- Mardi 20 mai 2025
- L'état des lieux de la santé mentale depuis la crise sanitaire - Audition de M. Daniel Zagury, psychiatre
- L'accès direct pour certains produits de santé post-avis de la Haute Autorité de santé - Audition de M. Olivier Pilley, directeur général d'Incyte Biosciences France, Mme Catherine Paugam, directrice générale de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, M. Alexandre de la Volpilière, directeur général adjoint chargé des opérations, de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), Mmes Floriane Pelon, directrice de l'évaluation et de l'accès à l'innovation de la Haute Autorité de santé (HAS), Juliette Moisset, directrice de l'accès et des affaires économiques de Les entreprises du médicament (Leem), Clélia Delpech, sous-directrice au financement du système de soins, et Bénédicte Colnet, cheffe de bureau, de la Direction de la sécurité sociale (DSS)
Mardi 20 mai 2025
- Présidence de M. Alain Milon, président -
La réunion est ouverte à 14 h 30.
L'état des lieux de la santé mentale depuis la crise sanitaire - Audition de M. Daniel Zagury, psychiatre
M. Alain Milon, président. - Mes chers collègues, nous nous réunissons aujourd'hui pour entendre Daniel Zagury, psychiatre des Hôpitaux et expert près la cour d'appel de Paris, sur l'état des lieux de la santé mentale depuis la crise sanitaire.
Cette audition fait l'objet d'une captation télévisuelle, diffusée en direct sur le site du Sénat, puis accessible en ligne.
L'audition de M. Zagury, formellement réalisée par la Mecss, doit en fait - comme celle de M. Gaillard la semaine dernière - être rattachée à la mission d'information en cours de notre commission sur l'état des lieux de la santé mentale en France depuis la crise sanitaire, actuellement menée par Jean Sol, Daniel Chasseing et Céline Brulin.
Monsieur le professeur, nous vous remercions d'avoir répondu à l'invitation de la Mecss. Je vous invite, dans un premier temps, à tenir un bref propos liminaire, d'environ dix minutes. Les sénateurs présents, à commencer par les rapporteurs de la mission d'information de la commission, pourront ensuite vous interroger. Vous avez la parole.
M. Daniel Zagury, psychiatre des Hôpitaux et expert près la cour d'appel de Paris. - J'ai apporté deux exemplaires du livre que j'ai consacré à la crise de la psychiatrie publique. Ce livre m'a valu beaucoup moins de sollicitations que celui que j'ai consacré à Xavier Dupont de Ligonès. En effet, la psychiatrie est un sujet lourd et grave.
Le terme de santé mentale mérite une explication. Apparu au Congrès de Londres en 1948, il a remplacé celui d'hygiène mentale. Il avait émergé dans les années 1920-1930 pour désigner un vaste programme de santé publique appliqué à l'ensemble de la population, en matière de dépistage, d'orientation scolaire, etc. Dans les années 1970, la notion de santé mentale positive a été introduite au Québec. Conjointement, le terme de psychiatrie a été remplacé par celui de santé mentale.
Le bien-être de tous a ainsi remplacé la maladie de quelques-uns. Si la santé mentale s'étend bien au-delà de la psychiatrie, un continuum apparaît cependant entre les deux notions. À mon sens, les « troubles sévères de la santé mentale » que l'on retrouve parfois mentionnés sont tout simplement des troubles psychiatriques. À cet égard, le livre de Nicolas Demorand qui ose dire « je suis un malade mental » m'apparaît tout à fait salvateur. Il importe d'appeler les choses par leur nom. Il me semble qu'un continuum existe également en matière d'organisation des soins et de prévention.
Lorsque j'ai écrit ce livre, au moment où je prenais ma retraite, j'ai cherché à réfléchir aux raisons pour lesquelles nous avions glissé progressivement vers la situation catastrophique que tous reconnaissent aujourd'hui. À cet égard, il convient de remercier Agnès Buzyn d'avoir sorti l'État du déni. Les rapports ont pourtant été nombreux. Ainsi, je trouve remarquable le rapport du Sénat sur l'expertise psychiatrique, mais je m'interroge sur son impact.
La pandémie du covid-19 a révélé plusieurs phénomènes : le fiasco de la bureaucratie, la force du terrain, sa mobilisation face à l'urgence et le retour de la référence au secteur, comme les possibilités de conjonctions d'énergie entre les administrations et les équipes. Les échanges avec les administrations, voire leur soutien, tels que je les ai connus au début de ma carrière, ont aujourd'hui totalement disparu.
Le rassemblement des courants de la psychiatrie me semble la seule issue. J'espère que Raphaël Gaillard, que vous avez auditionné, pourra l'incarner.
Sous couvert de déstigmatisation et en réaction à des excès antérieurs, un modèle hégémonique s'est instauré. Il considère que la psychiatrie est une spécialité médicale comme les autres et fait passer au second plan le modèle de psychiatrie biopsychosociale, entraînant une régression de l'attractivité de la discipline auprès des étudiants. De même, les infirmiers se trouvent déplacés de service en service. Or la psychiatrie est à la fois une vocation et une pratique très particulière par rapport aux autres spécialités médicales. Ainsi, cette volonté de déstigmatisation se révèle contreproductive et conduit paradoxalement à une surstigmatisation.
La loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, dite loi HPST, a transféré tout le pouvoir aux managers hospitaliers. Avec mon confrère Vincent Mahé, nous avions donné un nom de maladie à cette évolution : la « bureaucratose ». La situation est insupportable pour les confrères de ma génération qui voient leurs idéaux attaqués. Elle provoque de nombreux départs, même chez de jeunes talents, car les médecins ont perdu leur pouvoir fonctionnel sur leur propre service. Sans restaurer le mandarinat, il serait nécessaire de donner un peu de pouvoir aux médecins qui organisent des équipes. Progressivement, la hiérarchie infirmière a basculé du côté de l'administration. J'ai vu surgir un monde de protocoles, de procédures, de programmes et de réunions qualité, tandis que la qualité des soins s'effondrait.
Le recours exagéré à la contention et à l'isolement constitue un autre symptôme de la catastrophe. Des équipes solidement pourvues, structurées et soudées, peuvent permettre d'éviter la contention, mais des services exsangues y ont plus souvent recours.
Je consacre aussi quelques pages de mon livre aux gardes. Les médecins de garde sont transformés en bed managers, faute de lits disponibles. Les psychiatres des urgences veulent hospitaliser, tandis qu'en aval les services freinent le plus possible. Les conséquences en sont épouvantables, avec par exemple des patients chargés dans des ambulances sans accord médical.
Se pose aussi la question des médecins à diplôme étranger. La psychiatrie implique de maîtriser la langue pour échanger avec les patients en souffrance. Or, j'ai vu des médecins recrutés alors qu'ils ne parlaient presque pas français.
La première des solutions ne concerne peut-être pas directement votre instance. La psychiatrie est une discipline hétérogène, constituée de multiples courants et pratiques, dont l'unité requiert un dialogue avec les pouvoirs publics. Le morcellement syndical et des écoles constitue à cet égard une catastrophe.
Dans les années 1980, nous avons assisté à une prise de pouvoir par les universitaires, qui n'ont pas la même culture que les psychiatres hospitaliers. Une bipartition de la psychiatrie s'est opérée. À titre d'exemple, la psychiatrie de secteur n'est presque pas enseignée, conduisant à une séparation entre « laboureurs du secteur » et « savants hospitaliers ». J'émets dans mon livre plusieurs propositions pour y remédier.
Une loi-cadre définissant le rapport entre le pays et sa psychiatrie me semble nécessaire. Il conviendrait qu'elle précise si le secteur reste un modèle, qui n'a pas vocation à être exclusif. En effet, certains soins (alcoolisme, toxicomanie...) requièrent des équipes plus spécialisées. Il faut donc un quadrillage sectoriel, mais aussi une ouverture.
