Mardi 20 mai 2025

- Présidence de M. Olivier Henno, président -

La réunion est ouverte à 16 h 30.

Audition de M. André Laignel, président du Comité des finances locales

M. Olivier Henno, président. - Nous auditionnons aujourd'hui M. André Laignel, président du Comité des finances locales (CFL).

Le Sénat a décidé de la constitution d'une commission d'enquête dont l'objet est de travailler sur la libre administration des collectivités territoriales, ainsi que sur le financement des services publics de proximité et de la transition écologique.

Je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du Code pénal. Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure ». Je vous remercie par ailleurs de nous faire part de vos éventuels liens d'intérêts.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. André Laignel prête serment.

M. Thomas Dossus, rapporteur. - Cette commission d'enquête porte sur un sujet qui se situe au coeur des attributions du Sénat, à savoir les collectivités territoriales et leur financement. Des réformes successives ont privé les différentes collectivités de leurs recettes propres, tandis que des séquences budgétaires de plus en plus complexes ont affecté leur relation avec l'État, d'où un certain nombre de crispations et de tensions lors de l'examen des deux derniers projets de loi de finances (PLF).

Aussi, nous aimerions connaître votre regard sur les différentes réformes et la façon dont elles ont été entreprises, ainsi que sur le rôle du CFL dans le dialogue entre les collectivités et le Gouvernement.

M. André Laignel, président du CFL. -Le sujet inscrit à l'ordre du jour de votre commission d'enquête est vaste. Que reste-t-il de la libre administration ? J'ai le sentiment qu'elle n'est plus qu'un fantôme, car elle suppose une autonomie financière qui est en principe garantie par la Constitution, mais dont la définition a été totalement viciée par la loi organique du 29 juillet 2004 prise en application de l'article 72-2 de la Constitution relative à l'autonomie financière des collectivités territoriales. En effet, cette dernière prévoit que des parts d'impôt dont nous ne pouvons pas fixer le taux ni l'assiette soient considérées comme des ressources autonomes des collectivités. C'est un point de vue que nous ne partageons évidemment pas.

La libre administration est donc fantomatique, tandis que l'autonomie financière est réduite à l'état de guenille. Cet état de fait résulte de réformes successives - souvent traumatisantes - que nous avons vécues au cours des quinze dernières années et qui se sont orientées dans la même direction, c'est-à-dire vers un recul de la décentralisation.

Albert Camus se demandait ce qu'il reste de liberté au travailleur quand on lui supprime son pain. Si la situation des collectivités locales n'est pas tout à fait comparable, la question est néanmoins posée : que reste-t-il de nos libertés quand nos ressources sont supprimées ?

Les suppressions d'impôts, tout d'abord, ont touché tous les niveaux de collectivités : les régions n'ont désormais quasiment plus aucune autonomie fiscale, tandis que les recettes fiscales du bloc communal ont considérablement diminué. La suppression de la taxe professionnelle, qui a été le premier coup de canif dans le contrat entre l'État et les collectivités, a été suivie de la suppression de la taxe d'habitation (TH), de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), puis de la moitié des impôts économiques : l'ensemble équivaut, d'après la Cour des comptes, à 52 milliards d'euros, aujourd'hui compensés pour l'essentiel par de la TVA.

Ce montant est à mettre en perspective avec les 40 milliards d'euros que recherche actuellement le Gouvernement pour équilibrer les comptes : peut-être y avait-il une réflexion à mener avant de se lancer dans ces cadeaux fiscaux, qui représentent des masses considérables. De plus, contrairement à la fable qui nous a été répétée suppression après suppression, avec la formule quasiment consacrée selon laquelle une compensation interviendrait « à l'euro près », nous avons pu constater une réalité bien différente pour la taxe professionnelle, la TH et la CVAE.

S'agissant de la TH, l'État a joué sur les dates de référence, ce qui a bien entendu conduit à calculer une moyenne inférieure à la réalité de ce qui aurait dû être compensé. Quant à la CVAE, je demande depuis deux ans à connaître le montant perçu par l'État en 2023 et en 2024, chiffres que connaît pertinemment l'État, tandis que nous connaissons le montant reversé aux collectivités. Il serait très intéressant de comparer ces deux chiffres : d'après mes informations, peut-être erronées, 750 millions d'euros n'auraient pas été compensés pour la seule CVAE, tandis qu'il manquerait 1 milliard d'euros au titre de la TH.

S'y ajoute une baisse des dotations que le CFL et l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité (AMF) ont évaluée à 82 milliards d'euros depuis 2010 - en cumulé et en euros constants -, un chiffre que je ne demande, là aussi, qu'à confronter avec les données de Bercy. Je le répète : j'ai rendu l'ensemble de ces chiffres publics, en demandant, dans le cas où ils seraient inexacts, qu'on veuille bien me communiquer les éléments de calcul correspondants, la transparence de l'information étant la condition indispensable d'une relation saine entre l'État et les collectivités territoriales.

Au-delà des suppressions d'impôts, qui nous retirent toute liberté d'ajustement fiscal permettant de répondre aux évolutions des besoins, et des baisses de ressources considérables, qui n'ont guère permis de rétablir les comptes de la Nation, de nouvelles contraintes financières pèsent sur les collectivités territoriales. En l'espèce, des chiffres sont fournis par la Gouvernement dans les fiches du Conseil national d'évaluation des normes (CNEN), dont je suis également membre, même si j'ai tendance à penser qu'ils sont sous-estimés : sur la période 2022-2024, les pertes sèches des collectivités territoriales sont estimées à 5 milliards d'euros.

J'ajoute à cette liste des contraintes juridiques qui limitent encore davantage la libre administration : le code de l'urbanisme a ainsi quasiment doublé de volume en l'espace de quelques années, laissant toujours moins de liberté d'action aux élus locaux. N'oublions pas, par ailleurs, le zéro artificialisation nette (ZAN).

Tous ces éléments contribuent à une rupture majeure des liens à plusieurs niveaux, à commencer par la relation entre les citoyens et la commune : une majorité de nos concitoyens n'ont désormais plus de lien fiscal avec cette dernière, même si cette proportion varie en fonction de la taille de la commune. De la même manière, la suppression de la taxe professionnelle, de la CVAE et de la moitié des impôts économiques amenuise fortement le lien fiscal entre les collectivités et les entreprises.

Pour en revenir au ZAN, dont je ne conteste pas le principe, et aux contraintes en matière d'urbanisme, un élu local tel que moi n'a plus guère d'intérêt à accueillir des entreprises. J'ai ainsi refusé d'accueillir une société, car le rapport entre le nombre d'hectares dont elle avait besoin et le nombre d'emplois créés n'était pas raisonnable.

J'ai créé trois villages d'entreprises et j'ai étendu ma zone industrielle : avec le ZAN, et en l'absence de retours sur investissement, le prix de vente de mes terrains couvre à peine les dépenses d'infrastructures qu'il a fallu mettre en oeuvre. Nous sommes des milliers d'élus à être ainsi confrontés à la perte de nos capacités d'aménagement et de nos retours sur investissement.

D'autres formes d'action plus subtiles, dont l'appel à manifestations d'intérêts (AMI), aboutissent à sélectionner les collectivités territoriales, car seules celles qui sont dotées d'une capacité d'ingénierie importante sont en mesure de répondre à des dossiers complexes dans des délais restreints. L'État nous enserre ainsi dans des contraintes supplémentaires.

J'en viens à un aspect plus général, à savoir la problématique du fléchage des crédits. Les dotations d'investissement ne sont en effet pas forcément là pour nous aider, mais pour nous faire mettre en oeuvre les politiques que l'État a déterminées.

En additionnant toutes ces contraintes, nous aboutissons à une situation détestable pour le pays, à savoir l'absence quasi totale de confiance entre l'État et les collectivités locales. Du côté de l'État, une certaine haute administration semble ne jamais avoir assimilé la culture de la décentralisation et refuse d'accorder sa confiance à des collectivités territoriales censées être dépensières, si ce n'est porteuses des sept plaies d'Égypte. En retour, les collectivités ont l'impression que l'État ne leur dit pas toute la vérité, voire qu'il leur ment.

Je viens de vous remettre un courrier, monsieur le rapporteur, que nous avions cosigné avec le président de l'Assemblée des départements de France (ADF), Jean-Léonce Dupont, et déjà adressé à Bruno Le Maire - sans obtenir le moindre accusé de réception -, puis que nous avons renvoyé au Gouvernement de François Bayrou.

Nous y demandons des éclaircissements sur quatre points : l'évolution de la dotation globale de fonctionnement (DGF) en euros constants au cours des quinze dernières années ; la compensation des recettes fiscales nationalisées - notamment pour la TH et la CVAE ; la compensation des dégrèvements de fiscalité locale décidés par l'État, qui ne représente qu'environ 20 % des montants pour le logement, alors que cette non-compensation touche au premier chef les villes comptant le plus de logements sociaux ; enfin, le réel engagement des crédits d'investissements.

Des hausses de crédits sont en effet annoncées chaque année. La dotation de soutien à l'investissement local (DSIL) et la dotation d'équipement des territoires ruraux (DTER) sont censées augmenter, mais force est de constater qu'il existe un écart entre les sommes annoncées dans le cadre de la loi de finances initiale et celles qui sont réellement engagées. Certes, nous arrivons à suivre des mouvements massifs, tels que ceux intervenant sur le fonds vert, mais le problème de l'absence de consensus sur les comptes reste posé : comment peut-il y avoir libre administration si on nous dissimule systématiquement des éléments fondamentaux de la gestion des collectivités territoriales ?

Cette culture du mensonge et de la dissimulation caractérise malheureusement la relation entre l'État et les collectivités locales ces dernières années.

M. Thomas Dossus, rapporteur. - S'agit-il de mensonge ou d'omission ?

M. André Laignel. - Le mensonge par omission est une possibilité. Concernant la ponction prévue sur les ressources des collectivités locales en 2025, l'État avance le chiffre de 2,2 milliards d'euros : 1 milliard d'euros au titre du dispositif de lissage conjoncturel des recettes fiscales des collectivités territoriales (Dilico) et 1,2 milliard d'euros correspondant à un gel de la TVA qui devait pourtant servir à compenser, à l'euro près et de manière évolutive, les suppressions d'impôts que j'évoquais précédemment. Il s'agit bien d'un renoncement à la parole donnée.

J'y ajoute les enjeux liés à la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL) : alors qu'une augmentation des cotisations à hauteur de 3 points a été annoncée dans le cadre de la loi de finances pour 2025, un point qui était compensé l'année précédente ne l'est plus, ce qui porte l'augmentation réelle à 4 points, soit environ 1,4 milliard d'euros.

Quant à l'annulation récente de 3 milliards d'euros de crédits, une note du cabinet Michel Klopfer indique qu'elle impacterait directement les collectivités territoriales à hauteur de 245 millions d'euros, auxquels s'ajouterait une diminution indirecte - via une baisse de crédits sur la jeunesse et les sports, par exemple - d'environ 360 millions d'euros.

Nous sommes donc confrontés à une baisse de crédits pour les territoires, tandis que la hausse des charges représente près de 8 milliards d'euros.

Dans ces conditions, il est difficile d'avoir un dialogue franc et sincère. J'ai rappelé tous ces éléments lors de la dernière conférence financière des territoires, mais aucune réponse ne m'a été apportée.

Il me semble, enfin, que notre pays a besoin d'un nouvel élan de décentralisation. Ayant été l'un des acteurs des lois de décentralisation de 1982 en tant que rapporteur du budget du ministère de l'intérieur, je ne peux que constater un net recul à ce jour, qu'il s'agisse de la libre administration ou des moyens financiers et juridiques qui nous sont donnés.

Or notre pays ne se sortira pas de la situation actuelle sans être capable de remotiver les initiatives locales, en donnant donc un nouvel élan à la décentralisation.

M. Thomas Dossus, rapporteur. - Vos propos rejoignent ceux qui ont déjà été tenus par de nombreuses associations de collectivités. Alors que nous sommes confrontés à cette problématique de défiance entre l'État et les collectivités, la fonction principale du CFL devrait consister à garantir la transparence et la confiance : pourrait-on envisager de renforcer son rôle à cette fin ?

M. André Laignel. - Le CFL est un organe élu et non pas nommé. Lors des dernières élections, le taux de participation s'est élevé à plus de 60 % alors qu'une seule liste était en course. Nous ne sommes donc pas un organe administratif, mais un organe légitime et représentatif. L'État n'en a cure et continue à agir comme il l'entend : cette conception du dialogue et du partenariat n'a strictement aucun sens.

Sans vouloir subsister le CFL au Parlement, je défends l'obligation de tenir compte de ses avis, du moins au stade de la réflexion : en cas du vote négatif du CFL sur un décret, l'obligation d'une deuxième lecture pourrait ainsi être instaurée, ce qui représenterait un progrès. Pour prendre un exemple récent, celui de la création d'un service public de la petite enfance - démarche que je soutiens -, des décrets qui ne portaient que sur des obligations administratives lourdes et qui ne concernaient à aucun moment la petite enfance ont été présentés au CFL. Par conséquent, et alors que le Comité regroupe tous les niveaux de collectivités et toutes les sensibilités politiques, il a rejeté ces textes à l'unanimité. Que se passera-t-il ensuite ? Le bon sens voudrait qu'une discussion s'engage, mais je suis convaincu que ces textes seront publiés tels quels.

Sur la base de ces constats, que reste-t-il de la démocratie locale ?

M. Thomas Dossus, rapporteur. - Comment pourrions-nous rétablir la confiance entre l'État et les collectivités ? La contractualisation - je pense aux contrats de Cahors - n'a pas laissé un très bon souvenir aux collectivités, car elle ne leur laissait que trop peu de marges de manoeuvre. Ne faudrait-il cependant pas revenir à la contractualisation, à la condition qu'elle soit plus sincère ?

Par ailleurs, pensez-vous qu'il faille donner un caractère plus contraignant aux avis du CFL ?

Enfin, comment pourrait-on envisager un dialogue pluriannuel avec les services de Bercy, de manière à disposer de davantage de visibilité sur des investissements tels que ceux qui concernent la transition écologique ?

M. André Laignel. - Voilà des années que le CFL comme l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité (AMF) demandent une loi de programme pour les collectivités. Nous sommes donc favorables à un dispositif pluriannuel, mais pour un dispositif négocié : si in fine, on nous annonce, sans discussion, sans vote, par recours au 49.3, que les collectivités seront taxées davantage, je n'en vois pas l'intérêt !

Qui pourrait être contre le principe de la contractualisation ? Les contrats de Cahors sont des contrats léonins, où une seule partie, décide du contenu, ce qui est d'ailleurs illégal en droit privé français : en effet, l'État français décidait seul, après un dialogue réduit au strict minimum. Nous sommes favorables à une contractualisation pluriannuelle, mais celle-ci doit avoir lieu entre des partenaires égaux. L'État doit cesser de nous considérer comme des sous-traitants, voire comme des supplétifs.

M. Olivier Henno, président. - Nous avons parfois le sentiment que les maires sont quelque peu désabusés. Estimez-vous qu'une nouvelle étape de décentralisation est nécessaire ? Que pensez-vous des recommandations du rapport Woerth : Décentralisation : Le temps de la confiance ? Que pensez-vous de l'attribution d'une fraction de la CSG aux départements et d'une partie de la TVA aux régions, afin de retrouver une forme de logique entre les compétences des collectivités et leurs ressources ?

M. André Laignel. - Je connais bien ce rapport. J'ai eu trois entretiens avec M. Woerth. Nous avons des points d'accord, comme sur l'attribution d'une fraction de la CSG aux départements. M. Woerth a repris une vieille idée que nous défendons depuis longtemps : il faut que les recettes des collectivités soient en cohérence avec leurs compétences. La seule mesure de ce rapport qui aille vraiment dans ce sens concerne d'ailleurs le transfert d'une fraction de CSG aux départements. Nous y sommes favorables, encore faut-il déterminer si le montant transféré sera fixe ou s'il pourra évoluer en fonction de certains paramètres.

Je ne suis pas favorable, par principe, aux transferts d'impôts d'État aux collectivités territoriales, car cela ne leur donne aucune liberté. Je plaide pour une autonomie fiscale, c'est-à-dire un pouvoir de fixation du taux et de l'assiette, sinon les collectivités seront toujours les dindons de la farce.

Quand le Gouvernement a annoncé la suppression de la CVAE et son remplacement par l'attribution d'une fraction de TVA, on nous promettait que cette recette serait favorable, plus « dynamique » ... Mais aujourd'hui, on constate le contraire !

Mme Marie-Claude Varaillas. - Très bien !

M. André Laignel. - À l'époque, j'avais indiqué que la TVA était une recette cyclique. Si on indexe nos ressources sur le cycle économique, nous ne pourrons plus jouer de rôle contracyclique en cas de crise. Quand Nicolas Sarkozy - je suis oecuménique - a annoncé, en 2008, pour sortir de la crise, le remboursement anticipé de la TVA pour les investissements des collectivités territoriales, cela a été efficace : les collectivités ont ainsi eu plus de ressources et ont pu jouer un rôle contracyclique. C'est d'ailleurs la partie de son plan qui a le mieux fonctionné.

Il faut donc que nos impôts soient indépendants du cycle. Mais cela n'interdit pas d'avoir des impôts économiques. Je propose ainsi que la CVAE soit versée intégralement aux collectivités territoriales : la partie de CVAE que l'État perçoit serait transférée aux collectivités territoriales ; inversement, ce montant serait déduit, au profit de l'État, de la TVA perçue par les collectivités territoriales. Ainsi, l'opération serait neutre pour l'État et ne coûterait rien, mais les collectivités retrouveraient un levier d'action. Nous avions avancé cette piste lors de la précédente loi de finances, mais le contexte était compliqué... Cette solution ne coûterait pas un centime de plus à l'État et redonnerait de la liberté aux collectivités territoriales et notamment aux intercommunalités. S'il y a une volonté politique d'avancer, la direction de la législation fiscale (DLF) trouvera des solutions.

Mme Isabelle Briquet. - Nous nous intéressons aux principes de libre administration et d'autonomie financière des collectivités territoriales. Le problème est que ces notions ne sont pas définies dans la loi. Elles ont d'ailleurs été quelque peu mises à mal par la loi organique. Ne peut-on la changer ? Ne faudrait-il pas mieux définir ces notions dans la loi, parallèlement, le cas échéant, à la mise en oeuvre d'un autre volet de décentralisation ?

M. André Laignel. - La libre administration des collectivités territoriales est un principe délicat à définir. Sa définition est d'ordre politique : elle dépend de la manière dont l'État et les collectivités l'appréhendent. Cela pourrait donner lieu à des négociations entre ces acteurs. Ce concept n'a pas été défini par la loi.

En revanche, c'est différent pour l'autonomie financière. Ce principe a été détourné de son sens dans la loi organique. Il ne peut y avoir d'autonomie financière que si les collectivités peuvent en définir les termes. Or leurs recettes comportent de nombreux éléments fixes, qui, en réalité, sont des dotations. L'autonomie, c'est la liberté de déterminer ses recettes. Un ratio d'autonomie financière des collectivités territoriales est publié chaque année. Les compensations versées par l'État sont considérées comme un élément qui contribue à l'autonomie. Le paradoxe est que moins les collectivités perçoivent de recettes d'impôts nationaux proportionnellement, plus leur autonomie financière est grande.

Il serait possible de réécrire la loi organique, mais il faut pour cela une majorité qualifiée. En tout cas, il n'y a pas besoin d'une réforme constitutionnelle ; en effet, si nous voulions instaurer l'autonomie fiscale des collectivités, il faudrait revoir la Constitution.

L'autonomie financière est déjà reconnue par cette dernière, et il serait tout à fait possible de modifier la loi organique pour redonner du sens à cette notion. L'AMF réfléchit sur ce sujet et a des propositions. De même, le CFL travaille en permanence avec des constitutionnalistes et serait prêt à faire des propositions en vue d'un nouvel épisode de décentralisation. Nous ne sommes pas inertes. Nous n'attendons pas que la réforme vienne d'ailleurs. Nous avons réalisé nombre d'études, de colloques, etc. Si un gouvernement voulait faire évoluer la situation, nous serions prêts à lui fournir des éléments, et une négociation pourrait s'engager, mais actuellement on n'observe aucune appétence au sommet de l'État pour prendre en compte les corps intermédiaires. Or ces derniers constituent le substrat de la nation française.

M. Olivier Henno, président. - Vous aviez qualifié de « jeu de bonneteau » le mécanisme de compensation mis en place pour les collectivités lors de la suppression de la taxe d'habitation. Ce système repose sur la réattribution complexe des recettes des impôts locaux existants - les fameuses quatre vieilles. Quel bilan faites-vous de cette réforme ?

