Mardi 27 mai 2025

- Présidence de M. Olivier Henno, président -

Audition de M. Stanislas Bourron, directeur général de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT)

M. Olivier Henno, président. - Nous poursuivons nos travaux avec l'audition de M. Stanislas Bourron, directeur général de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT).

Monsieur le directeur général, le Sénat a décidé de la constitution d'une commission d'enquête dont l'objet est de travailler sur la libre administration des collectivités territoriales et le financement de services publics de proximité et de la transition écologique.

Avant de vous donner la parole, je dois vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je vous remercie par ailleurs de nous faire part de vos éventuels liens d'intérêts.

Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Stanislas Bourron prête serment.

Après que notre rapporteur Thomas Dossus vous aura présenté les axes de travail de notre commission d'enquête, nous vous donnerons la parole pour une introduction d'une quinzaine de minutes ; le rapporteur et les membres de la commission d'enquête vous poseront ensuite des questions.

M. Thomas Dossus, rapporteur. - Cette commission d'enquête porte sur l'autonomie financière des collectivités territoriales, alors que ces dernières font face à un mur d'investissements pour financer la transition écologique.

Nos auditions nous ont permis d'entendre les associations d'élus, l'ancien ministre des comptes publics, M. Olivier Dussopt, ou encore la direction générale des collectivités locales (DGCL).

Avec cette audition, nous souhaitons comprendre la façon dont l'ANCT accompagne les collectivités et peut les aider à déployer les actions nécessaires à la transition écologique.

M. Stanislas Bourron, directeur général de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT). - L'ANCT a été créée par la loi n° 2019-753 du 22 juillet 2019, sur l'initiative du Sénat, et a été installée le 1er janvier 2020.

La loi a prévu un conseil d'administration composé de quatorze personnes : deux sénateurs, deux députés et dix représentants d'associations d'élus. Il est présidé par un élu, Christophe Bouillon, président de l'Association des petites villes de France (APVF).

Le législateur a défini trois modalités d'intervention de l'agence ; je m'y attarderai quelques instants, car il me semble que celles-ci sont directement en prise avec les sujets abordés par votre commission d'enquête, à savoir la libre administration des collectivités territoriales et la transition écologique.

Premièrement, l'ANCT intervient par le biais de programmes nationaux territoriaux, à l'instar du programme France Services, du « New Deal mobile » ou des conseillers numériques, mais aussi grâce à des programmes d'action territoriaux, tels que Action coeur de ville, Petites Villes de demain (PVD) et, depuis plus d'un an, Villages d'avenir. Chacun de ces dispositifs s'adresse à des strates de collectivités : villes moyennes, petites centralités et communes rurales.

Il existe également un programme de réindustrialisation, Territoires d'industrie, dont l'assemblée générale se tient aujourd'hui. Ce programme, créé en 2018, couvre la moitié du territoire national et vise à encourager et à dynamiser la réindustrialisation de notre pays avec les acteurs territoriaux.

Ces programmes obéissent tous à la même organisation, malgré quelques adaptations. Ils ont tous été lancés entre 2018 et 2022 et reposent sur une logique de cofinancement ou d'encouragement à la mise en place de chefs de projet dans les collectivités ou au niveau de l'État déconcentré, en vue d'aider les territoires en difficulté à rehausser la qualité de leurs projets, notamment grâce à un renforcement de leur ingénierie.

La deuxième modalité d'intervention, une fois les chefs de projet en place, consiste à octroyer des crédits d'investissement. Il s'agit, la plupart du temps, de crédits de droit commun, tels que le fonds vert, la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL) ou la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR), destinés à concrétiser les projets d'investissement. C'est ainsi que nous appuyons la mise en oeuvre des programmes territoriaux.

Le deuxième axe, prévu par le législateur, repose sur la contractualisation. Je n'évoquerai pas les contrats de plan État-région (CPER), car ils relèvent surtout de la DGCL du fait de leur dimension interministérielle et de leurs enjeux budgétaires. En revanche, nous suivons les contrats pour la réussite de la transition écologique (CRTE), qui constituent, à mon sens, un point d'entrée essentiel pour structurer les démarches en matière de transition écologique.

Enfin, la troisième forme d'intervention vise à mieux organiser les outils d'ingénierie territoriale existant en dehors des programmes, sur l'ensemble du territoire national. Pour cela, nous avons demandé aux préfets de créer un guichet unique dans chaque département. Nous avons également élaboré des guides d'ingénierie locaux et nous avons monté deux forums d'ingénierie en partenariat avec les agences techniques départementales, les conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE), les agences d'urbanisme, les conseils régionaux et départementaux, ainsi que les intercommunalités. Tous ces acteurs jouent un rôle important en matière de transition écologique, mais leur implication demeure très hétérogène selon les territoires.

L'agence intervient par l'intermédiaire du préfet, qui agit en tant que délégué territorial de ce dernier, si l'offre de services en ingénierie locale telle qu'elle a été recensée et analysée ne permet pas de répondre sur tel ou tel dossier. Dans ce cas, nous mobilisons ce que nous appelons « l'accompagnement sur mesure » qui consiste à mettre à disposition un partenaire opérateur ou à mener une étude technique pour répondre à une demande qui n'a pas pu trouver les moyens de se réaliser sur le territoire concerné. Nous intervenons en subsidiarité et pas à la place des acteurs locaux. Autrement dit, nous intervenons uniquement si aucune solution ne peut être trouvée localement.

Telles sont les trois modalités d'intervention que je souhaitais évoquer.

Vous m'interrogez sur la manière dont l'agence peut accompagner les enjeux de transition. Depuis sa création, nous avons dû faire évoluer en profondeur nos modalités d'action. Depuis 2020, les situations complexes se succèdent : la crise covid, l'inflation et la guerre en Europe sont autant de sujets délicats qui ont conduit le Gouvernement à nous demander, en 2022, de nous adapter en prenant en compte encore plus fortement le sujet de la transition écologique.

Dans le cadre de nos programmes nationaux - Action coeur de ville, Petites Villes de demain, Territoires d'industrie -, nous avons adressé aux collectivités des instructions claires, afin qu'elles concentrent leurs efforts sur les volets des programmes contribuant directement à la transition écologique. Cette demande est d'ailleurs largement issue des territoires eux-mêmes. Nous avons structuré cette démarche, formé les chefs de projet et accompagné les collectivités pour qu'elles puissent instruire et monter des dossiers solides.

L'arrivée du fonds vert a renforcé cette dynamique en apportant des financements d'investissement spécifiquement dédiés à ces enjeux. Je pourrais illustrer cela par des exemples concrets, notamment dans le cadre du programme Territoires d'industrie, dont les crédits, depuis 2024, sont orientés de manière prioritaire vers des mesures de réindustrialisation verte. Nous avons donc aligné nos leviers d'investissement sur cette thématique.

Notre dispositif d'accompagnement sur mesure a également été mobilisé de manière croissante par de petites collectivités confrontées à des problématiques telles que le traitement des friches, la rénovation d'écoles ou encore la mise en oeuvre de solutions de mobilité. Lorsqu'aucun acteur local n'était en mesure d'intervenir, l'agence a apporté un appui ciblé, souvent à l'échelle intercommunale ou dans un cadre de mutualisation, pour leur permettre de trouver des solutions adaptées.

Enfin, les contrats de relance et de transition écologique, désormais renommés contrats pour la réussite de la transition écologique, lancés en 2021, ont l'avantage de couvrir l'ensemble du territoire national. Aujourd'hui, 830 contrats pour la réussite de la transition écologique (CRTE) ont été signés. Ces contrats s'organisent à l'échelle du bassin de vie, en lien étroit avec les intercommunalités et l'État, afin de constituer une forme de contre-intégrateur traitant encore plus les enjeux de transition écologique et d'adaptation au changement climatique - en 2022 et 2023, des instructions interministérielles ont été données en ce sens.

