Mardi 29 avril 2025

- Présidence de M. Philippe Mouiller, président -

La réunion est ouverte à 15 h 35.

Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, sur la profession d'infirmier - Examen du rapport et du texte de la commission

M. Philippe Mouiller, président. - Nous examinons la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, sur la profession d'infirmier. Je vous indique que 97 amendements ont été déposés sur ce texte et que 66 d'entre eux resteront à examiner après l'application des irrecevabilités.

M. Jean Sol, rapporteur. - La proposition de loi que nous examinons ce matin, cosignée par 138 députés et adoptée à l'unanimité par l'Assemblée nationale, est très attendue par les infirmiers.

Indispensable à l'accès aux soins, la profession infirmière souffre depuis trop longtemps d'une reconnaissance insuffisante et d'un cadre d'exercice obsolète. Les mesures portées par la proposition de loi visent à mieux valoriser la profession, à refondre son encadrement juridique et à simplifier ses évolutions ultérieures. Notre commission a plusieurs fois appelé de ses voeux cette réforme, promise aux infirmiers depuis plusieurs années.

C'est pourquoi nous vous inviterons à soutenir le texte qui nous est soumis. Pour favoriser sa mise en oeuvre rapide et apaiser certaines tensions, nous vous soumettrons également quinze amendements destinés à sécuriser, encadrer ou préciser certaines de ses dispositions.

Rappelons, d'abord, que la profession infirmière a connu de nombreuses évolutions ces dernières années.

Il s'agit de la profession de santé la plus nombreuse, en France comme à l'international. Selon l'Organisation mondiale de la santé (OMS), elle rassemblerait à elle seule plus de 55 % des professionnels de santé recensés en Europe. Nous comptons, en France, plus de 600 000 infirmiers en activité.

Ces derniers bénéficient, surtout, d'une démographie particulièrement dynamique. Leur nombre a augmenté de 8 % entre 2013 et 2021 et pourrait s'élever, d'après le ministère de la santé, à 820 000 en 2050, à politique et comportements inchangés.

Ce développement de la profession ne suffit pas toutefois à répondre à l'augmentation rapide des besoins, portée par le vieillissement de la population et la prévalence croissante des maladies chroniques. Le ministère estime que 80 000 infirmiers supplémentaires seraient nécessaires d'ici à 2050.

Parallèlement, les modes d'exercice des infirmiers se sont largement diversifiés : autrefois hospitalo-centrée, la profession s'exerce désormais dans une grande diversité de structures. L'exercice libéral concerne plus de 16 % de la profession, et devrait continuer de se développer ces prochaines années.

À côté du métier socle se sont également développées, dès l'après-guerre, trois spécialités infirmières - infirmiers anesthésistes diplômés d'État (IADE), infirmiers de bloc opératoire diplômés d'État (Ibode) et puériculteurs. Les infirmiers de spécialité, qui suivent une formation complémentaire d'un an pour les puériculteurs et de deux ans pour les IADE et les Ibode, disposent de compétences plus étendues que le métier socle et d'une autonomie élargie sur un champ clinique restreint.

Plus récemment, en 2016, le législateur a consacré la notion d'exercice infirmier en pratique avancée (IPA), suivant un modèle éprouvé depuis les années 1960 outre-Atlantique et conçu comme une partie de la réponse aux difficultés d'accès aux soins. À ce jour ouverte aux seuls infirmiers titulaires du diplôme d'IPA, sanctionnant une formation de deux ans accordant le grade de master, la pratique avancée permet d'accéder à une autonomie renforcée et à des compétences étendues, notamment en matière de prescription. Les IPA en exercice coordonné bénéficient en outre d'un accès direct depuis la loi portant amélioration de l'accès aux soins par la confiance aux professionnels de santé, dite « loi Rist 2 ».

Mme Anne-Sophie Romagny, rapporteure. - Malgré cette place essentielle dans notre système de santé, la profession demeure, en droit, définie en référence au monopole médical. Par dérogation à ce dernier, l'intervention des infirmiers n'est possible que sur un champ circonscrit d'actes, listés par un décret de 2004. Ce dernier distingue les actes relevant du rôle propre infirmier de ceux qui ne peuvent être réalisés que sur prescription ou sous supervision médicales.

Cet encadrement est excessivement rigide et inadapté aux évolutions récentes de la profession. Malgré une intense activité législative visant à étendre, ces dernières années, les compétences de la profession, un phénomène de « glissement de tâches » est souvent reporté. Celui-ci conduit les infirmiers à réaliser des actes en dehors de leur champ de compétences reconnu et à encourir ainsi des sanctions pénales au titre de l'exercice illégal de la médecine.

Cette situation contribue au sentiment de manque de reconnaissance, qui traverse la profession. Les conditions de travail dégradées, notamment en établissement, alimentent une forte rotation des effectifs et, parfois, des abandons de métier. Les conditions de rémunération des infirmiers restent, par ailleurs, insatisfaisantes malgré les revalorisations consenties ces dernières années dans le cadre du Ségur. En ville, les principaux actes infirmiers n'ont pas été revalorisés significativement depuis 2009.

À côté du métier socle, des revendications à ce jour non satisfaites provoquent également l'amertume des IPA et des infirmiers de spécialité. Les seconds aspirent, de longue date, à la reconnaissance d'une forme de pratique avancée propre à leur exercice, une demande que notre commission avait soutenue par l'adoption d'un amendement au cours de l'examen de la loi Rist 2. Les compétences élargies des infirmiers de spécialité, leur autonomie accrue, et leur formation complémentaire à celle du métier socle les rapprochent en effet de la pratique avancée, sans qu'ils en revêtent à ce jour toutes les caractéristiques - précisons-le d'emblée.

Quant aux IPA, le coût de leur formation et l'absence d'un modèle économique viable, dénoncés par plusieurs rapports, ont entamé l'attractivité de leur métier et induit un déploiement en dessous des attentes. Ces enjeux, non traités par ce texte, le seront par la proposition de loi visant à améliorer l'accès aux soins dans les territoires, que nous examinerons la semaine prochaine.

M. Jean Sol, rapporteur. - Si la loi ne peut pas régler l'ensemble de ces difficultés, il est toutefois devenu indispensable de réformer en profondeur le cadre juridique dans lequel interviennent les infirmiers.

L'article 1er de la proposition de loi s'y attelle, en proposant une refonte du socle législatif de la profession. La loi se bornerait, désormais, à définir les principales missions et conditions d'exercice des infirmiers. Elle renverrait au décret le soin de définir les domaines d'activité et de compétence de la profession, et à l'arrêté celui de fixer la liste des actes qu'elle réalise.

Nous vous proposons quatre amendements destinés à préciser ce cadre général. Le premier précise que les infirmiers exercent non pas seulement en « complémentarité », mais en « coordination » avec les autres professionnels de santé. Le deuxième amendement visera, en cohérence avec l'architecture prévue, à renvoyer au décret et à l'arrêté la définition des soins relationnels dispensés par les infirmiers. Le troisième précisera la mission confiée aux infirmiers en matière de conciliation médicamenteuse. Enfin, conformément à la demande formulée par la présidente de l'Ordre devant notre commission, le quatrième visera à consacrer dans la loi la recherche en sciences infirmières.

L'article 1er de la proposition de loi consacre également les notions de consultation et de diagnostic infirmiers. Ces dernières sont anciennes et fondées sur le rôle propre de la profession : elles se distinguent donc sans ambiguïté de la consultation et du diagnostic médicaux, et leur sont complémentaires.

Il confie également aux infirmiers un pouvoir de prescription de produits de santé et d'examens nécessaires à l'exercice de leur profession, listés par arrêté. Une telle faculté a déjà été ouverte aux infirmiers par la loi, ces dernières années, notamment en matière de vaccination. Nous vous proposerons de soutenir ces dispositions, et vous soumettrons un amendement visant à rétablir la saisine de l'Académie nationale de médecine, supprimée par l'Assemblée nationale. Afin de ne pas retarder l'entrée en vigueur de ces dispositions, l'amendement fixera un délai de trois mois à l'Académie pour rendre son avis.

Enfin, enrichi en séance publique à l'Assemblée, l'article 1er ouvre également l'accès direct aux infirmiers intervenant en soins de premier recours, dans le cadre de leur rôle propre comme de leur rôle prescrit. Nous vous proposerons de recentrer cet accès direct sur les seuls actes du rôle propre. Leur prise en charge, en ville, demeure trop souvent conditionnée par l'assurance maladie à une prescription préalable, sans prise en compte de l'autonomie reconnue aux infirmiers dans ce périmètre.

L'article 1er bis vise également à mieux reconnaître le rôle des infirmiers dans les soins de premier recours, en mentionnant explicitement la profession dans les dispositions du code de la santé publique (CSP) définissant ces soins. L'article, dans sa rédaction transmise par l'Assemblée nationale, efface, toutefois, la mention de la contribution du médecin traitant à ces mêmes soins : nous vous proposerons de la rétablir par amendement.

Enfin, l'article 1er quater autorise, à titre expérimental, un accès direct aux infirmiers au-delà de leur rôle propre, dans le cadre d'un exercice coordonné. Il nous semble qu'une telle expérimentation pourrait se révéler utile, notamment pour apprécier l'opportunité d'une évolution des compétences infirmières ou, en leur sein, des périmètres respectifs des rôles propre et prescrit. Nous vous soumettrons toutefois trois amendements visant à sécuriser cette expérimentation. Ceux-ci tendront notamment à supprimer les dispositions faisant de l'adhésion à une communauté professionnelle territoriale de santé (CPTS) une condition suffisante à l'accès direct, celle-ci ne garantissant pas toujours un niveau de coordination suffisant, et à prévoir une saisine préalable de la Haute Autorité de santé (HAS) et de l'Académie nationale de médecine.

Mme Anne-Sophie Romagny, rapporteure. - Particulièrement touchée par les interruptions d'exercice, la profession infirmière ne bénéficie toutefois pas à ce jour des moyens adéquats pour assurer l'accompagnement des professionnels souhaitant reprendre leur activité, ni pour garantir la qualité et la continuité des soins. L'article 1er ter tente d'apporter une réponse en prévoyant de soumettre les infirmiers ayant interrompu leur exercice depuis un certain temps à une évaluation de compétence systématique et, le cas échéant, de les orienter vers une formation ou un stage.

Ces dispositions compléteront utilement les mécanismes existants, comme la certification périodique, à condition que le pouvoir réglementaire veille à leur bonne articulation. Par amendement, nous vous proposerons de réserver l'évaluation de compétences aux interruptions longues, excédant une durée comprise entre trois et six ans, afin d'éviter des procédures inutiles et leur gestion lorsque la brièveté de l'interruption d'activité ne laisse craindre aucune perte de compétences significative.

L'article 2 vise, enfin, à faire évoluer le cadre de la pratique avancée en y apportant trois principales évolutions.

Cet article tend d'abord à répondre à la demande des infirmiers de spécialité en ouvrant la pratique avancée à d'autres diplômes que celui d'IPA. L'idée est bonne : il s'agirait là d'une juste reconnaissance des compétences poussées des infirmiers de spécialité, acquises au terme d'une formation exigeante. Réduire la pratique avancée au seul modèle des IPA reviendrait, dans ce contexte, à ignorer la variété et la richesse des expertises infirmières.

Toutefois, la rédaction retenue, particulièrement floue, semble fondre toutes les spécialités dans le métier d'IPA et suscite, parmi les professionnels, une vive inquiétude pour la sécurité et la pérennité de l'exercice spécialisé. Rappelons que la demande des infirmiers de spécialité n'a jamais été d'exercer le métier d'IPA sous une mention ad hoc, mais bien de se voir reconnaître l'accès à une forme de pratique avancée, spécifique à chaque spécialité.

Il revient donc au législateur de répondre à cette préoccupation et de faire évoluer en ce sens la rédaction de l'article 2. Limités dans notre pouvoir d'initiative par l'irrecevabilité financière, nous souhaitons travailler avec le Gouvernement, en vue de la séance publique, à une rédaction commune qui satisfasse les attentes légitimes de reconnaissance des infirmiers de spécialité sans diluer leurs caractéristiques, en consacrant une forme de pratique avancée spécifique qui exclue, notamment, l'accès direct.

Si cette évolution est envisageable à court terme pour les IADE et les Ibode, elle doit être subordonnée, pour les puériculteurs, à une réingénierie et une « universitarisation » de leur formation.

Nous veillerons, dans nos échanges avec le Gouvernement, à ce que la rédaction retenue évite d'engendrer des scissions au sein des spécialités, en réservant l'accès à la pratique avancée aux diplômés les plus récents, titulaires du grade de master. Il conviendra donc de prévoir, au niveau réglementaire, des dispositifs de formation complémentaire ou de validation des acquis de l'expérience.

L'article 2 prévoit également d'ouvrir l'exercice en pratique avancée dans les services de protection maternelle et infantile (PMI), d'aide sociale à l'enfance, dans les crèches et dans les établissements scolaires. Cette mesure, recommandée par l'inspection générale des affaires sociales (Igas), favorisera une prise en charge plus complète, continue et adaptée dans ces lieux. Il s'agit là également d'un levier pertinent pour renforcer l'accès aux soins et la promotion de la santé dans les écoles face aux carences d'une médecine scolaire sous-dotée. Afin de ne pas créer de précédent et de renforcer la sécurité juridique du texte, nous vous proposerons simplement de préciser que la pratique avancée à l'école doit s'exercer en lien avec un médecin, comme la loi le prévoit pour l'ensemble des autres terrains.

Enfin, alors que le manque de diligence de certains organismes chargés de rendre un avis sur les décrets d'application de la loi Rist 2 a considérablement retardé leur parution, l'article 2 fait oeuvre utile en imposant aux entités consultées de se prononcer sous trois mois.

Il nous semble que cette proposition de loi marque une étape importante et attendue dans l'évolution de la profession. Elle devra rapidement donner lieu à une révision ambitieuse des référentiels de compétence et de formation, ainsi qu'à un réexamen des conditions de rémunération des infirmiers.

Enfin, en tant que rapporteurs, il nous revient de vous proposer un périmètre au titre de l'article 45 de la Constitution.

Nous vous proposons de considérer que ce périmètre inclut des dispositions relatives au statut, aux compétences, aux conditions d'exercice et aux missions des infirmiers, de la pratique avancée infirmière et des spécialités infirmières.

En revanche, nous estimons que ne présenteraient pas de lien, même indirect, avec le texte dont nous avons à débattre, des amendements relatifs à la pratique avancée et dépourvus d'effet sur la pratique avancée infirmière ; aux statuts, conditions d'exercice et compétences des autres professions de santé ; à l'organisation générale des établissements de santé ou des structures d'exercice coordonné.

Il en est ainsi décidé.

Mme Céline Brulin. - Ce rapport est très fidèle aux auditions qui ont été organisées et cette proposition de loi donne à la profession infirmière sa plénitude, en l'adaptant à la fois aux pratiques et aux besoins actuels.

De plus, les amendements déposés ouvrent plusieurs pistes stimulantes, donc l'une vise à dissiper la confusion, présente dans le texte de l'Assemblée nationale, entourant les spécialités et la pratique avancée. Comme cela a été évoqué au cours des auditions, la réflexion a été menée de manière parcellaire alors qu'il aurait mieux valu partir de la pratique avancée en général avant de la décliner en fonction de chaque spécialité.

Notre position sera plus tranchée que celle des rapporteurs s'agissant des conditions de rémunération et de travail des infirmiers, qu'ils exercent dans un établissement ou de manière libérale. Pour en revenir aux IPA, il faudrait d'ailleurs revoir le modèle économique actuel, l'accès coûteux à la formation représentant un obstacle pour ceux qui souhaitent s'engager dans cette voie.

Si le texte contient des avancées indispensables, il restera beaucoup à faire, en particulier dans le domaine de la santé mentale, sujet sur lequel je travaille avec Jean Sol et Daniel Chasseing : le manque d'infirmiers psychiatriques est criant et montre à quel point l'abandon de cette spécialité était une erreur. Il faudrait dans l'idéal la réinstaurer, tout en repensant d'autres spécialités telles que la médecine scolaire ou la médecine du travail.

Enfin, si nous souscrivons totalement aux objectifs poursuivis au travers de cette proposition de loi, il ne faudrait pas que ce texte soit uniquement motivé par la pénurie de médecins, ces derniers étant désormais plus enclins à déléguer certaines tâches à d'autres acteurs de la santé. Il serait préférable que ce texte apporte une véritable plus-value à notre système de santé, sans remplacer les efforts que nous devons fournir pour faire face aux déserts médicaux et aux pénuries.

Mme Émilienne Poumirol. - Je me retrouve aussi dans ce texte, fidèle aux auditions.

La reconnaissance du diagnostic et de la consultation des infirmiers est une évidence, des garanties devant cependant être prises en termes de concertation médicale et de travail d'équipe.

Pour rebondir sur les propos de Céline Brulin, il est fait mention des IPA en santé mentale, qui ne correspondent certes pas exactement aux infirmiers psychiatriques d'autrefois, mais qui permettent de faire le lien dans les hôpitaux psychiatriques et dans les centres médico-psychologiques (CMP).

En outre, si le texte apporte une amélioration à la situation des IPA, n'oublions pas qu'il ne s'agira que d'une partie de la réponse à la problématique des déserts médicaux.

M. Bernard Jomier. - Merci aux rapporteurs pour leur travail. Après les textes qui ont permis de combler les retards pour les médecins généralistes et les pharmaciens, cette proposition de loi est bienvenue puisqu'elle permet de faire de même pour les infirmiers, troisième pilier des soins primaires.

Pour autant, je regrette que notre délibération ne porte, en raison de la situation politique, que sur un texte partiel, ce qui va nous conduire à aborder en partie les mêmes sujets lorsque nous examinerons le texte déposé par Philippe Mouiller, puisqu'il comporte lui aussi des dispositions relatives aux IPA.

Vous avez évoqué à juste titre la délicate question de l'articulation entre les spécialités infirmières et le système des IPA : peut-on vraiment envisager de régler ce point sans passer par un projet de loi ? L'équation me semble complexe et je regrette que le Gouvernement n'assume pas ses responsabilités, alors qu'il pourrait aller davantage de l'avant.

Ce texte a le mérite d'améliorer la situation des infirmiers, mais il faudra qu'un décret de compétences soit rapidement pris par le ministre.

Enfin, la pénurie de médecins est effectivement un mauvais argument, les projections sur l'évolution du nombre de praticiens restant incertaines. L'ordre des médecins annonce une remontée très significative, ce dont je ne suis pas convaincu, mais il est exact que plusieurs signaux annoncent un tournant progressif et la fin de la phase la plus aiguë de la pénurie.

En raison des nombreuses modifications apportées à la répartition des tâches, nous entrons donc dans une période de grand flou et il n'existe aucune étude d'impact pour ces différents textes : nous naviguons donc à vue et devons essayer d'éviter de reproduire les erreurs commises par le passé, sous le regard d'une opinion publique qui est à cran sur la question de l'offre de soins.

M. Daniel Chasseing. - Je salue à mon tour le travail des rapporteurs, ce texte venant reconnaître les compétences des infirmiers et leur rôle essentiel en matière de prévention.

Je rejoins Céline Brulin au sujet des infirmiers psychiatriques, l'abandon de cette spécialité ayant été une erreur. En tout état de cause, les IPA jouent, dans certains départements, un rôle extrêmement important au sein des CMP puisqu'ils peuvent prescrire des médicaments, permettant ainsi aux psychiatres de se concentrer sur les cas les plus aigus.

Par ailleurs, un financement pour la formation des infirmières libérales fait défaut, alors que ces dernières peuvent jouer un rôle important dans le secteur médico-social : l'agence régionale de santé (ARS) devra y contribuer.

Je signale, en outre, que nous avons rencontré des infirmiers de spécialité qui ne souhaitent pas devenir IPA, mais qui désirent que leurs spécificités soient reconnues : la proposition de loi va dans ce sens et je suis favorable à ce texte.

