- Mardi 20 mai 2025
- Mercredi 21 mai 2025
- Proposition de loi visant à améliorer l'accès aux soins par la territorialisation et la formation - Désignation d'un rapporteur
- Proposition de loi visant à protéger les personnes engagées dans un projet parental des discriminations au travail - Désignation d'un rapporteur
- Proposition de loi visant à permettre aux salariés de certains établissements et services de travailler le 1er mai - Désignation d'un rapporteur
- Projet de loi relatif à l'organisation des jeux Olympiques et Paralympiques de 2030 - Désignation de rapporteurs
- Les fausses nouvelles et les pratiques sectaires en santé - Audition de M. Étienne Apaire, président de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes)
- Projet de loi portant transposition des accords nationaux interprofessionnels en faveur de l'emploi des salariés expérimentés et relatif à l'évolution du dialogue social - Audition de Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargée du travail et de l'emploi
Mardi 20 mai 2025
- Présidence de M. Jean Sol, vice-président -
La réunion est ouverte à 13 h 30.
Projet de loi de programmation pour la refondation de Mayotte - Examen des amendements aux articles délégués au fond du texte de la commission des lois
M. Jean Sol, président. - Mes chers collègues, nous allons examiner les amendements aux articles qui nous ont été délégués au fond par la commission des lois, à savoir les articles 15 à 18, sur le projet de loi de programmation pour la refondation de Mayotte.
EXAMEN DES AMENDEMENTS DE SÉANCE
Mme Christine Bonfanti-Dossat, rapporteur pour avis. - Les amendements identiques nos 15, 43 rectifié, 85 et 141 visent à réintroduire l'aide médicale de l'État (AME) dans l'habilitation à légiférer par ordonnance pour accélérer la convergence sociale.
Puisque nous avons supprimé, en commission, la possibilité pour le Gouvernement d'étendre l'AME à Mayotte, je propose d'émettre un avis défavorable à ces amendements.
Le Gouvernement a toujours été clair sur le fait que la convergence devait s'appliquer en tenant compte des spécificités mahoraises. À ce jour, le fort afflux de migrants déstabilise l'ordre public et la reconstruction à l'oeuvre, et cause une pression sans précédent sur les services publics. Nous ne pouvons pas créer d'effet incitatif supplémentaire.
La commission émet un avis défavorable aux amendements identiques nos 15, 43 rectifié, 85 et 141.
Mme Christine Bonfanti-Dossat, rapporteur pour avis. - Je suis défavorable à l'amendement n° 137, qui vise à imposer au Gouvernement d'harmoniser les conditions de durée de séjour pour l'obtention des prestations entre Mayotte et l'Hexagone et les autres départements et régions d'outre-mer (Drom).
À Mayotte, certaines prestations sont soumises à des conditions de durée de séjour plus strictes, ce qui s'explique par le fait que la moitié de la population de l'archipel est étrangère selon l'Insee. Cette démographie constitue l'une des spécificités mahoraises qu'il convient de prendre en compte. Aussi, il n'est pas souhaitable de procéder à l'alignement proposé.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 137.
Mme Christine Bonfanti-Dossat, rapporteur pour avis. - L'amendement n° 69, qui prévoit d'intégrer à l'objectif de convergence sociale la création, à Mayotte, d'un nouveau parcours de soins propre aux citoyens français, étend l'habilitation sollicitée par le Gouvernement. Il est, à ce titre, contraire à l'article 38 de la Constitution.
La commission propose à la commission des lois de déclarer l'amendement n° 69 irrecevable en application de l'article 38 de la Constitution.
Mme Christine Bonfanti-Dossat, rapporteur pour avis. - L'amendement n° 84 tend à préciser que les ordonnances accélérant la convergence sociale doivent être publiées avant le 1er janvier 2027, tandis que l'amendement n° 16 prévoit qu'elles le soient au plus tard le 1er janvier 2028.
Je suis défavorable à ces amendements, l'habilitation prévoyant que les ordonnances seront prises dans un délai de douze mois suivant la promulgation du présent projet de loi. Elles seront donc nécessairement publiées avant le 1er janvier 2027 et le 1er janvier 2028.
La commission émet un avis défavorable aux amendements nos 84 et 16.
Mme Christine Bonfanti-Dossat, rapporteur pour avis. - L'amendement n° 97, qui prévoit d'inclure la convergence du Smic dans l'habilitation à légiférer par ordonnance, est irrecevable au titre de l'article 41 de la Constitution, car le Smic relève du pouvoir réglementaire, et non du pouvoir législatif.
La commission propose à la commission des lois de demander au Président du Sénat de se prononcer sur l'irrecevabilité de l'amendement n° 97 en application de l'article 41 de la Constitution.
Mme Christine Bonfanti-Dossat, rapporteur pour avis. - Je propose d'émettre un avis défavorable à l'amendement n° 70, qui vise à introduire des conditions de durée de séjour dérogatoires au droit commun pour le versement des prestations sociales non contributives, notamment le revenu de solidarité active, l'allocation aux adultes handicapés et les allocations familiales.
Dans la mesure où nous avons délégué au Gouvernement le pouvoir de légiférer sur la convergence sociale, il me semble inopportun de nous y substituer. Au demeurant, cet amendement présente un risque d'inconstitutionnalité.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 70.
Mme Christine Bonfanti-Dossat, rapporteur pour avis. - L'amendement n° 75 concerne une demande de rapport sur la mise en oeuvre de la convergence sociale.
Il est de jurisprudence constante que la commission des affaires sociales émette un avis défavorable à toute demande de rapport.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 75.
Mme Christine Bonfanti-Dossat, rapporteur pour avis. - Je suis défavorable à l'amendement n° 115, qui concerne lui aussi une demande de rapport.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 115.
Mme Christine Bonfanti-Dossat, rapporteur pour avis. - Je suis également défavorable à l'amendement n° 142, puisqu'il s'agit là aussi d'une demande de rapport.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 142.
Mme Christine Bonfanti-Dossat, rapporteur pour avis. - L'amendement n° 86 revient sur l'équilibre trouvé par la commission la semaine dernière - non sans difficultés -, puisqu'il supprime l'avis conforme de l'Ordre des pharmaciens, que nous avons jugé nécessaire lorsque l'ouverture d'une pharmacie d'officine est fondée sur le critère dérogatoire de la population intercommunale.
Je rappelle que tous les représentants des pharmaciens que nous avons auditionnés, soit les deux syndicats représentatifs des pharmaciens d'officine et l'Ordre des pharmaciens, se sont montrés opposés à l'ajout de ce critère dérogatoire. Les conditions strictes que nous avons prévues visent à répondre à leurs inquiétudes. Elles permettront à l'agence régionale de santé (ARS) d'y recourir, avec l'assentiment de l'Ordre, lorsque le recensement est ancien et obsolète. Il convient d'attendre le nouveau recensement, qui aura lieu en 2026. Je vous propose d'émettre un avis défavorable sur cet amendement.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 86.
Mme Christine Bonfanti-Dossat, rapporteur pour avis. - L'amendement n° 49 vise à supprimer une référence, devenue obsolète, à l'agence régionale de santé de l'océan Indien dans le code de la sécurité sociale. J'y suis favorable.
La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 49.
Mme Christine Bonfanti-Dossat, rapporteur pour avis. - L'amendement n° 78 tend à demander au Gouvernement la remise d'un rapport évaluant les besoins et le coût de la sécurisation des officines pharmaceutiques à Mayotte.
La sécurité des professionnels de santé est évidemment un enjeu majeur. Le Sénat a d'ailleurs adopté, la semaine dernière, à l'unanimité, un texte visant à la renforcer. Toutefois, je vous propose d'émettre un avis défavorable, puisqu'il s'agit d'une demande de rapport.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 78.
Mme Christine Bonfanti-Dossat, rapporteur pour avis. - L'amendement n° 143 a pour objet de demander au Gouvernement la remise d'un rapport sur la possibilité d'instaurer, à Mayotte, une première année d'études médicales et pharmaceutiques. Je vous propose un avis défavorable, conformément à notre position habituelle.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 143.
Mme Christine Bonfanti-Dossat, rapporteur pour avis. - L'amendement n° 65 vise à créer des unions régionales de professionnels de santé (URPS) de Mayotte, permettant la représentation des professionnels de santé libéraux qui y exercent.
Les représentants des professionnels de santé et de l'ARS de Mayotte, que nous avons auditionnés, ont souligné la singularité de la situation sanitaire de l'île, qu'ils estiment mal représentée et mal prise en compte au sein des URPS de l'océan Indien. Ils demandent, en conséquence, la création d'instances de représentation propres à Mayotte.
En revanche, le Gouvernement a souligné, lorsque je l'ai interrogé, que le faible nombre de professionnels exerçant à Mayotte ne permettait pas la création d'URPS dédiées.
Je vous propose, en conséquence, de laisser le Sénat trancher cette question, compte tenu des arguments que développera Mme Imbert dans l'hémicycle, du souhait des professionnels, que je rappellerai, et de la position du Gouvernement. Avis de sagesse.
La commission s'en remet à la sagesse du Sénat sur l'amendement n° 65.
TABLEAU DES AVIS
La réunion est close à 13 h 45.
Mercredi 21 mai 2025
- Présidence de M. Philippe Mouiller, vice-président -
La réunion est ouverte à 10 heures.
Proposition de loi visant à améliorer l'accès aux soins par la territorialisation et la formation - Désignation d'un rapporteur
La commission désigne M. Khalifé Khalifé rapporteur sur la proposition de loi n° 189 (2023-2024), adoptée par l'Assemblée nationale, visant à améliorer l'accès aux soins par la territorialisation et la formation.
Proposition de loi visant à protéger les personnes engagées dans un projet parental des discriminations au travail - Désignation d'un rapporteur
La commission désigne Mme Annick Petrus rapporteure sur la proposition de loi n° 568 (2024-2025), adoptée par l'Assemblée nationale, visant à protéger les personnes engagées dans un projet parental des discriminations au travail.
Proposition de loi visant à permettre aux salariés de certains établissements et services de travailler le 1er mai - Désignation d'un rapporteur
La commission désigne M. Olivier Henno rapporteur sur la proposition de loi n° 550 (2024-2025) visant à permettre aux salariés de certains établissements et services de travailler le 1er mai.
Projet de loi relatif à l'organisation des jeux Olympiques et Paralympiques de 2030 - Désignation de rapporteurs
M. Philippe Mouiller, président. - La commission des lois est saisie au fond du projet de loi relatif à l'organisation des jeux Olympiques et Paralympiques de 2030, mais elle en a délégué plusieurs articles à notre commission. Je propose de désigner Mmes Patricia Demas et Pascale Gruny rapporteurs pour avis de ce texte.
La commission désigne Mmes Patricia Demas et Pascale Gruny rapporteurs pour avis sur le projet de loi n° 630 (2024-2025) relatif à l'organisation des jeux Olympiques et Paralympiques de 2030.
Les fausses nouvelles et les pratiques sectaires en santé - Audition de M. Étienne Apaire, président de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes)
M. Philippe Mouiller, président. -Mes chers collègues, nous allons entendre M. Étienne Appert, président de la mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires, (Miviludes), sur les fausses nouvelles et les pratiques sectaires en santé.
Je vous indique que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo. Elle est retransmise en direct sur le site du Sénat et sera disponible en vidéo à la demande.
Monsieur le président, je vous remercie d'avoir accepté l'invitation de la commission. Le sujet dont nous allons parler est une préoccupation croissante des pouvoirs publics et de nos concitoyens. Selon une étude publiée il y a quelques mois, 66 % des Français considèrent que le domaine de la santé est exposé aux informations mensongères, 35 % estiment qu'il est difficile de trouver des informations fiables en matière de santé et 47 % déclarent avoir déjà été confrontés à une fausse information dans le domaine de la santé.
Je vais vous laisser prononcer votre propos liminaire et nous présenter votre analyse sur le sujet, ainsi que les actions de la Miviludes en matière de lutte contre ces phénomènes, et plus particulièrement sa dimension sectaire, qui est un point important. Les commissaires seront ensuite amenés à vous poser des questions pour alimenter le débat.
M. Etienne Apaire, président de la Miviludes. - Merci beaucoup, monsieur le président. Nous ferons une intervention à deux voix avec Donatien Le Vaillant, qui gère l'équipe de la Miviludes quotidiennement. Nous sommes bien évidemment très heureux de pouvoir partager notre combat quotidien.
Vous l'avez rappelé, énormément de fausses informations circulent dans le domaine de la santé. Mais, de manière plus prosaïque, nous sommes tous confrontés - et c'est notre humanité qui vaut cela - à la question de l'accès aux soins. Chacun d'entre nous peut rencontrer, dans les difficultés de la vie, des problèmes de santé qui nous amènent à évaluer l'offre de soins qui nous est proposée dans toute sa variété.
La Miviludes, qui est un organisme interministériel, n'a pas en charge la lutte contre toutes les fausses nouvelles. Elle a déjà beaucoup à faire avec les fausses nouvelles qui interviennent dans le cadre de dérives sectaires. Mais il n'y a pas que des fausses informations qui circulent : il y a également des mauvaises pratiques, et des pratiques qui peuvent être complémentaires à des pratiques médicales assurées et reconnues. Au milieu de tout cela, certains patients peuvent s'interroger sur la manière dont ils peuvent retrouver la santé quand ils l'ont perdue ou mieux vivre quand ils sont en difficulté.