Notre mission consiste, dans ce cadre, à porter ces outils au niveau national, à les faire connaître, à les animer, et surtout à favoriser, notamment à travers les CRTE, la montée en puissance de projets qui correspondent aux grandes orientations nationales. Celles-ci découlent des travaux menés dans le cadre des conférences des parties (COP) régionales : d'abord centrés sur la transition, ces travaux s'orientent désormais vers les problématiques d'adaptation. Pour transformer ces orientations en opérations concrètes, l'action des collectivités est centrale. Notre rôle est d'appuyer cet élan sur le terrain, notamment par l'intermédiaire des préfets et des directions départementales des territoires (DDT), afin de permettre une montée en charge effective des outils, des programmes et des projets de transition écologique.

Ainsi se dessine le cadre d'intervention que je souhaitais expliciter. Il repose sur des outils de contractualisation, sur des programmes territoriaux qui ne couvrent pas l'ensemble des collectivités, mais qui sont axés sur des zones à forts enjeux - comme le maillage territorial ou la reconquête des centres-villes -, et enfin sur la capacité d'intervenir partout, en appui des collectivités qui sont confrontées à des défis de plus en plus complexes, non pas d'un point de vue législatif, mais parce que plusieurs problématiques sont imbriquées : quel projet territorial porter et pour quel devenir ? Comment intégrer les impératifs d'adaptation au changement climatique, la rénovation thermique des bâtiments, les contraintes économiques et budgétaires ?

Face à ces enjeux, le besoin de conseil et d'appui est sans doute plus étoffé que par le passé. C'est précisément pour cela que l'agence s'efforce, au quotidien, de mobiliser ses ressources, avec l'appui des préfets et des directions départementales des territoires (DDT), qui sont nos relais sur le terrain, pour faire avancer les projets portés par les collectivités territoriales.

M. Thomas Dossus, rapporteur. - Sur les CRTE, comment la montée en puissance que vous venez d'évoquer s'articule-t-elle avec le financement des projets ? Cela implique-t-il une augmentation du financement ? Je pense notamment au fonds vert, qui constitue également un moyen de financer des projets de transition.

M. Stanislas Bouron. - Le CRTE, pour nous, c'est d'abord un projet de territoire. Tout l'ADN de l'agence repose sur ce principe : partir du territoire et du projet local, puis donner la boîte outils. Le CRTE ne déroge pas à cette règle : le point d'entrée, c'est un projet de territoire.

Nous avons joué un rôle moteur dès la première vague de contractualisation. Sur les 460 territoires engagés dans la construction d'un CRTE en 2021-2022, nous avons apporté une aide directe ou indirecte à près des trois quarts. L'agence a contribué à la conception, à la finalisation et à l'accompagnement de ces projets territoriaux. L'Agence de la transition écologique (Ademe) est ensuite intervenue pour appuyer plusieurs d'entre eux.

Une fois le projet de territoire défini, l'enjeu est de structurer les projets qui en découlent, de leur conférer une cohérence d'ensemble et de leur trouver les financements nécessaires. Le fonds vert a été créé en 2022, avec une première traduction budgétaire effective en 2023. Il bénéficie aujourd'hui de deux années pleines d'existence, en 2023 et 2024. Pour ces deux exercices, les enveloppes cumulées avoisinent 1,5 milliard à 2 milliards d'euros ; elles viennent s'ajouter aux crédits de droit commun déjà mobilisés pour la transition écologique, notamment la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL) et la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) en ce qui concerne le bloc communal. Il faut rappeler également que le plan de relance avait permis de déployer des fonds spécifiques, tels que la DSIL Rénovation énergétique, qui avaient déjà permis d'encourager des projets dans le cadre des CRTE de première génération.

Notre orientation reste constante : faire du CRTE un projet porté par le territoire, mais qui intègre aussi une dimension liée à la transition écologique.

La deuxième vague de CRTE, constituée à la suite d'une instruction interministérielle, vise à intégrer les résultats issus des COP régionales. En effet, celles-ci ont permis de définir des plans d'action territorialisés. Le Secrétariat général à la planification écologique (SGPE), que vous avez sans doute auditionné, a produit le « Mondrian », ce tableau qui trace la feuille de route à suivre en matière de transition. Ce travail a été décliné à l'échelle régionale, chaque région fixant ses priorités en fonction de ses problématiques propres.

Tout cela est bien, et nécessaire, mais vient ensuite le temps de l'action. Or, cette action se joue pour l'essentiel à l'échelle du bloc communal. Il faut donc réaligner l'échelle d'intervention avec celle du bassin de vie. Le maître d'ouvrage peut varier, mais les collectivités communales et intercommunales en sont le coeur. C'est précisément là que le CRTE prend tout son sens, non pas comme un jardin à la française, mais comme un outil permettant d'ouvrir un espace de dialogue et de mettre en place un maillage national. Il faut donc le faire vivre pour qu'il devienne un outil permettant de déployer les politiques publiques à la bonne échelle.

Le fonds vert a été conçu dans cette logique, pour accompagner les projets émergents dans les territoires. Certains de ces projets étaient déjà inscrits dans les CRTE, d'autres non, mais l'objectif reste le même : rapprocher autant que possible la stratégie territoriale et les financements du fonds vert.

Je précise que la mise en oeuvre du fonds vert relève de la direction générale de l'aménagement, du logement et de la nature (DGALN). Toutefois, sur plusieurs mesures, nous sommes à la manoeuvre. C'est le cas, tout d'abord, pour le financement des Territoires d'industrie : en 2024, 160 projets ont été accompagnés dans le cadre de la transition vers une industrie verte.

Ensuite, nous intervenons aussi sur l'ancien fonds Friches, désormais intégré au fonds de recyclage urbain, qui est un dispositif très intéressant pour soutenir des projets de réaménagement urbain, dans le cadre des programmes Petites Villes de demain et Territoires d'industrie, lorsqu'il s'agit de reconvertir une friche en projet structurant.

Enfin, nous sommes directement concernés par la partie commerciale. Nous disposons d'une enveloppe, issue du fonds vert, dédiée au fonds de restructuration des locaux d'activité. Ce fonds permet de financer des opérations de rénovation urbaine à vocation commerciale. Par exemple, si l'on prend le cas d'un immeuble ancien, avec un rez-de-chaussée commercial, aucun opérateur privé ne pourra monter un projet avec des loyers acceptables, sans subvention. Grâce à ce fonds, nous pourrons donc intervenir pour remettre l'immeuble aux normes, tout en conservant l'espace commercial, et pour subventionner le déficit d'opération, afin que les loyers soient accessibles.

Nous intervenons très fréquemment sur ces sujets dans les centres-villes, notamment dans le cadre du programme Action coeur de ville, mais également, de manière plus ponctuelle, dans certains quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV), où se posent des problématiques spécifiques liées aux prix de marché à la sortie des opérations.

Tels sont les domaines dans lesquels nous sommes directement à la manoeuvre avec le fonds vert.

Je n'oublie pas de mentionner la mesure dédiée à l'ingénierie, prévue dans le cadre du fonds vert. Dotée de 40 millions d'euros en 2024, elle n'est pas négligeable et a déjà permis d'accompagner plusieurs centaines de projets - je pourrai vous transmettre le chiffre exact. Ce financement permet, en complément de notre propre accompagnement, de soutenir la création de quelques postes, dans le cadre des CRTE, pour renforcer les équipes de chefs de projet et leur permettre de monter en compétences.