Pensez-vous qu'une nouvelle étape de décentralisation puisse avoir lieu sans création d'un nouvel impôt et sans augmentation de la pression fiscale ?

M. André Laignel. - J'avais parlé en effet de bonneteau ; l'expression s'est révélée exacte. On a supprimé la taxe d'habitation, mais, en compensation, la part du produit de la taxe foncière sur les propriétés bâties perçue par les départements a été transférée aux communes, etc. Nul n'est content !

Mme Marie-Claude Varaillas. - C'est vrai !

M. André Laignel. - Les départements sont vent debout contre cette réforme qui leur a soustrait un impôt sur lequel ils pouvaient agir. Quant aux communes, elles ne sont toujours pas remises de la suppression de la TH. Le principal reproche que l'on peut faire à cette réforme est qu'elle instaure une coupure avec les citoyens, tandis qu'elle est une calamité sur le plan financier. Je considérais à l'époque que cette réforme était aberrante. Je regrette que la suite m'ait donné raison.

En ce qui concerne la fiscalité locale, vous faites allusion aux propos du ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation. Ils ne sont qu'une pâle copie des propositions de l'AMF depuis plusieurs années, qui plaide pour l'instauration d'une contribution territoriale universelle (CTU). Il est possible de la mettre en oeuvre sans augmenter le taux d'imposition. Il faudrait affiner la réflexion avec la DLF, mais son instauration pourrait être totalement neutre, au moins la première année. Elle pourrait être calculée d'une manière panachée, mais d'autres formules sont possibles, en fonction de la valeur locative du logement et des revenus. En prenant en compte ces deux paramètres, on limiterait les distorsions qui existaient avec la TH. Nous pourrions aussi rendre la CTU déductible de l'impôt sur le revenu, afin de garantir la neutralité pour les contribuables. Ceux qui ne paient pas l'impôt sur le revenu recevraient, en compensation, un bon d'achat d'un montant équivalent.

On peut donc tout à fait imaginer un dispositif neutre sur le plan du niveau d'imposition, qui permette de rétablir le lien fiscal entre les citoyens et la commune, tout en redonnant la liberté à cette dernière de décider du niveau de l'impôt. Il n'y a pas de démocratie sans consentement à l'impôt, et ce dernier dépend de notre capacité à expliquer l'impôt à nos concitoyens. La liberté de lever ou non l'impôt s'accompagne de la responsabilité de l'élu local face aux citoyens.

Mme Marie-Claude Varaillas. - Vous avez tout dit ! Je travaille en mairie depuis l'âge de 20 ans. J'ai connu toutes les évolutions de la fiscalité locale, notamment la suppression de la taxe professionnelle en 2010. J'ai pu mesurer chaque année, à travers le fameux état fiscal 1259, la perte pour la commune liée à l'écart entre la compensation et le produit de l'impôt supprimé. À chaque fois qu'un impôt local a été supprimé, les compensations n'ont pas été à la hauteur. C'est un fait.

Un enjeu, aujourd'hui, est d'agir pour lutter contre le réchauffement climatique. Les élus de proximité ont un rôle majeur à jouer. Les investissements réalisés en ce domaine permettront d'éviter des dommages aux personnes, aux écosystèmes et aux infrastructures d'un montant quatre fois supérieur. Le retour sur investissement est donc de quatre pour un. Selon l'Institut de l'économie pour le climat (I4CE), l'investissement des collectivités pour la transition écologique s'élève à 8 milliards d'euros par an. Toutefois, il faudrait qu'elles dépensent 19 milliards pour faire face aux enjeux. Il s'agit aussi de mettre en oeuvre les accords de Paris.

Je suis aussi conseillère départementale. On nous rebat les oreilles en parlant du millefeuille territorial. Quel sera l'avenir des départements ? M. Woerth propose d'instaurer le conseiller territorial : qu'est-ce que cela signifie pour le département ? On le comprend à mi-mot.

Vous n'avez pas souhaité participer, et je vous soutiens, à la conférence financière des territoires organisée par le Premier ministre, considérant que c'était une « opération de communication ». Quelle évolution voyez-vous en la matière ?

On met beaucoup en cause à l'heure actuelle les opérateurs de l'État - l'Office national des forêts (ONF), l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), l'Office français de la biodiversité (OFB), etc. -, mais ceux-ci sont des acteurs du service public. L'État a bien voulu travailler avec les collectivités au travers du programme Petites Villes de demain ou du plan Action coeur de ville. Les résultats ont été plutôt positifs. Que pensez-vous de ce mode de relation entre l'État et les collectivités par le biais du préfet ?

M. André Laignel. - D'un côté, on révise à la hausse l'estimation des dépenses nécessaires pour lutter contre le changement climatique, mais, d'un autre côté, on réduit les crédits en la matière. Ainsi, les crédits du fonds vert baissent de 1,35 milliard d'euros.

M. Thomas Dossus, rapporteur. - Le fonds chaleur a aussi été touché.

M. André Laignel. - Les exemples sont nombreux, je ne les énumérerai pas. Selon I4CE ou l'inspection générale des finances (IGF), il faudrait dépenser 21 milliards par an pour lutter contre le changement climatique : on en est loin ! Des progrès ont été réalisés et un effort considérable a été réalisé, car les collectivités investissent désormais 9 milliards en ce domaine, et non plus 3 milliards comme il y a quelques années, mais ces montants baisseront, car on réduit leurs moyens. Les dépenses climatiques pourraient donc baisser. La France risque de ne pas pouvoir tenir ses engagements internationaux. Sur ce point, il est très clair que nous sommes très en dessous des besoins.

Vous évoquiez les agences. Je lis la presse : la ministre veut supprimer, à la hache ou à la tronçonneuse, un tiers des agences. Il faut dire quelles sont les agences inutiles et comment nous pallierons ce qu'elles font. Il y en a peut-être qui peuvent être améliorées, réformées ou fusionnées. Il faut être ouvert à toutes les hypothèses et examiner chaque situation au cas par cas, et non pas décider depuis je ne sais quel Olympe que l'on va en supprimer arbitrairement 30 %. Procéder ainsi n'a pas de sens.

M. Thomas Dossus, rapporteur. - Une autre commission d'enquête est en cours sur le sujet.

M. André Laignel. - Je crains d'y être invité prochainement...

Ces agences sont, dans leur majorité, venues se substituer aux services de l'État.

Mme Marie-Claude Varaillas. - Tout à fait !

M. André Laignel. - L'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) pallie ainsi la disparition des directions départementales de l'équipement (DDE) qui apportaient de l'ingénierie. Ces agences ont répondu à une absence, à cause de la mise en oeuvre de la révision générale des politiques publiques (RGPP). Dans nos départements, il n'y a plus d'ingénierie locale.

Mme Marie-Claude Varaillas. - Les départements doivent payer des bureaux d'études pour faire le boulot !

M. André Laignel. - Et quand on ne veut pas payer un bureau étude, on fait appel à l'ANCT !

Je le dis tranquillement : si l'on veut redresser la France en ne faisant que baisser les dépenses, on enfoncera la France et les dépenses augmenteront.

M. Thomas Dossus, rapporteur. - Et en ce qui concerne le conseiller territorial ?

M. André Laignel. - J'ai été auditionné trois fois par M. Woerth. Je lui ai dit que cette idée était une vieille lune et une absurdité. Cette mesure n'a plus de sens à l'heure des grandes régions. L'AMF était déjà opposée à cette mesure lorsqu'elle avait été avancée par Nicolas Sarkozy. On ne savait pas si les départements allaient absorber les régions ou si ce serait l'inverse !

Mme Marie-Claude Varaillas. - Tout à fait !

M. André Laignel. - Il faut arrêter de parler de millefeuille. D'abord, c'est un gâteau délicieux. Ensuite, tous les pays européens ont trois niveaux de collectivités, à l'exception de Malte ou du Luxembourg, en raison de leur taille.

On peut débattre des compétences, mais supprimer un niveau ne résoudra pas le problème, car la nécessité de l'action demeure. Si vous éloignez l'action du citoyen, vous ne lui rendez pas service et vous faites le lit des extrémismes.

M. Olivier Henno, président. - Je vous remercie.

Cette réunion a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.

Audition de Mme Cécile Raquin, directrice générale des collectivités locales

M. Olivier Henno, président. - Nous poursuivons nos travaux avec l'audition de Mme Cécile Raquin, directrice générale des collectivités locales.

Le Sénat a décidé de la constitution d'une commission d'enquête dont l'objet est de travailler sur la libre administration des collectivités territoriales et le financement de services publics de proximité et de la transition écologique.

Ce type de formation entraîne un certain formalisme juridique. Je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »

Je vous remercie par ailleurs de nous faire part de vos éventuels liens d'intérêts.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Cécile Raquin prête serment.

M. Thomas Dossus, rapporteur. - Cette commission se centre sur la libre administration des collectivités territoriales, au coeur du travail du Sénat. Nous travaillons sur les différentes strates de collectivités et leur avis sur les réformes de ces dernières années au regard de la libre administration et de leur autonomie financière, alors qu'elles ont des besoins de financement notamment pour la transition écologique, mais aussi pour assurer certains services publics menacés par une tension sur leurs budgets.

Nous avons connu des séquences budgétaires compliquées entre l'État et les collectivités, avec des tensions et de la défiance. Nous avons besoin de comprendre et de voir comment améliorer les choses. Entre la perte de ressources et d'autonomie, de nouveaux objectifs d'investissement et de nouvelles contraintes, cette tension est très forte.

Après avoir entendu de nombreuses associations d'élus, nous aimerions connaître l'analyse de la direction générale des collectivités locales (DGCL) pour confronter ses points de vue avec ceux des élus.

- Présidence de Mme Marie-Claude Varaillas, vice-présidente -

Mme Cécile Raquin, directrice générale des collectivités locales. - Je reviendrai d'abord sur les notions d'autonomie financière et d'autonomie fiscale des collectivités locales pour définir les principes juridiques sur lesquels nous pouvons appuyer nos raisonnements.

Le principe d'autonomie financière est consacré par la Constitution, tandis que celui d'autonomie fiscale n'existe pas en droit français. Souvent, les associations d'élus contestent la perte du pouvoir de taux, donc la perte d'autonomie fiscale et non pas la perte d'autonomie financière.

L'autonomie financière est définie par l'article 72-2 de la Constitution et implique, à la suite de la loi organique du 29 juillet 2004 de disposer d'un certain ratio de ressources propres par rapport aux ressources totales. Toute la difficulté vient de cette définition donnée par l'article 5 de la loi organique, qui inclut une définition des ressources propres extrêmement large : sont comprises dans les ressources propres des collectivités, les ressources fiscales proprement dites, « dont la loi les autorise à fixer l'assiette, le taux, le tarif ou dont elle détermine, par collectivité, le taux ou une part locale d'assiette ». Sont comprises aussi des ressources plus classiques et plus localisables : « des redevances pour services rendus, des produits du domaine, des participations d'urbanisme, des produits financiers et des dons et legs. »

Le débat repose sur cette définition de la loi organique, qui détermine par collectivité le taux ou une part locale d'assiette. Nous y reviendrons quand nous traiterons des modalités de calcul des compensations et des réformes récentes de la fiscalité locale.

Au vu de cette définition, les ratios d'autonomie financière des collectivités territoriales ont toujours été, depuis 2003, supérieurs aux ratios prévus par la loi organique. Selon le rapport sur l'autonomie financière des collectivités que nous publions chaque année et que nous remettons au Parlement, ces ratios sont, pour la dernière année, et pour toutes les strates, supérieurs à 70 %. La difficulté ne vient donc pas d'une baisse de ces ratios d'autonomie financière.

Je préciserai un deuxième concept, celui de la libre administration des collectivités locales, sur le respect de laquelle se tiennent de nombreux débats. Selon la Constitution, la libre administration est un principe avec des conséquences politiques : disposer d'une assemblée élue au suffrage universel direct, mais aussi d'un champ de compétences suffisamment large que le Conseil constitutionnel fait respecter ; on ne pourrait pas restreindre les compétences d'une catégorie de collectivités au point de la priver de cette libre administration. C'est enfin une composante financière : l'autonomie financière est une composante de la libre administration ; il faut avoir un panier de recettes suffisamment libre d'emploi, stable et prévisible, pour constituer qu'il y a libre administration.

La Constitution prévoit bien que toutes les autres composantes de la libre administration sont fixées dans les limites prévues par la loi : la libre administration est très largement définie par le législateur plus que par la Constitution. C'est pour cela que la loi détermine les ressources des collectivités territoriales, l'ampleur du pouvoir d'assiette et de taux des collectivités. Elle détermine aussi les conditions d'exercice des compétences des collectivités. Ce n'est donc pas un principe absolu.

Par ailleurs, l'autonomie fiscale n'est pas consacrée en droit français. Le Conseil constitutionnel a rappelé, dans une décision de 2009, qu'il ne résultait ni de l'article 72-2 de la Constitution ni d'aucune autre disposition constitutionnelle, que les collectivités territoriales bénéficient d'une autonomie fiscale.

Parfois, est aussi invoquée dans les débats la Charte européenne de l'autonomie locale. Dans son article 9, elle prévoit qu'« une partie au moins des ressources financières des collectivités locales doit provenir de redevances et d'impôts locaux dont elles ont le pouvoir de fixer le taux, dans les limites de la loi ». Selon cette définition assez restrictive, la charte est aujourd'hui complètement respectée en droit français : les collectivités ont un pouvoir de taux sur une partie des impôts, dans les limites déterminées par la loi. Le droit des collectivités locales ne consacre pas de principe d'autonomie fiscale.

J'évoquerai maintenant les réformes récentes et ce qu'on peut en déduire pour les collectivités. Par réformes récentes, j'entends celles qui sont engagées depuis 2018, avec la suppression de la taxe d'habitation. Ce sont des réformes de grande ampleur, qui n'avaient pas comme premier objectif de réformer la fiscalité locale ou le modèle de financement des collectivités territoriales. Elles poursuivaient un objectif au regard de la situation des contribuables : pour la taxe d'habitation, il s'agissait d'alléger l'impôt et de mettre fin à un impôt jugé anti redistributif, injuste et obsolète. La suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) visait à alléger les impôts de production. Il en est de même sur la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) des entreprises, avec un abattement de 50 % des valeurs locatives des locaux industriels ou sur la cotisation foncière des entreprises (CFE). Le Gouvernement poursuivait des objectifs économiques et industriels pour alléger les impôts des entreprises et non pour réformer la fiscalité locale. Les réformes de la fiscalité locale ont été la résultante de ces suppressions d'impôts.

Il aurait été possible de prendre le sujet autrement, et de s'interroger sur le mode de financement des collectivités, avant d'en tirer les conséquences sur des redistributions d'impôts. Cela n'a pas été le cas.

À la suite de ces suppressions d'impôts, il a été décidé de compenser le manque pour les collectivités territoriales par la voie fiscale. Cela a pris la forme d'un transfert d'une part de la taxe sur le foncier bâti aux communes, compensé par une part de TVA, et d'un transfert de TVA aux départements et aux intercommunalités pour compenser la suppression de la taxe d'habitation et de la CVAE. Ce modèle a permis une compensation à l'euro près des collectivités territoriales. Je suppose que vous voudrez revenir en détail sur les modalités de compensation.

Lors de la suppression de la taxe d'habitation, un coefficient correcteur a permis, pour la première fois, une compensation dynamique, qui prend en compte l'évolution des bases. Ce faisant, il a aussi supprimé le pouvoir de taux des collectivités locales sur certains types d'impôts, par exemple pour les communes avec la suppression de la taxe d'habitation ou les départements avec le transfert de la taxe sur le foncier bâti aux communes. Il n'y avait pas de pouvoir de taux sur la CVAE.

Les représentants des collectivités territoriales s'interrogent sur les conséquences à long terme de la perte de ce pouvoir de taux.

À partir de là, il y a deux manières de voir les choses, dans un débat un peu doctrinal : certains préfèrent une véritable autonomie financière, tandis que d'autres estiment que l'autonomie fiscale et le pouvoir de taux sont le corollaire de la décentralisation, indispensable à la gestion locale.

Ceux qui souhaitent une autonomie financière estiment que l'important est d'avoir des ressources prévisibles, stables dans le temps et dynamiques de préférence, afin de faire face à la croissance régulière des dépenses locales, qui évoluent comme l'inflation, voire un peu plus vite qu'elle. L'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité (AMF) avait calculé un « panier du maire » pour montrer que certaines dépenses locales étaient plus dynamiques que l'inflation nationale. Il y a un enjeu de prévisibilité, de lisibilité, de dynamisme.

Dans son rapport de janvier 2025 sur les conséquences des réformes fiscales, remis à la commission des finances de l'Assemblée nationale, la Cour des comptes note que la TVA est plutôt un bon impôt pour les collectivités territoriales : il est plus prévisible que la CVAE, particulièrement erratique. Il traduit immédiatement dans son produit l'inflation en année n, alors que les autres impôts comme la taxe foncière ont un décalage d'un an pour intégrer dans les bases les effets de l'inflation. Cet impôt évolue comme le PIB, donc il est plus prévisible.

Les élus tenants de l'autonomie fiscale constatent qu'ils ont perdu en capacité d'action, faute de pouvoir agir directement sur le taux. Deux aspects sont importants : le lien avec le contribuable local et les entreprises. Y a-t-il besoin d'un pouvoir de taux pour maintenir ce lien avec les contribuables et les usagers des services publics, notamment à l'échelle communale ? Faut-il une contribution citoyenne, comme le proposaient Mme Vautrin puis M. Rebsamen ? Ce lien est-il indispensable ? Certains estiment que le citoyen donne son consentement à un certain niveau d'impôt en fonction du niveau de services publics dans sa commune. Se posent aussi des questions d'attractivité du territoire, de la capacité des élus à attirer des services, construire des logements, avoir un retour sur investissement lorsqu'ils accueillent de nouvelles populations, attirer des entreprises et avoir une contrepartie aux externalités négatives qu'elles peuvent produire.

Autre aspect important, la capacité des collectivités territoriales à réagir à des chocs externes : le pouvoir de taux, notamment dans les départements, permettait de réagir à des chocs externes macroéconomiques ou territoriaux - en cas de catastrophe naturelle par exemple - par un relèvement ponctuel du taux de taxe foncière. Faute de pouvoir de taux, comment organiser des mécanismes d'auto-assurance ou d'assurance collective pour réagir à ces chocs ? Si la collectivité n'est plus capable de réagir à des chocs externes, il ne reste que l'État assureur en dernier ressort. L'État doit-il abonder automatiquement les budgets locaux en cas de difficultés économiques ? Ce débat est renforcé par l'absence de pouvoir de taux des collectivités.

J'espère que cette introduction pose le cadre général au regard de la situation récente et des réformes.

M. Thomas Dossus, rapporteur. - Merci d'avoir très bien fixé le cadre et la manière dont on peut analyser différemment la libre administration et l'autonomie des collectivités territoriales. Si les ratios sont respectés et les compensations réalisées à l'euro près, comment expliquez-vous les tensions exprimées par les associations d'élus quant aux compensations ? N'y a-t-il pas aussi un manque de transparence sur la réalité des compensations dites à l'euro près et la façon dont elles ont progressé ou non après les réformes ?

Mme Cécile Raquin - Les trois considérations que je viens d'évoquer, et qui sont liées, peuvent susciter des critiques de la part des élus.

D'abord, les élus estiment que les compensations n'ont pas été intégralement compensées. Je peux donner des éléments factuels sur ce sujet.

Ensuite, les élus peuvent avoir perdu en liberté d'action locale. Actuellement, la seule possibilité pour un maire d'avoir un lien avec les citoyens réside dans la taxe foncière, qui ne s'applique qu'aux propriétaires. Les maires peuvent avoir le sentiment qu'ils sont moins incités qu'auparavant à accueillir de nouvelles populations et à développer de nouveaux services publics, puisqu'une partie seulement de la population les finance. Cela peut jouer plus fortement dans les secteurs urbains ou dans les communes avec de nombreux locataires. Les structures d'habitation sont très variables selon les communes. Dans les communes rurales, il y a souvent plus de propriétaires que de locataires, contrairement aux communes urbaines.

Enfin, les élus s'interrogent sur la capacité à réagir à un choc externe ou à mener une politique volontariste sur un sujet spécifique grâce à l'impôt. C'est toujours possible pour les communes via la taxe foncière. Mais les élus critiquent le fait que ce soit concentré sur certaines catégories de contribuables et non sur tous les habitants de la commune.