Le rapport de la Miviludes, auquel je vous renverrai souvent, est sorti il y a quelques semaines. Pour la première fois, le nombre de signalements qui concernent le domaine de la santé ou du bien-être a dépassé le nombre de signalements qui concernent les cultes. Nous sommes toujours dans le domaine de la croyance, non pas dans un au-delà, mais dans une promesse qui est celle d'aller mieux. À ce titre-là, nous intervenons aux côtés du ministère de la santé. Le travail du ministère est d'évaluer ce qui est acceptable ou non acceptable, tandis que le travail de la Miviludes est d'observer, de veiller aux informations et aux pratiques qui interviennent dans le cadre d'une dérive sectaire.
Vous le savez, depuis 1995 et sur l'initiative du Parlement, la France a stoppé la pratique qui consistait à tenir une liste des mouvements qualifiés de sectaires. Nous avons complètement abandonné cette approche pour nous centrer non pas sur les mouvements mais sur les comportements, les agissements individuels ou collectifs contraires à la loi.
La Miviludes n'intervient donc que lorsque les fausses informations ou les pratiques discutables interviennent à des fins d'assujettissement des personnes.
Dans le cadre des dérives sectaires, on peut apprécier un mode opératoire récurrent, quelle que soit la thématique dans laquelle il intervient, qui débute par une manoeuvre de séduction avec une parole comme : « Je vais vous soigner alors que les autres n'arrivent pas à vous soigner ». Ensuite, la substitution des valeurs et des croyances que vous aviez dans la science : « Ce que vous faites ne va pas du tout. Il va falloir tout changer. » Enfin, on vous isole. On vous dit « Oui, cela ne marche pas car tu ne suis pas complètement la recette qu'on t'a fournie et tes proches sont nocifs ». Souvent, nous sommes avisés par les proches qui voient qu'à la suite d'un stage, d'une information ou d'une réunion, leurs proches sont invités à s'isoler de leur famille, de leurs amis, de ceux qui peuvent avoir une parole contraire.
On voit bien la perversité de ce mécanisme qui fait que quelqu'un qui est entouré par une équipe médicale, par des proches finit par s'isoler.
Le problème de la dérive sectaire dans le domaine de la santé, c'est qu'elle s'accompagne d'une perte de chance de guérir.
Au début, les soins ou les pratiques alternatifs sont présentés comme étant complémentaires des soins traditionnels. Puis, petit à petit, on invite la personne à abandonner les soins traditionnels pour ne conserver que les pratiques alternatives. La santé se dégrade et l'emprise s'installe. On est isolé et la perte de chance est là.
Avant de poursuivre, je voudrais dire un mot sur la Milviludes. Le dispositif français est très spécifique et la Miviludes, cela n'existe pas partout. Nous ne sommes pas la police des croyances. Nous ne sommes pas la police du soin. Nous sommes simplement la manifestation du principe de fraternité à l'égard de nos concitoyens. Nous sommes là pour protéger, pour signaler à la justice, le cas échéant, ce que nous constatons en termes d'infraction, mais toujours dans un esprit de respect et de compassion à l'égard de ceux qui souffrent, de ceux qui sont malades, de ceux qui peuvent avoir des difficultés à accéder au système de santé. Nous ne sommes pas l'expression d'un lobby quelconque, d'une croyance quelconque. Nous faisons ce que font souvent les chercheurs et les médecins : un calcul coût-avantage entre différentes méthodes.
Alors, quelle est la situation ? 37 % des signalements ou des demandes d'information qui nous sont adressés concernent le soin ou le bien-être. En 2024, 4 571 signalements ou demandes d'informations ont été transmis à la Miviludes contre 2 160 en 2015 soit un doublement. Il y a donc un intérêt certain du public, mais aussi beaucoup de questionnements, dans tous les domaines, face à la montée en puissance des dérives sectaires.
Sans vouloir faire de catastrophisme, la gravité des faits qui nous sont signalés est réelle. Le nombre de signalements à la justice effectués par la Miviludes a doublé, et 19 % des signalements concernent des mineurs. Là aussi, une préoccupation particulière s'impose, car de nombreux mineurs sont isolés, y compris dans le cadre familial, et à la merci des croyances de leurs parents.
Alors, que faisons-nous face à cette situation ?
D'abord, nous avons réuni en 2023 les Assises nationales sur les dérives sectaires avec toutes les personnes intéressées, les associations, bien sûr, mais aussi les praticiens. Cela nous a permis de faire le point sur les évolutions en matière de dérive sectaire, et d'élaborer une nouvelle stratégie pour les années à venir avec trois axes.
Premier axe, prévenir les risques de dérive sectaire. Cet axe recouvre plusieurs objectifs : mieux connaître le phénomène ; informer et sensibiliser le public, les élus et les professionnels sur la prévention et la lutte contre les dérives sectaires ; lutter contre ces dérives sur internet et les réseaux sociaux, ; faire émerger une stratégie nationale de protection des enfants et agir à l'échelon européen.
Deuxième axe : mieux accueillir, soutenir et accompagner les personnes subissant ou ayant subi une expérience sectaire ; en organisant et faisant vivre un réseau territorial permettant de repérer et de prendre en charge les situations avérées - on peut évoquer l'action des associations, qui sont très précieuses - ; en renforçant le partenariat avec les associations et les acteurs de l'aide aux victimes ; et enfin, en renforçant l'arsenal juridique. La loi du 10 mai 2024, qui a été adoptée pour renforcer le dispositif de lutte contre les dérives sectaires, est la représentation de cet engagement.
Et bien sûr, troisième axe, travailler sur le plan international avec nos partenaires sur ces questions. Évidemment, je l'ai dit tout à l'heure, même si nos partenaires dans un grand nombre de pays sont très attentifs à la liberté totale de croyance, ils connaissent comme nous des problèmes de dérive sectaire et travaillent sur ces sujets.
Nous sommes une équipe de 15 personnes, et en tant que secrétaire général du comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation, je cumule deux casquettes avec celle de président de la Miviludes. Nos effectifs sont restés identiques depuis la création de cette organisation, alors que le nombre de signalements a doublé.
Le Parlement a bien voulu, dans la loi du 10 mai 2024, inscrire dans la loi l'existence d'un organisme qui veille sur les dérives sectaires. Cela a été une reconnaissance du travail important qui est fait par la Miviludes pour observer, lutter contre les dérives sectaires et mettre en place un écosystème qui permet d'être plus efficace.
Pourquoi avons-nous besoin de cet écosystème ? Parce que nous avons besoin de former les professionnels dans tous les domaines : l'éducation, la santé, la justice, la police et les sports.
De manière plus spécifique, dans le domaine de la santé, nous sommes confrontés à une difficulté particulière puisque 80 % des personnes qui se livrent à des pratiques qui pourraient être assimilées à des dérives sectaires ne sont pas des professionnels de la santé. Des « psy -quelque chose » vont voir les élus locaux demander l'adossement de leur plaque à côté de celle du médecin, de l'infirmière ou du dentiste. Les élus se trouvent ainsi, sans le vouloir, à accepter et légitimer la présence dans leur ville ou village de ces praticiens.
Deuxième point, 20 % des dérives que nous constatons interviennent par le biais de professionnels de santé, qui ne sont plus convaincus par l'approche scientifique ou pensent que leur pratique doit évoluer pour laisser davantage de place à des pratiques professionnelles que l'on pourrait qualifier de complémentaires, alternatives, nouvelles ou plus imaginatives.
Il est alors nécessaire de travailler avec les ordres, qui doivent pouvoir à la fois former les professionnels de santé à ces enjeux, mais aussi informer la Miviludes de toute dérive dont ils peuvent avoir connaissance. La Miviludes a signé des conventions d'échange d'informations avec tous les ordres de professionnels de santé, signe de notre engagement pour éviter que des individus utilisent leur qualité de professionnel de santé pour se faire les promoteurs de pratiques qui provoqueraient une perte de chance pour les patients.
Nous intégrons, bien sûr, les patients à notre approche. Nous avons donc également signé une importante convention d'échange d'informations avec la Ligue nationale contre le cancer, afin de mieux connaître les offres non conventionnelles proposées aux patients. Des non-professionnels de santé se rendent dans certains services hospitaliers pour faire la promotion de leurs pratiques non conventionnelles. Ils invitent les patients à compléter, puis abandonner le traitement officiel pour un traitement de substitution non conventionnel.
Nous accordons, bien sûr, une attention particulière aux contenus circulant sur les réseaux sociaux. Nous travaillons avec l'Arcom, sur la base de signalements. Il faut sensibiliser la population à ne pas accorder sa confiance à toute personne qui revêt l'apparence d'un professionnel de santé et porte une blouse blanche. Grâce à un travail commun avec nos partenaires, nous avons ainsi organisé des colloques pour promouvoir les réflexes à mobiliser pour vérifier le bien-fondé des informations que l'on peut trouver sur les réseaux sociaux. Ce n'est que le début des efforts à déployer face à une vague qui ne nous submergera pas, mais qui nous invite à adopter une approche volontariste.
M. Donatien Le Vaillant, chef de la Miviludes. - Je compléterai sur quatre points les propos du président concernant la lutte contre la désinformation médicale.
Il y a, d'abord la question du droit pénal, sur laquelle le Parlement s'est penché récemment, avec la loi du 10 mai 2024 : je ne m'y attarderai donc pas.
J'aimerais également évoquer la question de la coordination interministérielle, car d'autres structures que la Miviludes reçoivent des signalements en matière de dérives thérapeutiques. La Miviludes ne traite en effet, en principe, que des dérives thérapeutiques à caractère sectaire.
Nous saluons donc l'initiative du ministère de la santé qui a désigné, au sein de chaque ARS, des référents « dérives thérapeutiques et dérives sectaires », que nous avons formés au mois de novembre dernier. Ces référents composeront un réseau, qui se constitue actuellement et commence à travailler sur ces sujets, en coordination avec la Miviludes.
La circulaire du 5 août 2024 prévoit également, au sein de chaque département, la réunion d'un groupe de travail, présidé par le préfet et le procureur, associant l'ensemble des services déconcentrés, y compris des représentants des agences régionales de santé (ARS), et même des ordres des professionnels de santé.
Des progrès peuvent toutefois encore être réalisés.
Il serait opportun d'approfondir les discussions sur les risques liés aux réseaux sociaux, en interministériel comme avec la société civile. Les Assises nationales et la période qui a suivi ont constitué un premier pas. Mais, comme l'a rappelé monsieur le président Appert tout à l'heure, la Miviludes ne dispose que de quinze collaborateurs, et doit faire face au doublement du nombre de signalements et de demandes d'informations, entre 2015 et 2024. Il n'est pas possible de tout faire à la fois : une bouteille d'un litre d'eau ne peut en contenir deux.
Ceci dit, nous entrevoyons la manière de progresser sur ces questions. Nous avons commencé à y travailler, notamment sur le plan de la vulgarisation scientifique. Qu'on le veuille ou non, de plus en plus de personnes se servent des réseaux sociaux pour se renseigner en matière de santé, comme le montre une étude de l'Institut Descartes, qui fait également un parallèle entre le niveau socio-culturel et la propension à se renseigner sur les réseaux sociaux en matière de santé. Il nous appartient de répondre à ce phénomène en diffusant sur les réseaux sociaux des informations fiables en matière de santé.
Ce n'est pas chose aisée, pour trois raisons.
D'abord, car les réseaux sociaux nivellent l'information. Le contenu d'un chercheur qui a dix ans d'études et autant d'années de recherche n'y est pas nécessairement plus valorisé ni plus consulté que celui d'un utilisateur qui fait part de son expérience personnelle pour faire la promotion d'une pratique donnée. La portée que les outils numériques peuvent conférer aux croyances en santé est donc préoccupante.
De plus, des communautés homogènes, partageant les mêmes croyances, se constituent numériquement et renforcent ainsi leurs convictions, parfois de manière agressive à l'encontre du monde médical, de la science ou des pouvoirs publics. Ce phénomène est en essor depuis la crise sanitaire.
Enfin, les utilisateurs se voient proposer, sur les réseaux sociaux, des contenus semblables à ceux qu'ils ont déjà consultés, sans être confrontés à la diversité des opinions : on parle de bulle algorithmique.
Un règlement européen sur les services numériques a été adopté afin de mieux encadrer les réseaux sociaux, et une loi a été votée l'année dernière. C'est un début. Il faut s'adapter à ce modèle, qui n'est pas celui du droit pénal.
Cela implique que les agents publics s'adaptent à cette nouvelle réglementation et y soient formés pour alimenter l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), avec laquelle nous travaillons.
L'historique de navigation peut, par exemple, avoir une incidence sur les contenus qui apparaissent sur le fil d'actualité d'un réseau social. Mais les algorithmes de recommandation prennent également en compte le sponsoring des contenus : certains réseaux sociaux font par ce biais la promotion du soin du cancer sans chimiothérapie. L'approfondissement de ces sujets techniques ne peut se faire qu'en interministériel.
Enfin, la publicité programmatique n'est pas régulée, ce qui permet à de grandes marques d'apposer leur nom sur des contenus problématiques sans qu'il y ait de responsabilisation de ces annonceurs.
M. Bernard Jomier. - Merci, messieurs, pour votre exposé. La désinformation en santé est un sujet grave. La désinformation en santé tue. Il serait d'ailleurs intéressant d'en évaluer le nombre de victimes dans notre pays.
La désinformation en santé est la négation des faits scientifiques établis. Il est certes nécessaire, et même indispensable à la construction scientifique que les faits soient d'abord discutés. Mais vient un jour où les faits sont établis. Non, la Terre n'est pas plate ; non, la Lune n'est pas creuse ; et non, l'hydroxychloroquine ne soigne pas le covid-19, pas plus que l'ivermectine. J'ai choisi cet exemple délibérément parce qu'on a vu la désinformation en santé flamber au moment de la crise du covid-19.