Il convient aussi de restaurer le pouvoir fonctionnel des médecins. Avec la loi de 2011, la maladie mentale a été stigmatisée au plus haut niveau de l'État. L'instrumentalisation des faits divers sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy a été désastreuse pour l'image de la psychiatrie. Cette loi a été imposée sans discussion avec les psychiatres, contrairement à celle de 1838 qui avait fait l'objet de 18 mois d'échanges entre aliénistes et parlementaires. Il y a tout de même des leçons à retenir de ceux qui nous ont précédés.
Je crois qu'il est fondamental d'encourager toutes les énergies, les expériences, les intelligences collectives et les créativités pour contrebalancer le poids de la « bureaucratose ». À mon sens, il n'existe aucune contradiction entre le renforcement d'un dispositif de base, le secteur, et des lieux de soins spécifiés pour l'alcoolisme, la toxicomanie, la dépression, le burn-out, les équipes mobiles et précarité...
Concernant le quadrillage géographique, les administrations supportent mal l'inégalité des choix de soin entre les secteurs. Cependant, les expériences de terrain et l'originalité des cultures d'équipe sont facteurs de progrès.
Il m'apparaît fondamental que les psychiatres et les infirmiers disposent d'une formation spécifique, mais ouverte à toutes les dimensions de la psychiatrie. À mon sens, il faut encourager toutes les initiatives qui font converger les courants, comme la présence des services universitaires dans les établissements publics de santé.
Pour conclure, les témoignages sur la honte d'être malade, comme celui de Nicolas Demorand, peuvent être propices à un réenchantement. Il faut faire confiance au terrain, lui permettre d'exprimer sa créativité et ses intelligences collectives, pour réenchanter la psychiatrie sans se cacher derrière la santé mentale. À défaut, la psychiatrie lourde risque de devenir une sorte de défectologie dans la cité.
M. Alain Milon, président. - Je laisse la parole à Jean Sol.
M. Jean Sol. - Mes questions seront peut-être redondantes, car beaucoup a déjà été dit. La première portera sur la démographie des psychiatres en France. Il nous a souvent été dit que, malgré certaines avancées, la psychiatrie souffrait toujours de quelques préjugés au regard d'autres spécialités médicales et que cette image la handicapait pour susciter les vocations. Pensez-vous que les choses changent vraiment ? Et comment aider la psychiatrie à se débarrasser de toutes ces mauvaises représentations ?
Deuxièmement, nous aimerions avoir votre point de vue d'expert sur ce qu'on pourrait appeler une « psychiatrisation de la radicalité », c'est-à-dire la tendance à expliquer les attentats et autres actes d'une violence insoutenable, commis cette dernière décennie, par l'existence d'un trouble psychiatrique chez les auteurs des faits. Certains psychiatres nous ont d'ailleurs dit que cette association souvent médiatique entre problème psychiatrique et violence radicale contribuait à façonner une mauvaise image de la psychiatrie. Qu'en pensez-vous ?
M. Daniel Zagury. - Le lien entre psychiatrie et radicalité est mon sujet de prédilection. J'ai cherché à expliquer cette question difficile dans un article publié dans Marianne. J'y indiquais que la haine de la France n'était pas une maladie mentale.
Avec la fin de Daesh, de plus en plus de sujets mêlés à des actes terroristes présentent soit des troubles sévères de la personnalité, soit des maladies mentales. J'ai ainsi été consulté sur des affaires complexes qui donnaient lieu à des querelles d'experts.
Pour aller à l'essentiel, il peut arriver qu'un sujet schizophrène décompense et s'identifie de façon héroïque à un terroriste. En effet, les malades mentaux délirants, les psychotiques, puisent dans l'air du temps des modèles d'action. Dans mon expérience, je n'en ai pas vu plus de trois ou quatre.
Si la psychose se traduit par le passage à l'acte, il faut conclure à l'irresponsabilité pénale, mais le cas est rare. En revanche, quand la psychose se mêle à d'autres éléments (radicalisation, revendication sur les réseaux sociaux, islamisation progressive, comportements ciblés visant les non-musulmans...), il ne s'agit plus exclusivement de maladie mentale. Il faut alors laisser le tribunal décider.
Certains psychiatres sont choqués quand un sujet halluciné, avec une authentique affection psychiatrique, est jugé responsable. Cependant, une revendication du geste sur internet, une radicalisation et l'expression d'une haine de la France ne relèvent pas de la maladie mentale.
Cette intrication de facteurs est de plus en plus fréquente et la situation évolue très rapidement. De fait, le profil psychologique des terroristes a évolué depuis 2001. Après les personnalités structurées des débuts, sont apparus progressivement des petits délinquants instables, toxicomanes, etc., qui se rachetaient une deuxième vie dans la probité islamiste. Aujourd'hui, nous observons de plus en plus de sujets très déstructurés qui passent à l'acte.
Le public est choqué, à juste titre, par cette psychiatrisation excessive. La réaction médiatique se limite à une alternative simpliste entre maladie mentale et terrorisme, alors qu'en réalité, les deux phénomènes sont intriqués. À mon sens, il nous faut réfléchir à des modèles un peu plus complexes qui intègrent cette intrication. En effet, de plus en plus de sujets en errance, malades ou troublés se saisissent de la revendication islamiste. Il est très difficile pour les responsables politiques d'analyser ce qui relève de l'équation individuelle et ce qui relève d'autres facteurs.
M. Jean Sol. - Vous aviez apporté des éléments de réponse à ma première question lors de votre propos liminaire. Je relaierai donc celles de Céline Brulin, qui ne peut malheureusement être présente.
Il nous a été rapporté que certains centres hospitaliers psychiatriques assurent un nombre croissant de prises en charge de personnes ayant commis des actes criminels. Or, ces établissements n'ont pas toujours la capacité d'assurer leur prise en charge dans de bonnes conditions, tant pour les patients que pour le personnel médical. Quelles seraient vos recommandations sur ce sujet ?
Plus largement, et comme souvent dans le champ de la santé, nos travaux ont mis en lumière des difficultés de coordination des différents acteurs qui concourent à la prise en charge des patients : établissements psychiatriques, santé scolaire, établissements médico-sociaux, préfecture pour les soins sans consentement, élus locaux... Pensez-vous que les outils de concertation mis en avant (projets territoriaux de santé mentale, conseils locaux de santé mentale) sont la solution ?
M. Daniel Zagury. - Concernant cette deuxième question, la logique même du secteur reposait sur une coordination avec les autres acteurs. Cette coordination fonctionne bien quand le secteur est performant et bien inscrit dans la vie sociale des communes. Or certains secteurs sont désertés ou insuffisamment dotés de psychiatres. Dans ces conditions, nous sommes à la croisée des chemins. Le secteur demeure-t-il un modèle ? Si oui, il doit être complété, comme je l'indiquais précédemment.
Sur le sujet des criminels, je connais des situations individuelles extrêmement préoccupantes. Certains sujets peuvent être maintenus dans les unités psychiatriques alors que les psychiatres les estiment guéris, parfois depuis longtemps, voire très longtemps. Ces situations sont totalement inacceptables.
De fait, plus une équipe est démunie en personnel qualifié, moins elle pourra affronter des patients particulièrement difficiles. Les services cherchent à orienter ces patients vers les unités pour malades difficiles, mais celles-ci sont saturées. J'ai récemment discuté avec un chef de service qui m'a signalé une augmentation de 20 % des demandes cette année.
La fluidité de l'ensemble du système est ainsi rompue : les unités pour malades difficiles étant saturées, les unités de secteur hospitalières sont contraintes de garder des patients au-delà de leurs capacités de contention et de soins.
M. Daniel Chasseing. - Ma première question concerne le suivi des patients. Pensez-vous que le manque de suivi ait une incidence sur la survenance de phases de décompensation et d'actes violents ? Nos travaux mettent en avant la nécessité de développer les équipes mobiles permettant d'éviter les ruptures de suivi. Partagez-vous ce constat ?
En second lieu, il semble que les centres médico-psychologiques (CMP) et la sectorisation soient aujourd'hui à bout de souffle. Pensez-vous qu'une des mesures prioritaires pour la psychiatrie publique soit de renforcer ces CMP notamment dans leurs moyens humains, en y adjoignant notamment des infirmières de pratique avancée (IPA) en psychiatrie et santé mentale ? Avec la coordination du médecin psychiatre, ces infirmières peuvent prescrire des médicaments à des malades stables, sachant qu'elles peuvent appeler le psychiatre en cas d'épisode aigu.