Chacun est libre de porter la conclusion qu'il souhaite sur ces trois considérations. Il y a deux écoles. Certains estiment que s'il y a une taxe foncière et des ressources prévisibles et dynamiques, il n'y a pas besoin de pouvoir de taux. Le pouvoir de taux ne serait pas important pour obtenir une véritable décentralisation. En Allemagne, État fédéral, la décentralisation est encore plus poussée qu'en France, mais les collectivités ont très peu de pouvoir de taux : les impôts sont surtout nationaux et partagés. Le pouvoir de taux ne serait donc pas un prérequis à une véritable décentralisation. D'autres estiment, au contraire, que c'est intrinsèquement lié.

M. Thomas Dossus, rapporteur. - Certes, mais l'État a imposé un des deux cas de figure aux collectivités territoriales en leur retirant ce pouvoir de taux. Les collectivités ont subi ces réformes orientées vers la fiscalité des entreprises et la fiscalité individuelle des contribuables, qui n'ont pas été anticipées comme des réformes liées aux collectivités territoriales. Il y va du lien de confiance entre l'État et les collectivités. On a tranché entre ces deux visions et on n'a pas anticipé les conséquences sur les collectivités territoriales, qui se sont vu reprendre un certain nombre de prérogatives alors qu'on était dans une logique de décentralisation.

Mme Cécile Raquin - Il est très clair et assumé par le Gouvernement que son objectif était d'alléger la fiscalité des ménages et des entreprises. Ces réformes, en tant que telles, n'étaient pas des réformes du mode de financement des collectivités territoriales. La taxe d'habitation était très critiquée, et sa suppression était annoncée dès la campagne présidentielle de 2017 : les élus étaient au courant de ce qui allait se passer.

Ensuite, les modalités de compensation choisies ont visé à respecter le plus possible l'autonomie financière et fiscale des collectivités, d'où l'aspect novateur du coefficient correcteur sur la taxe d'habitation, qui permet de prendre en compte l'évolution des bases. Auparavant, les compensations de suppressions d'impôts se sont toujours traduites soit par des dotations figées progressivement intégrées dans la dotation globale de fonctionnement (DGF), soit dans des compensations via des prélèvements sur recettes qui sont d'abord figés puis évoluent et peuvent même être écrêtés lorsqu'ils rejoignent progressivement l'enveloppe normée des concours financiers.

Cette modalité de compensation est une double garantie dans le temps : d'une part, elle prend en compte l'évolution des bases naturelles - la création de nouvelles bases fiscales locales - et également l'évolution des bases fixée par le Parlement chaque année en loi de finances, en fonction de l'inflation. D'autre part, cela prémunit les collectivités territoriales contre toute évolution future qui conduirait à une compensation écrêtée ou intégrée à l'enveloppe normée des concours financiers de l'État aux collectivités.

Certains élus estiment ce système complexe, même si le coefficient correcteur est un taux fixé une fois pour toutes : la complexité est relative. Mais pour des élus surcompensés et qui contribuent ad vitam aeternam au financement d'autres collectivités, ce système sera de plus en plus critiqué au fil du temps : comme pour toute compensation figée, à un moment elle se déconnecte de la situation réelle. Il faudra peut-être, dans une dizaine d'années, prévoir une clause de revoyure.

On oublie souvent que l'État abonde cette compensation à hauteur de 700 millions d'euros par an, car les sur-compensés ne suffisaient pas à compenser les sous-compensés. Il finance également 33 millions d'euros pour toutes les communes où les compensations sont inférieures à 10 000 euros, à la place des collectivités.

M. Thomas Dossus, rapporteur. - Nous venons de recevoir M. André Laignel, président du Comité des finances locales, qui dénonçait un manque de transparence sur le suivi de ces compensations et de la dotation globale de fonctionnement (DGF). Comment expliquez-vous ce sentiment d'absence de transparence sur ces mécanismes qui devraient être fluides entre l'État et les collectivités territoriales ? Cela peut provoquer des tensions à chaque budget...

Mme Cécile Raquin - Un certain nombre d'impôts relèvent de la direction générale des finances publiques (DGFiP).

Le président Laignel dispose de toutes les informations qu'il souhaite sur la DGF. Il a une visibilité totale de l'évolution de ses composantes et de ses sous-composantes, que ce soit en valeur ou en volume, et sur long terme. Nonobstant la complexité de la DGF, que comprend le président Laignel, le dispositif est transparent.

Le président Laignel a plusieurs fois demandé, lors de réunions du Comité des finances locales, à disposer des prévisions de Bercy sur les principaux impôts locaux : la TVA attribuée, les modalités de compensation des suppressions de CVAE... Il n'est pas encore satisfait, actuellement, des explications obtenues.

Le rapport de la Cour des comptes de janvier 2025 remis à la commission des finances de l'Assemblée nationale (l'évolution de la répartition des impôts locaux entre ménages et entreprises et de la (dé)territorialisation de l'impôt) mentionne, de façon extrêmement détaillée, les modalités de calcul de chacune des compensations, l'évolution jusqu'en 2024 et les modalités de calcul y compris quand elles ont été favorables à l'État, en toute transparence. En conclusion, la Cour des comptes souligne que la compensation a bien eu lieu à l'euro près pour la taxe d'habitation, et que les modalités de compensation par la TVA, plus complexes, ont été favorables aux collectivités jusqu'en 2024, en raison de la très forte dynamique de la TVA en 2021-2022, avant une moindre dynamique en 2023 et une certaine atonie en 2024. Cette forte augmentation en 2021-2022 a permis une compensation favorable par rapport à la dynamique de CVAE antérieure. La Cour des comptes, en donnant tous les chiffres, a fait preuve de la transparence demandée.

Mme Marie-Claude Varaillas, présidente. - La Constitution garantit l'autonomie financière des collectivités territoriales. Toutefois, peut-on sérieusement parler d'autonomie financière des départements alors qu'ils ne disposent plus d'autonomie fiscale et que leurs recettes sont désormais aléatoires ? L'autonomie financière ne suppose-t-elle pas, par définition, l'autonomie fiscale ? C'est la situation actuelle des départements qui me conduit à poser cette question.

Par ailleurs, vous avez indiqué que, d'un point de vue comptable, le déficit des collectivités territoriales contribue à l'aggravation du déficit national. Il est vrai que les collectivités représentent environ 20 % de la dépense publique. Mais il s'agit là d'une dépense de qualité, car les collectivités financent près de 70 % des investissements publics du pays. En outre, contrairement à ce qu'a pu affirmer l'ancien ministre des finances, M. Bruno Le Maire, les collectivités territoriales n'ont pas le droit d'avoir un déficit. Ce dernier est très strictement encadré, tant au niveau du compte administratif que du compte de résultat. Les collectivités sont soumises à la règle d'or, qui les oblige à adopter un budget en équilibre et à garantir sa sincérité. À défaut, le système d'alerte du préfet s'enclenche rapidement.

J'aimerais donc connaître votre position sur ce sujet. Comment peut-on prétendre que les collectivités contribueraient au déficit de l'État, alors même qu'elles sont placées sous un contrôle juridique et administratif aussi rigoureux et que leur gestion demeure contrainte par des règles budgétaires précises ?

Mme Cécile Raquin. - Sur l'articulation entre autonomie financière et autonomie fiscale, je vous renvoie au rapport de la mission flash sur l'autonomie financière des collectivités territoriales, menée à l'Assemblée nationale en 2018. Cette mission avait proposé trois acceptions distinctes de la notion d'autonomie fiscale.

La première acception, stricte, définit l'autonomie fiscale comme l'ensemble des ressources dont l'assiette est territorialisée et dont les taux sont librement fixés par les assemblées délibérantes des collectivités territoriales. Relèvent de cette catégorie les impôts communaux assortis d'un pouvoir de taux et d'un pouvoir d'assiette, tel que la taxe d'habitation sur les résidences secondaires, la taxe foncière sur les propriétés bâties, la taxe foncière sur les propriétés non bâties (TFPNB), la CFE, la taxe sur les surfaces commerciales (Tascom), la taxe de séjour, la taxe d'aménagement, la taxe d'immatriculation ou la taxe intérieure sur la consommation finale d'électricité (TICFE). Ces exemples illustrent les prélèvements qui répondent pleinement à cette définition.

La seconde acception, plus large, inclut les ressources fiscales dont l'assiette reste territorialisée, mais dont les taux effectifs sont fixés au taux plafond par les assemblées délibérantes. Autrement dit, même lorsque les taux applicables sont au taux plafond, on considère que cela relève encore de l'autonomie fiscale. Cette définition couvre notamment les droits de mutation à titre onéreux (DMTO) ainsi que la part modulable de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE).

Enfin, une acception extensive englobe toutes les ressources fiscales reposant sur une assiette territorialisée et dont les taux sont fixés nationalement. Entreraient, par exemple, dans cette catégorie, les impositions forfaitaires sur les entreprises de réseaux (Ifer).

Le rapport précité avait tenté d'évaluer, à partir de ces définitions, la part des recettes des collectivités correspondant à chacune d'elles, selon les différentes strates de collectivités. En retenant la définition intermédiaire - intégrant les DMTO et la taxe d'aménagement (TA) -, l'un des auteurs du rapport, Jean-René Cazeneuve, estimait à environ 20 % la part d'autonomie fiscale des départements, en 2023.

Il convient de préciser que, à cette époque, trois départements n'avaient pas encore appliqué le taux maximal de 4,5 % sur les DMTO et disposaient donc d'une marge de manoeuvre. Les autres l'avaient déjà atteint. Depuis, le législateur a ouvert une nouvelle marge d'action en relevant le plafond à 5 %, soit une augmentation de 0,5 point. Nous sommes actuellement en train d'examiner, bien que les données définitives ne soient pas encore consolidées, quels sont les départements ayant délibéré en ce sens, afin de déterminer l'impact réel de cette nouvelle faculté.

Au-delà des chiffres et du taux d'autonomie fiscale des départements, la question centrale réside dans l'absence de levier réel une fois que le taux plafond est atteint. Les départements n'exercent, en effet, aucun contrôle direct sur le marché immobilier. Il n'y a pas de lien entre les DMTO et les compétences qui leur sont dévolues, de sorte que les départements n'ont aucune prise sur la politique du logement ou sur les dynamiques du marché immobilier. Ils demeurent entièrement tributaires de la conjoncture, notamment immobilière, et plus largement économique avec la TVA. Dès lors, ils ne disposent d'aucun levier direct permettant d'ajuster leurs recettes au rythme d'évolution des dépenses sociales. Dans les périodes où ces dernières connaissent une forte progression, tandis que les recettes - en particulier les DMTO - diminuent, les départements se retrouvent confrontés à un véritable effet de ciseaux.

Cela soulève une interrogation plus large : comment mettre en place, pour ces collectivités, des mécanismes d'auto-assurance, d'assurance collective ou de garantie, permettant de faire face à des chocs externes ou à des fluctuations aussi marquées ? Cette réflexion conduit naturellement à la nécessité de repenser en profondeur le modèle de financement des départements.

À ce jour, plusieurs mécanismes ont été mis en place pour tenter de lisser dans le temps cet effet de ciseaux.

Le premier dispositif repose sur la possibilité, instaurée il y a trois ans, de constituer des provisions, c'est-à-dire de procéder à des mises en réserve de DMTO. De nombreux départements y ont eu recours. Ainsi, au moment où la baisse des DMTO s'est amorcée, environ 1 milliard d'euros avait été mis en réserve dans les comptes départementaux. Ces réserves ont été utilisées pour faire face à la baisse, mais elles sont aujourd'hui quasiment épuisées. Les départements ont en réalité mobilisé la quasi-totalité de leur fonds de roulement et de leurs réserves.

Un deuxième mécanisme d'auto-assurance réside dans la faculté, pour les départements réunis en comité des finances locales (CFL), de décider collectivement de mises en réserve sur le fonds de péréquation des DMTO. Autrement dit, lorsque les DMTO dépassent un certain montant, les départements peuvent décider d'en affecter une partie à la réserve. Il y a deux ans, le CFL a ainsi décidé de libérer 248 millions d'euros de péréquation supplémentaires, qui ont bénéficié aux départements les plus fragilisés.

Enfin, un troisième mécanisme a été instauré lors de la suppression de la CVAE. Il s'agit du fonds de sauvegarde des départements, alimenté par la dynamique de la TVA. Ce fonds, abondé à due concurrence par l'État, a été mobilisé en 2024. À ce titre, 102 millions d'euros ont été versés aux quatorze départements les plus en difficulté.

Ces exemples illustrent des mécanismes existants d'assurance et d'auto-assurance. La question reste de savoir s'il convient de les renforcer et si, plus largement, il ne faudrait pas repenser le modèle de financement des départements. Comme vous le savez, les ministres François Rebsamen, Éric Lombard et Amélie de Montchalin ont choisi de mettre en place une conférence financière des territoires, au sein de laquelle ces sujets feront l'objet de débats approfondis. Un groupe de travail spécifique sur les finances départementales se réunira d'ici à l'été prochain.

Sur la question du besoin de financement des collectivités territoriales et de leur contribution éventuelle au déficit de la Nation, je tiens à préciser qu'il ne s'agit pas ici de porter un jugement de valeur sur la gestion des collectivités. La question posée est la suivante : que désigne-t-on par « besoin de financement » ou, inversement, par « capacité de financement » des collectivités ?

Comme vous l'avez rappelé, le besoin de financement résulte du fait que, dans le mode de gestion des collectivités locales, la section de fonctionnement doit être votée et exécutée à l'équilibre. En revanche, la section d'investissement peut être financée par l'emprunt. En résumé, le besoin de financement correspond à la part des dépenses locales qui ne trouve pas de contrepartie dans les ressources propres, et qui nécessite donc un financement par l'emprunt.

Depuis deux ans, les collectivités locales affichent un besoin de financement, c'est-à-dire un déficit, qui s'ajoute à celui de l'État et contribue, de manière strictement comptable, au déficit national au sens maastrichtien. Il s'agit là d'un constat objectif.

Durant les années précédentes, au contraire, les collectivités présentaient une capacité de financement. Elles dégageaient un excédent budgétaire, lequel venait alors réduire le déficit maastrichtien.

La loi de programmation des finances publiques a, dans ce contexte, défini une trajectoire de réduction du besoin de financement des collectivités, afin que celles-ci participent à l'effort de diminution du déficit public global. Il s'agit là d'un mécanisme classique des finances publiques locales, et nullement d'une appréciation critique de leur gestion.

Vous avez d'ailleurs rappelé à juste titre que les budgets locaux, soumis à la règle d'or, étaient votés à l'équilibre de sorte que les collectivités territoriales n'accusent jamais de déficit de fonctionnement.

M. Jean-Raymond Hugonet. - S'il est une audition que je n'aurais manquée sous aucun prétexte, c'est bien celle-ci.

Madame la directrice générale, compte tenu de votre parcours, vous maîtrisez parfaitement les enjeux dont il est question, en particulier ceux qui concernent la décentralisation. Ce qui m'intéresse, au-delà du rapport que nous serons appelés à produire, c'est de comprendre pourquoi il peut exister un tel décalage de perception entre ce que nous vivons - pour ma part, cela fait vingt-cinq ans que je suis élu local et je l'ai été avant d'être parlementaire - et ce que vous percevez, vous, depuis vos fonctions.

Pour illustrer mon propos, je me permets de recourir à une comparaison très simple. Je ne sais si vous êtes amateur de course automobile, voire de Formule 1, mais je vous propose la comparaison suivante : la commune serait une voiture. Vous êtes l'ingénieur et nous sommes les pilotes - ou, pour personnaliser les choses, je suis le pilote. Je battais le record du tour il y a vingt-cinq ans et, au fil des Grands Prix, en échangeant avec l'ingénieur, j'ai compris que cette relation entre ingénieur et pilote était essentielle. Elle permet d'optimiser les performances, même si la voiture n'est pas exceptionnelle.

Or, aujourd'hui, les temps se dégradent Grand Prix après Grand Prix, et le pilote que je suis ne comprend plus les signaux envoyés par l'ingénieur. L'ingénieur, quant à lui, ne saisit plus ce que lui remonte le pilote, qui a les mains sur le volant et qui sent la voiture, ses dérives et ses faiblesses. C'est exactement la situation dans laquelle nous nous trouvons. Et c'est pire encore. Vous nous décrivez, avec une exactitude imparable, ce que chaque ministre des comptes publics fait, au fur et à mesure qu'ils se succèdent et passent, tels des TGV. Vous nous exposez ainsi clairement la nasse dans laquelle nous sommes enfermés.

Mais ce que vous ne décrivez pas - et c'est ici un avis tout à fait personnel - c'est le resserrage progressif de l'étau, quelle que soit la majorité politique en place. C'est cela qui est, au fond, le plus frappant : il ne s'agit pas d'un propos politique au sens politicien du terme. En vingt-cinq ans, nous avons vu passer tous les partis de l'arc républicain, et toujours cette même logique.

Ce n'est pas un basculement brutal, non. En tant qu'élu de terrain, j'ai ressenti chaque nouvelle douleur, chaque dérive, chaque glissement et je savais exactement quand et pourquoi la voiture dérapait. Mais cela était fait sciemment. Et ce processus frappe directement les deux types de collectivités fondatrices de la République, les communes et les départements. C'est pourquoi je le dis avec gravité : ce rapport sera très important.

Aujourd'hui, tous les dispositifs sont calibrés pour les communautés de communes et les régions. Les départements et les communes sont dans le viseur et, pour le dire clairement, les départements sont morts. Sur les DMTO, je ne veux dénoncer personne, mais l'on ne me fera pas croire que tout cela a été bien géré. Quoi qu'il en soit, les départements n'ont plus aucune dynamique fiscale et on leur rajoute des charges, de sorte qu'ils sont morts. Le département de l'Essonne n'est pas le plus pauvre de France et, pourtant, il est à l'agonie.

Concernant les communes, le bourreau attend encore un peu. Si, en matière fiscale, nous devons encore et toujours solliciter les mêmes - c'est-à-dire les propriétaires - nous ne pouvons exercer cette pression que dans des limites étroites et nous sommes soumis à un encadrement strict. La dynamique fiscale est donc pratiquement éteinte.

Si je reprends ma comparaison, la lecture que l'ingénieur fait du manuel de la voiture est parfaite. En effet, l'on a bien pris soin d'introduire à chaque fois la mention : « Conformément à la loi, les communes s'administrent librement », ce qui rend facile de les étriller. Mais de mon point de vue, c'est l'esprit même de la Constitution qui est bafoué, car notre République n'a pas été conçue pour fonctionner ainsi.

Mais ce qui m'intéresse aujourd'hui, c'est la piste qui nous a déjà été suggérée par certains, et qui est la seule que nous avons. Je me tourne encore une fois vers mon ingénieur, alors que je conduis une voiture qui tient de moins en moins bien la route, et je lui pose la question : d'après vos connaissances, votre expérience et votre formation, quelles sont les quelques marges de manoeuvre que nous avons sur les ratios fixés à l'article 5 de la loi organique du 29 juillet 2004, puisque c'est, semble-t-il, tout ce qu'il nous reste aujourd'hui ?

Mme Cécile Raquin. - Je partage votre constat. L'ingénieur est, sur bien des points, d'accord avec le pilote concernant l'état des finances locales, par strate.

Les départements connaissent aujourd'hui de grandes difficultés. Nous l'avons rappelé lors de la conférence financière des territoires : cinquante départements se trouvent en situation critique, du fait notamment d'une épargne brute tombée sous les seuils d'alerte. Mais au-delà des chiffres, le modèle de financement actuel n'est pas soutenable. Nombreux sont ceux qui l'ont déjà dit et écrit : pour les années à venir, il faudra reposer la question du modèle de financement des départements, afin que celui-ci puisse redevenir viable.

Permettez-moi une parenthèse sur ce point. Le problème des départements réside dans une double inadéquation : d'une part, une inadéquation entre les compétences exercées et les recettes disponibles ; d'autre part, une incapacité à gérer ces recettes, en raison d'un manque de dynamisme face à la progression rapide des dépenses sociales. Aujourd'hui, les allocations individuelles de solidarité, qui relèvent des compétences fondamentales des départements, représentent une part croissante de leur budget. Faute de recettes suffisantes et assez dynamiques pour en suivre l'évolution, les départements se voient contraints de réduire progressivement leurs interventions sur leurs autres champs de compétence - notamment les compétences facultatives. Ce mouvement entraîne une perte d'autonomie et une restriction de leur capacité d'action dans les territoires. On comprend aisément le regret exprimé par de nombreux présidents de département face à cet étouffement progressif de leur liberté de choix local.

Cela étant établi se pose une autre question, à laquelle il ne m'appartient pas de répondre : quel est le bon niveau de dépense publique dans notre pays et pour chaque strate de collectivité ? Quelle est la liberté d'action que l'on souhaite laisser à chaque niveau pour mener des politiques volontaristes, au-delà des compétences obligatoires ? C'est une question essentielle, à laquelle seuls les élus peuvent légitimement répondre.

