Jeudi 15 mai 2025

- Présidence de Mme Dominique Vérien, présidente -

La réunion est ouverte à 8 h 30.

Table ronde avec des représentantes d'associations oeuvrant pour la mixité dans les sciences

Mme Dominique Vérien, présidente. - Chers collègues, Mesdames, dans le cadre de nos travaux sur la thématique « Femmes & Sciences » entamés il y a trois mois, nous recevons ce matin des représentantes de plusieurs associations oeuvrant depuis de nombreuses années en faveur de la parité dans les sciences et plus particulièrement dans les mathématiques.

Notre mission vise à identifier les leviers d'action permettant de donner aux filles et aux femmes toute leur place dans les parcours et carrières scientifiques, alors qu'elles ne représentent encore qu'un tiers des chercheurs scientifiques et un quart des ingénieurs en France.

Cette sous-représentation féminine dans les études et carrières scientifiques, que ce soit dans le domaine de l'ingénierie, de la recherche, de l'informatique ou du numérique, est la conséquence d'une insuffisante orientation des filles vers les filières et spécialités scientifiques au lycée puis dans les études supérieures, mais aussi de différences de représentations et de résultats entre filles et garçons dès l'école primaire, en particulier en mathématiques.

En 2023, la France ne comptait ainsi que 13 % d'étudiantes universitaires diplômées dans les domaines des Sciences, technologies, ingénieries et mathématiques (STIM), contre 40 % d'étudiants diplômés. Par ailleurs, près de la moitié des filles élèves de terminale n'avaient choisi aucun enseignement de spécialité en sciences contre 28 % des garçons.

Et parmi celles qui se lancent dans des carrières scientifiques après leurs études, il semblerait que près de la moitié d'entre elles quitte le monde scientifique au cours des dix années suivantes : il s'agit du phénomène bien connu du « tuyau percé ».

Malheureusement, la France n'évolue, pour l'heure, pas dans la bonne direction : on sait que le nombre de doctorantes dans la Tech a baissé de 6 % entre 2013 et 2020, là où leur nombre augmentait de 19 % en Europe.

Nos précédentes auditions nous l'ont bien montré : les défis sont nombreux et présents à tous les niveaux, celui de la famille et de la société dans son ensemble, celui du système éducatif, celui des différents paliers d'orientation dans l'enseignement secondaire et supérieur, celui des trajectoires professionnelles et, plus globalement, au niveau des politiques publiques dans leur ensemble.

Suite à la publication récente d'un rapport conjoint de l'Inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche et de l'Inspection générale des finances, intitulé Filles et mathématiques : lutter contre les stéréotypes, ouvrir le champ des possibles, la ministre de l'éducation nationale, Élisabeth Borne, a annoncé le 6 mai un plan « Filles et maths » et plusieurs mesures fortes visant à féminiser les filières scientifiques et, plus basiquement, à redonner le goût des maths aux petites filles.

Parmi ces mesures, la ministre propose notamment :

• de sensibiliser et former tous les professeurs aux biais et stéréotypes de genre en sciences, de l'école primaire jusqu'au lycée ;

• de sensibiliser les parents à l'intérêt des filières scientifiques pour les filles ;

• de renforcer la place des filles dans les enseignements qui ouvrent vers les filières d'ingénieur et du numérique avec un objectif, d'ici 2030, de 50 % de filles qui choisissent la spécialité maths en première et en terminale, et de 30 % de filles dans chaque classe préparatoire scientifique ;

• enfin, de promouvoir des rôles modèles scientifiques féminins dans le cadre d'un renforcement de la politique d'éducation à l'orientation.

Dès lors, il nous a semblé essentiel, avec les quatre rapporteures Marie-Do Aeschlimann, Jocelyne Antoine, Laure Darcos et Marie-Pierre Monier, présentes à mes côtés, de recevoir ce matin des représentantes de divers collectifs et associations oeuvrant pour plus de mixité dans les sciences, pour entendre à la fois leur analyse des causes de la moindre présence de femmes dans les études et les carrières scientifiques, mais aussi leurs propositions de solutions pour amener plus de filles et de femmes vers les sciences.

Je précise que cette table ronde fait l'objet d'une captation audiovisuelle en vue de sa retransmission en direct sur le site et les réseaux sociaux du Sénat.

J'ai donc le plaisir d'accueillir :

• Fatima Bakhti, présidente de l'Association Femmes Ingénieures ;

• Valérie Brusseau, présidente de l'association Elles bougent, accompagnée d'Isabelle Huet, directrice générale ;

• Françoise Conan, professeure des universités à la faculté de sciences de Brest (Finistère), présidente de l'association Femmes & Sciences ;

• Mélanie Guenais, maîtresse de conférences au laboratoire de Mathématiques d'Orsay, Université Paris-Saclay, et coordinatrice du collectif Maths et sciences ;

• et Véronique Slovacek-Chauveau, présidente d'honneur de l'association Femmes et mathématiques.

Je vous souhaite à toutes la bienvenue.

Je vais laisser la parole à chacune d'entre vous pour un propos liminaire, avant de me tourner vers mes collègues rapporteures qui vous poseront des questions.

Avant de vous laisser la parole, j'aimerais soumettre à votre appréciation quelques points déjà évoqués devant notre délégation :

• tout d'abord, la question des quotas pour accélérer la mixité dans les études scientifiques : que ce soit au moment des concours d'entrée dans les écoles d'ingénieurs et les ENS ou, en amont, pour l'intégration dans les classes préparatoires en sortie de bac ;

• également, la mise en place de bourses ou d'allocations spécifiques pour encourager les jeunes femmes à s'engager dans des parcours scientifiques ;

• enfin, l'importance d'une réelle politique de lutte contre les violences sexistes et sexuelles (VSS) dans les études et carrières scientifiques.

Pour évoquer l'ensemble de ces sujets, je me tourne dans un premier temps vers Fatima Bakhti, présidente de l'Association Femmes Ingénieures.

Mme Fatima Bakhti, présidente de l'Association Femmes Ingénieures. - Merci beaucoup pour votre invitation à cette table ronde ce matin.

Très fréquemment, nous rencontrons de jeunes filles et de jeunes garçons qui nous interrogent : qu'est-ce qu'un ingénieur ? Quel est son rôle dans la société ? Un ingénieur utilise ses compétences scientifiques, mathématiques et techniques, mais également des qualités humaines, telles que la capacité à travailler en équipe, afin d'apporter des réponses concrètes à des problématiques réelles. Il existe des ingénieurs dans tous les secteurs d'activité, dans l'ensemble des domaines économiques et sociaux.

Le diplôme d'ingénieur est délivré à l'issue d'une formation accréditée par la Commission des Titres d'Ingénieur (CTI). Ce titre ouvre la voie à une multitude de professions. Pourtant, en France, les femmes demeurent sous-représentées dans ces carrières. Or, ce sont des métiers rémunérateurs et porteurs de sens, au coeur des grands enjeux sociétaux contemporains. Les femmes y ont toute leur place, et elles y sont attendues.

C'est précisément pour cette raison que l'association Femmes Ingénieures oeuvre depuis plus de 43 ans. Nous sommes convaincues que la mixité constitue une richesse, une source de compétences, et un véritable levier de compétitivité pour les entreprises et les organisations.

Notre association, reconnue d'intérêt général, s'inscrit pleinement dans la communauté des ingénieurs et scientifiques de France. Elle regroupe des membres bénévoles issus de tous les métiers de l'ingénierie, répartis sur l'ensemble du territoire. Ensemble, nous oeuvrons concrètement en faveur de la mixité.

Nous agissons dans les territoires, par le biais de déléguées régionales. Nous le faisons sur tous les fronts ; car oui, ce sont bien des fronts. D'une part, nous faisons la promotion des métiers de l'ingénierie auprès des jeunes, dans les collèges, les lycées, lors de forums ou de rencontres avec les familles. Ce travail de sensibilisation est essentiel. D'autre part, nous mettons en lumière les parcours et les réussites des femmes ingénieures, afin de les rendre visibles et de proposer des modèles d'identification inspirants.

Depuis la loi Copé-Zimmermann, nous accompagnons également les femmes ingénieures souhaitant siéger dans des conseils d'administration, à travers une commission dédiée.

Nous sommes convaincues que l'action collective est essentielle : seul on va plus vite, mais ensemble, on va plus loin. C'est pourquoi nous collaborons activement avec de nombreuses associations et collectifs, dont plusieurs sont représentés ici aujourd'hui. Ces partenariats, ancrés dans la durée, se traduisent également au niveau local, où nos équipes travaillent conjointement sur le terrain.

Les freins à la féminisation des métiers de l'ingénierie sont multiples. En mathématiques nous dirions qu'il s'agit d'une équation à plusieurs inconnues. Vos auditions précédentes ont mis en évidence des facteurs majeurs, notamment les stéréotypes de genre, qui persistent et découragent les jeunes filles. À cela s'ajoute une méconnaissance généralisée de ce qu'est réellement le métier d'ingénieur -- un métier passionnant, profondément utile à la société - et de son sens.

Par ailleurs, l'environnement professionnel encore très masculin peut susciter une réticence chez les jeunes filles, parfois renforcé par des manifestations de sexisme ordinaire, voire de violences sexistes et sexuelles.

Pour les femmes déjà en poste, les obstacles prennent la forme du plafond de verre, du mur de verre, ou encore du plancher collant - autant de freins invisibles, mais bien réels, qui peuvent conduire à un découragement, voire à un abandon de carrière. Il est donc fondamental de les accompagner à chaque étape de leur parcours.

Pour accompagner et soutenir les jeunes filles dans leurs choix d'orientation dès le secondaire, il convient également de les accompagner dans l'enseignement supérieur. La déconstruction des stéréotypes doit commencer dès le plus jeune âge. De nombreuses initiatives émergent déjà en ce sens. Il est essentiel de sensibiliser les jeunes aux métiers scientifiques et techniques tout au long de leur parcours scolaire, en particulier aux enjeux clés qui y sont associés. Vous le savez, les choix d'orientation s'effectuent très tôt. Les élèves doivent avoir accès à une information claire, concrète et adaptée sur ces métiers dès le plus jeune âge.

Parmi les pistes à explorer, nous pourrions faire de la classe de seconde un moment charnière, un pivot pour l'orientation vers les filières STIM. Dans chaque territoire, les collèges - notamment les classes de quatrième et de troisième - pourraient collaborer avec les lycées de proximité. Des rencontres pourraient ainsi être organisées entre collégiens et lycéens ayant choisi les spécialités scientifiques en première et terminale. Ce type d'échange entre pairs fonctionne généralement très bien : le dialogue de jeune à jeune s'avère souvent plus pertinent. C'est une initiative simple à mettre en oeuvre localement, mais qui peut avoir des effets concrets et durables.

Il me semble également important de rappeler que choisir, c'est renoncer. Nous avons tous fait des choix d'orientation qui nous ont amenés à délaisser certaines disciplines, parfois à regret. Les jeunes filles n'abandonnent pas les mathématiques par désintérêt : elles expriment des préférences, font des arbitrages. Le choix des spécialités implique nécessairement des renoncements, et cela doit être pris en compte dans les politiques éducatives. Il faut donc développer davantage de passerelles et encourager la pluridisciplinarité. Nous en avions autrefois en terminale. Aujourd'hui, il convient de les renforcer au niveau post-bac. Certaines voies commencent à émerger, comme les combinaisons entre biologie et informatique ou science des données. Ces croisements de compétences ouvrent de nouvelles perspectives et permettent à chacune de trouver le métier qui lui correspond.

Concernant la carrière des femmes dans les métiers de l'ingénierie, les solutions doivent inclure tout l'écosystème professionnel. Cela signifie aussi que les hommes sont des alliés indispensables. Messieurs, vous avez toute votre place dans cette démarche collective.

Les femmes, dans leur parcours professionnel, ont besoin d'échanger et de dialoguer sur leurs aspirations, leurs contraintes, et les arbitrages qu'elles doivent faire, notamment en matière d'équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle. Certaines souhaitent s'investir également dans des activités extraprofessionnelles. Il est donc nécessaire de valoriser la diversité des trajectoires féminines afin que chacune puisse s'y reconnaître.

À ce titre, il serait pertinent d'organiser davantage de rencontres entre femmes ingénieures issues de différents secteurs, pour favoriser l'entraide, le mentorat, et encourager la poursuite de carrières techniques et scientifiques.

Les lois Copé-Zimmermann ou Rixain ont donné lieu à des avancées majeures : elles permettent aux femmes d'accéder davantage aux conseils d'administration et aux postes à responsabilité. Veiller à leur bonne application est essentiel.

Concernant la question des quotas, il nous semble qu'ils devraient être considérés non comme des privilèges, mais comme des instruments de correction d'un déséquilibre historique. Les femmes qui en bénéficient méritent pleinement leur place - qu'il s'agisse d'intégrer une classe préparatoire ou une école d'ingénieurs. Toutefois, ces dispositifs ne sauraient produire leurs effets sans un vivier suffisamment fourni. Il est donc indispensable d'agir en amont, de manière volontariste, pour le constituer. Sans cela, les quotas deviennent inopérants.