M. Daniel Zagury. - Les visites à domicile, évidemment fondamentales, s'organisent à partir du CMP, non des équipes mobiles. Celles-ci peuvent s'occuper de la précarité ou des urgences. Toutes les expériences sont à respecter, à partir du moment où elles trouvent à agir là où elles sont situées.
Les études sont très claires : plus la présence et l'encadrement sont développés après l'hospitalisation, moins les actes de violence sont nombreux. Ainsi, une étude montre qu'un patient vu toutes les semaines commet quatre fois moins d'actes de violence qu'un patient vu tous les mois.
L'essentiel est de redonner à la psychiatrie son prestige et de réduire la bureaucratisation. L'administration devrait aider les équipes, non leur imposer des principes rigides.
Par exemple, un même service peut recevoir des injonctions contradictoires, comme l'interdiction de laisser fumer les patients en chambre d'isolement au nom de l'hygiène et la critique de cette même interdiction comme une atteinte aux droits des patients. La réalité du soin consiste à adapter les pratiques à l'évolution de l'état du patient, non à appliquer des principes. Un autre exemple concerne les relations sexuelles où la protection des patientes vulnérables se voit opposer un principe de liberté.
De même, la circulation des patients en pyjama porterait atteinte à leur dignité. Il est paradoxal qu'un administratif vienne parler de dignité du patient à des professionnels dont toute la vocation est justement de restaurer celle-ci. La parole du praticien n'est plus écoutée ni respectée. Dans un tel contexte, il ne faut pas s'étonner de la diminution des vocations et des départs.
Il est nécessaire de rééquilibrer les pouvoirs fonctionnels entre l'administration et les médecins en restaurant leur capacité d'agir sur leur propre équipe.
Mme Cathy Apourceau-Poly. - En vous écoutant, nous comprenons que les vocations soient de moins en moins nombreuses, compte tenu des difficultés auxquelles vous faites face.
Mon inquiétude porte également sur la pédopsychiatrie. Dans mon département, un hôpital ne dispose plus de pédopsychiatres, laissant 2 500 familles sans aucun suivi. Je pense également aux enfants de l'aide sociale à l'enfance (ASE) placés en famille d'accueil, dont un pourcentage significatif est en situation de handicap ou en difficulté psychologique, du fait de la maltraitance, de l'instabilité des placements, etc.
À mon sens, c'est un cercle vicieux, car nous sommes passés d'environ 1 200 pédopsychiatres en 2009 à environ 700 aujourd'hui. C'est une catastrophe. Je pense qu'il faut former beaucoup plus, redonner de la noblesse à ce métier et desserrer certains étaux, comme les principes dans lesquels vous avez indiqué être enfermés.
Je souhaiterais vous demander votre opinion sur les IPA, dont beaucoup se forment, notamment en psychiatrie. Pensez-vous qu'ils pourront apporter une aide efficace au regard du manque de moyens que nous rencontrons tous et toutes ?
M. Alain Milon, président. - Compte tenu du temps qui nous reste, je vous propose d'écouter d'autres questions et de répondre globalement.
Mme Annie Le Houérou. - Je poursuivrai d'abord sur les études de santé. À quel moment voyez-vous la spécialisation en psychiatrie ? Faut-il revenir aux infirmiers en psychiatrie tels qu'ils existaient précédemment ou opter pour une spécialisation après des études de santé, comme pour les infirmiers anesthésistes (IADE) et les infirmiers de bloc opératoire (Ibode), indépendamment des formations complémentaires pour exercer en pratique avancée ?
Mon autre question concerne la sectorisation, sur l'organisation de laquelle j'ai cru entendre que vous aviez quelques interrogations. Quelle serait donc pour vous l'organisation idéale ? Faut-il rattacher des services psychiatriques à des hôpitaux généraux ? En effet, la sectorisation permet quand même d'assurer sur un territoire donné un maillage fort avec des établissements bien identifiés et de nombreuses interventions hors les murs.
M. Daniel Zagury. - Je me suis mal fait comprendre. Après l'avoir pratiquée pendant trente ans, je suis partisan de la sectorisation comme maillage de base, mais je reconnais ses limites. Par exemple, elle ne répond pas aux problématiques de délinquance sexuelle. Des activités transsectorielles, intersectorielles et spécifiques, des articulations avec les services universitaires sont donc également nécessaires. Cependant, cette organisation complexe ne doit pas s'élaborer dans les administrations, mais sur le terrain.
À propos des infirmiers, je précise que la psychiatrie publique est un travail de co-élaboration. À cet égard, les temps de réunion, que les administrations jugeaient coûteux, étaient essentiels. Ils permettaient à tous (assistantes sociales, infirmiers, psychologues, éducateurs, art-thérapeutes, psychiatres, internes...) de donner leur avis.
Pour ma part, j'ai été enchanté de travailler avec des infirmiers psychiatriques, compte tenu de leur culture dans ce domaine. Pour le reste, j'estime que plus les équipes comporteront de soignants motivés, moins elles seront démunies quantitativement et qualitativement, et mieux elles travailleront. J'appartiens à une génération de militants du service public, mais je constate la disparition de cet état d'esprit.
Mme Corinne Imbert. - Je rebondis sur les limites de la sectorisation. Ne sont-elles pas atteintes pour les conseils départementaux au titre de l'aide sociale à l'enfance ? Cela rejoint le problème de la pédopsychiatrie. En effet, les services de l'ASE accompagnent parfois des jeunes en grande difficulté, qui peuvent présenter des troubles psychiatriques conséquents pour lesquels ils ont peu de réponses. La sectorisation ne pourrait-elle pas être amendée, au moins pour ce type de situations ?
Ma seconde question n'a rien à voir. Que pensez-vous de la facilité de prescription des antidépresseurs ? Doit-elle être réservée aux médecins spécialistes, même si leur nombre se réduit de plus en plus ?
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. - Je constate également le manque de pédopsychiatres.
À Arras, le service psychiatrique fonctionne bien aujourd'hui et a retrouvé une attractivité, alors qu'il n'y avait plus de psychiatres il y a vingt ans. Dans le service public, l'accueil est bien fait pour les situations de crise, mais le suivi n'est pas vraiment de qualité. Les patients sont renvoyés vers des cliniques spécialisées où le service laisse à désirer. Or les patients hospitalisés temporairement pour dépression représentent la grande majorité.
Quant aux cas difficiles de schizophrénie, ils se retrouvent en ville, car les contrôles périodiques ne sont pas bien effectués. Face au danger, j'ai dû organiser plusieurs fois des réunions avec procureur, juge et commissaire de police pour mettre les psychiatres devant leurs responsabilités.
M. Daniel Zagury. - Vous avez dit que dans les situations de crise, le service se montre fonctionnel et réactif, ce qui est déjà beaucoup. Cela étant, une équipe bien constituée, bien étoffée et bien coordonnée doit normalement assurer la continuité des soins. Telle est l'essence même de la philosophie du secteur.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. - N'étant pas médecin, je parle de l'extérieur, mais j'ai eu l'impression que les principes de liberté l'emportaient sur l'accompagnement et le soin. J'ai alors eu le sentiment qu'il fallait forcer la décision d'un responsable pour pouvoir modifier un comportement à mon sens inapproprié, compte tenu des difficultés engendrées dans la ville.
M. Daniel Zagury. - Sans être un grand spécialiste concernant la prescription des antidépresseurs, je peux dire que, dans ma carrière d'expert judiciaire, j'ai pu observer que beaucoup de victimes se voient prescrire un antidépresseur très précocement et pas toujours de façon adaptée. Pire encore, la prescription peut être maintenue pendant plus de cinq ans.
Feu Jean-Pierre Olié disait que les antidépresseurs étaient mal prescrits, plutôt que trop prescrits. En tout état de cause, il apparaît que les médecins généralistes les prescrivent facilement pour des accidents de vie qui relèveraient peut-être d'autres approches.