Mme Florence Lassarade. - Si je comprends bien, les écoles de puériculture disparaîtraient pour être remplacées par un diplôme universitaire : comment envisageons-nous l'évolution du métier des puéricultrices ? Quelles passerelles pourrions-nous déployer pour ces métiers très spécifiques ?

Mme Frédérique Puissat. - Je souscris à l'opinion de Bernard Jomier : un projet de loi serait opportun sur ces sujets. Cela étant, ce texte nous donne l'opportunité de montrer que la commission des affaires sociales du Sénat fait progresser ces enjeux liés à la santé. Comme je le rappelle souvent, nous n'aurions pas disposé d'un projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) en temps voulu si le Sénat n'était pas allé de l'avant.

S'agissant de la proposition de loi examinée ce jour, nos deux rapporteurs ont travaillé de manière extrêmement fine afin de bâtir un texte acceptable pour toutes les parties prenantes du secteur de la santé. Les amendements proposés vont ainsi permettre d'assurer la cohérence du bloc de santé à l'échelle des territoires, tout en s'assurant de l'assentiment des médecins.

Par ailleurs, l'article 1er prévoit une renégociation des rémunérations des infirmiers : avez-vous une idée des montants en jeu ?

Mme Nadia Sollogoub. - Nous avons souligné à plusieurs reprises la complexité de la nomenclature des actes infirmiers. Ne risquons-nous pas d'aggraver cet état de fait avec ce texte, alors que les infirmiers font déjà l'objet de contrôles stricts ?

Mme Anne-Sophie Romagny, rapporteure. - Nous devons en effet veiller à consacrer une forme de pratique avancée propre à chaque spécialité. Le Gouvernement s'est engagé à travailler avec nous à une rédaction qui puisse satisfaire tous les acteurs, notre objectif consistant avant tout à éviter de scinder une profession infirmière déjà extrêmement complexe. Nous croyons que la pratique avancée offrira des perspectives de carrière.

Mme Brulin a évoqué la santé au travail : nous incitons le Gouvernement à créer une mention d'IPA dédiée en prenant un décret. De plus, le texte ouvre l'accès à la pratique avancée dans les établissements scolaires.

Enfin, je tiens à rassurer Mme Lassarade, puisque le texte ne prévoit pas la fermeture des écoles de puériculture : la profession décidera si elle souhaite ou non une « universitarisation » de leur formation, condition pour accéder à la pratique avancée.

M. Jean Sol, rapporteur. - Madame Poumirol, le rétablissement de l'avis de l'Académie de médecine et la consécration du principe de coordination interprofessionnelle visent à apaiser les tensions que nous avons perçues au cours des auditions entre des acteurs de santé aux statuts divers.

Concernant l'articulation entre IPA et spécialités, nous avons sollicité le ministre Yannick Neuder afin qu'il puisse travailler à nos côtés à une rédaction susceptible de satisfaire toutes les parties prenantes. Ce dernier s'est engagé à mener une série de concertations avec les professionnels concernés.

Enfin, les glissements de tâches sont bien documentés et le référentiel des compétences doit être mis à jour rapidement, de manière à tenir compte des évolutions constatées.

Mme Anne-Sophie Romagny, rapporteure. - Madame Puissat, nous ne sommes pas en mesure de fournir une estimation du coût des négociations prévues, la loi ne précisant ni le périmètre ni le contenu. Pour autant, il semblerait que le Gouvernement et l'assurance maladie souhaitent lancer ces négociations rapidement.

M. Philippe Mouiller, président. - Avant d'examiner les amendements, je tiens à faire le point sur les irrecevabilités. Une série d'amendements ont été en effet déclarés irrecevables au titre de l'article 40 de la Constitution. Je me suis préalablement renseigné au sujet de la jurisprudence du Conseil constitutionnel et de la commission des finances car certains raisonnements peuvent paraître surprenants, y compris à mes propres yeux.

Premièrement, des amendements sont gagés sur les taxes assises sur la consommation de tabac. Je vous rappelle que seuls les gages concernant des diminutions de recettes sont acceptés au titre de la Constitution - et non les charges, ce motif d'irrecevabilité concernant environ 40 % des amendements déclarés irrecevables.

Ensuite, tous les amendements concernant les possibilités d'accès direct, les extensions de compétences, l'élargissement des droits de prescription, l'augmentation du périmètre d'intervention des auxiliaires médicaux en pratique avancée et les allongements de formation sont considérés comme irrecevables au titre de l'article 40. J'ai été moi-même surpris, mais cela découle de la jurisprudence du Conseil constitutionnel.

De ce fait, de bonnes idées présentes dans certains amendements ne pourront être réintroduites que par le Gouvernement.

EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er

M. Jean Sol, rapporteur. - Les amendements identiques COM-45, COM-68 rectifié, COM-74 et COM-37 rectifié bis visent à préciser que l'infirmier exerce en toute autonomie et en responsabilité de ses actes.

L'indépendance des infirmiers est déjà protégée par leur code de déontologie, qui prévoit que « l'infirmier ne peut aliéner son indépendance professionnelle sous quelque forme que ce soit ». L'autonomie des infirmiers dans le cadre de leur rôle propre est, de la même manière, d'ores et déjà protégée par le CSP.

Ces dispositions sont donc satisfaites en droit. Un ajout dans la loi risquerait d'attiser inutilement les tensions avec la profession médicale. En conséquence, notre avis est défavorable.

Les amendements COM-45, COM-68 rectifié, COM-74 et COM-37 rectifié bis ne sont pas adoptés.

M. Jean Sol, rapporteur. - L'amendement COM-71 vise à ajouter la mention « quel que soit le mode d'exercice » dans la première phrase du nouvel article L.4311-1 du CSP. Il est satisfait puisque ces dispositions s'appliquent déjà à tous les modes d'exercice infirmiers. Avis défavorable.

L'amendement COM-71 n'est pas adopté.

L'amendement rédactionnel COM-81 est adopté.

M. Jean Sol, rapporteur. - L'amendement COM-82 vise, d'une part, à substituer à la notion de complémentarité avec les autres professionnels de santé celle de coordination. La notion de coordination est consacrée et déclinée par le CSP. Celui-ci prévoit notamment que chaque patient dispose, pour favoriser « la coordination, la qualité et la continuité des soins », d'un dossier médical partagé.

D'autre part, l'amendement vise, en insérant le mot « notamment », à ne pas faire obstacle à la collaboration des infirmiers avec d'autres professionnels, par exemple dans le cadre de leur activité au sein des établissements et services médico-sociaux.

L'amendement COM-82 est adopté.

M. Jean Sol, rapporteur. - L'amendement COM-83 vise à rétablir l'avis de l'Académie nationale de médecine sur la liste des produits et examens pouvant être prescrits par les infirmiers, qui devra être établie par arrêté.

L'amendement COM-83 est adopté.

M. Jean Sol, rapporteur. - L'amendement COM-75 prévoit de préciser que l'infirmier exerce sa profession dans l'intérêt global du patient.

Cette mention ne semble pas nécessaire dans la mesure où l'ensemble des professionnels de santé interviennent dans l'intérêt des patients. Le CSP et les codes de déontologie de chaque profession précisent les conditions dans lesquelles ils le font. Avis défavorable.

L'amendement COM-75 n'est pas adopté.

M. Jean Sol, rapporteur. - Par l'amendement COM-76, la liste des missions prévues par la loi n'est pas exhaustive et elle pourra être complétée par voie réglementaire. Avis défavorable, car les nouvelles dispositions proposées renvoient déjà largement au décret et à l'arrêté la fixation des conditions d'exercice de la profession et des actes réalisés. Il est souhaitable que la loi fixe de manière exhaustive les grandes missions de la profession.

L'amendement COM-76 n'est pas adopté.

M. Jean Sol, rapporteur. - L'amendement COM-84 vise à préciser dans la loi que les infirmiers n'ont pas pour mission d'assurer seuls la conciliation médicamenteuse, mais d'y contribuer aux côtés des autres professionnels de santé impliqués.

L'amendement COM-84 est adopté.

M. Jean Sol, rapporteur. - L'amendement COM-62 tend à ajouter, parmi les missions de la profession, l'évaluation et la prévention de la perte d'autonomie.

La prévention figure déjà parmi les missions prévues. Les représentants que nous avons auditionnés ne souhaitent pas, dans leur grande majorité, la multiplication des missions législatives. Cet ajout allongerait encore la liste prévue. Notre avis est donc défavorable.

L'amendement COM-62 n'est pas adopté.

M. Jean Sol, rapporteur. - L'amendement COM-85 a pour objet de recentrer l'accès direct ouvert aux infirmiers sur les actes de premier recours réalisés dans le cadre de leur rôle propre.

L'amendement COM-85 est adopté.

M. Jean Sol, rapporteur. - L'amendement COM-65 prévoit que les infirmiers participent à la prévention, aux actions de dépistage, aux soins éducatifs, à la santé au travail, à la promotion de la santé et à l'éducation thérapeutique en lien avec les associations agréées.

Bien que l'action de ces associations se révèle indispensable sur le terrain, il n'apparaît pas nécessaire de la citer dans les dispositions définissant les missions de la profession infirmière. La loi ne cite pas, de la même manière, l'ensemble des professions de santé avec lesquelles les infirmiers travaillent quotidiennement. Avis défavorable.

L'amendement COM-65 n'est pas adopté.

M. Jean Sol, rapporteur. - L'amendement COM-86 vise à supprimer les dispositions relatives aux soins relationnels, introduites en séance publique par l'Assemblée nationale.

L'amendement COM-86 est adopté.

M. Jean Sol, rapporteur. - Les amendements identiques COM-67 et COM-30 visent à ajouter la gestion et la prévention des crises - sanitaires, terroristes, environnementales - aux missions des infirmiers.

Ces actions sont déjà couvertes par les missions prévues. La profession souhaite s'en tenir à un nombre resserré de missions générales, qui seront précisées par voie réglementaire. Avis défavorable.

L'amendement COM-35 tend à ajouter la participation à la réponse de l'État face aux crises sanitaires et aux situations d'urgence aux missions de la profession infirmière. De la même manière, ces actions sont déjà couvertes par les missions prévues et la profession souhaite s'en tenir à un nombre resserré de missions générales. Avis défavorable.

Les amendements identiques COM-69 et COM-31 prévoient d'ajouter la participation à la démarche d'accompagnement du patient face aux risques environnementaux parmi les missions des infirmiers. Avis défavorable pour les mêmes raisons.

Les amendements identiques COM-67 et COM-30, l'amendement COM-35 et les amendements identiques COM-69 et COM-31 ne sont pas adoptés.

M. Jean Sol, rapporteur. - L'amendement COM-72 vise à ajouter la participation à la lutte contre la grande précarité sanitaire et sociale aux missions confiées à la profession infirmière. Or ces actions sont déjà couvertes par les missions prévues, et la profession souhaite s'en tenir à un nombre resserré de missions générales. Avis défavorable.

L'amendement COM-72 n'est pas adopté.

M. Jean Sol, rapporteur. - Les amendements identiques COM-51, COM-59 et COM-87 permettent une meilleure reconnaissance des sciences infirmières. Avis favorable.

Les amendements identiques COM-51, COM-59 et COM-87 sont adoptés.

M. Jean Sol, rapporteur. - Les amendements COM-38 rectifié bis et COM-43 visent à préciser que les négociations relatives à la rémunération des infirmiers devront prendre en compte la pénibilité du métier.

Ajouter cette mention dans la loi semble dépourvu d'effet juridique, dans la mesure où elle ne contraindra pas le Gouvernement ni l'assurance maladie à augmenter les rémunérations infirmières à ce titre. Les négociations auxquelles participeront les syndicats d'infirmiers devraient déjà tenir compte de la forte pénibilité du métier et des risques associés. Avis défavorable.

Les amendements COM-38 rectifié bis et COM-43 ne sont pas adoptés.

L'article 1er est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Après l'article 1er

M. Jean Sol, rapporteur. - Les amendements identiques COM-3, COM-28, COM-44, COM-22 et COM-57 visent à permettre aux auxiliaires médicaux en pratique avancée d'exercer sous l'appellation de « profession médicale intermédiaire ».

Une telle dénomination pourrait attiser les tensions avec les professions médicales. Surtout, elle serait dépourvue d'effet juridique dans la mesure où le CSP ne prévoit pas de statut de profession médicale intermédiaire et ne définit, en conséquence, aucune mission ni compétence attachée. Avis défavorable.

Les amendements identiques COM-3, COM-28, COM-44, COM-22 et COM-57 ne sont pas adoptés.

M. Jean Sol, rapporteur. - Les amendements COM-4 et COM-23 visent à placer, en établissement de santé, les auxiliaires médicaux en pratique avancée sous la responsabilité du directoire de l'établissement.

Il ne semble pas opportun de contraindre ainsi, par la loi, l'organisation des hôpitaux ni d'imposer une organisation uniforme pour l'ensemble des établissements et des auxiliaires médicaux en pratique avancée. Avis défavorable.

Les amendements COM-4 et COM-23 ne sont pas adoptés.

Article 1erbis (nouveau)

M. Jean Sol, rapporteur. - L'article 1er bis transmis par l'Assemblée nationale permet de reconnaître la contribution des infirmiers aux soins de premier recours, mais supprime, ce faisant, la mention du médecin traitant dans les dispositions du CSP relatives à ces soins.

L'amendement COM-88 vise à compléter ces dispositions pour reconnaître conjointement les contributions du médecin traitant et des infirmiers, dont les infirmiers en pratique avancée, aux soins de premier recours. Cette reconnaissance conjointe apparaît pertinente : si le médecin traitant demeure le pivot du parcours de soins coordonné, chargé de l'orientation des patients et de la coordination des soins, la contribution des infirmiers aux soins de premier recours est importante et doit être mieux reconnue.

L'amendement COM-88 est adopté.

L'article 1er bis est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 1er ter (nouveau)

Mme Anne-Sophie Romagny, rapporteure. - Les amendements identiques COM-49, COM-50 et COM-60 tendent à supprimer l'article 1er ter, qui prévoit une évaluation des compétences systématique et un accompagnement renforcé des infirmiers reprenant leur activité après une longue interruption.

Si elle est perfectible, cette proposition nous semble compléter utilement les dispositifs existants en contribuant à la sécurité et à la qualité des soins. Avis défavorable.

Les amendements identiques COM-49, COM-50 et COM-60 ne sont pas adoptés.

Mme Anne-Sophie Romagny, rapporteure. - L'amendement COM-89 vise à réécrire l'article 1er ter afin de mieux encadrer le dispositif, de lui apporter sa pleine portée opérationnelle et de le sécuriser juridiquement. Il offre, outre des modifications rédactionnelles, trois apports principaux par rapport à la rédaction du texte transmis.

D'abord, cet amendement permet d'encadrer les cas dans lesquels les infirmiers ayant interrompu leur exercice seront soumis à une évaluation de leur aptitude, pour réserver cette procédure aux interruptions longues, supérieures à un seuil compris entre trois et six ans et dont la définition précise est renvoyée au décret.

En outre, cet amendement vise également à renforcer la portée opérationnelle du dispositif, en rendant obligatoire la proposition de réaliser une formation théorique ou un stage de remise à niveau lorsque l'évaluation d'aptitude fait apparaître une insuffisance professionnelle. Ces modalités sont présentées comme une simple possibilité dans le texte transmis. Le passage d'une épreuve d'aptitude validante resterait, quant à lui, une possibilité à la main de l'autorité compétente, à réserver aux cas où les doutes sur la compétence professionnelle sont les plus sérieux. L'amendement précise également que la formation théorique ou le stage de remise à niveau doivent être réalisés préalablement à la reprise d'activité.

Enfin, afin d'accorder au dispositif sa pleine portée opérationnelle et afin d'améliorer le suivi statistique des carrières des infirmiers, cet amendement a pour objet d'inscrire dans la loi l'obligation de déclarer à l'ordre des infirmiers toute interruption d'activité excédant un seuil défini par décret.

Mme Corinne Imbert. - J'entends la nécessité d'une remise à niveau en cas d'interruption longue, mais il convient de veiller à ne pas remettre en cause le diplôme.

L'amendement COM-89 est adopté.

L'article 1er ter est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Après l'article 1er ter (nouveau)

Mme Anne-Sophie Romagny, rapporteure. - Les amendements identiques COM-33, COM-77 et COM-96 rectifié visent à reconnaître les infirmiers scolaires comme des infirmiers de spécialité, aux côtés des infirmiers puériculteurs, des infirmiers anesthésistes et des infirmiers de bloc opératoire.

D'une part, il convient de dire que les spécialités infirmières sont définies au niveau réglementaire. Il revient donc au Gouvernement, et non au législateur, de consacrer de nouvelles spécialités.

D'autre part, la proposition de loi ouvre aux infirmiers en pratique avancée l'accès à l'exercice en établissement scolaire : il semble donc préférable que les infirmiers scolaires désireux d'évoluer professionnellement et d'obtenir des missions spécifiques se forment à la pratique avancée, plutôt que de créer une nouvelle spécialité infirmière.

Pour l'ensemble de ces raisons, nous sommes défavorables à ces amendements.

Les amendements identiques COM-33, COM-77 et COM-96 rectifié ne sont pas adoptés.

Article 1er quater (nouveau)

M. Jean Sol, rapporteur. - L'amendement COM-10 rectifié vise à supprimer les dispositions de l'article 1er quater réservant l'expérimentation aux actes ne relevant pas du rôle propre des infirmiers. Ce faisant, il a pour effet d'étendre le périmètre de l'expérimentation.

Il est intéressant que cette expérimentation porte sur des actes ne relevant pas du rôle propre des infirmiers, afin d'apprécier l'opportunité, sous forme expérimentale et à l'appui d'un rapport d'évaluation, de futures évolutions de compétences. Avis défavorable.

L'amendement COM-10 rectifié n'est pas adopté.

M. Jean Sol, rapporteur. - L'amendement COM-11 rectifié a pour objet de supprimer de l'article 1er quater les dispositions faisant de l'adhésion à une CPTS une condition suffisante à l'accès direct. Il est identique à l'amendement COM-90 que nous portons, notre avis est donc favorable.

Les amendements identiques COM-11 rectifié et COM-90 sont adoptés.

M. Jean Sol, rapporteur. - Par l'amendement COM-12 rectifié, l'expérimentation de l'accès direct aux infirmiers devra être encadrée par un protocole établi avec l'équipe de coordination.

Il semble préférable de laisser au décret le soin de fixer les conditions de mise en oeuvre adaptées aux actes qui seront inclus dans l'expérimentation. L'article prévoit, en outre, d'ores et déjà l'obligation pour l'infirmier de transmettre au médecin traitant un compte rendu des soins réalisés et de reporter ce dernier dans le dossier médical partagé du patient. Avis défavorable.

L'amendement COM-12 rectifié n'est pas adopté.

L'amendement rédactionnel COM-91 est adopté.

M. Jean Sol, rapporteur. - L'amendement COM-92 prévoit que le décret précisant les modalités de mise en oeuvre de l'expérimentation de l'accès direct aux infirmiers devra faire l'objet d'un avis préalable de la HAS et de l'Académie nationale de médecine. Une telle saisine est habituelle : elle était prévue, par exemple, dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2022 ayant autorisé l'expérimentation d'un accès direct aux masseurs-kinésithérapeutes et orthophonistes.

Afin que ces avis ne retardent pas la mise en oeuvre de l'expérimentation, l'amendement prévoit également qu'ils seront réputés émis en l'absence de réponse de la HAS ou de l'Académie nationale de médecine dans un délai de trois mois.

L'amendement COM-92 est adopté.

M. Jean Sol, rapporteur. - Afin que le rapport d'évaluation puisse éclairer le législateur en temps utile sur l'opportunité d'une généralisation, l'amendement COM-93 prévoit que celui-ci devra être remis au Parlement au plus tard six mois avant l'échéance de l'expérimentation. Il prévoit également que ce rapport devra se prononcer sur la pertinence d'une généralisation.