Notre objectif est d'accompagner les collectivités, grâce à nos outils, pour qu'elles puissent faire face à des enjeux de plus en plus complexes. Nous voulons les aider avec de l'ingénierie pour qu'elles puissent améliorer leur projet en priorisant les enjeux pour mieux répondre aux objectifs. Puis, une fois le projet consolidé, nous faisons en sorte qu'il trouve son financement à travers les leviers d'investissement.

M. Thomas Dossus, rapporteur. - Le fonds vert a subi un coup de rabot lors du dernier projet de loi de finances. Or vous avez mentionné 830 projets signés dans le cadre des CRTE. Le montant actuel de ce fonds est-il en adéquation avec cette montée en charge des projets ? Quel regard portez-vous sur les besoins d'investissement des collectivités, compte tenu de votre expertise sur le caractère décentralisé de la transition ? Le montant actuel est-il suffisant alors que, à l'Institut de l'économie pour le climat (I4CE), on parle d'un nécessaire doublement des investissements ? L'articulation entre les CRTE et le fonds vert est-elle bien prévue ? Sommes-nous à la hauteur de la montée en puissance nécessaire face à nos stratégies nationales ?

M. Stanislas Bourron. - Je ne suis pas sûr d'être le plus compétent pour avoir une vision à 360 degrés et vous répondre intégralement.

Un certain nombre de chiffres ont été donnés sur l'investissement global nécessaire, que nous prenons en compte. Cependant, nous ne sommes pas en mesure de les contre-expertiser et de préciser le calendrier ou la méthode.

Le fonds vert a été un levier, et est encore aujourd'hui un levier considérable, même s'il ne constitue pas le seul outil d'investissement dont nous disposons. J'ai été directeur général des collectivités locales il y a quelques années, et l'on mobilisait déjà à l'époque une partie de la DSIL et de la DETR sur des projets favorables à la transition écologique. C'était assez courant pour la rénovation thermique de bâtiments publics ou même pour l'accompagnement d'opérations de retraitement urbain. Il est donc important de noter que tout ne se fait pas exclusivement à travers le fonds vert.

Le message que le Gouvernement a transmis sur ces dotations d'investissement plus classiques, c'est qu'elles devaient être plus vertes. Des objectifs ont été fixés pour que nous ayons la capacité de retracer le verdissement de ces dotations.

M. Thomas Dossus, rapporteur. - Ma question portait précisément sur les 830 CRTE. Pouvez-vous évaluer, maintenant que ces contrats sont signés, les besoins d'investissement qu'ils représentent ?

M. Stanislas Bourron. - En matière d'évaluation, nous avons la capacité de remonter les projets. Pour l'instant, environ 50 000 projets ont été identifiés, recensés et évalués. Le système est très déconcentré, puisqu'il est organisé au niveau local, par bassins de vie. Nous avons donc mis en place un dispositif assez inédit qui nous permet d'être en mesure d'identifier les projets sur tous nos programmes, au niveau national.

Tous les projets inscrits dans le cadre des CRTE doivent comporter une dimension liée à la transition. Nous savons qu'il y en a 50 000, mais le degré de maturité varie fortement selon les projets, bien évidemment.

Sur les programmes que nous suivons de manière fine, nous pouvons établir des bilans précis. Ainsi, dans le cadre d'Action coeur de ville, 2 260 projets ont été financés, dans 230 communes, à hauteur de 534 millions d'euros via le fonds vert. Cela représente environ un tiers des financements apportés par l'État dans ce programme, et concerne des projets orientés vers la transition ou l'adaptation au changement climatique. En deux ans à peine, ces dispositifs ont pris une ampleur significative.

S'agissant de Territoires d'industrie, 63 millions d'euros ont été mobilisés en 2024 pour accompagner 163 projets liés à la transition écologique dans ces territoires. Ces interventions concernent notamment des projets portés par les entreprises, via l'Ademe.

Dans les zooms que nous effectuons à partir des CRTE sur les programmes que je suis de près, nous constatons une montée en puissance des dossiers et de l'accompagnement financier. Très concrètement, au cours de mes déplacements - j'ai visité plus de 60 départements en deux ans - je n'ai, à ce jour, jamais été confronté à un projet de transition, jugé indispensable, qui ait été bloqué ou stoppé parce que l'on était dans une impasse absolue pour la solution de financement. Certes, certains projets sont toujours à la recherche de financements et cela sera peut-être plus compliqué demain qu'hier, mais sur les 22 000 projets que nous avons identifiés dans le cadre du programme PVD, environ 50 % sont aujourd'hui lancés ou en cours de réalisation et ont trouvé leur financement. Cela représente plus de 10 000 projets, ce qui témoigne d'une mobilisation considérable.

Tous ces projets respectent les objectifs de transition écologique. En effet, toutes les opérations que nous menons avec les collectivités se conçoivent dans cette optique. Quand on engage le réaménagement d'un centre-bourg et que l'on repense les espaces publics, on pense immédiatement à la désimperméabilisation des sols et à la renaturation. On travaille également sur les façades et, en partenariat avec l'Agence nationale de l'habitat (Anah), nous définissons un plan pour réaménager les bâtiments et les isoler thermiquement. De même, les espaces et les équipements publics font l'objet de projets de rénovation énergétique, souvent inscrits dans une temporalité sur plusieurs années.

Cette approche transversale s'organise autour de plusieurs axes : le logement, la centralité, les services, le commerce... Le tout est guidé par une orientation intégrant les enjeux de transition et d'adaptation.

Cela fonctionne, honnêtement, plutôt bien. Les élus que nous rencontrons et avec lesquels nous travaillons ont pleinement intégré cette dimension. En tout cas, l'ingénierie que nous avons pu leur proposer, ou qu'ils ont su mobiliser par d'autres biais, les a conduits à progresser dans cette direction.

Il y a encore quelques années, la norme consistait souvent à aménager des places minérales. C'était le modèle dominant. Aujourd'hui, il ne viendrait plus à l'idée de concevoir un tel espace sans végétalisation, sans arbres, sans dispositifs de désimperméabilisation capables de retenir l'eau en cas de fortes pluies. Ces éléments sont désormais pleinement intégrés aux projets que j'ai la chance de suivre sur le terrain.

M. Thomas Dossus, rapporteur. - Est-ce que vous intégrez le financement du fonctionnement de ces espaces ? Certes, un parking est assez neutre en termes de fonctionnement, mais les arbres et les espaces verts nécessitent qu'on les entretienne.

M. Stanislas Bourron. - Vous avez raison. Il y a forcément une dimension liée aux coûts de fonctionnement et d'entretien, parfois plus élevés qu'auparavant. En outre, il a fallu prendre en compte les effets de l'inflation, particulièrement marquée en 2022 et 2023. Tout le travail engagé sur l'éclairage public ou sur la rénovation thermique des bâtiments publics a eu pour objectif, et pour effet, de réduire la facture énergétique et donc de faire des économies de fonctionnement. Ce sont des investissements rentables, à court, moyen et long terme.

Certes, planter un arbre implique de ramasser les feuilles, mais l'on pourra en faire du compost. On gagnera en qualité de vie, à l'avenir, grâce à ces espaces publics qui retrouveront des usages plus généralisés. J'ai en tête un exemple que j'ai vu lors d'un de mes déplacements, celui d'une place au bord de la Loire qui était totalement impraticable pendant deux mois d'été à cause de la chaleur. Le réaménagement du site a consisté à replanter des arbres pour rendre cet espace vivable pendant les fortes chaleurs. Cela supposait de supprimer quelques places de stationnement et de repenser l'aménagement de l'espace pour créer de l'ombre, réduire la température, et redonner ainsi une utilité à des espaces jusqu'alors perdus pendant une période de l'année.

