décidons que, comme nous sommes au début de nos investigations, il est important que nous revenions sur le 0,2 micron et que nous interrogions Nestlé Waters sur les raisons de leur recours à une microfiltration inférieure. Nous posons donc la question, et c'est ainsi que la note est repartie le dimanche 2 octobre 2022 à Cédric Arcos. Elle posera les éléments qui feront l'objet du retour de Matignon le 13 octobre.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Si je résume votre position, lorsque vous dites « Oui, c'est vu avec eux », vous pensez en fait vous exprimer sur une note revue qui intègre les remarques de M. Salomon, et vous ne vous rendez pas compte que vous prenez position sur la note qui ne les reprend pas.
Mme Isabelle Epaillard. - C'est ainsi que je le comprends en regardant tous mes documents, et surtout en m'appuyant sur la position finale, en tout cas au 2 octobre, qui reprend bien la position de la DGS.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Très bien, j'entends votre explication sur l'erreur.
J'aimerais que vous m'apportiez des précisions sur ce qui se dit dans certains échanges. Le 28 septembre, Adrienne Brotons, directrice du cabinet du ministre de l'industrie, et Victor Blonde échangent, avant la réunion du lendemain à Matignon avec Nestlé Waters, pour laquelle Pierre Breton a adressé la note du 27 septembre ne reprenant pas les éléments du directeur général de la santé. Dans ces échanges, Adrienne Brotons évoque le fait que le cabinet de l'industrie a « bien convergé ces dernières semaines avec le cabinet Firmin Le Bodo et Nestlé Waters ». D'ailleurs, le cabinet industrie et Matignon, que nous avons auditionnés, considèrent la note du 2 octobre comme un changement de pied pour eux.
Pouvez-vous nous dire, dans un premier temps, quels étaient ces points de convergence évoqués par Mme Brotons ? Sur quels points précis diriez-vous avoir convergé à ce moment-là avec le cabinet industrie ?
Mme Isabelle Epaillard. - Nous sommes alors vraiment au début - je me suis saisie du dossier quelques jours auparavant, au début du mois d'octobre. Nous sommes donc plutôt dans l'échange avec le cabinet industrie, qui se fait surtout au niveau des conseillers, puis nous faisons la synthèse, côté direction de cabinet, des informations à notre disposition, du postulat de départ et des vérifications à effectuer.
C'est pour cela que je me suis attachée à vous rappeler, en me permettant de citer la directrice générale de l'ARS, les points que je vais tout de suite chercher à expertiser lorsque je prends le dossier. Puis nous essayons de travailler avec le cabinet industrie en posant l'état de la réglementation et ce que Nestlé Waters nous a donné comme informations, afin de voir quels sont les éléments nécessaires pour pouvoir avoir une position.
À la fin du mois de septembre et au début du mois d'octobre, c'est loin d'être aisé, car il nous manque des informations. D'ailleurs, c'est ce qui se passera après : à la suite de la note du 2 octobre, puis du retour du 13 octobre, nous demanderons aux ARS d'investiguer davantage en procédant à des contrôles.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - La note du 2 octobre que vous avez évoquée à juste titre tout à l'heure et que vous transmettez à Cédric Arcos, est intitulée « Position du ministère de la santé ». Il ne s'agit donc plus d'une note conjointe, car, évidemment, les choses ont changé.
Mme Isabelle Epaillard. - Mais le cabinet industrie la verra.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Bien sûr, je ne veux pas dire qu'elle est dissimulée, je disais juste que c'est votre position santé au sujet de Nestlé Waters. (Mme Isabelle Epaillard le confirme.) Cette note soutient la proposition d'autorisation de la microfiltration non plus à 0,2 micron, mais à 0,8 micron. Cédric Arcos l'interprète comme, je le cite, « un gros changement de position de la santé sur notre affaire, car, après vérification, jamais une décision de filtrage à 0,2 micron n'a été autorisée ». Après lecture de cette note, Victor Blonde, le conseiller partagé Élysée-Matignon, répond à Cédric Arcos : « Aïe ! Ils avaient des réserves, mais c'est quand même assez inattendu. J'imagine qu'ils n'en ont pas parlé à l'industrie avec qui ils ont cosigné la précédente note. »
Une première question pour répondre à M. Blonde de manière différée : avez-vous parlé avec le cabinet industrie du fait que vous alliez reprendre une position ministère de la santé et de la prévention (MSP) pour corriger ce qui était écrit dans la note conjointe ? J'allais vous demander si vous estimiez qu'il y avait eu une forme d'influence du cabinet industrie sur la première note, mais vous m'avez répondu que vous l'aviez cosignée par erreur, pensant qu'il s'agissait d'une autre version. Je retiens ce point.
Mme Isabelle Epaillard. - En tout cas, j'ai retravaillé et revérifié les éléments de la DGS. Dans ces cas-là, nous faisions des points très réguliers avec elle. Je voulais comprendre les éléments.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - En avez-vous parlé à ce moment-là avec le cabinet industrie ?
Mme Isabelle Epaillard. - J'ai regardé dans mes échanges de courriels et, sauf erreur de ma part, je n'ai pas retrouvé d'élément indiquant que j'en ai parlé à Adrienne Brotons, la directrice de cabinet. En revanche, je suis quasiment sûre - permettez-moi de ne pas être trop catégorique - que les échanges et la discussion ont eu lieu de manière informelle entre nos deux conseillers, car ils se parlaient très régulièrement. Il n'y avait pas de raison que je n'indique pas que j'avais finalement une position plus fermée, en l'état des investigations et de ce que nous connaissions du dossier.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Très bien, merci de cette réponse.
Le 5 octobre 2022, soit trois jours après la transmission de la note « Position du ministère de la santé », Cédric Arcos transmet une note au directeur de cabinet de la Première ministre recommandant de donner un mois à l'industriel pour fournir aux ARS des données permettant d'évaluer l'effet des mesures mises en place, notamment de la filtration à 0,2 micron, sur la qualité microbiologique de l'eau, puis de solliciter l'avis des ARS et des préfets quant aux éventuelles dérogations avant de donner suite ou non à la demande de filtrage à 0,2 micron. Étiez-vous au courant de cette note et de cette position ? Saviez-vous que la position du ministère de la santé n'avait pas du tout été reprise dans la note transmise à la Première ministre à ce moment-là ?
Mme Isabelle Epaillard. - Non, je n'ai pas souvenir d'en avoir eu connaissance. Mais nous allons très rapidement avoir le retour, le 13 octobre, et nous mettre en ordre de marche.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous n'étiez donc pas au courant, à ce moment-là, de la transmission de cette note à la Première ministre ?
Mme Isabelle Epaillard. - Je ne suis pas au courant du détail de ces échanges. Je ne voudrais pas être catégorique dans ma réponse... Je ne m'en souviens pas. Je sais que j'ai la note après, puisque, le 13 octobre, Cédric Arcos me fait passer les éléments tels qu'ils ont été arbitrés.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Le 24 octobre 2022, Mathilde Bouchardon vous transmet, ainsi qu'à Adrienne Brotons, le compte rendu d'un entretien que vous avez eu le matin même avec Nestlé. Le compte rendu indique la nécessité de « trancher rapidement, car l'impossibilité pour Nestlé de poursuivre avec ses filtres à 0,2 micron pourrait avoir des impacts industriels en termes d'emplois non négligeables ».
J'aimerais comprendre ce qui s'est passé ce mois-là, car on semble glisser de la position du ministère de la santé, à 0,8 micron, à la question « oui ou non au 0,2 micron tout de suite ». La position du ministère de la santé, exprimée dans la note du 2 octobre, était relativement claire. Que s'est-il passé lors de cette réunion ? Avez-vous aussi validé cette forme de décalage de la question ? Pouvez-vous nous en dire plus ?
Mme Isabelle Epaillard. - Lors de la réunion avec Nestlé Waters, je ne prends aucune position. J'ai un échange.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Est-ce que Nestlé Waters vous a présenté des éléments à l'appui du seuil de 0,2 micron ?
Mme Isabelle Epaillard. - Non, justement. À ce moment-là, ses représentants nous font état des transformations qu'ils envisagent sur leurs deux sites et de leurs difficultés, notamment d'un point de vue économique sur le site des Vosges. Nous constatons qu'ils utilisent deux traitements, au charbon et aux UV - dont nous leur demanderons très rapidement le retrait - et une microfiltration à un seuil inférieur à celui de 0,8 micron rappelé dans l'avis de l'Afssa de 2001.
Nous échangeons donc, dans l'esprit de la note du 2 octobre et des axes posés par les éléments du 13 octobre de Matignon, toujours dans l'idée de comprendre pourquoi un industriel a recours à ce type de microfiltration et que celui-ci nous démontre qu'il n'apporte pas de modification au microbisme de l'eau. Il n'y a pas de question sanitaire : nous savons que c'est plutôt surtraité ; en revanche, il peut y avoir une influence sur le microbisme, et il faut que nous puissions le prouver, car, dans ce cas-là, nous sommes sur une non-conformité non pas sanitaire, mais commerciale.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - La question sanitaire posée par M. Salomon dans la note qu'il vous adresse demeure : le retrait des traitements qui surtraitent et leur remplacement par des filtres à 0,2 micron posent une question virologique. C'est pourquoi, ensuite, un contrôle sanitaire renforcé a été décidé. L'enjeu sanitaire n'est donc écarté à aucun moment, puisque le changement pose un certain nombre de questions.
Mais je note en effet que le débat se porte maintenant sur le seuil de 0,2 micron : autrement dit, la position initiale du ministère de la santé - la règle, c'est 0,8 - n'est pas reprise. On est en train de glisser vers le 0,2 micron et la question de la modification du microbisme de l'eau, alors même que M. Salomon, dans son premier courrier - et ce sera sa position constante -, dira qu'à 0,2 micron, quoi qu'il en soit, il y a forcément un impact sur la composition microbiologique de l'eau et donc un non-respect de la directive. C'est la position de M. Salomon, et cela le sera tout au long de la procédure, du début à la fin. (Mme Isabelle Epaillard le confirme.)
Là, pour le coup, on est quand même très loin de la position du ministère de la santé exprimée dans la note du 2 octobre. Êtes-vous d'accord avec cela ?
Mme Isabelle Epaillard. - Il y a une évolution, parce que nous voulons comprendre si c'est possible, mais avec toutes les vérifications qui sont nécessaires. Je suppose que vous l'avez bien noté : à ce moment-là, nous avons des échanges constants avec la DGS. Quand je rencontre les directeurs généraux des ARS, au moment de la mise en place du plan d'action, je leur demande d'aller vérifier ce qui se passe, de faire les contrôles. D'ailleurs, c'est ainsi que nous aurons un retour de la directrice générale de l'ARS Grand Est, qui demandera un appui technique de l'Anses, parce qu'elle a besoin de compétences pour contrôler. Nous lançons donc effectivement une démarche de vérification pour savoir s'il y a une modification des caractéristiques microbiologiques de l'eau.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je le note et je peux le comprendre. Notons toutefois que nous sommes le 20 mars 2025 et que cette question est toujours pendante. Je me permets de le signaler, parce qu'on verra ensuite que, au moment où la décision finale est prise en CID, cette question n'est toujours pas résolue et que, pourtant, une décision d'accompagnement du plan de transformation est prise. J'y reviendrai.