Ensuite, les bourses et les places en internat sont fondamentales et adressent un message fort aux jeunes filles et à leurs familles, notamment celles qui peuvent être réticentes à voir leurs filles partir loin du domicile. Leur garantir un hébergement adapté, en internat ou en résidence universitaire, contribue à instaurer un climat de confiance.

L'association Femmes Ingénieures agit très concrètement sur ces sujets. L'an dernier, nous avons rencontré plus de 16 000 jeunes pour leur faire découvrir nos métiers et déconstruire les idées reçues.

Nous sommes également très engagées sur la question du passage à l'échelle et sur l'égalité des chances territoriales. Chaque année, nous organisons un forum virtuel intitulé « Ingénieur.e ? C'pour moi ! ». Accessible dans le métavers, il permet aux élèves de toutes les régions de France d'échanger avec des femmes ingénieures, issues de nombreux secteurs et entreprises, sur leur temps scolaire. En 2024, lors de cet évènement, nous avons organisé 148 interventions en une seule journée. Ce sont 8 500 jeunes issus de 89 établissements différents qui y ont participé. Ce chiffre témoigne d'une mobilisation à l'échelle nationale, bien au-delà de la seule région parisienne.

Nous agissons également de manière ciblée auprès des ingénieurs en activité dans le monde professionnel. La mise en visibilité des femmes ingénieures passe par des prix. À ce titre, nous sommes partenaires ou membres de jurys de récompenses emblématiques, tels que le Prix Ingénieuses, remis par la Conférence des directeurs des écoles françaises d'ingénieurs. La cérémonie aura d'ailleurs lieu cet après-midi. Mais ce n'est pas le seul évènement : citons également les Trophées des femmes de l'industrie, organisés par la rédaction de L'Usine Nouvelle, ainsi que d'autres distinctions majeures. Toutes ces initiatives contribuent à valoriser les parcours et les réussites des femmes dans l'ingénierie.

Par ailleurs, nous organisons les Cafés Ingénieuses, des temps d'échange et de partage entre femmes ingénieures. Ces rencontres ont pour objectif de favoriser le développement de réseaux professionnels, d'encourager le dialogue autour des parcours, mais aussi d'approfondir des thématiques techniques. Ce sont des espaces d'apprentissage, de soutien mutuel et de transmission d'expérience.

Enfin, nous participons activement aux nombreuses initiatives portées par nos partenaires institutionnels et associatifs. Nous collaborons notamment avec le collectif Maths et Sciences, dont nous sommes proches, et sommes membres historiques du Cercle InterElles. Nous participons également aux travaux de 2Gap, du collectif Ensemble contre le sexisme, et nous soutenons avec conviction les programmes tels que Tech pour toutes, Femmes@Numérique, ou encore des actions en faveur de la place des femmes dans l'industrie.

À travers ces engagements multiples, notre objectif demeure le même : porter la voix des femmes ingénieures aussi largement que possible.

Je vous remercie de votre attention.

Mme Dominique Vérien, présidente. - Merci beaucoup pour votre intervention très intéressante. J'aurai de nombreuses questions à vous poser tout à l'heure.

Je vais désormais laisser la parole à Valérie Brusseau, présidente de l'association Elles bougent.

Mme Valérie Brusseau, présidente de l'association Elles bougent. - Je vous remercie de donner la parole à notre association.

Depuis plus de vingt ans, Elles bougent oeuvre sur l'ensemble du territoire français, y compris dans les départements et régions d'outre-mer, au travers de 26 délégations régionales, dans le but de susciter des vocations scientifiques et techniques auprès des jeunes filles. Notre principal levier d'action réside dans la mobilisation de rôles modèles : des femmes engagées dans les sciences et les technologies, qui interviennent pour déconstruire les stéréotypes de genre et encourager les jeunes filles à envisager des carrières scientifiques et techniques.

Cette question de la mixité concerne évidemment les métiers d'ingénieur, et nous travaillons à ce titre en lien étroit avec l'ensemble des associations partenaires ici présentes. Toutefois, il convient également de ne pas négliger la situation des techniciennes, qui rencontrent elles aussi des difficultés d'accès à ces filières.

Il s'agit aujourd'hui non seulement d'un enjeu d'égalité, mais également d'un enjeu de performance pour les entreprises - je m'exprime ici également en tant qu'industrielle - et, plus largement, pour notre pays. Dieu sait s'il en a besoin !

L'année dernière, Elles bougent a mené une enquête auprès de 6 000 femmes engagées dans des carrières scientifiques, qu'elles soient en poste ou en formation. Permettez-moi de mettre en exergue quatre résultats clés de cette enquête, qui mettent en évidence la persistance des stéréotypes de genre :

• 82 % des participantes déclarent avoir été confrontées à des stéréotypes de genre ;

• 64 % d'entre elles ont été dissuadées de poursuivre en mathématiques, avec pour justification que « les mathématiques ne sont pas faites pour les filles » - un constat d'autant plus marqué chez les techniciennes ;

• une femme sur cinq a été découragée d'entreprendre des études scientifiques ;

• 63 % des jeunes femmes engagées dans les sciences estiment que l'industrie demeure peu attractive.

Les résultats de cette enquête ont été présentés à Madame la ministre Élisabeth Borne en février, et nous avons été auditionnés par l'Inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche (IGESR) et par l'Inspection générale des finances (IGF) dans le cadre de leur rapport « Filles et maths ».

Forte de son maillage territorial, l'association Elles bougent mobilise aujourd'hui 15 000 rôles modèles. Nous intervenons chaque année auprès de 45 000 jeunes filles, en métropole comme dans les DROM. Nous menons plus de 1 000 actions annuelles, en partenariat avec 2 000 établissements scolaires et 350 entreprises. Cependant, en l'absence d'une politique publique volontariste, ni Elles bougent, ni les associations partenaires réunies ici ne parviendront à provoquer un changement structurel. Nous nous réjouissons donc qu'un certain nombre de mesures issues de notre enquête aient été entendues.

La première concerne la formation des enseignants. Jusqu'à présent, dans le cadre des plans en faveur de la mixité ou d'autres conventions interministérielles, cette formation reposait sur le volontariat. Nous saluons désormais le fait que, dans le cadre du programme Filles et Sciences, cette action structurante devienne obligatoire pour l'ensemble des enseignants, dès l'école primaire. Elle vise à promouvoir une formation inclusive, conformément à nos recommandations, en particulier en ce qui concerne l'enseignement des mathématiques.

Il convient de rappeler que les enseignants sont des acteurs majeurs de l'orientation. Or, comment assurer une orientation vers les sciences physiques ou les filières techniques, lorsque près de 80 % des enseignants sont issus des filières littéraires ou des sciences humaines, ou lorsque les professeurs de sciences de l'ingénieur méconnaissent les métiers industriels ?

Il est aussi essentiel que la formation passe par l'expérimentation. C'est précisément ce que nous mettons en oeuvre avec Elles bougent en primaire. Nous vous avons d'ailleurs apporté un jeu pédagogique à cet effet. Nous intervenons dans les classes de CM1, où nous expliquons qu'il n'existe pas de métiers « féminins » ou « masculins », mais simplement des métiers. Et surtout, en fin de matinée, nous organisons une expérience scientifique, destinée à encourager les petites filles à prendre conscience de leur potentiel dans les disciplines scientifiques.

La seconde mesure concerne la sensibilisation des parents. Nous savons tous que les familles, comme l'entourage en général, sont prescripteurs dans les choix d'orientation. C'est pourquoi, lorsque nous menons des actions dans le cadre d'Elles bougent en primaire, nous remettons systématiquement une fiche pédagogique à destination des parents, glissée dans le cahier de liaison, pour contribuer à la déconstruction des stéréotypes. Nous organisons également des rencontres avec les parents après nos interventions. Par ailleurs, nous sommes présents dans de nombreux salons étudiants, avons publié un numéro spécial en partenariat avec Studyrama, et lançons régulièrement des campagnes de sensibilisation à destination des parents sur les réseaux sociaux.

Nous croyons fermement en la mise en oeuvre d'une grande campagne nationale à 360 degrés, ainsi qu'en l'instauration d'une journée nationale de sensibilisation à la déconstruction des stéréotypes, à destination du grand public.

S'agissant de la promotion des rôles modèles, nous nous félicitons naturellement de cette proposition. Vous l'aurez compris, avec nos 15 000 marraines, c'est l'axe fondamental de notre action. Les rôles modèles jouent un rôle essentiel : elles constituent un levier de fidélisation au sein même de l'entreprise. Lorsqu'elles viennent témoigner de leur parcours et parler de leur société, elles le font avec un sentiment de fierté et d'appartenance. Par ailleurs, ces rôles modèles développent leur employabilité, leurs compétences en prise de parole publique, et renforcent leur légitimité professionnelle.

Cependant, le recrutement de marraines demeure un enjeu. Nous devons encourager les entreprises à libérer du temps de travail pour permettre à leurs collaboratrices de s'engager dans ce rôle, ce qui est d'autant plus vrai pour les techniciennes. Il faut également inciter davantage les étudiantes à intervenir auprès des lycéennes et des collégiennes, car cette proximité générationnelle est particulièrement efficace. Enfin, concernant le personnel enseignant, qui peut lui aussi faire figure de rôle modèle, les engagements reposent aujourd'hui sur la base du volontariat. Comment aller plus loin ?

Pour ce faire, Elles Bougent formule trois propositions, fondées sur un renforcement des incitations fiscales en matière de mécénat de compétences, en s'inspirant du modèle de l'amendement Coluche.

La première proposition vise à porter la déduction fiscale de 60 % à 90 % du montant du don sur l'impôt sur les sociétés, pour toute mobilisation d'au moins trois jours par salarié et par an, couplée à la suppression du plafond de 2 millions d'euros actuellement en vigueur.

La deuxième proposition consiste à intégrer la participation associative - notamment avec Elles Bougent - dans le système de notation des étudiantes en école d'ingénieur, à rendre obligatoire la labellisation « égalité filles-garçons », et à étendre cette exigence aux référents égalité dès le premier degré.

Enfin, s'agissant de la question des quotas, nous adoptons une position plus volontariste que celle actuellement en vigueur, qui se limite aux établissements élitistes (classes préparatoires, filières scientifiques d'excellence). Nous demandons la généralisation des quotas à toutes les écoles d'ingénieurs, notamment celles avec classes préparatoires intégrées, ainsi qu'à toutes les filières universitaires préparant aux carrières scientifiques.

En ce qui concerne les bourses, permettez-moi un témoignage personnel : vous avez devant vous un pur produit de l'ascenseur social, si je puis dire. Sans bourse, je n'aurais jamais accédé à des études scientifiques, et n'aurais donc pu prétendre aux fonctions de cadre dirigeante que j'exerce aujourd'hui. Notre enquête révèle d'ailleurs que 19 % des femmes interrogées citent le coût des études comme un frein majeur, ce qui démontre la nécessité d'agir concrètement sur ce point.

Notre enquête indique que 40 % des femmes craignent d'être confrontées à des violences sexuelles et sexistes au cours de leur carrière ; et 45 % des femmes actives, tout comme 65 % des étudiantes, attendent des mesures plus ambitieuses de la part des entreprises ou établissements d'enseignement supérieur.

Ces violences sont particulièrement présentes au moment de l'entrée dans la vie professionnelle, il est donc essentiel d'agir en amont. C'est ce que nous faisons chez Elles Bougent, au travers de webinaires de formation, qui réunissent en moyenne plus de 300 participantes chacun, à raison d'une dizaine de sessions organisées chaque année. Nos marraines jouent aussi le rôle d'ambassadrices contre les violences sexistes et sexuelles, elles font évoluer les mentalités. Surtout, nous préconisons des actions dans les entreprises, où des campagnes de communication peuvent également être menées. Nos partenaires industriels sont très mobilisés : nous avons notamment accompagné la campagne « Carton Rouge » menée par notre entreprise partenaire Vinci, pour sensibiliser à ces violences.

Enfin, nous recommandons que la formation à la lutte contre les violences sexistes et à la culture de l'égalité soit rendue obligatoire dans les entreprises, à tous les niveaux, et notamment auprès des managers et des décideurs, dans une perspective d'intégration complète à la politique de responsabilité sociétale (RSE).

C'est ensemble - associations familles, établissements d'enseignement, enseignement supérieur, entreprises et pouvoirs publics - que nous parviendrons à faire progresser concrètement la mixité dans les métiers scientifiques et techniques.

Nous vous remercions.

Mme Dominique Vérien, présidente. - C'est moi qui vous remercie pour toutes vos actions et pour la mise en lumière de femmes qui réussissent.

Je me tourne désormais vers Françoise Conan, présidente de l'association Femmes & Sciences.

Mme Françoise Conan, présidente de l'association Femmes & Sciences. - Je me réjouis de pouvoir m'adresser à vous aujourd'hui afin de vous présenter l'association Femmes & Sciences, que j'ai l'honneur de présider depuis près d'un an.