M. Thomas Dossus, rapporteur. - Votre agence est une autorité nationale de coordination des fonds européens. Dans nos auditions, nous nous sommes rendu compte que certaines villes étrangères parvenaient à obtenir des financements européens plus facilement que les communes françaises. Existe-t-il une piste, à l'échelle européenne, pour aller chercher des financements afin d'accompagner les investissements ?

M. Stanislas Bourron. - Il faut rappeler qu'une part non négligeable des fonds européens dont nous disposons sur la période 2020-2027 est orientée vers les enjeux de transition. Plus de 3 milliards d'euros sont ainsi fléchés, principalement via le Fonds européen de développement régional (Feder), et, dans une moindre mesure, via le Fonds social européen (FSE+). Ces crédits permettent d'accompagner des projets portés par les autorités de gestions que sont les régions, depuis 2014.

Par conséquent, les fonds de cohésion, dans leur configuration actuelle, viennent compléter utilement les dispositifs d'accompagnement déjà existants, qu'il s'agisse du fonds vert ou des financements classiques de l'État, des régions ou des départements.

Pour ce qui est de leur mobilisation, une partie de ces fonds est destinée aux entreprises, notamment en lien avec des projets à dimension numérique, et une autre partie est fléchée vers les collectivités territoriales. Les données disponibles sur leur consommation font apparaître que le fléchage vers les collectivités est correct. Concernant le ciblage urbain, 13 % des enveloppes Feder sont orientées vers les territoires urbains : c'est un niveau supérieur aux précédents objectifs fixés, qui étaient de l'ordre de 10 %, et nettement au-dessus du seuil que prévoient les règles européennes, à 8 %.

Toutefois, il faut rappeler que les autorités de gestion, une fois le programme opérationnel défini dans le cadre de l'accord de partenariat avec la Commission européenne, sont libres de décider de l'attribution des crédits projet par projet. Notre rôle, en tant qu'autorité de coordination des fonds de cohésion, consiste à mettre à disposition l'outil de suivi et l'outil d'interface avec la Commission européenne, via le système d'information Synergie, et nous entretenons un dialogue permanent avec les autorités de gestion et avec la Commission, afin de garantir la bonne mise en oeuvre, la régularité et la consommation effective des crédits.

S'agissant précisément du taux de consommation des crédits, qui alimente souvent le débat public, il est aujourd'hui parfaitement dans la moyenne européenne pour la période 2021-2027. Il y a eu, partout en Europe, un démarrage plus lent que prévu. Cela s'explique par le chevauchement avec la précédente programmation, qui a été prolongée en raison de la crise du covid et des dispositifs de relance exceptionnels. Malgré les difficultés, nous avons terminé la programmation précédente. Aujourd'hui, sur la période 2021-2027, le rythme s'accélère, malgré le retard au démarrage. Nous avons déjà atteint 41 % de la programmation et - je serai prudent dans mes propos, car j'ai prêté serment - nous sommes à un point au-dessus de la moyenne européenne pour les paiements. Cela signifie que la France est pleinement dans les clous. Les taux de progression enregistrés tous les six mois sont extrêmement importants : la dynamique est solide et la consommation va s'accélérer dans l'immense majorité des régions métropolitaines.

Il est vrai que le bilan établi aujourd'hui ne peut être que partiel. Il conviendra d'évaluer précisément qui aura été bénéficiaire des crédits une fois la période achevée. C'est pourquoi je m'exprime avec une certaine prudence.

Cependant, les données dont nous disposons révèlent un ciblage notable vers les territoires urbains. Ce ciblage dépasse les objectifs assignés lors des précédentes programmations, où il s'agissait d'atteindre un quantum minimal, notamment sur les quartiers prioritaires de la politique de la ville.

M. Jean-Raymond Hugonet. - Cher monsieur, ce que je vais dire n'a rien de personnel et je vous le dis avec tout le respect que j'ai pour le travail que vous accomplissez. Mais il faut, à un moment, dire les choses telles qu'elles sont.

Vous avez commencé votre propos liminaire en disant que les sénateurs avaient voulu la création de l'ANCT.

M. Stanislas Bourron. - J'ai mentionné une proposition de loi sénatoriale.

M. Jean-Raymond Hugonet. - Tout cela est né de la volonté du Président de la République et non du Sénat, même si cette volonté a été portée dans une proposition de loi sénatoriale. Les parlementaires sont des êtres humains comme les autres. Il leur arrive, peut-être, de commettre des erreurs. Mais cette décision relève d'abord d'une volonté du Président de la République, exprimée le 22 juillet 2019, soit deux ans après sa première élection.

Tout ce que vous avez présenté est exact. Mais ce constat reflète précisément les raisons qui me conduisent aujourd'hui, comme d'autres parlementaires, à souhaiter la suppression de cette agence. Pourquoi ? Parce que les élus ne sont pas des enfants ! Les élus locaux savent pertinemment ce qu'il faut dans leur commune. C'est d'ailleurs pour cela qu'ils ont été élus. Les maires n'ont pas besoin qu'une agence vienne leur expliquer qu'il faut planter des arbres plutôt que de couler du bitume.

Le pouvoir politique a scrupuleusement dépouillé les préfectures, qui constituaient jusqu'alors le socle de la présence de l'État dans nos départements. Aujourd'hui, elles sont exsangues. Le personnel dans les préfectures n'est pas en nombre suffisant. Tous les préfets vous le diront, certes, avec la retenue que leur impose leur devoir de réserve, mais lorsqu'on est élu local depuis assez longtemps, on le voit et on le sent.

Dans le même temps, le Président de la République a fait croître une myriade d'agences, qui, aujourd'hui, coûtent fort cher et dont l'utilité - permettez-moi d'être, en tant que sénateur, à la fois sage et modéré - mérite d'être regardée avec attention et soupesée au trébuchet.

Je suis moi-même élu d'une commune qui, si vous me passez l'expression, a le kit complet : Action coeur de ville, Petites Villes de demain et Territoires d'industrie... Nous avons tout pris, parce qu'en tant qu'élus, nous courons tous après l'argent. Et pour en obtenir, il faut entrer dans ces dispositifs. Mais croyez-le bien, tous ces dispositifs sont aussi des machines. Avant même de rapporter quelque chose à la collectivité, ils nous ont généré des frais. Nous avons dû recruter du personnel au niveau intercommunal, que nous finissons par affecter à d'autres missions, car lorsque l'on constate que l'on tourne en rond, cela ne sert malheureusement pas à grand-chose.

Très honnêtement, il faut aujourd'hui prendre conscience, en tout cas dans la mission qui est la nôtre, que toutes les volontés exprimées et tout ce travail, que je respecte - encore une fois, ne nous méprenons pas -, sont bien loin de ce dont nos territoires ont réellement besoin. Au lieu d'une libre administration ou d'une décentralisation bien comprise, nous constatons exactement l'inverse : ces gens, qui travaillent pour nous, viennent nous apporter « la bonne nouvelle venue d'en haut ». La logique est celle d'une recentralisation sur certaines thématiques, dont je ne conteste pas l'intérêt. Mais jusqu'à plus ample informé, les élus locaux sont les mieux placés pour savoir ce qui est bon pour leur population. Ils ont été élus démocratiquement pour cela.

Malheureusement, l'ANCT, même si tout n'est pas à jeter - je reconnais qu'il y a des compétences, des personnes investies et donc des aspects positifs -, est aujourd'hui aux antipodes de ce qu'il faut aujourd'hui pour nos collectivités.