Mme Isabelle Epaillard. - Je vous apporterai des éléments.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Donc, les questions qui commencent à émerger, le débat s'étant décalé, sont par exemple : « Que risque-t-on à autoriser la microfiltration à 0,2 micron ? » En ce qui concerne le risque de contentieux européen, le compte rendu de la réunion informelle du 1er décembre à Matignon, sous l'égide de MM. Blonde et Arcos, avec Pierre Breton - peut-être vous-même, d'ailleurs, je ne sais pas -, mentionne que le risque de contentieux avec la Commission européenne est peu élevé en cas d'autorisation de la microfiltration à 0,2 micron.
Savez-vous d'où provient cette affirmation, alors que Jérôme Salomon pensait au contraire que le risque n'était pas négligeable, ce que la DGS mentionne d'ailleurs dans une note du 20 janvier 2023 ? Cette position a été reprise dans la note datée du 24 janvier et transmise au cabinet de la Première ministre.
Qu'est-ce qui fait, d'après vous, que les alertes sur ce point du contentieux européen, avec cette obligation très claire de transmettre la demande à la Commission, n'ont pas été entendues ?
Mme Isabelle Epaillard. - Des éléments de contexte sont pris en compte, à ce moment-là. Nous savons que l'Espagne a fait une demande auprès de la Commission européenne, sans connaître la réponse qui a été donnée. En tout cas, nous savons qu'elle pratique une microfiltration inférieure à 0,8 micron, de l'ordre de 0,4 ou 0,45 de mémoire. Nous savons aussi que cela se pratiquerait au Royaume-Uni.
Je voudrais vous dire que la position de la santé a toujours été claire vis-à-vis de la Commission européenne : dans toutes les notes que j'ai pu faire passer à Matignon, je demande à chaque fois la saisine de la Commission européenne, notamment de l'Efsa. Vous l'avez noté : pour comprendre cette situation complexe, pour laquelle nous avons demandé des éléments à l'industriel, nous avons besoin de recourir au maximum d'experts. C'est l'idée de la saisine de l'Efsa, que je reformulerai d'ailleurs dans mon courriel juste avant la réunion de février qui donnera lieu à la CID et qui sera reprise dans son compte rendu. Côté santé et dans ma position, si est demandée la saisine de la Commission européenne ou de l'Efsa, cela signifie que nous allons présenter le dossier aux experts.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pouvez-vous m'éclairer sur une note de la DAJ, non datée, mais jointe au relevé de décision de votre réunion du 16 février ?
Mme Isabelle Epaillard. - Cette note date du 15 février. J'ai reçu un courriel le 15 au soir, ou le 16. C'est moi qui ai demandé cette note à la DAJ.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - S'agit-il de M. Touboul ?
Mme Isabelle Epaillard. - Non, le 15 février, ce n'est plus lui.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Dans cette note, la DAJ évoque les risques et opportunités de la saisine de la Commission européenne et de l'Efsa. Elle indique que, « quelle que soit l'option retenue, elle présentera un risque contentieux élevé dès lors que l'initiative française ne demeurera pas secrète ». C'est quand même très troublant. La DAJ veut-elle dire que, si la question du 0,2 micron n'est pas gérée en interne, dans les cabinets, mais portée devant la Commission, étant donné que ce seuil n'est pas accepté par les autorités européennes, il y aura un risque contentieux élevé ? Comprenez-vous ainsi le fait de dire que, si cela sort du secret, alors le contentieux se matérialise ?
Mme Isabelle Epaillard. - D'abord, la directive européenne ne fixe pas de seuil.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Non, mais cela n'est pratiqué dans aucun État membre. Dans le cadre du contrôle qu'elle a réalisé sur les eaux en France, la Commission a considéré que certaines eaux filtrées à 0,2 micron n'étaient pas conformes. Nous l'auditionnerons aussi, d'ailleurs, même si elle a rendu son audit postérieurement.
Pour que vous le sachiez, la position partagée à l'échelon européen et les informations qui semblent avoir été glanées à l'époque auprès de la DGCCRF montrent qu'aucun État européen ne veut aller à 0,2 micron. Expliquez-moi cette notion de secret : que veut dire la DAJ, d'après vous, quand elle évoque cela ?
Mme Isabelle Epaillard. - Permettez-moi de souligner que la DGCCRF nous fait quand même état d'une adaptation de la réglementation en Espagne.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - À 0,45 micron. Ce n'est pas une adaptation, c'est la réglementation espagnole.
Mme Isabelle Epaillard. - Oui, mais elle doit appliquer la directive européenne.
Si la DAJ s'exprime ainsi, c'est probablement parce qu'elle considère que, dès lors que la Commission européenne et l'Efsa seront saisies, on mettra cartes sur table. Pour moi, c'est normal, c'est la règle, il faut le faire. Je préconise de les saisir au regard de la complexité de ce dossier, pour que les choses soient clairement posées.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Merci, c'est clair.
Le 26 janvier 2023, vous transmettez au cabinet de la Première ministre une « Note de situation à date du 24 janvier », qui indique : « Compte tenu des enjeux sanitaires et réglementaires rendant impossible d'accepter une ultrafiltration inférieure à 0,8 micron » - ce qui est aussi une manière de tirer les conséquences de la note de la DAJ, selon laquelle le risque contentieux serait élevé si la question était portée devant la Commission - « la proposition du cabinet OTPS » - c'est-à-dire vous (Mme Isabelle Epaillard le confirme.) - « est de suspendre immédiatement l'autorisation d'exploitation et de conditionnement de l'eau pour les sites [...] des Vosges. »
Nous en sommes alors, me semble-t-il, à la troisième position depuis septembre : d'abord, l'autorisation à 0,2 micron si l'industriel démontre la non-modification du microbisme ; ensuite, l'autorisation à 0,8 micron ; et maintenant, la suspension de l'autorisation d'exploitation. Pouvez-vous nous expliquer ce qui peut apparaître comme un changement de pied ? Que se passe-t-il alors ? Qu'est-ce qui vous pousse à aller vers cette solution qui, in fine, ne sera pas adoptée ?
Mme Isabelle Epaillard. - Ce n'est pas une troisième évolution. Nous sommes dans une évolution continue, dans un work in progress. Nous essayons d'évoluer, de comprendre étape par étape, de façon très méthodique, en conservant toujours le postulat de départ que j'ai rappelé. C'est ce que j'ai essayé d'expliquer dans mon propos liminaire.
Le raisonnement qui a été suivi est le suivant : absence de risque sanitaire - tous les éléments le confirment ; absence de seuil clairement défini par la directive européenne ; constat qu'il n'y aurait pas que Nestlé Waters qui appliquerait des traitements - la note de la DGS l'indique.
C'est à ce moment-là - vous l'avez peut-être retrouvé dans les échanges de messages - que je demande à la DGS d'interroger, sous la forme d'une enquête flash, l'ensemble des correspondants Eaux des ARS : il nous est remonté qu'au moins dix-sept arrêtés avaient été pris.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - De quand date cette enquête flash ?
Mme Isabelle Epaillard. - De fin janvier, ou tout début février.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - C'est bien entre le 26 janvier et le 9 février ?
Mme Isabelle Epaillard. - Oui, les dix-sept arrêtés sont un élément qui me parvient après la note du 26 janvier. La note de la DGS est en deux temps : elle évoque la suspension, mais précise que cette décision peut être temporaire et réversible, à certaines conditions, que l'on retrouve dans le « bleu » de CID, notamment le contrôle de l'émergence Hépar-Essar et les plans de contrôle et de surveillance mis en place par la direction générale de l'ARS.
C'est vraiment entre la note du 26 janvier et la position que j'indique à Cédric Arcos juste avant la réunion de février à Matignon que ces éléments complémentaires interviennent. Je note également qu'à pareille époque les pratiques nous sont remontées, notamment la pratique espagnole, mentionnée dans l'avis de l'Anses du 13 janvier, qui nous invite à interroger l'Espagne ou la Commission européenne.
J'ajoute que la note de la DAJ n'est pas antérieure à la note du 26 janvier ; elle est publiée juste avant la position du 16 février. C'est en constatant les dix-sept arrêtés, après l'enquête flash, que je consulte la DAJ pour comprendre comment de tels arrêtés peuvent exister. La DAJ explique que nous disposons, non pas d'un seuil réglementaire, ni dans la directive ni dans l'arrêté, mais d'avis rendus en 2001 et 2023. D'où les dix-sept arrêtés.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - L'enquête flash est donc un élément nouveau pour moi. C'est sans doute ce qui motive Pierre Breton, le 9 février 2023, à adresser à Joëlle Carmès, sous-directrice chargée des eaux minérales, un certain nombre d'éléments qui relativisent fortement la position de la DGS. Je le cite : « Maintenant que nous savons de manière certaine que des arrêtés autorisent les microfiltrations inférieures à 0,8, » - parmi lesquels on compte aussi des arrêtés technologiques liés à la séparation d'un certain nombre de produits, qui n'ont donc rien à voir avec la microfiltration à des fins sanitaires telle que présentée par Nestlé, qui nous explique qu'elle ne peut pas commercialiser son eau sans cette microfiltration. Pierre Breton poursuit : « sommes-nous vraiment en mesure de justifier notre position face à Nestlé ? [...] L'argument du contentieux avec la Commission est-il toujours valable ? » Pierre Breton posait la question : pour moi oui, mais qu'en pensez-vous ? Il ajoute : « En relisant le rapport, l'argument de désinfection avec une microfiltration à 0,2 micron n'est pas si clair que cela, et visiblement la position de l'Anses non plus. » Je ne vois pas, pour le coup, en quoi la position de l'Anses, celle de M. Salomon et celle de la directrice générale de l'ARS Grand Est manquent de clarté : lorsque cette dernière est interrogée sur le 0,2 micron, elle dit qu'à ce seuil on est dans le cadre d'une désinfection.
Pierre Breton avait-il votre aval pour remettre en cause - ou au moins questionner - aussi fortement la position de la DGS ? Cela relève-t-il d'une commande de votre part ou est-ce spontané ?
Mme Isabelle Epaillard. - Je ne m'en souviens pas précisément. J'ai décrit la méthode avec laquelle j'ai travaillé. Je pense avoir échangé avec Pierre et lui avoir même demandé que la note de la DAJ soit transmise à la DGS, pour que nous nous posions les questions. C'est un travail quotidien au milieu de nombreux autres dossiers. Il est normal que le cabinet demande à la direction générale...
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je voulais savoir si vous l'aviez fait de manière conjointe.
Mme Isabelle Epaillard. - ... et que nous échangions et posions les questions.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Très bien. Donc, le 10 février, Joëlle Carmès sollicite Jérôme Salomon, peut-être désarçonnée après cet échange avec Pierre Breton. Elle sollicite une réponse à son niveau, qui rappelle la position du 20 janvier sur l'interdiction de la microfiltration inférieure à 0,8 micron.