J'en viens à mes questions. Certains acteurs se sont battus et continuent à se battre contre cette désinformation en santé, mais ils ont le sentiment d'être laissés seuls par l'État et ses institutions. Le professeur Mathieu Molimard, à Bordeaux, est reconnu pour son action contre la désinformation en santé : il vient de recevoir un grand prix Sciences et Santé. Mais qu'ont fait les institutions de l'État pour mettre en valeur ses travaux ? Qu'ont fait les différents départements ministériels ? Qu'ont fait les agences pour le soutenir ? Le chef de l'État a plutôt choisi de rencontrer le professeur Raoult. Que proposez-vous pour soutenir les acteurs qui se battent contre la désinformation en santé ?
Deuxièmement, la désinformation en santé rapporte. C'est un marché, qui rapporte beaucoup d'argent à certains. Ces contenus prétendent initialement s'inscrire pour le bien-être de ceux qui le consomment, mais, inévitablement, l'argent finit par apparaître, et une collecte se met en place. Quels outils proposez-vous pour lutter contre le développement de ce marché ?
Troisièmement, vous avez parlé de la question pénale. Vous avez également évoqué, monsieur le président, vos conventions avec les ordres professionnels. Mais la justice ordinale sanctionne souvent ceux qui défendent les faits scientifiques contre ceux qui pratiquent la désinformation en santé. Où est l'explication ? Pourquoi y a-t-il cette complaisance avec ceux qui portent la désinformation ?
Enfin, vous avez décrit l'importance et le développement du phénomène. Vous avez indiqué que les dérives sectaires en santé occupaient le premier plan. N'est-il pas temps que les ministères, y compris celui de l'Éducation nationale, lancent une véritable mission ministérielle sur ce sujet ? N'est-il pas temps de tenir des états généraux de la désinformation en santé ? N'est-il pas temps de passer à l'action ? Les discours portés par les institutions d'État ont été très faibles sur le sujet ces dernières années.
Mme Élisabeth Doineau. - Merci pour ces éléments qui font votre quotidien et alimentent des pistes de travail.
L'influence des réseaux sociaux est de plus en plus considérable, notamment vis-à-vis des jeunes. Avez-vous des contacts avec les maisons d'adolescents pour protéger ce public en particulier ?
La valorisation de la minceur suscite beaucoup d'intérêt dans les médias et est très lucrative. Des pseudo-thérapeutes vendent leurs conseils, invitent à jeûner ou à prendre des médicaments détournés de leur objet pour favoriser l'amaigrissement. Je pense notamment à l'Ozambic, qui est habituellement utilisé par les patients diabétiques. Il est popularisé sur les réseaux sociaux comme une sorte de coupe-faim.
Êtes-vous capable de quantifier l'impact de ces pratiques sur la santé des usagers ? Quelles actions pouvez-vous mener pour lutter contre l'activité de ces pseudo-thérapeutes ? Les laboratoires pharmaceutiques sont-ils impliqués dans la lutte contre ces dérives ou a minima associés ?
Mme Marion Canalès. - En 2012, le Sénat a conduit une commission d'enquête, présidée par notre collègue Alain Milon, sur l'influence des mouvements à caractère sectaire dans le domaine de la santé.
Depuis, les chiffres ont encore augmenté. La vulnérabilité à la désinformation est extrêmement prégnante, notamment chez les femmes. Je pense aux doulas qui aujourd'hui, comme en 2012 lors de la commission d'enquête, posent question sur leur degré de formation. On voit apparaître désormais des thanadoulas dans l'environnement de la fin de vie, qui est au coeur de l'actualité.
Ces personnes n'ont bénéficié que de 19 jours de formation, à peine 130 heures en présentiel ou sur internet. J'aimerais connaître votre avis sur ces pratiques.
Êtes-vous associés à la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) pour conduire des investigations sur les réseaux sociaux, notamment ? Vous avez très récemment déclenché une procédure à l'encontre d'une influenceuse qui donne des conseils à caractère non scientifique.
Des acteurs de première ligne en matière de santé des femmes disparaissent : centres de santé sexuelle, plannings familiaux... Il ne faut donc pas s'étonner que certaines personnes se reportent sur d'autres moyens beaucoup moins pertinents scientifiquement, comme l'a dit mon collègue Bernard Jomier.
Enfin, madame la rapporteure générale vient de l'évoquer, nous avons un vrai problème avec l'anorexie. Le mouvement pro-ana reprend de la vigueur grâce, notamment, aux algorithmes. J'aimerais connaître le nombre de procédures déclenchées à l'encontre de ces influenceurs pro-ana ou pro-dérive en santé.
Mme Jocelyne Guidez. - J'aimerais revenir sur des décisions de justice.
Le crudivorisme, notamment dans ses formes les plus radicales, en détournant du parcours de soins, a pu conduire à des mises en danger, voire à des décès.
Des décisions de justice ont été rendues sur le sujet en pointant. Ces jugements ont-ils eu un effet dissuasif ou un impact observable sur les pratiques ? La Miviludes a-t-elle constaté une baisse de la diffusion de ces discours ou de l'adhésion à ces pratiques suite à ces décisions ? Certaines figures de cette mouvance continuent-elles à exercer une influence malgré les condamnations ?
Mme Brigitte Micouleau. - Quelles sont les conséquences concrètes des dérives sectaires liées à la santé pour les victimes ? Comment faire face aux risques accrus de rupture sociale, de troubles psychologiques, de pertes financières et de retard dans les soins, ainsi qu'aux pertes de chance subies par les victimes ?
M. Étienne Apaire. - Je me permets un rappel, que j'aurais dû faire dès le départ, sur la définition d'une dérive sectaire. Elle peut être définie comme la mise en oeuvre par un groupe organisé ou par un individu isolé de pressions ou de techniques ayant pour but de créer, de maintenir ou d'exploiter chez une personne un état de sujétion psychologique ou physique, la privant d'une partie de son libre arbitre, avec des conséquences dommageables pour cette personne, son entourage ou la société.
Nous ne sommes pas le ministère de la santé. Nous ne nous intéressons aux phénomènes que vous avez décrits que lorsqu'ils s'inscrivent dans le cadre de dérives sectaires, avec la volonté d'exercer une emprise sur les personnes et avec des manipulations ou des techniques de séduction qui permettent d'installer une réalité alternative.
Cette réalité alternative peut aller très loin. Comme Donatien Le Vaillant l'a indiqué, il y a des renvois vers des communautés virtuelles. Nous constatons des phénomènes de microcosme : au lieu de l'envoyer vers un spécialiste, un premier charlatan adresse le patient vers un second charlatan.
Nous constatons également une volonté de captation d'argent. Au sein de la Miviludes, un agent du ministère des finances enquête, lorsque nous identifions des phénomènes sectaires, pour identifier où part l'argent.
Il faudrait faire beaucoup plus : des sommes importantes sont en jeu. Des « poudres de perlimpinpin », des produits qui ne coûtent rien à la production, sont vendus très cher.
Nous travaillons également avec la DGCCRF. Nous partons de dénonciations et essayons de travailler très en amont.
Vous avez parlé de complaisance. Je crois que le discours que nous tenons aujourd'hui, celui que nous avons tenu avec les associations de victimes au cours des assises, n'est pas complaisant. Le discours de Mme Agresti-Roubache devant le Sénat et devant l'Assemblée nationale n'a pas été complaisant non plus. En revanche, nous entendons ça et là des paroles complaisantes au nom de la liberté de croyance.
Toutes nos propositions pour lutter contre les discours de complaisance n'ont pas été satisfaites par la loi du 10 mai 2024 visant à renforcer la lutte contre les dérives sectaires et à améliorer l'accompagnement des victimes. On nous a parfois accusés de limiter la liberté du patient de choisir son soin.
Je me demande si la complaisance n'est pas quelque chose de très partagé. En tout cas, soyez assurés que la mission n'est pas complaisante. Le ministre délégué, M. Buffet, a décidé de présider lui-même la conférence de presse pour la parution du rapport de la Miviludes. Cela n'avait jamais été fait.
Nous savons désormais que nous sommes tous vulnérables à certains moments de notre vie et que nous sommes tous susceptibles d'être confrontés à ces difficultés. Il n'y a pas des personnes plus fragiles que d'autres en général. Le principe de fraternité conduit l'État à protéger ceux qui les connaissent ces fragilités. Nous devons être compatissants à leur égard.
Certains n'ont pas trouvé la solution à leur problème de santé parce que la science n'a pas encore permis de trouver de médicament efficace ou dépourvu d'effets secondaires. Pour autant, il faut que ces patients continuent de croire dans les soins fondés sur les données de la science, qui ont fait l'objet d'une discussion contradictoire. Les soins proposés par des charlatans n'ont pas été expertisés, il n'existe pas de débat scientifique contradictoire sur ces traitements ni d'évaluation. Les traitements proposés par la médecine officielle sont peut-être difficiles à supporter, mais ils ont été évalués. On peut dire qu'il y a une chance raisonnable qu'ils aient un effet sur la santé.
Les personnes mises en cause dans ce domaine refusent ces pratiques évaluatives, même quand il s'agit de professionnels de santé. Donc, il faut continuer à éviter cette complaisance. Il y a sans doute un discours sociétal à apporter sur l'utilisation et le détournement des médicaments. Nous n'intervenons que dans un écosystème de dérive sectaire. Ces dérives sectaires, dans le domaine familial, sanitaire, ne contribuent pas à améliorer la santé des malades. Certains font payer très cher des jeûnes. Mais plus vous jeûnez, moins vous êtes en capacité de résister à certaines propositions et votre situation s'aggrave. Il y a des condamnations.
Le travail de la Miviludes est de former les magistrats, les policiers. Nous avons un service spécialisé qui s'occupe des affaires les plus graves. Nous réalisons beaucoup de formations, avec un effectif de 15 personnes. Nous formons des magistrats. Est-ce que cela a un impact sur les auteurs de dérives sectaires ? Ceux-ci se montrent très prudents et se méfient énormément des risques de poursuite pour exercice illégal de la médecine. Des stages sont proposés, mais les discours sont très allusifs sur leur contenu. On amène les gens à s'intéresser à tel phénomène, à acheter tel livre. Mais dans l'expression, les influenceurs font très attention à ce qu'ils disent, ce qui prouve que les pratiques judiciaires ont un impact. La loi du 10 mai 2024 qui vise à renforcer la lutte contre les dérives sectaires, à travers l'incrimination d'un certain nombre de comportements, va nous permettre d'aller beaucoup plus loin sur les problématiques d'assujettissement des personnes, sur la publicité ou sur l'invitation à cesser des soins. Dans quelques temps, nous pourrons évaluer son bien-fondé, ce qui nous permettra de progresser.
M. Donatien Le Vaillant. - En effet, nous avons aussi besoin du Parlement pour agir et lutter contre les dérives sectaires. Il y avait il y a quelques années au Sénat un groupe d'études sur la lutte contre les dérives sectaires. Nous avons sollicité le Sénat pour que ce groupe soit à nouveau constitué. Le rapport de la commission d'enquête du Sénat date de 2013. Il n'y a pas un mot à changer, si ce n'est que les choses se sont beaucoup aggravées depuis cette époque.
Les travaux du Sénat ne peuvent que nous conforter afin d'approfondir encore notre action et de renforcer les moyens qui peuvent être les nôtres. Sur ce plan également, je dois dire que nous avons besoin de travailler en réseau encore davantage. Nous avons travaillé avec l'Inserm, parce que la Miviludes n'est pas une autorité de santé et n'a pas la légitimité pour dire quelle est la bonne pratique en matière de santé. Par exemple, l'Inserm avait rédigé des fiches extrêmement utiles, notamment sur la question du jeûne, en ligne sur le site du ministère de la santé. Nous les communiquons régulièrement car nous avons besoin de documentation scientifique et d'éléments de vulgarisation scientifique et médicale, pour les rediffuser sur les réseaux sociaux et pour informer les personnes qui nous sollicitent. Nous pourrions aussi travailler avec la Haute Autorité de santé, qui est évidemment tout à fait légitime sur ces questions.
Par ailleurs, nous travaillons avec l'ensemble des ordres professionnels, y compris celui des sages-femmes, sur la question très préoccupante des doulas. Il ne se passe pas une journée sans que nous n'échangions des informations avec les ordres professionnels, en particulier l'ordre des médecins. Les médecins généralistes sont concernés par ces problèmes de dérive sectaire et une régulation est nécessaire, par des sanctions ordinales. Parfois, on constate des installations de professionnels de santé avec des non-professionnels de santé, ce qui est en principe contraire à la déontologie médicale. C'est le cas, par exemple, d'un médecin qui s'installerait avec un réflexologue.
S'agissant de l'impact concret de la désinformation médicale, c'est une question complexe qui dépasse nos moyens et nos compétences. Mais il existe bien des effets très visibles, y compris des décès que nous signalons au parquet. Il reste ensuite, sur un plan pénal, à établir le lien de causalité entre la désinformation, la rupture des soins et le décès lui-même. C'est un sujet très complexe qui nous impose de travailler en réseau - nous le faisons, par exemple avec la DGCCRF et l'Arcom, qui sont membres du conseil d'orientation de la Miviludes.