M. Jean-Baptiste Blanc. - Monsieur le directeur général, fort de votre expérience et de votre vécu, à quelle échelle situez-vous l'ingénierie et la gouvernance, et comment faut-il les articuler ?

De plus, vous avez évoqué les COP régionales, qui mériteraient une commission d'enquête à elles seules. Même si nous souscrivons aux objectifs qui leur ont été fixés, nous sentons bien qu'il y a un problème dans leur gouvernance, pour dire les choses pudiquement.

Je souhaiterais donc vous interroger sur leur volet juridique. Il se dit que ces conférences reposent sur des dizaines d'indicateurs de performance. Quelle est la valeur juridique de ces indicateurs ? Ne constituent-ils pas une forme de contrôle de conformité exercé par l'État sur les collectivités locales par la voie des COP ? En d'autres termes, n'est-on pas en train de flécher toujours plus les crédits à travers ces dispositifs ?

Si c'est pour servir la bonne cause - comme veut le faire cette commission d'enquête -, cela peut s'entendre. Mais encore une fois, quelle gouvernance s'exerce dans le cadre de ces conférences ? Et ces sujets sont-ils évoqués ?

M. Pascal Allizard. - Nous menons ici un travail sur la libre administration des collectivités territoriales. Tous les élus locaux - nous l'avons tous été, malgré les règles de non-cumul - ont connu les difficultés liées à l'absence d'ingénierie. À ce titre, disposer de ressources d'ingénierie sur les territoires constitue une avancée réelle, et je tiens à souligner cet aspect positif.

Mais ne vous semble-t-il pas que l'ensemble des contrats que vous avez mentionnés n'est rien d'autre qu'une manière administrative, ou « techno », d'orienter les politiques communales et intercommunales vers un seul but qui est la ligne politique fixée par l'État ? N'est-ce pas, au fond, une forme de recentralisation ? À vous écouter, je ne suis pas tout à fait rassuré sur ce point. Peut-être pourrez-vous y revenir et me convaincre dans votre réponse.

Sur la question du financement, je vous ai écouté attentivement. En tant que sénateur du Calvados, je siège, avec ma collègue Corinne Féret, à la commission départementale d'attribution de la DETR. Dans notre département, 37 communes ont été labellisées Petites Villes de demain. D'autres pourront désormais s'inscrire dans le programme Villages d'avenir.

Mais le résultat est là : le préfet se retrouve aujourd'hui avec des demandes de financement qui équivalent à six années de DETR, même en ajoutant une part de DSIL et en mobilisant une part de fonds vert. La désillusion d'un certain nombre de présidents de communautés de communes est grande, alors même qu'ils ont bénéficié du dispositif de chef de projet qui a, en effet, très bien fonctionné. Mais une fois le projet sur la table, il n'y a rien pour avancer.

Je terminerai en vous donnant l'exemple de Mme la sous-préfète de Vire, dans le Calvados, une femme courageuse qui, dès sa prise de fonctions, a fait le tour des communautés de communes et des gros bourgs de son arrondissement pour aller vendre contrats et subvention cumulée. Moins d'un an plus tard, le préfet lui demandait de repartir sur le terrain pour expliquer aux élus que non, il n'y aurait pas de cumul, et que, dans le meilleur des cas, ils pourraient espérer 20 % à 25 % de financement. À la demande des maires, j'ai participé à des réunions de crise mémorables sur des redimensionnements de projets.

Nous vivons une situation ubuesque, car l'on a créé des besoins et des illusions, et à l'arrivée, les demandes représentent plus de cinq ans de DETR. La situation dans mon département est dramatique.

Mme Marie-Claude Varaillas. - Certains considèrent qu'il y a trop d'agences et d'opérateurs de l'État. Pour ma part, je veux me faire leur avocate. S'ils existent, c'est parce que le service public n'est plus au rendez-vous. Naguère, les services de l'État étaient dotés de cadres qui assuraient l'ingénierie des communes rurales. Aujourd'hui, on travaille avec l'Ademe et le Cerema, mais aussi l'ANCT, qui a su se rendre utile et acquérir de la notoriété. Soyons honnêtes : ces opérateurs ont remplacé le service public, comme les communes ont toujours besoin d'ingénierie.

Certes, des fonds et des dotations existent, mais les enveloppes sont à la main du préfet. Les élus ont beaucoup de projets, ils avancent en matière de transition écologique, notamment par la rénovation globale des bâtiments scolaires ou le réaménagement des centres-bourgs. Néanmoins, le préfet n'accepte souvent de contribuer qu'à hauteur de 25 % via le fonds vert, la DETR ou la DSIL ; il faut aller chercher le reste, et la rénovation globale d'une école exige des sommes très importantes. Peut-être y a-t-il des économies à faire, des mutualisations à accomplir, mais ces opérateurs de l'État compensent la disparition du service public.

M. Olivier Henno, président. - La question de la désillusion des élus s'impose ; il y a beaucoup de maires désabusés. Je constate une forte accélération de la désertification rurale. En quoi votre action, depuis 2019, contribue-t-elle à la limiter, voire à inverser la pente ?

M. Cédric Chevalier. - Je ne veux pas me faire l'avocat de l'ANCT, mais sa création s'inscrit dans un contexte de centralisation forcée au travers des normes. Son objet était largement de répondre à la multiplicité des dispositifs en offrant une porte d'entrée unique. En cinq ans seulement, il est délicat de juger de son action, mais, au-delà du soutien financier, l'ingénierie qu'elle offre est tout à fait nécessaire, surtout en milieu rural, au vu de la complexité des normes et des dossiers à monter.

Ne devrait-on pas toutefois faire aussi le chemin inverse, décomplexifier les normes et rendre aux collectivités un peu d'agilité, pour qu'elles n'aient pas systématiquement besoin de cette ingénierie, qui coûte cher ?

M. Stanislas Bourron. - Sur les questions relatives au rôle des agences de l'État de manière générale, nous avons été sollicités par la commission d'enquête sénatoriale en cours sur ce sujet ; permettez-moi de lui réserver nos réponses...

Ce qui est sûr, c'est qu'il existe aujourd'hui une demande d'accompagnement qui n'est pas couverte ; nous avons pour objectif d'améliorer cette situation. Personne ne juge superfétatoires les dispositifs de chef de projet d'ingénierie que nous avons mis en place, même si certains estiment qu'ils pourraient être améliorés. Pas une des associations d'élus représentées à notre conseil d'administration ne juge ces dispositifs inutiles. En tant que fonctionnaire ayant accompli le plus gros de ma carrière au ministère de l'intérieur, je suis très sensible à ces questions. Nous avons tout fait pour éviter de créer des tuyaux parallèles : nous travaillons avec les services de l'État existant aujourd'hui, préfectures et DDT, mais nous reconnaissons que le système est toujours plus compliqué et que le besoin d'accompagnement croît en conséquence. Il y a sans doute de multiples solutions à trouver pour simplifier la vie de tout le monde ; à cet égard, le ministre François Rebsamen s'est engagé à prendre plusieurs mesures de simplification.

Concernant les effectifs des préfectures, je n'ai pas mandat pour débattre de ce sujet. J'ai pris mes fonctions actuelles à la fin de 2022, je connais ce débat depuis longtemps au vu des fonctions de direction des ressources humaines que j'ai eues au ministère de l'intérieur. Les ministres alors en poste, M. Béchu et Mme Faure, à la suite de Mme Gourault, souhaitaient trouver des moyens de renforcer les services de l'État dans les départements ou, à tout le moins, d'éviter les baisses d'effectifs dans les services préfectoraux.