De manière corollaire, faut-il laisser des recettes fiscales dynamiques financer des politiques entièrement discrétionnaires ? Je ne parle évidemment pas ici des services départementaux d'incendie et de secours (Sdis), des routes, des collèges ou des allocations sociales. Mais pour le reste, jusqu'où faut-il aller et jusqu'à quand ? Cela rejoint inévitablement la réflexion sur le niveau global de dépense publique que le pays souhaite assumer.

Sur la base de ce débat, on pourra fixer le bon niveau de recettes pour financer durablement les départements dans le temps. Il faut sortir d'une situation qui n'est ni soutenable ni gérable, car aujourd'hui certains départements s'effondrent.

À défaut, il faudrait imaginer une forme de mécanisme automatique d'amortisseur, pris en charge par l'État. Mais une telle solution reviendrait à faire de nouveau de l'État le contributeur direct d'une dépense décidée localement, de manière démocratique, par les assemblées départementales. C'est une question politique de fond.

Il importe que ces débats soient posés, dans le groupe de travail, si possible, ou dans d'autres enceintes, et bien sûr au Sénat. Nous devons véritablement nous interroger sur l'avenir des départements.

S'agissant des communes, vous l'avez rappelé, la marge fiscale s'est considérablement réduite. À cela s'ajoute une forte hétérogénéité entre communes, que les mécanismes de péréquation ne parviennent pas à corriger entièrement, ni par le biais de la péréquation horizontale, à travers le fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales (Fpic) qui a baissé en part relative par rapport aux recettes, ni par le biais de la péréquation verticale, via la DGF. L'enjeu tient donc moins à la situation financière globale du bloc communal, qui demeure relativement saine, qu'à la disparité croissante entre territoires. Cela soulève de vraies incertitudes pour l'avenir.

Quant aux régions, elles présentent une situation plus favorable. Mais elles subissent à leur tour l'atonie de la TVA, dont la part dans leurs ressources s'est accrue, ce qui génère une tension financière réelle.

Maintenant que ces constats sont posés, la question soulevée est celle de l'autonomie financière. Faut-il revoir la définition fixée par la loi organique ? Cette définition permet certes de suivre dans le temps l'évolution des recettes fiscales et des ressources propres au sens de cette même loi, mais elle ne constitue ni un outil de pilotage ni un indicateur pertinent pour refléter la réalité vécue par les élus locaux. Aujourd'hui, toutes les strates affichent un taux d'autonomie financière supérieur à 70 %, ce qui, en théorie, est satisfaisant. Mais dans la pratique, le ressenti des élus est tout autre. On leur dit : « Vous avez 70 % d'autonomie financière », et pourtant, ils n'en perçoivent pas les effets dans la gestion quotidienne.

C'est là que ressurgit le décalage entre l'ingénieur et le pilote : l'indicateur ne traduit plus ce que vit l'élu sur le terrain. Il est, en quelque sorte, devenu caduc. Cela ne signifie pas pour autant qu'il faille le remplacer par un ratio d'autonomie fiscale, car une telle réforme poserait d'autres difficultés techniques et politiques.

En tout état de cause, il conviendrait de disposer d'une définition du ratio d'autonomie financière qui tienne compte des critères de ce que doit être, concrètement, l'autonomie financière, à savoir la stabilité, la prévisibilité et le dynamisme des ressources.

Mme Nicole Duranton. - L'essentiel a été dit. Tout cela ne fait que renforcer notre conviction qu'il est devenu nécessaire de repenser globalement le « panier de ressources » des collectivités territoriales.

S'agissant des départements, comme cela a été rappelé lors de la conférence financière des territoires, ils doivent faire l'objet d'un traitement spécifique, et ce de manière urgente, car l'urgence est réelle. Il suffit d'observer le niveau de leur épargne brute : si celle-ci n'est pas encore négative, elle s'en rapproche dangereusement. La situation devient très préoccupante.

Dans le cadre d'une redéfinition de l'autonomie financière, il faut inclure l'autonomie fiscale, mais aussi les mécanismes de péréquation, de manière à bâtir un ensemble cohérent. L'autonomie fiscale doit évidemment faire partie intégrante de l'autonomie financière, mais elle ne saurait être suffisante, car elle peut s'avérer injuste. En effet, selon les territoires, les capacités fiscales varient fortement, ce qui peut restreindre la liberté d'agir.

Et c'est bien là le coeur du problème : avec quels moyens les collectivités peuvent-elles réellement agir ? Aujourd'hui, la contrainte n'est pas seulement financière. Elle est aussi liée à la nature des projets, puisque les dotations sont conditionnées à la définition par l'État de priorités nationales, dans le cadre de l'orientation gouvernementale des politiques publiques. Il serait sans doute plus pertinent de contractualiser autour d'un projet global, puis de définir les moyens permettant de le mettre en oeuvre. Mais le chantier est titanesque.

À terme, il semble difficile d'imaginer que l'on puisse faire l'économie d'une réforme globale de l'ensemble des ressources des collectivités locales. Car, à force de compenser un déséquilibre par une autre compensation, on alimente un système de plus en plus instable. Aujourd'hui, le château de cartes menace de s'écrouler et ce sont les départements qui en subissent les premiers les conséquences. Il y a donc urgence à revoir ce modèle.

Mme Marie-Claude Varaillas, présidente. - Nos communes et nos départements sont des acteurs majeurs en matière de développement économique, aux niveaux local et territorial. Ils se trouvent au coeur des enjeux de la transition écologique et ils sont en première ligne pour engager les investissements indispensables, notamment en matière de rénovation du bâti.

Or, ils rencontrent de sérieuses difficultés, notamment pour la rénovation de leurs bâtiments scolaires. Le fonds vert a subi une baisse significative. Et lorsqu'un préfet accorde une subvention de 25 % issue de ce fonds - subvention non cumulable avec la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) - il reste à trouver les 75 % restants pour financer intégralement le projet de rénovation.

Il me semble que l'État aurait tout intérêt à faire confiance aux collectivités, car elles sont, à la fois communes et départements, des acteurs majeurs dans tous ces domaines.

M. Thomas Dossus, rapporteur. - Un certain nombre de stratégies et de plans ont été élaborés par l'État en matière de transition écologique. Ainsi, le secrétariat général à la planification écologique (SGPE) a défini une stratégie nationale intégrant une part significative reposant sur la capacité d'investissement des collectivités. La DGCL est-elle associée à l'élaboration de ces plans, stratégies ou modèles de planification territoriale, ainsi qu'à l'évaluation des besoins d'investissement qui en découlent ?

Mme Cécile Raquin. - Dans le cadre des travaux interministériels, nous participons à l'examen de l'ensemble des plans ayant une incidence sur les compétences ou les finances des collectivités locales. Nous avons ainsi été associés aux réflexions relatives aux contrats de relance et de transition écologique ainsi qu'à la mise en oeuvre des conférences des parties (COP) régionales, qui se déclinent ensuite dans les contrats de relance et de transition écologique (CRTE).

Nous avons également contribué à la planification de l'adaptation au changement climatique, mais avec un angle d'analyse qui n'est pas centré sur la finalité des politiques de transition écologique, laquelle relève plutôt du SGPE ou d'autres administrations telles que la direction générale de l'aménagement, du logement et de la nature (DGALN). Notre rôle consiste plutôt à analyser les conséquences en matière de compétences que les collectivités devront exercer, ainsi que les impacts financiers, dès lors qu'il existe une incidence directe ou une obligation nouvelle. Nous intervenons donc en cas d'obligation.

En revanche, lorsqu'il s'agit d'une planification sur le temps long, fondée sur des engagements volontaires ou sur des investissements décidés localement par les collectivités qui s'inscrivent dans une stratégie nationale, nous suivons les dossiers, donnons notre avis dans le cadre des échanges interministériels, mais nous ne disposons pas d'un rôle d'alerte ni d'un pouvoir bloquant particulier.

M. Thomas Dossus, rapporteur. - Lors de son audition, le directeur des programmes Collectivités locales et Adaptation au changement climatique de l'Institut de l'économie pour le climat (I4CE) a montré que les besoins d'investissement des collectivités étaient considérables. Ils sont quasiment deux fois supérieurs à ce que les collectivités sont aujourd'hui capables de mobiliser pour répondre aux exigences de la transition écologique.

Dans ces conditions, comment fait-on ? Lorsque l'on met en place des stratégies qui supposent un niveau d'investissement deux fois supérieur aux capacités actuelles des collectivités, quelle articulation peut-on envisager ? La DGCL peut-elle intervenir auprès des collectivités sur ce sujet ?

Mme Cécile Raquin. - Nous agissons au travers de différents types de leviers.

Il y a d'abord, comme vous l'avez évoqué, les dotations de soutien à l'investissement. Je pense notamment au fonds vert, géré par la Direction générale de l'aménagement, du logement et de la nature (DGALN), ainsi qu'aux dotations déconcentrées que sont la Dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR), la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL), la dotation politique de la ville (DPV) ou encore la dotation d'équipement des collectivités pour les investissements des départements (Decid). Ces dotations, d'un montant global d'environ 2 milliards d'euros, sont gérées par la DGCL en lien étroit avec les préfets.

Notre capacité d'action sur ces fonds s'exerce d'abord dans le cadre interministériel, où nous nous efforçons de démontrer leur utilité, leur plus-value et leur nécessité, mais également de contribuer à la définition de normes de verdissement. La loi de finances prévoit désormais que 35 % de la DSIL doivent être orientés vers des projets à dimension environnementale.

Ensuite, nous assurons un suivi très fin avec les préfets. Nous veillons à ce que les dotations soient consommées à 100 % et nous nous attachons à justifier devant le Parlement leur bonne utilisation ainsi que la nécessité de maintenir ces enveloppes. Cela constitue un levier direct pour soutenir l'investissement local, tout en orientant les projets des collectivités vers les priorités nationales.

Par ailleurs, nous intervenons également à travers la surveillance globale des finances locales. Car nous savons que ce sont les marges dégagées en fonctionnement qui permettent aux collectivités de constituer une épargne brute qu'elles peuvent ensuite mobiliser pour financer leurs investissements.

Notre objectif est donc aussi de nous assurer de la soutenabilité des finances locales, en suivant attentivement la situation des collectivités afin qu'elles puissent préserver leur capacité à investir.

M. Jean-Raymond Hugonet. - Je voudrais rebondir sur les propos précédents et revenir sur une situation qui ne date pas d'hier, mais qui, depuis quelque temps, prend une tournure singulière. C'est comme un virus. Est-ce l'effet covid-19 ? Je l'ignore, mais la contamination est réelle.

La dernière chose que la Haute Assemblée a été capable de produire, au moment du psychodrame qu'a été l'examen du projet de loi de finances pour 2025, c'est le dispositif de lissage conjoncturel des recettes fiscales des collectivités territoriales (Dilico). Je n'ai aucun problème à le critiquer ici, à titre personnel, puisque j'ai été le seul sénateur du groupe Les Républicains à voter contre le budget 2025, précisément en raison de ce nouveau dispositif.

Il est demandé aujourd'hui aux communes, qui sont les seules collectivités à être gérées en étant soumises à des règles obligatoires - en l'occurrence, la règle d'or que l'on envisage désormais d'inscrire dans la Constitution -, de venir contribuer à l'effort national, alors que la situation résulte d'une gabegie ancienne que l'on sait aujourd'hui parfaitement identifier et dont on connaît les responsables. Cela apparaîtra très prochainement dans les travaux du Sénat. Et malgré cela, c'est aux communes que l'on vient demander de porter l'effort.

Le plus incompréhensible, c'est que des collègues censés défendre les communes ont soutenu ce dispositif. C'est surréaliste. Et pourtant, c'est la réalité.

On nous explique d'abord que l'argent ainsi ponctionné relève d'une réserve de précaution. Mais, quand j'ai examiné concrètement les effets de cette mesure dans mon département - celui de l'Essonne qui, avec 1,3 million d'habitants, n'est ni le plus petit ni le plus grand de France - très peu de communes étaient concernées. Et pourtant, ce sont bien les communes qui sont nommément visées par le dispositif Dilico, tandis que les intercommunalités sont relativement épargnées, et que le département est également sollicité, alors même qu'il est déjà au bord de l'asphyxie.

C'est une situation absolument kafkaïenne. Et pourtant, on l'assume. On est capable de faire croire aux élus que cette réserve leur sera restituée sur trois ans, à hauteur de 90 % seulement. On tente de leur vendre cette idée comme si elle allait de soi. Mais vous raconteriez cela à un cheval de bois, il vous donnerait un coup de pied ! Voilà où nous en sommes.

Quand je parlais, tout à l'heure, de décalage entre le vécu du terrain et le discours technocratique, ce fossé s'est creusé. Il a même contaminé la parole politique. C'est vous dire à quel point l'heure est grave.

La position qui est la vôtre est essentielle, madame la directrice générale, et je tiens à vous remercier d'avoir répondu à l'invitation qui vous a été adressée, même si celle-ci intervient dans le cadre officiel d'une commission d'enquête et que vous êtes entendue sous serment. J'y insiste, cet échange revêt un caractère capital. Si nous avons la moindre chance d'agir utilement, vous dans vos fonctions de haut fonctionnaire, et nous en tant qu'élus parlementaires et locaux, il nous appartient de préserver, autant que possible, les conditions d'existence de la cellule de base de notre démocratie, avec ce qui fait sa spécificité française. Nous avons, vous et nous, l'impérieux devoir de chercher des solutions - ou du moins, des pistes sérieuses - pour garder vivant cet espoir. À défaut, je crains sincèrement que l'évolution de la situation ne devienne très compliquée pour notre pays.

Mme Cécile Raquin. - Je souhaite d'abord apporter un éclaircissement ponctuel sur le Dilico, avant de répondre plus largement à votre remarque.

Toutes les strates de collectivités ont contribué au Dilico.

M. Jean-Raymond Hugonet. - C'est bien ce que je reproche.

Mme Cécile Raquin. - Les communes ont participé à hauteur de 250 millions d'euros, les intercommunalités également à hauteur de 250 millions, les départements à hauteur de 220 millions - leur contribution ayant été réduite compte tenu de leur situation financière - et les régions pour 280 millions d'euros. Il s'agit bien d'un mécanisme d'association des collectivités à la trajectoire nationale, avec une restitution programmée sur trois ans à hauteur de 90 %, les 10 % restants venant alimenter les fonds de péréquation propres à chaque strate. Ce dispositif a été élaboré sur l'initiative du Gouvernement, puis souhaité et voté par le Sénat, sur la base de cette proposition.

Plus largement, le véritable enjeu, aujourd'hui, est celui de la gouvernance des finances locales. Nous avons, à mon sens, un cadre de gouvernance qui, depuis plusieurs années, ne permet pas d'élaborer un consensus : on peut s'accorder sur les chiffres, mais pas nécessairement sur leur interprétation.

Les raisons sont complexes à expliciter. Nous disposons d'instances dédiées aux finances locales qui fonctionnent correctement dans le périmètre qui leur est fixé par le code général des collectivités territoriales (CGCT). Je pense notamment au CFL, à la commission d'évaluation des charges, au Conseil national d'évaluation des normes (CNEN). Je fais le secrétariat de ces instances et j'y participe systématiquement. Honnêtement, elles remplissent très efficacement leur mission, dans le champ qui leur est attribué.

Le problème, c'est qu'il n'existe pas aujourd'hui d'instance de dialogue stratégique de haut niveau, permettant d'élaborer une stratégie commune de moyen terme sur les finances publiques locales.

M. Thomas Dossus, rapporteur. - À partir d'un diagnostic partagé.

Mme Cécile Raquin. - Il s'agit bien, effectivement, de parvenir à un diagnostic partagé.

Lors de la dernière conférence des territoires, par exemple, ce diagnostic commun a pu être établi. Les associations d'élus, les représentants présents ainsi que les parlementaires ont tous reconnu que les chiffres ne faisaient l'objet d'aucune contestation. Il y avait consensus sur les données. Ce qui a suscité le débat, c'est l'interprétation de ces chiffres. Dans ce contexte, très rapidement, le dialogue glisse vers une recherche de responsabilité, chacun s'interrogeant : qui est responsable de la situation actuelle ? Cela devient un débat politique.

Mais, au-delà de cette question de responsabilité, se posent des interrogations plus fondamentales : comment fait-on face à la situation actuelle du déficit national ? Par quels moyens ? Qui contribue ? Qui participe au redressement des comptes publics ? Quel est le bon niveau de dépense publique dans notre pays ? C'est là le noeud de la réflexion.

Lorsque l'on évoque les collectivités territoriales, il faut rappeler qu'elles représentent environ 20 % de la dépense publique, soit un niveau considérable. Leur poids dans la dette publique s'établit autour de 9 %, ce qui peut sembler faible en proportion, mais demeure significatif. Et elles contribuent au déficit national, même modestement, à travers leur besoin de financement.

Certains considèrent que cette contribution est minime. D'autres, notamment les ministres, estiment qu'au regard de la situation actuelle, tous les acteurs doivent être mobilisés.

C'est pourquoi il faut ouvrir un débat politique, clair, transparent, pour déterminer qui doit contribuer, à quel niveau, selon quelle trajectoire et dans quel calendrier. C'est précisément là qu'apparaît la nécessité d'une gouvernance rénovée des finances locales, capable de trancher ces questions.

M. Thomas Dossus, rapporteur. - Pour revenir à ce que nous disions au début de l'audition, lorsque l'on a fait le choix de limiter l'autonomie fiscale des collectivités, en la compensant par une autonomie financière fondée sur des recettes dynamiques, comme la TVA, il faut rappeler que les recettes de la TVA revenaient auparavant au budget de l'État.

Aujourd'hui, on a donc supprimé une dynamique fiscale locale, autrement dit une autonomie fiscale locale, pour la remplacer par une recette nationale, certes dynamique, mais qui était jusqu'alors perçue par l'État. Et c'est désormais l'État lui-même, qui s'étant privé de ces recettes, vient reprocher aux collectivités de coûter trop cher. Cela crée, naturellement, une tension structurelle.

Ces choix politiques ont abouti à la situation actuelle. Or, les élus locaux ne se sentent pas responsables de ces décisions, qui ont été prises à l'échelle nationale, à la suite d'engagements pris lors de la campagne présidentielle - je pense notamment à la suppression de la taxe d'habitation - et sans qu'il y ait eu une réelle concertation ou une liberté de choix pour les collectivités dans leur mise en oeuvre.

Je vous rejoins pleinement sur la nécessité de disposer d'instances claires et transparentes de dialogue à haut niveau. C'est le bon terme, et c'est ce qui nous manque aujourd'hui pour sortir du décalage que décrivait très bien mon collègue entre la perception des élus et celle de l'État, qui, de son côté, s'appuie sur ses propres ratios et compétences, avec certitude.

M. Jean-Raymond Hugonet. - Là, nous approchons du point nodal. Pourquoi ? Parce que vous avez décrit très clairement l'un des chapitres de L'Art de la guerre que tous les responsables politiques appliquent, sans exception. Il faut une direction politique, une vision « macro » et du courage. Or ce que nous observons aujourd'hui, c'est exactement l'inverse.

L'exemple du Dilico est particulièrement parlant. Ce n'est pas le Gouvernement qui en a été l'instigateur. Ce sont des collègues parlementaires qui l'ont imaginé, en accord avec le Gouvernement. Et ce sont ces mêmes collègues qui, la main sur le coeur, nous parlent d'équité, à la fois pour les communes et pour les intercommunalités.

Mais où est l'argent aujourd'hui ? Il n'est pas dans les communes, Bercy le sait très bien. Le ministère sait précisément où sont les communes encore dotées d'un peu de ressources. Nous travaillons à livre ouvert, et pour cause. Mais les intercommunalités ont été épargnées. Elles sont préservées. Lors de la réforme des compétences, la compétence économique leur a été transférée, ce qui a marqué, à mes yeux, le début de la fin des communes.

Quelles en sont les conséquences, pour une commune ? En Île-de-France, mais aussi ailleurs, chacun sait que l'accueil de nouvelles populations ne se traduit pas par une hausse des ressources. C'est l'inverse. Accueillir des populations, cela coûte. Pourquoi ? Parce que ce sont des habitants habitués à un niveau de service public élevé, bien supérieur à ce qu'on peut proposer dans des zones périurbaines, où les marges sont bien plus faibles.

Et pendant ce temps-là, les recettes fiscales dynamiques des entreprises ont été transférées aux intercommunalités, avec la séparation des compétences. Que reste-t-il donc aux communes ? Plus grand-chose.

Ce phénomène, pour moi, conduit à un point de bascule. Le jour où les intercommunalités deviendront des collectivités de plein exercice - ce que réclame l'association Intercommunalités de France -, ce jour-là, ce sera l'enterrement des communes.