Femmes & Sciences est une structure légèrement plus récente que Femmes Ingénieures. Cette année, elle célèbre son 25e anniversaire. Elle est implantée sur l'ensemble du territoire national et regroupe environ 600 membres, qu'il s'agisse de personnes physiques - toutes bénévoles - ou de personnes morales.

Cette association a été fondée en 2000 par un collectif de femmes scientifiques, parmi lesquelles Claudine Hermann, première femme professeure à l'École polytechnique, à la mémoire de laquelle je rends ici hommage. Ce groupe comprenait également la sociologue Françoise Gaspard, ainsi que d'autres femmes mathématiciennes, et l'association Femmes et Mathématiques, avec laquelle nous collaborons étroitement, tout comme avec Femmes Ingénieures.

Les objectifs de l'association sont clairs :

• promouvoir les sciences et les techniques auprès de la jeunesse, en particulier auprès des jeunes filles ;

• valoriser les femmes scientifiques ;

• agir auprès des pouvoirs publics, en alertant et en communiquant.

De nombreux points ont déjà été évoqués. Je ne reviendrai pas dessus. Je pense que nous partageons de nombreuses convictions sur ces sujets. Je souhaiterais néanmoins apporter quelques précisions sur les actions concrètes que nous menons, à travers des groupes de travail organisés par thématiques : interventions auprès des scolaires, mentorat, communication, etc.

Nous rencontrons chaque année des élèves de classes primaires - c'est une action assez récente - ainsi que des collégiens et des lycéens. À titre d'exemple, en 2024, nous aurons sensibilisé près de 19 000 élèves, que ce soit dans les classes ou à l'occasion d'évènements tels que Faites de la science, des salons, et autres manifestations.

Notre antenne de Toulouse a lancé l'initiative « Mat & Prim » - non pas pour « mathématiques et primaires », mais pour « maternelles et primaires ». Elle a pour objectif de faire découvrir les métiers scientifiques dès le plus jeune âge, et de démontrer que la science s'adresse à toutes et tous, filles comme garçons. Elle repose sur des ateliers interactifs de courte durée, animés par des femmes scientifiques. Elle permet de sensibiliser à l'égalité filles-garçons et de travailler sur les stéréotypes. L'un des atouts majeurs de cette action réside dans le fait qu'elle est organisée au sein même des établissements scolaires, et qu'elle touche toutes les classes, du CP au CM2. Elle est en cours de développement.

L'initiative « Sciences : Métiers de Femmes » a quant à elle été initiée à Lyon, en partenariat avec l'École normale supérieure. Il s'agit d'une initiative non mixte, car il a été démontré que les jeunes filles s'expriment plus librement lorsqu'elles sont entre elles. Cette action prend la forme d'une journée de témoignages, durant laquelle une marraine inspirante - telle que Françoise Combes, qui a déjà joué ce rôle - vient partager son parcours. Elle a pour objectif de sensibiliser les jeunes filles, de leur présenter des rôles modèles féminins, issus aussi bien du monde académique que du secteur privé.

Cette journée est également accompagnée par une sociologue, dont l'analyse offre un regard complémentaire essentiel. Nous attachons en effet une grande importance à l'articulation entre sciences dites « dures » et sciences humaines, dans une approche enrichie et inclusive.

Tout au long de cette journée, une graphiste illustre les échanges en réalisant des dessins. Ceux-ci sont ensuite rassemblés pour former une bande dessinée offerte aux jeunes filles. Elles repartent ainsi avec un souvenir tangible de cette expérience.

Un autre volet essentiel de notre engagement concerne la promotion des femmes scientifiques. Vous connaissez peut-être déjà l'action intitulée « La Science taille XXL », que nous portons depuis 2018, en partenariat avec le CNRS. Cette initiative, née à Toulouse, vise à valoriser et rendre visibles les femmes scientifiques dans toute leur diversité de métiers et de disciplines : non seulement des chercheuses ou enseignantes-chercheuses, mais également des ingénieures, des techniciennes, issues tant du monde académique que du monde de l'entreprise. Ce type de témoignage est fondamental. Les jeunes femmes ont besoin de se projeter. Elles ont besoin de figures d'identification.

L'exposition présente des portraits de femmes ambassadrices qui acceptent d'intervenir directement auprès des élèves. Dès lors qu'elles entrent dans le dispositif, elles s'engagent également à témoigner dans les établissements scolaires.

Cette année, nous publierons un livret à destination des lycéennes et des collégiennes, notamment les élèves de troisième. Basé sur cette exposition, il sera largement diffusé et téléchargeable librement. Il s'intitulera : « Les filles sont pas faites - non, parfaites - pour les sciences ». Sa parution constituera un jalon important de l'année 2025. Je me réjouis à l'idée de voir l'ouvrage finalisé et publié.

Un autre temps fort concerne l'organisation par Femmes & Sciences d'un colloque annuel, consacré à des thématiques diverses.

Je souhaiterais revenir sur le colloque 2023, qui s'est tenu non loin d'ici, en partenariat avec la Commission Femmes et Physique de la Société française de Physique. Le thème retenu s'inscrivait pleinement dans le cadre de notre rencontre d'aujourd'hui : « Femmes et physique : des modèles à la réalité - pallier la sous-représentation des femmes en physique ».

Nous avions convié la ministre de l'enseignement supérieur à se joindre à nous. Bien qu'elle n'ait pu être présente, elle nous avait demandé de formuler des recommandations. Parmi les préconisations transmises, élaborées en lien avec la Commission Femmes et Physique, figurait la demande d'instaurer des quotas par filière concernant le nombre de jeunes filles accédant à une première année d'enseignement supérieur scientifique.

Je ne reviendrai pas sur les points déjà abordés. Toutefois, il est manifeste que nous manquons cruellement de vivier féminin. Si nous souhaitons accroître la présence des femmes dans des disciplines telles que la physique, les mathématiques ou l'informatique, à une époque où l'intelligence artificielle prend de l'ampleur et où émergent de nouveaux métiers et de nouveaux enjeux, alors il est impératif que les femmes y prennent pleinement part. Nous devons les accompagner.

Femmes & Sciences soutient donc la mise en place de quotas adaptés aux filières sélectives : classes préparatoires, IUT, écoles d'ingénieurs, etc. Concernant l'université, où l'on accueille tous les étudiants qui le souhaitent, l'instauration de quotas est sans doute plus complexe.

Une réflexion approfondie doit être engagée sur l'application de quotas dans les filières où les femmes sont sous-représentées, telles que les mathématiques, l'électronique ou l'informatique. Ce modèle pourrait constituer un signal fort envoyé aux jeunes filles : « Nous vous attendons, et vous serez les bienvenues. »

Pour autant, une autre problématique se pose : comment inciter les jeunes filles à s'orienter vers les études scientifiques, si elles ne s'y sentent pas en sécurité ? Nous touchons ici à la question des violences sexistes et sexuelles, un sujet qui me tient tout particulièrement à coeur.

J'ai été la première chargée de mission Égalité femmes-hommes de l'Université de Brest, entre 2012 et 2016. Durant ce mandat, j'ai notamment oeuvré à la mise en place d'un dispositif de prévention contre le harcèlement sexuel. J'y ai consacré beaucoup de temps, car il s'agit là d'un enjeu d'une extrême complexité.

L'enquête menée par la Fondation L'Oréal - avec laquelle nous collaborons - a mis en évidence la persistance de ces violences dans le milieu de la recherche, et à titre personnel, j'ajouterai dans l'Enseignement supérieur dans son ensemble.

Il est donc essentiel de poursuivre la réflexion et les actions sur ce sujet.

Au sein de Femmes & Sciences, nous avons mis en place, dès 2015, un programme de mentorat à destination des doctorantes. Au cours de ces séances d'accompagnement, les violences sexistes et sexuelles réapparaissent régulièrement dans les échanges. Nous le percevons clairement : des difficultés subsistent.

L'une des recommandations formulées par Femmes & Sciences consiste à disposer d'indicateurs chiffrés, permettant de rendre compte du harcèlement et de sa prise en charge, et ce, à plusieurs niveaux hiérarchiques et géographiques. Nous plaidons également pour la mise en place de ressources humaines professionnelles, en appui aux structures existantes. Nous sommes des bénévoles ; à ce titre, nous ne disposons pas toujours de toutes les clés pour répondre de manière adéquate à l'ensemble des problématiques soulevées. Il est donc impératif de pouvoir compter sur des professionnels, aptes à nous accompagner efficacement.

Par ailleurs, il va de soi que nous recommandons une formation obligatoire pour l'ensemble des personnels, afin de prévenir et mieux traiter ces situations.

Pour conclure, si vous me le permettez -- tant de sujets mériteraient encore d'être abordés -- je tiens à souligner un point fondamental : les actions en faveur de l'égalité entre les femmes et les hommes, tout comme celles visant à encourager les jeunes filles à s'orienter vers les filières scientifiques, sont en très grande majorité portées par des femmes. C'est particulièrement visible dans le monde universitaire. Il s'agit souvent de missions exercées à titre bénévole, et rarement reconnues à la hauteur du temps et de l'investissement qu'elles exigent.

Cet engagement, bien qu'essentiel, affecte négativement les carrières. Ces missions ne sont que très rarement valorisées dans les évaluations ou les parcours professionnels.

Ainsi, les femmes qui s'y consacrent se trouvent à nouveau pénalisées, pour ne pas dire qu'elles subissent une forme de violence supplémentaire, d'ordre économique cette fois. Car, même si l'on sait que les grilles salariales de la fonction publique sont identiques pour les hommes et les femmes, l'analyse des parcours révèle que les femmes rencontrent de grandes difficultés à accéder aux plus hautes fonctions.

Nous travaillons évidemment sur bien d'autres éléments.

Mme Dominique Vérien, présidente. - Merci beaucoup. La fonction publique a l'air très égalitaire, mais nous y avons constaté de nombreux biais lorsque nous avons travaillé, avec Annick Billon et Martine Filleul, sur la parité dans la haute fonction publique.

Je laisse la parole à Mélanie Guenais, maîtresse de conférences au laboratoire de Mathématiques d'Orsay, à l'Université Paris-Saclay, et coordinatrice du collectif Maths et sciences.

Mme Mélanie Guenais, maîtresse de conférences au laboratoire de Mathématiques d'Orsay, à l'Université Paris-Saclay, et coordinatrice du collectif Maths et sciences. - Des diapositives sont projetées à l'assemblée.

Merci beaucoup pour cette invitation à intervenir sur le thème des femmes en sciences et pour ce moment d'échanges toujours particulièrement riches. Le collectif Maths et Sciences est un groupe de réflexion constitué au début de l'année 2022, à la suite de la publication d'études portant sur la diminution du nombre de filles en classes de mathématiques en terminale, conséquence directe de la réforme du lycée. Il regroupe actuellement près de quarante structures associatives issues de divers horizons, tant du monde professionnel que du monde académique et éducatif, ainsi que des associations oeuvrant à la promotion des femmes dans les sciences.

Notre action consiste à documenter les effets des politiques éducatives sur la formation scientifique, à partir de données publiques. Notre objectif est de garantir un socle commun à tous les élèves afin qu'ils puissent, s'ils le souhaitent, s'orienter vers des études scientifiques. J'émettrai toutefois une réserve : lorsqu'on parle d'un socle commun en mathématiques, il conviendrait également d'y inclure les sciences, essentielles à la poursuite d'études scientifiques.

Ensuite, on considère que les élèves doivent faire suffisamment de sciences pour pouvoir s'engager dans des études scientifiques. Or, le volume horaire minimal consacré aux sciences au lycée demeure relativement faible depuis la Seconde Guerre mondiale. Pire, il régresse. Le point culminant remonte à 1985. Actuellement, le socle scientifique représente moins de 20 % du volume horaire global de l'élève.

Si nous étions cohérents, une solution très simple consisterait à ne pas se demander s'il faut aimer les sciences pour en faire, comme on ne s'interroge pas sur la nécessité d'aimer l'histoire-géographie, le français ou les langues pour les étudier. On ferait donc comme pour les autres disciplines : les mathématiques et les sciences seraient obligatoires, sans choix possible, mais enseignées de manière raisonnable, soit entre 6 et 8 heures hebdomadaires. En-dessous de ce seuil, il est illusoire d'envisager des études scientifiques sérieuses.

Si l'on s'intéresse à la terminale, j'ai formulé des questions complexes : imaginons que, d'ici 2030, trente mille filles supplémentaires choisissent la spécialité mathématiques dans le cadre du système actuel. J'ai représenté graphiquement l'évolution des effectifs féminins en mathématiques en terminale depuis 2000, en distinguant les anciennes séries ES des nouvelles. Le résultat, vous le constaterez, laisse perplexe.

Des variations sont intervenues au fil du temps. En 2012, une réforme a supprimé la spécialité « mathématiques » en première dans la série ES, ce qui constituait un obstacle pour les filles. Par la suite, on a observé une augmentation des effectifs féminins, notamment en spécialité mathématiques en terminale. Ensuite, la progression résulte principalement de l'évolution globale des effectifs. Puis, une stagnation est intervenue en 2016, suivie d'une chute spectaculaire, bien connue, consécutive à la réforme de 2019.