Diriez-vous que la position du cabinet de la ministre était alors en train de changer ? En effet, le 16 février 2023, on remarque une nouvelle variation dans la position de votre cabinet, celle que vous avez exprimée il y a quelques instants. Vous écrivez à Cédric Arcos : « Après de nouveaux échanges avec la DGS et y avoir associé la DAJ, nous aurions tendance à privilégier le scénario suivant, sous réserve naturellement des échanges de demain avec vous et le cabinet industrie : saisine de l'Efsa pour éclaircir le point sur les microfiltrations et les seuils ; » - à ma connaissance, cela n'a pas été fait - « dans l'attente, maintien de l'autorisation de fait de la microfiltration au-dessous du seuil de 0,8 micron ; » - donc autorisation sous le seuil - « mise en place d'une surveillance renforcée en amont et en aval ; » - pour répondre finalement aux inquiétudes de M. Salomon sur les virus, car il faut bien un contrôle renforcé si on enlève des traitements pour les remplacer par des filtres qui, potentiellement, laissent passer les virus dans un contexte où l'on n'est pas sûr de la pureté originelle de l'eau - « arrêt provisoire de l'exploitation de l'émergence Hépar-Essar jusqu'à recouvrement de la qualité conforme de l'eau » - recouvrement qui n'est toujours pas intervenu à l'heure où nous parlons, même si Nestlé évoquait hier un écart sporadique.
Pourquoi parlez-vous dans cette note d'« éclaircir le point sur la microfiltration et les seuils », alors que ce point est connu de votre cabinet depuis septembre 2022 et que la position de la DGS n'a pas bougé ? Qu'est-ce qui vous fait à ce moment-là passer le seuil, si j'ose dire, et affirmer que vous êtes prêts à aller au-dessous de 0,8 micron ? C'est la première fois que vous l'exprimez dans une note. J'aimerais comprendre ce qui vous fait agir ainsi, un peu contre l'avis de la DGS.
Mme Isabelle Epaillard. - Lors de son audition, le directeur général de la santé a indiqué qu'il est dans son rôle technique et que les cabinets ne le suivent pas forcément ensuite.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Oui, l'administration propose et les politiques décident, mais avez-vous des échanges avec votre ministre ?
Mme Isabelle Epaillard. - Non, je n'ai pas eu d'échange avec la ministre.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - À aucun moment, sur ce dossier ?
Mme Isabelle Epaillard. - Compte tenu de la façon dont je travaillais avec Mme Firmin Le Bodo, j'ai dû aborder le dossier, mais les arbitrages sont restés à mon niveau.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Il n'y a jamais eu d'arbitrage à son niveau ?
Mme Isabelle Epaillard. - Non.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Question plus personnelle : vous ne sentez pas que la gravité du sujet appelle quand même - puisque vous ressentez le besoin de « bleuir » en passant par le cabinet de la Première ministre - une décision politique ? Il s'agit en effet de maintenir des traitements illégaux qui trompent potentiellement le consommateur pendant plusieurs années. Qu'est-ce qui fait que vous gardez cela à votre niveau ? Ne sentez-vous pas que c'est suffisamment politique pour être remonté à la ministre ?
Mme Isabelle Epaillard. - Il y a une méthode et des étapes. Le risque sanitaire, à toutes les étapes, est absent - c'est confirmé. Nous sommes effectivement sur une non-conformité industrielle. À ce moment-là, je sollicite dès le départ un arbitrage dans le cadre d'une démarche interministérielle, qui se conclura par la CID.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Mais qu'est-ce qui vous fait basculer dans l'acceptation du 0,2 micron sous conditions ? Ce passage de 0,8 à 0,2, sous certaines conditions, donc, vous l'exprimez en quatre points : saisine de l'Efsa, maintien de l'autorisation sous 0,8 micron, mise en place d'une surveillance renforcée amont-aval et arrêt provisoire de l'exploitation.
Je note d'ailleurs, pour votre information, que la surveillance renforcée amont-aval a longtemps relevé de l'autocontrôle en Occitanie et n'a pas été mise en place rapidement, contrairement au Grand Est, comme cela aurait dû être le cas dans la gestion du risque avec une entreprise qui a tout de même des habitudes de dissimulation.
Qu'est-ce qui vous fait basculer dans la tolérance à l'égard de la microfiltration à 0,2 micron ?
Mme Isabelle Epaillard. - J'écris qu'on est non pas sur le seuil de 0,2, mais, de fait, au-dessous du seuil de 0,8. Je ne parle jamais, me semble-t-il, du seuil de 0,2 (M. le rapporteur le confirme.) D'ailleurs, le « bleu » de CID n'évoque pas le seuil de 0,2.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous avez raison, mais il évoque un plan de transformation qui, lui, mentionne le seuil de 0,2.
Mme Isabelle Epaillard. - Jamais le « bleu » de CID n'en parle.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Nous y viendrons. C'est un point important, en effet. Qu'est-ce qui vous fait changer de position ?
Mme Isabelle Epaillard. - Les éléments que j'ai exposés tout à l'heure.
Ces informations complémentaires, ce sont la note du 26 janvier, les arrêtés, les pratiques dans d'autres pays, pour lesquelles nous allons solliciter l'avis de l'Efsa et de la Commission.
Puis, surtout, vous avez constaté, dans la position que j'ai tenue avant le 16 février, que les aspects liés à ce qui pourrait avoir une incidence sanitaire sont très clairement exprimés, à la fois sur l'émergence Hépar, notamment celle qui pose des difficultés et dont la vulnérabilité a été confirmée par la directrice générale de l'ARS lors des contrôles que nous avions lancés et demandés en octobre. J'ai aussi suivi avec beaucoup de vigilance les contrôles, en demandant régulièrement aux directeurs généraux où ils en étaient.
Un certain nombre d'éléments ont changé la donne, comme les dix-sept arrêtés constatés et les pratiques d'autres pays européens. Nous avons donc constaté que des autorisations de fait avaient été données, étant entendu que l'industriel devait ensuite en faire la demande, comme cela est d'ailleurs formulé.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Le 16 février, une réunion se tient avec Adrienne Brotons, du cabinet industrie et celui de la Première ministre, qui conclut en vous suivant sur un certain nombre de points : suspension de l'autorisation de la source Hépar, autorisation de microfiltration inférieure à 0,8 micron dans les Vosges et mise en place d'un plan de surveillance renforcé. En revanche, vous n'êtes pas suivie, sauf erreur de ma part, sur la question pourtant centrale, puisque conforme au respect de la réglementation, de la saisine de l'Efsa pour éclairer les questions de seuils de microfiltration.
Mme Isabelle Epaillard. - Si, c'est le point 5 de la CID : « Demande au Secrétariat général des affaires européennes de conduire une analyse de la situation de la microfiltration des pratiques existantes dans les autres pays afin le cas échéant d'envisager de solliciter la Commission pour une évolution de la réglementation. »
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - J'ai vu l'ombre d'un cocher tenant l'ombre d'une brosse nettoyant l'ombre d'un carrosse... On peut saisir l'Efsa. Donc il est dit que peut-être un jour la Commission européenne sera informée - elle le sera d'ailleurs très tardivement, à l'occasion des révélations.
Mme Isabelle Epaillard. - C'est une procédure habituelle : normalement, c'est le SGAE qui doit être saisi et qui saisit ensuite l'Efsa. En tout cas, je l'entends ainsi.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - D'accord.
Mme Isabelle Epaillard. - C'est d'ailleurs la raison pour laquelle j'ai dû adresser un courriel quelques semaines plus tard pour savoir où en était la saisine, car j'y tenais particulièrement.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Merci de ces précisions.
Le 23 février 2023, à 18 h 33, alors que la CID est terminée depuis 33 minutes, Jérôme Salomon vous écrit, ainsi qu'à Pierre Breton : « Sauf avis contraire de votre part d'ici au 15 mars prochain, je vous informe de mon intention de mettre en oeuvre les actions suivantes : un courrier de la DGS à la directrice générale de l'ARS Grand Est [...] pour lui faire part de la lecture de la situation et des mesures à mettre en place, notamment une microfiltration avec un seuil de coupure supérieur ou égal à 0,8 micron, un changement de qualification des eaux conditionnées dans le respect de la réglementation » - c'est-à-dire un déclassement des eaux minérales naturelles vers des eaux de boisson - « et un plan d'action renforcé sur la qualité microbiologique des eaux. » Il annonce également que « l'arrêté du 14 mars 2007 relatif aux critères de qualité des eaux conditionnées, aux traitements et mentions d'étiquetage particuliers des eaux minérales naturelles et de source conditionnées ainsi que de l'eau minérale naturelle distribuée en buvette publique sera modifié pour intégrer le seuil de 0,8 micron pour la microfiltration. Cette modification impliquera une notification préalable à la Commission européenne » - bref, la règle du jeu - « avant la publication du texte. Un courrier de la DGS sera ensuite adressé à l'ensemble des directeurs généraux d'ARS pour les informer de la démarche engagée précitée. »
Là, vous êtes vraiment en décalage complet par rapport au directeur général de la santé et à l'arbitrage de la CID. Cela signifie-t-il que vous n'aviez pas informé M. Salomon de ce qui avait été décidé ou qu'il a lui-même voulu exprimer la position de sa direction ?
Mme Isabelle Epaillard. - Je ne me souviens plus si je l'ai informé directement. En revanche, je suis quasiment sûre que, dans nos échanges quasi quotidiens, la position et les éléments d'appréciation que nous avions pu ajouter et prendre en compte entre la note du 26 janvier et la réunion à Matignon du 16 février ont été connus de la DGS. Je pense qu'à ce moment-là Jérôme Salomon nous demande où nous en sommes pour avoir une position.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Il ne vous demande pas où vous en êtes, il vous dit ce qu'il va faire. Ce n'est pas la même chose !
Mme Isabelle Epaillard. - Je pense qu'il est alors en attente d'une position du cabinet. De mémoire, je lui réponds que nous allons rapidement revenir vers lui pour la lui indiquer, parce que j'attends le « bleu » de CID.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Cela ne vous trouble-t-il pas d'avoir une position à ce point orthogonale à ce que préconise le directeur général de la santé ? Comment expliquez-vous que votre cabinet soit en opposition aussi frontale sur des éléments aussi essentiels que la microfiltration ?
Mme Isabelle Epaillard. - Je voudrais revenir sur les éléments qui fondent notre raisonnement : ce sont les contrôles qui sont nécessaires et qui seront repris.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Jérôme Salomon le dit aussi, mais il rappelle aussi la loi, le cadre. Or, le cadre, c'est la saisine de la Commission pour obtenir une autorisation. Ce n'est pas « bleuir » la demande d'un industriel. Il rappelle un cadre clair sur la manière dont on obtient une autorisation pour une microfiltration à 0,2 micron. C'est cela que je ne comprends pas : pourquoi le cabinet passe outre cette recommandation qui me semble pourtant de bon sens, à savoir déclasser les eaux de ceux qui ne respectent pas la réglementation ?
Mme Isabelle Epaillard. - Jérôme Salomon est dans sa position de directeur d'un service de l'administration. Il rappelle les points de vigilance. Les points de vigilance qui excluent, encore une fois, tout risque sanitaire sont pris en compte dans notre position.
Je rappelle le contexte : la directive ne fixe pas de seuil, l'arrêté non plus...
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - ... mais la réglementation précise comment obtenir l'autorisation pour de nouveaux traitements.