Il ne s'agit donc plus d'une simple différence de perception. Les éléments transmis sont souvent biaisés, et jamais considérés dans leur globalité, à quelque niveau que ce soit. Tant que cette réalité sera ignorée, nous continuerons à ramer à contre-courant.

Je suis tout de même satisfait de voir le coeur du sujet émerger clairement, et cela non pas à partir d'un désaccord, mais d'une prise de conscience partagée. Chacun est dans son rôle.

Madame la directrice générale, vous faites votre travail et vous le faites très bien. Simplement, j'ai failli perdre mes nerfs, un soir, dans l'hémicycle, face à celui qui était alors ministre des comptes publics, et qui avait pourtant été élu local. Nous étions tous fatigués et je lui disais : « Mais rendez-vous compte, monsieur l'ingénieur, dans la voiture, je n'ai pas ce dont vous me parlez. » Et lui de soutenir : « Sur mon écran, on me dit que... », en faisant fi de la perception humaine.

C'est cela, le fond du problème, que l'on soit de droite, de gauche ou du centre. Mais l'État, noyé dans ses propres urgences, ne veut pas le voir.

Madame la directrice générale, il est bon que vous entendiez cela, encore une fois dans un esprit totalement constructif. Il ne s'agit pas d'accuser, mais de dire clairement que cela dure depuis trop longtemps et que la situation ne fait qu'empirer.

C'est pourquoi, à mon sens, ce rapport vient à point nommé.

Mme Isabelle Briquet. - Une petite remarque, non technique, mais qui me semble être une précision utile.

Lorsque l'on évoque la part des collectivités dans la dépense publique, avec ce fameux chiffre de 20 %, parle-t-on des collectivités territoriales au sens strict ou bien des administrations publiques locales (Apul) ?

Mme Cécile Raquin. - Il s'agit des collectivités au sens strict.

Mme Isabelle Briquet. - De même, le chiffre de 9 % de dette publique concerne-t-il uniquement les collectivités locales ? Sinon, cela modifierait sensiblement l'analyse.

Mme Cécile Raquin. - Cela concerne les collectivités au sens strict.

Mme Marie-Claude Varaillas, présidente. - Nous vous remercions pour ces éclairages. Vous pourrez nous faire parvenir des contributions écrites pour compléter vos propos.

Cette réunion a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 18 h 30.

Mercredi 21 mai 2025

- Présidence de M. Olivier Henno, président -

La réunion est ouverte à 16 h 30.

Audition de M. Michel Klopfer, consultant en finances locales

M. Olivier Henno, président. - Nous poursuivons nos travaux avec l'audition de M. Michel Klopfer, consultant en finances locales, qui intervient auprès de nombreuses collectivités locales.

Le Sénat a décidé de la constitution d'une commission d'enquête dont l'objet est de travailler sur la libre administration des collectivités territoriales, ainsi que sur le financement de services publics de proximité et de la transition écologique.

Je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. » Je vous remercie par ailleurs de nous faire part de vos éventuels liens d'intérêts.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Michel Klopfer prête serment.

M. Thomas Dossus, rapporteur. - Les travaux de notre commission d'enquête s'inscrivent dans le coeur de métier du Sénat. Nous essayons d'analyser la capacité des collectivités territoriales à s'administrer librement, au regard notamment d'un certain nombre d'enjeux à venir et des différentes réformes qui ont eu lieu au cours des dernières années, notamment relatives aux finances locales.

Quelles sont les relations entre l'État et les collectivités ? Les tensions qui sont apparues à l'occasion de la préparation du dernier projet de loi, mais également du précédent, ne vont pas en s'amenuisant. Il ressort de nos premières auditions avec les associations d'élus qu'une forme de défiance s'est installée entre l'État et les collectivités, en particulier sur les questions budgétaires. Quel est votre regard sur le sujet ?

M. Michel Klopfer, consultant en finances locales. - Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de votre invitation.

Je vous réponds d'abord sur nos éventuels liens d'intérêts. Nous n'avons rigoureusement aucun intérêt privé. En effet, mon cabinet appartient statutairement à ceux qui y travaillent ; tout salarié qui le quitte - cela vaudra aussi pour moi lorsque je prendrai ma retraite - doit vendre ses actions. Nous travaillons pour l'État de manière très marginale, à hauteur de 5 % - nous avons par exemple six missions pour le Sénat -, et pour les collectivités territoriales à hauteur de 95 %. Nos seules prestations à destination des entreprises privées ou des banques sont des sessions de formation, à une exception près : la Banque européenne d'investissement nous a demandé à plusieurs reprises d'examiner les comptes de collectivités, et nous l'avons fait avec l'accord de ces dernières, par exemple, des syndicats mixtes de transport se trouvaient dans des situations délicates vis-à-vis de la banque, car leur notation avait été dégradée ou elles avaient simplement rompu leurs liens avec les agences de notation. La trésorerie de mon cabinet est placée exclusivement en sociétés d'investissement à capital variable (Sicav) monétaires ; nous n'avons aucune action.

La libre administration des collectivités locales est un concept à géométrie variable, qui a eu une réelle signification lors de l'adoption de la loi du 2 mars 1982 relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions. Auparavant, le préfet exerçait un contrôle de fait et d'opportunité sur les budgets locaux. Le fait de limiter ce contrôle à un contrôle budgétaire, insuffisamment protecteur au départ, et à un contrôle de légalité a décontenancé un peu tout le monde.

Au mois de mars 2007, je suis allé voir le sous-directeur de la direction générale des collectivités locales (DGCL) de l'époque, M. Jean-Christophe Moraud, pour l'alerter sur les emprunts structurés, que l'on n'appelait pas encore « toxiques ». Il m'a éconduit de façon assez peu aimable, invoquant le principe de libre administration des collectivités locales pour signifier que les emprunts indexés sur le franc suisse, le yen, le dollar ou la livre sterling ne le gênaient pas particulièrement. Je me suis donc permis de le citer l'année suivante, lorsque le sujet est devenu d'actualité, dans C dans l'air ou d'autres émissions.

On dit aujourd'hui que les relations entre élus locaux et élus nationaux ne sont pas harmonieuses, indépendamment d'ailleurs des différences de sensibilité politique. Aussi loin que je remonte dans le temps - j'ai créé mon cabinet en 1990 après avoir été élu local, ce que je ne suis plus depuis 1989 -, je peux dire qu'il y a toujours eu des dissensions. En essayant d'être objectif et en faisant abstraction du fait que je travaille principalement pour les collectivités locales, je note que les élus n'ont pas apprécié un certain nombre de diminutions des marges de manoeuvre fiscales ou financières : la suppression de la part « salaires » de la taxe professionnelle sur l'initiative de Dominique Strauss-Kahn en 1999 ; celle de la vignette, qui bénéficiait aux départements, en 2000 ; la disparition des droits de mutation des régions ; le plafonnement en 2007, puis la suppression de la taxe professionnelle... Et je ne parle pas des décisions plus récentes que chacun a en mémoire.

Je dispense chaque année des formations relatives aux lois de finances à destination des élus, des fonctionnaires et, parfois, des magistrats des chambres régionales des comptes. Connaissant la situation des finances de l'État, je ne me permettrai pas de remettre en cause un certain nombre de dispositions ayant pour effet de restreindre les marges de manoeuvre des collectivités, dès lors qu'elles sont légitimées par leur caractère proportionnel au regard de ce que l'État fait lui-même.

Toutefois, si l'État s'appliquait à lui-même les règles applicables aux collectivités locales, comme l'obligation d'équilibrer sa section de fonctionnement ou d'assurer le remboursement de sa dette par des ressources propres - cela résulte des dispositions portant règlement de la comptabilité de 1962, conçues à l'époque du général de Gaulle -, il devrait lever la bagatelle de 276 milliards d'euros d'impôts supplémentaires cette année ! Cela aurait impliqué de porter le taux de la TVA de 20 % à 45 % ; on imagine difficilement une telle mesure ne pas créer des phénomènes de marché noir.

Toute la question est de savoir quelle part les collectivités vont prendre dans cette réduction nécessaire du déficit. Je pense qu'il faut retenir une perspective pluriannuelle. Dans une tribune que j'ai publiée le 30 novembre dernier à la demande du journal Le Monde, j'ai indiqué que l'important pour une personne chargée de la gestion d'une collectivité locale était d'avoir de la visibilité. L'article 34 de la Constitution imposant, dans sa rédaction issue de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, le vote à échéances régulières, mais non précisées, de lois de programmation des finances publiques, nous pourrions imaginer que ces dernières définissent une feuille de route sur une durée de trois ans à quatre ans.

À ce jour, un élu local ne sait pas quelles conditions s'appliqueront à partir du 1er janvier 2026. Quelle sera l'évolution de la dotation globale de fonctionnement (DGF) ? L'écrêtement a été multiplié par quatre et demi et les variables d'ajustement ont été multipliées par dix. C'est peut-être sur ce point que l'on pourrait trouver un modus vivendi entre l'État et les administrations.

M. Thomas Dossus, rapporteur. - Vous prônez donc la mise en place d'un cadre dans lequel l'État et les collectivités locales entreraient en négociation sur une trajectoire pluriannuelle de leurs finances. Comment construire cette trajectoire pluriannuelle ?

M. Michel Klopfer. - Le déroulement de la loi de finances pour 2025 a été une excellente illustration. Je prépare régulièrement des diaporamas dans le cadre des formations que je dispense ; entre le mois d'octobre et le mois de mars, j'ai modifié quatre fois celui sur le montant de la DGF !

D'ailleurs, comme je l'avais indiqué à M. Sautarel et à Mme Briquet lors d'une précédente audition sénatoriale, nous pourrions très bien gagner quelques précieuses semaines dans la communication des données relatives aux dotations. En effet, cette année, la loi de finances a été promulguée non le 29 décembre ou le 30 décembre, comme c'est d'ordinaire le cas, mais le 14 février. Or ces six semaines de décalage n'ont pas empêché les dotations d'être mises en ligne le 31 mars. Nous pourrions donc gagner du temps.

Certes, je mesure les difficultés, le vote d'une loi de finances est un exercice annuel et une loi de programmation n'est pas forcément contraignante sur les lois de finances des années suivantes, mais un accord entre les différentes sensibilités politiques de l'Assemblée nationale et du Sénat n'est pas nécessairement inimaginable dans la mesure où l'addition de celles qui sont très fortement représentées dans les exécutifs municipaux, départementaux et régionaux permettrait de former une majorité.

M. Thomas Dossus, rapporteur. - On a retiré des leviers fiscaux aux collectivités, qui n'ont plus, ou quasiment plus, de pouvoir de taux, et on a introduit des mesures de compensation, parfois assez dynamiques. Avez-vous pu constater une restriction de la libre administration des collectivités ? Les élus locaux ont le sentiment d'un carcan, alors que, selon les représentants de l'État que nous avons entendus en audition, les collectivités ont des marges de manoeuvre suffisantes.

M. Michel Klopfer. - Il y a plusieurs manières d'aborder cette question.

Je me souviens de la négociation entre l'État et les départements sur le reste à charge au premier semestre de l'année 2013, dans les locaux de la Cour des comptes. Les représentants des ministères disaient que les départements étaient en bonne santé financière et qu'il suffisait de mettre à contribution les plus riches, comme les Hauts-de-Seine et les Alpes-Maritimes, pour renflouer les autres. C'était évidemment totalement faux.

À d'autres périodes, les exécutifs départementaux ont senti le vent du boulet. À l'automne 2009, les départements venaient de perdre la taxe professionnelle et, pour la première fois depuis bien longtemps, les droits de mutation étaient en baisse de 30 %. Personne, pas même les experts de la Fédération nationale de l'immobilier (Fnaim), n'imaginait que ces droits repartiraient à la hausse l'année suivante. J'ai en mémoire une réunion dans un amphithéâtre de l'université de Rennes, au mois de novembre ou de décembre 2009, durant laquelle le président du conseil général d'Ille-et-Vilaine avait annoncé devant 700 personnes - la scène était assez poignante, des personnes en fauteuil roulant se trouvant devant le premier rang - qu'il diminuerait de 30 % les subventions pour tout le monde : communes, intercommunalités, associations, y compris à caractère social, etc. Il est revenu sur cette mesure l'année suivante, lorsque les droits de mutation sont repartis à la hausse.

Il faut évidemment faire une distinction entre, d'une part, les départements et, d'autre part, les autres collectivités, qui ont soit des marges de manoeuvre fiscales résiduelles, comme les communes et les intercommunalités, soit des marges de manoeuvre sur les dépenses, ce qui est plus le cas des régions. Je connais des départements qui se demandent si leur budget 2026 pourra être à la fois équilibré et sincère, ou s'il faudra s'affranchir de l'une de ces deux exigences.

M. Thomas Dossus, rapporteur. - Selon vous, les règles qui régissent actuellement la construction des budgets des collectivités pourraient-elles être révisées ?

M. Michel Klopfer. - Elles l'ont déjà été sur un certain nombre de points.

Je me souviens comment les gouvernements de l'époque, entre 1995 et 2000, ont traité la mise en place d'instructions comptables telles que la M14, puis de la M52 et de la M71. Conseillés par le Conseil national de la comptabilité, ils envisageaient, de manière très stricte, d'imposer aux collectivités de faire intégralement passer les subventions d'équipement en fonctionnement. Certes, je peux comprendre le raisonnement d'un point de vue de comptabilité privée, mais l'étude que nous avions réalisée à la demande de Régions de France montrait qu'avec de telles règles, le système explosait. Les choses ont finalement évolué dans un sens plus libéral.

En 2007, le conseil général du Doubs m'a demandé d'aller plaider le dossier de l'amortissement des subventions d'équipement qu'il versait à Réseau ferré de France (RFF), aujourd'hui SNCF Réseau, pour la ligne à grande vitesse (LGV) Rhin-Rhône, investissement séculaire s'il en est. Il devait les amortir sur quinze ans. Je suis allé voir la direction générale des finances publiques (DGFiP), qui s'appelait alors encore la direction générale de la comptabilité publique (DGCP), et j'ai dit ceci : « Une société privée, Eiffage, a construit le viaduc de Millau et l'amortit sur soixante-quinze ans. Certes, c'est un investissement séculaire. Mais une LGV aussi ! » Nous avons donc obtenu de passer à trente ans. Et, en 2015, on a finalement permis de neutraliser toutes les subventions. Nous sommes donc passés d'un extrême à l'autre.

En 2022, alors que l'on commençait à parler d'un fonds sur la transition écologique, j'ai été invité par la direction générale d'une grande banque, qui m'a demandé : « Monsieur Klopfer, ne pourrait-on pas “bidouiller” le ratio de capacité de désendettement, que vous avez créé, afin d'enlever la dette finançant les investissements ? » Je me souviens de négociations compliquées avec cette banque et avec d'autres lorsque je m'occupais des plans de redressement de ce que l'on appelle le « triangle d'or », c'est-à-dire Avignon, Nîmes et Arles - je ne nuis à personne, ce ne sont plus les mêmes personnes qui sont maires -, et je sais pertinemment que les banques se soucient très peu de savoir si telle enveloppe finance plutôt un giratoire ou la transition écologique !

Il y a évidemment des éléments que l'on peut faire évoluer. À mon sens, un certain nombre de recettes d'investissement, comme la taxe d'aménagement ou les amendes de police, pourraient être remises en section de fonctionnement. On pourrait peut-être aussi faire preuve de plus de souplesse sur le rapatriement du compte 1068 en section de fonctionnement.

Mais quand on me dit que l'on veut faire passer des dotations d'État, comme la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) ou la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL), en fonctionnement, j'invite à la prudence, en rappelant qu'il y a tout de même des règles comptables à respecter.

Il y a des choses que l'on peut faire, mais on ne peut pas tout faire ! Lorsque je suis face à un exécutif, je rappelle que, dans certains pays ayant connu des crises des dettes souveraines au début des années 2010, il y a eu de véritables minorations non seulement sur les recettes des collectivités locales, mais également sur les rémunérations des personnels. Je ne tiens pas un discours « corporatiste » sous prétexte que mes clients sont essentiellement des collectivités.

M. Thomas Dossus, rapporteur. - Quel regard portez-vous sur le discours qui revient depuis quelques années selon lesquelles les collectivités ont une part dans le déficit public ?

M. Michel Klopfer. - Oui, elles ont effectivement une part, mais une part modeste ! La dette locale représente 9 % de la dette publique totale. Le déficit des collectivités n'a jamais dépassé 0,5 % du PIB.

Rappelons à côté de cela que nous n'avons plus connu de budget de l'État à l'équilibre depuis cinquante-deux ans ! Tout le monde semble s'être habitué au fait que le déficit de fonctionnement de l'État - il s'élève à 106 milliards d'euros en 2025 - représente les deux tiers des dépenses de personnel de l'État. C'est inimaginable !

Mon propos n'est évidemment pas de dire que les collectivités ne doivent pas participer à leur échelle au redressement de nos comptes publics, mais elles ne sont pas les principales responsables de cette dégradation.

M. Olivier Henno, président. - L'autonomie fiscale des collectivités locales existait pour une large part en 1982, avec les fameuses « quatre vieilles ». Puis, en 2008, le rapport Attali préconisait de la remettre en cause. Pensez-vous qu'il s'agisse d'une tendance inéluctable ?

M. Michel Klopfer. - Je ne dirais pas qu'il n'y a plus d'autonomie fiscale aujourd'hui.

L'autonomie fiscale du bloc communal est quasiment inchangée. Les évolutions ont été extrêmement modestes.

En 2009, lorsque le président Nicolas Sarkozy a annoncé au journal télévisé de TF1, à la surprise générale, la suppression de la taxe professionnelle, Bercy a fait un énorme travail pour sauver les meubles. Sur les 30 milliards d'euros de la taxe professionnelle, ils ont mis 22 milliards d'euros « au chaud », en créant la cotisation foncière des entreprises (CFE), la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) et l'imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux (Ifer), c'est-à-dire trois nouveaux impôts.

En revanche, depuis 2018, plus de 40 milliards d'impôts locaux ont disparu sans qu'il y ait une seule évolution dans le sens contraire. Je suis très attentif à ne pas prétendre avoir des compétences que je n'ai pas, mais je m'étonne que, dans une décision du 28 décembre 2017, le Conseil constitutionnel ait indiqué que l'on ne pouvait pas maintenir un impôt payé par seulement 20 % des contribuables. Rappelons que l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) était payé par moins de 1 % des contribuables... À l'époque, la ministre chargée des collectivités, qui connaît bien le sujet pour avoir été maire d'une commune de 7 000 habitants, présidente de la communauté d'agglomération de Blois et même présidente de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales, avait indiqué que, en cas de suppression de la taxe d'habitation, il faudrait créer un nouvel impôt. Elle avait été démentie dès le lendemain à la fois par le Premier ministre et par le ministre chargé des finances. Et un manque à gagner de 40 milliards d'euros sur cinq ans, cela explique pour partie, même si ce n'est pas la cause principale, l'évolution constatée de la dette publique.

Mme Isabelle Briquet. - J'ai besoin d'une précision. Quand on parle des collectivités, on parle surtout des administrations publiques locales (Apul). On nous dit que les collectivités représentent 20 % de la dépense publique et 9 % de la dette publique. S'agit-il des collectivités ou des Apul ? J'aimerais que l'on puisse définir la part exacte des collectivités locales, par rapport à celle, notamment, des organismes divers d'administration locale (Odal).

M. Michel Klopfer. - Au sens strict, ce que l'on appelle les administrations publiques locales est composé à près de 85 % des collectivités. Mais, au sens large, cela englobe les communes, les intercommunalités, les départements, les régions, les syndicats, les caisses des écoles, les centres communaux et intercommunaux d'action sociale (CCAS et CIAS), les services départementaux d'incendie et de secours (Sdis), le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT), les laboratoires vétérinaires, les lycées et les collèges, qui sont des personnes morales, les organismes de l'habitat, ainsi que les organismes consulaires.

Je reviens sur le débat de l'été dernier, lorsque l'on a imputé la dérive des comptes publics aux collectivités. D'abord, je ne vois pas comment elles pourraient être responsables du fait que le déficit public soit passé de 4,4 % à 5,8 % du PIB. Certes, leur dette a augmenté, mais la moitié de cette augmentation est due, d'une part, à la Société des grands projets (SGP), anciennement Société du Grand Paris, dont l'encours de dette s'élevait à la fin de l'année 2023 à 28 milliards d'euros, soit presque autant que celui de tous les conseils départementaux réunis - 30 milliards d'euros -, et, d'autre part, à Île-de-France Mobilités, le syndicat mixte des transports de la région Île-de-France.