M. Alain Milon, président. - Vous avez insisté sur la coordination et le travail en commun des différentes équipes. Pour autant, beaucoup de personnes atteintes de maladies psychiatriques sont affectées de comorbidités mal suivies.
M. Daniel Zagury. - En effet, la question des comorbidités est fondamentale. L'espérance de vie des malades mentaux est amputée de dix ans. Les soins somatiques aux malades mentaux sont essentiels, dans les hôpitaux comme dans les services extrahospitaliers. Personnellement, j'ai eu la chance de travailler avec un pionnier dans ce domaine.
M. Alain Milon, président. - Merci beaucoup, Monsieur le professeur, pour vos éclairages.
L'accès direct pour certains produits de santé post-avis de la Haute Autorité de santé - Audition de M. Olivier Pilley, directeur général d'Incyte Biosciences France, Mme Catherine Paugam, directrice générale de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, M. Alexandre de la Volpilière, directeur général adjoint chargé des opérations, de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), Mmes Floriane Pelon, directrice de l'évaluation et de l'accès à l'innovation de la Haute Autorité de santé (HAS), Juliette Moisset, directrice de l'accès et des affaires économiques de Les entreprises du médicament (Leem), Clélia Delpech, sous-directrice au financement du système de soins, et Bénédicte Colnet, cheffe de bureau, de la Direction de la sécurité sociale (DSS)
M. Alain Milon, président. - Nous en venons maintenant au second point de notre ordre du jour, une table ronde sur l'expérimentation de l'accès direct post-HAS, l'accès précoce et l'accès compassionnel. Nous entendrons ainsi : Mme Catherine Paugam, directrice générale, et M. Alexandre de la Volpilière, directeur général adjoint chargé des opérations, de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) ; Mme Floriane Pelon, directrice de l'évaluation et de l'accès à l'innovation de la Haute Autorité de santé (HAS) ; Mmes Clélia Delpech, sous-directrice au financement du système de soins, et Bénédicte Colnet, cheffe de bureau, de la direction de la Sécurité sociale (DSS) ; Mme Juliette Moisset, directrice de l'accès et des affaires économiques de Les entreprises du médicament (Leem) ; et M. Olivier Pilley, directeur général d'Incyte Biosciences France.
La table ronde fera l'objet d'une captation télévisuelle, diffusée en direct sur le site du Sénat, puis accessible en ligne.
Mesdames, Messieurs, nous vous remercions d'avoir répondu à l'invitation de la Mecss. Je vous invite, dans un premier temps, à tenir un bref propos liminaire, de quelques minutes. Les sénateurs présents, en premier lieu la rapporteure de la branche maladie, Corinne Imbert, pourront ensuite vous interroger. Mesdames, Messieurs, vous avez la parole.
Clélia Delpech, sous-directrice au financement du système de soins de la direction de la Sécurité sociale. - En introduction, je rappellerai les cadres législatifs et réglementaires définissant les accès précoces dans toute leur variété, ainsi que les raisons de la réforme menée à partir de 2021.
La mise sur le marché et la prise en charge des médicaments par l'Assurance maladie sont historiquement réglementées pour des raisons de sécurité sanitaire.
L'obtention de l'autorisation de mise sur le marché (AMM), après demande du laboratoire à l'issue d'études cliniques permettant de démontrer l'existence d'une balance bénéfices-risques positive, constitue la première étape de mise à disposition du médicament.
S'ensuit une demande d'inscription sur la liste des médicaments remboursables avec une évaluation par la Commission de la transparence de la HAS, puis le travail de tarification via le Comité économique des produits de santé (CEPS) dans le cadre d'une négociation avec les laboratoires pharmaceutiques et une inscription sur les différentes listes par arrêtés ministériels.
Dès 1994, la France a joué un rôle précurseur en permettant un accès plus précoce aux médicaments avec des autorisations temporaires d'utilisation. L'Europe a ensuite pris le relais. Dès l'origine, ces réglementations ont visé un équilibre entre l'accès à l'innovation dans certaines situations d'impasse thérapeutique et la protection de la santé des patients.
Face à la multiplicité des dispositifs, le Gouvernement a proposé, dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2021, une refonte totale des accès précoces au profit d'un nombre plus restreint de dispositifs.
Cette réforme avait pour objectifs d'améliorer la lisibilité du système pour tous les acteurs (patients, professionnels de santé, laboratoires pharmaceutiques) et d'en renforcer l'attractivité, essentiellement au bénéfice des patients.
L'article 78 de la LFSS 2021 a défini le nouveau cadre des accès précoces et compassionnels entré en vigueur au 1er juillet 2021.
L'accès précoce (AP) concerne des médicaments traitant des maladies graves, rares ou invalidantes, répondant à un besoin thérapeutique non couvert, présumés innovants et pour lesquels le laboratoire s'engage à déposer une demande d'AMM ou de remboursement dans un certain délai. Il s'agit donc d'un dispositif transitoire vers le droit commun, constitué de deux sous-catégories : l'AP1 (pré-AMM) et l'AP2 (post-AMM).
Ce dispositif repose sur une demande du laboratoire auprès de la HAS. Celle-ci rend une décision après avis de la Commission de la transparence selon cinq critères cumulatifs d'éligibilité, précisément définis à l'article L. 5121-12 du Code de la santé publique.
Le financement de l'accès précoce a également été refondu dans un double objectif : d'une part, l'attractivité pour les laboratoires, afin de les inciter à mettre à disposition des patients des médicaments présumés innovants ; d'autre part, la soutenabilité financière dans le cadre budgétaire contraint de l'Objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam).
Ce financement repose sur une prise en charge à 100 % par l'Assurance maladie dès l'octroi de l'autorisation, sur la base d'une indemnité dont le montant est librement fixé par le laboratoire pendant toute la durée d'accès précoce.
Cette liberté de détermination connait deux exceptions : la première, très rare, consiste en une mise à disposition à titre gracieux ; la seconde, plus fréquente, concerne des spécialités qui bénéficient déjà de prix négociés avec le CEPS. L'indemnité fait alors l'objet d'une publication par le CEPS.
En contrepartie de la liberté de détermination du montant, le laboratoire est soumis à des reversements obligatoires sous forme de remises annuelles et d'une remise de débouclage à l'issue de l'accès précoce.
Le second dispositif, l'accès compassionnel, simplifie également les dispositifs existants. Il vise des médicaments non nécessairement innovants et non destinés à obtenir une AMM, mais répondant à un besoin thérapeutique non couvert.
Il peut être délivré dans des conditions thérapeutiques précises, en l'absence d'AMM, dès lors que certaines conditions sont remplies. Il comprend des autorisations d'accès compassionnel, des autorisations d'accès compassionnel très précoces et des cadres de prescription compassionnelle.
L'objectif général de la réforme de 2021 consistait à clarifier la ligne de partage entre accès précoce et accès compassionnel. Ainsi, l'accès compassionnel concerne des médicaments qui ne sont pas en cours de développement dans l'indication considérée, alors que l'accès précoce se situe en amont, en phase de développement clinique avec présomption d'innovation.
Le financement des accès compassionnels a également été refondu pour assurer la soutenabilité financière sans modifier l'accès des patients aux traitements. Il me semble que cet objectif a été bien rempli.
Les spécialités thérapeutiques bénéficiant d'un accès compassionnel sont, comme pour l'accès précoce, prises en charge à 100 % par l'Assurance maladie dès l'autorisation de l'ANSM, moyennant le respect de quelques conditions. Ces spécialités sont fournies aux établissements de santé par le laboratoire titulaire de leurs droits d'exploitation, soit sur la base du prix facturé, soit sur une base forfaitaire annuelle par patient.
En contrepartie de l'indemnité, le laboratoire verse des remises annuelles obligatoires calculées sur le chiffre d'affaires hors taxe réalisé durant l'autorisation d'accès compassionnel.
Selon notre première analyse, la réforme de 2021 peut être qualifiée de succès. Nous estimons avoir réussi à faciliter l'accès des patients à des médicaments présumés innovants et à attirer des laboratoires tout en garantissant la soutenabilité financière.