L'amendement COM-93 est adopté.

L'article 1er quater est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Après l'article 1er quater (nouveau)

M. Jean Sol, rapporteur. - Les amendements identiques COM-42, COM-53, COM-61 et COM-79 rectifié prévoient qu'un décret en Conseil d'État devra définir les exercices spécialisés exercés par les infirmiers nécessitant un diplôme de niveau master. L'objet vise, notamment, les infirmiers perfusionnistes, les infirmiers hygiénistes et les infirmiers de santé au travail, trois spécialisations qui sont très importantes et sont pour autant insuffisamment valorisées.

L'exercice infirmier, scindé entre le métier socle, les spécialités infirmières et la pratique avancée, s'inscrit déjà dans un paysage assez complexe, avec une articulation difficilement lisible entre ces catégories. Consacrer, à côté de cette hiérarchie, un nouveau statut d'exercice spécialisé pourrait conduire à limiter encore la clarté du droit. Il faudrait, de plus, éviter une gestion de la profession infirmière en silo, en multipliant les statuts qui peuvent être source de tensions au sein des établissements.

Créer un statut spécifique n'est par ailleurs pas nécessairement souhaitable pour les professionnels, par exemple s'il conduit à rigidifier les conditions de recrutement et d'exercice de ces infirmiers.

Du reste, la loi n'empêche pas, aujourd'hui, le Gouvernement de concevoir par voie réglementaire un statut spécifique pour ces exercices spécialisés. Nous vous proposons donc de retirer ces amendements ou, à défaut, émettrons un avis défavorable.

M. Khalifé Khalifé. - Le métier de perfusionniste, quoique très intéressant, est peu attractif et peu reconnu, cette profession étant désormais exercée pour moitié par des personnels infirmiers. Prenons garde à ne pas poursuivre dans cette direction.

M. Philippe Mouiller, président. - Vous pourriez les redéposer en vue de la séance publique. Il me semblerait utile de solliciter l'avis du Gouvernement sur ce point lors de la séance publique, si les rapporteurs en sont d'accord.

Les amendements identiques COM-42, COM-53, COM-61 et COM-79 rectifié ne sont pas adoptés.

Article 2

Mme Anne-Sophie Romagny, rapporteure. - Dans l'ensemble des lieux d'exercice ouverts aux IPA par la loi, la présence d'un médecin reste nécessaire : l'infirmier en pratique avancée exerce soit dans une équipe coordonnée par un médecin, soit en assistance d'un médecin. La rédaction de l'article 2 créerait un précédent en autorisant l'exercice en pratique avancée « au sein d'une équipe pluriprofessionnelle en établissement scolaire », sans médecin.

L'amendement COM-94 vise donc à sécuriser juridiquement le dispositif pour expliciter que l'exercice en pratique avancée au sein des établissements scolaires doit non seulement avoir lieu en équipe pluriprofessionnelle, mais également en lien avec un médecin. Ce dernier pourra notamment être un médecin scolaire ou le médecin traitant de l'enfant.

L'amendement COM-94 est adopté.

Mme Anne-Sophie Romagny, rapporteure. - L'amendement COM-39 rectifié bis tend à ce que les domaines d'intervention en pratique avancée soient définis par approche populationnelle.

Il s'agirait là d'une réforme d'ampleur, qui conduirait à des évolutions, voire des suppressions de mentions du diplôme d'IPA dont les effets sont mal anticipés, alors que ces mentions, créées il y a moins de dix ans, jouent un rôle décisif dans la structuration de l'exercice en pratique avancée. Notons par ailleurs que les deux mentions les plus suivies aujourd'hui présentent déjà, en quelque sorte, une approche populationnelle.

Bien que nous soyons sensibles au risque de surspécialiser les IPA, nous avons émis un avis défavorable face au risque de déstabiliser excessivement l'organisation de la pratique avancée infirmière et des études qui y conduisent.

L'amendement COM-39 rectifié bis n'est pas adopté.

Mme Anne-Sophie Romagny, rapporteure. - L'amendement COM-19 modifie un article de niveau réglementaire, ce que le législateur n'est pas fondé à faire. Il ne peut donc pas être adopté.

L'amendement COM-19 n'est pas adopté.

Mme Anne-Sophie Romagny, rapporteure. - L'amendement COM-95 vise à supprimer la demande de rapport sur les mentions du diplôme d'infirmier en pratique avancée, figurant à l'article 2, conformément à la position habituelle de la commission des affaires sociales en la matière.

L'amendement COM-95 est adopté. En conséquence, les amendements identiques COM-6, COM-18 et COM-55 deviennent sans objet.

Mme Anne-Sophie Romagny, rapporteure. - Conformément à la position habituelle de la commission, nous vous proposons d'émettre un avis défavorable à l'amendement COM-17, qui concerne une demande de rapport sur la création d'une convention ad hoc dédiée aux IPA.

L'amendement COM-17 n'est pas adopté.

L'article 2 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Après l'article 2

Mme Anne-Sophie Romagny, rapporteure. - L'amendement COM-13 rectifié vise à demander un rapport sur la prise en charge par l'assurance maladie des actes et examens effectués par les infirmiers puériculteurs dans les services départementaux de protection maternelle et infantile (PMI). Avis défavorable.

L'amendement COM-13 rectifié n'est pas adopté.

L'amendement COM-14 rectifié bis est retiré.

Mme Anne-Sophie Romagny, rapporteure. - Avec l'amendement COM-48 rectifié ter, la convention nationale des infirmiers prévoit les conditions de facturation des indemnités kilométriques des infirmiers, et précise notamment une définition nationale de l'agglomération. Cette convention prévoit aujourd'hui que la définition des agglomérations soit renvoyée à des accords locaux, conclus à l'échelle départementale par les caisses primaires d'assurance maladie (CPAM).

Cette pratique est source d'inéquité entre les infirmiers diplômés d'État (IDE) libéraux sur le territoire, les conditions fixées pour facturer des indemnités kilométriques pouvant varier substantiellement entre les territoires. Il semble donc pertinent de renvoyer plutôt la définition de l'agglomération à la convention nationale, d'autant que le code de la route prévoit déjà des dispositions à ce sujet. Nous émettons donc un avis favorable sur cet amendement, qui sera également l'occasion d'attirer plus largement l'attention sur le sujet des indemnités kilométriques.

L'amendement COM-48 rectifié ter est adopté et devient article additionnel.

Mme Anne-Sophie Romagny, rapporteure. - Les amendements identiques COM-80 et COM-97 rectifié visent à reconnaître les infirmiers de santé au travail comme une spécialité infirmière.

Pour valoriser davantage cette profession en souffrance, il semble plus pertinent de sensibiliser le Gouvernement à l'importance de créer une mention de diplôme d'IPA spécifique aux infirmiers de santé au travail, comme nous souhaitons le faire en vue de la séance publique. La pratique avancée offrirait en effet aux infirmiers en santé au travail des perspectives d'évolution professionnelle satisfaisantes et des potentialités de bénéficier de compétences élargies.

Rappelons que, depuis 2022, la loi rend possible l'exercice en pratique avancée dans des services de prévention et de santé au travail, mais ces dispositions n'ont pas été suivies de la création d'une mention ad hoc du diplôme d'IPA, ce qui limite son effectivité.

Nous émettons donc un avis défavorable sur ces amendements.

Les amendements identiques COM-80 et COM-97 rectifié ne sont pas adoptés.

Article 3

L'article 3 est adopté sans modification.

La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.

La réunion est close à 16 h 50.

TABLEAU DES SORTS

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

Article 1er
Refonte du cadre législatif applicable à la profession infirmière

M. HENNO

45

Ajout de dispositions prévoyant que l'infirmier exerce en toute autonomie et en responsabilité de ses actes

Rejeté

M. PATRIAT

68 rect.

Ajout de dispositions prévoyant que l'infirmier exerce en toute autonomie et en responsabilité de ses actes

Rejeté

Mme SOUYRIS

74

Ajout de dispositions prévoyant que l'infirmier exerce en toute autonomie et en responsabilité de ses actes

Rejeté

Mme MICOULEAU

37 rect. bis

Ajout de dispositions prévoyant que l'infirmier exerce en toute autonomie et en responsabilité de ses actes

Rejeté

M. KHALIFÉ

71

Application des dispositions quel que soit le lieu d'exercice

Rejeté

M. SOL, rapporteur

81

Amendement rédactionnel

Adopté

M. SOL, rapporteur

82

Coordination avec les autres professionnels de santé

Adopté

M. SOL, rapporteur

83

Ajout d'un avis de l'Académie nationale de médecine sur la liste des produits de santé et examens pouvant être prescrits par les infirmiers

Adopté

Mme SOUYRIS

75

Contribution de l'infirmier à l'intérêt global du patient

Rejeté

Mme SOUYRIS

76

Caractère non limitatif de la liste des missions infirmières

Rejeté

M. SOL, rapporteur

84

Précision de la mission relative à la conciliation médicamenteuse

Adopté

Mme SOUYRIS

62

Ajout de l'évaluation et de la prévention de la perte d'autonomie parmi les missions des infirmiers

Rejeté

M. SOL, rapporteur

85

Recentrage de l'accès direct sur les actes du rôle propre infirmier

Adopté

Mme SOUYRIS

65

Exercice de certaines missions infirmières en lien avec les associations agréées

Rejeté

M. SOL, rapporteur

86

Suppression des dispositions détaillant le contenu et l'objectif des soins relationnels apportés

Adopté

Mme SOUYRIS

67

Ajout de la gestion et de la prévention des crises sanitaires, crises terroristes et des catastrophes environnementales parmi les missions des infirmiers

Rejeté

Mme BONFANTI-DOSSAT

30

Ajout de la gestion et de la prévention des crises sanitaires, crises terroristes et des catastrophes environnementales parmi les missions des infirmiers

Rejeté

Mme AESCHLIMANN

35

Ajout de la participation à la réponse de l'État face aux crises sanitaires et aux situations d'urgence parmi les missions des infirmiers

Rejeté

Mme SOUYRIS

69

Ajout de la participation à la démarche d'accompagnement du patient face aux risques environnementaux parmi les missions des infirmiers

Rejeté

Mme BONFANTI-DOSSAT

31

Ajout de la participation à la démarche d'accompagnement du patient face aux risques environnementaux parmi les missions des infirmiers

Rejeté

M. KHALIFÉ

72

Ajout de la lutte contre la grande précarité sanitaire et sociale parmi les missions des infirmiers

Rejeté

Mme BOURCIER

51 rect.

Ajout de la notion de recherche en sciences infirmières parmi les missions des infirmiers

Adopté

Mme DOINEAU

59

Ajout de la notion de recherche en sciences infirmières parmi les missions des infirmiers

Adopté

M. SOL, rapporteur

87

Ajout de la notion de recherche en sciences infirmières parmi les missions des infirmiers

Adopté

Mme MICOULEAU

38 rect. bis

Prise en compte de la pénibilité dans le cadre des négociations relatives à la rémunération des infirmiers

Rejeté

M. HENNO

43

Prise en compte de la pénibilité dans le cadre des négociations relatives à la rémunération des infirmiers

Rejeté

Articles additionnels après l'article 1er

Mme HOUSSEAU

3

Exercice en pratique avancée sous l'appellation de profession médicale intermédiaire

Rejeté

Mme MULLER-BRONN

28

Exercice en pratique avancée sous l'appellation de profession médicale intermédiaire

Rejeté

M. HENNO

44

Exercice en pratique avancée sous l'appellation de profession médicale intermédiaire

Rejeté

M. BURGOA

22

Exercice en pratique avancée sous l'appellation de profession médicale intermédiaire

Rejeté

Mme BRULIN

57

Exercice en pratique avancée sous l'appellation de profession médicale intermédiaire

Rejeté

Mme HOUSSEAU

4

Positionnement des auxiliaires médicaux en pratique avancée sous la responsabilité du directoire de l'établissement

Rejeté

M. BURGOA

23

Positionnement des auxiliaires médicaux en pratique avancée sous la responsabilité du directoire de l'établissement

Rejeté

Article 1er bis (nouveau)
Contribution des infirmiers aux soins de premier recours

M. SOL, rapporteur

88

Mention des médecins traitants parmi les professionnels impliqués dans les soins de premier recours

Adopté

Article 1er ter (nouveau)
Conditionner la reprise d'activité des infirmiers à une évaluation des compétences

Mme BRULIN

49

Suppression de l'article

Rejeté

Mme AESCHLIMANN

50

Suppression de l'article

Rejeté

Mme DOINEAU

60

Suppression de l'article

Rejeté

M. SOL, rapporteur

89

Encadrement et sécurisation juridique de l'évaluation de la compétence professionnelle des infirmiers reprenant leur exercice après une longue période d'interruption

Adopté

Articles additionnels après l'article 1er ter (nouveau)

Mme BILLON

33

Définition des infirmiers scolaires comme des spécialités infirmières

Rejeté

Mme SOUYRIS

77

Définition des infirmiers scolaires comme des spécialités infirmières

Rejeté

Mme GUILLOTIN

96 rect.

Définition des infirmiers scolaires comme des spécialités infirmières

Rejeté

Article 1er quater (nouveau)
Expérimentation d'un accès direct aux infirmiers exerçant dans des structures d'exercice coordonné

Mme GUILLOTIN

10 rect.

Suppression de la mention des actes ne relevant pas du rôle propre des infirmiers

Rejeté

Mme GUILLOTIN

11 rect.

Suppression des dispositions faisant de l'adhésion aux CPTS une condition suffisante à l'accès direct

Adopté

M. SOL, rapporteur

90

Suppression des dispositions faisant de l'adhésion aux CPTS une condition suffisante à l'accès direct

Adopté

Mme GUILLOTIN

12 rect.

Ajout d'un protocole établi avec l'équipe de coordination

Rejeté

M. SOL, rapporteur

91

Amendement rédactionnel

Adopté

M. SOL, rapporteur

92

Ajout d'un avis de la HAS et de l'Académie nationale de médecine sur les modalités de mise en oeuvre de l'expérimentation

Adopté

M. SOL, rapporteur

93

Avancement du délai de remise du rapport d'évaluation

Adopté

Articles additionnels après l'article 1er quater (nouveau)

M. KHALIFÉ

42

Reconnaissance des exercices spécialisés par les infirmiers nécessitant un diplôme universitaire de niveau master

Rejeté

Mme BOURCIER

53 rect.

Reconnaissance des exercices spécialisés par les infirmiers nécessitant un diplôme universitaire de niveau master

Rejeté

Mme DOINEAU

61

Reconnaissance des exercices spécialisés par les infirmiers nécessitant un diplôme universitaire de niveau master

Rejeté

M. THÉOPHILE

79 rect.

Reconnaissance des exercices spécialisés par les infirmiers nécessitant un diplôme universitaire de niveau master

Rejeté

Article 2
Ouvrir la reconnaissance de l'exercice des infirmiers de spécialité en tant que pratique avancée

M. SOL, rapporteur

94

Subordination de l'exercice en pratique avancée en établissement scolaire à un lien avec le médecin

Adopté

Mme MICOULEAU

39 rect. bis

Définition des domaines d'intervention en pratique avancée par approche populationnelle

Rejeté

M. BURGOA

19

Ouverture aux IPA de la réalisation de certains certificats médicaux

Rejeté

M. SOL, rapporteur

95

Suppression de la demande de rapport

Adopté

Mme HOUSSEAU

6

Recentrage des domaines d'intervention des infirmiers en pratique avancée autour d'approches populationnelles

Rejeté

M. BURGOA

18

Recentrage des domaines d'intervention des infirmiers en pratique avancée autour d'approches populationnelles

Rejeté

Mme BOURCIER

55 rect.

Recentrage des domaines d'intervention des infirmiers en pratique avancée autour d'approches populationnelles

Rejeté

M. BURGOA

17

Demande de rapport sur la création d'une convention des infirmiers en pratique avancée

Rejeté

Articles additionnels après l'article 2

Mme GUILLOTIN

13 rect.

Demande de rapport sur la prise en charge par l'assurance maladie des actes et examens effectués par les infirmiers puériculteurs dans les services départementaux de protection maternelle et infantile

Rejeté

Mme GUILLOTIN

14 rect. bis

Demande de rapport sur l'encadrement de l'exercice des infirmiers perfusionnistes

Retiré

Mme DEMAS

48 rect. ter

Précision des conditions de facturation des indemnités kilométriques des infirmiers au sein de leur convention

Adopté

Mme SOUYRIS

80

Reconnaissance des infirmiers du travail comme une spécialité infirmière

Rejeté

Mme GUILLOTIN

97 rect.

Reconnaissance des infirmiers du travail comme une spécialité infirmière

Rejeté

Mercredi 30 avril 2025

- Présidence de M. Jean Sol, vice-président -

La réunion est ouverte à 9 h 5.

Audition de Mme Sarah El Haïry, haute-commissaire à l'enfance

M. Jean Sol, président. - Nous allons entendre ce matin Mme Sarah El Haïry, nommée haute-commissaire à l'enfance par un décret du Président de la République en date du 5 mars dernier.

Je vous indique que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo. Elle est retransmise en direct sur le site du Sénat et sera disponible en vidéo à la demande.

Madame la haute-commissaire, la commission vous avait entendue l'année dernière dans vos précédentes fonctions de ministre déléguée chargée de l'enfance, de la jeunesse et des familles.

Vous pourrez sans doute nous préciser comment se situe votre haut-commissariat dans l'architecture administrative, la façon dont vous concevez votre rôle et, bien sûr, sur le fond, votre feuille de route et les principaux objectifs que vous vous assignez.

Pour votre parfaite information, je vous précise que notre commission et la commission des lois viennent de lancer conjointement une mission d'information sur l'aide sociale à l'enfance (ASE), dont les travaux devraient être complémentaires par rapport à ceux de nos collègues députés.

Je vous propose de procéder à un propos liminaire dans lequel vous pourrez développer ces différents points. Les commissaires qui le souhaiteront pourront ensuite vous interroger, à commencer par le rapporteur pour la branche famille, Olivier Henno, et les rapporteurs de notre mission sur l'ASE, Pascale Gruny et Anne-Marie Nédélec.

Mme Sarah El Haïry, haute-commissaire à l'enfance. - Je suis très heureuse d'être de nouveau parmi vous pour vous présenter ma feuille de route ainsi que la méthodologie des travaux qui seront menés dans ce cadre.

J'ai exercé les fonctions de ministre déléguée chargée de l'enfance, de la jeunesse et des familles, après avoir assuré la responsabilité de la politique de la jeunesse durant les quatre années précédentes.

La mission qui m'amène à être auditionnée devant vous est plus opérationnelle, dans la mesure où le décret du 10 février 2025 instituant un haut-commissaire à l'enfance prévoit une intervention dans des champs politiques identifiés : le soutien à la parentalité, la petite enfance, la protection de l'enfance - notamment à travers l'accompagnement de l'ASE et la lutte contre les violences faites aux enfants -, la santé de l'enfant et l'adoption.

Compte tenu des urgences qui ont été mises en évidence, des axes prioritaires m'ont été clairement assignés à l'issue d'échanges avec le Premier ministre, la ministre Catherine Vautrin, la ministre de l'éducation nationale et le ministre de la justice.

L'actualité rappelle combien il est important de construire une véritable politique publique de prévention et de lutte contre les violences faites aux enfants. Nous ne partons pas de rien : des actions sont menées, des associations engagées, des missions existent et des campagnes d'information sont déjà en place. Ma mission consiste à dynamiser, coordonner et accompagner une approche cohérente pour bâtir cette politique publique.

Je travaille notamment à l'instruction des recommandations de la Commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise), remises en février 2025, et à l'analyse du plan de lutte 2023-2027 contre les violences faites aux enfants. Cette analyse s'appuie sur l'évaluation, la consultation des acteurs et la proposition d'améliorations. Il s'agit de veiller à la mise en oeuvre du plan, sans attendre 2027 pour constater d'éventuels manquements.