La trajectoire projetée, sans modification structurelle, laisse craindre une stagnation durable. En réalité, ce phénomène traduit un effet de transfert : augmenter le nombre de filles en mathématiques conduit à le diminuer ailleurs, en SVT, en physique-chimie, en sciences économiques et sociales, du fait de l'abandon de la troisième spécialité en classe de terminale

Ce ne sont donc pas les élèves elles-mêmes qui abandonnent les mathématiques, mais le système éducatif qui les y contraint. Si l'on souhaite obtenir un effet tangible, il convient donc d'agir sur le système. Une solution largement consensuelle au sein des communautés scientifique, éducative et professionnelle consiste à garantir la polyvalence scientifique pour favoriser la mixité et pour préparer les métiers de demain. Sa suppression en terminale constitue une aberration. Il est indispensable de maintenir les trois disciplines scientifiques principales, ce qui renforcerait la mixité, tant de genre que sociale, sans sacrifier la qualité des contenus enseignés.

Je vais à présent aborder la question des objectifs en classes préparatoires, où je me positionne implicitement en faveur de quotas.

Ceux-ci constituent une mesure pertinente, à condition toutefois de bien définir où, pourquoi et comment ils doivent être appliqués. Faute de répondre à ces interrogations, nous risquons de viser à côté de la cible. L'objectif prévoyant de parvenir à 30 % de filles en classes préparatoires à l'horizon 2030 mérite une analyse attentive des chiffres : en réalité, cette proportion est déjà atteinte. Dès lors, que signifie cette donnée ? Elle s'applique à chaque classe. Or, des variations importantes existent. De quelles années parle-t-on ? De la première ou de la deuxième année ?

Par ailleurs, actuellement, la plupart des classes affichent un taux supérieur à 25 %. Les cas les plus problématiques se trouvent dans les nouvelles classes préparatoires mathématiques-informatique, où l'absence quasi totale de filles est flagrante. Ces classes ont été créées sans anticipation d'une présence féminine, phénomène imputable aux années 2017-2021. Ainsi, attirer les jeunes filles dans ces filières demeure une tâche ardue.

On retrouve également des difficultés dans les classes dites « chics », notamment les classes mathématiques-physique, où le taux de filles avoisine 25 %. Atteindre les 30 % dans ces filières n'est donc pas une mince affaire.

Le problème ne se situe pas uniquement à l'entrée. À l'heure actuelle, environ 3 000 jeunes filles sont admises en classes préparatoires STIM, mais beaucoup ne s'y inscrivent pas effectivement. C'est ce que révèle le rapport des inspections générales « Filles et Maths ». En d'autres termes, sans levier véritable ni engagement concret pour leur assurer un accueil bienveillant et un environnement favorable, la situation ne progressera pas.

Je rejoins donc pleinement mes collègues qui insistent sur la nécessité de lutter contre la précarité étudiante, l'isolement et les difficultés liées à la ruralité, notamment en garantissant des places en internat. Il est inacceptable qu'il n'existe pas encore de parité dans leur attribution. Lorsque l'on met en place des quotas sans aborder cette question fondamentale, on passe complètement à côté de la problématique.

Par ailleurs, il est envisageable de créer des espaces dédiés, notamment dans des milieux peu féminisés. Cette réflexion ne concerne pas uniquement les classes préparatoires, mais également les filières universitaires, où la présence des jeunes filles demeure faible. Ces filières sont souvent caractérisées par des environnements très masculins, très compétitifs, parfois marqués par des violences, notamment sexistes.

La question fondamentale demeure : pourquoi les jeunes filles ne s'orientent-elles pas davantage dans les sciences ?

Un constat surprenant s'impose. Regardez autour de vous : la moyenne d'âge est relativement élevée dans cette assemblée. Nous sommes déconnectés de la réalité vécue par ces jeunes femmes. Nous devons rompre avec un discours paternaliste qui dicte ce qu'elles doivent faire ou comment elles doivent se comporter, et leur laisser la parole.

À cet effet, j'ai choisi de restituer quelques extraits du discours prononcé lors de la cérémonie de remise des diplômes des étudiantes de l'ESPCI, en mars dernier. Ces filles remettent d'abord en cause la fuite en avant technologique, ce qui rejoint certaines idées sur la vision du monde qu'on leur propose. Elles appellent à déconstruire ces modèles de réussite qui mènent à un effondrement. Elles demandent si l'on peut réellement séparer vie professionnelle et vie personnelle lorsque l'activité contribue à ce que l'on dénonce. Elles demandent : « Innover pour quoi, pour qui et surtout à quel prix ? » Elles considèrent que le changement passe également par leurs choix de secteurs d'engagement, par la place qu'elles occupent et par l'attention qu'elles portent aux autres. Ce sont là des valeurs éthiques fondamentales. Ainsi, il ne sera pas possible d'obtenir leur adhésion par des discours uniquement axés sur l'économie.

Quant au modèle patriarcal, elles le qualifient de « profondément problématique ». Elles disent que penser que les femmes doivent faire aussi bien que les hommes constitue un biais. Selon elles, ce modèle repose sur une idée erronée, celle selon laquelle les seules formes de réussite sont celles façonnées par des hommes dans des contextes historiques et sociaux où les femmes étaient exclues par défaut. Elles aspirent à accéder aux mêmes postes et aux mêmes rémunérations, sans pour autant se conformer aux codes masculins préexistants. Leur émancipation ne se traduira pas par une égalité au sein d'un modèle patriarcal problématique. Elles souhaitent faire mieux et redéfinir les règles du jeu.

Je considère que ces extraits, qui m'ont profondément frappée lors de cette cérémonie de remise des diplômes, doivent être entendus, relayés et pris en compte. Si ces paroles ne sont pas intégrées, si les règles du jeu ne sont pas modifiées, comme elles le soulignent elles-mêmes, il sera vain de prétendre attirer davantage de jeunes filles vers des filières non féminisées, actuellement sélectives, en grande partie pour des raisons liées à des enjeux de pouvoir économique.

Si vous me le permettez, je vais maintenant redescendre de quelques niveaux, pour aborder le cours préparatoire. Ces jeunes filles ne manquent ni d'ambition ni de motivation ; elles ont confiance en elles, grâce à leur réseau de sororité. Elles affirment aussi qu'elles aiment les mathématiques, bien qu'elles en aient été exclues pour des raisons que nous avons déjà évoquées, telles que le sexisme ambiant et les dynamiques de groupes masculins.

Vous avez évoqué la nécessité de redonner le goût des mathématiques aux petites filles. Qu'en est-il donc de cette prétendue appétence au cours préparatoire ? Nous avons beaucoup parlé des tests supposés révéler un décrochage des filles par rapport aux garçons dès le CP, qui tendraient à montrer une moindre compétence chez elles. Or, en classes préparatoires, les dossiers des filles sont souvent meilleurs. Cette contradiction interpelle. Cela signifierait donc que, globalement, elles sont à égalité avec les garçons en terminale, alors qu'en cours préparatoire elles seraient moins performantes.

Ces tests ont lieu dès la deuxième semaine du cours préparatoire, alors que les enfants n'ont pas encore six ans. Ils se retrouvent avec un grand cahier à grands carreaux de soixante pages, et doivent effectuer cinq séances de quarante minutes chacun, dans le silence absolu, sans parler, sans demander l'aide de l'enseignante et en respectant scrupuleusement le temps imparti. Je vous ai reproduit dans le document projeté l'un de ces exercices, qui consiste à comparer des nombres : c'est une grande page remplie de chiffres, où il faut barrer le plus grand dans chaque rectangle. La maîtresse annonce d'abord : « mains en l'air », puis déclenche une minute, à la fin de laquelle tout le monde lève la main, pose le crayon et tourne la page. Or quel est le critère évalué par cet exercice ? Uniquement celui de la vitesse puisque le but est d'avoir résolu un maximum de comparaisons en une minute, chrono en main. Je pose la question : est-ce cela, les mathématiques ? Est-ce là une mesure valable des compétences mathématiques ? Le fait de savoir comparer des nombres mérite-t-il une telle notation ? Quel message cette épreuve véhicule-t-elle ?

Nous touchons ici un problème majeur : non seulement les différences de performances observées sont minimes, mais elles sont aussi largement biaisées par les modalités d'évaluation. En réalité, ces dernières peuvent à elles seules expliquer la différence de résultats entre filles et garçons. La situation est encore pire en géométrie.

Il importe donc de comprendre l'impact réel de ces épreuves, qui renvoie à la question des stéréotypes sur les mathématiques. Celle-ci est bien réelle et se manifeste notamment à travers cette dimension élitiste, fondée sur la sélection. Pour rendre les mathématiques plus accessibles et plus démocratiques, en particulier pour les filles, et non plus intimidantes, il est impératif de combattre l'idée selon laquelle les mathématiques seraient synonymes de sélection et associées à une dimension masculine. Or, les tests évoqués aggravent cette situation. Ils reposent sur la vitesse, la mise en compétition, la prise de risque, autant d'attitudes associées aux normes masculines de genre. Il n'est donc guère surprenant qu'ils favorisent les garçons. Faut-il alors modeler les filles pour qu'elles réussissent dans ces conditions ? À mon sens, et en m'appuyant sur les discours que je vous ai présentés précédemment, ce n'est pas envisageable.

Il convient d'y mettre un terme, ce que préconise d'ailleurs la pédagogie égalitaire, laquelle est un formidable outil à promouvoir. Cependant, elle est incompatible avec ce type de tests. Il faut donc les abandonner.

C'est ce que la Corée du Sud, qui a d'excellents résultats au classement TIMSS, a décidé de faire en 2022, en supprimant ces tests et les apprentissages fondés sur ces évaluations en raison de leurs effets néfastes sur la société.

Ces informations figurent dans le rapport des Inspections générales, que je remercie. Elles constituent une ressource précieuse pour envisager de manière pertinente l'ouverture des sciences à tous et à toutes.

En conclusion, je dirais que si nous voulons vraiment changer les choses, la solution est « fix the system, not the women » !

Mme Dominique Vérien, présidente. - Lorsqu'un système dysfonctionne pour un si grand nombre d'individus, il est probable que le problème ne réside pas dans ces personnes, mais bien dans le système lui-même. C'était précisément la question que je soulevais lors de l'une des dernières tables rondes : comment donner du sens, afin que les jeunes filles s'engagent dans ces métiers ? Sans cela, elles ne s'y orienteront pas.

Avant d'ouvrir le débat, je laisse la parole à notre dernière intervenante, Véronique Slovacek-Chauveau, présidente d'honneur de l'association Femmes et mathématiques.

Mme Véronique Slovacek-Chauveau, présidente d'honneur de l'association Femmes et mathématiques. - Je vous remercie pour cette invitation.

L'association Femmes et Mathématiques a été créée en 1987, peu après la décision de rendre mixtes les Écoles normales supérieures (ENS). Jusqu'alors, la séparation entre filles et garçons constituait en quelque sorte une forme implicite de quotas. Lors de la fusion des ENS, nous avons constaté une baisse considérable du recrutement féminin dans les filières scientifiques, en particulier en mathématiques. Les quotas demeurent donc un sujet fondamental, sur lequel nous reviendrons plus tard.

L'association est née du constat que peu de femmes s'orientaient vers les études scientifiques, plus spécifiquement vers les mathématiques. Elle a pour vocation de promouvoir la parité dans cette discipline, tout en travaillant sur ses modalités d'enseignement. Ces deux aspects sont indissociables comme on vient de le voir.

Les actions de l'association s'adressent à plusieurs publics : les élèves, filles et garçons, les enseignants, ainsi que les parents. Depuis 2009, nous avons recentré nos efforts sur les filles, convaincus qu'elles ont besoin d'espaces où elles peuvent s'exprimer librement, sans la présence des garçons. En effet, en leur présence, chacune et chacun tend à jouer un rôle genré, surtout à l'âge sensible de la seconde, voire avant.

Or, les stéréotypes de genre restent très puissants dans notre société et ils influencent les jeunes filles dans leur rejet des mathématiques. L'idée reçue selon laquelle « une fille n'aime pas les maths » est encore trop répandue, et ces dernières peuvent finir par s'y conformer malgré elles. Déconstruire ces stéréotypes est donc une priorité.

Pour cela, nous organisons notamment des journées intitulées « Filles, maths et informatique : une équation lumineuse », au cours desquelles nous travaillons en ateliers sur la prise de conscience des stéréotypes et de leur impact sur leurs choix. Nous utilisons aussi des pièces de théâtre forum, qui abordent la question par le biais de personnages fictifs. Les participantes peuvent alors se positionner sans se sentir directement accusées ou mises en cause, ni elles ni leur entourage.

Ensuite, nous participons chaque année à des journées dédiées aux professeurs de mathématiques de l'enseignement public, lors des vacances de la Toussaint, afin de les sensibiliser aux dynamiques qui s'opèrent en classe. En effet, les stéréotypes de genre ne s'immiscent également dans les comportements et attitudes des enseignants eux-mêmes.