Toutefois, un point de vigilance demeure concernant les voies de sortie de l'accès précoce, notamment sur les délais de négociation tarifaire.
L'accès direct constitue une troisième voie.
Pour mémoire, une évaluation de ce dispositif expérimental introduit par l'article 62 de la LFSS 2022 devrait être transmise au Parlement avant ou pendant le débat parlementaire de cette année sur le projet de LFSS, probablement à l'automne.
L'expérimentation a débuté le 9 juillet 2023 et se terminera le 9 juillet 2025 pour l'inclusion de nouvelles spécialités. La prise en charge des patients se poursuivra jusqu'à l'échéance fixée dans la convention visant la spécialité en accès direct.
Actuellement, le dispositif concerne quatre spécialités, auxquelles une cinquième devrait bientôt s'ajouter. Il permet à certains médicaments d'accéder au remboursement dès l'obtention de l'avis de la HAS.
Son objectif était de renforcer l'accès aux médicaments apportant une amélioration du service médical rendu, en anticipant l'accès au marché par rapport aux 180 jours nécessaires en droit commun. Il assure ainsi une jonction avec le droit commun lorsque les négociations se prolongent.
Il complète l'accès précoce pour des médicaments non éligibles à celui-ci, notamment certains médicaments hospitaliers éligibles à la liste en sus ou médicaments de ville non remboursés, dès lors que la HAS mentionne un service médical rendu (SMR) important et une amélioration du service médical rendu (ASMR) de I à IV.
Le laboratoire fixe librement le prix, avec une prise en charge à 100 % par l'Assurance maladie, en contrepartie de remises annuelles, sur la base d'une grille fixée par arrêté, et de remises de débouclage.
Floriane Pelon, directrice de l'évaluation et de l'accès à l'innovation de la Haute Autorité de santé. - Je complèterai les propos précédents concernant le dispositif d'accès précoce, pour lequel la HAS rend depuis 2021 les décisions emportant la prise en charge pour les patients.
Le dispositif prévoit cinq critères d'évaluation. Le premier, à la main de l'ANSM, concerne l'efficacité et la sécurité. Il est donné soit par un avis de l'ANSM lorsque le médicament ne dispose pas encore de l'AMM dans l'indication considérée, soit par l'AMM elle-même. La HAS apprécie les quatre autres critères : la gravité, la rareté ou le caractère invalidant de la maladie ; l'absence de traitement approprié ; l'impossibilité de différer le traitement ; enfin, la présomption d'innovation par rapport à un éventuel comparateur cliniquement pertinent.
La HAS publie sur son site ses principes d'évaluation et sa doctrine, afin de garantir la transparence de son action. Les décisions sont systématiquement discutées par la Commission de la transparence puis rendues par le Collège de la HAS. Elles sont toujours motivées au regard des critères et de la doctrine d'évaluation.
De manière générale, toutes nos ressources (décisions, guides, etc.) sont disponibles en ligne sur notre site. Elles sont ainsi partagées avec les industriels, les associations de patients, les usagers, les professionnels de santé et les institutionnels.
Les procédures ont été mises en place conjointement avec l'ANSM pour l'entrée en vigueur de la réforme en juillet 2021. Nous organisons des rendez-vous de prédépôt conjoints avec l'ANSM pour accompagner les industriels lorsque le médicament ne dispose pas encore d'AMM.
Les délais réglementaires sont respectés : 84 jours en médiane pour les dossiers de première demande en 2024 et 86 jours à ce stade pour les premiers mois de 2025. L'attractivité ne se dément pas : après un pic en 2022, le nombre de premières demandes s'est stabilisé autour d'une soixantaine de dossiers.
Le bilan est dans l'ensemble positif. Les chiffres en ligne sur notre site (bilan à deux ans et fiche synthèse à trois ans) en témoignent, avec des demandes nombreuses de la part des industriels, des délais respectés et plus de 120 000 patients bénéficiaires du dispositif sur les trois premières années, principalement en oncologie.
Nous identifions toutefois quelques pistes d'amélioration et de simplification.
Certains textes sont ainsi en cours d'élaboration, à la suite notamment d'évolutions législatives, comme en cas d'avis favorable de l'Agence européenne du médicament. Ils permettraient de simplifier la procédure de recueil de données, point central en matière d'accès précoce. Depuis la réforme, nous nous employons à faciliter la récolte de données, à simplifier les protocoles d'utilisation thérapeutique et à encourager les industriels à recourir à des registres existants, comme la base BaMaRa pour les maladies rares.
Nous constatons aussi que plus de la moitié des accès précoces sont délivrés après l'obtention de l'AMM, alors que le dispositif permet théoriquement un accès jusqu'à deux ans avant la demande d'AMM. De fait, les industriels attendent souvent l'enclenchement de la démarche d'autorisation, voire le retour du Comité des médicaments à usage humain (CHMP) ou même l'AMM. Par conséquent, nous nous interrogeons sur l'articulation avec le dispositif d'accès direct, qui permet un accès pendant la phase de négociation, c'est-à-dire après l'AMM. Il conviendrait peut-être de considérer ce point dans la réflexion qui sera menée à l'issue de l'expérimentation.
Par ailleurs, nous observons une certaine redondance dans les critères d'éligibilité à l'accès précoce, qui pourrait constituer un axe de simplification. En effet, les discussions en Commission et en Collège portent essentiellement sur la caractérisation de la pathologie et l'appréciation de la présomption d'innovation par rapport à d'éventuels comparateurs, les autres critères étant intimement liés à cette appréciation.
Enfin, nous sommes confrontés à des renouvellements d'accès précoce. Ils sont légitimes puisque les accès sont limités à un an. Cependant, nous observons de plus en plus de deuxièmes et troisièmes renouvellements, ce qui interroge sur la notion d'accompagnement et de bascule vers le droit commun.
Catherine Paugam, directrice générale de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé. - Je me concentrerai sur les actions spécifiques de l'ANSM en matière d'accès compassionnels.
Dans le cadre de la réforme, les autorisations temporaires d'utilisation (ATU) sont devenues des autorisations d'accès compassionnels (AAC) ou des cadres de prescription compassionnelle (CPC). Ces dispositifs concernent des médicaments non nécessairement innovants, non destinés à obtenir une AMM, mais répondant à un besoin thérapeutique non couvert.
Un accès compassionnel peut être délivré pour une ou plusieurs indications précises en l'absence d'AMM dès lors que le médicament remplit certaines conditions : il ne fait pas l'objet d'une recherche impliquant la personne humaine ; il n'existe pas de traitement approprié ; son efficacité et sa sécurité sont présumées ; enfin, il est destiné à traiter une maladie grave, rare ou invalidante.
L'ANSM délivre les AAC sur demande d'un médecin pour un patient spécifique afin de traiter une maladie grave, rare ou invalidante. Les médicaments concernés ne sont pas destinés à être commercialisés dans cette indication. Les autorisations sont délivrées pour la durée du traitement demandée par le médecin, dans une limite d'un an renouvelable autant que nécessaire.
Il existe également un dispositif d'accès compassionnel très précoce, qui intervient avant l'AP1, sur lequel nous pourrons revenir.
Le deuxième cadre, celui des CPC, encadre l'usage hors AMM d'un médicament déjà autorisé pour d'autres indications. L'objectif consiste à sécuriser cette utilisation.
Ces cadres sont établis pour une durée de trois ans, à l'initiative de l'ANSM ou des ministères concernés. Il faut également démontrer que le besoin thérapeutique visé n'est pas couvert par un autre traitement et que la balance bénéfice-risque, établie sur la base des données disponibles, est favorable.
Entre 2021 et 2024, environ 25 000 patients ont été traités par ces AAC ; 65 000 AAC ont été délivrées, pour en moyenne 6 000 demandes par mois. Le dispositif et les critères d'évaluation sont disponibles sur le site de l'ANSM. Les demandes sont traitées via le logiciel e-Saturne, dans un délai inférieur à un mois pour la première demande, puis quasiment immédiat pour les renouvellements.