Des améliorations significatives doivent également être apportées dans le champ de l'adoption, grâce à l'appui du Conseil national de l'adoption (CNA) et du Conseil national pour l'accès aux origines personnelles (CNAOP). Il s'agit de répondre aux recommandations formulées sur l'adoption internationale, qui connaît aujourd'hui une faiblesse notable - avec moins de 100 adoptions par an.

Des travaux sont conduits avec les départements sur l'accompagnement des familles qui disposent d'un agrément. Le constat est celui de procédures extrêmement longues, tant pour l'adoption que pour le délaissement, au détriment du projet et de l'intérêt de l'enfant. Des évolutions positives sont en cours, mais un écart persiste : plus de 10 000 familles détiennent un agrément, tandis que plus de 5 000 enfants éligibles à l'adoption ne sont toujours pas accueillis.

Le principal enjeu est de sécuriser le foyer familial. Une piste remontant de plusieurs départements consisterait à permettre aux familles adoptantes d'obtenir également un agrément d'assistant familial, afin d'accueillir plus tôt des tout-petits, en particulier en sortie de pouponnière.

Les travaux que je mène sur l'adoption visent à élargir les critères pour en faciliter l'accès et à mieux prendre en charge les fratries. Aujourd'hui, des enfants pupilles peinent à trouver une famille, principalement parce que la moitié d'entre eux ont plus de 7 ans, et que les autres font partie d'une fratrie ou sont en situation de handicap. Le déploiement du fichier national permettra un accompagnement renforcé.

Un autre enjeu majeur est la prévention des placements d'enfants, qui passe par le soutien à la parentalité, l'accompagnement au répit et à la santé ainsi que la création d'un écosystème aux côtés des parents. L'objectif est d'éviter que 70 % des décisions de placement ne soient judiciaires.

Je ne dirai jamais qu'il y a trop de signalements, car signaler, c'est éviter le pire. Les professionnels sont là pour évaluer la situation. Cependant, il faut prévenir les placements, ce qui passe par une politique de soutien à la parentalité bien en amont et par des mesures permettant de préparer le retour des enfants. L'intérêt de l'enfant doit toujours primer. De nombreuses lois ont été votées, telles que la loi du 21 février 2022 visant à réformer l'adoption (Limon) et la loi du 7 février 2022 relative à la protection des enfants (Taquet). Mais comment les mettre en oeuvre ? La recherche de l'entourage ainsi que le statut de tiers digne de confiance sont des exemples concrets d'accompagnement des enfants.

Il est nécessaire d'intégrer de nouveaux défis, notamment ceux qui sont liés aux écrans et à leurs conséquences selon les âges, particulièrement chez les tout-petits. Plusieurs travaux parlementaires ont abordé la question de la présence des écrans dans les crèches, chez les assistants maternels et dans le cadre du contrôle de la protection maternelle et infantile (PMI).

À cet égard, la loi du 7 juillet 2023 visant à instaurer une majorité numérique et à lutter contre la haine en ligne (dite loi Marcangeli) a interdit l'inscription sur les réseaux sociaux avant l'âge de 15 ans en raison de leurs effets sur le sommeil, l'apprentissage, le langage et la santé mentale des jeunes. La Société française de pédiatrie a aussi souligné les risques pour le neuro-développement et la chronobiologie.

Il ne suffit pas d'interdire ; il faut informer clairement, former les professionnels, prévoir des espaces d'accueil pour les enfants et accompagner les parents avec des ateliers de parentalité, notamment pour le numérique. Les jeunes savent contourner les contrôles parentaux, il est donc important de les sensibiliser. Enfin, il est essentiel de promouvoir le sport, l'engagement et une approche bienveillante et cohérente au sein de l'éducation nationale - un couvre-feu pour l'utilisation des espaces numériques de travail (ENT) comme Pronote pourrait réduire l'anxiété des jeunes.

L'addictologie est également un sujet important, car certains algorithmes favorisent l'addiction. L'OMS a reconnu que les jeux vidéo pouvaient être addictogènes. Et l'hôpital Robert-Debré accueille des enfants de trois ans présentant déjà des troubles du comportement, alors que les premières années sont cruciales pour le développement cognitif.

J'en viens au développement du service public de la petite enfance. Il existe un vrai enjeu territorial de la qualité de l'offre d'accueil. Bien que des progrès aient été réalisés, l'accueil, qu'il soit individuel ou collectif, est soumis à de fortes tensions. Le recrutement, le financement et l'attractivité du métier restent problématiques. Ce sujet sera porté par Catherine Vautrin lors de la négociation de la prochaine convention d'objectifs et de gestion (COG). Mon rôle est d'être aux côtés du bloc communal et intercommunal pour accompagner les meilleures initiatives et maintenir certaines offres.

En conclusion, la mission que je mène est à la fois très interministérielle et opérationnelle. J'accompagne la mise en oeuvre de politiques décentralisées, en travaillant avec les collectivités compétentes afin d'identifier et de faire remonter des solutions. Cela concerne, d'une part, le bloc communal et intercommunal pour la petite enfance, le soutien à la parentalité ou la participation des enfants, et de l'autre, le bloc départemental, avec lequel Catherine Vautrin mènera une partie de la refonte de la protection de l'enfance dans le cadre de la conférence des financeurs. Nous discutons également de la fidélisation et la transversalité des métiers du soin.

Je collabore plus particulièrement avec quatre ministres : la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles et son ministre chargé de la santé, la ministre de l'éducation nationale et le ministre de la justice. En effet, leurs domaines d'action sont liés aux enjeux de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), du rôle du juge des enfants et du juge aux affaires familiales (JAF). Il est essentiel de partir du projet de l'enfant, de sécuriser son parcours de sortie et de mettre en place des actions de prévention.

M. Olivier Henno. - J'aurai trois questions à vous poser.

Premièrement, avec mes collègues Émilienne Poumirol et Laurence Muller-Bronn, nous avons présenté récemment un rapport d'information sur l'efficacité du contrôle des établissements d'accueil du jeune enfant et sur ses éventuelles défaillances. Nous avons constaté une crise d'attractivité des métiers de la petite enfance, qui, en plus d'une rémunération insuffisante, souffrent d'un manque de considération, d'estime, et de mauvaises conditions de travail. Quelles solutions envisagez-vous pour remédier à cette situation ?

Deuxièmement, je reviendrai sur l'ASE, que vous avez évoquée. Dans le département du Nord, la situation a changé de manière significative depuis la crise du covid. Le nombre d'enfants accueillis a continué d'augmenter, et l'attractivité des métiers, notamment des assistants familiaux, est un enjeu majeur. Or nombre d'entre eux sont sur le point de partir à la retraite, et les vocations se font rares.

Troisièmement, enfin, le covid a amplifié un phénomène préoccupant : 24 % des jeunes déclarent souffrir de problèmes psychologiques. Quels dispositifs de soutien prévoyez-vous pour assurer une couverture équitable sur l'ensemble du territoire ?

Mme Pascale Gruny. - Nous allons travailler très prochainement avec la commission des lois sur la protection de l'enfance, un secteur qui traverse une véritable crise depuis plusieurs années. Nos travaux auront pour objectif de proposer des solutions concrètes, notamment sur les modalités d'exécution des décisions de justice et la prise en charge des jeunes majeurs à leur sortie de l'ASE.

Le décret de création du haut-commissariat à l'enfance place la protection de l'enfance au coeur de vos nombreuses missions. Mme la ministre Catherine Vautrin a d'ailleurs indiqué que le haut-commissariat pourrait assurer une approche globale des politiques de protection de l'enfance, sans toutefois donner plus de précision.

Dans ce cadre, comment intégrer au mieux les missions du haut-commissariat dans la gouvernance de la protection de l'enfance, dont la complexité a été signalée dans les récents rapports du Conseil économique, social et environnemental (Cese) et de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale ? Quelles seront vos priorités d'action en la matière ?

J'évoquerai aussi la période charnière de préparation à l'autonomie des jeunes de 16 à 18 ans pris en charge par l'ASE. Cette phase est déterminante pour leur avenir académique et professionnel. Or force est de constater que, malgré les dispositifs existants, de nombreux jeunes confiés à l'ASE rencontrent d'importantes difficultés au moment de cette transition : les parcours sont souvent chaotiques, les orientations subies et l'accompagnement peine à s'adapter à la diversité des profils et des aspirations.

Dans ce contexte, quelle est votre vision stratégique pour transformer l'accompagnement de ces jeunes, afin que ladite période devienne véritablement un tremplin vers l'insertion, et non une source d'inquiétude ? Les cas de prostitution des jeunes placés sont particulièrement préoccupants. Comment envisagez-vous de mobiliser l'ensemble des acteurs concernés pour construire des parcours personnalisés, respectueux des ambitions des jeunes comme des réalités du marché de l'emploi ? À cet égard, certaines propositions de nos collègues députés sont intéressantes, mais leur financement reste à clarifier.

Enfin, dans son dernier rapport annuel, la Cour des comptes alerte sur le nombre encore trop élevé de sorties dites « sèches » des dispositifs de protection de l'enfance. Pourtant, la loi impose de proposer une solution aux jeunes sortant de l'ASE jusqu'à l'âge de 21 ans, lorsqu'ils ne disposent ni de ressources ni d'un soutien familial. Les jeunes majeurs représentent d'ailleurs une part croissante des bénéficiaires de cet accueil : 18,9 % en 2021, contre 11,7 % en 2017. Quelles actions entendez-vous mettre en oeuvre à ce sujet ?

Je conclurai en rendant hommage au fondateur de SOS Villages d'enfants, Gilbert Cotteau, qui est décédé lundi. Il avait notamment entrepris un important travail sur les fratries.

Mme Anne-Marie Nédélec. - Notre ambition est la même : dresser un bilan de la situation, mais surtout trouver des solutions rapides sur des points spécifiques.

Je voudrais aborder deux points.

Le premier est la situation des assistants familiaux, qui pose d'importants problèmes partout, y compris dans mon département. Cette profession, bien qu'indispensable, est en crise depuis plusieurs années. Les effectifs ont baissé de près de 10 % en six ans. La loi du 7 février 2022 a apporté des améliorations, mais les difficultés de recrutement et d'attractivité perdurent. Quelles pistes étudiez-vous pour pallier cette situation ? Pouvez-vous détailler votre plan d'action ?

Le second concerne les disparités territoriales dans la transition numérique du secteur de l'ASE. Les systèmes d'information sont inégalement développés selon les départements, ce qui complique le suivi des parcours et l'interopérabilité des outils numériques. Avez-vous engagé un plan pour harmoniser et moderniser ces outils ? Comment comptez-vous utiliser les nouvelles technologies pour améliorer le suivi administratif et favoriser l'émancipation des jeunes placés ?

Mme Sarah El Haïry. - Monsieur Henno, l'attractivité des métiers du soin touche plusieurs secteurs : la petite enfance, l'ASE, l'inclusion et l'autonomie. C'est un problème global, et Mme la ministre Catherine Vautrin a lancé une campagne d'information pour redécouvrir ces métiers et mieux accompagner les parcours.

La petite enfance revêt deux sujets : la reconnaissance sociale et la place qu'occupent les professionnels concernés. Il faut changer le regard porté sur ces métiers, qui ne se limitent pas à la garde d'enfants, mais consistent en un véritable accompagnement pédagogique.

La validation des acquis de l'expérience (VAE) n'est pas suffisamment développée, ce qui explique en partie le manque criant d'éducateurs de jeunes enfants ou d'auxiliaires de puériculture. Des pistes très opérationnelles sont à l'étude, comme un plan de reconversion pour les plus de 50 ans. Les résultats sont probants pour l'accompagnement des jeunes, un peu moins pour la petite enfance.

Par ailleurs, la question des rémunérations, portée par la ministre Catherine Vautrin, est en discussion dans le cadre de la COG.

J'en viens à la situation des assistants familiaux.

Une solution pourrait consister à réduire la judiciarisation, en favorisant la recherche de l'entourage et le statut de tiers digne de confiance, tout en accompagnant de nouveaux profils d'assistants familiaux. Mais cela suppose un processus de « désinstitutionnalisation ». Actuellement, de nombreux présidents de départements déplorent les mauvaises conditions d'accueil face à l'urgence. Pour les enfants de moins de 3 ans, il faut revenir à l'esprit de la loi du 7 février 2022 relative à la protection des enfants, dite loi Taquet : le lieu d'accueil doit rester temporaire et le lien familial préservé. Le prochain décret sur le taux d'encadrement des pouponnières sera crucial, mais sans mesures concrètes, un voeu pieux ne changera pas le quotidien des enfants...

En revanche, on ne peut rester sans aucune règle. Il faut accélérer le recrutement d'assistants familiaux, en encourageant en particulier le cumul d'activité. Alors que celui-ci est possible sous régime de droit privé ou libéral, des freins persistent pour les agents de la fonction publique. Selon nos premiers retours, une évolution législative est nécessaire. Pour faciliter le travail de ces professionnels, qui n'ont peut-être pas toujours vocation à accueillir plusieurs enfants, ou des enfants avec des besoins spécifiques, il faut peut-être des profils nouveaux et différents.

Les questions thérapeutiques rencontrent beaucoup d'intérêt. Il y a un certain temps, des assistants familiaux thérapeutiques étaient déployés pour accueillir les enfants placés sous notre protection qui sont malades et ont besoin d'un accueil particulier. Il y a en la matière des recrutements à faire.

Il faut soutenir ces professionnels et partager les bonnes pratiques pour assurer une meilleure connaissance et l'évolution du métier d'assistant familial, qui connaît un vieillissement. Comme pour la petite enfance, il y a un vrai risque qu'un accueil de bonne qualité ne puisse plus être assuré. Il faut accélérer les recrutements, en ouvrant ces métiers à de nouveaux profils.

Monsieur le sénateur Henno, la santé mentale est la grande cause de l'année. Nous disposons de certains dispositifs, comme MonParcoursPsy, qui permet le remboursement de douze séances, que le ministre de la santé s'attache à ouvrir à de nouveaux profils. J'étais hier aux assises de la pédiatrie et de la santé des enfants : la situation en pédopsychiatrie est particulièrement dramatique. En matière de prévention, il faut aussi prendre en compte les conséquences de la surexposition des enfants aux écrans, qui n'améliore pas la santé mentale des jeunes.

Madame la sénatrice Gruny, vous m'avez questionnée sur l'accès aux droits communs des jeunes majeurs. L'accompagnement entre 16 et 18 ans est particulièrement important, que les jeunes soient placés dans des institutions, recueillis par des assistants familiaux ou des tiers dignes de confiance, accueillis dans le cadre d'un accueil durable bénévole, ou encore dans celui d'une action éducative en milieu ouvert (AEMO). La désinstitutionnalisation et l'accompagnement aux droits communs sont deux leviers, mais les jeunes en question ne connaissent parfois pas leurs droits. Lundi, j'ai rencontré à Marseille des représentants de l'association départementale d'entraide entre les pupilles ou anciens pupilles de l'État (Adepape) avec la présidente du conseil départemental des Bouches-du-Rhône, Mme Vassal : la difficulté d'accès aux droits communs existe déjà en général chez les jeunes, mais nous devons aux jeunes enfants placés un accompagnement plus fort et plus précoce.

Il faut également accompagner les éducateurs, qui indiquent souvent ne pas avoir les moyens de connecter le projet de l'enfant et l'accès aux droits communs. Or la préparation du projet de l'enfant est prévue par la loi : c'est un élément essentiel, qu'il faut rendre opérationnel. Il y a de nombreux décrochages scolaires, de réelles pertes de chances. Évidemment, la lutte contre les sorties sèches de l'ASE participe également à traiter le sujet, en particulier pour les 18-21 ans. Si l'on est seul dans la société, sans famille, il est plus difficile de se construire. Il faut garantir un entourage permettant l'accompagnement de ces jeunes, tout au long de leur vie, pour limiter les risques de solitude et de précarité. Les décrets relatifs au parrainage ou à l'accompagnement dans le cadre d'associations comme les Adepape y veillent.

Au-delà de la crise de l'attractivité, vous avez également souligné la disparité des systèmes d'information. Je n'ai malheureusement que très peu de solutions sur ce sujet qu'il faudrait regarder de plus près dans les départements, pour évaluer les besoins. Nous intervenons en soutien et en coordination, dans le respect des principes de la décentralisation. L'accès des jeunes à leur pécule fournit par exemple une illustration immédiate de ces enjeux : les inégalités entre territoires sont extrêmement fortes, et nous discutons avec la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) pour savoir qui a le droit de contacter le jeune en question.

Mme Christine Bonfanti-Dossat. - Une de vos missions est de protéger les enfants dans le champ numérique et de lutter contre les fléaux qui lui sont associés. Dans une tribune publiée hier dans Le Figaro, Gabriel Attal a proposé l'instauration d'un couvre-feu numérique. Cette proposition-choc est inspirée de la Grande-Bretagne, qui souhaite fermer l'accès aux réseaux sociaux entre 22 heures et 8 heures du matin pour les 15-18 ans, et les interdire aux moins de 15 ans. Ces propositions, à mon sens très pertinentes, sont-elles réalisables ?

Mme Jocelyne Guidez. - Quand une famille d'accueil recueille un enfant, il ne le connaît pas. Or celui-ci peut avoir des comportements particuliers, en raison de son vécu ou de troubles du neurodéveloppement, qu'il s'agisse de troubles du spectre de l'autisme ou de troubles du déficit de l'attention avec ou sans hyperactivité (TDAH). Ces enfants sont-ils diagnostiqués et, le cas échéant, suivis ? Collaborez-vous avec les services des ministères de la santé, de l'autonomie et du handicap pour assurer un suivi particulier de ces enfants, qui sont par ailleurs souvent en échec scolaire ? La santé mentale ne concerne pas que les problèmes de dépression, elle concerne également ces enfants.

Mme Anne-Sophie Romagny. - Quelle est votre position sur l'encadrement du recours aux hôtels pour l'hébergement des enfants placés ? Une interdiction nationale est-elle envisagée ? Des mesures concrètes d'harmonisation des pratiques des départements sur les parcours de l'ASE sont-elles envisagées ?

Durant les vacances et les week-ends, une solution alternative aux familles d'accueil existe : le parrainage. Comment mieux le faire connaître du grand public ?

Un rapport de la Cour des comptes datant de 2023 soulignait le manque criant de moyens dont souffre la pédopsychiatrie. Quels financements supplémentaires sont-ils prévus pour les centres médico-psychologiques (CMP) et les centres médico-psycho-pédagogiques (CMPP) ?

Concernant les enfants en situation de handicap, le recrutement et la formation des accompagnants d'élèves en situation de handicap (AESH) sont-ils intégrés à votre feuille de route ? Dans la Marne, l'école de Bezannes avait été conçue pour accueillir une unité d'enseignement externalisée (UEE), mais l'absence de financement des deux postes prévus compromet cette belle initiative.

Mme Cathy Apourceau-Poly. - Il y a de nombreux sujets - les assistants familiaux, les conditions de travail et de rémunération, la reconnaissance du métier, etc. -, mais je concentrerai mon propos sur deux points.

Les pouponnières deviennent un vrai problème : ces dix dernières années, le nombre d'enfants qui y sont placés a augmenté de 40 %. Des enfants d'à peine quelques jours y entrent pour en sortir à 3 ou à 4 ans, sans jamais avoir connu de famille d'accueil, alors qu'ils sont parfois adoptables. Comment accélérer l'adoption de ces enfants ?

Un autre sujet m'interpelle : la prostitution des mineurs placés dans les structures de l'ASE. Des enfants de 12 ou 13 ans sont drogués, prostitués, exploités par des proxénètes. Comment mieux les protéger ?