Mme Isabelle Epaillard. - Voilà pourquoi je demande la saisine de la Commission européenne et ensuite de l'Efsa, pour justement clarifier. À partir de ce moment-là, la position du cabinet santé évolue et nous posons des questions.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je reviens sur la place du politique dans ce dossier. Je peux comprendre qu'un arbitrage politique outrepasse la recommandation d'un service, cela peut arriver. Mais vous le faites sans l'aval de votre ministre, vous endossez seule la responsabilité d'aller contre le directeur général de la santé, qui vous recommande l'exact opposé de ce que vous êtes en train de faire. Ne vous dites-vous pas qu'il serait tout de même nécessaire de « monter d'un étage », si je puis m'exprimer ainsi, et d'avoir un arbitrage politique ? On a un sentiment d'autopilotage.
Mme Isabelle Epaillard. - Je m'appuie sur un ensemble d'éléments qui nous apportent des garanties, comme le montrent tous les documents, sur l'absence de risque sanitaire, sur les éléments qui sont exigés auprès de l'industriel. Nous sommes donc dans l'identification d'une non-conformité industrielle. Je m'inscris dans le cadre d'un travail interministériel qui sera placé sous l'autorité et la validation d'un arbitrage de Matignon. C'est ainsi que le dossier est suivi.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - J'ai encore beaucoup de questions à vous poser.
À 18 h 40, vous répondez à Jérôme Salomon, qui vous a écrit pour mettre en oeuvre tout un plan d'action qu'il a concocté côté DGS et qui ne verra jamais le jour, car il est contraire à l'arbitrage politique rendu. Ce qui me surprend dans votre réponse à Jérôme Salomon - dont vous dites qu'il était au courant -, c'est que vous lui répondez : « Après les derniers échanges de la semaine dernière avec l'équipe DGS-EA, »... Qu'est-ce que EA déjà ?
Mme Isabelle Epaillard. - C'est le bureau dirigé par Joëlle Carmès.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je poursuis la citation : « nous avons partagé et transmis les dernières informations concernant ce dossier avec les cabinets industrie et Matignon. Nous devrions avoir un retour très rapidement [...] et je ne manquerai pas de vous l'adresser. » Trouvez-vous que ce courriel reflète la réalité ? Vous étiez au courant de la position interministérielle depuis le 16 février et la CID s'était achevée 40 minutes plus tôt. Pourquoi dites-vous à Jérôme Salomon que vous le tiendrez au courant sur son plan d'action la semaine prochaine, alors que vous avez déjà l'information ? Vous auriez pu lui dire : voilà ce qui a été « bleui » ? Pourquoi ne le faites-vous pas ?
Mme Isabelle Epaillard. - Parce que j'attends d'avoir le « bleu ». De mémoire, après chaque CID, on vous envoie un projet, qui doit être relu sous délai par les différents cabinets concernés, puis on attend le « bleu ». Je sais que c'est imminent, donc je lui réponds que je vais le lui transmettre. D'ailleurs, il me répond, de mémoire : « Ah super ! »
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - En tout cas, il n'a pas l'air d'avoir connaissance de la position en train d'être débattue. Le 6 mars 2023, Jérôme Salomon vous écrit : « J'ai pris connaissance du “bleu” de la CID diffusé le 24 février dernier portant sur le plan d'action relatif à la qualité des eaux à l'émergence - sites des Vosges et de Vergèze. » Cela signifie-t-il qu'entre le 24 février et le 6 mars, vous n'avez pas informé la DGS des conclusions de la CID ?
Mme Isabelle Epaillard. - Je n'ai pas en mémoire les courriels en question. Cela m'étonnerait quand même que cela n'ait pas été fait.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Nous aussi.
Mme Isabelle Epaillard. - Ce sera un élément à vérifier dans les échanges de courriels. À partir du moment où nous avons le « bleu » de CID, il n'y a pas de raison que nous ne le transmettions pas à la DGS : la ligne de conduite est alors connue et doit, en plus, se décliner avec un certain nombre d'actions que nous allons suivre très rapidement, car je vais avoir des échanges très réguliers, et pas seulement moi, mais également la DGS et mon conseiller, avec les deux ARS particulièrement concernées.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Nous passons maintenant à la mise en oeuvre du plan de transformation dans le Gard et les Vosges. Le 7 avril 2023, Didier Jaffre, directeur général de l'ARS Occitanie, vous envoie un courriel évoquant sa rencontre avec Nestlé le 28 mars, à la suite du « bleu » de réunion interministérielle (RIM). Il indique notamment : « Pendant cette période transitoire de réalisation des travaux du plan de transformation, qui va durer entre douze et dix-huit mois, Nestlé Waters n'envisage en aucun cas de retirer les traitements par charbon actif et par UV. Dès lors, Nestlé Waters n'est pas en conformité avec la réglementation européenne et ne peut pas vendre une eau dite minérale naturelle, à l'exception des États-Unis. » Il évoque plusieurs scénarii, notamment la vente exclusive au marché américain, la modification des étiquettes ou la commercialisation de la marque Maison Perrier. Quelle suite avez-vous donnée à ce courriel ?
Mme Isabelle Epaillard. - Je n'ai pas le souvenir exact du courriel. Je réponds qu'il faut demander le retrait des charbons et des UV. On maintient toujours la même position, je ne transige pas sur ce point. Il y a effectivement un point d'attention, une différence sur le site du Gard, puisqu'il y a une ligne dédiée à la consommation aux États-Unis, où les règles et les exigences, notamment sur les traitements UV, ne sont pas tout à fait les mêmes que les nôtres. Mais pour le reste, notre position c'est le retrait.
M. Laurent Burgoa, président. - Pourriez-vous nous faire passer ce document, car nous ne l'avons pas ?
Mme Isabelle Epaillard. - Je vérifierai ce que j'ai comme courriel.
M. Laurent Burgoa, président. - Avec la date de réponse, si vous pouvez la rechercher et nous la faire parvenir. Je vous laisse le temps...
Mme Isabelle Epaillard. - Je regarderai.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je constate que vous êtes sur la même position que Cédric Arcos, qui nous a déclaré sous serment, comme vous-même, que le « bleu » de RIM demandait l'arrêt immédiat des traitements interdits. Dès lors, pourquoi cette absence de réaction ? Pourquoi ne s'est-il rien passé pendant ces douze à dix-huit mois mentionnés par Didier Jaffre ? Comment l'expliquez-vous ? Finalement, la seule partie du compte rendu qui a été mise en oeuvre, c'est l'autorisation de la microfiltration à 0,2 micron. L'Efsa n'a pas été informée, les traitements n'ont pas été supprimés. La seule partie de ce « bleu » qui s'est appliquée, c'est le plan de transformation de Nestlé Waters.
Mme Isabelle Epaillard. - Nous avons quand même eu un renforcement des contrôles par les ARS.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - C'est vrai. Vous avez raison.
Mme Isabelle Epaillard. - Il s'agissait de garantir la sécurité sanitaire, qui est notre repère sur ce dossier. Il n'y a peut-être pas à l'ARS Occitanie la même antériorité qu'à l'ARS Grand Est : comme vous l'avez relevé, c'est moi qui demande à son directeur général - au début du mois d'octobre, de mémoire - d'aller voir ce qui se passe sur le site. D'ailleurs, cela fera l'objet d'un compte rendu de sa sous-directrice sur les derniers contrôles qui ont pu être réalisés chez Nestlé Waters sur le site du Gard, et ce alors que la directrice générale de l'ARS Grand Est travaillait sur une démarche antérieure, avec notamment une inspection de l'Igas en avril 2022. C'est peut-être un élément d'explication.
En tout cas, ma ligne a été d'assurer un suivi très régulier, pas forcément par moi - car ce n'est pas forcément au directeur de cabinet de suivre quotidiennement la mise en oeuvre des plans d'action -, mais via les conseillers ou la DGS.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Comment expliquez-vous que les traitements n'aient été retirés que douze mois et dix-huit mois plus tard, alors que le communiqué parlait d'un retrait immédiat ?
Mme Isabelle Epaillard. - Je pense que les contrôles ont été mis en place tardivement.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Tout à fait !
Mme Isabelle Epaillard. - Et il y avait sans doute également des raisons techniques. Sur ce point, je vous inviterais à interroger plutôt les représentants de l'industriel, ainsi que le directeur général de l'ARS Occitanie.
Comme je l'ai rappelé dans mon propos liminaire, le système implique des positions nationales. Je suis amenée à solliciter le bleu pour pouvoir décliner une ligne de conduite qui sera adressée aux autorités déconcentrées. En effet, les éléments en question relèvent de la responsabilité non pas du cabinet ou de la direction générale de santé, mais des ARS et des préfets, sur l'ensemble du territoire.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Hier, les représentants de Nestlé Waters nous ont indiqué avoir attendu une autorisation de l'État avant de communiquer aux ARS les informations relatives aux traitements illégaux. En avez-vous eu connaissance ?
Mme Isabelle Epaillard. - Je ne comprends pas très bien. Les ARS étaient au courant dès le mois d'octobre que Nestlé avait eu recours à des traitements de filtres au charbon, d'UV et de microfiltration.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Sans doute n'êtes-vous pas la bonne personne à qui poser cette question, mais je m'étonne que l'État central ait été au courant au mois d'août 2021 quand l'ARS Occitanie ne l'a été qu'en octobre 2022.
Mme Isabelle Epaillard. - En tout cas, pour ma part, j'ai sollicité des explications.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Mais avez-vous entendu dire que Nestlé Waters était en attente d'une autorisation de l'administration centrale pour pouvoir communiquer les informations concernées aux ARS ?
Mme Isabelle Epaillard. - Non.
M. Laurent Burgoa, président. - Pourquoi y a-t-il eu un signalement de l'ARS au titre de l'article 40 du code de procédure pénale dans les Vosges, et pas dans le Gard ? Certes, je peux comprendre que chaque ARS garde son autonomie de décision et d'action. Mais je m'étonne que, sur deux dossiers similaires, il puisse y avoir deux positions distinctes.
Vous avez évoqué les relations entre le cabinet que vous dirigiez et Matignon. Avez-vous également des contacts avec l'Élysée ? Si oui, avec qui ?
Mme Isabelle Epaillard. - J'ai été avisée dès le mois de juillet 2022 que la directrice générale de l'ARS se posait la question d'un signalement au titre de l'article 40 du code de procédure pénale. Lorsque j'ai repris le dossier à la fin du mois de septembre ou au début du mois d'octobre, il m'a été indiqué que le signalement avait été effectué. En vérifiant, j'ai constaté que ce n'était pas le cas. J'ai donc interrogé la directrice générale de l'ARS.
On m'a dit que, dans le Gard, les acteurs concernés ne s'inscrivaient pas exactement dans la même temporalité pour ce qui est de la compréhension du dossier et de la manière de se l'approprier. Songeons également qu'il y a eu un changement de directeur général de l'ARS. Cela explique-t-il les éléments que vous avez mis en avant ? Comme je n'étais pas là auparavant, je l'ignore.
Par ailleurs, je n'ai jamais échangé avec l'Élysée.
M. Laurent Burgoa, président. - Dans ce dossier, il y a eu - nous en serons, me semble-t-il, tous d'accord - non pas contamination sanitaire, mais plutôt tromperie du consommateur, qui pensait boire de l'eau minérale naturelle. Il s'agit donc d'abord d'un problème de droit de la consommation, ce qui relève de la compétence du ministère de l'industrie. Quelle a été la teneur de vos échanges avec vos homologues de l'industrie ?