J'ai moi-même été professeure au secondaire, et je peux témoigner qu'il est impossible d'arriver en classe sans porter inconsciemment un certain nombre de stéréotypes, . Même les enseignants les plus sensibilisés peuvent, à leur insu, perpétuer ces biais. C'est là toute la difficulté. J'en ai personnellement fait l'expérience et, en tant qu'enseignante pétrie de l'idéal laïc et républicain d'égalité, c'est un véritable choc d'en prendre conscience

À ce titre, la formation des enseignants constitue un enjeu fondamental, comme le rappelle depuis 1985 chaque plan sur l'égalité filles-garçons, renouvelé tous les quatre ans. Cette formation doit être rigoureusement réaffirmée, structurée et évaluée. Elle peut d'abord susciter des résistances ou des dénis, tant il est difficile d'admettre que l'on peut être influencé par des stéréotypes, un « curriculum caché », selon les travaux de Nicole Mosconi.

Pour qu'elle soit efficace, cette formation doit être menée avec discernement, sans lésiner sur les moyens.

Enfin, l'association mène également des actions en direction des étudiantes. Chaque année, elle organise un forum des jeunes mathématiciennes, lors duquel doctorantes et jeunes professionnelles peuvent rencontrer des femmes engagées dans la recherche et le métier, et bénéficier d'échanges informels et de conseils avisés. Elles sont également sensibilisées aux règles et critères des nominations dans le domaine des mathématiques.

Après avoir évoqué les enseignants et les élèves, il convient d'aborder un autre public fondamental : les parents. Nous avons cherché à nous adresser à eux, notamment à travers nos journées intitulées « Filles, maths et informatique, une équation lumineuse ». Nous avons également souhaité élaborer un document explicatif à destination des parents, afin qu'ils comprennent l'objectif de ces journées, et qu'ils ne perçoivent pas ces initiatives comme l'oeuvre de « hordes furieuses » déterminées à imposer coûte que coûte aux enfants de faire des mathématiques.

Notre démarche ne vise nullement à contraindre les filles à suivre des études en mathématiques. Bien au contraire, nous souhaitons susciter une réflexion libre et éclairée, pour que chacune puisse s'interroger sur son intérêt éventuel pour cette discipline et sur les conditions dans lesquelles cet intérêt peut s'épanouir. Ainsi, il est essentiel de s'adresser aux parents.

Plus largement, nous devons communiquer avec tous ces publics divers, à l'aide d'outils adaptés : diaporamas, expositions, etc. Nous préparons en outre un document pédagogique d'accompagnement destiné aux enseignants, aux établissements scolaires, mais aussi à d'autres interlocuteurs dans d'autres contextes institutionnels. Bien souvent, ces outils attirent l'attention, mais leur usage reste mal maîtrisé sans guide adéquat.

Par ailleurs, l'association a été auditionnée par l'Inspection générale des finances (IGF) et l'Inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche (IGESR) dans le cadre du rapport récemment publié. Nous avons été interrogés sur notre positionnement concernant les quotas. La majorité des membres soutient leur mise en place, sous réserve d'une application rigoureuse, prenant en compte les capacités et les diverses préconisations exprimées.

La représentation que l'on se fait des mathématiques influence fortement le positionnement des jeunes vis-à-vis de cette discipline, perçue comme sélective. Il est donc essentiel de travailler sur une approche plurielle des mathématiques.

On entend parfois un débat portant sur la nécessité de privilégier un enseignement concret ou abstrait. En réalité, il est souhaitable de développer tous les accès possibles à cette discipline. Parmi nous, certaines sont historiennes des mathématiques. Cette entrée par l'histoire peut séduire certaines élèves. Multiplier les regards et les approches enrichit l'expérience et déploie la richesse de nos disciplines. Il importe aussi de cesser de considérer les mathématiques uniquement comme un instrument de sélection.

Bien que des progrès aient été réalisés, il faudra encore quelques années pour que cette évolution se généralise pleinement. Pour autant, il est encourageant de constater que, même si le chemin est lent, il avance pas à pas.

Nous organisons aussi des après-midis à thème - sur l'intelligence artificielle, par exemple. À la fin du mois, l'une de ces rencontres aura pour sujet : « Comment l'enseignement des mathématiques peut-il contribuer à l'égalité des sexes ? ». Des spécialistes interviendront. Nous espérons que ces échanges seront constructifs et feront avancer notre cause.

Les actions de l'association sont nombreuses. Nous regroupons entre 150 et 200 membres, parmi lesquels de nombreuses femmes issues de l'enseignement supérieur, des professeurs du secondaire et quelques sociologues. Nous intervenons à travers tout le territoire national.

À l'heure actuelle, nous organisons environ une trentaine de journées « Filles, maths et informatique ». À son lancement, en 2009, cette initiative a suscité de vives critiques, certains dénonçant l'idée même de mener une action spécifiquement destinée aux filles Mais heureusement, depuis la situation a évolué.

Nous avons aussi oeuvré pour améliorer les conditions d'internat des filles en classes préparatoires et dans l'enseignement supérieur, mais la réalité reste très insuffisante.

Je me souviens notamment d'une table ronde avec des journalistes et des chefs d'établissement au cours de laquelle nous tentions de convaincre ces derniers de créer des internats pour les filles. La violence des réactions était telle qu'on aurait cru qu'on demandait l'impossible, alors qu'il s'agissait là d'une mesure parfaitement normale et indispensable.

Disposer d'un internat permet aux étudiantes de bénéficier d'un accès raisonnable à un logement et de se consacrer pleinement à leurs études, sans avoir à cumuler un travail annexe.

Nous n'avons pas encore évoqué la question des bourses. Je me souviens notamment du « Prix de la vocation scientifique et technique des filles ». Ce type de distinction envoie un message fort aux jeunes filles. Il leur dit : « Vous êtes attendues, vous êtes légitimes ».

Je me remémore le parcours d'une élève originaire du Pakistan, arrivée en France où elle a appris le français très rapidement. Elle surpassait ses camarades en français et excellait en mathématiques. Aujourd'hui ingénieure, elle souligne que, sans ce prix, ses parents n'auraient probablement pas imaginé un tel avenir pour elle. Il a déverrouillé des représentations familiales. Ainsi, ne sous-estimons pas le rôle des récompenses de ce type.

Plusieurs associations attribuent ces distinctions, qui revêtent donc un intérêt majeur. Il importe également que l'État prescrive clairement ces prix pour qu'ils jouent pleinement leur rôle d'encouragement.

Avant de conclure, j'aimerais attirer l'attention sur un point : peu d'actions spécifiques à destination des universités semblent figurer dans le plan d'action ministériel. Or, ce domaine mérite qu'on s'y penche davantage. Je ne sais pas encore précisément à qui il faudrait s'adresser, mais il me paraît essentiel de signaler cette lacune.

Dans la section 25 Mathématiques du Comité national des Universités, sur 37 femmes qualifiées, seules 4 ont été retenues, soit environ 13 %. Ce taux est manifestement insuffisant. Il est donc indispensable de mettre en place des mesures précises pour accompagner les quotas, notamment dans le milieu universitaire, faute de quoi cette réalité ne pourra pas évoluer.

Mme Dominique Vérien, présidente. - Merci pour cette intervention très intéressante. Chacune de vous a dressé un panorama complet et complémentaire.

Pour attirer davantage de femmes vers les sciences, il est essentiel de montrer qu'il y a du sens à s'y engager. Elles ne recherchent pas principalement le salaire, elles sont d'ailleurs généralement moins rémunérées que les hommes, mais plutôt une dimension porteuse de sens, ce que le système actuel semble négliger.

Ce constat m'amène à une question un peu provocatrice : pourquoi faut-il faire venir des femmes dans les sciences ? À quoi cela sert-il ? Est-ce réellement nécessaire, puisque les hommes peuvent être compétents ? Qu'apporte leur présence dans les sciences, et notamment dans les comités exécutifs ?

C'est une question volontairement provocante. Au-delà du discours féministe qui affirme que « nous valons autant que les hommes et méritons notre place », quelle est la raison objective pour laquelle il serait bénéfique pour tous que les femmes soient présentes ?

Mme Valérie Brusseau. - Je peux vous partager mon expérience en tant que directrice R&D dans l'industrie. La présence de femmes constitue avant tout un enjeu d'efficacité collective. Dès lors qu'un groupe comporte 23 % de femmes, des études démontrent que son efficacité collective augmente de 30 à 40 %. Par ailleurs, la réduction des inégalités de genre pourrait accroître le PIB des pays de l'OCDE de 9,2 % d'ici 2060, selon une étude de l'OCDE.

Une entreprise est un lieu au sein duquel on crée de la valeur, où l'on cherche collectivement des idées. C'est ce que j'appelle « le syndrome de l'alarme » : si, dans une maison, on installe un capteur uniquement à la porte d'entrée, les voleurs pourront entrer par une autre porte. De même, si seuls des hommes blancs d'une quarantaine d'années conçoivent des produits manufacturés, ces produits répondront inévitablement à leurs seuls besoins.

Or, les femmes sont les principales prescriptrices d'achats. Aujourd'hui, plus de 60 à 70 % des actes d'achat automobiles sont décidés directement par les femmes. Alors, qui mieux qu'elles pour intégrer dans les véhicules des éléments qui leur parlent ?

C'est donc un enjeu business, car les femmes sont aussi consommatrices, et de souveraineté économique. En tant que directrice R&D, je le constate au quotidien dans mes équipes : la présence de femmes accroît nettement l'efficacité et stimule la créativité.

Mme Françoise Conan. - Je rejoins ma collègue. Des études montrent que les équipes de recherche très genrées sont moins innovantes et moins productives que les équipes mixtes.

Prenons l'exemple du secteur de la santé : les tests cliniques sont souvent réalisés uniquement sur des hommes. Nous en voyons les conséquences concrètes. Les femmes en pâtissent. Par exemple, on réalise aujourd'hui qu'elles décèdent d'infarctus parce que les symptômes ne sont pas identifiés comme tels chez elles.

Ce constat illustre clairement l'importance d'avoir des femmes impliquées dans tous les domaines de la société.

Concernant l'intelligence artificielle, le secteur informatique et numérique compte très peu de femmes. Cela signifie que ce sont encore majoritairement des hommes qui développent ces nouvelles technologies, y compris celles liées à la santé.

C'est un point fondamental, qu'il faut affirmer haut et fort : les femmes sont compétentes, elles possèdent les mêmes capacités, et doivent être présentes dans tous ces secteurs.

Mme Mélanie Guenais. - Je souhaitais ajouter une dimension sociale importante. Mon mari, qui a longtemps travaillé chez Google, m'a dit que les nouvelles compétences apportées par les femmes se constataient surtout dans la dynamique collective de travail. Leur présence apaise les relations entre les personnes. Leur présence emporte donc un réel enjeu de bien-être social et professionnel. Dans tout environnement où la mixité augmente, on constate une amélioration du climat de travail, car elle évite les phénomènes de « boys clubs ». Ce « syndrome de meute » exacerbe la violence dans les rapports sociaux. Il nuit non seulement aux femmes, mais aussi aux hommes qui refusent cette culture et en souffrent. Ainsi, la mixité est aussi une question de qualité de vie au travail, qui influe directement sur l'efficacité collective.

Par ailleurs, je me dois de souligner une question de justice sociale. Les étudiantes ne veulent pas être moins rémunérées que les hommes. Simplement, il existe des freins d'accès aux postes de pouvoir dans les mathématiques ou les sciences en général, qui ne sont que la partie visible de l'iceberg de l'accès au pouvoir.

Ce pouvoir se décline aussi en termes économique, social, politique et de prestige social. Ces barrières d'accès sont maintenues par un système patriarcal. Tant que l'on ne remettra pas en question ces critères de sélection, notamment en classes préparatoires, le problème perdurera.

Je veux insister sur la deuxième année de prépa, où les quotas deviennent intéressants. En effet, les filles y arrivent en première année souvent avec de meilleurs dossiers. Pourtant elles sont sous-représentées dans les classes étoilées, les meilleures filières. Étrangement, elles passent des premières places au fond de la classe, ce qui révèle clairement des biais dans les critères de sélection, surtout de la part des enseignants en mathématiques, qui restent décisionnaires.

Je parle en connaissance de cause, car j'en suis aussi victime. Une année, nous avons reçu une étudiante excellente, et l'année suivante, un étudiant, excellent lui aussi. Je discutais avec un collègue à leur sujet. Je lui disais que l'étudiant avait souvent la bonne idée, et que l'étudiante était rigoureuse et travaillait bien. Il m'a alors demandé : « Lequel des deux choisirais-tu pour le master? » J'ai répondu « elle, car elle est plus fiable », évidemment.

Ce qui pose problème, c'est que tant que l'on valorise l'intuition -- qui n'est en fait pas clairement définie, mais correspond à des règles implicites de sélection -- au détriment du travail rigoureux et appliqué, qui consiste à suivre les consignes explicitement enseignées, on favorise ceux qui transgressent le système scolaire, c'est-à-dire généralement les garçons, alors que les filles, plus sages et obéissantes, sont moins valorisées. Cette norme scolaire genrée influence fortement les résultats.