Mme Sarah El Haïry. - Madame la sénatrice Bonfanti-Dossat, sur le couvre-feu numérique, il faut des actes forts et fermes. Nous devons réussir à embarquer nos partenaires dans les négociations européennes pour imposer aux plateformes la notion de majorité à 15 ans sur les réseaux sociaux. Techniquement, cette mesure est tout à fait faisable. La ministre déléguée chargée de l'intelligence artificielle et du numérique, plus compétente que moi sur ce sujet, confirmera sûrement que l'argument technique n'est pas recevable. Elle a d'ailleurs réuni hier les opérateurs de plateforme pour insister sur l'urgence de la situation. Ces mesures vont dans le bon sens, elles respectent l'esprit de la loi Marcangeli, et il faut les mettre en oeuvre.

Plus largement, si la proposition de couvre-feu numérique de M. Attal est très intéressante, il faut en regarder la faisabilité. Même s'il ne s'agit pas de la plus grande des démocraties, la Chine limite le temps d'exposition aux réseaux sociaux pour la jeunesse, pour des raisons de santé. Nous voyons les conséquences de la surexposition de nos enfants aux écrans, et il faut se poser cette question. Toutefois, un point de nuance : ces interdictions doivent être accompagnées de moyens supplémentaires donnés aux parents. Face à la « filouterie » des enfants et des jeunes, souvent plus malins que leurs parents sur ces sujets, il faut aider ces derniers, en formant par exemple les vendeurs de téléphones ou de supports numériques pour aider à l'utilisation d'un contrôle parental. Il faut faire comprendre aux enfants qu'il ne s'agit pas d'interdire pour les embêter, mais parce que cela a des conséquences pour leur développement. Il faut un changement comportemental, et il convient de faire participer les enfants à cette prise de conscience. C'est comme pour la ceinture de sécurité : certains demandaient à leurs médecins des prescriptions pour ne pas la mettre, mais maintenant tout le monde la met... Certains jeunes ont d'ailleurs déjà conscience du problème.

Madame la sénatrice Guidez, vous avez raison, les troubles du neurodéveloppement doivent être mieux diagnostiqués et les professionnels, tant de l'ASE que du monde éducatif en général, doivent être mieux accompagnés. Le drame, c'est l'errance du diagnostic. On passe parfois des années avant de mettre des mots sur le fonctionnement de certains enfants. Plus ces diagnostics ont lieu tôt, plus les parcours scolaires sont réussis. Au Québec, le repérage précoce, très efficace, offre à toute une génération les outils permettant de réaliser des diagnostics plus rapides. Nous avons trop entendu dire que la détection de ces troubles correspond à une « nouvelle mode », ce qui est le symptôme de la méconnaissance du sujet et du fait qu'il y a là un enjeu de formation. Des projets menés à l'hôpital Robert-Debré permettent de poser un diagnostic en une seule journée, alors que le parcours diagnostic dure parfois plusieurs années. Je ne parle même pas des inégalités territoriales et sociales que cela induit : un certain nombre de consultations ne sont pas remboursées et les parents n'ont pas toujours les moyens financiers de poser ces diagnostics.

Madame la sénatrice Romagny, le décret sur l'interdiction du placement des jeunes dans les hôtels est paru il y a un an et demi, alors que j'étais ministre. Il est conditionné à des mesures extrêmement temporaires pour les jeunes de plus de 16 ans et il est strictement interdit pour les enfants en situation de handicap. Les préfets sont aujourd'hui saisis lorsqu'il y a des placements illégaux dans les hôtels. Ces interdictions étaient déjà prévues dans la loi, mais il a fallu plus de deux ans pour publier le décret...

Mme Laurence Rossignol. - Vous étiez ministre, madame !

Mme Sarah El Haïry. - J'ai publié le décret, madame la sénatrice. L'enjeu, c'est d'apporter un complément pour les encadrants. Les discussions entre la ministre Vautrin et les départements se poursuivront pour améliorer ce point.

Madame Romagny, vous avez également parlé du parrainage, par lequel les enfants peuvent être accompagnés, notamment pendant les vacances. Le développement de cette solution permettrait de renforcer l'attractivité du métier d'assistant familial, en assurant une meilleure qualité de vie au travail, et d'éviter ainsi des départs précoces. Il y a là une vraie opportunité pour mailler le territoire.

Les questions de la santé mentale et des AESH sont directement pilotées par le ministre de la santé et le ministre de l'éducation nationale.

Madame la sénatrice Cathy Apourceau-Poly, la situation dans les pouponnières est une urgence. Au-delà du surnombre d'enfants de 0 à 3 ans qui y sont placés, nous avons constaté le développement de syndromes de l'hospitalisme et des troubles de l'attachement. Les bébés de cet âge sont très vulnérables et les conséquences de ces troubles sont importantes. Chercher des assistants familiaux pour les tout-petits est une réponse possible. La ministre Vautrin est en train de travailler sur un décret d'encadrement des pouponnières, conformément à l'une des recommandations de la récente commission d'enquête de l'Assemblée nationale. Dans le cadre de sa mission d'information, la Haute Assemblée pourra apporter un éclairage supplémentaire sur cette question. L'adoption de ces enfants intervient trop tardivement.

D'ailleurs, certains départements souhaitent lancer une expérimentation pour se ressaisir de la question des familles adoptantes. La majeure partie des adoptions sont des adoptions simples, souvent réalisées à la majorité de l'enfant. L'intérêt supérieur de l'enfant commande au contraire de lui donner une sécurité affective le plus tôt possible. Cela permet aussi de répondre au besoin d'accompagnement dans la suite de la vie : lorsqu'on est pupille de l'État, plus tôt on est accompagné, plus il est possible d'éviter les déplacements. Les personnels des pouponnières font un travail formidable, mais il faut revenir à l'esprit de la loi Taquet, en rappelant que la place d'un bébé n'est pas dans un lieu d'accueil collectif et que les pouponnières sont un endroit d'accueil qui n'est que temporaire.

La prostitution des mineurs est un fléau qui touche en particulier les enfants les plus vulnérables, et donc ceux qui sont recueillis par l'aide sociale à l'enfance, en particulier dans les institutions. Les réseaux sociaux participent à aggraver ces phénomènes : il ne faut pas amoindrir la responsabilité de certaines plateformes. Il est question de traite d'enfants, dont les proxénètes sont parfois également des mineurs : un enfant qui se prostitue est une victime, que cela soit d'amis ou de proxénètes violents. Il faut en outre prendre en compte la surexposition des enfants à la sexualité. Il existe un plan national de lutte contre la prostitution des mineurs et je réunirai dans les semaines à venir les principaux acteurs concernés, en préparation de la politique nationale à déployer en la matière. Le point essentiel, c'est qu'un enfant qui se prostitue est une victime. Il faut lutter contre ces plateformes et contre les réseaux de traite.

M. Xavier Iacovelli. - Madame la haute-commissaire, je vous félicite de votre nomination. La loi Taquet a accéléré les procédures de délaissement, ce qui est positif, mais on cherche toujours à maintenir coûte que coûte le lien biologique, alors que celui-ci peut être toxique pour l'enfant, dont l'intérêt supérieur n'est pas assez pris en compte. Il faut ouvrir encore plus rapidement la possibilité que l'enfant soit adoptable.

L'année dernière, le Sénat a adopté la proposition de loi visant à étendre le cumul d'une activité professionnelle avec la fonction d'assistant familial que j'avais déposée. Nous attendons que l'Assemblée nationale l'examine à son tour. Votre feuille de route comporte-t-elle un projet de refonte du métier d'assistant familial, afin que ceux qui l'exercent puissent bénéficier du statut de travailleur social, comme ils le demandent ?

Il est clair que l'accès aux soins en pédopsychiatrie pose problème, et cela d'autant plus pour les enfants relevant de l'aide sociale à l'enfance, mais le problème touche en réalité l'accès à tous les soins, et même à la scolarité. Si près de 70 % des enfants issus de l'aide sociale à l'enfance sortent sans diplôme de leur cursus scolaire, c'est aussi parce que tous les rendez-vous administratifs avec les référents de l'ASE ou avec les médecins sont pris sur le temps scolaire. Des règles de bonne conduite devraient être adoptées pour sanctuariser le temps scolaire de ces enfants. N'imposons pas aux enfants de l'aide sociale à l'enfance ce que nous n'accepterions pas pour les nôtres.

L'accompagnement des jeunes majeurs jusqu'à 21 ans est une priorité, mais tous les départements ne respectent pas leurs obligations en la matière. L'âge moyen de décohabitation est de 26,5 ans en France : les enfants de l'ASE ont le droit d'être des Tanguy comme les autres ! Si nous ne recentralisons pas la compétence de l'aide sociale à l'enfance et si nous la laissons aux départements, il faut que ceux-ci aient les moyens d'accompagner ces jeunes majeurs jusqu'à 21 ans, voire plus tard si ces derniers ont un projet professionnel ou suivent une formation diplômante.

L'addiction des enfants aux écrans est un fléau : certains d'entre eux passent plus de temps sur TikTok qu'à l'école ! Il faut réglementer cela. Une autre addiction sur laquelle il convient aussi de travailler concerne le sucre. En effet, un enfant de huit ans a consommé en moyenne autant de sucre que son grand-père durant toute sa vie. Or le sucre provoque du surpoids, de l'obésité, des maladies cardiovasculaires et du diabète. Les enfants d'aujourd'hui sont les malades de demain et si rien n'est fait, les enjeux de santé publique risquent de devenir lourds.

Vous estimez que 70 % des décisions de placement sont judiciarisées, mais il me semble que ce chiffre est plutôt de 85 %. J'ai déposé une proposition de loi visant à rendre visant à rendre obligatoire la désignation d'un avocat pour tout mineur dans le cadre d'une procédure d'assistance éducative, suivant l'une des recommandations de la convention internationale des droits de l'enfant, que la France doit respecter.

Enfin, des conseils municipaux des jeunes existent déjà et des conseils des enfants placés et protégés se développent aussi dans les départements, après une expérimentation menée en Gironde. Il est nécessaire de pérenniser cette participation des enfants et de prendre en compte leur parole.

- Présidence de M. Philippe Mouiller, président -

Mme Corinne Bourcier. - En tant que conseillère départementale du Maine-et-Loire, je suis membre d'un conseil de famille. Je suis stupéfaite de constater le nombre d'enfants délaissés qui auraient pu être adoptés, mais dont le parcours d'adoption a été trop complexe et trop long. Même s'ils sont parfois accueillis, ces enfants auraient pu avoir la chance d'avoir une véritable famille. Il faut donc aller plus vite pour faciliter les adoptions. Même si l'on essaie parfois de garder un lien avec la famille biologique, certaines de ces familles ont déjà plusieurs enfants placés de sorte que l'on sait qu'elles ne pourront pas garder l'enfant. Il faut aller plus vite. Comment l'État pourrait-il mieux accompagner les départements ? Il y a de plus en plus d'enfants à placer et tous n'ont pas de solution.

Mme Marion Canalès. - Le rapport de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale a reconnu les manquements de l'État en matière de protection de l'enfance, en proposant la création d'une commission nationale de réparation pour les enfants placés victimes de maltraitance institutionnelle. Quel est votre avis sur cette recommandation ?

Seulement 30 % des enfants bénéficient d'un bilan de santé global, alors que la loi du 14 mars 2016 relative à la protection de l'enfant et la loi du 7 février 2022 relative à la protection des enfants le préconisent. Faute de places et de moyens dans les instituts médico-éducatifs (IME), des enfants sont pris en charge par les départements et orientés vers les services de l'ASE, déjà fortement sollicités.

Sur l'accompagnement, une clarification du placement éducatif à domicile est attendue sur le terrain, les administrateurs ad hoc ayant besoin de sécurité.

En outre, depuis l'hiver dernier, la prise en charge des impayés des assistantes maternelles n'a concerné que celles d'entre elles qui figurent sur le dispositif Pajemploi+, soit la moitié des assistantes maternelles. En 2025 a été annoncé l'objectif d'élargir cette prise en charge pour toutes les assistantes maternelles. Travaillerez-vous rapidement sur ce sujet ?

Mme Laurence Rossignol. - Madame la ministre, vous connaissez les sujets et faites les mêmes diagnostics que nous, mais il est possible d'être plus précis. Permettez-moi de vous dire une chose : depuis 2017, la situation de l'aide sociale à l'enfance n'a fait que se dégrader. On disait il y a trois ans qu'elle était au bord du gouffre, maintenant elle est dans le gouffre, parce qu'entre 2017 et 2020, il n'y a eu aucune politique de l'enfance. Il a fallu attendre la nomination d'Adrien Taquet pour que le sujet intéresse le Gouvernement. Pis encore, la politique de protection de l'enfance continuera de se dégrader : les départements les plus avancés, qui consacrent le plus d'argent à la protection de l'enfance, sont en train de réduire leurs dispositifs en raison des contraintes budgétaires.

Sur l'attractivité des métiers, la situation s'est aussi dégradée. Pénurie de pédopsychiatres, d'infirmières, de soignants, de professeurs des écoles, de professeurs du second degré : l'ensemble du dispositif de l'État autour des enfants est défaillant. Prenons la mesure des choses : nous ne sommes pas dans un colloque, en train de poser un diagnostic somme toute assez consensuel. Il faut des actes et des moyens pour sauver les enfants.

La question n'est pas celle de la surexposition des enfants aux écrans, c'est celle de leur exposition. Je ne conteste pas votre bonne volonté de réguler l'accès aux réseaux sociaux, mais alors que nous avons voté des mesures pour développer un dispositif permettant de protéger les mineurs de l'exposition aux contenus pornographiques, le contrôle d'âge sur les trois sites qui ont accepté cette demande ne consiste qu'à créer une adresse mail ! Entre les Gafam et nous, c'est le pot de fer et le pot de terre ! Nous ne nous en sortirons pas par de simples régulations : il faut les affronter directement. Je soutiens toutes vos propositions, mais il faudra davantage de volonté politique et de cohérence : on ne peut pas accueillir avec béatitude toutes les innovations technologiques. Le Gouvernement auquel vous participiez avait favorisé le développement de Pronote, mais dans le privé, certains établissements reviennent au carnet de correspondance papier, y trouvant un argument pour séduire les CSP+. C'est devenu un facteur d'inégalité sociale que de garantir aux parents que leurs enfants n'auront pas besoin de téléphone pour consulter leurs notes.

En outre, vous ne réglerez pas le problème de l'adoption sans en imposer une réforme à la justice. Les gens veulent des enfants, mais l'adoption simple n'est pas attractive. Il faut fusionner l'adoption pleine et l'adoption simple en créant une adoption reconnaissant la pluriparentalité. Une mère schizophrène n'a rien fait de mal ; elle ne peut pas être effacée de l'histoire de son enfant, qui n'est dès lors jamais adoptable. Il faut une nouvelle conception de l'adoption permettant de reconnaître l'existence de parents biologiques et de parents adoptifs, de plein droit, qui disposeraient de l'autorité parentale. Il faudra tordre le bras à la Chancellerie, qui s'opposera à ces mesures, mais il s'agit d'un très beau chantier.

Par ailleurs, que pensez-vous de la proposition de loi visant à restaurer l'autorité de la justice à l'égard des mineurs délinquants et de leurs parents, qui tend à supprimer l'excuse de minorité ou à avancer l'âge de la comparution immédiate ? Vous qui êtes en charge de la protection et du droit à l'enfance, pensez-vous que cela corresponde à votre feuille de route ?

Mme Sarah El Haïry. - Monsieur le sénateur Iacovelli, madame la sénatrice Bourcier, il y a un changement de doctrine pour accélérer les procédures de délaissement. On ne peut pas laisser la situation traîner alors que l'on sait que les enfants pourront être adoptables. Il s'agit d'abandons de fait et non de droit, même si le mot « abandon » ne plaît pas et qu'il est plus policé de parler de « délaissement ». Parfois, il y a eu plusieurs placements dans la fratrie et l'on sait alors que la probabilité d'un retour dans la famille est extrêmement faible. Il faut toujours mettre l'intérêt de l'enfant en premier, pour permettre son adoption le plus vite possible, afin de lui permettre d'avoir une famille de coeur, une stabilité et une sécurité affective. Nous devons donc faire évoluer la doctrine dans les conseils de famille, ainsi que les positions au sein de la justice. Les commissions d'examen de la situation et du statut des enfants confiés (Cessec) devraient, en théorie, permettre d'aller plus rapidement, mais se pose la question du statut des pupilles de l'État qui mérite d'être retravaillé autant avec la justice qu'avec les départements. Il me semble qu'il s'agit de l'une des réponses possibles, car il y a de plus en plus de signalements et d'enfants placés. Heureusement, on supporte de moins en moins les violences et les maltraitances envers les enfants, mais le système n'a pas été pensé pour accueillir autant d'enfants.

Pour revenir à l'essence même de l'aide sociale à l'enfance, il faut assurer le fonctionnement rapide de l'adoption, mais également améliorer la prévention, de façon très précoce, pour éviter d'avoir à placer des enfants issus des familles les plus fragiles, qui doivent avoir accès à un droit au répit. Il n'est pas toujours simple de pousser la porte de la protection maternelle et infantile (PMI) pour demander de l'aide, alors que ses personnels sont précisément ceux qui contrôlent et qui peuvent alerter. Matériellement, il faut soutenir les équipes de soutien à la parentalité et les équipes de contrôle. Il faut que les familles qui ont besoin d'aide puissent se faire accompagner sans avoir peur qu'on leur enlève leur enfant.

Monsieur le sénateur Iacovelli, j'espère que votre proposition de loi sera rapidement examinée par l'Assemblée nationale, car il y a effectivement une situation de blocage : il faut permettre aux agents publics de cumuler leur activité avec la fonction d'assistant familial pour répondre aux besoins. Il s'agit simplement de leur laisser la possibilité de suivre une formation. Quant à leur accorder le statut de travailleur social, la ministre Vautrin y réfléchit dans le cadre de la réforme de l'attractivité.

Vous avez également souligné, à raison, l'inégalité dans l'accès aux soins et à la scolarité des enfants placés. Comme les professionnels de l'ASE travaillent durant la journée, il leur est difficile de traiter ces dossiers hors du temps scolaire. Cela a des conséquences dommageables sur la scolarité de ces enfants, tout autant que la multiplication des lieux d'accueil et les changements de lieux scolaires. La scolarité comme la santé ne sont donc pas protégées de la même manière d'un territoire à l'autre. Il faut contrôler et évaluer pour faire converger les pratiques des départements : c'est un enjeu d'égalité.

En ce qui concerne l'accompagnement des jeunes majeurs, les associations d'anciens enfants placés jouent un rôle essentiel. Certains départements expérimentent un suivi jusqu'à 25 ans.

Quant à la judiciarisation des procédures de placement, j'ai toujours été favorable à la présence d'un avocat. Dans le droit civil se pose la question du discernement de l'enfant, ainsi que le statut des administrateurs ad hoc qui accompagnent l'enfant. Dans certaines situations, l'enfant se retrouve devant le juge des enfants, sans greffier, en présence de l'avocat des parents, alors qu'il n'est accompagné que d'un éducateur de l'ASE, et les difficultés sont alors réelles.

J'appuie vos propositions sur la participation des enfants dans les territoires. L'Unicef a produit des travaux intéressants sur la participation des enfants. Des collèges sont installés au sein du Conseil national de la protection de l'enfance (CNPE) et du Haut Conseil de la famille, de l'enfance et de l'âge (HCFEA). Il faut mieux accueillir et mieux entendre la parole des enfants.

Madame la sénatrice Canalès, en ce qui concerne la commission nationale de réparation, l'arbitrage revient à la ministre Vautrin, en contact avec la députée Isabelle Santiago, présidente de la commission d'enquête sur les manquements des politiques publiques de protection de l'enfance. La demande est également faite par d'anciens enfants placés, qui souhaitent l'installation d'une telle commission.