Sur la question des réseaux sociaux, il faut aussi être lucide : nous devons renforcer notre action, y compris en matière de prévention. Plusieurs modalités d'action sont nécessaires et complémentaires aux dénonciations que nous adressons au parquet. Notre rapport d'activité, dans lequel nous essayons d'analyser ces phénomènes, nous rappelons que nous avons multiplié par plus de deux nos signalements au parquet. Et plus de la moitié de ces 80 signalements que nous avons adressés en 2023 et 2024 concernent le domaine de la santé.
Mme Laurence Muller-Bronn. - J'aurai trois questions.
Ma première question concerne la méthodologie des chiffres que vous communiquez dans votre rapport d'activité et la lisibilité de ces données pour évaluer l'ampleur des dérives sectaires et faire état d'une augmentation des saisines.
Il est intéressant de préciser qu'une partie de ces saisines sont des demandes d'information qui font très souvent suite à des conférences de presse, des publications de rapports ou des campagnes d'information de la Miviludes, qui se sont multipliées ces dernières années. Beaucoup de demandes d'information émanent d'ailleurs de journalistes. Cela est souligné dans l'un de vos rapports. L'augmentation des saisines s'explique donc, en partie, par les communications de la Mission, qui ont augmenté ces dernières années.
Par ailleurs, les chiffres des saisines et des signalements sont agrégés sans distinction, ce qui est finalement un peu trompeur, car seules les saisines ayant donné lieu à une enquête, qui aura elle-même confirmé une dérive sectaire, permettraient de connaître la réalité. À titre d'exemple, les chiffres de 2021 font état de 3 118 saisines, mais qui n'ont donné lieu qu'à 5 informations préoccupantes transmises au président du département sur la situation d'un mineur ; 20 saisines ont par ailleurs fait l'objet d'un signalement au procureur de la République. Dans le rapport de 2017, qui indique les chiffres de 2016, pour vous donner un comparatif, sur 2 323 demandes adressées à la Miviludes, seulement 9 ont fait l'objet d'une transmission au procureur.
Ma question est la suivante : pourquoi entretenir une confusion entre les chiffres et un manque de transparence sur les suites qui sont réellement données aux saisines ? J'avais déjà posé une question à ce sujet. Je rappelle que ce sont ces données qui ont justifié le vote de la loi visant à lutter contre les dérives sectaires, que vous avez évoquée, en procédure accélérée, et ce, malgré les avertissements du Conseil d'État puis du Sénat sur les atteintes disproportionnées de cette loi aux libertés fondamentales. C'est une question cruciale.
Ma deuxième question concerne les chiffres relatifs aux dérives en santé, notamment les pratiques de soins non conventionnelles qui sont pointées du doigt dans votre dernier rapport comme étant la principale cause des signalements et des saisines. Le problème est le suivant : la Miviludes ne définit pas ces pratiques et, surtout, aucun chiffre ne vient étayer ce constat, ni pour les saisines, ni pour les signalements, ni pour les transmissions au procureur. Le nombre de signalements au procureur de la République, compris entre 13 et 45 sur les années 2022, 2023 et 2024, concerne l'ensemble des dérives sectaires et non pas seulement celles relevant du domaine de la santé. Comment peut-on en déduire une exposition des dérives sectaires en santé ?
Quelles sont vos données sur ce sujet et quel est votre méthodologie de validation ? Pouvez-vous, enfin, nous les transmettre ?
La troisième question concerne l'amalgame actuel entre bonne et mauvaise pratique médicale, et la confusion opérée par les instances officielles elles-mêmes. Cette confusion crée un danger pour les patients, car elle empêche d'intégrer les médecines intégratives et complémentaires, comme le font pourtant de nombreux pays aujourd'hui, précisément pour éviter les gourous. À Strasbourg, nous avons une chaire dédiée à la médecine intégrative. En Allemagne, il y en a treize. En Suisse, les médecines intégratives sont complètement intégrées au parcours médical et ont été développées à l'hôpital, en ambulatoire, depuis plusieurs années. Ma question est la suivante : la Miviludes serait-elle prête à travailler avec des professeurs de médecine et des universitaires sur cette question ? Je pense notamment au Collège universitaire de médecine intégrative et complémentaire, le Cumic, qui était d'ailleurs membre du comité d'appui technique à l'encadrement de ces pratiques, lancé par la ministre de la qanté, Agnès Firmin-Le Bodo, en 2023, et malheureusement abandonné par ses successeurs. Je vous remercie.
M. Philippe Mouiller, président. - Compte tenu de la nature très technique de certaines questions, je propose que les deux premières questions fassent l'objet d'une réponse écrite.
Mme Laurence Rossignol. - J'ai une question très simple. Disposez-vous de statistiques sexuées ou genrées sur votre activité ? Ainsi, je souhaiterais savoir comment se répartissent d'une part les victimes, c'est-à-dire les personnes qui font l'objet de signalements en vue de protection et, d'autre part, les auteurs de ces infractions.
M. Donatien Le Vaillant. - La réponse est négative, nous n'avons pas les moyens de les décompter. Mais je peux vous dire que nous savons, à l'évidence, qu'il y a davantage de victimes femmes que de victimes hommes. S'agissant des auteurs, il faudrait étudier la question.
Mme Céline Brulin. - Je voudrais vous interroger sur la part que représente la santé mentale dans les signalements relatifs à la santé en général. Il semble qu'il y ait un développement important de coachs et de pseudo-thérapeutes divers et variés. Dans les signalements, dont vous avez montré qu'ils étaient en très forte augmentation, quelle part relève du champ de la santé mentale ?
Vous avez rappelé que tous les patients ne trouvent pas le soin adéquat. C'est le cas aussi en matière de santé mentale, parce que l'offre de soins est insuffisante. On constate beaucoup d'errances médicales qui peuvent conduire à s'orienter vers des pratiques non conventionnelles.
Enfin, cette situation montre que la culture scientifique en France mériterait d'être véritablement renforcée. Cela serait le plus efficace, il me semble, pour se prémunir de ce genre de dérive.
Mme Nadia Sollogoub. - Je suis sensible à la question de la cohabitation entre des médecins ou des professionnels de santé et des non-professionnels de santé, notamment dans des maisons de santé, et particulièrement dans des territoires ruraux où l'accès aux soins est très difficile.
Les élus ont besoin de trouver des professionnels de santé pour apporter une solution à leurs administrés.
Faudrait-il diffuser une liste des professionnels de santé ? Devrait-elle être évolutive, afin de prendre en considération les nouveaux métiers qui apparaissent ?
Mme Brigitte Devésa. - Beaucoup de questions ont déjà été posées.
Comment peut-on fixer une limite claire entre ce qui relève d'une pratique médicale sectaire et ce qui constitue une pratique de médecine traditionnelle, dont l'efficacité sur le plan médical n'est pas scientifiquement établie, mais qui n'est pas pour autant sectaire ?
À propos des formations que vous avez évoquées, sont-elles obligatoires ou restent-elles à l'appréciation des médecins ?
M. Étienne Apaire. - Je vous remercie pour votre question et laisserai M. Donatien Le Vaillant compléter mon propos. J'ai déjà défini ce qu'était une dérive sectaire. Si l'on peut discuter de l'intérêt thérapeutique de telle ou telle méthode, nous entrons dans le champ de la dérive sectaire à partir du moment où il y a des manoeuvres de séduction, de transformation de vos valeurs, d'isolement et d'emprise financière, cette dernière étant très fréquente dans le domaine sanitaire.
Parmi les signalements qui nous sont faits, on retrouve rarement des praticiens proposant des soins alternatifs sans réclamer une rétribution. L'isolement est également un critère pertinent : quelqu'un qui propose un soin alternatif n'a pas besoin d'isoler le patient de sa famille ou de son entourage. Face à ces indices, il faut faire preuve de bon sens.
S'agissant de la formation, Miviludes n'a pas la main sur la formation médicale, mais nous tentons de sensibiliser les étudiants à l'université, ainsi que les professionnels de santé ou encore les magistrats.
À propos de la santé mentale, nous avons identifié un phénomène de dégradation de la santé mentale de la population française depuis l'épidémie de covid-19, en particulier chez les jeunes. Le bien être psychique est parfois recherché à travers des pratiques professionnelles douteuses. La prévention des phénomènes d'emprise passe aussi par le fait, pour certaines entreprises, de s'interroger plus avant sur le recours à des cabinets de coaching dont le lien avec des mouvements à caractère sectaire mériterait d'être investigué. S'agissant des signaux d'alerte qu'il convient de détecter, il faut qu'être attentif à la question de l'emprise financière et des dégâts psychologiques peuvent être causés, dans des entreprises, par des gens qui ne cherchent pas du tout le bien-être de l'équipe au travail, mais qui cherchent au contraire à capter des professionnels.
Concernant les chiffres, nous pouvons les améliorer. Nous vous communiquerons les éléments dont nous disposons. Concernant les signalements, il importe de distinguer la demande d'information de la dénonciation. Nous sommes fréquemment contactés par des personnes qui veulent nous alerter sur l'isolement d'un proche ou les agissements d'un praticien. Il faut tempérer les mises en cause et les soupçons d'amalgame. Nous travaillons avec les moyens qui sont les nôtres et nous essayons d'être rigoureux afin de leur apporter des réponses.
M. Donatien Le Vaillant. - Pour définir des pratiques médicales sectaires, nous usons d'une double approche, judiciaire et préventive. D'un côté nous effectuons des signalements d'infractions pénales au Parquet, qui vont des blessures involontaires à l'homicide involontaire, en passant par la provocation à l'abandon de soins ou encore la pratique commerciale trompeuse, en cas de tromperie du consommateur sur internet. De l'autre côté, nous alertons sur les conséquences humaines de ces pratiques. Les dérives sectaires commencent le plus souvent par un isolement familial, suivi ensuite d'un détournement du parcours de soins. Les médecins jouent en effet un rôle de régulateur social et n'ont aucune raison de couper les patients de leur famille, à l'inverse de faux thérapeutes appartenant à des réseaux fermés, ce qui complexifie les contrôles.
Madame Muller-Bronn, vous nous avez interrogés sur les chiffres, et je vous invite à prendre connaissance des pages 55 à 64 de notre rapport d'activité dans lesquelles nous listons les condamnations rendues par l'autorité judiciaire en matière de dérive sectaires, et notamment dans le domaine médical. Au-delà des chiffres, il importe de remettre les choses dans leur contexte et notamment celui des moyens dont nous disposons.
La moitié environ des saisines de la Miviludes donnent lieu à un signalement. Le secteur de la santé est très réglementé en matière pénale, comme en atteste le délit de placement en état de sujétion introduit par la loi du 10 mai 2024. En matière de santé, la moitié des signalements que nous faisons concernent des ruptures de soins de personnes atteintes de cancer. Il s'agit de faits particulièrement graves.
La santé mentale est également particulièrement touchée, notamment par les phénomènes de faux souvenirs induits, qui consistent en le fait d'inculquer à une personne de faux souvenirs, notamment d'agression sexuelle intrafamiliale. Le fait d'induire de faux souvenirs est très difficile à prouver sur le plan matériel : il faut des enregistrements de conversation permettant de démontrer la manoeuvre, ce qui explique le faible nombre de condamnations. Pour autant, cela cause des conséquences dévastatrices que sont des traumatismes durables et des familles brisées. Un ancien président de la Miviludes rappelait que, dans notre pays, il fallait un BEP pour tenir un salon de coiffure, mais qu'en matière de santé mentale, on pouvait s'installer sans aucune contrainte, il suffisait d'apposer sa plaque dans la rue. Cela appelle une réflexion collective sur les conditions d'exercice de ces activités.
L'Ordre des médecins avait proposé un encadrement du terme de « médecine » qui n'est pas aujourd'hui réglementé. Il reste ainsi possible d'exercer des médecines douces qui ne peuvent pas être interdites en tant que telles en l'absence de trouble à l'ordre public. Les préfets ne sont pas en capacité de les interdire et doivent se limiter à des actions de communication et de prévention, qui pourraient également être relayées par d'autres acteurs.
Nous sommes également préoccupés par la présence croissante de non-professionnels de santé dans les maisons de santé. Nous avons conscience de la pression exercée sur les élus pour remplir ces structures. Nous avons rédigé un guide à l'attention des élus locaux et des fonctionnaires territoriaux qui est en ligne sur notre site et que nous sommes en train d'actualiser avec l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité La stratégie nationale de lutte contre les dérives sectaires qui est portée par le ministre M. François-Noël Buffet comprend également un volet de prévention et de sensibilisation des élus locaux. Partout où nous intervenons, les élus nous font part de cas nombreux sans toujours disposer des outils pour y faire face. Ce guide vise à répondre à leurs besoins.
Mme Corinne Imbert. - Une question brève : avant les sanctions, il y a la prévention. Quelles mesures de prévention peuvent-elles être mises en place dans les établissements de santé pour prévenir l'influence des mouvements sectaires ? Cette question se pose avec d'autant plus d'acuité dans le contexte actuel des discussions sur la fin de vie. Travaillez-vous avec les fédérations hospitalières pour contrôler l'introduction de ces pratiques non conventionnelles au sein de l'hôpital ? Vous avez évoqué les ordres professionnels, avec lesquels vous entretenez visiblement des échanges très fournis. Êtes-vous informés des sanctions déontologiques que peuvent prononcer les ordres ?
Mme Anne-Sophie Romagny. - Vous avez mentionné 19 % de mineurs touchés par les dérives sectaires, et qu'il s'agissait plutôt de femmes. Par ailleurs, la plupart des cas concernent des ruptures de soins en cancérologie.