En caricaturant un peu : quand un garçon échoue, on dit que c'est parce qu'il n'est pas sage en classe ; quand une fille échoue, on pense qu'elle est bête ou limitée. Ce biais doit être levé.

Cependant, dans les pédagogies égalitaires, il est extrêmement difficile de mettre en lumière ces micro-comportements, qui sont subtils. C'est un travail de longue haleine, qui ne se limitera pas à deux heures de capsules vidéo.

Mme Fatima Bakhti. - J'ajouterai simplement une question pragmatique : il manque entre dix et vingt mille ingénieurs en France. Pour élargir ce vivier, il faut s'adresser à la moitié des Français, c'est-à-dire aux Françaises. C'est une nécessité très concrète.

Mme Valérie Brusseau. - Notre association, avec le MEDEF, a mené une étude analysant l'impact de la part des femmes cadres sur la rentabilité opérationnelle (EBITDA). Elle montre que plus le pourcentage de femmes cadres est élevé, meilleurs sont les résultats financiers, plus la politique RSE est efficace et plus la responsabilité environnementale est prise en compte.

D'autres études, menées notamment avec l'ESSEC et Viviane de Beaufort, démontrent que la présence des femmes dans les COMEX modifie la manière d'exercer le pouvoir : elle devient plus inclusive et plus éthique.

Je fais ici référence aux nouvelles commissions d'éthique qui exigent ces règles au niveau des COMEX.

Mme Dominique Vérien, présidente. - En effet, si on y va, c'est pour changer les règles du jeu, et certainement pas pour appliquer celles qui nous ont rejetées.

Je laisse la parole à nos rapporteures, à commencer par Marie-Pierre Monier, ancienne professeure de mathématiques.

Mme Marie-Pierre Monier, rapporteure. - Merci beaucoup pour vos interventions, notamment sur la loi Blanquer de 2019. Je vous rejoins tout à fait sur la nécessité d'encourager la pratique des mathématiques et les sciences, au moins jusqu'en terminale. En tant que professeure de maths, le principal défi que je rencontrais concernait le peu d'attrait de mes élèves pour la matière : ils n'aimaient pas les mathématiques. Il faut donc élargir les horizons, ouvrir les esprits, rendre cette discipline accessible, surtout aux filles, mais aussi à tous,

J'aimerais poser une question à la place de notre collègue rapporteure Jocelyne Antoine qui doit nous quitter pour intervenir en séance publique : elle connaît bien le monde de l'entreprise et souligne que celles-ci sont très demandeuses de femmes. Dans vos actions, mettez-vous en lien directement ces entreprises avec les femmes ? Avez-vous des partenariats concrets ?

Madame Brusseau, vous avez mené des actions en Espagne. Pourriez-vous nous en dresser un retour ? Existe-t-il des différences notables entre certains pays et la France sur ce sujet ?

Lorsque je prends la parole sur des questions que nous traitons au sein de cette délégation, je rappelle toujours que nous, les femmes, avons un cerveau, et c'est bien pour cela que nous avons notre place partout. Nous sommes capables d'accéder à des postes à responsabilité dans tous les métiers.

Je suis frappée par toutes les actions que vous avez menées ces dernières années. Pensez-vous que la place des filles dans les études et carrières scientifiques se soit améliorée, ou plutôt qu'elle ait stagné ces dernières années ? Avez-vous évalué l'impact de vos actions, ou devons-nous avant tout continuer à agir, sans forcément chercher à mesurer tout de suite ?

J'apprécie beaucoup votre démarche de proximité, vos actions d'« aller-vers », qui sont essentielles, notamment en zones rurales comme la mienne. Êtes-vous sollicitées davantage dans certains départements, ou cherchez-vous à mener vos actions sur l'ensemble du territoire français ?

Vous avez évoqué, en creux, le rôle du soutien des pouvoirs publics. Je comprends que vous avez toutes créé des associations - votre travail est remarquable et essentiel -, mais je sais aussi que cela ne suffira pas.

Le plan annoncé par la ministre de l'Éducation nationale constitue une bonne nouvelle. Pour autant, plusieurs d'entre vous ont insisté sur le fait qu'il ne faut pas se focaliser uniquement sur les classes préparatoires, mais aussi sur les universités, et qu'il est capital de s'intéresser à la question dès le plus jeune âge. Vous aviez tout à fait raison en affirmant que les tests que vous présentiez ne sont pas des maths. Cet échange nous pousse à nous interroger sur la manière d'enseigner les maths et les sciences, surtout au plus jeune âge. Si nous n'y changeons rien, beaucoup d'élèves se décourageront.

Les responsables des grandes écoles, comme l'ENS ou Centrale Supélec, ont signalé un manque de 15 à 20 000 élèves dans le vivier des candidates. Ils tentent de recruter davantage de filles. Mais pour ce faire, il faut qu'elles aient déjà un certain niveau de connaissances, même en classes prépa. Ce vivier doit donc exister. Pour cela, les actions doivent commencer très tôt, bien avant la seconde. Les filles ferment ces portes bien plus tôt, dès le plus jeune âge.

Mme Laure Darcos, rapporteure. - Madame Brusseau, vous parliez d'efficacité. Certaines d'entre nous peuvent témoigner des changements observés au sein des conseils départementaux, dès lors que la règle de la parité y a été instaurée. Je le dis souvent : même si je suis plutôt une élue de droite, c'est généralement la gauche qui a fait avancer la parité. Je peux par exemple citer le changement du mode de scrutin au niveau départemental, où les cantons ont été réduits de moitié, mais où l'on présente désormais un homme et une femme à égalité, et non plus un homme élu avec une femme suppléante, comme c'était souvent le cas.

Bon nombre de mes collègues hommes ont, avec honnêteté, concédé au bout de quelques années qu'ils avaient travaillé différemment. C'est formidable. Le reconnaître constitue déjà un progrès. Cette complémentarité me semble très importante dans tous les domaines.

À l'inverse de ma collègue ici présente, je suis une traumatisée des maths. Tout ce que vous avez dit me parle énormément. Étant désormais élue du plateau de Saclay, je me mords les doigts de ne pas avoir abordé les maths autrement que comme un traumatisme, au regard des réussites et des modèles que j'y vois. J'admire les femmes chercheuses ou ingénieures que j'y rencontre depuis plusieurs années. Ainsi, il est très important de changer ce regard dès le plus jeune âge.

Vous avez moins évoqué l'un des effets pervers de la réforme du baccalauréat et qui réside dans le fait que les futures professeures des écoles n'auront plus suivi de cours de maths au lycée. Elles auront donc encore moins d'appétence pour enseigner cette discipline en primaire.

En commission de la culture, nous en avons discuté avec le ministère de l'éducation nationale, notamment avec Elisabeth Borne. Il me semble fondamental d'agir au niveau de la formation initiale et continue. Nous devons nous occuper de la formation de ces jeunes professeurs qui, sinon, risquent d'entretenir un cercle vicieux de méconnaissance et de désamour des maths chez leurs élèves. J'aimerais avoir votre avis à ce sujet.

En parlant de quotas, j'ai aussi été très intéressée par les propos de Madame Guenais relatifs à leur pertinence en deuxième année de prépa.

Je m'interroge également concernant Parcoursup. Nous savons que les algorithmes sont très secrets. Pour autant, ne serait-il pas possible de mettre en oeuvre une sorte d'alerte sur le nombre de filles inscrites sur telle prépa ou telle école ? Un algorithme pourrait lancer un « warning » pour encourager l'accès de jeunes filles à certaines formations quand il y a des listes d'attente, plutôt que de laisser systématiquement des garçons y accéder.

Ce sujet est compliqué, car cette piste reviendrait à s'immiscer dans l'algorithme. Certains collègues sont très vigilants sur ce point. Mais ici, cette décision servirait une cause juste.

Cette table ronde est très enrichissante, mais je n'en attendais pas moins.

Mme Marie-Do Aeschlimann, rapporteure. - Merci pour toutes les précisions, et pour les nombreuses actions que vous menez pour promouvoir cette belle cause.

J'ai été particulièrement décontenancée par ce que vous nous avez appris au sujet des tests en CP. Je n'imaginais pas qu'un tel biais puisse intervenir. Nous devrons certainement approfondir cet élément.

Dans le monde, 28 % des ingénieurs sont des femmes. En France, elles représentent environ 26 % de cette profession, aux États-Unis ou au Japon, 20 à 22 %. Certains pays sont bien plus avancés : au Maroc, en Tunisie, en Syrie, au Pérou, 42 à 46 % des ingénieurs sont des femmes. Ce taux peut monter jusqu'à 56 % à Trinité-et-Tobago.

Vous intéressez-vous à ces pays ? Existe-t-il des différences -- qu'elles soient culturelles, éducatives, pédagogiques -- qui pourraient nous inspirer et nous aider à faire évoluer nos pratiques pour atteindre nos objectifs ?

Enfin, comptez-vous des hommes impliqués dans vos associations, qui portent ce plaidoyer avec vous ? Et, si oui, quelle est leur proportion ? Au sein de la délégation aux droits des femmes, des hommes sont présents et soutiennent nos travaux. Qu'en est-il chez vous ?

Mme Annick Billon. - Merci pour votre exposé

Ma première question fait écho à celle de ma collègue rapporteure au sujet des hommes. Aujourd'hui, nous recevons des femmes engagées, brillantes et mobilisées pour la place des femmes dans le monde de l'entreprise et dans la recherche en ingénierie. Comment votre combat est-il accueilli au quotidien dans vos entreprises ? Pensez-vous que cette parole doive être portée uniquement par des femmes, ou bien par des femmes et des hommes ensemble ? Cet élément est essentiel. Nous nous demandons parfois pourquoi ne pas nommer un homme à la présidence de la délégation aux droits des femmes au Sénat. Cette décision serait-elle sensée ?

Il est parfois dérangeant de défendre uniquement son propre camp. Les hommes doivent eux aussi prendre part à ce combat, et prendre conscience de ce qu'apportent les femmes dans les circuits ingénieurs.

Ma deuxième question, peut-être redondante par rapport à vos exposés - que je n'ai pas pu suivre entièrement - concerne les études de médecine. On sait que la première année est très sélective et peut même s'avérer maltraitante. Lorsqu'on vient d'un milieu rural, il peut sembler compliqué de se projeter dans ces études, de parcourir 200 kilomètres pour les suivre. Pour élargir le spectre des candidats - filles ou garçons qui ne viendraient pas nécessairement des zones urbaines ou de familles de médecins - on imagine désormais une première année de médecine dans les territoires ruraux.

Si on installait des prépas dans tous les départements, sans qu'elles subissent la concurrence des grandes prépas prestigieuses, afin d'offrir aux candidats issus de la ruralité davantage de chances d'accéder à de grandes écoles d'ingénieurs, pourrait-on garantir à ces élèves qu'ils ne seraient pas blacklistés lors de la sélection ?

Mme Dominique Vérien, présidente. - Notre collègue Gilbert Favreau a-t-il une question ?

M. Gilbert Favreau. - Non, je suis là en tant qu'observateur.

Mme Valérie Brusseau. - Notre association compte aujourd'hui près de 350 entreprises partenaires. La féminisation des entreprises représente un enjeu aux multiples facettes, que l'on peut envisager sous trois aspects principaux.

Le premier concerne la conformité aux obligations légales, notamment aux quotas et à la loi Copé-Zimmerman, qui impose une féminisation des comités exécutifs. Il importe donc d'alimenter un vivier de talents féminins qualifiés.

Le second aspect est celui de l'efficacité collective et du modèle économique : une entreprise, dont l'objectif premier est la performance financière, reconnaît désormais pleinement la valeur ajoutée que représente la diversité féminine.

Enfin, le troisième enjeu est celui de l'attractivité : les politiques de responsabilité sociale des entreprises (RSE) influencent les choix des jeunes femmes, qui sont davantage enclines à intégrer des structures ouvertes et inclusives.

Aujourd'hui, il persiste également un défi majeur résidant dans le manque de désirabilité des secteurs industriels et, plus largement, de l'entreprise. C'est un effort collectif qui doit être mené sur l'ensemble des territoires. C'est précisément ce que nous mettons en oeuvre au sein d'Elles Bougent, à travers nos 26 délégations réparties sur tout le territoire national, y compris dans les départements d'outre-mer.

Nous ouvrons les portes des entreprises aux jeunes filles accompagnées de leurs enseignants, ce qui permet, en outre, d'éclairer ces derniers sur la réalité du monde professionnel et de renforcer leur rôle de prescripteurs d'orientation. Nous participons également à tous les salons industriels, comme récemment à Global Industrie.

Nous emmenons plus de 200 jeunes filles au salon de l'aéronautique, l'an dernier, nous en avons conduit plus de 250 au salon de l'automobile. Nous serons pleinement mobilisés lors de la prochaine Semaine de l'industrie, en novembre.

Cette ouverture témoigne du besoin réel des entreprises, qui doivent, de leur côté, s'attacher à travailler sur la question de leur attractivité.

Ensuite, l'aspect international constitue l'un des quatre axes stratégiques que je porte en qualité de présidente du Conseil d'administration d'Elles Bougent. Nous sommes actuellement en phase d'ouverture à l'international, avec le lancement à venir d'une délégation au Maroc, le 29 mai prochain.