Les enfants censés relever des IME ou des instituts thérapeutiques, éducatifs et pédagogiques (Itep) se trouvent dans une double vulnérabilité. Un enfant devant être accompagné au sein d'un IME n'a pas vocation à être accompagné par l'aide sociale à l'enfance : c'est un dévoiement du système. La ministre déléguée chargée de l'autonomie et du handicap travaille sur l'amendement Creton, pour assurer l'accompagnement des jeunes majeurs à leur départ, mais les enfants aussi ont des besoins d'accueil. Un enfant ayant besoin d'une place en IME se retrouve en mauvaise position s'il n'est pas dans une structure adaptée. Il faut le rappeler, les établissements de l'ASE ne sont pas des établissements de soins, à la différence des IME.

Sur les AEMO, vous demandiez comment mieux évaluer et accompagner, et comment sécuriser les procédures de placement éducatif à domicile pour les administrateurs ad hoc. Je prends note de vos remarques. De même, pour l'heure, je ne peux pas vous répondre au sujet des impayés des assistants maternels, et je reviendrai vers vous.

Madame la sénatrice Rossignol, nous partageons le même constat. Je parlais de surexposition aux écrans de manière globale, et non de la situation des 0-6 ans, au sujet desquels la Société française de pédiatrie a été très claire. Le contrôle de l'identité est nécessaire.

Il est en effet nécessaire de mener une réforme de l'adoption, qui passe par l'accélération des procédures et un changement de notre modèle de l'adoption. La Chancellerie participe pleinement aux travaux que nous menons. Les remontées sont claires : on ne peut pas rester dans la situation actuelle, où des enfants pouvant être adoptés ne le sont pas, alors que des familles ont obtenu l'agrément et alors que les adoptions internationales touchent quasiment à leur fin. Nous en sommes à un momentum : les choses ne peuvent plus continuer ainsi. Je suis donc favorable à une évolution du cadre de l'adoption. Il faut toujours, conformément à l'esprit de la loi, privilégier la famille proche si une réponse est possible, et sinon couper le lien au plus vite pour permettre un développement durable de l'enfant. Cela nécessite un changement de doctrine, loin d'être simple, mais la bataille mérite d'être menée.

Madame la sénatrice, vous avez également parlé d'une certaine proposition de loi en cours d'examen, au sujet de laquelle les associations et les bâtonniers me font divers retours, mais je me permets de réserver ma réponse, car les travaux sont toujours en cours.

Mme Nadia Sollogoub. - Avec Marion Canalès et Marie-Do Aeschlimann, nous menons un travail dans le cadre d'une mission d'information sur les politiques de prévention en santé. Nous avons compris le rôle central joué par le Haut-Commissariat à l'enfance en la matière. Permettez-moi d'enfoncer une porte ouverte : pensez-vous pouvoir, dans le cadre de vos missions, renforcer les moyens de la médecine scolaire ?

Mme Marie-Claude Lermytte. - Si nous avons beaucoup parlé de placement, nous n'avons à mon goût pas assez évoqué ce qui se passe avant le placement. Beaucoup de choses sont faites dans les territoires, notamment par les départements. J'étais assistante sociale polyvalente de secteur. Il y a plusieurs années, lors de visites prénatales, nous rencontrions les familles, et nous pouvions alors alerter sur la situation de certaines d'entre elles. Par manque de moyens, ces visites de dépistage se sont bien souvent arrêtées.

En outre, désormais, lors de la déclaration de grossesse, on ne rencontre pas les familles et on ne leur explique pas assez leurs droits et leurs devoirs. Il y aurait peut-être quelque chose à faire en la matière pour éviter certains problèmes.

Vous avez parlé du contrôle exercé dans les PMI, mais il s'agit de cas extrêmes : les PMI doivent d'abord être dans l'accompagnement et la prévention, et le contrôle doit arriver ensuite, lorsque plus rien d'autre n'est possible.

En matière d'adoption, rien ne se débloque depuis des années. La formation des travailleurs sociaux à cheveux gris n'est pas la même que celle que reçoivent les jeunes générations : il y a des choses à adapter et à revoir, en parallèle de la réforme de l'attractivité.

Enfin, je réitère l'alerte sur la situation des assistants familiaux et sur les agents chargés du suivi des enfants. Nous avons également parlé des parents biologiques, avec lesquels un lien doit être maintenu.

Mme Patricia Demas. - Madame la haute-commissaire, j'aimerais que vous nous rassuriez sur les moyens dont vous disposez pour mener à bien votre immense feuille de route. Comment assurerez-vous la fluidité entre les différents ministères ? Quelles seront vos priorités ? Nous n'avons pas parlé de la santé, de la prévention et de l'accompagnement des enfants en situation en handicap. Cela fait-il partie de vos stratégies ? Enfin, de quels moyens disposez-vous pour concrétiser vos bonnes intentions ?

Mme Laurence Rossignol. - De combien d'équivalents temps plein (ETP) disposez-vous ?

Mme Sarah El Haïry. - Madame la sénatrice Sollogoub, les infirmières scolaires sont indispensables dans le dispositif de prévention. Il faut les renforcer, mais des postes ne sont pas pourvus. Hier, j'ai assisté à un débat sur la médecine scolaire, pour savoir s'il était possible d'envisager une plus grande perméabilité en la matière, en renforçant les réseaux avec les PMI ou avec la médecine libérale. Cet axe prioritaire est d'ailleurs porté par la ministre de l'éducation nationale.

Madame la sénatrice Lermytte, vous posez la question de l'accompagnement avant le placement. En effet, la place d'un enfant, sauf s'il est victime de violence, est dans sa famille. Dès la naissance, un accompagnement est déjà possible, notamment grâce aux fameux 1 000 premiers jours, mais on peut légitimement se questionner sur l'accompagnement durant la grossesse. Les exercices de préparation à la naissance concernent non pas les questions de parentalité, mais plutôt la santé maternelle. Comment sensibiliser en amont à la parentalité ? Il faut structurer l'offre de prévention, qui est aujourd'hui très inégale. Un accompagnement au moment de la déclaration de grossesse peut être envisagé, mais celle-ci se fait souvent à distance. Il faut peut-être proposer des rencontres physiques, car plus on perçoit rapidement les fragilités, plus on peut anticiper les placements. Si l'ordonnance de placement provisoire (OPP) est prise en amont de la naissance, le placement en pouponnière peut être évité.

Les PMI ont des missions d'accompagnement et de prévention, mais aussi de contrôle. Il faut changer la perception des métiers pour montrer leur évolution.

Quant à la place des parents biologiques, le Conseil national pour l'accès aux origines personnelles (Cnaop) joue un rôle pour permettre aux enfants de connaître leur histoire : le sujet mérite plus que quelques mots, mais l'accès à leurs origines des enfants nés sous X illustre aussi le besoin d'un accompagnement et la nécessité de travailler en profondeur.

Une question a été posée au sujet des moyens du Haut-commissariat. J'ai exposé ma feuille de route dans mon propos liminaire. Elle comporte plusieurs grands axes, sans priorité entre eux : l'adoption, la petite enfance et la lutte contre les violences. Ma mission est de coordonner des politiques publiques, et non de les porter entièrement. Deux de ces politiques publiques sont d'ailleurs décentralisées. Mon travail relève de la coordination interministérielle : à chaque réunion, je développe une vision globale et pluridisciplinaire, posant à hauteur d'enfant les points d'impact des décisions qui sont prises. Je participe à la prise en compte de la situation des enfants dans les politiques publiques. La prévention, notamment au sujet de l'exposition aux écrans, et l'adoption sont deux sujets particulièrement essentiels. Les enfants en situation de handicap relèvent de la ministre chargée de ce sujet.

Du point de vue opérationnel, mon équipe comporte six personnes ; nous sommes basés au ministère de la santé. Nous mobilisons les ministères de la santé et de l'éducation nationale, celui des affaires étrangères sur les conventions internationales du droit des enfants, ainsi que ceux de la justice, de l'intérieur et du travail. Sont également présents à mes côtés trois experts détachés, dont l'un est spécialiste de l'adoption, l'autre de la santé scolaire - il est également chargé de la question de la participation des enfants au sein de l'éducation nationale -, le troisième assurant le lien avec le ministère des affaires étrangères. Notre équipe est bien dotée, et nous nous appuyons sur la mobilisation des administrations concernées.

M. Philippe Mouiller, président. - Nous vous remercions, madame la haute-commissaire. Compte tenu de notre intérêt pour ces questions, nous serons amenés à vous revoir très prochainement.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Audition de M. Bernard Lejeune, président de la sixième chambre de la Cour des comptes, sur la note de synthèse de la Cour sur l'Objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam)

M. Philippe Mouiller, président. - Mes chers collègues, un certain nombre d'entre vous souhaitent que l'on avance sur les questions budgétaires. La Cour des comptes a justement publié un rapport sur la maîtrise de la progression de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam), tout en veillant à la qualité des soins. Nous allons entendre à présent M. Bernard Lejeune, président de la sixième chambre de la Cour des comptes, sur cette note de synthèse.

Je vous indique que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo. Elle est retransmise en direct sur le site du Sénat et sera disponible à la demande.

Monsieur le président, ce travail de la Cour avait été demandé par Gabriel Attal, alors Premier ministre, mais sa publication a été différée par les événements politiques qui se sont succédé depuis lors.

Nous sommes impatients d'en entendre le détail. En effet, les dépenses d'assurance maladie ont véritablement explosé depuis la crise du covid-19. L'Ondam est ainsi passé de 200,2 milliards d'euros en 2019 à un montant voté de 265,9 milliards d'euros en 2025, soit une progression de presque 33 % en six ans, sans que nos concitoyens et les professionnels de santé expriment leur satisfaction au regard de cette augmentation.

En outre, face à nous, de puissants facteurs de progression de cette dépense perdurent, notamment le vieillissement de la population, la progression des maladies chroniques et l'innovation thérapeutique.

Au bout du compte, le niveau de ces dépenses et leur rythme de progression, toujours plus élevé que la croissance économique, posent clairement un problème de soutenabilité à terme.

Se donner les moyens de maîtriser le niveau de ces dépenses de la manière la plus intelligente possible est un impératif pour les pouvoirs publics. Le regard de la Cour des comptes nous sera forcément utile. Monsieur le président, je vous laisserai nous présenter le fruit de vos réflexions, avant de laisser la parole aux membres de notre commission, au premier rang desquels notre rapporteure générale.

M. Bernard Lejeune, président de la sixième chambre de la Cour des comptes. - La Cour des comptes s'est attaquée à l'Ondam, outil de régulation par définition des dépenses de soin. Ces travaux constituaient une partie de la triple commande de Gabriel Attal, qui avait demandé à la Cour d'étudier les dépenses des collectivités locales, celles de sortie de crise et celles de l'assurance maladie. Ainsi que vous l'avez rappelé, monsieur le président, le rendu de ces travaux a été différé par les circonstances politiques. Le rapport sur les collectivités locales a été assez rapidement publié, mais notre Premier président a souhaité relancer les deux autres travaux. Actualiser nos données avec celles des administrations a pris quelque temps et nous sommes parvenus à publier notre rapport avant que le travail sur le prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) ne commence à l'Assemblée nationale et au Sénat.

Notre travail s'inscrit dans la trajectoire du Plan budgétaire et structurel à moyen terme (PSMT). Le Gouvernement a fixé la réduction du déficit des administrations publiques à 5,4 % du PIB. J'espère que cette première étape sera tenue. Nous avons travaillé dans cette optique, afin d'établir un plan d'économies. L'indicateur le plus favorable est fourni non par le solde des régimes obligatoires de base de sécurité sociale (Robss), mais par celui des administrations de sécurité sociale, qui comprennent en sus les recettes de la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades) et celles des régimes complémentaires. Alors que ce solde devait atterrir en 2025 à + 0,7 % du PIB, nous en sommes actuellement à - 0,1 % : cela vous donne une idée du dérapage des comptes. Sur le seul régime général, la situation est nettement plus détériorée.

Notre rapport est centré sur l'Ondam, qui représente 80 % des dépenses de la branche maladie, 40 % de la branche accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP), et 40 % de la branche autonomie. (L'intervenant projette une présentation PowerPoint en complément de son propos.) Il nous fournit donc une vision assez complète de l'ensemble des dépenses pilotables.

Aujourd'hui, l'Ondam se trouve dans une situation de moins en moins soutenable. Il dérive de plus en plus, alors que de nombreuses autorités de santé estiment que la qualité des soins ne suit pas. En définitive, le dispositif plonge tout en coûtant de plus en plus cher.

La Cour a ainsi dressé une liste de quinze propositions, regroupées en trois axes : dépenser à bon escient et éviter les dépenses inutiles, dépenser efficacement et dépenser équitablement. Nous y reviendrons, l'assurance maladie et les complémentaires santé participent à ces dépenses, ainsi que les patients, de manière modeste.

L'ensemble des propositions que nous formulons permettent des économies d'environ 20 milliards d'euros. Je les exposerai en détail, mais disons déjà du point de vue de la méthode qu'elles ne représentent pas toutes les économies possibles. Nous pouvons faire beaucoup plus. Nous nous sommes appuyés sur nos précédents rapports et nous avons actualisé ces chiffres, mais nous pourrions suivre d'autres pistes. Le Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance maladie (HCAAM) a été saisi par le Premier ministre en ce sens. Nos propositions pourront donc être complétées par d'autres. En particulier, les chiffres de la prévention vous sembleront peut-être modestes, mais il est possible d'aller bien plus loin, d'autant plus que ce rapport ne s'intéresse qu'aux dépenses, et non aux recettes, car il ne s'agissait pas de la demande qui nous a été faite. Nous nous sommes attaqués aux dépenses, qui sont toujours un sujet plus difficile que les recettes, pour lesquelles en général les idées ne manquent pas.

La France consacre 11,8 % de son PIB aux dépenses de santé. En moyenne, les pays de l'Union européenne y consacrent 10,4 % de leur richesse produite. Le reste à charge payé par les citoyens français est de 9,2 % des dépenses contre 14,2 % en moyenne dans le reste de l'Union européenne. Nous pouvons donc faire le constat suivant : malgré un sentiment d'insatisfaction, nous faisons beaucoup de dépenses de santé, pour un reste à charge beaucoup plus faible qu'ailleurs.

En 2025, l'Ondam est fixé, hors dépenses liées au covid, à 265,4 milliards d'euros, soit un chiffre très élevé. Il est en augmentation de 50 milliards d'euros depuis 2019, une fois les effets de la crise sanitaire gommés. L'augmentation des dépenses suit un rythme de 4,8 % depuis 2019, alors qu'auparavant il était de 2,4 %. Ce rythme de progression des dépenses extrêmement fort a conduit à faire que l'Ondam pèse désormais 8,9 % du PIB, contre 8,2 % avant la crise sanitaire.

Les dépenses augmentent très fortement, ainsi que le poids de l'Ondam dans le PIB : tous les ingrédients d'une dérive de la situation sont réunis. Comme la progression des recettes ne suit pas le même rythme, on constate à partir de 2023 un glissement des comptes hors période de crise, ce qui est une première. Le solde de toutes les branches de la sécurité sociale devient négatif, pour atteindre, selon nos prévisions, jusqu'à 20,1 milliards d'euros de déficit en 2028. Le déficit social que nous sommes en train de creuser est actuellement supporté par l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss), puisque la Cades ne le reprend pas. La représentation nationale devra peut-être se prononcer sur ce sujet, l'Acoss nous ayant indiqué qu'elle pourrait être en difficulté pour trouver les financements nécessaires, puisqu'elle se fournit sur les marchés de court terme. Il y a donc un vrai sujet de déficit, d'alimentation de la dette sociale et des capacités de financement de cette dette. Bien sûr, l'on pourrait une fois de plus voir en la Cades un sauveur à plus long terme, mais cela signifierait que nous ne sortirions jamais de cette caisse d'amortissement, qui deviendrait encore un peu plus éternelle.

La situation est d'autant plus inquiétante que, contrairement au budget de l'État, la dérive de l'Ondam est liée non pas à une mauvaise gestion, mais à une situation intrinsèque, celle du vieillissement de la population. Il y a bien sûr d'autres sources de dépenses, notamment les médicaments innovants, mais le ministère de la santé a évalué la dérive automatique liée au vieillissement à 1,35 % par an : sans rien faire, nous avons déjà une dérive assez forte, un peu comme s'il s'agissait d'un glissement vieillesse technicité (GVT).

Pour l'heure, sur le papier, la dérive des comptes semble maîtrisée, mais, ainsi que nous le démontrerons lors de notre présentation du rapport sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale (Ralfss), nous connaîtrons encore cette année un dépassement de l'Ondam. Les prévisions, elles, ne sont pas établies sur la base d'éventuels dépassements, et partent du principe que les économies prévues seront réalisées, même si l'on est encore loin de telles réalisations. Le creusement du déficit que nous anticipons répond donc à l'éventualité que tout se passe bien, et que les dépenses sont maîtrisées, ce qui n'est pas actuellement le cas.

Je le conçois, notre constat n'est donc pas très heureux, mais il faut avoir ce point de départ en tête. La logique de notre travail consiste à ouvrir des pistes. Nous avons été relativement durs : il faut peut-être passer un autre cap et envisager de traiter les sujets de manière pluriannuelle, dans la durée, faute de quoi il sera difficile de rétablir notre maîtrise des dépenses sociales.

Le premier axe de nos propositions vise à assurer que les dépenses sont pertinentes et réalisées à bon droit. En premier lieu, nous avons travaillé sur les fraudes à l'assurance maladie, sujet auquel tous les parlementaires et tous les Français sont sensibles. Il faut reconnaître des progrès dans ce domaine : en 2023, la Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam) avait détecté 466 millions d'euros de fraudes ; en 2024, elle en a détecté pour 628 millions d'euros. Malgré cela, ces chiffres doivent être mis en regard de l'estimation que la Cnam fait avec la Cour, selon laquelle le montant de ces fraudes s'élève à 4,5 milliards d'euros : seuls 15 % des montants estimés sont détectés. Certes, des efforts sont faits : 1 500 agents des caisses primaires d'assurance maladie sont mobilisés, 400 recrutements supplémentaires seront effectués en 2025, les prérogatives juridiques des contrôleurs de la Cnam ont été renforcées grâce aux parlementaires et de nouveaux moyens informatiques sont mis à leur disposition, mais il faut aller plus loin. Nous ne devons pas lâcher dans ce domaine. Nous préconisons d'exploiter de manière automatique les contrôles informatiques, de systématiquement appliquer les prérogatives juridiques des caisses primaires d'assurance maladie et de renforcer la coordination avec les administrations et les complémentaires santé. De nombreuses pistes très importantes peuvent être explorées.

Même si nous ne pourrons jamais récupérer les 4,5 milliards d'euros de l'ensemble des fraudes, il faut avoir en tête, pour la mise en oeuvre des conventions d'objectifs et de gestion (COG) avec la Cnam, l'objectif de 1,5 milliard d'euros à l'horizon 2029. Il existe des marges de manoeuvre, notamment du côté des infirmiers et des masseurs-kinésithérapeutes. Nous ne disposons d'aucune estimation sur le montant des fraudes dans certaines professions : l'estimation de 4,5 milliards d'euros est donc une estimation basse.

Ensuite, la Cour a constaté, comme dans un bon nombre de ses rapports, qu'une certaine quantité de dépenses ne sont pas pertinentes. Le ministère de la santé indique lui-même que 275 000 séjours hospitaliers auraient pu être évités, soit 2,5 % des séjours de médecine. Les prescriptions de médicaments sont également concernées. Par exemple, seulement 9 % des dosages de vitamine D prescrits correspondent à une indication recommandée par la Haute Autorité de santé.

Il faut se pencher sur les pratiques médicales. En lien avec la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees), nous avons examiné les dépenses standardisées par département. Il existe des écarts de 1 à 1,7. Ainsi, la Haute-Savoie n'est pas très dépensière : 1 800 euros par patient par année. La dépense pour la Haute-Corse, elle, est de 3 055 euros ! La moyenne nationale est de 2 258 euros, après rectification des données pour tenir compte des différences d'âge et de sexe.