Avez-vous identifié des profils-type de vulnérabilité, notamment en lien avec la situation sociale ou l'état de santé ?
Quels sont les courants pseudo-médicaux ou thérapeutiques que vous considérez aujourd'hui comme particulièrement préoccupants ?
Et enfin, quelles sont les actions de prévention qui sont actuellement menées auprès du grand public contre la désinformation médicale et les pratiques à risque ?
Mme Annick Petrus. -Messieurs, je vous remercie pour votre présence et pour vos travaux, en particulier sur la question sensible des dérives sectaires dans le domaine de la santé.
Depuis nos territoires ultramarins, et plus particulièrement les Antilles, à Saint-Martin comme en Guadeloupe ou en Martinique, nous observons un terreau particulièrement propice à la circulation des fausses informations en matière de santé.
Les phénomènes de défiance à l'égard de la médecine conventionnelle, de repli sur des croyances alternatives et de recours à des guérisseurs, magnétiseurs ou praticiens autoproclamés se sont renforcés ces dernières années. L'épidémie de covid-19 a accentué cette méfiance et permis l'implantation durable de discours complotistes relayés notamment par les figures locales très suivies sur les réseaux sociaux.
Ces discours, qui mêlent souvent croyances spirituelles, références peu scientifiques et rejets des institutions, peuvent ouvrir la voie à des pratiques sectaires plus structurées. Dans un contexte où l'accès aux soins reste inégal, où les professionnels de santé sont parfois insuffisamment nombreux et où le lien de confiance avec les institutions est fragile, comment la mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires adapte-t-elle son action à nos réalités ultramarines ?
Disposez-vous de relais ou de correspondants dans nos territoires ? Travaillez-vous en lien avec les agences régionale de santé d'outre-mer pour détecter et prévenir ces dérives ? Quelles actions envisagez-vous pour renforcer la sensibilisation de nos populations, en particulier des jeunes et des personnes vulnérables, face aux discours mensongers sur la santé ?
Mme Anne Souyris. - Je m'interroge sur le lien entre les dérives sectaires en santé et la désinformation systémique amplifiée par les réseaux sociaux, dont l'ampleur est telle qu'elle peut dépasser vos compétences en matière de lutte contre la désinformation. La formation que vous menez est essentielle mais elle doit être relayée par des actions menées par le ministère de l'Éducation nationale. Il faut à mon sens former les élèves à reconnaître une démarche scientifique et à identifier des sources fiables.
Lorsque j'ai été adjointe à la maire de Paris en charge de la santé publique, nous avons observé des différences de comportement importantes face à la vaccination parmi les élèves : ceux qui habitaient les quartiers les plus populaires étaient rétifs à la vaccination et véhiculaient des théories complotistes et anti-système.
Et à l'époque, l'Éducation nationale avait répondu à cette désinformation en diffusant des prospectus qui incitaient à la vaccination, mais cela était dérisoire. Ma première question porte sur l'existence d'un dialogue que vous auriez avec l'Éducation nationale afin de lutter contre la désinformation et les dérives sectaires. Ma deuxième question concerne ensuite les actions que vous menez auprès des professionnels de santé, et notamment les oncologues, sur la façon d'accompagner leurs patients dans l'analyse critique des informations de santé. Enfin, avez-vous engagé une réflexion sur l'intelligence artificielle, ses usages et ses risques en matière de désinformation ?
M. Alain Milon. - Ma question sera brève : disposez-vous de données sur l'influence des mouvements sectaires sur le refus de vaccination ?
Mme Annie Le Houérou. - Je vous remercie, monsieur le président, d'avoir inscrit ce sujet à l'ordre du jour, car l'intérêt que nous lui portons montre l'ampleur du problème. Il existe, me semble-t-il, un lien entre la difficulté d'accès aux soins et le recours à ces médecines alternatives, notamment dans le domaine de la santé mentale qui constitue un marché en pleine expansion avec le recours à des coachs psychothérapeutes.
J'observe un déficit d'information. Nous avons évoqué l'éducation thérapeutique, mais aussi l'information des élus. Je suis donc ravie d'apprendre qu'il y a un guide à l'attention des élus, car nous sommes très souvent sollicités par des familles qui sont en errance et en difficulté face à ces questions, après avoir eu recours à un coach ou à un psychothérapeute auto-proclamé dans des maisons dites médicales ou paramédicales. Ne faudrait-il pas un encadrement plus strict de la part des ordres et de l'ARS ?
Enfin, que recommandez-vous concrètement aux personnes victimes de ces pratiques ? Vers quelle institution doivent-elles se tourner ? Faut-il effectuer un signalement au procureur, à l'agence régionale de santé ou encore aux ordres ? La dérive est difficile à caractériser...
M. Étienne Apaire. - Oui, nous travaillons avec l'Éducation nationale. Bien évidemment, c'est une préoccupation majeure, d'autant plus que cela nous est demandé par la loi du 10 mai 2024, qui prévoit la mise en place d'échanges d'informations et de formations appropriées.
Lorsque nous sommes confrontés à des problèmes complexes de politique publique, il faut essayer de servir les intérêts des citoyens. La Miviludes n'est pas l'autorité en charge de l'appréciation des pratiques alternatives en matière sanitaire, ni de lutter contre les phénomènes de désinformation sur internet. Elle agit en lien avec les autorités concernées. Pour celles et ceux qui souhaitent signaler un cas, il convient de consulter notre site internet. Une demande d'information précède toujours une dénonciation. Nous ne traitons que les cas où la désinformation s'inscrit dans une logique de dérive sectaire ayant pour but de développer une emprise mentale ou financière sur l'individu. Nous documentons ces phénomènes dans notre rapport, qui pourra vous fournir un panel d'exemples.
Les territoires d'outre-mer font l'objet d'une préoccupation particulière et permanente, Dans certains quartiers, la médecine prophétique a remplacé la médecine officielle, avec le recours à des prières et des ventouses. Là encore, on doit pouvoir prévenir nos concitoyens, notamment de confession musulmane, que ces pratiques ne guérissent pas un cancer.
M. Donatien Le Vaillant. - Je voudrais ajouter que nous faisons de la prévention et qu'il y a eu une campagne portée par le Gouvernement au mois de février dernier sur les dérives sectaires, y compris dans le domaine de la santé. C'était la toute première.
Elle a d'ailleurs été primée récemment. Mais nous avons également élaboré, avec l'association nationale pour la formation permanente du personnel hospitalier, des supports pédagogiques, sur les risques de dérive sectaire.
Concernant les ordres des professionnels de santé, ils n'ont pas l'obligation de nous faire retour des sanctions déontologiques qu'ils prononcent. En revanche, la loi du 10 mai 2024 fait obligation aux parquets de transmettre aux ordres les informations relatives aux professionnels de santé sous contrôle judiciaire ou qui ont été condamnés, même de manière non définitive, pour permettre aux ordres d'agir plus efficacement.
S'agissant des moments de vulnérabilité les plus critiques face aux dérives sectaires en matière de santé, ils concernent les personnes qui estiment n'avoir pas eu les réponses satisfaisantes de la part des institutions et des professionnels de santé. Il s'agit notamment des personnes qui sont en récidive de cancer ou des familles au sein desquelles il y a un enfant handicapé ou autiste. De nouveaux métiers se sont constitués pour prétendument soigner l'autisme, entraînant une série de dérives.
Nous sommes très préoccupés par les dérives sectaires dans les territoires ultramarins. Nous travaillons très bien avec les préfectures, mais il nous reste un travail supplémentaire à faire pour développer un réseau associatif spécialisé, notamment aux Antilles. C'est cet écosystème entre le secteur associatif, les préfectures et les ARS, qui permet une action efficace. Nous sensibilisons déjà les acteurs d'associations généralistes d'aide aux victimes, mais il nous faut encore progresser.
Dans le champ de l'Éducation nationale, nous intervenons également auprès de la protection de l'enfance pour repérer des directives sectaires. Nous formons les professionnels de la protection de l'enfance, mais aussi les acteurs éducatifs de l'Éducation nationale sur ces questions-là. Nous avons co-construit avec la préfecture de police de Paris une mallette pédagogique et nous travaillons avec la direction de la sécurité de proximité de l'agglomération parisienne, qui est une direction de la préfecture de police de Paris qui intervient dans les écoles. Ces outils servent à détecter des signes précurseurs de souffrance et d'isolement.
S'agissant de l'intelligence artificielle, je vous invite à aller consulter notre rapport annuel dans lequel figurent quatre contributions d'experts sur la question du numérique, de l'intelligence artificielle, mais également le métavers dont on parle moins aujourd'hui, mais qui va revenir très vite sur le devant de l'actualité.
Enfin, sur le refus de la vaccination, il y a une corrélation évidente entre les dérives sectaires et le discours complotiste, et le refus de vaccination. Ce phénomène, qui a été documenté dans des articles de presse, est notamment observé dans certaines communautés fermées. Nous recommandons aux victimes de consulter des associations spécialisées d'aide aux victimes, qui sont listées sur notre site internet, ou de nous adresser leurs demandes d'informations. Si elles souhaitent porter plainte, nous leur répondrons et les orienterons dans leurs démarches de signalement auprès de l'autorité judiciaire comme des ordres des porfessionnels de santé.
M. Philippe Mouiller, président. - Messieurs, je vous remercie pour cette audition très intéressante, qui a donné lieu de nombreuses questions de la part des sénateurs, et à des échanges très fournis. Merci beaucoup.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Projet de loi portant transposition des accords nationaux interprofessionnels en faveur de l'emploi des salariés expérimentés et relatif à l'évolution du dialogue social - Audition de Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargée du travail et de l'emploi
M. Philippe Mouiller, président. - Nous allons entendre à présent Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargée du travail et de l'emploi, sur le projet de loi portant transposition des accords nationaux interprofessionnels (ANI) en faveur de l'emploi des salariés expérimentés et relatif à l'évolution du dialogue social.
Ce texte, dont Anne-Marie Nédélec et Frédérique Puissat sont les rapporteures, est inscrit à l'ordre du jour de la séance publique le 4 juin prochain. Il sera examiné en commission la semaine prochaine, mercredi 28 mai.
Je vous indique que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo. Elle est retransmise en direct sur le site du Sénat et sera disponible en vidéo à la demande.
Madame la ministre, je vous remercie d'avoir accepté l'invitation de la commission des affaires sociales afin de nous présenter ce projet de loi. Vous savez l'importance que nous attachons à la fois au sujet de l'emploi des seniors et au respect des négociations entre les partenaires sociaux. Nous serons donc attentifs au contenu des mesures proposées, mais aussi à leur fidélité aux conclusions du dialogue social. Après votre propos liminaire, les commissaires qui le souhaiteront, à commencer par nos deux rapporteures, pourront vous interroger.
Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargée du travail et de l'emploi. - C'est un plaisir de vous retrouver aujourd'hui pour présenter le projet de loi portant transposition des ANI signés par les partenaires sociaux le 14 novembre dernier. Ce texte traite de sujets importants, en particulier l'emploi des seniors, qui faisait partie de la négociation « Pacte de la vie au travail », processus qui n'avait pu aboutir au printemps 2024. Il comprend également des mesures issues de la négociation sur l'assurance chômage, qui n'avaient pas été agréées par le gouvernement d'alors et que le Premier ministre Michel Barnier - je tiens à le saluer ici - avait souhaité relancer, car, comme vous, mesdames, messieurs les sénateurs, il croit au dialogue social.
En relançant ce dialogue social, le Gouvernement a fait le choix de la démocratie sociale. Un triple accord a ainsi été conclu le 14 novembre 2024, comprenant deux accords nationaux interprofessionnels, l'un portant sur les travailleurs expérimentés, l'autre sur le dialogue social, sujet qui ne figurait pas dans la feuille de route initiale - mais il arrive parfois que les partenaires sociaux aient l'envie spontanée de se saisir de ces sujets de manière conclusive -, ainsi qu'un avenant au protocole d'accord sur l'assurance chômage de novembre 2023.
L'accord concernant l'emploi et le travail des salariés expérimentés a été signé par les trois organisations patronales et par quatre des cinq organisations syndicales représentatives, la Confédération générale du travail (CGT) faisant exception.
L'ANI relatif au dialogue social a été signé par toutes les organisations syndicales et par deux des trois organisations patronales, la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) faisant exception.
L'avenant au protocole sur l'assurance chômage a été signé par les trois organisations patronales et par trois organisations syndicales, la CGT et la Confédération française de l'encadrement - Confédération générale des cadres (CFE-CGC) faisant exception.
Comme je l'ai dit aux partenaires sociaux, je tiens à remercier toutes les organisations, y compris celles qui n'ont pas signé, car les accords sont le fruit de négociations : même quand on ne signe pas, on contribue au texte final.
Sans recueillir l'unanimité, ces trois textes ont suscité un très large accord. Il appartient maintenant au Parlement, et en premier lieu au Sénat, d'en assurer la transposition législative sur la base d'un projet de loi qui, je le rappelle, a fait l'objet de très nombreux échanges avec les partenaires sociaux, y compris les non-signataires, depuis plusieurs mois.
Concernant les travailleurs expérimentés, nous avons largement discuté des enjeux macroéconomiques et humains qui sont derrière cet immense gâchis de compétences et d'envie de travailler. Ce projet de loi s'inscrit donc dans une ambition plus large : changer la loi, mais aussi changer les regards et les pratiques, pour en finir avec le sous-emploi des plus de 50 ans dans notre pays.