Mme Isabelle Epaillard. - Je rejoins votre appréciation : il n'y a pas eu de contamination sanitaire. En revanche, il y a eu une non-conformité industrielle, ce qui suppose tout de même une analyse sanitaire.
Il y a besoin d'éléments de connaissance, d'où l'idée de la saisine de la Commission européenne ou de l'Efsa. Nous avions un avis de l'Afssa, puis de l'Anses. Il y a une nécessité de documenter, notamment, les conséquences d'une microfiltration. Cela relève plutôt du ministère de la santé. L'exercice est donc par nature - je l'ai indiqué tout à l'heure - interministériel.
M. Laurent Burgoa, président. - Nous le voyons, vous êtes, et c'est tout à votre honneur, particulièrement impliquée sur ce dossier. Vous le savez, le rapport de notre commission d'enquête sénatoriale est très attendu. Auriez-vous des préconisations pour clarifier le dispositif, sécuriser nos concitoyens et améliorer la lisibilité de l'action publique en la matière ?
Mme Isabelle Epaillard. - Je crois qu'il faudrait d'abord renforcer les expertises et la capacité des ARS à y avoir recours. Notre organisation est déconcentrée : c'est somme toute logique ; cela permet de mener les contrôles au plus près sur le terrain. Mais les ARS n'ont pas forcément toujours les compétences nécessaires à leur disposition.
La directrice générale de l'ARS Grand Est a d'ailleurs indiqué qu'elle aurait besoin de compétences supplémentaires. Quelques mois plus tard, il a été demandé à l'Anses de venir l'appuyer. Mais l'Anses a déjà beaucoup d'avis à rendre et d'expertises à apporter.
Or l'enjeu est, me semble-t-il, important. Nous commençons à constater que, dans notre pays, l'eau se dégrade ou se raréfie. Il va falloir prendre des décisions. Cela va impliquer de renforcer la présence sur le terrain de personnes capables d'effectuer les analyses techniques nécessaires à cet égard.
M. Laurent Burgoa, président. - Madame, nous vous remercions de cet échange fructueux, et nous vous souhaitons beaucoup de réussite dans vos nouvelles fonctions dans le sud de la France.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 12 h 00.
La réunion est ouverte à 14 h 05.
Convention judiciaire d'intérêt public (CJIP) - Audition de MM. Vincent Filhol, ancien magistrat, avocat et Nicolas Jeanne, professeur de droit pénal à l'université de Tours
M. Laurent Burgoa, président. - Nous poursuivons nos travaux en abordant aujourd'hui le nouvel outil qu'est la convention judiciaire d'intérêt public (CJIP).
Pour en débattre, nous accueillons :
• M. Vincent Filhol, magistrat actuellement en disponibilité et exerçant auprès d'un cabinet d'avocats, enseignant en droit pénal des affaires, anciennement vice-procureur au Parquet national financier (PNF), rédacteur au bureau du droit économique et financier de la direction des affaires criminelles et des grâces, puis détaché en tant que chargé de mission auprès du directeur des affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères. ;
• M. Nicolas Jeanne, agrégé de droit privé et de sciences criminelles, professeur de droit pénal et de procédure pénale à l'université de Tours, auparavant maître de conférences à l'Université de Cergy. Vos travaux de recherche approfondissent spécifiquement le rôle du ministère public dans la chaîne pénale, et les pouvoirs qui lui sont dévolus, au titre desquels figure la possibilité de conclure des transactions pénales.
Je suis tenu de vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal et notamment de cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende.
Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure ».
MM. Nicolas Jeanne et Vincent Filhol prêtent serment.
Je vous remercie par ailleurs de nous faire part de vos éventuels liens d'intérêts.
Aucun lien d'intérêt n'est déclaré.
Cette audition a pour objectif de faire la lumière sur l'outil juridique qu'est la CJIP, créée par la loi du 9 décembre 2016, dite Loi Sapin 2. Cette procédure permet au procureur de la République de conclure une convention judiciaire d'intérêt public avec une personne morale mise en cause pour des faits d'atteinte à la probité. Cette mesure alternative aux poursuites est applicable aux entreprises, associations, collectivités territoriales mises en cause pour des faits de corruption, trafic d'influence, fraude fiscale, blanchiment de fraude fiscale et toute infraction connexe.
Elle a pour effet d'éteindre l'action publique si la personne morale mise en cause exécute les obligations auxquelles elle s'est engagée dans la convention.
Son champ a été étendu aux questions environnementales par la loi du 24 décembre 2020 relative au Parquet européen, à la justice environnementale et à la justice pénale spécialisée.
Une telle convention judiciaire d'intérêt public a été conclue le 2 septembre 2024 entre le procureur d'Épinal et Nestlé Waters. Des infractions ont en effet été relevées dans les Vosges, constitutives de tromperie des consommateurs, mais aussi en matière de prélèvements illégaux dans les aquifères d'eau minérale.
Cette CJIP a été validée par ordonnance du président du tribunal judiciaire d'Épinal le 10 septembre 2024. Pour autant, elle a été vivement critiquée par plusieurs associations environnementales, qui ont notamment relevé la disproportion entre les profits tirés par Nestlé de ces infractions, évalués par le service national d'enquête de la DGCCRF, selon la presse, à 3 milliards d'euros, et le montant de l'amende et des réparations infligées à Nestlé, de seulement 3 millions d'euros.
Nous souhaitons donc mieux comprendre les atouts et limites de ces instruments juridiques. Ainsi, pourquoi conclure une CJIP ? Qui en a généralement l'initiative ? Peut-on la contester, et comment ? Comment s'assurer de la proportionnalité entre l'infraction et les obligations mises à la charge de la personne morale incriminée ? Avez-vous un regard sur le cas particulier de cette CJIP ?
M. Vincent Filhol, ancien magistrat, avocat. - Je suis magistrat judiciaire en disponibilité depuis juillet 2023, et j'exerce désormais en qualité d'avocat. Avant de rejoindre le barreau, j'ai également eu l'opportunité de travailler au Quai d'Orsay, après mon passage au PNF.
Je suis tenu au secret professionnel s'agissant des procédures pénales que j'ai pu connaître. J'ai suivi l'évolution des CJIP, y compris en matière environnementale. Je vous ai transmis plusieurs documents, dont une circulaire de politique pénale.
Au cours de cette audition, je pourrai citer certains éléments en lien avec la CJIP environnementale, en collaboration avec le professeur Jeanne. À cette fin, notre cabinet a établi un tableau de synthèse recensant ces procédures. Ce document pourra vous être communiqué afin d'apporter une vision globale de ces conventions publiques, dont la mise en perspective pourrait vous être utile.
J'aborderai d'abord la CJIP financière, avant de laisser mon collègue évoquer la CJIP environnementale. Ces deux dispositifs partagent de nombreux points communs, mais aussi des spécificités.
La CJIP a été instaurée en 2016. J'ai suivi sa mise en place depuis le PNF. Son émergence était déjà débattue avant la loi Sapin 2, qui a marqué une avancée majeure en matière de lutte contre la corruption, notamment après la création de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) et du PNF en 2013-2014.
Bien que relativement récente, cette loi reste déterminante. Avec huit années d'existence pour la CJIP financière et quatre pour la CJIP environnementale, nous disposons désormais d'un certain recul. À titre de comparaison, la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC) existe depuis 2004 et fait aujourd'hui partie intégrante du paysage judiciaire. Il aurait été difficile, à son origine, d'anticiper son expansion et son rôle central dans le traitement des affaires pénales.
Depuis son introduction en droit français en 2016, la CJIP a suscité des critiques rappelant celles qui avaient été formulées à l'encontre de la CRPC. Inspirée du droit américain, elle a été conçue, paradoxalement, pour limiter certaines formes d'extraterritorialité exercées par les États-Unis. Michel Sapin rappelle souvent que les autorités américaines reprochaient à la France de ne pas agir en matière de poursuites économiques et financières, affirmant : « you don't do the job, we do the job. » La mise en place de la CJIP visait ainsi à instaurer un mécanisme similaire à celui des accords négociés pratiqués outre-Atlantique.
Depuis son instauration, le PNF emploie cet outil pour répondre aux enjeux d'extraterritorialité et offrir aux entreprises françaises une alternative en matière de transactions financières.
Lorsque j'ai rejoint le Quai d'Orsay en 2019-2020, les discussions portaient sur l'élargissement du droit pénal aux atteintes environnementales. Il s'agissait d'enrichir l'arsenal juridique à disposition des magistrats français et internationaux, notamment en recourant à des mécanismes alternatifs au procès pénal. Une étude de l'OCDE publiée en 2020 sur la résolution des affaires de corruption transnationale par des accords hors procès soulignait d'ailleurs que la majorité de ces affaires étaient conclues par ce type d'accord. C'est dans cette perspective que la CJIP financière a été créée en 2016.
L'objectif était double : renforcer l'efficacité de la justice pénale et préserver l'attractivité du territoire français. Contrairement à la CRPC, qui entraîne, sauf exception, une inscription au casier judiciaire, la CJIP permet aux entreprises de mieux maîtriser leur risque pénal en évitant un procès. Elle implique des sanctions financières ainsi que des mesures de conformité, participant ainsi à l'émergence d'un cadre de compliance propre à la France. Par ailleurs, elle garantit aux entreprises le maintien de leur accès aux marchés publics, dans la mesure où elles ne plaident pas coupables, à la différence de la CRPC.
L'article 41-1-2 du Code de procédure pénale, qui précède le nouvel article relatif à la CJIP environnementale, précise que l'entreprise reconnaît l'existence de faits sans pour autant formuler une déclaration de culpabilité. Ce dispositif offre au parquet une réponse rapide et efficace, notamment en exploitant les enquêtes internes menées par les entreprises, qui constituent un apport essentiel en matière financière.
L'entreprise pourra ainsi mieux maîtriser son risque juridique tout en poursuivant son activité, sous réserve de s'acquitter d'une amende et, le cas échéant, de mettre en place un programme de conformité placé sous le contrôle de l'Agence française anticorruption (AFA), créée par la loi Sapin 2.
Contrairement à la CJIP financière, la CJIP environnementale n'a pas été accompagnée de la création d'une autorité équivalente dans le domaine environnemental.
L'article 41-1-2 du code de procédure pénale semble avoir trouvé un équilibre satisfaisant, comme en témoigne son maintien depuis la loi Sapin 2, sans remise en cause majeure. Depuis 2018, le champ d'application de la CJIP a été élargi à la fraude fiscale. Outre cet ancrage législatif, plusieurs circulaires de politique pénale en précisent l'usage, notamment celle d'application de la loi Sapin 2 de 2018 et la circulaire dite « Belloubet » de juin 2020. Celle-ci a renforcé le rôle du PNF dans la lutte contre la corruption internationale. Il existe en outre un ensemble de règles informelles relevant de la « soft law », visant à guider les magistrats dans l'application de la CJIP.
Dès 2019, avant même la version actualisée de 2023, le parquet a publié des lignes directrices précisant les conditions de mise en oeuvre de la CJIP, afin d'offrir aux entreprises et aux avocats une meilleure visibilité sur l'action publique en la matière. Ces lignes directrices de 2023, particulièrement détaillées, s'inscrivent dans une logique pédagogique et s'inspirent des pratiques du droit anglo-saxon, notamment des recommandations du Département de la Justice américain. Elles visent à clarifier les critères d'application de la CJIP. Cette approche pédagogique pourrait nourrir la réflexion sur d'éventuelles améliorations à apporter à la CJIP environnementale.