D'ailleurs, lorsque l'État a institué la contribution au redressement des finances publiques et la contractualisation, il n'y a jamais inclus le transport, pour une raison très simple : l'hétérogénéité des modes de gestion. En effet, à Lille et à Bordeaux, il s'agit d'un budget annexe ; à Toulouse, à Grenoble et ailleurs, il s'agit de syndicats mixtes de transport ; et, à Marseille, il s'agit d'un établissement public. Quant à l'établissement Île-de-France Mobilités, il dépend non pas des intercommunalités, mais de la région. L'État n'a jamais su comment traiter cette question, mais il n'en reste pas moins que, ainsi que je l'ai signalé dans un article, les deux plus gros déficits locaux de 2023 sont ceux de la Société des grands projets et d'Île-de-France Mobilités, et cela ne concerne nullement les quelque 417 grandes collectivités que l'on voulait assujettir au fonds de réserve ni les 1 900 communes assujetties au dispositif de lissage conjoncturel des recettes fiscales des collectivités territoriales (Dilico).

Mme Isabelle Briquet. - La distinction est importante, car l'État souhaite, au cours des négociations qui s'ouvrent, imputer une contribution des collectivités à raison de leur dette, dont celles-ci ne sont pourtant pas pleinement responsables.

M. Michel Klopfer. - Lors de l'instauration du fonds de réserve, quel a été le raisonnement qui a présidé à l'imputation d'une quote-part de l'augmentation du déficit public aux collectivités ? Souvenez-vous, le projet de loi de programmation des finances publiques 2023-2027 a connu deux versions : la première, présentée à l'automne 2022 par le gouvernement Borne et très profondément modifiée par le Sénat, a été rejetée par l'Assemblée nationale ; la seconde, légèrement actualisée pour tenir compte de la conjoncture et de l'augmentation de l'inflation, a été adoptée par recours au 49.3 et est devenue la loi du 18 décembre 2023 de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027. Ce texte comporte une disposition relativement discrète relative à l'évolution de la contribution aux déficits. Le Gouvernement avait prévu une contribution de 0,2 point pour les Apul et, constatant que cette quote-part s'orientait plutôt vers 0,5 ou 0,6 point, il a entendu « facturer » la différence, en la répartissant entre les collectivités et les autres Apul au moyen d'une règle de trois.

Ensuite, il y a le dispositif qui émane de votre maison, le Dilico, qui me paraît plus pertinent parce qu'il ne se réfère pas au seuil de 40 millions d'euros, et auquel s'ajoute la réduction du montant du prélèvement, passé de 3 milliards à 1 milliard d'euros. J'avais pour ma part suggéré quelques autres modifications au rapporteur spécial Stéphane Sautarel, car le mode de calcul du potentiel fiscal des intercommunalités ne correspondait pas à ce que l'on aurait dû prévoir, mais il demeurait néanmoins globalement plus pertinent.

M. Olivier Henno, président. - J'ai une question sur la pluriannualité et le dialogue entre les collectivités et l'État.

André Laignel, président du Comité des finances locales, nous a dit hier en audition qu'il y avait en réalité peu de dialogue entre l'État et les collectivités, que les décisions empruntaient un chemin descendant. Quel pilotage pourriez-vous envisager, dans une perspective de pluriannualité, tout en respectant le principe d'annualité budgétaire ?

M. Michel Klopfer. - Considérez les prélèvements sur recettes destinés à l'Union européenne : il s'agit bien d'un cadre pluriannuel. Je ne veux pas prétendre à des compétences juridiques que je n'ai pas, je ne sais pas si cela exigerait une révision constitutionnelle ou si une loi organique suffirait pour cela, mais on pourrait très bien imaginer que les prélèvements sur recettes destinés aux collectivités soient fixés dans un cadre pluriannuel, comme c'est le cas pour l'Union européenne. Je ne pense pas que le Comité des finances locales y serait hostile

M. Thomas Dossus, rapporteur. - Nous nous interrogeons beaucoup sur la sincérité de l'État à l'égard des collectivités et sur le niveau des compensations, qui ne semble pas aux collectivités à la hauteur de qui existait auparavant, ce que l'État conteste. Il y a une défiance entre les deux strates et nous cherchons l'instance qui pourrait établir un diagnostic transparent et construire la pluriannualité...

M. Michel Klopfer. - Vous m'avez interrogé, dans le questionnaire transmis, sur l'opportunité d'une révision des transferts de compétences. Oui, cela me paraît légitime. D'ailleurs, un tel mécanisme existe déjà entre communes et intercommunalités, via les révisions quinquennales des attributions de compensation.

Vous me demandez ensuite s'il faudrait prévoir des compensations à l'euro près. Je serais malhonnête si je répondais simplement « oui », au seul motif que je défends les collectivités ; j'essaie de le faire le plus honnêtement possible. En vérité, il y a toujours eu des variables d'ajustement.

Prenons un exemple très simple, celui de la taxe professionnelle. Cet impôt, qui a vécu très exactement trente-cinq ans, de 1975 à 2010, a probablement été le plus juteux que les collectivités aient eu entre les mains, plus encore que les droits de mutation. Elle avait été créée parce que le Gouvernement rencontrait un certain nombre de difficultés avec des associations de commerçants et d'artisans, notamment avec la Confédération intersyndicale de défense et d'union nationale des travailleurs indépendants (CIDUNATI), qui obtenait des scores non négligeables aux élections. En effet, l'impôt antérieur, la patente, était, disons, beaucoup plus favorable aux grandes entreprises qu'aux petites. On a donc fait exactement l'inverse : les cotisations des petites entreprises ont été diminuées, celles des grandes augmentées massivement ; à l'époque, il n'y avait pas encore de délocalisations, mais cela en a peut-être favorisé l'émergence...

La base de calcul reposait sur les équipements et sur les salaires. La pondération retenue se fondait sur un ratio 50-50, qui correspondait à la moyenne nationale, car, évidemment, un barrage hydroélectrique a beaucoup d'équipements et une société de services beaucoup de salaires. Lorsque Dominique Strauss-Kahn a proposé de supprimer par la loi la part « salaires » de la taxe professionnelle, on n'était déjà plus à 50-50, on était à 66-34 : 66 % pour les équipements, 34 % pour les salaires. Cela signifie que l'augmentation de la base « équipements », fondée sur la valeur brute non amortie, était encore plus rapide que la croissance de la masse salariale, qui incluait un gain de pouvoir d'achat. En outre, les collectivités pouvaient augmenter les taux, jusqu'à 50 % pendant une dizaine d'années, au-delà du taux moyen pondéré de la taxe d'habitation et du foncier bâti.

Toutefois, le bonheur des uns faisant le malheur des autres, les représentants des entreprises - le Conseil national du patronat français (CNPF), devenu le Mouvement des entreprises de France (Medef) et la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME), devenue la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) - ont fait le siège des gouvernements successifs pour obtenir des baisses de base et ils les ont obtenues de tous les gouvernements, y compris de celui de M. Mauroy, probablement le plus à gauche que la France ait connu depuis le Front populaire. Ces baisses ont été religieusement compensées, au franc ou à l'euro près, auprès des collectivités locales. Ces compensations sont devenues une variable d'ajustement : quand la taxe professionnelle a définitivement disparu, on les a toutes regroupées dans un seul bloc, qui représentait alors 572 millions d'euros, et, sept ans plus tard, ce montant était tombé à zéro.

Maintenir les compensations à l'euro près reviendrait à supprimer toute variable d'ajustement. Or j'estime que certaines d'entre elles sont moins illégitimes que d'autres. Celles qui portaient sur les impôts économiques, par exemple, l'étaient un peu moins, alors que la dotation de compensation de la réforme de la taxe professionnelle (DCRTP) constitue une variable d'ajustement illégitime, car ce sont les perdants à la disparition de la taxe professionnelle qui sont frappés et non les gagnants. C'est ainsi que la région Île-de-France, le département de Paris ou celui des Hauts-de-Seine ne peuvent pas être ponctionnés, de même que certaines agglomérations de la Côte d'Azur ou de la façade atlantique, elles aussi gagnantes. On racle donc les fonds de tiroir...

C'est précisément sur ce point qu'une évolution serait possible : on pourrait parfaitement, à finances publiques constantes, mettre en place un système moins inégalitaire.

M. Thomas Dossus, rapporteur. - Il a été proposé à plusieurs reprises de mettre en adéquation les ressources des collectivités avec leurs compétences, par exemple d'attribuer une fraction de contribution sociale généralisée (CSG) aux départements ou d'impôt sur les sociétés aux régions. Qu'en pensez-vous ?

M. Michel Klopfer. - Cela fait des dizaines d'années, la CSG ayant été créée par le gouvernement Rocard, que les départements réclament une part de CSG. Je le comprends très bien, à leur place, j'en ferais autant, car cet impôt est relativement dynamique.

Je suis déjà extrêmement surpris que des gouvernements très récents aient accepté de céder un quart de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) aux collectivités locales. Bercy - je le répète, j'ai beaucoup de respect pour cette grande administration - ne l'aurait jamais fait en 2010, lorsqu'il s'est agi de remplacer la taxe professionnelle.

Vous évoquez l'impôt sur les sociétés. Cet impôt est extrêmement volatil et difficilement « territorialisable », encore plus difficilement que la TVA issue de la CVAE : le problème tient non seulement à la répartition entre territoires industriels et territoires tertiaires, mais aussi aux multinationales, qui paient leurs impôts en Irlande ou ailleurs.

J'indique donc, tout en prenant beaucoup de précautions, en réponse à votre dernière question du questionnaire, qu'il me semblerait plus pertinent d'imaginer, sous toutes réserves, le transfert d'une fraction de l'impôt sur le revenu des personnes physiques (IRPP), parce que celui-ci est moins volatil que l'impôt sur les sociétés, qu'il est directement territorialisable et qu'il est corrélé au revenu par habitant, critère de péréquation de plus en plus utilisé. Ce serait plutôt cohérent.

Je nuance toutefois immédiatement mon propos : d'une part, je n'imagine pas que Bercy soit prêt à lâcher cet impôt, tant il est symbolique, et, d'autre part, les élus pourraient également éprouver une certaine gêne, car cela brouillerait l'image des collectivités auprès de leurs administrés. Cela dit, d'un point de vue strictement technique, cela me semblerait plus pertinent qu'une fraction de l'impôt sur les sociétés. Je précise pour finir que les villes allemandes ont énormément souffert lors des récessions économiques, car elles perçoivent l'équivalent de l'IRPP.

M. Olivier Henno, président. - J'ai une question sur l'endettement des collectivités, qui représente 7 % de la dette publique et 70 % de l'investissement public.

M. Michel Klopfer. - 57 %, pas 70 %. Le taux de 70 % tient compte des seuls investissements civils, mais si l'on inclut les investissements militaires, qui sont voués à croître, la proportion ne représente que 57 %.

M. Olivier Henno, président. - Pour des infrastructures dont la durée d'amortissement est longue, pourrait-il y avoir des marges de manoeuvre ?

M. Michel Klopfer. - Une entreprise emprunte généralement sur cinq à sept ans, ce qui réduit mécaniquement son ratio équivalent à la capacité d'endettement. Un organisme de logement social peut emprunter sur vingt ou vingt-cinq ans. Les collectivités, quant à elles, empruntent traditionnellement sur quinze ans, car, quand elle était seul prêteur, la Caisse des dépôts et consignations proposait des prêts sur cette durée.

Lorsque le gouvernement Bérégovoy a créé le marché à terme des instruments financiers (Matif) en 1985, les grandes et moyennes entreprises ont commencé à se financer directement sur les marchés. Les banques commerciales - BNP, Société Générale, Crédit lyonnais, etc. - sont alors parties en quête de nouveaux clients et elles ont adopté les durées normatives de prêt de la Caisse des dépôts, ne serait-ce que parce que les collectivités y étaient habituées.

Cela n'empêche pas que, lorsque la situation est excellente, les collectivités puissent emprunter sur vingt, voire quarante ans. À l'inverse, en cas de difficultés, les conditions se durcissent. Ainsi, lorsque j'ai réalisé l'audit de la ville d'Avignon en 1995 - je peux en parler aujourd'hui, il y a prescription -, les banques ne prêtaient que sur deux ans et à des conditions proprement incendiaires, tant la situation était préoccupante. Les établissements prêteurs oscillent toujours entre logique commerciale et mesure du risque, qui relève de la direction des engagements.

Je souhaite compléter ma réponse, car il serait réducteur de balayer d'un revers de main les investissements de transition écologique, au motif que l'on va plutôt construire désormais des avions, des chars et des obus. Si un investissement est rentable, s'il s'agit, par exemple, d'un investissement de productivité comme l'isolation de bâtiments, il est tout à fait légitime de le financer, dès lors que son taux de rendement interne, pour reprendre une notion propre à l'entreprise, est favorable.

Cela dit, j'appelle l'attention des parlementaires sur ce que j'appelle le scandale des partenariats public-privé (PPP). En tant que consultant, j'ai eu connaissance d'évaluations préalables proprement mensongères, et je pèse mes mots, car les cabinets qui les réalisaient n'étaient pas incompétents, ils maquillaient les chiffres !

Je me souviens par exemple d'un rapport d'évaluation préalable - je tairai à la fois le nom du cabinet et celui de la collectivité concernée - qui comparait un emprunt réalisé par la collectivité à taux fixe sur vingt ans, à une époque où la courbe des taux était croissante, avec une opération en PPP reposant sur l'Euribor du moment cristallisé à 1 % sur toute la durée ; un véritable vol à main armée... J'ai dit à la direction financière de la collectivité, que je connaissais bien, que, à sa place, je ne paierais même pas les honoraires du cabinet ; non seulement elle les a payés, mais elle a lancé une mission de trois ans pour poursuivre l'opération.

Lors d'une audition par l'inspection générale des finances (IGF) en 2012, j'ai suggéré d'interdire à un assistant à maîtrise d'ouvrage chargé d'une évaluation préalable de concourir ensuite à un marché aval, parce qu'il se trouvait en situation de conflit d'intérêts : si le client appuie sur le bouton vert, il repart pour trois ans. Treize ans plus tard, j'attends toujours que cette mesure soit adoptée...

J'ai d'ailleurs tenu le même discours en juin 2023, lors d'une audition à l'Assemblée nationale. À la suite de l'affaire McKinsey, lors de l'examen d'une proposition de loi d'origine sénatoriale sur cette question, j'ai été entendu par deux députées, l'une du groupe Renaissance, l'autre de la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes). Je leur ai fait les mêmes recommandations sur la prévention des conflits d'intérêts.

M. Laurent Somon. - Il existe trois sortes de contrats entre l'État et les collectivités : les contrats de plan État-région (CPER), les programmes Petite Ville de demain et Coeur de ville, et les contrats de Cahors, qui visent à limiter l'augmentation des frais de fonctionnement des collectivités. L'existence de ce dernier type de contrat n'est-elle pas incompatible avec la notion de libre administration des collectivités locales ?

Vous parlez d'autonomie fiscale des collectivités, mais tous les niveaux ne sont pas concernés de la même manière : les départements n'en ont plus du tout, les communes un peu et les régions très peu, via la taxe mobilité. Vous dites par ailleurs que les transferts de compétences ont pu être compensés à l'euro près, mais sans que soient prises en compte l'évolution des besoins ni les règles imposées par l'État sans mesure de compensation, comme la revalorisation du traitement des fonctionnaires ou de l'allocation du revenu de solidarité active (RSA). Peut-on vraiment parler de libre administration dès lors que l'État peut imposer des dépenses sans compensation ?

Ma dernière question a trait à la dotation globale de fonctionnement (DGF). Vous évoquez l'idée d'un transfert de fraction d'IRPP aux collectivités territoriales, mais ce serait source d'une grande iniquité, car certaines collectivités perçoivent de fortes recettes, par exemple si elles ont une centrale nucléaire sur leur territoire : leur dotation par habitant peut être cinq à dix fois supérieure à celles de leurs voisines.

M. Michel Klopfer. - Je commencerai par la question sur la DGF, sur laquelle Mme Briquet et moi avons échangé naguère.

On parle souvent de la vétusté des bases cadastrales, établies dans les années 1960 et appliquées en 1970, mais la DGF est tout aussi archaïque ! Simplement, on y pense moins parce que l'expression « DGF » a été créée en 1979, en remplacement du versement représentatif de la taxe sur les salaires (VRTS). Ce versement reflétait ce que rapportait la taxe sur les salaires aux communes avant sa suppression liée à l'instauration de la TVA, le 1er janvier 1968.

J'ai présenté à un sénateur du Cantal et à une sénatrice de la Haute-Vienne un graphique illustrant les inégalités de DGF entre leurs communes respectives, inégalités qui n'avaient rien à voir avec la présence ou non de centrales nucléaires, car il n'y en a pas en Haute-Vienne. En réalité, ces inégalités relèvent simplement du hasard ! Les communes concernées tombent du bon ou du mauvais côté...

Le projet de réforme proposé par Mme Pires Beaune de 2015 avait une réelle pertinence. Malheureusement, il est arrivé soit trop tôt, soit trop tard, car il a été percuté par la mise en oeuvre de la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe). Le gouvernement de l'époque avait forcé sa majorité, y compris les frondeurs, à voter ce texte, en ne modifiant qu'un mot : la date d'entrée en vigueur, repoussée du 1er janvier 2016 au 1er janvier 2017.

Il revenait donc à la DGCL de produire au printemps 2016 des simulations tenant compte des nouveaux schémas intercommunaux. Or ces simulations se sont révélées si peu probantes qu'elles n'ont jamais été publiées. Ainsi, le 2 juin suivant, devant le congrès extraordinaire des maires, le président de la République, M. François Hollande a déclaré que ce sujet méritait mieux qu'une simple loi de finances, qu'il exigeait une loi à part entière ; mais n'ayant pas le temps de le faire avant la fin de son mandat, il a repassé la patate chaude à son successeur. Pourtant, cette réforme était bel et bien nécessaire, la DGF doit être en effet révisée, et la Haute Assemblée s'en préoccupe, puisqu'elle a organisé plusieurs séances sur ce sujet.

J'en viens maintenant à vos autres questions, notamment aux contrats de Cahors.

D'abord, pourquoi les appelle-t-on ainsi ? La première version, proposée par le gouvernement d'Edouard Philippe à l'automne 2017, prévoyait de sanctionner les collectivités ne respectant pas un seuil minimal de désendettement. L'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité (AMF) avait alors menacé de saisir le Conseil constitutionnel. À ce propos, le Conseil ne donne pas toujours raison aux collectivités locales ; j'ai moi-même élaboré, pour le compte de Départements de France, la partie technique d'un recours contre l'intégration de la dotation de compensation de la réforme de la taxe professionnelle (DCRTP) comme variable d'ajustement, mais la réforme est passée. En tout état de cause, une réunion décentralisée a été organisée dans la préfecture du Lot, d'où l'expression « contrats de Cahors ».

J'ai eu de nombreux échanges avec des élus sur ce sujet et je les ai parfois accompagnés chez le préfet pour négocier les contrats, mais, pour ma part, si j'étais élu local, je préférerais un dispositif contractuel préservant ma liberté d'action et me permettant d'éviter les sanctions au mécanisme appliqué entre 2014 et 2017, qui reposait sur un prélèvement calculé sur mes recettes réelles de fonctionnement du compte administratif de l'année n-2.

Ce système comportait de nombreux dysfonctionnements, liés au mode de calcul et à la grande latitude d'interprétation. Je peux vous rapporter à cet égard une anecdote, qui s'est d'ailleurs bien terminée ; je ne pense pas nuire à qui que ce soit en vous la révélant. Une agglomération de petite taille - Agen, pour ne pas la nommer - a eu la surprise de figurer parmi les 317 grandes collectivités soumises à contractualisation. Pourquoi ? Parce qu'elle avait mutualisé l'intégralité du personnel de la ville-centre et de son CCAS. Cette mutualisation avait mécaniquement entraîné une hausse des dépenses réelles de fonctionnement, mais donnait lieu à un remboursement. Ainsi, non seulement cette collectivité a été considérée comme « contractualisable », mais on lui a annoncé qu'elle serait pénalisée, ses dépenses ayant augmenté de 25 % en deux ans, et pour cause : cela correspondait à l'année de la mutualisation.

Je me suis alors retrouvé, en juin 2018, devant Mme la préfète de Lot-et-Garonne, pour lui expliquer ce qu'était la mutualisation, en termes simples. Mon interlocutrice comprenait bien, mais regrettait de ne rien pouvoir faire, car cela dépendait du préfet de région, c'est-à-dire de Nouvelle-Aquitaine, et elle a ajouté, devant cinq ou six témoins, que l'on avait déjà accordé tant de faveurs à Bordeaux et à sa métropole que la préfecture de région n'accepterait pas de dégrader davantage la moyenne régionale. C'était extrêmement choquant. Tout cela devait être réglé avant le 30 juin suivant. J'ai suggéré une rencontre avec le préfet de région, mais la préfète m'a indiqué qu'il ne pourrait pas me recevoir.