Nous menons par ailleurs des études approfondies sur les causes profondes des disparités, les « root causes ». Elles varient selon les zones géographiques. On observe ainsi une plus forte féminisation dans des pays tels que la Chine, la Roumanie, ou l'ensemble de l'Europe de l'Est, issus d'une culture héritée du communisme, qui valorise une grande égalité des sexes et où l'attrait pour les mathématiques n'est pas un sujet. De même, l'Europe du Nord, bien que ne reposant pas sur un modèle communiste, applique des politiques égalitaires très affirmées dès le plus jeune âge. Dans mes équipes en Roumanie, par exemple, on constate un équilibre quasi parfait entre jeunes femmes et jeunes hommes dès l'entrée en formation.

Un autre facteur déterminant qui encourage les jeunes filles à s'orienter vers ces filières relève de la dimension d'ascension sociale, liée à la rémunération attractive de ces métiers. Ce phénomène se retrouve notamment en Inde, au Japon, au Brésil et au Maroc, où ces carrières offrent aux femmes un véritable pouvoir économique.

Ce sont là les deux leviers majeurs que nous explorons et déployons puisque cet axe stratégique n'est en place que depuis un an, sous la direction de notre directrice générale, Isabelle Huet.

Cependant, malgré une entrée équilibrée, certaines jeunes femmes abandonnent leur parcours en raison de pressions familiales ou culturelles. Ainsi, certaines collaboratrices ne réintègrent pas leur poste après les vacances d'été, car elles restent au sein de leur famille, parfois contraintes par des traditions de caste comme en Inde par exemple. Au Maroc, le mariage peut également interrompre la carrière des femmes.

On relève donc une perte importante dans le « pipeline » professionnel, malgré une égalité apparente à l'entrée.

Venons-en maintenant aux problématiques de ruralité et de cloisonnement culturel. Notre maillage territorial est très dense, avec 26 délégations, sans oublier les départements et territoires d'outre-mer. Nous ouvrons les portes des entreprises à l'échelle locale. Hier encore, lors du Challenge Innovatech, un hackathon 100 % féminin, dans lequel nous avons accueilli 20 équipes venues de toute la France, rassemblant délégations régionales, écoles et entreprises locales. Il est primordial que ce débat ne reste pas confiné à Paris, mais qu'il s'ancre véritablement dans toutes les régions, en s'appuyant sur les pouvoirs publics et les acteurs locaux.

Le soutien des pouvoirs publics constitue également l'un de nos quatre axes stratégiques. Grâce à notre expérience de terrain, nous touchons chaque année 45 000 jeunes filles au travers de plus de 1 000 actions. Pour autant, nous sommes conscients que nous ne pourrons réussir sans l'appui des pouvoirs publics. Nous nous réjouissons des mesures déjà intégrées, notamment deux d'entre elles figurant dans le plan « filles et maths ».

Nous souhaiterions également voir instaurer une journée nationale dédiée à la déconstruction des stéréotypes, ainsi qu'une formation obligatoire en matière de RSE au sein des entreprises, afin de sensibiliser tous les acteurs, à tous les niveaux.

Enfin, chez Elles Bougent, nous oeuvrons avec les hommes. Notre président d'honneur, Pierre-Éric Pommellet, président de Naval Group, était hier à Bercy à nos côtés pour encourager les jeunes filles. Ce débat n'est pas uniquement celui des femmes, mais celui de tous.

Nous comptons un homme délégué régional. Notre conseil d'administration, qui n'est pas encore paritaire, compte environ 20 % d'hommes, une proportion que nous nous employons à accroître.

Il est en effet essentiel de mobiliser les hommes, car ils sont souvent des « early adopters », des acteurs précurseurs qui peuvent contribuer à faire évoluer les mentalités.

En effet, ce débat peut parfois être perçu par certains hommes en entreprise comme une promotion des femmes au seul titre de leur genre. J'en ai moi-même fait l'expérience.

Il convient donc d'aborder cette question sous l'angle de l'efficacité économique et opérationnelle : c'est en travaillant ensemble que nous pourrons accroître notre capacité d'innovation et de performance. C'est par ce prisme, celui de l'efficacité au service de la croissance et de la compétitivité de notre pays, que le dialogue avec les hommes doit s'engager.

Mme Fatima Bakhti. - Nous comptons parmi les membres de Femmes Ingénieures aussi bien des personnes physiques que des entités morales, ces dernières se révélant particulièrement engagées. De nombreuses entreprises souhaitent en effet contribuer activement à cette évolution culturelle, qui consiste, en définitive, à changer de paradigme : il s'agit de reconnaître que les métiers d'ingénieur, ainsi que les professions scientifiques en général, sont accessibles et pertinents pour tous.

À ce propos, je tiens à souligner l'initiative remarquable de l'association « Arts et métiers Alumni », qui a organisé cette année un évènement d'envergure intitulé « Usine ouverte ».

Plus de 150 entreprises industrielles ont ainsi ouvert leurs portes, le vendredi à destination des scolaires, et le samedi au grand public, afin de mieux faire connaître ces secteurs. Cet engagement est particulièrement fort, car il mobilise un important investissement en termes de temps et de ressources de la part ces entreprises. L'impact est double : il permet de déconstruire certains stéréotypes relatifs à l'industrie et favorise une meilleure compréhension culturelle de ces métiers.

Pour ma part, lorsque j'étais jeune, la visite de l'usine Haribo à Marseille m'avait profondément marquée. Cette expérience demeure un souvenir précieux.

Par ailleurs, les entreprises n'hésitent pas à s'impliquer dans des actions de sensibilisation. Nous organisons notamment l'évènement « « Ingénieur.e ? C'pour moi ! » dans le métavers, auquel ont participé l'an dernier près de 8 500 élèves. Plus de 200 intervenantes issues des entreprises ont eu ainsi l'opportunité de présenter leurs métiers et de contribuer à déconstruire les idées reçues.

Ce travail de sensibilisation est d'autant plus important lorsqu'il s'agit de couvrir l'ensemble du territoire national. En effet, les actions ne peuvent se cantonner à l'Île-de-France. Elles doivent bénéficier à toutes les régions. Le numérique, bien qu'il soit un complément à la présence physique, joue ici un rôle clé : il permet à chaque élève, qu'elle réside dans un coin reculé de la Creuse ou en Normandie, d'échanger avec une ingénieure remarquable qui travaille dans un centre de recherche francilien.

Nous avons également abordé la question des biais culturels et des différences entre pays. Lors d'une table ronde organisée dans ce cadre, il a été souligné que, dans certains pays, il est culturellement admis que la réussite scolaire passe soit par les études d'ingénieur, soit par celles de médecine. Ce modèle est fortement ancré dans les familles et soutenu par les prescripteurs d'orientation ; il devient un sujet de discussion naturel lors des repas dominicaux.

Nous pourrons considérer que la transformation culturelle sera pleinement accomplie lorsque, au sein du repas familial dominical, une grand-mère ou un père dira à son enfant : « Je rêve que tu sois ingénieur ». Comment parvenir à cet objectif ? Il serait envisageable de créer des contenus culturels -- films, séries télévisées -- qui mettent en scène des intrigues se déroulant au sein d'usines ou dans des métiers d'ingénieurs. Nous connaissons bien les métiers de la médecine, grâce à de nombreuses séries telles que Grey's Anatomy. Le métier de policier est également très représenté et familier du grand public, notamment à travers de nombreuses fictions télévisées. Pourquoi ne pas encourager davantage la connaissance et la valorisation des métiers scientifiques et techniques à travers des productions culturelles de même ampleur ?

Mme Françoise Conan. - J'insisterai tout particulièrement sur les problématiques universitaires. En effet, si l'on évoque fréquemment la formation des ingénieurs, il convient de ne pas oublier que l'université dispense également des cursus de niveau master, voire doctorat, qui, à mon sens, ne bénéficient pas d'une reconnaissance suffisante, contrairement à ce que l'on observe dans certains pays.

Les études de médecine se présentent actuellement sous deux voies d'entrée distinctes. Les situations diffèrent d'un établissement à l'autre, puisque chaque université a choisi de se positionner soit sur un « Parcours Accès Santé », soit sur une « Licence Accès Santé ». Ces modalités demeurent en constante évolution et sont toujours en discussion. Je peux en parler en connaissance de cause, ayant assuré, avec ma collègue électronicienne, la direction de la faculté des sciences pendant cinq années, précisément durant cette période de transformations successives des modalités d'accès aux études de santé.

Dans ces filières, les étudiantes sont majoritaires, représentant plus de 50 % des effectifs. Cette réalité suscite parfois de l'inquiétude parmi certains de mes collègues médecins. Lorsque j'étais chargée de mission égalité, j'entendais parfois des remarques telles que « Il faudrait agir, il y a désormais trop de filles, cela devient préoccupant ».

En ce qui concerne les territoires, nous mettons en place des dispositifs d'enseignement à distance afin que les étudiantes qui le souhaitent puissent suivre leur première année d'études dans leur propre ville. Cependant, le problème réside dans le fait que ces jeunes sont souvent contraintes de suivre la totalité de leurs enseignements à distance, compliquant leur parcours. Nous avons pu mesurer les effets néfastes de cette situation, notamment durant la crise sanitaire liée au Covid-19.

Je m'écarte quelque peu du cadre associatif pour témoigner de mon expérience personnelle avec le dispositif FormaFlex, dans lequel j'ai enregistré mes cours, non pas sous la forme d'un simple diaporama enregistré, mais en m'adressant directement à la caméra, en cherchant à susciter l'intérêt. La première chose que j'ai dite à l'ingénieur pédagogique qui m'accompagnait, c'est qu'avec une caméra, je ne pouvais ni écrire au tableau ni me déplacer. J'ai donc fait déplacer le dispositif dans une salle afin de pouvoir me positionner devant un tableau et interagir, seule face à la caméra, en imaginant mon auditoire étudiant.

De nombreuses initiatives de ce type voient le jour. Il faut à présent en mesurer les effets.

Je crois être la seule ici à venir d'une région particulièrement éloignée, le Finistère, en Bretagne : littéralement le bout du monde. Nous connaissons bien la ruralité dans cette région. Avec une collègue chimiste comme moi, nous avons organisé des rencontres Chimie et Terroir, à Carhaix dans le centre de la Bretagne, dans le cadre d'une action portée par la Commission Chimie-Société de la Fondation de la Maison de la Chimie. Ces rencontres ont permis de présenter la chimie au plus grand nombre, en réalisant des expériences en lien avec le territoire. Nous sommes allés à la rencontre des publics et ce fut un vrai succès.

L'année dernière, je me suis rendue à Baccarat, non loin de Nancy. Une élève de quatrième est venue avec sa classe un jeudi. Elle est revenue le samedi afin de visiter tous les stands qu'elle n'avait pu voir initialement. À un moment, mon collègue de Nancy lui a proposé de visiter le village des sciences, si elle était intéressée, pour en apprendre davantage et pour voir son laboratoire. Sa réponse fut révélatrice : « Vous savez, ma grand-mère ne va pas me conduire à Nancy ».

Ce témoignage illustre parfaitement les difficultés concrètes auxquelles sont confrontés certains jeunes, notamment pour accéder à des lieux de culture scientifique.

Je souhaite également aborder la question de la formation des professeurs des écoles. Aujourd'hui, environ 80 % des entrants dans cette profession proviennent de filières en sciences humaines, sociales ou d'études de lettres. Il devient donc de plus en plus complexe d'attirer ces futurs professeurs vers l'enseignement des sciences expérimentales et des disciplines dites « dures ».

Ce constat justifie pleinement le rôle d'associations telles que Femmes & Sciences, qui englobent la promotion des sciences dans leur ensemble.

Lorsque nous rencontrons des classes, nous évitons de nous limiter à un simple discours, préférant venir également avec un objet ou une expérience, afin de rendre les choses tangibles et concrètes. Cet aspect est fondamental : parler de chimie sans démonstration ou sans montrer d'expérience n'a pas le même impact que de réaliser soi-même une démonstration.

La formation des professeurs constitue effectivement un enjeu majeur. À ce propos, l'association Femmes & Sciences a récemment signé, aux côtés de l'association Femmes et Mathématiques ainsi que des sociétés savantes, une tribune visant à réaffirmer la nécessité d'un encadrement rigoureux et structuré dans la formation des enseignants.

Les partenariats avec des entreprises sont également essentiels. Parmi nos ambassadrices, certaines sont des femmes évoluant dans le monde de l'entreprise. Nous bénéficions de partenariats solides avec des entreprises telles qu'ENGIE. Ces collaborations se multiplient, et nous recevons de plus en plus de sollicitations. Nous comptons aussi parmi nos membres des personnes morales issues du secteur privé, ce qui témoigne de l'implication croissante du monde de l'entreprise dans nos actions.

Nous avons pour ambition d'étendre encore davantage ce réseau de partenaires. Nous oeuvrons déjà en collaboration étroite, mais il reste possible de « monter en gamme », d'intensifier nos actions conjointes.