À notre petite échelle, à l'ANCT, nous avons créé le programme Villages d'avenir, qui a permis de créer 120 postes de conseil et d'ingénierie locale dans les préfectures ; les départements les plus ruraux, où les préfectures étaient les moins dotées, disposent de deux postes à ce titre. Créer 120 ETP en 2024, ce n'était pas simple pour l'État ! Mais nous l'avons fait, pour offrir de l'accompagnement et du conseil, comme cela se faisait par le passé, madame Varaillas, et comme cela est nécessaire encore à certains endroits, d'une manière différente. Ces postes relèvent des services départementaux de l'État et non de l'ANCT ; nous les aidons, nous leur donnons les outils nécessaires, mais ce sont des agents de l'État. Je suis donc d'accord avec vous : si l'on veut faire face aux besoins, les services de l'État doivent être suffisamment armés.

Nous n'entendons en aucune façon dépouiller les maires de leur responsabilité ; la libre administration des communes est complète. Le concept de l'ANCT, c'est de soutenir les projets du terrain avec une boîte à outils. Aucun des maires engagés dans les programmes Action coeur de ville et Petites Villes de demain ne vous dira qu'on l'a obligé à mener le projet en question. Il ne s'agit que de projets locaux. Simplement, il arrive que, pour faire mûrir le projet, nous leur disions de se pencher sur telle ou telle question qu'ils avaient laissée de côté, de mobilité d'adaptation au changement climatique. Ne devrions-nous pas agir de la sorte ? Il me semble qu'un tel accompagnement, pour l'amélioration d'un projet, est du devoir de l'État.

Vous me demandez, monsieur Blanc, à quel niveau doit se trouver l'ingénierie. Les postes de chef de projet que nous finançons se trouvent très majoritairement dans les intercommunalités. Plusieurs d'entre elles ont créé des services autour de ces postes cofinancés. Que ce chef de projet cofinancé au titre du programme Petites Villes de Demain (PVD) travaille aussi pour des communes ne participant pas à ce programme - c'est très fréquent - ne me dérange pas, tant que c'est pour accompagner des projets intéressants pour l'intercommunalité et la commune concernée. Nous accompagnons une dynamique intercommunale. L'échelle dominante de l'ingénierie, si l'on met de côté Villages d'avenir, qui est un service d'État, est donc intercommunale. Il y a aussi une ingénierie communale ; cela résulte d'un choix local, la libre administration des collectivités s'exprime aussi de la sorte. La question de l'échelle où doivent se placer les chefs de projet se posera peut-être demain, mais il ne m'appartient pas d'arbitrer cette question aujourd'hui. Je constate simplement que plus des tiers des collectivités engagées dans le programme PVD ont placé ces postes à l'échelle de l'intercommunalité ; en mutualisant les moyens, on peut travailler pour plus de communes.

Vous me demandez aussi si les indicateurs des COP sont juridiquement opposables. Il ne m'appartient pas de mener une analyse juridique, mais il ne me semble pas qu'ils le soient. C'est un travail de partenariat, qui s'est révélé très intéressant, car il a permis de qualifier certaines thématiques, de mieux comprendre les enjeux agricoles, de transport, ou de logement, ou encore la contribution carbone de chaque thématique. Pour ce qui est de la mise en oeuvre, on en revient au principe de la libre administration. Rien ne pourra s'imposer : c'est aux élus qu'il appartient de s'emparer du sujet. Ce n'est pas notre vocation que de dire qu'il faut agir de telle ou telle sorte et pas autrement. Nous constatons qu'une bonne partie des projets qui ont été menés répondaient déjà à ces questions-là. Quand des élus se mobilisent pour reconquérir l'habitat privé dégradé de leur centre-ville ou centre-bourg, ce n'est pas pour faire de nouvelles passoires thermiques ! Même si l'objectif premier n'est pas la rénovation thermique, celle-ci se fait naturellement : les nouveaux logements sont aux normes d'isolation, ce qui les rend d'ailleurs plus économes. Ces objectifs ne sont pas contradictoires, le projet territorial ne me semble pas dénaturé par l'intégration de cette dimension.

Concernant les volumétries de projets, monsieur Allizard, vous évoquez le risque de créer des files d'attente de plusieurs années pour les demandes de financement. Les données dont je dispose à ce jour montrent que 50 % des dossiers sont validés, engagés ou en cours pour les projets PVD. La moitié ne le sont donc pas ; peut-être certains d'entre eux connaîtront-ils des problèmes de financement. Je ne crois pas que nous ayons créé des besoins ; au contraire, à en croire beaucoup de maires engagés dans le programme PVD, nous avons surtout contribué à la réflexion sur ce qui était faisable et soutenable, et dans quel calendrier de maîtrise d'ouvrage. Beaucoup d'entre eux avaient un projet territorial très ambitieux ; nous avons pu faire apparaître que l'équipement public envisagé était extrêmement coûteux ou difficile à soutenir dans le temps. Dès lors, même si je ne nie pas que certains territoires puissent connaître des difficultés de financement, j'estime que d'autres ont pu, grâce à nous, phaser leur projet et donner une crédibilité à l'opération envisagée. Il me semble que notre accompagnement renforce la qualité des projets plus qu'il ne suscite de déception.

M. Thomas Dossus, rapporteur. - Vous ne constatez pas une augmentation du stock de projets ?

M. Stanislas Bourron. - Le stock est d'une vingtaine de milliers de projets ; 50 % des projets PVD, je le redis, sont validés ou en cours. L'autre moitié regroupe les projets qui ne sont pas du tout engagés, mais aussi d'autres qui sont en phase d'études, etc. Pour le programme Action coeur de ville, les deux tiers sont accomplis ou engagés ; les financements ont donc été trouvés. Certes, ils seront peut-être bloqués pour le tiers restant, mais on ne peut pas dire que le programme est stoppé net ou ne se met pas en oeuvre. Selon les chiffres dont nous disposons, nous n'avons pas fait émerger de projets qui ne se font pas. Il est probable que certains projets connaîtront des difficultés si, demain, il y a moins de crédits d'investissement, mais il serait inexact de dire que rien ne s'est mis en place. Vous voyez bien, dans vos déplacements, combien de projets sont inaugurés en ce moment.

Monsieur Chevalier, nous vous rejoignons sur la nécessité de décomplexifier. La simplification des normes facilite naturellement l'accès à l'information. Nous ne faisons pas de l'ingénierie pour l'ingénierie : ce qui compte, pour nous, c'est donner ou faciliter l'accès à l'information, ce qui aide souvent déjà la collectivité à mener son projet à bien de façon autonome. C'est l'objet du travail de coordination des acteurs que nous effectuons.

Monsieur le président, vous avez évoqué le sujet de la désertification. Nous avons relancé une étude sur les sujets relatifs à la ruralité, sur lesquels Mme Gatel est très mobilisée de par son portefeuille ministériel. Les ruralités sont loin d'être homogènes : certaines, touristiques ou périurbaines, sont extrêmement dynamiques et gagnent de la population ; d'autres, selon le contexte, sont en grande ou en moyenne difficulté - c'est le cas de certains territoires à dominante industrielle ou agricole, mais d'autres vont bien. Les phénomènes de désertification rurale sont réels : certains départements perdent de la population de façon importante. Cela pose la question de la stratégie que les acteurs publics, État comme collectivités, doivent adopter pour faire face à cette désertification et au vieillissement qui l'accompagne souvent : quels types d'habitat ou de mobilité privilégier ? Ces questions se posent toujours plus, car certains départements perdent plus de 1 000 habitants par an.