Le maire et président de l'intercommunalité, Jean Dionis du Séjour, était très contrarié en sortant de la préfecture. Je lui ai conseillé de convoquer son conseil communautaire et de conserver le taux de 1,20 % plutôt que d'accepter celui de 1,05 %, qui devait s'imposer à sa collectivité. De mon côté, j'ai contacté la DGCL pour lui exposer la situation ; on y trouve des gens intelligents. J'ai expliqué à mes interlocuteurs que le président tenait bien son conseil et que, même s'il recevait un appel de la préfecture pour arranger les choses le matin même du 28 juin, jour de la réunion du conseil, il pourrait encore changer la délibération en séance. Ce coup de téléphone a eu lieu non pas le 28 juin, mais le 12, une heure après mon appel. Donc, l'administration sait aussi corriger les dysfonctionnements liés à l'application d'un texte, tout ne se passe pas toujours mal.

Personnellement, je ne suis pas choqué que l'on envisage une nouvelle contractualisation, bien conçue, pour 2026. Je préfère cela à voir arriver le FMI dans quelques années et subir ce qu'ont connu la Grèce et le Portugal...

M. Laurent Somon. - Le contrat de Cahors se réfère, entre autres critères, à l'épargne brute, mais le dispositif de lissage conjoncturel des recettes fiscales des collectivités territoriales (Dilico) ne présente-t-il pas une faille à cet égard ? Certes, les collectivités récupéreront les recettes prélevées, puisque l'engagement porte sur trois ans, avec une baisse de 10 %. Pour autant, le fait de prélever des recettes sans tenir compte de l'épargne brute et de la capacité de désendettement des collectivités ne risque-t-il pas de favoriser l'emprunt donc d'accroître l'endettement public, alors même que l'on aurait eu la capacité de faire l'investissement in fine ?

M. Michel Klopfer. - Quand on lit le texte décrivant le mécanisme de restitution de 90 % des recettes sur trois ans, on y trouve une phrase sibylline, selon laquelle on ne peut pas rendre plus que ce qui a été prélevé. On ne saurait dire de manière plus limpide que le Dilico est récurrent !

En effet, si une collectivité paie 100 cette année, on lui rendra 30 l'année prochaine, à condition qu'on lui reprenne au moins 35, si ce n'est 50. Je m'explique : une collectivité a payé 100 au titre du Dilico, on lui rembourse 30, 30 et 30 sur les trois années suivantes, mais, aux termes de la loi, on ne peut lui rendre plus que ce qu'on lui prélèvera l'année suivante. Cela veut bien dire que le Dilico est récurrent...

M. Olivier Henno, président. - Nous avions compris de cette disposition qu'il était impossible de rendre plus globalement.

M. Michel Klopfer. - Chacun voit son retour plafonné. Ce plafond correspond au montant qui sera demandé au titre de l'opération de l'année suivante.

D'ailleurs, le jaune budgétaire « Transferts financiers de l'État aux collectivités territoriales », qui paraît chaque année vers le 15 octobre, indique clairement, par le biais d'un schéma, que le mécanisme mis en place par le Gouvernement est récurrent. Si vous m'indiquez une adresse électronique, j'enverrai ce schéma à la commission d'enquête.

M. Olivier Henno, président. - Je ne suis pas sûr que tout le monde ait compris le mécanisme ainsi...

Mme Marie-Claude Varaillas. - Un chiffre est toujours mis en avant : les collectivités locales à elles seules réaliseraient 70 % des investissements publics.

M. Olivier Henno, président. - Des investissements publics civils et non totaux.

M. Michel Klopfer. - Je peux également vous envoyer les statistiques établies depuis 1950 par l'Insee, soit bien avant la décentralisation : les collectivités locales représentent entre 55 % et 60 % des investissements publics totaux, civils et militaires, depuis quelques années.

Mme Marie-Claude Varaillas. - Les associations d'élus parlent de 70 % d'investissement public.

M. Michel Klopfer. - Il y a toujours des envolées lyriques dans les congrès.

Mme Marie-Claude Varaillas. - L'État, lui, consacre 10 % de sa dette à l'investissement.

M. Michel Klopfer. - Même moins.

J'ai déjà signalé des anomalies concernant le décompte des investissements publics. Par exemple, la DSIL et la DETR sont comptabilisées comme des dépenses de fonctionnement d'État et des recettes d'investissement des collectivités. Le déficit de fonctionnement est donc majoré.

Je donnerai l'exemple d'une autre anomalie. Dans la rédaction de M. Barnier, le projet de loi de finances comprenait 142 milliards d'euros de déficit total, fonctionnement et investissement compris, soit, d'après le texte, 5 % du PIB. Dans la rédaction de M. Bayrou, qui a été adoptée, le déficit total est de 139 milliards d'euros et représenterait 5,4 % du PIB. Cherchez l'erreur !

Mme Marie-Claude Varaillas. - La fiscalité a évolué : les départements ne disposent plus du tout de leviers fiscaux. Une partie d'entre eux se trouve même en autofinancement négatif.

M. Michel Klopfer. - La réalité est pire encore. Certains départements, que je ne citerai pas, auraient une épargne brute négative s'ils n'avaient pas réintégré la partie de droits de mutation qu'ils avaient mise en réserve l'année précédente.

M. Olivier Henno, président. - Sur ces remarques optimistes, la commission vous remercie de votre intervention, monsieur Klopfer.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Audition de M. Jean-Pierre Viola, conseiller maître, président de la section « Administration territoriale de l'état, finances publiques locales et certification des comptes des assemblées parlementaires » de la quatrième chambre de la Cour des comptes

M. Olivier Henno, président. - Mes chers collègues, nous poursuivons nos travaux avec l'audition de M. Jean-Pierre Viola, conseiller maître à la Cour des comptes, président de section à la quatrième chambre.

Monsieur Viola, le Sénat a décidé de la constitution d'une commission d'enquête dont l'objet est de travailler sur la libre administration des collectivités territoriales et le financement de services publics de proximité et de la transition écologique. Ce type de formation entraîne un certain formalisme juridique.

Je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je précise également qu'il vous appartient, le cas échéant, d'indiquer vos éventuels liens d'intérêts ou conflits d'intérêts en relation avec l'objet de la commission d'enquête.

Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Jean-Pierre Viola prête serment.

M. Olivier Henno, président. - Nous allons vous donner la parole pour une introduction d'une quinzaine de minutes au maximum, avant que le rapporteur et les membres de la commission d'enquête ne vous posent des questions. Avant cela, je laisse la parole à notre collègue Thomas Dossus pour qu'il vous présente les axes de travail de notre commission d'enquête.

M. Thomas Dossus, rapporteur. - Cette commission s'attache à enquêter sur les évolutions de l'autonomie des collectivités à la suite d'un certain nombre de réformes. Celles-ci ont fait naître des tensions du fait d'une plus forte dépendance des collectivités, victimes du redressement des comptes publics, au budget de l'État.

Nos premières auditions nous ont permis d'entendre des associations d'élus de collectivité, M. Dussopt ou encore la direction générale des collectivités locales (DGCL). La commission a besoin d'un éclairage de la Cour pour poursuivre ses réflexions sur la notion d' « autonomie budgétaire » et sur les effets de la déterritorialisation de l'impôt.

M. Jean-Pierre Viola, conseiller maître, président de la section « Administration territoriale de l'état, finances publiques locales et certification des comptes des assemblées parlementaires » de la quatrième chambre de la Cour des comptes. - La Cour établit chaque année un rapport annuel sur les finances publiques locales en application de l'article L. 132-8 du code des juridictions financières. Ce rapport contient deux fascicules. Le premier est publié en juin et porte sur la situation financière des collectivités territoriales et de leurs groupements pour l'année écoulée. Nous nous attachons à publier le second dans les premiers jours du mois d'octobre, afin de fournir à l'Assemblée nationale et au Sénat des éléments d'appréciation sur les perspectives financières des collectivités territoriales et leur inscription dans la trajectoire d'ensemble des finances publiques, telle qu'elle a été définie par le législateur et telle qu'elle résulte des documents adressés par le Gouvernement à la Commission européenne.

Dans le cadre de nos travaux, nous nous autosaisissons de certains sujets. Ainsi, en 2024, nous nous sommes penchés sur la dotation globale de fonctionnement (DGF). Cette dotation, malgré sa réduction en euros courants et en euros constants, reste un concours de premier plan de l'État aux communes, aux intercommunalités et aux départements.

Nous répondons également à des demandes du Parlement. Par exemple, l'année dernière, la commission des finances de l'Assemblée nationale nous a demandé de dresser un bilan d'ensemble des réformes de la fiscalité locale intervenues depuis 2017, du point de vue tant des ménages que des entreprises et des collectivités, en nous penchant sur les finances publiques de l'État et sur les finances publiques dans leur ensemble.

Dans le cadre de nos travaux, nous essayons de poser les termes des débats. Cela n'est pas évident au regard de l'extrême complexité de la structure de financement des collectivités locales, qui résulte de la sédimentation de décisions qui remontent, pour beaucoup, aux années 1980, parfois aux années 1970, et qui se sont accumulées au fil du temps en fonction d'objectifs qui ont évolué. L'ensemble forme un tout qui est peu compréhensible, peu lisible et qu'il est difficile de modifier, ne serait-ce que par manque de visibilité.

Nous nous attachons à jouer un rôle de tiers de confiance entre l'État et les collectivités locales, car nous sommes conscients des différences d'approche. Nous n'ignorons pas non plus les différences de terminologie, qui ont leur importance : quand on parle de déficit, de quoi parle-t-on du côté des collectivités locales et de l'ensemble des administrations publiques ?

Nous nous attachons, face au contexte d'extrême dégradation des finances publiques, à émettre des propositions qui aillent dans le sens de l'inscription des collectivités dans une trajectoire financière prévisible et partagée ; cette trajectoire doit également être équitable entre les différentes catégories de collectivités et au sein de chacune d'entre elles.

M. Thomas Dossus, rapporteur. - La Cour considère que les compensations de perte de recettes sont plutôt favorables aux collectivités, constat partagé par Olivier Dussopt et la DGCL. Toutefois, le ressenti des associations d'élus ou de collectivités, tel qu'il ressort des auditions, n'est pas le même. En tant que tiers de confiance, comment expliquez-vous ce décalage ?

M. Jean-Pierre Viola. - Nous avons mené nos analyses jusqu'à l'année 2024 comprise. Elles n'intègrent donc pas 2025, année qui marque une rupture dans la trajectoire des relations financières entre l'État et les collectivités locales. Je pense à la définition dans la loi de finances et la loi de financement de la sécurité sociale d'une mise à contribution importante des collectivités, quoiqu'inférieure à celle qui était initialement prévue dans le projet de loi de finances pour 2025.

Il nous semble que la différence de perception peut tenir aux périodes de référence. Les compensations de perte de recettes diffèrent selon l'année de référence choisie pour le calcul de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) ou selon l'appréciation des perspectives d'évolution des bases foncières en ce qui concerne la taxe d'habitation sur les résidences principales.

Sur le long terme, sauf mesures de gel décidées dans le cadre de la loi de finances, les recettes de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), principal instrument de compensation des réformes fiscales qui ont eu lieu, présentent l'avantage de progresser à un rythme similaire à celui du produit intérieur brut (PIB). Il est exact que, en 2023, les recettes de la TVA ont été en deçà, mais il ne faut pas oublier qu'elles avaient beaucoup plus augmenté que le PIB en 2021 et en 2022. Dans une certaine mesure, le recul de 2023-2024 est à considérer comme une correction post-crise covid des progressions de 2021 et de 2022, c'est-à-dire comme une forme de « sur-rebond » du produit de l'impôt par rapport à l'évolution de l'activité économique.

La TVA, par rapport à la taxe d'habitation, présente l'avantage de faire bénéficier les collectivités des évolutions de volume et prix des bases d'imposition dès l'année en cours, et non pas avec une année de décalage. Encore une fois, cela est fonction de l'évolution spontanée de la recette, ainsi que des mesures de la loi de finances concernant la répartition de cette recette entre l'État et les collectivités.

Pour citer une réaction de Départements de France, les observations tirées du passé n'ont pas nécessairement une valeur pour l'avenir. Jusqu'à présent, on a pu constater, année après année, pour les logements d'habitation, une augmentation des bases d'imposition foncière comprise entre un et deux points : cette hausse est significative en matière de volume. Avec l'application, même amendée, du « zéro artificialisation nette » (ZAN), on pourrait assister à l'avenir à une croissance en volume moins importante.

Il risque donc d'être nécessaire de trouver d'autres sources de financement. Ce constat n'aurait pas prévalu si les conseils départementaux avaient conservé la part départementale de la taxe foncière sur les propriétés bâties. Celle-ci a été réaffectée aux communes en compensation de la suppression de la taxe d'habitation sur les résidences principales.

Je confirme nos analyses relatives aux suppressions d'impôts et aux compensations par la TVA sur la période 2021-2024. L'année 2025 a marqué une rupture : l'estimation de réaffectation vers l'État des recettes de TVA est de l'ordre de 1,2 milliard d'euros. Selon la dynamique des parts locales, la TVA sera-t-elle rendue aux collectivités ou sera-t-elle partagée avec l'État dans la loi de finances pour 2026 ?

M. Thomas Dossus, rapporteur. - La Cour a-t-elle évalué le coût pour l'État de la suppression de la taxe d'habitation ? Plusieurs valeurs circulent à ce sujet...

M. Jean-Pierre Viola. - Nous avons évalué les pertes de recettes pour l'État de l'ensemble des réformes de la fiscalité locale : taxe d'habitation sur les résidences principales, CVAE et réduction de moitié des bases des locaux industriels assujetties à la taxe foncière sur les propriétés bâties et à la cotisation foncière des entreprises. J'ajoute à la liste une mesure adjacente : la suppression de la contribution à l'audiovisuel public, intervenue en 2022, auparavant adossée à la taxe d'habitation sur les résidences principales. En éliminant les effets de retours en faveur de l'État, nous avons estimé cette perte de recettes à environ 38 milliards d'euros.

M. Thomas Dossus, rapporteur. - Annuellement ?

M. Jean-Pierre Viola. - Pour l'année 2024. La perte de recettes s'élève à une vingtaine de milliards d'euros pour la taxe d'habitation.

M. Thomas Dossus, rapporteur. - Alors même que ces impôts locaux ont été supprimés, l'État veut à présent faire contribuer les collectivités à la résorption du déficit. N'y a-t-il pas là une forme de double peine ? J'y insiste : les collectivités se sont vu supprimer des leviers fiscaux et il leur est demandé maintenant de se donner un tour de vis.

M. Jean-Pierre Viola. - Nous avons expliqué dans le rapport communiqué à l'Assemblée nationale (l'évolution de la répartition des impôts locaux entre ménages et entreprises et de la (dé)territorialisation de l'impôt) que les suppressions ou réductions d'impôts locaux représentaient une part importante - ce n'est pas le seul facteur - de l'évolution du déficit public dans son ensemble entre 2019 et 2024. Je vous laisse faire des déductions.

M. Olivier Henno, président. - Au fond, ces diminutions d'impôts ont été décidées indépendamment des enjeux relatifs aux collectivités, pour accroître la productivité des entreprises. Vous évoquez d'ailleurs ce point dans le rapport. Avez-vous des retours en la matière ? Avez-vous pu observer un effet sur les territoires ?

M. Jean-Pierre Viola. - Comme vous l'indiquez, les réformes fiscales ont été faites en fonction d'autres considérations que la structure souhaitable de financement des collectivités. Elles ont été décidées pour, d'une part, donner du pouvoir d'achat aux ménages et, d'autre part, améliorer la compétitivité des entreprises en réduisant les impôts dits de production qui pèsent sur le facteur travail ou sur le facteur capital.

En ce qui concerne spécifiquement les entreprises, nous manquons objectivement de recul pour apprécier les effets en matière d'investissement pour l'année 2024. En revanche, il est certain de notre point de vue qu'il y a eu un effet conjoncturel marqué au sortir de l'épisode de crise sanitaire de 2020 : la suppression de la part régionale de la CVAE représente une grande partie de l'amélioration de l'excédent brut d'exploitation des entreprises.

Cet effet conjoncturel d'amélioration de la rentabilité des entreprises nous semble tout à fait avéré pour 2021. Il est moins net pour la suppression des parts départementales, intercommunales et, à la marge, communales de la CVAE de 2023. Il va sans dire que les décisions ultérieures, qui étalent sur un nombre d'années croissant la suppression de cette cotisation, ont eu pour effet de priver la mesure d'un effet de signal à l'égard des entreprises, qui avait existé en 2021. En effet, le niveau des baisses, année après année, qui interviendra entre 2028 et 2030, tel qu'il est prévu dans la loi de finances pour 2025, est très faible et n'est pas de nature à être très remarqué par les entreprises.

Un point mérite d'être souligné. Comme l'était la taxe d'habitation sur les résidences principales, qui a été complètement supprimée, la CVAE est un impôt sujet à de fortes critiques, non sans fondement. Cette cotisation pèse sur la valeur ajoutée, laquelle est principalement consacrée à payer les salaires et les impôts de production, comme la taxe foncière sur les propriétés bâties. Faire peser la CVAE sur l'excédent brut d'exploitation ou le résultat final de l'entreprise aurait été d'une plus grande logique économique.

Autre difficulté : la CVAE est un impôt au barème progressif se fondant sur le chiffre d'affaires de l'année n-2. Cette réalité implique que deux entreprises ayant dégagé un même montant de valeur ajoutée ne connaîtront pas le même montant d'impôt, ce qui traduit un manque de neutralité de l'instrument et soulève donc une question d'équité. Incontestablement, la CVAE, assise sur un solde de gestion, est un impôt plus neutre que la taxe professionnelle historique à laquelle elle s'est pour partie substituée. Pour autant, elle présente un certain nombre d'imperfections, principalement du fait de son manque de neutralité à l'égard des entreprises en fonction de leur niveau de chiffre d'affaires, dans la mesure où ce n'est pas un impôt proportionnel.

- Présidence de Mme Corinne Féret, vice-présidente -

M. Thomas Dossus, rapporteur. - La suppression d'une première part de la CVAE a-t-elle eu un effet sur l'investissement économique des collectivités ? Avez-vous pu l'évaluer ? Mettre fin à cet impôt devait les inciter à développer l'emploi industriel.

M. Jean-Pierre Viola. - De manière générale, nous avons souligné dans le rapport communiqué à l'Assemblée nationale la disparition ou l'atténuation des liens contributifs habituels entre, d'une part, les ménages et les entreprises, et, d'autre part, les collectivités territoriales.

En ce qui concerne les entreprises, il demeure un lien avec les intercommunalités et, accessoirement, les communes, au travers de la taxe foncière sur les propriétés bâties et de la cotisation foncière des entreprises.

En revanche, les entreprises ne payent plus aucune rétribution pour les services qui leur sont rendus par les régions et les départements, alors qu'elles bénéficient d'externalités positives : le transport collectif de la part des régions, les routes de la part des départements. Le lien contributif est rompu...

De manière générale, les effets des réformes sont assez différents entre le bloc communal, d'une part, et les départements et régions, d'autre part. La différence se retrouve sur d'autres sujets.

M. Thomas Dossus, rapporteur. - Passons à la gouvernance des finances locales. Un certain nombre de débats opposent État et associations d'élus, comme la sincérité des transferts de charges. Quel type d'instance faudrait-il mettre en place pour garantir un débat transparent et sincère entre l'État et ses collectivités ? Je pense à la proposition de fusion de l'Observatoire des finances et de la gestion publique locales (OFGL) et du Comité des finances locales (CFL) en un observatoire des finances locales.

M. Jean-Pierre Viola. - Je ne me prononce pas, par définition, sur les questions de sincérité. En revanche, il semble clair pour nous qu'il y a un besoin de pédagogie, terme à ne pas interpréter dans le sens de « pédagogisme ». Il est important de connaître l'historique des décisions de financement et non de se contenter de regarder les plus récentes.

Il convient que l'État et les collectivités se penchent ensemble sur les notions de déficit et de besoin de financement, partagent un certain nombre de chiffres et l'interprétation qui en est faite, et programment des études destinées à faire apparaître la disparité des situations à l'intérieur de chaque échelon de collectivité.

De fait, chaque collectivité a des problématiques qui lui sont propres du fait de sa situation géographique, de sa population et de sa sociologie, de son activité économique et - il faut bien le dire - de l'empilement historique de décisions de financement. Au-delà de l'approche générale des blocs communaux, des communes, des intercommunalités, des départements et des régions, il y a besoin de mettre à plat les situations particulières.