Une fois le principe de la CJIP admis, le PNF en précise les modalités de conclusion : identification des facteurs aggravants ou atténuants, application des coefficients multiplicateurs, détermination du montant de l'amende en fonction du plafond de 30 % du chiffre d'affaires et prise en compte des avantages tirés des infractions.
Je ne m'exprime pas ici uniquement en tant qu'ancien magistrat, mais également en tant que juriste et avocat, citoyen concerné par ces questions. Une interrogation essentielle réside dans le cadre précis dans lequel le PNF propose une CJIP. Cette réflexion va même au-delà, puisque le PNF encourage l'autorévélation des infractions.
Par ailleurs, une fois la CJIP signée, l'entreprise demeure soumise à un contrôle strict, notamment par le biais d'un suivi - ou monitoring - des engagements qu'elle a pris. Celui-ci constitue un enjeu fondamental, dans la mesure où le non-respect des obligations convenues peut entraîner la reprise des poursuites par le Parquet, la prescription étant suspendue pendant toute la durée d'exécution des engagements.
Il convient également de rappeler que la CJIP ne s'applique qu'aux personnes morales. Cette exclusion des personnes physiques suscite régulièrement des débats, d'autant que le PNF et les circulaires de politique pénale rappellent que les dirigeants ou collaborateurs impliqués restent pénalement responsables. Leur mise en cause repose notamment sur les résultats des enquêtes internes. Le Parquet conserve toute latitude pour engager des poursuites à leur encontre. Ainsi, la conclusion d'une CJIP par une entreprise ne signifie nullement que les personnes physiques concernées échapperont à toute procédure judiciaire.
Enfin, les lignes directrices du PNF ont progressivement influencé d'autres parquets. Ils ont adopté une terminologie similaire, notamment en intégrant les notions de facteurs aggravants et atténuants dans leurs propres CJIP. Cette harmonisation contribue à une meilleure lisibilité des décisions et permet aux citoyens et praticiens de comprendre les critères ayant conduit à la fixation du montant de l'amende ou à l'imposition d'un programme de conformité.
Cette dimension pédagogique, qui caractérise les CJIP financières, mérite d'être soulignée dans le cadre de vos travaux sur la CJIP environnementale.
M. Nicolas Jeanne, professeur de droit pénal à l'université de Tours. - Mon intervention, en complément de celle de Monsieur Filhol, portera sur la problématique de la convention judiciaire d'intérêt public appliquée au domaine environnemental, la CJIPE. Dans ce cadre, je me dois de mettre en évidence un paradoxe. D'une part, les circulaires émanant de la Direction des affaires criminelles et des grâces, ainsi que la pratique des parquets, témoignent d'une attraction croissante pour cet outil. D'autre part, ce mécanisme conduit à un important mouvement de distraction du contentieux environnemental, écartant ainsi, dans une certaine mesure, la compétence des juridictions pénales.
Pour comprendre cette forme d'attraction, gardons à l'esprit que le contentieux pénal environnemental représente moins de 1 % de l'activité des juridictions pénales. De surcroît, le taux de réponse pénale aux infractions environnementales (47 %) est significativement inférieur à celui observé pour les délits de droit commun (64 %). Par ailleurs, lorsqu'une réponse pénale est apportée, elle consiste, dans 75 % des cas, en une mesure alternative aux poursuites. Le législateur a ainsi estimé que les outils dont disposaient les procureurs de la République n'étaient pas pleinement adaptés à la répression de la délinquance environnementale.
Celle-ci est souvent perçue comme particulièrement technique, en raison de la complexité des normes applicables. De plus, les dispositifs existants sont apparus insuffisants au regard d'un impératif essentiel en matière environnementale : la remise en état des sites dégradés et la réparation du préjudice écologique.
En effet, les mesures à la disposition du procureur en droit pénal classique se sont révélées inadaptées pour répondre efficacement à ces enjeux. Je peux ici citer les mesures dites d'« aide à la décision » prévues par l'article 41-1 du Code de procédure pénale, notamment le classement sous condition. Celui-ci, auparavant synonyme d'un simple rappel à la loi, prend désormais la forme d'un avertissement pénal probatoire. Il permet au procureur de proposer à l'auteur des faits un classement sans suite à condition que ce dernier régularise sa situation.
À côté de ces mécanismes, une véritable alternative aux poursuites a été introduite : la composition pénale, étendue aux personnes morales par la loi du 23 mars 2019. Destinée aux infractions délictuelles passibles de moins de cinq ans d'emprisonnement, elle permet au procureur de la République de proposer une amende d'un montant équivalent à celui encouru pour l'infraction concernée. Pour les personnes morales, le montant de l'amende dans le cadre de la composition pénale équivaut au quintuple de celui encouru pour une personne physique.
Il convient de noter que l'exécution de cette mesure entraîne l'extinction de l'action publique. Toutefois, la composition pénale présente un inconvénient du point de vue du procureur de la République, puisqu'elle doit être validée par un juge du siège. De plus, elle est inscrite au casier judiciaire.
S'agissant du droit commun de la procédure pénale, le procureur dispose également de la CRPC, un dispositif désormais applicable à l'ensemble des délits, à quelques exceptions près. Elle permet de proposer une peine pouvant aller jusqu'à trois ans d'emprisonnement. Comme pour la composition pénale, elle doit être homologuée par un juge du siège et produit les effets d'une condamnation pénale.
En matière environnementale, le Code de l'environnement consacre une transaction pénale, qui s'applique uniquement aux contraventions et aux délits punis de moins de deux ans d'emprisonnement. Contrairement aux autres mesures évoquées, ce n'est pas le procureur qui fixe le montant de l'amende, mais l'autorité administrative. Le procureur intervient uniquement pour homologuer la mesure. L'amende ainsi proposée ne peut excéder un tiers du montant maximal encouru pour l'infraction concernée. Par ailleurs, le procureur peut assortir cette transaction d'une obligation de remise en état du site concerné. Si l'ensemble des engagements pris dans le cadre de la transaction sont respectés, l'action publique est éteinte et aucune mention n'apparaît au casier judiciaire.
Toutefois, ces dispositifs ont été jugés insuffisants par le législateur, qui s'est inspiré de la CJIP financière pour renforcer la réponse pénale aux infractions environnementales. Cette évolution résulte des recommandations formulées dans le rapport de l'Inspection générale des services judiciaires intitulé « Une justice pour l'environnement ». La loi du 24 décembre 2020 a ainsi introduit la CJIP environnementale dans notre droit.
Cette convention environnementale présente plusieurs spécificités par rapport à son équivalent en matière financière. Elle est exclusivement applicable aux infractions délictuelles prévues par le Code de l'environnement, avec une possible extension aux infractions connexes. Toutefois, cette connexité ne s'applique pas aux crimes ni aux délits contre les personnes, régis par le Livre II du Code pénal.
Les mesures pouvant être proposées dans le cadre d'une CJIP environnementale sont, en grande partie, similaires à celles de la CJIP financière. Cependant, elle présente quelques particularités : en plus de l'amende d'intérêt public et de la confiscation des biens saisis, le procureur peut proposer la régularisation de la situation au regard de la loi ou des règlements dans le cadre d'un programme de mise en conformité. Surtout, la CJIPE impose à l'entreprise une obligation de réparation du préjudice écologique résultant des infractions commises, dans un délai maximal de trois ans.
Enfin, l'ordonnance de validation de la CJIP environnementale doit être publiée sur les sites des ministères de la Justice, de l'Économie et de l'Environnement.
D'après les travaux préparatoires, l'introduction de la CJIP environnementale présente plusieurs avantages :
• une accélération du traitement des infractions environnementales, favorisant ainsi la réparation rapide du préjudice ;
• un contrôle renforcé des entreprises à travers des programmes de mise en conformité ;
• la possibilité d'infliger des amendes dissuasives ;
• une responsabilisation accrue des entreprises.
Surtout, l'un des principaux attraits de cette mesure réside dans la nature même de la sanction qu'elle implique. En effet, l'ordonnance de validation de la CJIP environnementale ne constitue ni une déclaration de culpabilité ni un jugement de condamnation. Elle permet ainsi de sanctionner et de réparer l'atteinte environnementale sans pour autant affliger la personne morale ou l'exposer aux conséquences d'une condamnation pénale classique. Celle-ci pourrait en effet nuire à l'entreprise elle-même, mais également à ses salariés, en compromettant sa viabilité économique.
Toutefois, cette approche a suscité de nombreuses critiques. Certains y voient une forme de « droit à polluer », tandis que d'autres dénoncent une possibilité d'« acheter son irresponsabilité pénale ». D'autres encore pointent le risque d'une externalisation du contentieux environnemental à des compliance officers ou une rupture d'égalité entre les citoyens devant la loi pénale.
En somme, la CJIP ne rendrait pas véritablement la justice, mais offrirait plutôt un service aux entreprises, en leur permettant de maintenir leur activité, et à l'État, qui y trouve un intérêt financier. À titre d'exemple, la CJIP financière a rapporté environ 5,5 milliards d'euros aux finances publiques depuis son introduction.
L'intérêt pour la CJIP environnementale s'explique également par la possibilité d'imposer des sanctions financières significatives. Contrairement aux amendes prévues par le Code de l'environnement, le montant de l'amende dans le cadre d'une CJIP environnementale peut atteindre jusqu'à 30 % du chiffre d'affaires annuel moyen de l'entreprise concernée.
Depuis son entrée en vigueur en 2021, la CJIP environnementale a suscité certaines interrogations pratiques. Contrairement à la CJIP financière, son cadre juridique repose uniquement sur deux circulaires fournissant quelques orientations aux procureurs, sans réelle ligne directrice établie par une instance dédiée. L'absence d'un parquet spécialisé dans la répression des infractions environnementales pourrait expliquer ce manque d'encadrement structuré.
Pour l'heure, 34 CJIPE ont été publiées sur le site du ministère de la Justice, et 35 ont été validées : 1 en 2021, 2 en 2022, 10 en 2023 et 12 en 2024. En 2025, aucune CJIP environnementale n'a encore été validée à ce jour.
Par ailleurs, bien que le montant des amendes prononcées dans le cadre de ces conventions reste encore relativement modeste, une tendance à la hausse se dessine. Les sanctions financières varient de quelques centaines d'euros à un maximum de 2 millions d'euros, cette dernière ayant été infligée à Nestlé Waters.
La majorité des CJIP environnementales validées trouvent leur origine dans des signalements effectués par des riverains, des agents municipaux, des associations locales, ou encore dans le cadre de missions de contrôle et d'inspection. Cependant, toutes ces procédures ont reposé sur des enquêtes approfondies. À ce jour, aucune CJIP environnementale n'a été initiée à la suite d'une révélation spontanée de la part des personnes morales concernées.
Contrairement à la CJIP financière, qui relève principalement du PNF, les CJIP environnementales sont majoritairement mises en oeuvre par les parquets locaux en province. Toutefois, cette décentralisation s'accompagne d'une certaine concentration au sein de quelques juridictions. Par exemple, les parquets du Puy-en-Velay et de Besançon, après avoir expérimenté ce dispositif, y ont eu recours à plusieurs reprises.