Changer la loi, nous allons le faire ensemble ; mais tout ne passe pas par la loi, fort heureusement. L'âge demeure, comme l'a rappelé la Défenseure des droits, le premier motif de discrimination sur le marché du travail, une réalité à laquelle s'ajoutent d'autres formes de discrimination fondées sur le genre, la domiciliation ou l'origine supposée. Les plus de 50 ans ont ainsi trois fois moins de chances d'être recrutés, trois fois moins de chances d'être convoqués à un entretien et deux fois moins de chances, lorsqu'ils occupent un poste dans une entreprise, de bénéficier d'une formation. Ces chiffres sont solidement étayés.
Changer les pratiques, cela passe par un travail de fond. Nous l'avons entamé fin avril en réunissant toutes les parties prenantes : des entreprises, des collectifs d'entreprises, les trois organisations patronales, l'Association nationale des directeurs des ressources humaines (ANDRH), France Travail, l'Association pour l'emploi des cadres (Apec), le groupement d'intérêt public (GIP) Les entreprises s'engagent. Pour le premier rendez-vous, nous avons réuni 300 DRH au ministère du travail, et nous conclurons cette grande initiative fin juin, lors du séminaire de l'ANDRH à Vannes, où 600 entreprises seront présentes.
Changer les pratiques nécessite aussi un changement de regard. Ce point est extrêmement important eu égard aux nombreux préjugés infondés entourant les travailleurs expérimentés. D'où une campagne de communication déployée à la radio et sur les réseaux sociaux, pour nous inciter à faire le pari de l'expérience.
J'en viens désormais au projet de loi proprement dit.
Nous favorisons le dialogue social en imposant aux branches professionnelles et aux entreprises d'au moins 300 salariés de mener tous les quatre ans des négociations spécifiques. Il est en effet important que le dialogue social, à tous les niveaux, s'approprie les enjeux liés au recrutement, au maintien en emploi, à la santé, à la formation, à la transmission des compétences, ainsi qu'à la gestion de la fin de carrière, qu'il convient d'envisager en France de manière plus flexible. Il s'agit de construire un véritable continuum entre l'activité et le départ à la retraite.
Nous introduisons également un dispositif important : le rendez-vous de mi-carrière, autour de 45 ans. Il associera la visite médicale, qui est déjà obligatoire, à un nouvel entretien professionnel. Ces deux obligations combinées permettront non seulement de mieux prendre en compte les enjeux de santé au travail, mais aussi d'envisager plus globalement les questions de compétences et de qualifications, et ainsi d'aborder plus sereinement la deuxième partie de carrière. L'un des enseignements majeurs tirés de l'expérience des pays d'Europe du Nord, engagés sur la question de l'emploi des seniors depuis les années 2000, est clairement que, pour travailler plus longtemps, il faut s'y prendre plus tôt.
Ce projet de loi apporte aussi une réponse en matière de recrutement des travailleurs expérimentés, en prévoyant, pour cinq ans, l'expérimentation d'un contrat de valorisation de l'expérience destiné aux demandeurs d'emploi de 60 ans et plus. Il s'agit de lever un frein identifié à l'embauche des travailleurs expérimentés âgés de 58 à 60 ans.
En contrepartie de ce contrat à durée indéterminée spécifique dont bénéficieront les salariés, les entreprises disposeront de deux garanties : d'une part, l`assurance de savoir que le salarié partira à la retraite lorsqu'il aura atteint l'âge légal de départ à taux plein ; d'autre part, un avantage financier concret : l'exonération de cotisations sur l'indemnité de mise à la retraite.
Cette mesure, très attendue par les organisations patronales, répond au manque de lisibilité concernant la date de départ à la retraite, perçu comme un obstacle à l'embauche. Bien entendu, si les deux parties, employeur et salarié, souhaitent poursuivre le contrat au-delà de cette date, rien ne les en empêchera.
Ce texte facilite aussi les aménagements de fin de carrière. Derrière les bonnes performances de la Suède ou du Danemark en matière de taux d'emploi des 60-64 ans, il est à relever des taux de temps partiel importants. Cela s'explique par le développement de dispositifs de retraite progressive ou de cumul emploi-retraite. Il est temps de sortir de cette vision très binaire, encore trop présente en France, selon laquelle on serait soit à 100 % en activité soit à 100 % à la retraite.
Nous simplifions le dispositif de retraite progressive sur le plan administratif et nous permettons d'y accéder plus tôt : quatre ans avant l'âge légal de départ à la retraite - c'est-à-dire à 60 ans -, contre deux ans avant actuellement - 62 ans.
Le texte prévoit par ailleurs la possibilité, pour l'employeur d'un salarié qui décide de réduire son temps de travail, de lui verser de manière anticipée tout ou partie de son indemnité de départ à la retraite, afin de compenser partiellement la perte de rémunération.
Enfin, il est proposé d'obliger les entreprises à motiver plus précisément les refus qu'elles sont en droit d'opposer aux demandes de passage à temps partiel dans le cadre d'une retraite progressive. Il ne s'agit pas d'en faire un droit opposable, mais les entreprises devront désormais justifier beaucoup plus rigoureusement leurs refus de recours à ce dispositif.
La retraite progressive reste aujourd'hui très peu utilisé : seules 30 000 personnes en bénéficient, sur 700 000 à 750 000 départs à la retraite chaque année. La publication prochaine du décret simplifiant le dispositif permettra une entrée en vigueur au 1er septembre 2025.
Je précise que la retraite progressive - c'est un point très important, car je sais combien vous y êtes attachés - sera accessible aux salariés du secteur privé comme aux agents des trois fonctions publiques. Et, le cas échéant, l'employeur devra aussi motiver son refus.
Pour ce qui est du dialogue social, le projet de loi retranscrit l'accord dans la loi, notamment en supprimant la limite du nombre de mandats successifs pour les membres élus siégeant dans les comités sociaux et économiques (CSE).
Le cumul des mandats dans le temps, qu'il soit politique ou social, suscite des débats, dans la mesure où l'arbitrage entre liberté de choix et renouvellement, entre continuité et efficacité, est délicat à effectuer. L'idée, qui semblait bonne, de limiter ce cumul, introduite par les ordonnances de 2017, posait aussi des questions très opérationnelles au sein des entreprises - étroitesse des viviers, plans de succession à bâtir pour les responsables syndicaux. Les partenaires sociaux ont trouvé un accord très large pour écarter cette limite.
Concernant l'assurance chômage, les circonstances sont un peu différentes.
Les partenaires sociaux étaient parvenus à un accord en novembre 2023, mais le Gouvernement ne l'avait pas agréé. En octobre 2024, Michel Barnier a demandé aux partenaires sociaux de reprendre la négociation, qui a abouti à un nouvel accord. La convention Unédic a été agréée par le Gouvernement via un décret du 20 décembre 2024 dont la mise en oeuvre va permettre, en régime de croisière, de réaliser 1,5 milliard d'euros d'économies par an - je rappelle que nous avions demandé 400 millions d'euros d'économies supplémentaires par an, sachant que, de surcroît, cet accord améliore les droits des saisonniers et des primo-entrants.
Les chiffres du chômage publiés par l'Insee vendredi dernier montrent une baisse de 0,1 point du taux de chômage sur un an, ainsi qu'une augmentation de 0,1 point sur le dernier trimestre. La situation reste fragile, et les primo-arrivants, qui sont à 65 % des jeunes, se retrouvent particulièrement exposés lorsque les conditions se durcissent. L'abaissement de la durée d'affiliation requise, de six mois à cinq mois, pour les personnes s'inscrivant pour la première fois à l'assurance chômage, permettra de mieux sécuriser leur situation et de mieux les accompagner. Cette mesure est intégrée au projet de loi, car une disposition législative était nécessaire pour l'inclure dans la convention d'assurance chômage.
J'en viens au dernier point, et non des moindres : l'article 10, qui concerne les transitions professionnelles. Avec la ministre Catherine Vautrin, nous avons adressé une lettre aux partenaires sociaux, afin de relancer les négociations sur les dispositifs de transition et de reconversion. Cette question avait fait l'objet d'un accord très partiel au printemps 2024, dans le cadre de la négociation « Pacte de la vie au travail ». Ces dispositions sont extrêmement importantes, compte tenu du contexte économique actuel et des limites des dispositifs existants, qui demeurent trop complexes, insuffisamment lisibles et très perfectibles. De plus, ils sont insuffisamment mobilisés, surtout en période de crise, s'agissant de faire face aux restructurations industrielles ou de mieux répondre à l'usure professionnelle.
C'était une demande forte des partenaires sociaux, tant du côté patronal que du côté syndical. Aujourd'hui, les organisations représentatives sont de nouveau réunies autour de la table, avec la volonté de parvenir à un accord dans des délais raisonnables. Si un tel accord devait être conclu, il pourrait être intégré à ce projet de loi, dans le respect de l'esprit de la transposition et du dialogue avec le Parlement.
Cet article 10 donnera au Parlement la possibilité de débattre sur ce sujet et, s'il le juge nécessaire, d'amender le dispositif pour tenir compte d'un éventuel accord. Le Gouvernement, je le dis ici devant vous, s'engage à déposer un amendement, dans le respect total de l'accord, si celui-ci intervient. En l'absence d'accord, cette disposition d'habilitation sera supprimée.
Nous avons réussi à revitaliser le dialogue social, ce qui est une avancée remarquable. Je sais que le Sénat a une certaine expérience dans cet exercice particulier qu'est la transposition des ANI.
Mme Anne-Marie Nédélec, rapporteure. - Merci, madame la ministre, pour ces échanges et pour votre écoute tout au long de nos travaux.
Lors des auditions que nous avons menées, les partenaires sociaux se sont montrés satisfaits de la transcription fidèle de leurs accords dans le projet du Gouvernement. Telle est la ligne que nous comptons suivre, même si un petit sujet reste pendant - je veux parler de l'article 10.
Les organisations syndicales placent beaucoup d'espoir dans les deux premiers articles, qui concernent la négociation obligatoire sur l'emploi et le travail des salariés expérimentés. Il s'agit d'un vrai levier pour la diffusion des dispositifs de retraite progressive et de temps partiel en entreprise, avec pour objectif le maintien dans l'emploi. À ce propos, nous avons noté une réelle prise de conscience des réalités démographiques et une réelle volonté d'avancer - or là où il y a une volonté, en principe, il y a un chemin...
Pour autant, l'ambition du Gouvernement d'augmenter de 26 points le taux d'emploi des 60-64 ans à l'horizon 2030 est-elle réaliste ? Et comment l'État peut-il accompagner les branches et les entreprises sans interférer dans leurs négociations ?
L'article 9 vise à appliquer l'unique mesure de la convention d'assurance chômage du 15 novembre 2024 qui n'a pu être agréée, faute de base légale : l'assouplissement des conditions d'affiliation pour les demandeurs n'ayant jamais bénéficié d'une ouverture de droits au cours des vingt dernières années, c'est-à-dire les primo-arrivants - essentiellement des jeunes, mais aussi certains seniors récemment licenciés. La convention prévoit un dispositif similaire pour les travailleurs saisonniers, indispensables à nos territoires, notamment dans les secteurs agricole et touristique. Mais certains contournent le système en alternant volontairement périodes d'activité et d'inactivité, au détriment de la collectivité. Vos services reconnaissent que ces excès ne sont pas anecdotiques. Quelles actions sont envisagées pour y remédier ? La règle est-elle amenée à évoluer ?
Mme Frédérique Puissat, rapporteur. - Je rejoins entièrement Anne-Marie Nédélec sur les enseignements tirés de nos travaux. Je poserai simplement trois questions.
La première est plutôt un clin d'oeil à notre ancien collègue René-Paul Savary, qui avait beaucoup bataillé pour défendre le « CDI senior » lors de l'examen du projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale (PLFRSS) pour 2023. À l'époque, le Gouvernement avait rejeté ce dispositif, avançant un coût estimé à 800 millions d'euros.
Dans le présent texte, il est question d'un contrat de valorisation de l'expérience, qui n'est pas tout à fait identique au « CDI senior ». Or l'étude d'impact ne fournit aucun chiffrage de ce nouveau contrat. A-t-on surestimé le coût à l'époque ? Celui-ci ne coûtera-t-il rien ? Ou est-il difficile à évaluer ? Quoi qu'il en soit, je tiens à rendre hommage au travail de notre ancien collègue en faveur d'un contrat qui n'avait pas vu le jour, puisqu'il avait été censuré par le Conseil constitutionnel comme cavalier social...
Ma deuxième question porte sur l'article 3, qui articule la visite médicale de mi-carrière et l'entretien professionnel, à 45 ans, et prévoit également l'organisation d'un entretien professionnel deux ans avant le soixantième anniversaire du salarié. Ces dispositifs sont intéressants, mais, lors de nos auditions, il nous a été fait part, d'une part, de la pénurie de médecins du travail, et, d'autre part, du fait que certains employeurs n'organisent pas systématiquement les entretiens. Ce très bon article pourra-t-il réellement être opérationnel dans ce contexte ?
Ma troisième question a trait à l'article 10, qui soulève deux problèmes.
D'une part, il autorise le Gouvernement à légiférer par ordonnance, ce qui dépossède le Parlement de ses prérogatives.
D'autre part, ce projet de loi vise à retranscrire des accords nationaux interprofessionnels : nous vous croyons sur parole lorsque vous nous dites qu'un tel ANI va intervenir sur le sujet visé à l'article 10. Mais le calendrier soulève une difficulté. Le texte sera examiné au Sénat le 4 juin, avant d'être transmis à l'Assemblée nationale, tandis que les partenaires sociaux se sont engagés à conclure un accord d'ici au 15 juin. Or vous avez indiqué, madame la ministre, que l'article 10 serait remplacé par la transcription de cet accord. Cela signifie qu'elle serait faite par amendement à l'Assemblée nationale et que le Sénat ne se sera pas prononcé sur ce point, ce qui pose problème.