À la suite d'un calcul prudent, nous avons donc mis en évidence qu'il y a moyen, peut-être par les prescriptions et les pratiques des professionnels de santé, de dégager 2,8 milliards d'euros sur un écart de 5,6 milliards. Ce travail doit être fait par les acteurs de l'assurance maladie, car les différences de prescription ne peuvent pas s'expliquer uniquement par des différences de pathologie : le cas de certains départements peut interroger.

La Cour s'est intéressée aux prescriptions dans les secteurs les plus dynamiques. Ainsi, les affections de longue durée (ALD), reconnues pour 13,8 millions de patients, sont un vrai enjeu. Il faudrait se pencher sur le cas des personnes qui bénéficient de cette reconnaissance sans limitation de durée ; or, par facilité, nous laissons la situation en l'état.

Le transport sanitaire est un autre enjeu, sur lequel vous vous êtes régulièrement penchés, mesdames, messieurs les sénateurs. Il représente 6 milliards d'euros de dépenses en 2023. Des efforts ont été réalisés, mais nous pouvons aller plus loin, à hauteur de 300 millions d'euros selon nos estimations, soit par des contrôles supplémentaires, soit par le transfert de la totalité de ces dépenses au budget des établissements de santé. Peut-être ces derniers seront-ils mieux responsabilisés de ce fait.

Enfin, dépenser à bon escient passe par la nécessité de gérer les dépenses de santé. Concernant celles qui sont liées aux achats, des initiatives se mettent en place dans les groupements hospitaliers de territoire (GHT), mais il est possible d'aller plus loin. Les établissements de santé étant de plus en plus endettés, peut-être pourrions-nous renégocier les taux d'intérêt auxquels ils sont soumis ?

Parmi les pistes d'économies que nous avons identifiées figure le fait de toujours négocier le prix des médicaments. De fait, le Comité économique des produits de santé (CEPS) a réduit la part des dépenses en la matière de 19 % à 16 % de l'Ondam, mais il est possible d'aller encore plus loin : le prix des anticancéreux novateurs, parfois très élevé, mériterait d'être examiné de manière approfondie.

Le constat est le même pour les volumes consommés. La part des génériques est trop faible dans notre pays : 29 % des recours aux médicaments contre 54 % en moyenne dans les pays de l'OCDE. Il existe également des marges de manoeuvre en matière de recours aux biosimilaires.

Le deuxième axe est l'efficacité de la dépense.

En premier lieu, il faut développer la prévention en santé et ainsi agir sur les pathologies chroniques. Je suis très surpris de voir à quel point la France est un pays mal classé pour beaucoup d'entre elles : diabète - la Cour travaille actuellement sur le sujet, vous aurez l'occasion de découvrir son rapport bientôt -, cancer du sein, accident vasculaire cérébral (AVC)...et notamment auprès de la jeunesse. Je vous renvoie sur ce dernier point au récent rapport public annuel de la Cour centré sur la jeunesse et qui soulève l'augmentation de nombreux comportements à risque liés aux addictions ou encore l'obésité.

Même si notre pays n'est pas le pire en l'occurrence, il est très en retard sur la prévention - je pense particulièrement à la prévention primaire, c'est-à-dire celle qui est associée aux comportements en matière de santé - et sur la détection d'un certain nombre de maladies, ce qui induit des prises en charge trop tardives dans les plus mauvaises des conditions et à des coûts très élevés.

Il est possible d'éviter un grand nombre d'affections par ces principales maladies, lesquelles représentent 54,5 milliards d'euros de dépenses. La Cour a ainsi fait des propositions ciblées sur nos audits, mais elle a bien conscience qu'il est possible d'aller bien au-delà de ce qui est proposé dans le rapport.

La prévention est une question qui sera de plus en plus liée à la perte d'autonomie des personnes âgées à partir de 2030. En effet, la montée en charge des dépenses liées au grand âge risque de coûter très cher à l'assurance maladie, notamment à sa branche autonomie ; cet enjeu sera mis en évidence dans un chapitre du Ralfss. Il faudra également réduire l'incidence des chutes, donc des décès induits.

En second lieu, il faut renforcer la qualité, la sécurité et l'efficience de l'offre de soins des établissements de santé et médico-sociaux.

Premièrement, l'activité de chirurgie ambulatoire représente 60 % des séjours hospitaliers en 2022. La cible du Haut Conseil de la santé publique est de 80 %. La marge est donc réelle.

Deuxièmement, il est possible de réduire les évènements indésirables graves associés aux soins. Tous ne sont pas déclarés, loin de là, mais 4 574 l'ont été à la Haute Autorité de santé en 2024. Pour une bonne partie, ils étaient évitables. La Cour avait déjà estimé le coût de ces événements à 2,7 milliards d'euros. Nous avons finalement retenu dans notre hypothèse actuelle le simple chiffre d'un milliard d'euros.

Troisièmement, il est possible de restructurer les services hospitaliers selon une gradation de l'offre de soins. Les Français sont attachés à une offre de proximité, mais - il faut avoir le courage de le dire - la proximité se fait parfois au détriment de la qualité des soins. En effet, les petits établissements hospitaliers ne pratiquent pas assez d'actes de chirurgie, par exemple, pour en assurer la qualité ou ont particulièrement du mal à disposer du personnel le mieux formé. Les élus eux-mêmes m'assurent parfois ne pas vouloir se rendre dans l'hôpital qu'ils défendent par ailleurs !

Le but n'est pas forcément de supprimer certains hôpitaux : il s'agit de construire un parcours de soins dans le cadre d'un territoire entre les établissements qui doivent être les plus performants et ceux qui doivent être proches sans contenir en leur sein toutes les disciplines. Je rappelle que 13 % des établissements de santé ne répondent pas actuellement aux exigences de qualité de soins telles qu'elles sont définies par la Haute Autorité de santé. Personnellement, je ne me rendrai pas dans ces établissements, comme beaucoup d'entre vous !

Quatrièmement, selon le même raisonnement, il est possible d'adapter l'offre des établissements et services médico-sociaux aux besoins.

Le troisième et dernier axe est l'équité de la dépense. On a toujours l'impression que l'assurance maladie dérembourse ! Or, au moment de la rédaction du rapport, j'ai découvert que, sur les cinq à dix dernières années, la participation de l'assurance maladie aux dépenses de santé a beaucoup plus augmenté en masse que la part du patient ou des mutuelles. Il y a même un transfert de prise en charge de 5,5 milliards d'euros, ce qui n'est pas rien ! Il faut donc déconstruire l'idée reçue.

En premier lieu, il faut voir comment répartir de manière juste la prise en charge des soins entre les différents acteurs.

Premièrement, la lutte contre les fraudes, comme d'autres coopérations aussi simples, pourrait être largement améliorée par un meilleur travail entre l'assurance maladie et les complémentaires, de même pour la pertinence des prescriptions ou la prévention en santé.

Deuxièmement, nous pourrions équilibrer les prises en charge des indemnités journalières : d'un côté, les durcir, comme la Cour l'a déjà préconisé, de l'autre, les améliorer en responsabilisant les entreprises. En effet, les AT-MP, plutôt qu'être déclarés tels quels, sont souvent pris en charge par l'assurance maladie. Pourtant, le transfert d'une branche de la sécurité sociale à l'autre ne revient pas au même : la déclaration en AT-MP induit une responsabilisation des employeurs.

En second lieu, il faut voir comment atténuer les prises en charge de l'Ondam.

Premièrement, nous pouvons nous pencher sur la responsabilisation des usagers sur certains types de dépenses remboursées par l'assurance maladie. Le rabot ne devrait pas être automatique : il faut poser la question en termes médicaux. Ainsi, les cures thermales sont un sujet à haut risque : elles peuvent être prises en charge par d'autres acteurs que l'assurance maladie. De même, il faut interroger, avec la Haute Autorité de santé, l'intérêt médical de certains médicaments.

Deuxièmement, j'attire votre attention sur la réduction, en loi de financement de la sécurité sociale (LFSS), des montants alloués aux mesures nouvelles. Nous avons de plus en plus une dérive automatique de l'Ondam : vieillissement de la population, coût des produits de santé... En parallèle, des mesures nouvelles ont permis des revalorisations par le biais des conventions avec les professionnels de santé. Y a-t-il eu des contreparties, à savoir la maîtrise des dépenses de santé ? Ce n'est pas du tout évident, comme nous aurons l'occasion de le constater à la lecture du bilan de l'Ondam de 2024.

Les moments au cours desquels faire le point sont trop ponctuels : le prochain sera en septembre 2025. Finalement, nous payons à la fois les revalorisations et la dérive des dépenses. Faisons donc attention à freiner les dépenses nouvelles, faute de le pouvoir pour les dérives mécaniques.

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale. - Je tiens à rapprocher votre propos liminaire sur le dynamisme des dépenses du dernier avis du Haut Conseil des finances publiques. La situation est préoccupante, d'autant qu'il sera difficile de trouver une majorité politique pour dégager des marges significatives et rendre les dépenses plus équitables et efficaces.

Premièrement, le rendement de votre proposition n° 1, « Mieux lutter contre les fraudes dans les trois branches de la sécurité sociale qui financent l'Ondam », est chiffré à 1,5 milliard d'euros en 2029. À titre de comparaison, le Haut Conseil du financement de la protection sociale évalue la fraude sur les dépenses de la branche maladie à 1,7 milliard d'euros et la Cnam indique qu'en 2024, sur ce montant, seulement 0,6 milliard d'euros de fraude ont été détectés et 0,2 milliard d'euros évités. L'objectif de 1,5 milliard d'euros de recettes supplémentaires en 2029 pourrait donc a priori sembler optimiste. Pouvez-vous expliciter ce qui vous a amené à retenir cette cible ?

Deuxièmement, dans son Ralfss de mai 2023, la Cour des comptes estime, de manière en partie conventionnelle, que les dépenses inutiles relatives à la médecine de ville pourraient être comprises entre 12 milliards et 18 milliards d'euros. La Cour maintient-elle ce chiffrage ? Les pouvoirs publics devraient-ils, selon elle, renforcer l'évaluation de l'efficience de ces dépenses et plus généralement des dépenses de santé ?

À considérer la carte que vous avez présentée, j'ai été interpellée par la situation de La Réunion - M. le président de la commission, un certain nombre de nos collègues et moi venons de rentrer d'un déplacement que nous y avons fait dans le cadre d'une mission information sur l'accès aux soins - : le fait d'avoir sur place des équipements d'un haut niveau et des ressources humaines en nombre eu égard au nombre d'habitants explique l'écart par rapport à la moyenne, à mon sens.

Mme Corinne Imbert, rapporteure pour la branche maladie. - Premièrement, selon votre rapport, « La Cour a estimé jusqu'à 3,2 milliards d'euros les marges d'optimisation pouvant résulter d'une meilleure répartition des professionnels de santé libéraux sur le territoire ». Le chiffre était le même en 2017. Cette piste est-elle donc toujours d'actualité, de même que le chiffrage associé ? Qu'entendez-vous par « pouvant résulter d'une meilleure répartition des professionnels de santé libéraux sur le territoire » ?

Deuxièmement, concernant l'hôpital, une note récente de la Fédération hospitalière de France (FHF) et de la Banque postale indique que le taux de vétusté global des hôpitaux publics a dépassé, en 2022, la barre symbolique des 60 %. Le renchérissement du coût des emprunts, principale source de financement de ces investissements, pèsera nécessairement sur les dépenses de santé à venir. Comment poursuivre en même temps un objectif de soutien durable à l'investissement et de désendettement des hôpitaux ? Je rappelle que, fin 2024, le déficit cumulé des hôpitaux publics était de plus de 3 milliards d'euros.

Troisièmement, vous n'y allez pas de main morte concernant les médicaments et dispositifs médicaux : vous suggérez de mieux responsabiliser les assurés pour des économies de 300 millions à 500 millions d'euros. Je vois arriver une proposition de déremboursement des médicaments remboursés pour l'instant à 15 %... M. Milon, pour sa part, a défendu la substitution en faveur des biosimilaires au travers d'amendements. Or, il y a un ou deux ans, il était question de 600 millions d'euros d'économies, tandis qu'un organisme a estimé à 350 millions d'euros le rendement de sa proposition de « délister » un certain nombre de médicaments.

Quatrièmement, j'ai lu dans votre rapport : « des réponses mieux adaptées et moins coûteuses sont aussi à rechercher pour les personnes en situation de handicap vieillissantes hospitalisées en psychiatrie, sans justification médicale, mais faute de places en établissements médico-sociaux. » Je n'ai pas retrouvé de mention de cet enjeu par la suite : cela impose peut-être des mesures nouvelles de financement. Comment apporter, par conséquent, des réponses ?

M. Olivier Henno, rapporteur pour la branche famille. - Lors de la rédaction du rapport d'information Financiarisation de l'offre de soins : une OPA sur la santé ?, il m'a semblé que le système de santé s'équilibrait par une forme d'autorégulation des professionnels de santé, la responsabilisation, vaille que vaille, portant ses fruits pour les intéressés comme pour les patients. Alors que la liberté d'installation et de prescription, et le libre choix du médecin n'existent pas dans tous les pays d'Europe - en Belgique, les mutuelles jouent un rôle beaucoup plus fort en matière de prévention et de choix des médecins -, ne sommes-nous pas arrivés au bout d'un système, compte tenu des médicaments innovants qui arrivent sur le marché et qui sont de plus en plus coûteux ? En effet, il faudra une régulation plus pertinente, ne serait-ce que pour permettre le libre accès à ces produits à toutes et à tous, sans quoi le risque serait celui d'une médecine à deux vitesses.

Ma question est de portée plus générale : peut-on réussir à maîtriser l'Ondam sans procéder à une réforme structurelle de notre système de santé ? Sinon, de coup de rabot en coup de rabot - certes, il y a beaucoup à faire sur les indemnités journalières et les transports -, on risque de laisser s'installer une médecine à deux vitesses.

Mme Marie-Pierre Richer, rapporteure pour la branche accidents du travail et maladies professionnelles. - Je voudrais revenir sur vos propos concernant le transfert de la branche AT-MP à la branche maladie. Avec Annie Le Houérou, nous avons commis, pour la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (Mecss), un rapport sur les enjeux de cette branche, dans lequel nous évoquons le problème de la sous-déclaration. En revanche, la surdéclaration n'est pas prise en compte. La méthodologie de calcul a changé en 2021 et nous nous étonnons que la somme à transférer à la branche maladie ait doublée en trois ans, alors même que les employeurs sont très allants sur les questions de prévention. Il est dommage de clouer tout le monde au pilori.

À force de ponctionner la branche AT-MP, elle ne sera plus excédentaire l'année prochaine, et ce sont autant de moyens qui ne seront pas mis en oeuvre pour la prévention. J'aurais aimé que le constat soit plus mesuré.

M. Bernard Lejeune. - En ce qui concerne la fraude, nous nous appuyons sur un chiffrage de l'assurance maladie qui commence à dater et qui devrait bientôt être actualisé. En se basant sur des échantillons assez importants, l'assurance maladie est parvenue à ce chiffre de 4,5 milliards d'euros, mais, comme je l'ai indiqué tout à l'heure, l'ensemble du périmètre n'a pas été audité. Ces 4,5 milliards d'euros correspondent donc à une estimation sur un périmètre incomplet. Le chiffre est fragile ; néanmoins, il donne un ordre de grandeur crédible, sur lequel nous avons décidé pour l'instant de nous appuyer. L'assurance maladie n'est d'ailleurs pas montée au créneau pour nous dire qu'il était scandaleux de travailler sur cette base. Nous maintenons donc notre volonté de monter en charge dans la lutte contre la fraude.

L'objectif est de parvenir à 1,5 milliard d'euros en 2029, par rapport à 600 millions d'euros aujourd'hui, avec une augmentation progressive. On a d'ailleurs constaté une augmentation des résultats de 34 % en un an, ce qui devrait permettre, en continuant sur cette lancée, d'atteindre l'objectif de 1,5 milliard d'euros. Les effectifs supplémentaires nécessaires pour lutter contre la fraude coûteront certainement moins cher que ce qu'ils permettront de récupérer.

En ce qui concerne la carte de la Drees, nous partions d'un montant de 5,6 milliards d'euros, mais nous avions bien conscience qu'il fallait être prudents s'agissant des départements d'outre-mer, dans lesquels les pathologies et les situations sont très particulières, et de certains territoires, pour lesquels les écarts pouvaient s'expliquer. Nous avons donc ramené ce montant à 2,8 milliards d'euros.

Sur la question de la meilleure répartition des médecins, nous avons mis en évidence le fait que plus il y a de médecins, plus cela coûte cher. (Exclamations.) La corrélation correspond à la réalité : je vous livre cette information comme telle !

Pour ce qui concerne les hôpitaux publics, il faut évoquer la vétusté des établissements. Les audits des hôpitaux par les chambres régionales des comptes traduisent une inquiétude quant à l'état non seulement des locaux, mais également de certains équipements. Par ailleurs, certains hôpitaux sont de plus en plus endettés.

Des mesures doivent être prises pour sauvegarder le système de santé, qui assure la santé de tous nos concitoyens. Il s'agit d'un point extrêmement important. Nos travaux reposent sur le maintien d'un modèle et d'une qualité de soins au moins équivalents - le Premier président nous a demandé de travailler dans cette optique. Nous ne cherchons pas à détériorer le système de santé ; nous voulons prendre des mesures pour améliorer les choses, éviter les dépenses inutiles, etc. Il faudra avoir le courage de prendre des mesures structurelles.

Personne ne connaît les tarifs des soins, et les professionnels interviennent en quelque sorte à l'aveugle dans leur domaine. L'Ondam est de moins en moins piloté. Tel est le point que nous souhaitions mettre en évidence.

Sur les médicaments et les dispositifs médicaux, nous y sommes allés fort ! Mais les administrations elles-mêmes nous ont fait part de leur volonté d'agir ; nous les avons donc prises au mot. Nous avons donné des pistes, sur la nécessité de revoir les prix des anticancéreux, sur la maîtrise des volumes, etc. L'objectif est assez ambitieux, je le reconnais bien volontiers. Vous avez d'ailleurs cité des pistes sur les biosimilaires.

Mme Corinne Imbert, rapporteure. - En matière d'économies à faire, il ne faut pas se tromper de cible. Je partage votre remarque sur des médicaments qui coûtent très cher, dont on se demande s'ils valent vraiment leur prix même en y intégrant la recherche. Un travail doit être effectué sur ce point.

Je vous ai donné une piste, qui représente 350 millions d'euros : le délistage des médicaments. Si l'on ajoute les biosimilaires, on atteint le milliard d'euros.

M. Bernard Lejeune. - Les médicaments représentent une grande partie du dépassement de l'Ondam. Nous ne sommes pas un pays exemplaire, ni sur les volumes ni parfois sur certains prix. Le prix du médicament doit être mis en adéquation avec son efficacité : le CEPS fait ce travail.

J'en viens au secteur médico-social et au handicap. Il ne faut pas se leurrer : la branche autonomie sera en rouge vif à partir de 2030, quand la génération du baby-boom sera en âge d'être en perte d'autonomie. La prévention doit être de mise aussi pour les personnes âgées, car les années en bonne santé gagnées permettent d'économiser énormément d'argent. Cette piste ne doit pas être sous-estimée.

L'ouverture de places dans les établissements médico-sociaux a également été évoquée. Je prendrai l'exemple des personnes qui font un AVC : pour récupérer leurs fonctions motrices, elles suivent un circuit qui n'est pas optimal. Si des places étaient disponibles dans les bonnes structures, on en libérerait dans d'autres, ce qui permettrait d'aboutir à un système plus économique.

Enfin, en ce qui concerne le transfert AT-MP, le but n'est pas de mettre en difficulté cette branche, qui - vous le constatez sur le graphique - finit par être dans le rouge. On pourrait se dire que la branche AT-MP et l'assurance maladie relèvent toutes deux de la sécurité sociale, mais les logiques ne sont pas les mêmes. La branche AT-MP a une logique de prévention qui fonctionne de façon plutôt intelligente et organisée avec les partenaires sociaux, avec un effort des entreprises. Les transferts pourraient conduire à une moindre prise en compte de cette logique de prévention.