Les opérateurs économiques mis en cause sont, pour la plupart, des entreprises de taille moyenne ou petite. Parmi les exceptions figurent TUI Cruises, Veolia, Nestlé et SNCF Réseau. En dehors de ces cas, le recours à la CJIP environnementale concerne principalement des acteurs de moindre taille. Contrairement à la CJIP financière, on n'observe pas encore d'internationalisation de ce mécanisme en matière environnementale, comme cela avait été le cas avec les affaires impliquant Société Générale ou Airbus.
S'agissant du contenu des CJIP validées, on constate que la connexité entre infractions reste marginale, à l'exception notable de la CJIP conclue avec Nestlé Waters. Dans deux tiers des cas, aucune obligation de réparation en nature du préjudice environnemental n'a été imposée. Aucune mesure de mise en conformité interne, notamment en matière de gouvernance au sein des entreprises concernées, n'a été proposée jusqu'à présent.
M. Laurent Burgoa, président. - Merci d'avoir respecté votre temps de parole. Je laisse la parole à notre rapporteur.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Merci pour ce premier cadrage. Mes questions porteront plus sur le cas de Nestlé Waters. Quelles sont vos hypothèses sur les éléments ayant conduit le procureur à recourir à une telle procédure au regard des infractions qui étaient susceptibles d'être caractérisées ? Sont-elles particulièrement difficiles à prouver ?
Monsieur Jeanne, vous indiquiez que l'affaire Nestlé Waters constituait une exception en matière de connexité des infractions. Celle-ci pose-t-elle un problème juridique ? Soulève-t-elle des interrogations quant à l'opportunité de ce recours ?
M. Nicolas Jeanne. - L'analyse des circulaires de la Direction des affaires criminelles et des grâces du 11 mai 2021 et du 9 octobre 2023 permet d'observer une évolution dans l'approche adoptée. En effet, la première indiquait que la CJIP devait être privilégiée pour des infractions environnementales graves. En revanche, en 2023, ce seuil a été abaissé, admettant ainsi le recours à la CJIP pour des infractions de moindre gravité. Cette évolution semble refléter la volonté de la Chancellerie d'élargir le champ d'application de cette procédure.
Par ailleurs, les alternatives aux poursuites disponibles ne semblaient pas offrir une réponse suffisamment ferme dans ce dossier.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pouvez-vous préciser votre propos ?
M. Nicolas Jeanne. - Parmi les options dont disposait le procureur, la transaction pénale prévue par le Code de l'environnement ne permet de prononcer qu'une amende équivalente au tiers du montant encouru. En comparaison, le caractère comminatoire de la CJIP assure non seulement le paiement d'une amende, mais également la mise en conformité et la remise en état des sites concernés.
Par ailleurs, la connexité des infractions me semble poser un problème dans l'application des CJIP. Si elle peut être discutée dans le cas de Nestlé, elle doit être replacée dans un contexte plus large, notamment au regard de la pratique observée dans d'autres affaires.
Lorsqu'une personne morale accepte de recourir à une CJIP, elle ne cherche pas seulement à régulariser une infraction isolée, mais plutôt à obtenir un règlement global d'une situation infractionnelle. Ainsi, lorsqu'un ensemble de faits est soumis à l'appréciation des procureurs, ceux-ci ont tendance à proposer à l'entreprise une sorte de quitus général pour l'ensemble des infractions commises sur une période donnée, indépendamment de leur qualification juridique précise.
Cependant, l'usage de cette notion de connexité dépasse le seul cadre de l'affaire Nestlé. On l'a également retrouvée dans d'autres CJIP de grande ampleur, comme la CJIP LVMH. Cette pratique a suscité des débats et des contestations au sein de la doctrine pénaliste, certains y voyant une manière d'étendre excessivement le champ d'application de la CJIP.
Enfin, on note que dans certaines affaires, la connexité a pu être invoquée pour élargir le périmètre de la CJIP.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je comprends que certaines infractions n'étaient pas censées entrer dans le périmètre de la CJIP, mais que le procureur, par ses choix et son action, les intègre tout de même à la procédure.
M. Nicolas Jeanne. - Exactement. En principe, la CJIP environnementale concerne les infractions relevant du droit de l'environnement. Toutefois, il est possible d'y intégrer d'autres infractions relevant d'autres législations ou codes, à condition qu'elles présentent un lien de connexité. Cela permet de traiter globalement une situation infractionnelle, un point clé en termes d'acceptabilité pour la personne morale concernée.
Le problème réside dans la définition même de la connexité. L'article 203 du Code de procédure pénale en identifie quatre cas, mais la jurisprudence a admis que d'autres formes pouvaient émerger avec la pratique. En d'autres termes, la connexité se voit conférer une certaine souplesse, mais aussi un potentiel flou juridique.
Dans ce cadre, faudrait-il envisager une éventuelle réforme législative ? L'intégration de certaines infractions à une CJIP peut créer une suspicion quant à l'usage de cette procédure. Peut-être devrions-nous limiter cette extension et privilégier le principe d'indivisibilité plutôt que celui de connexité. L'indivisibilité est un mécanisme plus strict, qui impose que les infractions soient intrinsèquement liées, l'une ne pouvant exister sans l'autre.
Dans l'affaire Nestlé, on peut légitimement se demander si la connexité invoquée est réellement justifiée.
M. Vincent Filhol. - La notion de connexité est largement utilisée, notamment en matière financière. Dans mes anciennes fonctions au PNF, j'ai eu à y recourir à plusieurs reprises. Elle est encadrée par la loi et la jurisprudence.
Dans les CJIP financières, la connexité a permis au PNF d'élargir certaines affaires à d'autres faits connexes. Contrairement à ce que l'on pourrait croire, le champ d'application de la CJIP financière est relativement restreint. À l'origine, elle concernait uniquement des infractions telles que le blanchiment de fraude fiscale, la corruption et le trafic d'influence. Par la suite, elle a été étendue à la fraude fiscale.
Prenons un exemple concret : le PNF ne peut pas, en principe, conclure une CJIP autonome pour du recel de favoritisme. En revanche, il lui est déjà arrivé d'associer une telle infraction à des faits de corruption, en s'appuyant non pas sur la connexité, mais sur une autre logique juridique.
Il est intéressant de noter que le droit de l'environnement est encore plus morcelé que le droit financier. Les infractions environnementales sont disséminées dans plusieurs codes juridiques. C'est d'ailleurs l'une des raisons pour lesquelles, en 2020, le législateur a choisi d'appliquer à la CJIP environnementale un principe similaire à celui de la CJIP financière. Il l'a fait avec encore plus de pragmatisme, car contrairement aux infractions financières qui figurent principalement dans le Code pénal, les infractions environnementales dépassent largement le cadre du Code de l'environnement. Il était donc nécessaire de permettre la prise en compte de la connexité.
Ce point est d'ailleurs contrôlé par le juge. Dans la CJIP Nestlé Waters, par exemple, la notion de connexité est explicitement mentionnée dans l'accord conclu entre le procureur et la personne morale. L'ordonnance de validation du juge rappelle également les liens étroits entre les infractions prévues par le Code de l'environnement et celles relevant de la tromperie. Cette approche, certes critiquable, repose sur la justification de la bonne administration de la justice.
Je me dois de souligner que ces décisions s'inscrivent dans une politique pénale plus large. En 2023, le périmètre des infractions pouvant donner lieu à une CJIP a été élargi, avec une injonction forte d'y recourir davantage. Ce changement s'observe notamment dans la terminologie employée entre 2021 et 2023 dans les circulaires du Garde des Sceaux. Là où l'on parlait en 2021 de privilégier la CJIP pour les infractions graves, la circulaire de 2023 adopte une approche plus souple, encourageant son utilisation même pour des infractions moins graves.
Enfin, le procureur détaille les raisons du recours à cette procédure. Au paragraphe 4, page 11, on trouve des précisions sur le mode de calcul de l'amende. L'enjeu dépasse largement ce seul élément. En effet, les faits retenus incluent des manquements qui, pour certains, sont prescrits. On a pris en compte les dernières années, mais une partie des infractions ne peut plus être poursuivie en raison de la prescription.
Par ailleurs, les irrégularités avaient déjà cessé dès 2020, grâce à des mesures de conformité mises en place par l'entreprise en lien avec les autorités administratives. La CJIP souligne aussi la coopération de la société avec les autorités. Le procureur considère ainsi que l'entreprise a pleinement collaboré avec les instances judiciaires et administratives.
Autre point notable : il est précisé qu'aucun risque sanitaire pour la population n'a été identifié en lien avec ces faits. Le lien de causalité entre les manquements au Code de l'environnement et une atteinte effective à l'environnement n'est pas établi avec certitude. Malgré cette incertitude sur les conséquences environnementales, et en l'absence d'impact sur la santé publique, la CJIP a été retenue comme une réponse appropriée.
L'ordonnance de validation du juge reprend ces éléments, en insistant sur l'absence de réitération des faits et sur la coopération volontaire de l'entreprise. Ces critères sont prévus par les circulaires de 2021 et 2023 et sont très proches de ceux appliqués aux CJIP en matière financière.
En ce qui concerne la justification du recours à la CJIP dans ce dossier, les motifs sont explicités dans la convention elle-même et s'alignent sur les principes définis dans ces circulaires.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Dans cette affaire, on constate la présence d'infractions au droit de la consommation. La fraude a été estimée à environ 3 milliards d'euros par le Service national des enquêtes, rattaché à la DGCCRF. Pourtant, l'amende infligée à la société dans le cadre de la CJIP s'élève à seulement 2 millions d'euros.
J'aimerais recueillir votre avis sur l'échelle des sanctions appliquées dans cette affaire. Vous semble-t-elle conforme aux pratiques habituelles ?
Par ailleurs, le droit de la consommation se prête particulièrement aux recours. Dans quelle mesure la CJIP protège-t-elle totalement la société contre d'éventuelles actions intentées par une association de consommateurs ou des consommateurs individuels sur ces faits ?
M. Nicolas Jeanne. - Lorsqu'on compare la CJIP environnementale à la CJIP financière, on est d'abord frappé par la faiblesse relative des montants : 2 millions d'euros contre plusieurs milliards pour la CJIP Airbus, par exemple. Cependant, il convient de noter que la CJIP Nestlé Waters est celle qui a donné lieu à l'amende d'intérêt public la plus élevée dans le domaine environnemental.
À mes yeux, le mode de calcul mérite de faire l'objet d'une discussion. Contrairement aux CJIP financières, les parquets spécialisés en matière environnementale ne disposent pas de lignes directrices aussi précises que celles du PNF. Ce dernier applique un modèle rigoureux, intégrant des facteurs majorants et minorants, dans une équation qui assure une certaine lisibilité. En matière environnementale, même si des circulaires existent pour orienter les décisions, l'approche reste plus floue.
En lisant la CJIP, on peut être surpris par l'absence de référence à l'autre mode de calcul possible, en cas de jugement. L'amende encourue aurait pu être déterminée soit par le quintuple de l'amende prévue par le texte (soit 1,5 million d'euros dans ce cas), soit par 10 % du chiffre d'affaires annuel. Or, le procureur d'Épinal ne mentionne pas cette seconde option. Ce manque de clarté peut donner l'impression d'une atténuation des sanctions, alors qu'il s'agit sans doute simplement d'un défaut de cadrage précis dans la méthodologie actuelle.