Cela dit, ne perdons pas de vue que nous sommes avant tout des bénévoles, exerçant par ailleurs des activités professionnelles. C'est un point essentiel : les associations ne peuvent à elles seules résoudre toutes les problématiques, loin s'en faut. Nous avons besoin du soutien des pouvoirs publics.

Nous sollicitons naturellement le ministère de l'éducation nationale, d'autant plus que nos interventions s'adressent principalement aux publics scolaires.

Par ailleurs, lors de notre colloque annuel, nous proposons parallèlement une session de formation en ligne destinée aux enseignants du primaire et du secondaire. Cette formation, entièrement à distance, est accessible à l'inscription.

Ensuite, notre association compte des hommes. Deux hommes siègent au conseil d'administration : l'ancien directeur de l'École normale supérieure de Rennes et un physicien.

Permettez-moi de partager une anecdote personnelle : il y a trois ans, j'ai été contactée par un enseignant de mathématiques intervenant en classes préparatoires, dans un lycée de Brest. Il enseignait principalement dans la filière PC (physique-chimie). Il avait échangé avec un inspecteur de mathématiques de l'Académie de Rennes, étant inquiet de constater une baisse significative du nombre de filles dans ces filières, qui auparavant ne souffraient pas d'un tel déficit. L'inspecteur lui a conseillé de prendre contact avec Femmes & Sciences, ce qui l'a encouragé à y adhérer. Aujourd'hui, cet enseignant breton est très actif au sein de notre réseau, à tel point qu'au dernier village des sciences organisé à Brest à l'automne dernier, il est venu nous épauler pour tenir notre stand.

Les hommes sont donc également préoccupés par la diminution du nombre de filles dans certaines filières scientifiques.

Par ailleurs, au niveau universitaire, il convient de rappeler que les filles représentent largement plus de 50 % des effectifs en master à l'échelle nationale, mais que cette proportion diminue au niveau du doctorat, où l'on tombe à environ 40 %.

Ce constat soulève d'autres questions importantes.

Mme Mélanie Guenais. - Personne n'ayant répondu à votre interrogation concernant les tendances actuelles, je vais m'en charger. Le bénévolat est essentiellement une source d'épuisement qui repose, malheureusement, sur les épaules des rares femmes « rescapées » du système.

La tendance globale n'est pas favorable, notamment en mathématiques. La proportion de femmes en licence de mathématiques diminue. Ce constat ne résulte pas uniquement des réformes récentes. Ce phénomène existait déjà, mais les données montrent une baisse progressive et généralisée de la part des femmes dans cette discipline depuis 2005. Nous atteignons aujourd'hui des proportions extrêmement préoccupantes. Selon le dernier rapport de la mission, parmi les 140 femmes qualifiées en mathématiques, seulement 17 ont été recrutées sur 80 postes ouverts. C'est dramatique.

Pour donner un ordre de grandeur, en mathématiques fondamentales, il y a quelques années, nous comptions une trentaine de femmes, elles sont aujourd'hui 40 sur 500 professeurs. Pour atteindre la parité, nous devrions recruter environ 200 professeures d'université supplémentaires.

De nombreux verrous freinent la progression des femmes. Les mathématiques occupent une place symbolique forte dans l'accès au pouvoir et à une certaine aristocratie scientifique, marquant une hiérarchie particulièrement stricte. Il est impossible d'inverser cette tendance sans engager une action massive. On évoque souvent les viviers de candidates potentielles, mais nous devons impérativement agir pour permettre leur progression, sinon les rares modèles féminins s'épuiseront.

Par ailleurs, malgré la mobilisation de nombreuses femmes souhaitant transmettre leur passion -- vous avez cité 19 000 élèves -- leur nombre reste dérisoire au regard des effectifs : l'école primaire compte 6 millions d'élèves, et chaque année, 10 000 nouveaux enseignants prennent leur poste. L'échelle n'est donc pas adaptée.

Les actions menées sont positives, mais ne peuvent constituer à elles seules la base d'une évolution profonde. L'ordre de grandeur est d'environ un contre mille.

Ainsi, les tendances générales sont malheureusement mauvaises. Les pouvoirs publics doivent agir massivement.

Vous évoquiez également la transformation de l'enseignement en CP. Le test que je vous ai montré ne correspond pas à ce que font réellement les enseignantes : elles enseignent les nombres comme d'habitude, avec plus ou moins de réussite, selon leur formation et les moyens disponibles. Les conditions de travail restent difficiles, elles font face à de nombreuses injonctions, mais elles enseignent quand même.

Historiquement, depuis les années 1980, les critiques à l'encontre des enseignants sont récurrentes : « ils ne sont pas assez formés », « leur pédagogie est trop formelle », etc. C'est un problème français bien connu.

Cela dit, jusqu'à présent, les enfants français en CM1, selon l'enquête TIMSS, adoraient les mathématiques, bien plus que dans la plupart des autres pays. Ce constat ne s'est pas reconduit en 2024, ce qui constitue un signal d'alerte majeur.

En 1995, 2015 et 2019, seulement 15 % des élèves français en CM1 déclaraient détester les mathématiques, un taux bien inférieur à la moyenne internationale et nettement inférieur à celui de Singapour, où il atteint 23 %. Aujourd'hui, ce pourcentage est monté à 20 % en France. Il reste inférieur à celui de Singapour.

De même, environ 50 % des élèves français en CM1 affirmaient adorer les mathématiques, un chiffre qui a légèrement diminué, mais demeure parmi les plus élevés comparativement à d'autres pays.

Ainsi, ne nous trompons pas de sujet : les résultats des tests de CM1 ne sont pas bons, mais comme on l'a vu les tests eux-mêmes posent question. Par exemple, ils sont fondés sur des critères anglo-saxons qui ne sont pas forcément adaptés à notre contexte.

D'ailleurs, lorsque l'on regarde les enquêtes PISA, les compétences en mathématiques des élèves français sont moyennes.

En conclusion, nous devons donc faire preuve de prudence dans l'interprétation des résultats, tout en reconnaissant qu'un changement s'impose.

En effet, il est impératif de pratiquer des pédagogies plus ouvertes, axées davantage sur le raisonnement. Or, actuellement, les programmes scolaires ont purement et simplement supprimé le terme « raisonnement ». Cela témoigne d'une orientation complètement contraire à ce qu'il faudrait faire, ce qui doit nous alerter.

Les nouveaux programmes, qui entreront en vigueur en 2025, ont également supprimé les compétences transversales. Or, une pédagogie égalitaire repose avant tout sur le développement de la compréhension et du raisonnement. Aujourd'hui, on privilégie les automatismes et la vitesse, ce qui relève d'une erreur fondamentale.

Depuis toujours, l'enquête PISA souligne que les élèves français manquent d'autonomie : ils savent appliquer des méthodes, mais ne savent pas raisonner ou prendre des initiatives. Ce que l'on fait aujourd'hui va donc exactement à l'encontre de ce que nous devrions mettre en oeuvre.

Je tiens à souligner que les nouveaux programmes invitent à faire des mathématiques sans raisonner : ce ne sont plus nos mathématiques. Ce n'est pas ainsi que l'on pourra ouvrir la discipline ; au contraire, on risque de la restreindre.

Auparavant, six compétences transversales constituaient la base des programmes : elles favorisaient l'ouverture à des problèmes ouverts, la coopération, la recherche, l'exploration et l'audace. Aujourd'hui, on se replie sur l'apprentissage des techniques et la mémorisation rapide. C'est un choix politique, mais si l'on veut vraiment ouvrir les mathématiques, ce n'est pas la bonne voie.

Concernant Parcoursup, la situation est complexe. On observe un phénomène lié au stress des élèves : lorsque l'on est sur liste d'attente, on a tendance à accepter la première proposition qui arrive, ce qui peut biaiser les choix. Le fait que les voeux ne soient pas ordonnés dans la plateforme aggrave la situation. Une amélioration du logiciel serait nécessaire.

J'organise beaucoup d'ateliers en non-mixité avec des étudiantes en licence, qui ont souvent vécu de très mauvaises expériences en classes préparatoires. Beaucoup d'entre elles ne se sont pas senties à leur place, victimes d'un entre-soi très homogène socialement, pas seulement lié au genre. Cumulant le fait d'être filles, issues de milieux ruraux ou éloignés de l'école, elles se retrouvent exclues, sans accès aux codes sociaux nécessaires à leur intégration.

Les prépas de proximité ne me semblent donc pas forcément être la solution idéale. En revanche, il est essentiel de garantir leur accueil en toute sécurité, notamment via des internats offrant des conditions financières et d'hébergement fiables. Elles doivent aussi pouvoir découvrir d'autres environnements, car les enfermer dans leur milieu d'origine ne leur permet pas de s'épanouir. Ce constat vaut aussi pour les garçons.

Pour revenir à Parcoursup, les raisons des difficultés rencontrées sont complexes et liées à de multiples facteurs.

Vous évoquiez les pédagogies dans les pays africains. Elles reposent sur le système français des années 1980.

Enfin, pour changer les critères de sélection et de réussite, je retiens l'expression de Sylvie Matelly, directrice de l'Institut Jacques Delors, qui, aux journées nationales du numérique organisées par le Cigref et Numéum au Parlement de Strasbourg, disait : « On ne veut pas des stars, on ne veut pas des champions, on veut des bonnes équipes ».

Il est essentiel de lutter contre cette culture de l'excellence individuelle qui nuit gravement à la reconnaissance des compétences réelles.

Les compétences importantes sont la rigueur et la capacité à travailler collectivement. Le « héros », celui qui a une idée, mais abandonne son équipe, ne fait pas avancer la cause.

Nous avons vraiment besoin d'un discours clair sur ce point : nous devons avancer en équipe, pas en stars isolées.

Je suis même opposée à l'expression « talents », qui me semble contre-productive. Ce que nous cherchons, ce sont des personnes compétentes, capables de coopérer efficacement.

Mme Véronique Slovacek-Chauveau. - L'association Femmes et Mathématiques compte des hommes, mais ils ne peuvent pas la présider. Nous l'avons précisé dans nos statuts.

Nous organisons des speed meetings les premiers mercredis de chaque mois, réservés aux filles. Un jour, un garçon s'est retrouvé présent par erreur. Plutôt que de faire un problème de sa présence, les organisatrices ont laissé la réunion se dérouler normalement. Il a été le seul à poser des questions, et les filles se sont tues. Ainsi, la mixité est à manier avec précaution.

En Italie, la place des mathématiques n'est pas la même qu'en France. Davantage de femmes y sont recrutées. Nous avons peut-être une piste à approfondir dans la perception de cette discipline et son impact sur le pourcentage de femmes y accédant.

Ensuite, il me semble que la situation d'entre soi en classes préparatoires s'est aggravée sans que je parvienne à comprendre pourquoi. Il y a quelques années, il était encore possible d'intégrer une grande école en ayant quitté son milieu social d'origine pour faire une classe prépa et. Aujourd'hui, en France, il semblerait qu'un nombre très limité de prépas permettent d'accéder aux écoles les plus prestigieuses comme Normale Sup ou Polytechnique. Ce n'est pas normal.

Par ailleurs, la participation des entreprises à nos activités se manifeste généralement par un soutien financier.

Enfin, nous évoquions plus tôt des anecdotes de filles recevant des messages contradictoires en prépa disant, par exemple, qu'elles sont studieuses, mais qu'elles ne créent pas de la connaissance. Nous avons recueilli des témoignages de jeunes filles prêtes à abandonner leurs études en classes préparatoires, et exprimant le sentiment de ne plus aimer les mathématiques.

Par exemple, une élève de première n'a pas été choisie par son professeur de mathématiques pour participer aux Olympiades, alors même que normalement, ce n'est pas le professeur qui inscrit les élèves, mais les élèves eux-mêmes qui manifestent leur intérêt. Nous avons d'ailleurs obtenu que les équipes participant aux Olympiades soient mixtes, une avancée appréciée. Lorsque cette élève a interrogé son professeur sur le fait qu'un autre élève avait été proposé à sa place, il lui a répondu que celui-ci en avait « plus de capacités ». Ainsi, ce ne sont pas les notes, mais le potentiel qui a été pris en compte.

Mme Laure Darcos. - Nous nous accordons tous sur le fait que ce ne sont pas tant les compétences réelles qui comptent, mais plutôt le comportement différencié entre hommes et femmes. En effet, les hommes ont tendance, par audace, à répondre à tout, même sans toujours maîtriser le sujet, tandis que les femmes préfèrent généralement ne pas prendre d'initiative tant qu'elles ne cochent pas l'ensemble des cases.

Mme Véronique Slovacek-Chauveau. - C'est une question de construction sociale. On nous construit comme ça.

Mme Dominique Vérien, présidente. - Merci. C'était très intéressant. Ces échanges m'ont rappelé énormément d'anecdotes. Il m'est souvent arrivé de ne pas oser répondre à des questions, pensant que si la réponse était trop facile, c'était peut-être un piège ou une erreur.

Merci beaucoup pour ces échanges passionnants. Sachez que nous sommes à vos côtés pour porter cette parole.