Mme Marie-Pierre Richer, rapporteure. - Je n'ai pas remis en question le travail des partenaires sociaux. Je ne voudrais pas que l'on interprète ainsi mes propos : ce n'est pas du tout ce que j'ai dit.

M. Bernard Lejeune. - Le transfert représente 1,6 milliard d'euros ; nous préconisions plutôt 2,4 milliards d'euros, ce qui correspond à la fourchette basse, et prudente, du montant estimé dans un rapport de 2024.

De manière plus générale, nous chiffrons le montant global d'économies que nous préconisons à 20 milliards d'euros en utilisant, là aussi, des chiffrages prudents.

Mme Raymonde Poncet Monge. - Je commencerai par un constat : vous avez étudié la dynamique - que vous appelez dérive - des dépenses, mais sans vous interroger sur la dynamique des recettes, car tel n'était pas la commande qui vous a été passée. Or le déficit vient de la différence entre les recettes et les dépenses. Là, on n'explique le déficit que par les dépenses...

Vous avez évalué à 1,35 % la dérive mécanique, automatique, liée au vieillissement. Disposez-vous d'estimations pour les maladies chroniques, qui sont le deuxième grand facteur de dépenses mécaniques, et pour les innovations thérapeutiques et les médicaments innovants, dont l'évolution est supérieure à la moyenne ? Va-t-on aboutir à une « dérive » mécanique de 4 %, hors fraudes ?

Tout le monde ici souhaite que les soins soient utiles, efficaces et équitables. La montée des complémentaires ne va pas dans le sens de l'équité entre les patients. Idem pour la prévention, dont on sait qu'elle est liée à un gradient social alors qu'elle est le principal axe de maîtrise des dépenses.

Vous avez indiqué que l'ambulatoire représentait 60 % des séjours, alors que je pensais que le taux était de 71 %. L'évaluation du virage ambulatoire a montré que les économies attendues n'étaient pas au rendez-vous. On ne peut donc pas s'engager dans une fuite en avant en imaginant obtenir des économies en passant à 80 %.

Pour l'assurance maladie, vous avez évoqué une augmentation en volume de sa participation aux dépenses de santé de 5,5 milliards d'euros. Mais pouvez-vous nous indiquer la part en valeur relative de l'assurance maladie par rapport aux complémentaires et au reste à charge ? On dit que l'assurance maladie se désengage, mais ce n'est pas vrai puisque les dépenses augmentent, je viens de le dire, de 5,5 milliards d'euros !

Dernière remarque : vous avez évoqué l'absence de contreparties à la suite de la revalorisation. Mais la revalorisation avait pour objet de combler un retard salarial, elle n'a pas consisté en un accroissement d'effectifs. Le personnel, déjà mal payé puisqu'il a été revalorisé, faisait déjà le maximum !

M. Jean-Marie Vanlerenberghe- S'agissant des fraudes, vous évoquez le montant de 4,5 milliards d'euros, mais en précisant que tout n'a pas été exploré. J'ai en effet constaté que la Cnam était très en retard, que le chapitre hospitalier n'avait pas été examiné - soit 90 milliards d'euros de dépenses, excusez du peu ! Alors comment peut-on extrapoler le montant de la fraude à 4,5 milliards ?

Le directeur général de la Cnam, M. Fatôme, a mis en place une méthode permettant d'effectuer davantage de contrôles, notamment grâce à des dispositifs reposant sur des algorithmes : c'est très bien, mais on peut aller plus loin. J'en avais parlé avec le Premier président de la Cour des comptes : nous avions estimé la fraude entre 5 milliards et 10 milliards d'euros, et plutôt dans la fourchette haute. M. Fatôme n'a pas encore terminé son travail alors que la commande lui est passée depuis trois ans par les ministres des comptes publics successifs. Or c'est l'estimation qui permettra de mettre en place un système de contrôle pertinent. Nous l'avons notamment fait pour les cartes Vitale, et nous avons obtenu des résultats. Nous ne sommes donc qu'à mi-chemin. J'y insiste, le chiffre avancé me paraît assez faible.

En ce qui concerne la pertinence des soins, Élisabeth Doineau a donné des chiffres qui me paraissent plus conformes à la réalité. L'OCDE évoque un taux de soins inutiles et redondants de 20 % en France ; pour notre part, nous l'avions estimé à 25 %, voire à 28%. Sur un montant de 250 à 260 milliards d'euros, vous voyez ce que cela peut donner ! Même sans atteindre les 50 milliards espérés, on pourrait trouver 10 milliards à 20 milliards d'euros d'économies sur la base d'un plan pluriannuel : cela suppose, de la part de la Haute Autorité de santé, en particulier, d'informer et de former les professionnels aux bonnes pratiques.

Mme Florence Lassarade. - Je voudrais revenir sur la carte, très intéressante, de l'écart des dépenses de santé par département. Avez-vous pu croiser les résultats avec des données sur l'état de santé des populations ? Je serai quelque peu provocatrice : s'il y a moins de médecins, est-on en meilleure santé ?

Par ailleurs, j'ai une question très précise : pouvez-vous évaluer le coût des frais de santé occasionnés par la non-vaccination des seniors contre la grippe ?

Mme Céline Brulin. - J'estime, comme Raymonde Poncet Monge, que l'impasse faite sur l'aspect recettes biaise quelque peu le débat. On ne peut examiner des déficits qu'à l'aune du rapport entre les dépenses et les recettes.

Vous avez évoqué avec humour le fait que plus il y avait de médecins, plus cela entraînait de dépenses. C'est cette logique qui a conduit à l'instauration du numerus clausus, et aujourd'hui nous nous arrachons les cheveux pour corriger la situation qui en a découlé ! Nous devons donc collectivement abandonner cette façon de voir les choses.

Comme Florence Lassarade, j'aimerais quelques précisions sur la carte : vous avez indiqué que vous aviez pondéré les résultats selon l'âge et le sexe des populations, mais, d'un département à l'autre, les indicateurs de santé, la prévalence des pathologies et les situations sociales sont tout de même extrêmement différents : comment ces éléments ont-ils été pris en compte ?

Des objectifs peuvent sembler contradictoires. Vous montrez, à juste titre, que la prévention est le parent plus que pauvre de la politique de santé en France et qu'il y a beaucoup à faire en la matière. Mais, pour changer de braquet en matière de prévention, il faut d'abord engager des dépenses plus importantes afin de les réduire à plus long terme. Même si vous envisagez les choses de manière pluriannuelle jusqu'en 2029, je ne suis pas sûre que cette logique de booster la prévention conduise immédiatement à des économies.

Dans le domaine hospitalier, je me dis de manière peut-être un peu empirique et naïve que poursuivre les restructurations ne peut qu'accroître les dépenses de transport sanitaire, dont vous montrez dans votre rapport qu'elles ont considérablement augmenté.

De même, vous avez évoqué les achats. Or le développement des groupements hospitaliers de territoire conduit à faire des appels d'offres de plus en plus importants qui ne permettent pas de réduire les coûts, bien au contraire ! Je pense, par exemple, à la fourniture de repas, pour laquelle ces appels d'offres ne permettent pas de s'adresser à des acteurs locaux.

Enfin, et sans vous faire offense - vous avez réalisé un important travail -, je veux vous faire remarquer que les pistes que vous proposez sont peu ou prou déjà mises en oeuvre depuis quelques années dans notre pays, comme on le constate dans les projets de loi de finances successifs. Or il ne me semble pas que ces pistes aient eu un effet très efficace sur les déficits de la sécurité sociale.

Vous avez mentionné le taux de 1,35 % lié au vieillissement comme une sorte de glissement vieillesse technicité, mais d'autres éléments sont en quelque sorte « incompressibles ». L'Ondam est-il vraiment le bon outil pour piloter la politique de santé en France ?

M. Khalifé Khalifé- Je voudrais d'abord évoquer la financiarisation de la santé : a-t-elle eu un impact sur les chiffres que vous avez cités ?

Ensuite, une question à laquelle je n'ai jamais eu de réponse : les « ristournes » sur certains médicaments par les laboratoires pourraient représenter presque 10 milliards d'euros par an. Les laboratoires pharmaceutiques s'en plaignent car ils sont obligés de mettre de côté des sommes importantes d'une année sur l'autre, l'État ne réclamant cet argent qu'en novembre de l'année N+1 alors que leurs dépenses se font au fil de l'eau.

Enfin, l'assurance maladie n'a-t-elle pas trop de missions disparates, qui concernent parfois même les études médicales et le rôle des doyens de médecine, ce qui la conduit à oublier certains points comme la qualité et l'efficience des soins et les fraudes ?

Mme Anne Souyris. - La Cour ne propose pas dans cette note une estimation chiffrée des économies permises par les actions de prévention. Avez-vous des données qui pourraient nous éclairer sur l'ampleur des économies réalisées en mettant en place ces actions ?

La note ne présente aucune action en santé environnementale. Pourtant, l'année dernière, la Cour a rendu à la demande de notre commission un rapport sur la santé respiratoire. Pouvez-vous formuler des propositions de mesures permettant de réaliser, à terme, des économies ?

La financiarisation de la santé a fait l'objet d'un travail de notre commission, qui montre qu'elle conduit à de nombreuses fraudes, ou du moins à des ponctions importantes sur la sécurité sociale. La Cour a-t-elle réalisé un chiffrage de ces fraudes directes ou de ces pratiques de renchérissement des soins ? Il permettrait de réfléchir à un changement de modèle économique pour développer les centres de santé non lucratifs, qui coûteraient peut-être moins cher à la sécurité sociale que les centres financiarisés.

M. Daniel Chasseing. - Les dépenses sociales ont augmenté de plus de 50 milliards d'euros depuis 2019 : c'est très important. Elles sont de 11,8 % du PIB en France, contre 10,4 % en moyenne en Europe. Nous dépensons plus que les pays européens, mais nombre de nos voisins dépensent plus que nous pour les personnes âgées, notamment l'Allemagne ou le Danemark. Il sera nécessaire, pour la prise en charge de la prévention et de la perte d'autonomie, de renforcer le personnel des 7 500 Ehpad présents sur le territoire, ainsi que celui qui permet d'assurer le maintien à domicile. En 2022, il était prévu de recruter plus de 50 000 soignants et aide-soignants supplémentaires, pour une somme de 2,5 milliards d'euros par an. Vos estimations tiennent-elles compte de ces dépenses, qui depuis 2022 ont été annoncées, mais n'ont pas été réalisées ? Le plan grand âge n'a pas été financé... Les 400 millions d'euros supplémentaires prévus dans l'Ondam pour la branche vieillesse ne semblent qu'une demi-mesure. Comment prévoyez-vous que cette dépense augmentera, au vu de l'augmentation de la dépendance d'ici à 2030 ?

Par ailleurs, dans certains hôpitaux périphériques, des services semblent d'un autre temps. Il faudra là encore des dépenses supplémentaires pour les réhabiliter.

Mme Émilienne Poumirol. - Mes collègues Raymonde Poncet Monge et Céline Brulin ont déjà fait des remarques que je souhaitais faire, et je serai donc brève. Quel est l'intérêt réel de l'Ondam ? Le financement de notre protection sociale ne devrait-il pas plutôt être évalué par rapport à une proportion du PIB, plutôt que d'étudier sa progression en points par rapport aux dépenses des années précédentes ?

Conformément à ce qui vous était demandé, vous ne vous attaquez qu'au volet des dépenses, mais cela ne reflète pas la réalité de l'équilibre des comptes de la protection sociale. Vos propositions illustrent le besoin de réformes structurelles, d'un grand projet de santé et d'une restructuration de notre système de soins. Certaines de vos propositions sont pertinentes. Je suis d'accord avec Corinne Imbert pour faire la distinction entre les petits laboratoires qui produisent des médicaments génériques à bas coût et les entreprises du Big Pharma. Même si le CEPS joue son rôle, la non-transparence de la fixation des prix des médicaments innovants pose problème : leur prix n'est pas vérifié chaque année, et des médicaments pour lutter contre l'hépatite C sont par exemple toujours vendus au prix de 2014, ce qui n'est pas normal. Il faut s'attaquer à ce type de problème. Pour Sanofi, il est plus intéressant de faire de la thérapie génique à 1 million d'euros la dose que de vendre du Doliprane...

Plus il y a de médecins, plus cela coûte cher, avez-vous indiqué. Ne pensez-vous pas que les hospitalisations injustifiées sont aussi liées au mauvais maillage de notre territoire en médecins et aux déserts médicaux, qui poussent les patients à se rendre directement à l'hôpital ? L'amélioration de la réponse de proximité pourrait ainsi conduire à réaliser des économies en la matière.

M. Alain Milon. - Vos propositions ont déjà été mises en place par les gouvernements successifs et le Parlement, même si c'est peut-être à dose homéopathique. Il faut trouver des solutions nouvelles. Quelles que soient leurs orientations politiques, nos institutions, nos gouvernements ont admis le principe que le système actuel ne peut plus vivre, qu'il faut progressivement le laisser mourir, avant d'administrer un traitement puissant pour le remplacer à tout crin par le privé, ce que je redoute.

Vous préconisez de la rigueur pour les directeurs d'hôpitaux et les professionnels de santé, mais je ne vous entends pas le faire pour les patients. Quand mes confrères reçoivent des patients, ceux-ci leur demandent souvent un traitement ou des examens particuliers, et menacent de poursuites s'ils ne les reçoivent pas. Il faut responsabiliser les patients, qui savent très bien que les examens qu'ils demandent ne sont pas toujours utiles, et qu'ils ont un coût. Des actes redondants sont faits en permanence. Lorsque j'ai consulté un médecin pour une sciatique, il m'a tout de suite proposé un scanner, sans même m'examiner, confirmer le diagnostic ou me proposer un traitement. Les médecins ont peur de leurs patients et d'internet...

- Présidence de M. Jean Sol, vice-président -

M. Bernard Lejeune. - Je souhaitais dissiper un malentendu : lorsque j'ai dit que plus il y a de médecins, plus cela coûte cher, je ne voulais pas dire que l'augmentation du nombre de médecins conduit à une augmentation des dépenses de santé. Je commentais une carte, et je voulais faire remarquer que selon les territoires, la corrélation entre le nombre de médecins et l'évolution des dépenses n'est pas automatique. Toutefois, nous avons remarqué que dans certains territoires qui comportent plus de médecins que nécessaire, les dépenses sont parfois également au-delà du nécessaire. C'est cela que nous voulions mettre en avant, et non justifier le rétablissement du numerus clausus. Le but n'est pas de justifier qu'il faut moins de médecins : le rapport a été rédigé à système équivalent et à qualité de soins au moins équivalente.

Nous abordons les recettes sur d'autres rapports, notamment dans le Ralfss, mais la commande à laquelle ce rapport répondait ne concernait que les dépenses. J'avais parlé d'une sorte de GVT lié au vieillissement de la population. Il y a aussi les maladies chroniques ou encore les produits innovants, dont le coût est passé de 2,4 milliards d'euros en 2022 à environ 7 milliards d'euros en 2027. Je ne reviens pas sur notre proposition, mais revoir les prix des médicaments semble tout à fait utile. Mécaniquement, le rythme d'augmentation des dépenses est supérieur à celui des recettes, en raison de l'effet dû au vieillissement. Il y a donc une pression à la hausse très importante, qui dépasse les recettes actuelles, sauf à augmenter ces dernières.

Mme Émilienne Poumirol. - C'est bien ce que nous disons !

M. Bernard Lejeune. - J'ai souligné que l'augmentation des montants liés aux conventions médicales n'était pas illégitime. Toutefois, celles-ci comportent des contreparties qui ne sont pas pilotées. Revaloriser les professions de santé ne pose pas de problème, mais il faut avec l'aide des professionnels parvenir à contrôler les dynamiques de ces contreparties.

Sur la fraude, M. Jean-Marie Vanlerenberghe a évoqué un chiffre de 10 milliards d'euros. Celui que nous proposons, de 4,5 milliards d'euros, n'est peut-être pas complet, mais il a été calculé avec l'assurance maladie, et il nous semble crédible. Thomas Fatôme l'a indiqué, la Cnam commence tout juste à contrôler les fraudes à la tarification à l'activité (T2A) dans les hôpitaux. Sans être suspicieux, il me semble que le poids des fraudes des professionnels est plus important que celui des fraudes des patients. C'est un fait.

Il nous a été demandé si nous avions pris en compte l'état de santé des populations, en particulier au sujet de la vaccination contre la grippe. J'ai demandé que notre chambre étudie d'une part le coût d'une campagne de vaccination de toute la population, et d'autre part les économies qu'une telle campagne permettrait de réaliser. De façon générale, tous les sujets de prévention pourraient être étudiés sous cet angle, pour montrer l'effet positif de la prévention. Il y a un investissement au départ, mais celui-ci n'est pas que financier : c'est un investissement de santé, et nous sommes persuadés que son coût est bien faible par rapport aux économies qu'il permettrait de réaliser. Les dépenses en matière de prévention n'ont d'ailleurs presque pas évolué depuis longtemps, si l'on excepte les dépenses liées au covid : ce sujet n'a pas fait partie des priorités retenues.

Nous sommes en train d'étudier les écarts et les prévalences sociales au sujet des diagnostics de pathologies. Le diabète en fournit un très bon exemple. Il s'agit d'un sujet de santé publique : il faut assurer l'accès aux soins et le suivi, nettement plus faibles, pour nos compatriotes les moins favorisés.

La financiarisation de la santé est un sujet sensible. Nous ne l'avons pas directement évoqué dans ce rapport, mais nous le traiterons dans le Ralfss, plus spécifiquement au sujet des pharmacies. Nous traiterons ce sujet régulièrement. Dans le cadre des fraudes, il n'est pas impossible que la Cour commence à contrôler de plus en plus des groupes privés, dans les secteurs de la santé et du médico-social. Comme vous avez donné cette compétence à la Cour, ce dont je vous remercie, nous nous en saisissons pour suivre au mieux les dérives qui peuvent exister, en essayant de coordonner nos actions avec celles des administrations centrales et des inspections générales pour utiliser nos forces le plus efficacement possible.

Vous avez demandé si des mesures annoncées n'avaient pas été financées. Les exemples ne manquent pas : Ségur de la santé, plan grand âge, dépassement de l'Ondam en 2024... Certes, les propositions que nous présentons ressemblent à des mesures habituelles, mais leur application a souvent été bien timide, alors que nous prévoyons de les appliquer très fortement. Il faut faire des mesures plus fortes et un meilleur pilotage public. L'Ondam n'est peut-être pas un outil parfait, mais il permet au moins d'insister sur le pilotage des dépenses. Il faudra peut-être aller plus loin dans les mesures et faire évoluer le modèle, mais cela ne correspondait pas à notre réflexion, qui se faisait à modèle constant. Nous nous sommes d'ailleurs aventurés à proposer un encadré sur le bouclier sanitaire, en donnant l'exemple de l'Allemagne, et nous avons vu l'effet produit... Nous sommes restés dans l'optique de la commande, mais nous essayerons peut-être par la suite de faire des préconisations plus fortes dans des domaines particuliers. Soit il y a une prise de conscience générale et les professionnels et les patients font des efforts, soit nous devrons faire évoluer notre modèle : il vous appartient d'y réfléchir.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Projet de loi portant transposition des accords nationaux interprofessionnels en faveur de l'emploi des salariés expérimentés et relatif à l'évolution du dialogue social - Désignation de rapporteurs

La commission désigne Mmes Anne-Marie Nédélec et Frédérique Puissat rapporteurs sur le projet de loi portant transposition des accords nationaux interprofessionnels en faveur de l'emploi des salariés expérimentés et relatif à l'évolution du dialogue social, sous réserve de son dépôt.

La réunion est close à 12 h 30.