Enfin, je rappelle que la CJIP n'éteint l'action publique qu'à condition que les obligations imposées soient effectivement exécutées. À ce stade, celles-ci ne l'ont pas encore été, ce qui signifie qu'en théorie, des poursuites devant la juridiction correctionnelle restent possibles. Par ailleurs, même si cela s'avérait difficile devant le juge pénal, les consommateurs conservent la possibilité d'engager une action devant le juge civil pour obtenir réparation du préjudice. La loi Hamon prévoit également un mécanisme d'action de groupe, qui pourrait être mobilisé dans ce cadre.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je comprends que ce mécanisme peut être mobilisé tant que la CJIP n'est pas totalement exécutée.
M. Nicolas Jeanne. - Il faut distinguer les intérêts au pénal et les intérêts au civil. Sur le plan pénal, l'extinction de l'action publique ne peut intervenir que si les obligations prévues par la CJIP ont été entièrement exécutées.
Sur le plan civil, en revanche, la CJIP n'empêche en aucun cas une victime de saisir le juge pour réclamer une indemnisation.
M. Vincent Filhol. - L'article 41-1-3 encadrant la CJIPE renvoie aux dispositions générales de l'article 41-1-2, qui régit la CJIP financière. Ce texte précise que l'exécution des obligations prévues par la convention entraîne l'extinction de l'action publique. Toutefois, il rappelle également que cela ne fait pas obstacle au droit des victimes - à l'exception de l'État - de poursuivre la réparation de leur préjudice devant la juridiction civile.
Si cette procédure peut être contestée ou critiquée, il est important de souligner qu'elle n'empêche pas les victimes, qu'il s'agisse de consommateurs individuels ou d'associations, d'engager d'autres actions en réparation. D'ailleurs, dans l'affaire Nestlé Waters, une association n'a pas accepté de faire valoir son préjudice dans le cadre de la CJIP et a préféré agir sur d'autres fondements juridiques. À l'inverse, d'autres associations ont participé à la procédure tout en exprimant des réserves sur ses modalités.
Concernant la question du montant de l'amende, le texte prévoit une fixation proportionnée, en tenant compte des avantages tirés des manquements constatés. Or, la notion même de proportionnalité reste subjective, chacun pouvant l'interpréter différemment.
En matière financière, des lignes directrices précises permettent d'encadrer ce calcul avec des critères clairs, ce qui n'est pas encore le cas pour les CJIP environnementales. Cette absence de cadre normatif peut donner une impression de flou. Par ailleurs, bien que le texte mentionne un plafond de 30 % du chiffre d'affaires pour l'amende, il n'indique ni le chiffre d'affaires exact de la société concernée ni les détails du calcul effectué.
Dans cette affaire, l'amende de 2 millions d'euros, bien que plus élevée que celles des autres CJIP environnementales, peut paraître modeste au regard du poids économique du groupe concerné. Cette perception renforce la nécessité d'une meilleure pédagogie autour du dispositif.
Au-delà de ce dossier particulier, une réflexion plus large s'impose sur la manière d'améliorer la transparence des CJIP environnementales. L'expérience des CJIP financières montre que leur acceptation a progressé grâce à une meilleure explicitation des critères et à la mise en place de lignes directrices claires par le PNF. Un dispositif similaire pourrait être envisagé pour les CJIP environnementales, afin de renforcer leur lisibilité et leur légitimité.
Enfin, pour inscrire durablement ce mécanisme dans la politique pénale environnementale, il pourrait être pertinent d'inciter les parquets à détailler plus systématiquement le mode de calcul des amendes, à l'image du PNF. Être transparent, c'est aussi permettre la critique et le contrôle, conditions essentielles pour assurer la crédibilité et l'acceptabilité de ces mesures.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je m'interroge sur le processus décisionnel dans le cadre d'une CJIP, et plus précisément sur la manière dont les différentes parties interagissent avec le parquet. Comment cette négociation se déroule-t-elle concrètement ? Des échanges formels sont-ils menés avec les associations, la société concernée et d'autres acteurs impliqués ?
M. Vincent Filhol. - Le processus de négociation d'une CJIP environnementale s'apparente largement à celui d'une CJIP financière. À cet égard, les lignes directrices de 2023 apportent des précisions détaillées quant aux modalités d'interaction entre une entreprise et le parquet.
Dans ce cadre, la notion de « foi du palais » joue un rôle essentiel. Cette pratique permet aux avocats d'échanger avec les magistrats en dehors de la procédure formelle, favorisant ainsi un dialogue constructif. Si cette phase informelle n'est pas consignée dans le dossier, elle constitue néanmoins un élément central du processus, en particulier pour les CJIP. Celles-ci ne surgissent pas ex nihilo ; mais résultent d'une négociation préalable entre la personne morale et le parquet.
L'initiation d'une telle négociation peut prendre diverses formes. Dans certains cas, l'entreprise prend elle-même l'initiative de contacter les autorités et d'engager un dialogue, souvent en vue d'une mise en conformité et dans une démarche de coopération. Plus rarement, elle peut procéder à une auto-divulgation des faits avant même l'ouverture d'une enquête judiciaire - une pratique encouragée par le PNF, dans une logique de gestion du risque. Une telle démarche peut en effet permettre d'obtenir plus aisément une CJIP assortie de conditions plus favorables.
Toutefois, l'entreprise découvre dans la majeure partie des cas l'existence d'une enquête en raison d'une réquisition, d'une perquisition, d'une audition ou encore d'un article de presse. Elle peut alors décider d'engager des discussions avec le procureur. Le moment où la négociation devient officielle et où les éléments communiqués peuvent être versés au dossier suscite des débats entre le PNF et les avocats, car il implique un arbitrage entre transparence et protection des droits de la défense.
Le succès du PNF dans l'appropriation de la CJIP illustre la pertinence de ce dispositif. En sept ans, une vingtaine de CJIP financières ont été conclues. Malgré leur nombre limité, elles portaient sur des affaires significatives. Cette réussite tient à la relation de confiance établie entre les entreprises, leurs conseils et le parquet. De fait, la négociation d'une CJIP implique de nombreuses réunions et un dialogue approfondi, souvent dans un cadre moins solennel que celui d'une audience. Ce mode de discussion constitue une évolution notable de la culture judiciaire française, marquant une transition vers une justice négociée qui, en matière financière, s'est révélée particulièrement efficace.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Monsieur Jeanne, vous avez mentionné la notion d'indivisibilité comme un premier levier pour lutter contre la connexité artificielle. Auriez-vous d'autres recommandations à formuler ?
La CJIP a joué un rôle majeur dans l'affaire Nestlé Waters, suscitant de nombreux débats. À ce titre, avez-vous des suggestions à nous apporter ?
M. Nicolas Jeanne. - Je recommanderais de substituer à la notion de connexité celle d'indivisibilité. L'élargissement du champ des infractions pouvant être traitées dans le cadre d'une CJIP devrait reposer sur un concept impliquant l'interdépendance des infractions commises, c'est-à-dire que l'une n'aurait pu être réalisée sans l'autre. Ce critère ne me semble pas pleinement satisfait par la connexité.
Un autre point méritant une amélioration concerne l'absence de mesures de mise en conformité interne imposées aux entreprises dans le cadre d'une CJIPE. Aucun dispositif de ce type n'a été prévu. Cette lacune semble résulter d'une difficulté liée au renvoi textuel : l'article 41-1-3 du Code de procédure pénale, qui encadre la CJIP environnementale, renvoie à l'article 41-1-2 relatif à la CJIP financière. Ce dernier prévoit une peine complémentaire de mise en conformité, qui permet au procureur d'imposer certaines obligations à l'entreprise. Or, aucun renvoi n'est prévu dans le cadre de la CJIP environnementale. Il serait donc opportun d'étendre l'article 41-1-3 afin d'y inclure les mesures prévues par l'article 132-39 du Code pénal.
Par ailleurs, l'intérêt majeur d'une CJIP pour les entreprises relève dans le fait qu'elle leur évite l'exclusion des marchés publics. Or, dans le cadre des CJIP environnementales, une condamnation pour une infraction environnementale ne constitue pas un motif d'exclusion des marchés publics. Introduire une telle disposition constituerait un levier supplémentaire vis-à-vis des entreprises, en agissant directement sur leurs sources de revenus.
Enfin, il est essentiel de renforcer la motivation des décisions. La CJIP ne pourra être pleinement acceptée par l'opinion publique tant qu'elle ne bénéficiera pas d'une justification plus approfondie. Trop souvent, les magistrats validant ces conventions se contentent de reprendre les termes de la proposition initiale, sans réelle motivation substantielle. Une amélioration en ce sens me semble indispensable.
M. Vincent Filhol. - Le rapport du procureur général de 2022 formulait déjà de nombreuses recommandations en matière de CJIP environnementale, cette mesure étant considérée, deux ans après son entrée en vigueur, comme un dispositif efficace.
Le procureur général et les membres du groupe de travail proposaient notamment un renforcement de la formation des magistrats. Le droit de l'environnement est un domaine complexe, fragmenté, parfois mal rédigé, empruntant également au droit public et recelant une grande technicité.
Au-delà de cet enjeu de formation, il conviendrait d'améliorer la lisibilité des CJIP, éventuellement par voie de circulaire, afin d'harmoniser les pratiques. Contrairement au PNF, dont la compétence est bien établie, aucun parquet n'a aujourd'hui une autorité comparable en matière environnementale. Une évolution en ce sens pourrait être envisagée, à travers une extension de compétences ou la création d'un parquet national de l'environnement. En attendant, il serait pertinent d'adopter des lignes directrices sous forme de circulaires pour encourager les procureurs à clarifier les méthodes de calcul de l'intérêt public et à les expliciter au sein des CJIP. Il en va de même pour l'évaluation du préjudice écologique. L'idée d'une nomenclature, à l'image de celle utilisée pour le préjudice corporel, mérite d'être approfondie afin de garantir une certaine objectivité.
Un autre axe d'amélioration réside dans le suivi des programmes de conformité. Le rapport préconisait d'ailleurs la création d'une agence dédiée. Bien que la tendance actuelle ne soit pas à la multiplication des autorités indépendantes, il semble néanmoins pertinent de réfléchir à l'acteur qui pourrait piloter une véritable politique de conformité environnementale.
M. Laurent Burgoa, président. - L'office français de la biodiversité pourrait adopter ce rôle.
M. Vincent Filhol. - Bien que cet organisme joue un rôle clé, il ne peut être comparé à une autorité de régulation d'envergure, ce qui soulève la question d'un éventuel ajustement de son périmètre d'intervention.
Il conviendrait d'examiner d'éventuelles extensions de compétences du PNF et des instances européennes, en raison des liens existants avec la criminalité financière. Par ailleurs, la pratique de la CJIP, en particulier par le PNF, mérite d'être approfondie. Enfin, le droit des victimes demeure une question centrale. Il s'agirait de réfléchir aux moyens d'améliorer et de renforcer leurs droits, notamment en informant plus efficacement les associations sur le dispositif et en les impliquant davantage dans la CJIP, ce qui pourrait être précisé par voie de circulaire.
M. Laurent Burgoa, président. - Merci beaucoup pour cette audition, qui voit émerger quelques propositions d'évolutions législatives. N'hésitez pas à compléter vos propos par écrit. Ces compléments seront bienvenus.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 15 h 20.