Nous souhaitions donc vous exposer notre position : nous ne voulons pas freiner la dynamique du dialogue social, surtout dans un contexte politique tendu. Néanmoins, chacun comprendra qu'on ne saurait ni déposséder le Parlement de ses prérogatives, en procédant par ordonnance, ni priver le Sénat de sa capacité à examiner une réforme importante.
Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre. - Malgré tout, il y a de bonnes nouvelles : le taux d'activité et le taux d'emploi des seniors, notamment des 60-64 ans, sont en progression ; nous sommes désormais dans la moyenne européenne pour les 50-64 ans et un point au-dessus pour les 55-59 ans. Le taux d'emploi des 55-64 ans s'établit à 61,5 % selon les derniers chiffres consolidés par l'Insee la semaine dernière, en progression de 1,9 point sur un an.
Autrement dit, les choses avancent, notamment grâce aux réformes de 2010 et de 2023 et par l'effet « horizon » lié au recul de l'âge de départ à la retraite, mais aussi aux nouvelles réalités démographiques : les entreprises veulent travailler plus activement sur le maintien en emploi des seniors, selon de nombreux témoignages à ce sujet. Nous travaillons sur le dialogue au niveau des branches et de l'entreprise, et sur l'engagement à organiser un entretien à mi-carrière. J'entends tout à fait les difficultés auxquelles sont confrontées les entreprises à cet égard. Madame Puissat, j'ai demandé à l'inspection générale des affaires sociales (Igas) de réfléchir à des méthodes innovantes pour la médecine du travail, en lien avec les services de prévention et de santé au travail.
Bien sûr, madame Nédélec, c'est un travail de longue haleine. Je ne pense pas que nous puissions augmenter le taux d'activité des séniors de 26 points en moins de cinq ans. Même si le rythme est soutenu - nous avons connu une hausse de près de deux points en un an -, cela prend du temps parce que l'on continue d'évoluer, depuis quarante ans - les premières préretraites datent de Raymond Barre -, dans un imaginaire collectif français en vertu duquel, passé un certain âge, on n'a plus tout à fait sa place dans l'entreprise. Il est donc nécessaire d'avancer sur le terrain législatif, sur le terrain des pratiques et sur le terrain des regards.
À la différence du contrat de valorisation de l'expérience, le CDI senior supprimait la cotisation famille. On estimait son coût à 800 millions d'euros en raison de cette suppression, mais aussi en se fondant sur l'hypothèse que l'ensemble des seniors basculeraient dans ce contrat. Je vous rassure : le contrat de valorisation de l'expérience n'aura ni ce niveau d'ambition ni cet impact financier. Il n'exonère que de la contribution patronale sur l'indemnité de mise à la retraite. Son coût est estimé à 123 millions d'euros. En plus de l'exonération, les organisations patronales demandaient surtout de la lisibilité sur la date potentielle de départ et souhaitaient bénéficier d'une option leur permettant de se séparer du salarié une fois atteint l'âge du départ à la retraite à taux plein. C'est important et c'est une sécurité pour nos salariés.
Pour ce qui est de l'article 10, nous sommes tous conscients des limites et de la complexité des dispositifs de reconversion existants. Il existe deux types de dispositifs.
Il y a tout d'abord ceux qui sont à la main des salariés, notamment le projet de transition professionnelle, qui concerne entre 20 000 et 30 000 salariés par an, dont un tiers reste dans la même entreprise. Un nombre significatif de ces projets concerne plutôt de jeunes salariés, ayant une formation initiale développée, non nécessairement visés, d'ailleurs, par des restructurations économiques, et non nécessairement orientés vers les besoins de recrutement et les métiers en tension.
Ensuite, deux types de contrats de reconversion sont à la main des entreprises : Transco (Transitions Collectives) et Pro-A (reconversion ou promotion par alternance). Transco est l'exemple qui est pris systématiquement pour se féliciter de la reconversion des salariés de l'automobile dans le Nord, au bénéfice d'une entreprise de batteries électriques qui recrutait à proximité. Je pourrais citer également la reconversion de salariés d'entreprises du nettoyage ou de la grande distribution vers les services d'accompagnement aux personnes âgées, mais c'est à peu près tout : ce sont là les trois seuls exemples d'utilisation de ce dispositif, dont ont bénéficié environ 1 000 salariés depuis 2019, alors qu'il pourrait vraiment fonctionner à condition d'être considérablement simplifié. Il faudrait que la première entreprise, qui doit restructurer, s'engage à maintenir le salaire de ses salariés plutôt que de les faire partir par le biais d'un plan social assorti d'un chèque, tandis que la seconde entreprise, qui a besoin de recruter, s'engagerait à former ces personnes, via des formations courtes et professionnalisantes, puis à les recruter.
Nous devons considérablement simplifier Transco et Pro-A pour répondre véritablement aux besoins des syndicats, des employeurs et surtout des salariés. Le besoin est d'autant plus criant qu'il y a urgence. Les partenaires sociaux, de l'UIMM (Union des industries et métiers de la métallurgie) à la CGT, nous ont demandé de réunir tout le monde autour de la table. Je suis très respectueuse des débats du Parlement, et je veux trouver à cet égard la meilleure issue possible. Nous avons bien travaillé, avec les partenaires sociaux et avec les parlementaires, pour transposer l'accord national interprofessionnel relatif aux accidents du travail et aux maladies professionnelles (AT-MP) dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS). Dans le même esprit, je m'engage devant vous, si un accord est signé sur les reconversions professionnelles, à le transposer le plus fidèlement possible en lien avec les rapporteures du Sénat et avec tous ceux qui voudront travailler avec nous, en très bonne intelligence et dans un esprit constructif, afin que nos entreprises et nos salariés puissent en bénéficier dès septembre.
Mme Pascale Gruny. - J'apprécie le changement de regard : cela fait vingt ans que j'entends parler de l'emploi des seniors - même si le dispositif a changé de nom -, que ce soit au Parlement, au Parlement européen ou dans mon entreprise, où l'on devait remplir des documents qui ne servaient à rien... Avec René-Paul Savary, j'avais dit aux organisations patronales qu'à défaut d'un vrai changement de leur part en matière d'emploi des seniors notre loi sur les retraites ne servirait pas, ou ne servirait que peu.
Le rapport de la Cour des comptes démontre la persistance d'une réelle faiblesse sur l'emploi en général, tant chez les jeunes que chez les seniors,...
Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre. - Tout à fait.
Mme Pascale Gruny. - ... même si l'on note, pour ce qui est de ces derniers, une certaine amélioration.
L'article 1er prévoit une obligation de négocier sur l'emploi et le travail des salariés expérimentés ; mais comment justifier que l'accès à la formation ne fasse pas partie des thèmes obligatoires de la négociation ? La formation permet le maintien dans l'emploi, avant même de parler d'embauche de personnes expérimentées.
On observe un léger ressaut d'entrée au chômage trois ans avant l'âge légal de départ à la retraite. Ce sujet pourrait s'expliquer, selon la Cour des comptes, par un comportement stratégique visant à utiliser la filière senior de l'assurance chômage, qui prévoyait une durée maximale d'indemnisation allongée à trois ans avant le 1er février 2023, comme un sas avant le départ à la retraite. Cet allongement de la durée maximale d'indemnisation est ouvert à partir de 55 ans, contre 53 ans auparavant. Le contrat de valorisation de l'expérience proposé à l'article 4, quant à lui, est ouvert pour les demandeurs d'emploi de 60 ans et plus, voire de 57 ans et plus si un accord de branche le prévoit. Pourquoi ne pas ouvrir l'accès à ce contrat dès 55 ans, soit l'âge minimal d'accès à la filière senior de l'assurance chômage, pour mettre fin à ce phénomène de sas ?
Mme Corinne Bourcier. - Une des mesures prévues concerne l'accès au temps partiel en fin de carrière, dès 60 ans, avec possibilité d'un maintien total ou partiel de la rémunération par l'affectation de l'indemnité de départ à la retraite. Pourriez-vous nous donner davantage de précisions à ce sujet ? Tous les salariés ne bénéficient pas d'une prime de départ à la retraite et son versement est de toute façon soumis à conditions, ce qui peut se traduire par des sommes peu importantes.
M. Daniel Chasseing. - Je me réjouis des propositions faites par les partenaires sociaux et par Michel Barnier quand il était Premier ministre. Il était anormal qu'en France 38 % seulement des 60-64 ans soient en activité, contre 68 % en Allemagne ou en Suède. L'augmentation sensible de leur taux d'activité va dans le bon sens ; elle répond au souhait des seniors. Si un travail approfondi sur le sujet avait été réalisé avec les partenaires sociaux et avec le Sénat avant la réforme sur les retraites, il y aurait peut-être eu moins de mobilisation contre cette réforme.
La possibilité de bénéficier à partir de 60 ans d'un temps partiel ou d'une retraite progressive va également dans le bon sens, comme tous les dispositifs de fin de carrière. Je me réjouis aussi de la valorisation de l'expérience, bien que le dispositif proposé soit non pas un véritable CDI senior, mais une simple exonération de la contribution patronale sur l'indemnité de mise à la retraite.
L'article 5 est important : les entreprises seront obligées de motiver leur refus d'un passage à temps partiel.
Je m'interroge sur un sujet qui ne figure pas dans ce projet de loi : certaines personnes veulent partir à la retraite tout en continuant à travailler, mais elles se voient imposer un temps de carence de six mois, voire de plus d'un an dans le secteur des transports, avant de pouvoir reprendre une activité.
Mme Raymonde Poncet Monge. - En tant que parlementaires, nous allons voter sur un paquet global, c'est-à-dire sur un ensemble d'accords. J'aurais préféré des votes séparés sur chaque transposition d'ANI - comme la démocratie sociale le permettait -, pour le cas où nous aurions des désaccords. Nous devons nous prononcer sur un regroupement de dispositions assorti même dans ce paquet cadeau... d'une surprise : l'article 10. C'est insatisfaisant.
Faut-il s'effacer devant la démocratie sociale ? Certaines organisations n'ont pas signé les accords. Tous les syndicats étaient d'accord pour transposer l'accord AT-MP, mais c'est l'intervention d'un autre tiers, à savoir les associations, qui a fait que nous avons repris, à juste titre, cette transposition : voilà une expérience où la démocratie politique, parlementaire, a résolu un problème en faisant intervenir des acteurs non invités à la négociation. Je suis attachée aux organisations syndicales, mais celles-ci ont un biais : elles représentent ceux qui travaillent, mais elles défendent très mal l'intérêt des chômeurs. Or le contrat dont il est question concerne les demandeurs d'emploi. Nous aurions pu entendre les associations qui représentent ces derniers, afin de bénéficier d'un point de vue différent, comme cela fut le cas lors des débats sur les prestations AT-MP en cas d'invalidité.
Chaque accord a des aspects positifs : ainsi, dans l'ANI relatif au dialogue social, le fait de renoncer à limiter les mandats dans le temps. Je suis favorable à la limitation dans le temps des mandats politiques ; mais, en l'espèce, les syndicats seuls se voyaient imposer une telle limitation, ce qui n'était pas juste au regard du temps nécessaire pour s'approprier des notions que la partie patronale connaît par définition.
Tant mieux qu'il y ait désormais l'obligation de négocier de nouveau à intervalles réguliers sur l'emploi des salariés expérimentés ! Nous rétablissons ce qui a été supprimé par les ordonnances de 2017.
Idem pour le passage de six mois à cinq mois de la durée minimale d'affiliation à l'assurance chômage, qui avait été auparavant réduite à quatre mois. Nous avons fait deux pas en arrière et un pas en avant. À l'époque, nous avions alerté sur les saisonniers. Il faut mieux entendre les syndicats et, au Parlement, mieux entendre l'opposition. Y compris lors du débat sur les retraites, nous avions dit que nous préférions la retraite progressive, dispositif mis en sommeil, au cumul emploi-retraite, qui accroît le volume de travail.
Il ne s'agit pas que d'une affaire de regard ou d'imaginaire : en France, nous avons un problème de sous-performance en matière de conditions de travail - c'est le « mal-travail ». Comparons-nous avec nos voisins européens : l'Allemagne emploie davantage de seniors, mais qu'en est-il de leurs conditions de travail ?
La direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) estime que, de 1984 à 2016, la proportion d'ouvriers exposés à au moins trois contraintes physiques dans leur travail est passée de 21 % à 64 %. Il en est de même pour les contraintes liées aux rythmes, à l'intensification ou à l'absence d'autonomie dans nos organisations.
Les personnes partent parce qu'on n'améliore pas les conditions de vie au travail ; l'inaptitude est la voie de sortie. Quand signera-t-on un accord sur la pénibilité ? Quand débattrons-nous des quatre critères de pénibilité qui ont été supprimés ? Quand mesurerons-nous les conséquences de la suppression des comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) ?
Vous estimez que le nouveau contrat de valorisation de l'expérience coûtera 123 millions d'euros d'exonérations à la sécurité sociale. Le Gouvernement s'engage-t-il à compenser ce manque à gagner ou s'agira-t-il d'une niche sociale non compensée ? À supposer qu'elle soit compensée, je vous rappelle que vous atteignez d'ores et déjà le ratio maximal prévu par la loi de programmation des finances publiques. Le rapport entre le montant des niches sociales et le total des recettes des régimes devant rester inférieur à ce ratio, vous ne pourrez plus augmenter les exonérations sans en supprimer...