Au regard de leur cas, il faut d'abord se pencher sur les départements. Nous commenterons dans notre prochain rapport sur les finances publiques locales les statistiques globales portant sur cet échelon, mais nous détaillerons aussi les situations particulières. En effet, quand les finances de certains départements sont incontestablement très dégradées, d'autres sont excellentes. Plusieurs mondes se juxtaposent, en réalité, à l'intérieur d'une même catégorie de collectivité. Objectiver ces différences, leurs causes et les remèdes qui peuvent y être apportés me semble essentiel.

Si les finances publiques locales peuvent être envisagées d'un point de vue interne, leur rattachement aux finances publiques dans leur ensemble est une question plus vaste. Les objectifs fixés dans la loi de programmation des finances publiques 2023-2027 n'étaient pas partagés - c'est le moins que l'on puisse dire - et n'étaient pas instrumentés. Aussi, ils n'étaient pas susceptibles d'être réalisés, même partiellement.

À vrai dire, non seulement les objectifs n'ont pas été atteints, mais les réalisations sont allées dans un sens exactement contraire : le besoin de financement des collectivités a crû bien au-delà des montants anticipés, principalement en raison d'une évolution beaucoup plus rapide que prévu des dépenses de fonctionnement. Les anticipations auraient elles-mêmes dû être partagées, examinées, en fonction de la possibilité de les voir advenir et discutées. Cela n'a pas été le cas. Il manque bel et bien une instance stratégique de haut niveau pour permettre la discussion.

À cet effet, le précédent ministre de l'économie et des finances avait mis en place le Haut Conseil des finances publiques locales. Deux réunions ont eu lieu, me semble-t-il. Elles se sont davantage traduites par une juxtaposition d'interventions que par une interaction des participants, en ce qui concerne l'analyse de la situation et des voies de passage possibles du point de vue de l'État et des collectivités.

Il ne faut pas se leurrer : la mise en place d'une structure en mesure de demander la réalisation de travaux à des tiers, qu'il s'agisse de l'OFGL, de la Cour des comptes ou de directions statistiques des ministères comme la DGCL ou la direction générale des finances publiques (DGFiP), ne préjuge de la nature ni des objectifs ni des instruments pour les atteindre.

M. Thomas Dossus, rapporteur. - Au sein même de l'État, comment percevez-vous les relations entre Bercy et la DGCL, qui constituent parfois une boîte noire ?

M. Jean-Pierre Viola. - Il m'est difficile de me prononcer. Vous avez auditionné la directrice générale de la DGCL. Il me semble que chacun est dans son rôle.

La véritable difficulté réside dans la définition d'une trajectoire de contribution des collectivités locales au redressement des finances publiques qui soit réaliste, partagée, prévisible, instrumentée et, ce n'est pas la moindre des considérations, équitable entre les différentes catégories de collectivités et au sein de chacune d'entre elles.

M. Thomas Dossus, rapporteur. - Un sujet est revenu à plusieurs reprises : la pluriannualité des contributions de l'État aux finances locales. Serait-il matériellement possible d'envisager un budget pluriannuel dans le cadre législatif actuel ? Faudrait-il une loi de programmation plus contraignante que les lois de programmation habituelles ? Nous sentons le besoin de visibilité des collectivités, eu égard à leurs besoins d'investissement et à l'évolution de certaines dépenses sociales liées au vieillissement ou à d'autres facteurs. De son côté, l'État doit redresser ses finances. La double injonction est d'autant plus compliquée que les deux échelles connaissent des tensions entre elles.

M. Jean-Pierre Viola. - Il est clair que la formule, parfois évoquée, d'une loi de financement des collectivités locales serait très lourde et très difficile à mettre en oeuvre, dans la mesure où cela impliquerait une troisième loi financière, en plus de la loi de finances et de la loi de financement de la sécurité sociale. Le temps parlementaire est contraint. Cela poserait nécessairement la question des instruments de maîtrise des dépenses qui seraient à prévoir dans le cadre de la loi, en cas de dérapage. Les collectivités seraient-elles disposées à les accepter ?

En revanche, une loi de programmation financière serait plus légère. Toutefois, il est vrai que, compte tenu du contexte à la fois politique et financier, il est difficile pour l'État de s'engager fermement sur une durée dépassant l'année. Une loi de programmation financière est typiquement le genre de mesure qui aurait vocation à être présentée en début de législature. Elle permettrait de donner aux collectivités la prévisibilité dont elles ont besoin, même dans l'éventualité d'imposition de contraintes plus importantes que ce que les intéressées souhaiteraient : le fait que certaines promesses, apparemment fermes, s'évanouissent au fil du temps, est problématique pour l'élaboration et l'exécution des budgets et, plus généralement, pour l'exercice des missions.

Mme Isabelle Briquet. - J'ai deux questions.

Premièrement, si j'ai bien compris, la Cour fera un rapport spécifique sur les départements, n'est-ce pas ?

M. Jean-Pierre Viola. - Dans le cadre de notre prochain rapport sur les finances publiques locales, dans lequel nous analyserons l'année 2024, nous nous pencherons plus particulièrement sur les départements et la disparité des situations.

Mme Isabelle Briquet. - Il existe pour les départements une inadéquation entre les recettes, essentiellement constituées des droits de mutation à titre onéreux (DMTO), et les compétences exercées. En effet, les DMTO rapportent le plus sur les côtes, Côte d'Azur, côte Atlantique et sans doute une partie de la Bretagne ; le constat vaut également pour les grandes villes attractives, mais il doit être nuancé par le fait que celles-ci ont des charges importantes. Le montant des recettes est donc inversement proportionnel aux charges : souvent, les départements côtiers ne sont pas ceux où les besoins sociaux sont les plus prégnants. Les DMTO y sont donc une recette contre-productive, compte tenu des compétences réellement exercées.

Deuxièmement, je suis très réservée sur une éventuelle loi de programmation des finances publiques locales : compte tenu du contexte, ne constituerait-elle pas, là encore, un amoindrissement de l'autonomie des collectivités, voire un nouvel attentat à la libre administration ? Sanctuariser des engagements dans un contrat mènerait à plus de contraintes.

M. Jean-Pierre Viola. - Il serait difficile de concevoir une loi de programmation des finances publiques locales sans introduire d'instrument destiné à encadrer l'évolution des dépenses, contrepartie à un certain nombre d'engagements : une telle loi aurait précisément pour objet de dégager un certain solde. Il faut évidemment apprécier dans quelle mesure les collectivités seraient disposées à accepter des contraintes.

De manière plus générale, le solde des collectivités est-il une simple prévision, communiquée annuellement à la Commission européenne et adoptée dans des lois de programmation des finances publiques, ou bien un objectif ? Il est essentiel de faire cette distinction : la réalité peut s'écarter de manière plus ou moins importante de la prévision, mais il faut se donner les moyens de parvenir à un objectif, de la manière la moins douloureuse possible pour les collectivités.

La Cour n'a cessé de s'exprimer dans quantité de rapports pour dénoncer l'inadéquation complète de la ressource DMTO à la nature des compétences des départements. En moyenne, ces derniers consacrent les deux tiers de leurs dépenses de fonctionnement, dépenses directes et indirectes, au domaine social. Ces dépenses sont rigides et évolutives : les départements ont très peu de marge de manoeuvre. Il n'est d'ailleurs pas souhaitable, du point de vue de l'accès au droit, de restreindre leur bénéfice. Face à cette rigidité, avoir des recettes cycliques, assises sur un segment d'activité particulier qui est soumis à une spéculation importante et donc à fluctuation, est un vrai problème.

Il faut également relever que les bases des DMTO sont très inégalement réparties entre les territoires : exprimées par habitant, on observe un rapport d'un à six avant péréquation nationale, et d'un à trois après péréquation. Reste à savoir si un tel écart est véritablement admissible du point de vue de l'homogénéité des compétences obligatoires des départements dans le domaine social.

Les DMTO ne constituent pas, à eux seuls, la source de déséquilibre du financement départemental. D'autres facteurs interviennent. On pourrait citer une fraction d'accises sur les énergies structurellement stagnante, voire orientée à la baisse. On pourrait citer également une dotation globale de fonctionnement composée de trois strates :

- une dotation forfaitaire, héritage de la taxe locale sur les ventes ;

- une dotation de compensation, censée couvrir des transferts de compétences très anciens, calculée en fonction des dépenses que l'État réalisait alors, et donc totalement déconnectée des besoins actuels ;

- et deux dotations de péréquation, qui opèrent une distinction entre départements urbains et non urbains, alors même que cette catégorisation n'a plus guère de sens. En réalité, un tiers des départements environ présente un profil mixte, à la fois urbain et rural.

Plus encore, ce que la péréquation de la DGF devrait intégrer - et qu'elle ne prend pratiquement pas en compte, hormis de façon marginale dans le cadre de la dotation de péréquation urbaine -, ce sont précisément les dépenses sociales. Or ces dernières n'interviennent pas dans les critères de répartition.

La somme de tous ces éléments conduit à une extraordinaire inadaptation par rapport aux besoins des départements.

À cela s'ajoute un dernier facteur d'inadéquation : la compensation des pertes liées à la suppression de la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB). Cette situation concerne également les régions et les intercommunalités, du moins pour la part de base. La répartition correspond de manière homothétique aux pertes de recettes de chaque collectivité. Ce mécanisme ne fait, en réalité, que consolider les inégalités préexistantes en matière de bases foncières, lesquelles sont elles-mêmes totalement déconnectées des besoins de financement.

La Cour des comptes plaide inlassablement pour une refonte complète de la structure de financement de l'ensemble des collectivités, en priorité des départements au vu de l'urgence. Cette refonte devrait permettre d'aller le plus loin possible dans la répartition des transferts financiers de l'État en fonction non plus de données historiques obsolètes, mais d'éléments contemporains de population, de ressources et de charges.

La difficulté est clairement avivée par les différences d'évolution démographique entre les départements. On recense environ quarante départements confrontés à un déclin démographique important d'année en année. À l'inverse, soixante départements, dont une trentaine de façon particulièrement marquée, connaissent une forte croissance démographique. Ces différences ne sont pas étrangères aux difficultés particulières rencontrées par certains départements, comme la Gironde, la Haute-Garonne, la Loire-Atlantique ou l'Ille-et-Vilaine. Je ne parle même pas de la Guyane et de Mayotte, où la dynamique démographique est encore plus prononcée.

Ces départements, caractérisés par une population en forte expansion, se trouvent confrontés à un système de ressources qui ne prend pas suffisamment en compte la variable démographique. L'enjeu du facteur démographique ne tient pas uniquement à la part de la population âgée ou très âgée, qui pèse sur les besoins au titre de l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) et des frais de séjour en établissement médico-social.

En définitive, le financement des départements repose sur une structure qui ne reflète pas les besoins actuels, territoire par territoire. Cela ne signifie pas que l'on ne retrouverait pas certains équilibres en redéployant autrement les ressources disponibles dans leur ensemble ; mais ces équilibres, à l'heure actuelle, n'existent pas. Il en résulte une juxtaposition de situations financières extrêmement disparates, tant dans leur nature que dans leur portée.

M. Laurent Somon. - Une étude a-t-elle été réalisée sur les effets de bord sur les dotations de la fusion des intercommunalités ? Je pense, notamment, à la suppression des dotations de péréquation comme la dotation de solidarité rurale (DSR) pour certaines communes qui fusionnaient dans des intercommunalités.

M. Jean-Pierre Viola. - Nous n'avons pas étudié cet angle-là.

M. Laurent Somon. - Dommage !

M. Thomas Dossus, rapporteur. - Nous lirons le rapport sur les départements avec attention. La Cour des comptes s'est régulièrement prononcée en faveur d'un meilleur fléchage des dotations d'investissement vers les investissements de transition écologique. Cette forme de contrainte supplémentaire est-elle compatible avec la libre administration des collectivités territoriales ? Faut-il leur permettre de recourir davantage à l'endettement pour financer ces trajectoires, qui sont décidées au niveau national ?

M. Jean-Pierre Viola. - La vérité, c'est que nombre de collectivités pourraient, dans l'absolu, s'endetter davantage. On observe, en particulier dans le bloc communal, mais également parmi les départements, des situations où les ratios de désendettement sont extrêmement favorables. Il existe même deux départements qui ne présentent aucun endettement. Je me borne à constater des situations contrastées : d'un côté, il y a des départements dont le ratio d'endettement atteint plusieurs dizaines d'années ; de l'autre, il existe des départements sans aucune dette ou avec une dette symbolique - de l'ordre d'une année de capacité de désendettement. Ils pourraient donc davantage s'endetter, surtout si les taux d'intérêt continuent à diminuer.

La question ne porte pas tant sur le niveau de l'endettement que sur son évolution. Cela renvoie au besoin de financement des collectivités. Les collectivités sont soumises à des règles budgétaires qui assurent globalement la maîtrise dans la durée des finances locales. Leur section de fonctionnement doit être équilibrée et il leur est interdit d'emprunter pour financer des dépenses de fonctionnement ou pour rembourser des emprunts, contrairement à l'État. Elles ne peuvent emprunter que dans le cadre de leur section d'investissement. Ce besoin de financement pèse donc sur la trajectoire d'ensemble des finances publiques. La problématique est donc d'intégrer les besoins de financement externes des collectivités au titre de l'investissement, notamment pour la transition écologique, dans le cadre global des finances publiques.

La difficulté que vous soulignez est plus large : il y a un impératif de transition écologique. Cet impératif doit trouver sa traduction dans les trajectoires financières. C'est un point sur lequel la Cour des comptes a déjà insisté à plusieurs reprises, mais cette préconisation n'a pas vraiment été prise en compte.

M. Thomas Dossus, rapporteur. - C'est-à-dire une évaluation globale des besoins d'investissement liés à la transition écologique ?

M. Jean-Pierre Viola. - Il faut intégrer les besoins liés à la transition écologique dans la trajectoire d'ensemble des finances publiques. Cela suppose sans doute de réallouer certaines dépenses, car nous ne vivons pas dans un monde de ressources infinies.

La difficulté centrale, qui ne concerne pas uniquement les finances locales, est la suivante : comment concilier des objectifs publics ambitieux avec une croissance économique structurellement faible, de l'ordre de 1 point ou de 1,5 point ? Nombre d'instruments et de politiques publiques ont été conçus dans un contexte où l'on tablait sur des croissances annuelles de 3 ou de 4 points. On rencontre la même difficulté à l'échelon local en raison de la dynamique spontanée de nombreux postes de dépenses, sociales ou non.

Tous les acteurs des finances publiques doivent désormais intégrer ces ambitions dans un contexte budgétaire beaucoup plus contraint, où la progression des ressources ne dépassera guère l'inflation, majorée de 1 point au mieux. Or ce n'est objectivement pas le cas aujourd'hui. Nos déficits ont donc malheureusement beaucoup augmenté.

M. Thomas Dossus, rapporteur. - Les trajectoires construites par l'État, notamment par le Secrétariat général à la planification écologique (SGPE), impliquent un doublement des investissements des collectivités dans la transition écologique. Est-ce atteignable sans provoquer un déséquilibre budgétaire ?

M. Jean-Pierre Viola. - Cela impose une réflexion globale sur l'ensemble des dépenses publiques. Certaines dépenses pourraient être réduites au nom de cette priorité, mais il faut également repenser l'ensemble des recettes, pas seulement la question de l'emprunt. Il s'agit aussi d'interroger la nature des ressources fiscales affectées aux collectivités, au regard de ces besoins nouveaux.

M. Thomas Dossus, rapporteur. - Que pensez-vous de l'idée d'une « dette verte » ou d'un traitement différencié de l'endettement selon la nature des investissements concernés ?

M. Jean-Pierre Viola. - Nous n'avons pas expertisé cette possibilité. La dette resterait une dette financière dès lors qu'elle est levée par emprunt. Elle entre donc dans le périmètre de la dette publique, quel que soit son objet. C'est moins une question de qualification que d'adaptation des priorités budgétaires à des objectifs de politique publique qui, eux, évoluent rapidement.

Mme Marie-Claude Varaillas. - Le Premier président de la Cour des comptes, M. Pierre Moscovici, lors de son audition par la commission du développement durable, a affirmé que nous étions devant un « mur d'investissement » en matière de transition écologique. Depuis lors, divers outils ont été mis en place : le fonds vert, MaPrimeRénov', etc. Dans le même temps, on relève 38 milliards d'euros d'exonérations fiscales alors que nous cherchons 40 milliards d'économies pour 2026. Ces chiffres, qui nourrissent légitimement notre inquiétude, parlent d'eux-mêmes...

M. Jean-Pierre Viola. - Je n'ai rien à ajouter à ce constat, que je ne me permettrai pas de contredire.

Sur le « mur d'investissement », il faut intégrer dans l'analyse le rôle de l'endettement privé : celui des ménages, mais aussi celui des entreprises. Il est évident que ce mur ne pourra pas être abattu uniquement, ni même principalement, par les acteurs publics, dont, faut-il le rappeler ? Les ressources proviennent de toute manière des ménages et des entreprises. Quoi qu'il en soit, l'absence d'intégration explicite de la transition écologique dans la trajectoire d'ensemble des finances publiques constitue une limite majeure à la planification financière.

Mme Marie-Claude Varaillas. - D'autres ressources pourraient aussi être mobilisées. Lors de l'examen du projet de loi de finances, nous avons rappelé que le patrimoine des plus fortunés de ce pays est passé de 600 milliards d'euros en 2017 à 1 300 milliards aujourd'hui. On pourrait imaginer qu'ils participent, ne serait-ce qu'un peu, à l'effort collectif. Quelques petits pourcentages suffiraient peut-être à nous sauver la mise...

M. Laurent Somon. - Vous avez dit que beaucoup de collectivités pourraient s'endetter plus dans l'absolu, en particulier dans le bloc communal. Mais il faut aussi regarder les niveaux de strates : plus les communes sont petites, plus elles ont un taux d'épargne élevé, mais leur capacité à mobiliser des fonds reste faible. Avec un taux moyen de 350 euros d'investissement par habitant en 2023, si j'en crois une étude du cabinet Klopfer, la somme n'est pas la même selon que la commune compte 100 habitants ou 100 000 habitants ! D'où la difficulté rencontrée par les petites collectivités pour mobiliser suffisamment de fonds pour réaliser des travaux.

Par ailleurs, c'est un raisonnement qui peut s'avérer dangereux, car l'objectif demeure celui de désendetter le pays. Or les collectivités locales contribuent à cet endettement via les emprunts qu'elles peuvent contracter. Il faudrait, à partir de l'épargne brute et de la capacité de désendettement, envisager des critères permettant de moduler les dotations ou les aides à l'investissement versées par l'État, dans le but de réduire les frais de fonctionnement. Une collectivité dont la capacité de désendettement serait, disons, de quinze ans, devrait être incitée à faire des efforts pour se désendetter. Elle ne devrait pas, à l'inverse, être encouragée à engager de nouveaux investissements qui viendraient encore aggraver son endettement. De la même manière, des communes plus petites, disposant de capacités d'épargne élevées, ne devraient pas être poussées à emprunter excessivement, car, plus on cumule les possibilités d'endettement, moins on résout le problème de l'endettement national.

M. Jean-Pierre Viola. - Sur la question de l'endettement national, pour être tout à fait objectif, l'endettement des collectivités est plutôt stable en proportion du produit intérieur brut, voire légèrement déclinant année après année. Il ne constitue donc pas, en soi, un facteur de risque pour l'ensemble des finances publiques.

En ce qui concerne les différences de niveaux d'épargne entre collectivités - et l'on pourrait dire entre catégories de collectivités -, une question sous-jacente pourrait être posée : celle d'un redéploiement des ressources afin de mieux couvrir les besoins les plus urgents.

Il est en effet frappant de constater que les différentes catégories de collectivités disposent de capacités très variables pour exercer des compétences obligatoires ou quasi obligatoires. Je pense, notamment, aux cantines scolaires. S'agit-il d'une situation normale ? La question mérite d'être posée.

Ces inégalités de ressources et de capacités d'épargne peuvent, bien sûr, être liées à la qualité de la gestion locale, mais elles peuvent aussi découler d'inégalités de répartition, d'inégalités de découpage territorial, d'inégalités d'implantation de l'activité économique, etc. Tous ces facteurs engendrent des inégalités très fortes.

C'est pourquoi la Cour des comptes a préconisé de renforcer la péréquation verticale dans le cadre de la dotation globale de fonctionnement, voire de « casser » le système actuel de la DGF. Aujourd'hui, ce système juxtapose des dotations héritées du passé et des dotations de péréquation. Il conviendrait de procéder à une redistribution intégrale fondée sur des données contemporaines. Il conviendrait également de renforcer la péréquation horizontale, y compris dans le cadre du fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales (Fpic).

Mme Corinne Féret, présidente. - Merci beaucoup de ces précisions et de votre participation à nos travaux.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 18 h 35.