Le dispositif CPC est plus lourd. Nous en délivrons six à huit par mois. Plus de 90 CPC sont attendus dans le cadre du plan national maladies rares qui impliquera de repositionner plusieurs médicaments. Pour mémoire, les CPC ne concernent pas un patient spécifique, mais une pathologie.
Le bilan est positif quant à l'agilité des dispositifs qui nous concernent.
J'insisterai cependant sur le recueil des données pour les patients concernés par ces dispositifs dérogatoires. Il s'agit d'un point absolument majeur, car il participe à l'acquisition générale des connaissances. En effet, les avis donnés reposent souvent sur un pari ou des bénéfices présumés positifs. Nous travaillons notamment avec la base nationale des maladies rares, mais les protocoles d'utilisation thérapeutique des données sont fondamentaux pour améliorer la connaissance de tous.
J'évoquerai aussi un travail sur les critères de transition entre les différents dispositifs.
Pour finir, je rappellerai que les accès précoces sont disponibles sur tout le territoire, y compris les outre-mer, ce qui n'est pas le cas pour tous les essais de recherche clinique. Dans les années à venir, ces données pourraient être utilisées dans la constitution des dossiers. Beaucoup de conditions devraient être réunies au préalable, en particulier sur la qualité des données, mais cela pourrait se révéler pertinent pour les maladies rares où les démonstrations liées à des essais cliniques traditionnels rencontrent des limites.
Juliette Moisset, directrice de l'accès et
des affaires économiques de
Les entreprises du
médicament. - Le Leem est l'organisation professionnelle
représentative du secteur de l'industrie pharmaceutique en France. Nous
représentons 280 entreprises, dont 160 comptent moins de
250 salariés. Notre raison d'être consiste à
créer les conditions économiques, sociales et environnementales
pour que les patients puissent accéder à leurs traitements
où qu'ils soient sur le territoire et au moment où ils en ont
besoin.
Pour de nombreux patients aujourd'hui en France, les traitements nécessaires ne sont pas encore ou pas disponibles dans le droit commun, soit parce que le médicament n'est pas commercialisé, soit en raison de la longueur des délais d'accès. Le délai moyen d'accès de droit commun en France - 597 jours après l'AMM - est l'un des plus élevés en Europe.
Dans ce contexte, les procédures d'accès dérogatoires jouent un rôle fondamental, puisqu'elles permettent aux patients d'accéder à l'innovation environ un an avant l'entrée dans le droit commun, alors qu'ils sont en situation d'impasse thérapeutique et atteints de maladies graves, potentiellement invalidantes.
La réforme des accès dérogatoires de 2021 représente pour nous un modèle de concertation. Elle était largement appelée par le secteur. À cet égard, nous appelons à préserver, voire améliorer, la cohérence et la lisibilité du dispositif.
Comme rappelé précédemment, les procédures dérogatoires d'accès existent en France depuis 1994, mais ces dispositifs s'étaient largement complexifiés au fil du temps. Avec six dispositifs différents et autant de procédures distinctes pour l'obtention, la prise en charge et la tarification, la situation était devenue illisible pour tous les acteurs.
Après une concertation approfondie avec le secteur, la réforme de 2021 a largement refondu le système des accès dérogatoires. L'objectif visait à redonner de l'attractivité à ces dispositifs en assurant la simplification, la prévisibilité et la soutenabilité du système.
En complément de cette réforme, le Président de la République a annoncé, lors du Conseil stratégique des industries de santé de 2021, une expérimentation inspirée des procédures allemandes permettant un accès rapide aux médicaments dès l'AMM.
Cette expérimentation, dite « accès direct », permet la commercialisation dès l'avis de la HAS des médicaments qui ont reçu un SMR important et un ASMR entre 1 et 4, tout en menant des discussions sur le prix dans un délai très limité.
Le dispositif a été voté lors de la LFSS 2022 et ses textes d'application sont parus en 2023, mais il n'est pleinement applicable que depuis les avenants à l'accord-cadre signés entre le Leem et le CEPS lors de l'été 2024. Ces avenants ont permis de clarifier plusieurs procédures extraréglementaires et de sécuriser le cadre pour un certain nombre d'entreprises. L'expérimentation devrait s'achever pour les nouveaux candidats en juillet 2025. L'ambition du Leem et de ses adhérents serait de la prolonger dès que possible.
Concernant l'accès précoce, le bilan est positif. La promesse initiale est remplie, car les patients disposent d'un accès anticipé aux traitements, le dispositif est attractif pour les industriels et le coût a été limité par l'Assurance maladie.
Le pari a été majoritairement réussi, puisque 84 % des candidats ont obtenu une évaluation d'ASMR entre I et IV, c'est-à-dire que la HAS a reconnu qu'elles étaient de nature à améliorer le service médical rendu.
L'un des facteurs d'attractivité est la liberté pour l'industriel de commercialiser son médicament à prix libre, tout en restant contrôlé par un système de reversement annuel d'une partie du chiffre d'affaires généré par l'accès précoce et d'une remise de débouclage à l'issue de l'accès précoce, ce qui lisse l'impact pour l'Assurance maladie.
Environ 50 000 patients ont été traités depuis l'entrée en vigueur de l'accès précoce, soit 2,5 fois plus que pendant la période d'ATU. Les dépenses sont quant à elles très maîtrisées, puisque l'augmentation des dépenses nettes de remises s'avère mineure.
Nous identifions plusieurs points de vigilance sur ce dispositif.
Le premier, évoqué par madame Paugam, concerne la collecte des données et les conventions de dédommagement avec les industriels. Cette collecte, assurée par les prescripteurs, est financée par les entreprises à travers un dédommagement. Son taux de complétude, environ 65 %, est bien inférieur à l'objectif de 90 % fixé par la HAS lors de l'entrée en vigueur du dispositif. Dès lors, malgré un coût significatif pour les industriels, ces données ne sont finalement pas utilisées dans l'évaluation du SMR ou de l'ASMR.
Nous souhaitons redonner du sens à ce recueil de données et en maintenir la collecte dans les situations où elle apparaît pertinente pour l'évaluation du médicament. Dans le cadre du projet de loi de simplification, nous avons suggéré une mise à disposition de techniciens par les laboratoires. L'objectif est de faciliter le recueil des données en libérant du temps pour les soignants, afin de pouvoir utiliser ces informations dans les cas où elles sont nécessaires.
Notre deuxième point de vigilance porte sur la complexification. Ainsi, un nouveau dispositif de prise en charge dérogatoire, prévu à l'article 76 de la LFSS 2024, crée un mécanisme prolongeant l'accès précoce pour les médicaments dont les données sont immatures. À notre sens, cette période de latence aurait pu être gérée par le dispositif d'accès précoce lui-même.
Notre troisième proposition consisterait à poursuivre la simplification des différentes procédures de l'accès précoce. Madame Pelon a proposé diverses mesures. De leur côté, les industriels préconisent notamment de réduire le nombre de dossiers nécessaires dans le cadre d'une procédure d'accès précoce, qui peut s'élever à quatre par an. Nous proposons aussi de revoir l'articulation de l'interface entre l'ANSM et la HAS. Dans le cadre de l'accès précoce, il s'agit d'anticiper au mieux les contraintes qui pèsent sur la production, notamment l'étiquetage.
J'évoquerai plus rapidement l'accès compassionnel.
Il a été initialement conçu pour des médicaments non nécessairement innovants, mais en réalité assez mal connus. À notre sens, il doit être repensé pour encadrer toutes les situations nécessitant un accès juste, lisible et juridiquement sécurisé.
Nous avons en effet identifié certains vides juridiques, par exemple lors de la transition entre la fin de l'accès compassionnel et la prise en charge de droit commun. La solution assez insatisfaisante actuellement mise en oeuvre consiste pour le laboratoire à fournir le médicament à titre gracieux sans cadre juridique précis. Un deuxième vide juridique concerne le cas où un médicament obtient une AMM dans une indication différente de celle pour laquelle un patient bénéficiait d'un accès compassionnel. Ce dispositif ne s'appliquant plus au patient, une prescription hors AMM est mise en oeuvre, souvent accompagnée d'une fourniture du médicament à titre gracieux.