Nous concourons à y répondre avec nos outils d'ingénierie, mais soyons modestes : cela ne résoudra pas tout. Le Gouvernement a aussi à sa disposition les outils de France Ruralité. Il a aussi annoncé tout récemment des mesures relatives à la santé, sujet très prégnant dans le monde rural. Des mesures commencent également à être déployées pour reconquérir du logement. C'est un enjeu énorme dans le monde rural ; il est très complexe d'y gérer le parc privé, les collectivités sont assez désarmées en la matière. Un accompagnement juridique doit leur être proposé sur des problèmes comme les biens sans maître ou l'état de péril, qui peuvent nuire à la reconquête d'un centre-bourg. Enfin, l'on a développé des outils pour la mobilité, notamment un fonds qui, pendant deux années, a accompagné des projets dans le monde rural.

La politique contre la désertification du monde rural est forcément une politique interministérielle. Nous sommes un acteur parmi d'autres, qui encourage les collectivités et assure le suivi des projets. Nous avons des résultats dans certains endroits ; dans d'autres, c'est plus compliqué : les dynamiques ne sont pas partout les mêmes, et le problème démographique, de perte de population, demeure important dans beaucoup de départements. Quand il y a moins d'habitants quelque part, cela soulève nécessairement des questions sur tous les réseaux de service public. La réponse, ce n'est pas un coup de baguette magique : il faut un travail collectif. À cet égard, dans mes déplacements, je constate un investissement très fort des préfets, des présidents de conseils départementaux et d'intercommunalités, des associations d'élus et des maires de communes rurales, pour essayer de trouver des solutions pragmatiques et concrètes. Les départements ne sont pas homogènes, vous le savez mieux encore que moi : certains leviers fonctionneront seulement dans certains territoires.

Mme Brigitte Devésa. - L'ANCT a un rôle de conseil pour les collectivités. Quand un projet vous semble complexe à mener, du point de vue environnemental par exemple, disposez-vous de l'influence nécessaire pour amener la commune à changer de cap, ou à améliorer son projet ?

M. Stanislas Bourron. - Nous n'intervenons que lorsque nous sommes sollicités. Si, au cours du dialogue mené à l'échelle locale entre la collectivité et les services de l'État, des questionnements se posent sur la soutenabilité du projet, sur d'éventuels problèmes, nous pouvons intervenir. Soit ce sont les chefs de projet qui font ce travail d'accompagnement, localement, soit, s'ils n'ont pas la capacité d'analyser le dossier, nous pouvons leur apporter le soutien d'experts ou avoir recours à des acteurs comme l'Ademe pour effectuer une analyse. Quoi qu'il en soit, à la fin, les éléments d'analyse sont soumis aux élus. Cela exprime, une nouvelle fois, le principe de libre administration des collectivités : nous sommes une boîte à outils à la disposition des élus. Nous souhaitons tous que le projet soit le meilleur possible, mais il appartient aux élus et non à l'ANCT d'en juger. Et, dans la plupart des cas qui ont été portés à ma connaissance, ils prennent évidemment en compte les éléments d'information que nous leur apportons pour adapter, améliorer le projet. Nous contribuons à dénouer des situations bloquées plutôt que de créer des impasses.

L'ANCT est une agence récente, mais elle a trouvé sa place en tant que tiers de confiance, chargé d'un rôle de conseil et d'accompagnement pour les projets des territoires. Elle ne prescrit pas ce qui doit être fait, mais encourage les collectivités à s'inscrire dans des dynamiques qui nous semblent, collectivement, intéressantes. Son rôle n'est pas d'imposer quoi que ce soit aux élus locaux.

M. Olivier Henno, président. - Merci beaucoup, monsieur le directeur général.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo, disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 17 h 10.

Mercredi 28 mai 2025

- Présidence de Mme Marie-Claude Varaillas, vice-présidente -

La réunion est ouverte à 16 h 30.

Audition de professeurs de droit - MM. Vincent Dussart, Professeur à l'Université Toulouse Capitole, Bertrand Faure, Professeur à l'Université de Nantes, et Éric Oliva, Professeur à l'université d'Aix-Marseille

Mme Marie-Claude Varaillas, présidente. - Nous poursuivons nos travaux avec l'audition de M. Vincent Dussart, professeur de droit public à l'université Toulouse Capitole et codirecteur de l'institut Maurice-Hauriou, M. Bertrand Faure, professeur à l'université de Nantes et auteur d'un manuel de droit des collectivités territoriales bien connu des étudiants, et M. Éric Oliva, professeur à l'université d'Aix-Marseille et membre du groupe d'études et de recherche sur la justice constitutionnelle.

Le Sénat a décidé de constituer une commission d'enquête dont l'objet est de travailler sur la libre administration des collectivités territoriales et le financement des services publics de proximité ainsi que de la transition écologique, qui est au coeur aujourd'hui des transitions en ce qui concerne les collectivités.

Avant de vous donner la parole, je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je vous invite à prêter successivement serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Vincent Dussart, M. Bertrand Faure et M. Éric Oliva prêtent serment.

Marie-Claude Varaillas, présidente. - Je précise également qu'il vous appartient d'indiquer, le cas échéant, vos éventuels liens d'intérêts ou conflits d'intérêts en relation avec l'objet de la commission d'enquête.

Je laisse la parole à Thomas Dossus, afin qu'il vous présente les axes de travail de cette commission d'enquête, qui a commencé ses travaux voilà quelques semaines.

M. Thomas Dossus, rapporteur. - Messieurs, je vous remercie d'avoir accepté notre invitation. La libre administration des collectivités territoriales est déjà, en temps normal, une préoccupation importante du Sénat. Nous avons constitué cette commission d'enquête à la suite de l'apparition de tensions croissantes entre les collectivités locales et l'État. Ces tensions sont liées à la suppression d'un certain nombre de leviers fiscaux pour les collectivités ; elles ont crû au cours des discussions budgétaires des dernières années et ont atteint leur apogée lors de la discussion du dernier projet de loi de finances. Certaines collectivités ne s'y retrouvent plus, du point de vue de leur libre administration, face à la démultiplication des injonctions et des investissements contraints, notamment en matière environnementale.

Au travers de ces auditions, nous nous interrogeons sur la notion de libre administration des collectivités. C'est sur ce point que votre expertise en droit nous sera utile. Nous avons déjà reçu d'autres spécialistes ; aussi, nous aimerions avoir votre point de vue sur les différentes révisions constitutionnelles qui ont eu lieu et sur diverses décisions du Conseil constitutionnel.

Nous vous avons envoyé un questionnaire ; je vais laisser chacun d'entre vous s'exprimer pendant une dizaine de minutes, puis nous pourrons engager un temps d'échanges.

M. Vincent Dussart, professeur de droit, université de Toulouse Capitole. - Tout d'abord, je vous remercie de votre invitation, qui honore évidemment l'universitaire que je suis.

Pour ce qui a trait à mes liens d'intérêts avec l'objet de la présente commission d'enquête, je signale que je suis élu local : je suis premier adjoint d'une commune de 7 000 habitants du nord toulousain et conseiller communautaire dans une communauté de communes de 27 000 habitants. Je ne sais pas si cela correspond aux intérêts qu'il convient de déclarer dans le cadre de cette commission, mais j'étudie en effet la notion d'autonomie financière du côté pratique, ce qui m'a permis de compléter la vision théorique que j'avais depuis très longtemps par une approche plus concrète.

La question de la libre administration des collectivités territoriales sous l'angle financier, en d'autres termes l'autonomie financière, on en parle sans cesse - on ne compte plus le nombre de rapports sur le sujet de la Cour des comptes, du Sénat, de l'Assemblée nationale, bref, il existe sur cette question une littérature surabondante -, mais on a l'impression que les problèmes, eux, demeurent.