Nous disposons déjà de dispositifs performants - Territoires zéro chômeur de longue durée, parcours emploi compétences - qui permettent l'embauche, plus qu'ailleurs, de personnes de plus de 50 ans ; mais ces programmes sont menacés par les restrictions budgétaires. Ne les fragilisons pas ! Le contrat de génération, qui résolvait d'un même mouvement les problèmes du maintien en emploi des seniors et du taux d'emploi des jeunes, a été supprimé. Pourquoi ne pas le rétablir ?
Mme Laurence Muller-Bronn. - Vous avez évoqué une croissance de 1,9 point du taux d'emploi des seniors en CDI, confirmé par l'Insee. Les chiffres par genre sont-ils disponibles ? Souvent, les femmes ont des carrières incomplètes et sont obligées de reprendre un emploi pour travailler, in fine, plus longtemps que les hommes. Elles sont souvent à temps partiel : j'irai presque jusqu'à parler de misère féminine...
On observe, en Suède, en Norvège ou en Allemagne, qu'à partir du moment où l'on a retardé l'âge de départ à la retraite le montant des pensions a baissé, car les reprises sont partielles ; ce montant est en moyenne très inférieur à celui des pensions françaises.
Mme Anne-Sophie Romagny. - Je salue votre regard pragmatique et votre volonté d'avancer sur des sujets importants. On peut toujours dire que ce n'est pas assez, mais je préfère voir le verre à moitié plein, sans naïveté aucune...
Quelles sont les principales causes expliquant que les salariés expérimentés soient mis à l'écart du marché du travail ? Comment le Gouvernement évaluera-t-il l'efficacité de ce texte sur le long terme ? Une clause de revoyure est-elle prévue ?
La transposition des ANI dans la loi constitue une reconnaissance forte du rôle des partenaires sociaux. Cette méthode doit-elle devenir la norme dans la fabrique du droit social ?
Quelle articulation est prévue avec France Travail ?
Mme Annie Le Houerou. - Je me félicite du travail des partenaires sociaux : nous sommes attachés au dialogue social.
La progression de 1,9 point du taux d'emploi des seniors est une augmentation en trompe-l'oeil, car elle n'est que la hausse mécanique de l'emploi liée au report de l'âge de départ à la retraite : elle n'est pas due à des mesures spécifiques relatives à l'emploi des seniors. Si le taux d'emploi des seniors augmente, la proportion de seniors qui sont sans emploi ou en arrêt maladie ou de longue maladie augmente également...
L'article 10 nous pose quelques difficultés : il prévoit de légiférer par ordonnance, sans, donc, que le Parlement soit saisi.
Vous parlez de faire le pari de l'expérience. Quelle serait la définition du salarié expérimenté ?
Quelles mesures prévoyez-vous pour l'emploi des seniors dans les entreprises de moins de 300 salariés et dans les TPE, et avec quel accompagnement ?
Mme Cathy Apourceau-Poly. - Merci de vos réponses. Même si ce texte ne nous satisfait pas pleinement, nous devons trouver des solutions qui ne soient pas au détriment des salariés. Vous connaissez notre attachement à ce que les salariés travaillent dans de bonnes conditions.
Je suis inquiète : l'Insee, dans son rapport de 2024 sur la situation des seniors sur le marché du travail, estime qu'un tiers des 55-61 ans sont privés d'emploi et que 21 % d'entre eux ne sont ni à la retraite ni en emploi, en grande partie pour des raisons de santé.
On ne parle pas de la même chose selon que l'on considère la situation d'un employé de banque ou d'un égoutier, même si le premier peut faire un burn-out... Les conditions de travail ne sont pas les mêmes et la pénibilité est beaucoup plus lourde à supporter chez le second.
L'article 10 me pose problème : je ne comprends pas que l'on puisse demander à légiférer par ordonnance en cette matière - ce n'est pas la solution. Nous, parlementaires, devons être associés aux décisions. Ne peut-on pas revenir sur cet article 10 ?
Les salariés des petites entreprises pourraient être exclus de ces avancées : il n'y a pas assez de mesures contraignantes pour les petites entreprises. Comment faire évoluer les choses ?
Je regrette par ailleurs l'absence d'objectifs quantitatifs relatifs au maintien dans l'emploi des seniors ; il faudrait en prévoir.
M. Olivier Henno. - Je ne reviens pas sur l'article 10 : je partage les remarques qui ont été faites par mes collègues à ce propos.
Je salue l'importance du paritarisme et du dialogue social, qui fonctionnent et qui participent à l'apaisement du pays - nous en avons la preuve aujourd'hui. Cela veut dire, pour les parlementaires et pour les pouvoirs publics, qu'il faut savoir lâcher prise. Si le dialogue social connaît une issue favorable, c'est une bonne chose ! Ainsi fonctionne le modèle rhénan.
Nous vivons une révolution culturelle tranquille dans les entreprises. Durant les années 1990-2000, les seniors étaient toujours la variable d'ajustement, avec les fameuses conventions FNE (Fonds national de l'emploi). Cela arrivait très vite, à 55 ans, voire à 50 ans. Les choses évoluent profondément, peut-être sous l'effet de la robotisation : des métiers sont devenus moins pénibles physiquement. Pour l'avenir, on peut s'interroger sur le temps partiel, mais aussi sur la multiactivité. Qu'en pensez-vous ?
Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre. - Madame Gruny, un certain nombre d'entreprises s'engagent à publier des indicateurs sur le recrutement, la formation, la promotion et les mobilités internes. À la faveur de cette initiative lancée par le Club Landoy, à l'origine un club de grandes entreprises, et relayée par « Les entreprises s'engagent » ou par le club de l'ANDRH, on compte désormais 600 entreprises, dans tous les territoires, qui s'engagent à mesurer ces critères.
La formation ne fait pas partie des sujets de discussion au niveau des entreprises ou des branches, conformément à la décision prise par les partenaires sociaux. On peut le regretter, mais tel est l'équilibre qui a été trouvé.
Les partenaires sociaux ont négocié, pour l'assurance chômage, un décalage de deux ans des bornes d'âge des mesures seniors : nous sommes passés de 53-55 ans à 55-57 ans. Le contrat de valorisation n'est ouvert qu'à partir de 57 ans : lorsqu'on entre au chômage à 55 ans, on peut bénéficier de vingt-quatre mois d'allocation, ce qui permet ensuite d'accéder, éventuellement, à un contrat de valorisation. Je comprends votre question, car on pourrait tout à fait éviter de passer par cette case « chômage » pour basculer directement dans le contrat de valorisation, mais voilà ce qui a été négocié entre les partenaires sociaux.
Pour ce qui concerne les retraites progressives et le temps partiel, madame Bourcier, nous voulons permettre aux salariés de travailler entre deux et quatre jours par semaine tout en commençant à toucher leurs droits à la retraite. Ce dispositif est très concret : c'est ainsi que les choses fonctionnent dans de nombreux pays d'Europe du Nord, lesquels ont une longueur d'avance sur nous en matière de taux d'activité des seniors. Cette mesure correspond également à une demande forte d'une partie de nos travailleurs de plus de 60 ans ; je pense notamment aux aidants familiaux, sujet sur lequel votre commission a travaillé. Il s'agit de stabiliser le pouvoir d'achat en permettant le cumul des deux types de revenus, tout en gagnant en flexibilité.
Monsieur Henno, les révolutions les plus durables sont souvent celles qui se font à bas bruit. Il est beaucoup question du taux d'activité des seniors, mais l'idée est aussi d'imaginer la fin de carrière comme un continuum d'activité. Certains ont envie de poursuivre une activité et s'y épanouissent ; d'autres veulent être dans la transmission ; d'autres encore ne peuvent pas, en raison notamment de problèmes de santé. Il faut donc pouvoir imaginer les fins de carrière de manière hétérogène.
Monsieur Chasseing, le délai de carence de six mois s'applique lorsque les salariés restent sur un poste identique, afin d'éviter un effet d'aubaine consistant pour les employeurs à inciter des salariés qui auraient pu continuer de travailler à passer en cumul emploi-retraite... Ce délai de carence est souvent mal compris. Des réflexions sont en cours au sein de la délégation paritaire permanente sur les retraites pour voir comment limiter cet effet d'aubaine.
Madame Poncet Monge, il n'y a pas de pochette surprise ! Les accords ont été signés par de nombreuses organisations syndicales. Et je me suis engagée à transposer l'accord qui serait conclu sur le sujet visé à l'article 10. On le voit avec le travail réalisé dans le PLFSS sur les AT-MP comme avec le présent projet de loi : nous voulons une transposition législative fidèle des accords nationaux interprofessionnels, réalisée en lien avec les partenaires sociaux et avec les parlementaires.
Je suis tout à fait d'accord avec vous : la santé et les conditions de travail sont au coeur du maintien en emploi des seniors. Une étude de France Stratégie montre que 35 % des ouvriers non qualifiés de la manutention du BTP partent entre 51 et 59 ans en retraite anticipée pour inaptitude professionnelle. Tel est le cas aussi de 25 % de nos aides à domicile et de 18 % de nos aides-soignantes. Il est donc nécessaire d'anticiper en milieu de carrière : il est des métiers usants qu'il n'est pas raisonnable d'exercer toute une vie. Il est indispensable à la fois de dresser un bilan de santé, d'aménager les postes et d'envisager les reconversions. Si les reconversions étaient facilitées - tel est précisément l'objet du fameux article 10 -, on pourrait envisager plus sereinement les deuxièmes parties de carrière.
Les partenaires sociaux vont justement commencer à négocier sur la pénibilité dans le cadre de la délégation paritaire permanente, sous la houlette de M. Marette. Nous quittons une vision individualisée de ce sujet pour aller vers une meilleure prise en compte des pénibilités ergonomiques qui touchent notamment les métiers des services et les métiers féminisés.
La Dares va réaliser au mois de septembre une évaluation du dispositif Territoires zéro chômeur de longue durée - je sais, madame Poncet Monge, combien vous appréciez ces évaluations. Nous pourrons, si vous le voulez, discuter des contrats de génération, des parcours de contrats aidés, et de l'impact du chômage sur les seniors. Les résultats n'ont pas nécessairement été à la hauteur des attentes, et le temps nous est compté : nous pourrons en reparler.
Madame Muller-Bronn, le sujet des femmes est essentiel, mais nous manquons de données. Le rapport sur les seniors distingue le taux d'activité des hommes de celui des femmes, mais sans précision par tranche d'âge. Or les femmes, après 50 ans, sont davantage « invisibilisées » sur le marché du travail.
Je précise que le taux de chômage des plus de 50 ans a baissé d'un point depuis 2019, et est quasiment stable depuis un an. Sur la même période, on observe une augmentation de 1,9 point du taux d'emploi des plus de 50 ans. « Le réel, c'est quand on se cogne », disait Lacan. En l'occurrence, les choses sont un peu différentes de ce que l'on pourrait imaginer : on assiste actuellement à un maintien en emploi et à une stabilité, et non à une augmentation, du taux de chômage des plus de 50 ans.
Madame Romagny, nous avons débattu des causes : santé, préjugés... Comment évaluer l'efficacité ? Je vois un seul indicateur : le taux d'emploi. On peut penser également au taux d'activité et au taux de départ pour inaptitude.
Mme Raymonde Poncet Monge. - C'est un très bon indicateur !
Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre. - Cette dernière donnée me semble en effet un bon indicateur pour mesurer la prise en compte des conditions de travail, des métiers exposés et des sujets de santé.
Je crois au dialogue social, surtout dans un contexte politique fracturé qui épargne le Sénat, mais qui touche beaucoup l'Assemblée nationale. Ce dialogue social donne une légitimité et une force qui permettront, je l'espère, des discussions plus apaisées.
Merci de m'avoir posé une question sur France Travail, qui est en train de s'organiser pour mieux appréhender les demandeurs d'emploi expérimentés, selon une approche différente de celle qui s'applique aux demandeurs d'emploi plus jeunes. Ces personnes doivent souvent faire le deuil, parfois en raison d'une inaptitude professionnelle, d'une tâche qu'elles ont longtemps exercée. Notre approche est à la fois individuelle et collective : la personne doit prendre conscience qu'elle n'est pas seule dans cette recherche d'emploi qui peut durer deux fois plus longtemps que pour les 21-49 ans. Il faut ne pas se décourager, conserver de l'estime de soi, faire le deuil de ce que l'on a pu connaître pour envisager le champ des possibles, définir ensuite un projet beaucoup plus personnalisé.
C'est précisément ce sur quoi est en train de travailler France Travail : une expérimentation déployée en Île-de-France, « Atout Senior », sera élargie à partir de janvier 2026. Elle vise à définir d'abord, lors d'entretiens collectifs ou individuels, un projet personnalisé. Ensuite, la personne suit une formation théorique courte, de quatre mois intensifs, trente-cinq heures par semaine avec des devoirs à la maison le week-end, en vue d'occuper un poste dans un métier en tension - je pense aux métiers de la rénovation énergétique, à ceux de la tech pour les femmes de plus de 50 ans, ou encore à certains métiers du tertiaire, gestionnaire de paie, comptable, pour lesquels la demande est forte. S'ensuivent deux à quatre mois d'application pratique en entreprise. Ce dispositif permet un taux de réinsertion dans l'emploi à six mois de 85 %.
M. Philippe Mouiller, président. - Je vous remercie, madame la ministre.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo, disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 12 h 50.