Ces situations engagent la responsabilité juridique des prescripteurs, des dispensateurs comme des laboratoires. Nos entreprises appellent donc à une clarification de l'encadrement et des modalités de prise en charge.
Concernant l'accès compassionnel très précoce pour les produits ayant vocation à être commercialisés dans le futur, la succession d'engagements (dépôt d'une demande d'accès précoce, puis d'une demande d'AMM ou de prise en charge en France, chacune dans des délais limités) est trop contraignante lorsque la recherche est précoce et n'offre pas au laboratoire la visibilité nécessaire pour s'engager.
De plus, les accès compassionnels ne visent pas nécessairement des produits innovants. L'industriel peut alors anticiper un refus ou une évaluation dégradée de la HAS et ne pas mettre en place un accès compassionnel à la demande du prescripteur. Par conséquent, nous demandons d'assouplir, voire de supprimer, ces obligations pour permettre la mise à disposition des traitements.
Enfin, plusieurs LFSS ont ajouté ces dernières années diverses dérogations, pour l'accès compassionnel comme pour l'accès précoce, qui brouillent la lisibilité de la réforme de 2021.
Avant de laisser la parole à Monsieur Pilley sur l'accès direct, j'indiquerai que le secteur appelait de ses voeux ce mécanisme très intéressant pour un accès plus rapide aux médicaments. Il concerne aujourd'hui quatre médicaments, et bientôt un cinquième.
Nous estimons nécessaire de prolonger le dispositif a minima pour en apprécier pleinement l'efficacité, car l'avenant à l'accord-cadre entre le Leem et le CEPS, qui sécurise définitivement les entreprises, n'a été signé qu'à l'été 2024.
Par ailleurs, nous avons porté dans le cadre du projet de loi de simplification une proposition d'amélioration logistique concernant les délais de démarrage de l'accès direct. Il s'agit d'adapter le dispositif aux contraintes réelles du processus d'évaluation et de prendre le point de départ pertinent pour les durées de l'expérimentation. Celui-ci n'est pas toujours l'avis de la Commission de la transparence, mais parfois celui de la Commission d'évaluation économique et de santé publique (CEESP). Cet avis peut être plus tardif et dissuader certains industriels de se lancer dans le dispositif d'accès direct, compte tenu du délai de négociation limité.
Nous invitons également à réfléchir à l'extension du dispositif à la ville. La dispensation est actuellement limitée à l'hôpital, ce qui peut freiner les industriels dont les patients sont en ville.
Pour conclure, les différentes réformes sur les accès dérogatoires étaient nécessaires et, pour nous, portent leurs fruits. Notre enjeu est d'aller collectivement plus loin pour faciliter l'accès des patients aux traitements, simplifier et rendre plus lisibles ces différents dispositifs.
Olivier Pilley, directeur général d'Incyte Biosciences France. - Je tiens à remercier la commission des affaires sociales du Sénat pour cette invitation, ainsi que le Leem et les représentants de l'administration avec lesquels nous échangeons régulièrement sur tous ces sujets.
Je partagerai notre retour d'expérience très concret et pratique sur le dispositif d'accès direct. À cet effet, je présenterai très brièvement Incyte.
Nous sommes une entreprise de taille intermédiaire (environ 2 500 collaborateurs dans le monde, dont une soixantaine en France), positionnée sur les champs thérapeutiques rares et délaissés. Nous réinvestissons chaque année plus de 40 % de notre chiffre d'affaires en R&D. Nous concentrons nos efforts sur des besoins médicaux non couverts, comme le vitiligo dont je parlerai aujourd'hui. Cette exigence scientifique, couplée à notre agilité organisationnelle, nous a conduits à faire ce pari sur l'accès direct dès sa création. Nous avons été parmi les premiers laboratoires à le solliciter et le premier à sortir en droit commun. Il s'agit donc d'un succès.
Comme les intervenantes précédentes l'ont rappelé, l'accès direct permet une prise en charge dès l'obtention d'un avis positif de la HAS. Nous l'avons activé pour notre innovation thérapeutique destinée au traitement du vitiligo, pathologie auto-immune de dépigmentation de la peau. Cette maladie n'engage pas le pronostic vital, mais elle engage le pronostic social dû à son fort impact et son fardeau psychosocial. Ceci en faisait à nos yeux une urgence de mise à disposition pour les patients, surtout dans un environnement où les nouveautés circulent très vite.
L'accès direct est complémentaire à l'accès précoce. Contrairement à ce dernier qui repose sur une présomption d'innovation avant l'évaluation complète par la Commission de transparence de la HAS, l'accès direct intervient uniquement après l'évaluation scientifique par la HAS. Les deux dispositifs peuvent donc s'appliquer en fonction du cycle de développement et de vie des médicaments.
Pour Incyte, la décision favorable de la HAS est intervenue en novembre 2023. Elle reconnaissait un SMR important et une ASMR de niveau IV (mineure). Dès lors, nous avons choisi et bénéficié de l'accès direct. Le traitement a été disponible en pharmacie hospitalière dès le 31 janvier 2024, avec une prise en charge à 100 % par l'Assurance maladie au prix que nous avons fixé, à savoir le prix allemand. L'inscription sur les listes de remboursement est intervenue en juillet 2024, marquant la sortie du dispositif avec une disponibilité étendue à la ville.
Ce retour d'expérience me permet de souligner deux éléments majeurs.
Le premier est l'efficacité du dispositif en matière de délais. L'accès direct a réduit très significativement les délais d'accès à un traitement innovant, là où l'errance thérapeutique concernant le vitiligo durait parfois des mois, voire des années. Les négociations avec le CEPS se sont déroulées de février à juin 2024. Sur cette période de cinq mois, le rythme des échanges (un passage en comité tous les quinze jours) a permis une avancée fluide et structurée dans un climat de confiance mutuelle et de transparence. Ce délai est un gain majeur par rapport au délai de négociation habituel qui contribue aux 597 jours cités par le Leem. Il s'agissait d'une réelle négociation à gains mutuels, chaque partie consentant à des efforts significatifs à chaque étape. Cela est en partie dû au délai contraint de négociation.
En second lieu, il s'agit d'une réussite collective, fruit d'une mobilisation exemplaire de tous les acteurs : les autorités, l'industrie, les professionnels de santé, les associations de patients. Tous ont su tenir des délais compatibles avec l'urgence des besoins. L'expérimentation a également bénéficié d'un soutien structurant du Leem, comme des équipes de la présidence de la République, du Premier ministre, des ministères de l'Économie et de la Santé. Je souhaite ici les remercier pour leur volonté politique et leur appui déterminant à la mise en oeuvre et au succès de ce dispositif.
Forts de cette expérience, nous formulons trois propositions concrètes.
La première concerne les conditions de sortie du dispositif. Il est indispensable de mieux formaliser une période de transition entre l'hôpital et la ville, pour permettre aux hôpitaux de gérer leurs stocks à l'issue de la période dérogatoire et éviter la pénurie comme le gaspillage.
Notre deuxième proposition consiste à élargir le périmètre du dispositif d'accès direct aux extensions d'indication dès lors qu'un médicament sera destiné à la ville.
Enfin, nous appelons à la pérennisation de l'accès direct à l'issue de l'expérimentation, afin de garantir à davantage de patients un accès équitable et plus rapide à des traitements innovants déjà évalués positivement par la HAS. Cela complèterait aussi l'arsenal des dispositifs dérogatoires pour des solutions innovantes concernant des maladies à fort impact psychosocial. Il s'agirait d'un acte politique fort pour l'accès aux soins, notamment dans le cadre de la grande cause nationale pour la santé mentale.
Conformément à la loi, un rapport gouvernemental doit être prochainement remis afin d'évaluer les demandes déposées, les aires thérapeutiques concernées et la pertinence d'une pérennisation du dispositif. Au vu de notre expérience, de notre rôle dans l'écosystème de la santé et pour nos futurs médicaments, nous appelons à une pérennisation de l'accès direct dans le cadre de ce rapport.
M. Alain Milon, président. - Au vu de la qualité de vos réponses, je remarque que vous avez répondu à presque toutes nos questions. Je passe la parole à Corinne Imbert.
Mme Corinne Imbert. - Merci pour vos exposés très précis.
J'ai noté que plus de 120 000 patients avaient bénéficié de l'accès précoce sur les trois premières années et environ 25 000 par an pour l'accès compassionnel. Connaissez-vous le nombre de patients concernés par l'accès direct, dans la mesure où ce dispositif concerne quatre, bientôt cinq, médicaments ?
Clélia Delpech. - Nous collectons actuellement ces données pour préparer le rapport d'évaluation sur le dispositif. Nous pourrons vous communiquer ces éléments.
Mme Corinne Imbert. - À vous entendre, il semble que cette expérimentation soit gagnant-gagnant.
Olivier Pilley. - Dans notre cas, elle a joué un rôle majeur permettant aux patients français d'accéder à cette innovation.
Comme je l'indiquais, les informations circulent vite. Les patients savent que l'innovation peut arriver en France. Dès lors, une mise à disposition aussi rapide a été très favorable à la santé publique française.
Clélia Delpech. - Nous partageons ce sentiment de réussite des dispositifs d'accès dérogatoire et d'accès précoce au bénéfice des patients, comme en matière d'attractivité du territoire pour les laboratoires pharmaceutiques.
En revanche, nous nous interrogeons sur la transformation de ces accès, qui représentent des paris sur des médicaments présumés innovants. L'État consent à un accord avec les laboratoires sur une indemnité proposée par ces derniers, à charge pour eux de démontrer pendant cette période l'efficacité des médicaments mis à disposition.
Normalement, la durée de vie de ces dispositifs est limitée, puisque l'accès précoce est prévu pour un an, même s'il est renouvelable. Or la durée moyenne des médicaments sortis de l'accès précoce est de 354 jours et la durée médiane de 359 jours, ce qui est assez élevé.
Notre second point de vigilance concerne les conditions et les délais de négociation, hors accès direct où ils sont contraints. Pour les accès précoces, le délai médian de négociation tarifaire est de 175 jours, alors que pour les médicaments sans accès précoce, mais avec ASMR entre I et IV, il n'est que de 70 jours. Cette mise à disposition précoce, avec une indemnité fixée par le laboratoire, pose des questions sur la négociation finale et l'intégration dans le droit commun.
Le nombre médian de séances de négociation est également plus élevé pour les accès précoces. La situation peut s'expliquer par la nouveauté du dispositif ou par l'écart entre les référentiels de la puissance publique et des laboratoires dans ce cadre dérogatoire.
En tout état de cause, nous estimons qu'il existe des points de vigilance et des marges de progression. Nous partageons les enjeux de simplification.
Mme Corinne Imbert. - Combien ces dispositifs coûtent-ils à l'assurance maladie ? En avons-nous encore les moyens ?
Nous sommes à la veille de réfléchir au futur projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2026. L'an passé, alors que nous discutions du PLFSS, nous apprenions que les remises attendues n'étaient pas au niveau espéré. Ce n'était pas un petit sujet. Au 1er juillet, les remises non perçues étaient estimées à 1,2 milliard d'euros. Si j'ai bonne mémoire, il nous était également annoncé à la veille de la discussion du PLFSS que 1,2 milliard manquait.
Qu'en est-il de cette question dans la perspective de la préparation du futur PLFSS ?
Clélia Delpech. - Nous suivons ce sujet de près à la direction de la sécurité sociale et, plus largement, au ministère de la Santé comme aux Comptes publics.
Les dépenses de l'Assurance maladie nettes des remises annuelles au titre de la prise en charge des accès précoces s'élevaient à 146 millions d'euros au deuxième trimestre 2021, puis à 472 millions en 2022, ce qui peut s'expliquer par l'effet année pleine, et à 637 millions en 2023. Selon nos projections pour 2025, elles s'établiraient autour de 700 millions en super net. Ces chiffres doivent être précisés et nous regarderons ce que nous pourrons vous communiquer dans les délais qui sont les vôtres.
Ces dépenses augmentent donc de façon assez dynamique. Leur évolution montre que le dispositif fonctionne, mais pose la question de notre capacité à concilier l'accès à des médicaments présumés innovants avec le financement de l'innovation avérée et de produits matures, sans même parler de l'équilibre macroéconomique de l'Ondam.
Le sujet est bien présent dans notre réflexion et renvoie aux conditions dans lesquelles nous pouvons conclure les négociations autour de ces produits.
Bénédicte Colnet, cheffe de bureau au sein de la direction de la sécurité sociale. - Je précise qu'une spécialité en accès précoce est négociée en Comité selon les mêmes règles tarifaires que les autres spécialités.
Normalement, la remise de déblocage permet de solder le passé, dès lors qu'est trouvé un accord sur le prix. Un accès précoce ne doit pas coûter plus cher qu'un accès en droit commun.
La question qui peut se poser face à cette hausse des dépenses est la suivante : s'agit-il d'une vague d'innovation ou du résultat d'une négociation qui aurait pu être différente ? Sommes-nous dans les mêmes conditions de négociation en accès précoce qu'en droit commun ?
De plus, le flux de trésorerie n'est pas négligeable pour la gestion de la trésorerie de l'Assurance maladie, ce qui peut engendrer des conséquences sur le coût de la dette.
Cela étant, le montant annuel des remises au titre des accès précoces, hors remises de débouclage, est conséquent, puisqu'il s'élève à plus de 1 milliard d'euros.
Clélia Delpech. - Il convient sans doute d'avoir une approche différenciée entre les accès précoces pré-AMM et post-AMM. Cela pose la question de la clarification du cadre des accès précoces et renvoie à certains propos de la HAS comme de l'ANSM sur la nécessité de réfléchir à l'articulation entre ces dispositifs pour qu'ils trouvent leur vitesse de croisière.
Par ailleurs, je souhaite revenir sur l'accès direct. Au sein du ministère de la Santé, nous estimons que l'avenant conventionnel sécurisait les entreprises, mais n'était pas juridiquement nécessaire pour s'engager dans l'expérimentation. D'autres raisons expliquent peut-être pourquoi les entreprises ne se sont pas autant saisies de ce dispositif que nous aurions pu l'escompter. Cependant, avec cinq spécialités seulement, l'évaluation reste limitée.
Juliette Moisset. - En effet, l'avenant à l'accord-cadre n'était pas juridiquement nécessaire pour l'application de l'accès direct. Cependant, ce processus encadre sur dix mois la durée de négociation du prix. Les laboratoires considèrent que ce délai est inhabituellement court et présente certains risques, notamment celui d'un retrait produit en l'absence d'accord. Cela représente aussi un pari pour les industriels.
De fait, les mesures de l'accord-cadre sont très positives, notamment la première rencontre avec le CEPS pour évaluer le niveau de risque sur la négociation. Les différentes dispositions permettent d'évaluer quand et comment sortir de la négociation de façon sécurisée.
Ce dispositif concernait en réalité peu de spécialités dès le départ, compte tenu des critères d'entrée. Les industriels n'optent pas pour l'accès direct quand le risque d'échec des négociations est trop élevé. En effet, le coût d'une mise à disposition suivie d'un retrait en quelques mois est pour eux très significatif.
M. Alain Milon, président. - Pour ma part, je vous poserai une question. Toutes ces mesures votées par le Parlement entraînent-elles une meilleure attractivité de la France pour l'industrie pharmaceutique ?
Juliette Moisset. - L'accès précoce est un dispositif suffisamment regardé et envié par les pays étrangers, notamment nos voisins, pour susciter une attraction pour les laboratoires en France. Nous recommandons de préserver cet atout important de l'attractivité du territoire français.
M. Alain Milon, président. - Je dois vous remercier. Nous devons céder la salle à la commission des affaires sociales.
Les échanges étaient très intéressants. Nous aurons l'occasion de nous revoir lors de la discussion du PLFSS pour 2026.
L'audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 17 heures.