Je ne répéterai pas ce qu'ont pu dire nos collègues qui sont déjà intervenus devant vous, je me contenterai d'ajouter quelques points, dont nous pourrons discuter.

Je commence par le contexte. On date souvent le début des difficultés relatives à l'autonomie fiscale des collectivités à la réforme de la taxe professionnelle. Pour ma part, je les fais remonter plus en amont, au moment de la suppression de la part régionale de la taxe d'habitation. C'était un avertisseur, puisque cette réforme était moins due à une volonté de réforme de l'impôt local qu'au souhait de réduire l'imposition des Français, à la veille de l'élection présidentielle de 2000. Ce sont donc les régions qui ont subi les premières une diminution importante de leur fiscalité. Ensuite, tout s'est enchaîné, avec la suppression, sur plusieurs années, de la part salariale de la taxe professionnelle, puis la réforme de 2010, que j'ai appelé la mère de toutes les réformes actuelles.

Je travaille depuis longtemps sur la notion même d'autonomie financière. J'ai eu le bonheur de diriger plusieurs thèses portant sur l'autonomie financière des autorités administratives indépendantes, sur celle des collectivités territoriales ou encore celle des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI). Moi-même, j'ai soutenu une thèse sur l'autonomie financière des pouvoirs publics constitutionnels, dont fait d'ailleurs partie le Sénat. Par conséquent, j'ai une vision peut-être un peu différente de celle de mes collègues, car j'ai travaillé sur la notion en elle-même, qui est très variable selon les institutions auxquelles on s'intéresse.

Au sujet de cette notion, je vous soumets trois points d'attention.

Premier point, il y a, selon moi, un délitement de la perception conceptuelle de l'autonomie financière locale, en raison d'un problème de définition : on peine encore à définir l'autonomie financière. J'ai retrouvé une vieille thèse de 1971 sur l'autonomie financière en droit public, dont l'auteur avait cette phrase éclairante : « L'autonomie financière se mesure plus qu'elle ne se définit. » C'est là toute la problématique.

À mes yeux, plusieurs éléments peuvent constituer la notion même d'autonomie financière.

D'abord, le terme est issu du grec autonomos, « faire sa propre loi », il n'est pas inintéressant de le rappeler. Il y a la dimension de l'autonomie normative, mais qui n'existe pas en France, bien évidemment : les collectivités territoriales ne font pas leur propre loi, nous ne sommes pas dans un État fédéral.

Il y a un deuxième aspect : l'autonomie en matière de dépenses, qui est souvent sous-estimée, même si cela évolue ; la Cour des comptes a commencé à y insister davantage dans son rapport sur les finances locales de 2023. Rappelons-le, ni la révision constitutionnelle de 2003 ni la loi organique du 29 juillet 2004 prise en application de l'article 72-2 de la Constitution relative à l'autonomie financière des collectivités territoriales (AFCT) ne font référence aux dépenses obligatoires. Pourtant, la jurisprudence du Conseil constitutionnel précisait, depuis 1990, que la libre administration des collectivités pouvait être remise en cause par un excès de dépenses obligatoires. La question des dépenses a donc toujours été largement sous-estimée, ce qui constitue une difficulté importante, que l'on va d'ailleurs retrouver, parce que la transition écologique constitue d'abord, selon moi, une dépense obligatoire, en investissement et en fonctionnement.

Troisième aspect : l'autonomie en matière de ressources. Je ne répéterai pas ce que vous avez déjà entendu sur cette question. Il y a une difficulté majeure à cet égard, puisque, depuis la révision constitutionnelle de 2003, le premier alinéa de l'article 72-2 de la Constitution dispose que les collectivités territoriales peuvent disposer librement de leurs ressources « dans les conditions fixées par la loi ». Tout est dit...

À ce propos, les textes financiers font l'objet d'un monopole de l'État, on le souligne rarement ! Par conséquent, vous, parlementaires, êtes soumis à des projets de loi et au mécanisme de l'irrecevabilité financière au titre de l'article 40 de la Constitution, qui bloquent toute possibilité de faire autre chose que ce qu'a prévu le Gouvernement.

J'en viens à la loi organique relative à l'autonomie financière des collectivités territoriales du 29 juillet 2004 . Il y a selon moi un problème de définition : qu'est-ce que l'autonomie financière ? À mon sens - ces propos n'engagent que moi -, ce n'est pas un texte sur l'autonomie financière, c'est un texte sur l'autonomie en matière de ressources, qui souffre de problèmes structurels, liés précisément à ces problèmes de définition, à ces problèmes conceptuels.

Cela m'amène à mon deuxième point : cette loi organique repose sur une conception faussée de l'autonomie financière locale. Ce texte souffre de défauts extrêmement importants, comme le fait de raisonner par catégories de collectivité. Certes, on ne pouvait pas faire autrement, mais cela conduit à mettre sur le même plan l'autonomie financière d'une petite commune d'une vingtaine d'habitants du fin fond des Pyrénées avec celle de la Ville de Paris. Il y a un problème de différenciation financière. Peut-on encore parler des collectivités territoriales comme d'un ensemble ? Je parle là surtout des communes, car il y a encore une certaine homogénéité des régions. En outre, le phénomène intercommunal prend de l'ampleur. On tend clairement vers la fiscalité professionnelle unique (FPU) ; les communautés de communes qui ne relèvent pas de ce régime sont de moins en moins nombreuses.

Vous me posez la question des ratios d'autonomie financière. Devons-nous dire que tout va bien ? L'autonomie financière ne semble poser aucun problème, puisque, en 2022 - dernière année pour laquelle nous disposons de ratios -, l'autonomie financière des communes s'élevait à 71,3 %, celle des départements à 75,6 % et celle des régions à 73,6 %. De quoi se plaint-on ! On était parti de beaucoup plus bas, notamment pour ce qui concerne les régions, avec même une erreur de calcul en 2003.

Il y a tout de même quelque chose qui n'a pas été beaucoup remarqué. L'année 2004 a été la seule au cours de laquelle ce ratio est passé sous le niveau de 2003, avec 40,8 % contre 41,7 % l'année précédente. Or l'article 5 de la loi organique AFCT de 2004 prévoyait une série d'interventions de l'État dans une telle situation. Qu'a-t-il fait, puisqu'il devait intervenir ? Rien. Que pouvait-il faire ? Demander aux collectivités d'augmenter les impôts pour augmenter ce ratio ? Mais auxquelles ? Dès lors que l'on raisonne par catégories de collectivité, on a un souci. Il y avait une autre solution, qui a d'ailleurs été mise en oeuvre, mais pour d'autres raisons : baisser les dotations. En effet, la baisse des dotations entraîne mécaniquement l'augmentation du ratio. Les 80 milliards d'euros évoqués par André Laignel de pertes de dotation influent nécessairement sur ce ratio.

Troisième et dernier point de mon intervention - vous me reprocheriez, comme je fais à mes étudiants, si j'oubliais une partie du sujet -, la transition écologique. Personnellement, j'ai tendance à considérer que l'outil le plus efficace en la matière, pour l'instant, réside dans l'orientation verte des transferts de l'État ; cela a déjà largement commencé. En effet, désormais, tant la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) que la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL) sont dotées d'une dimension de valorisation des projets verts, via l'appréciation des préfets. Il en va de même avec le fonds vert, mais il a un peu souffert des décrets d'annulation, puisqu'il a perdu plus de 1 milliard d'euros sur deux ans.

Avec la fiscalité verte, on a toujours du mal. En tant qu'enseignant du droit fiscal - j'ai longtemps dirigé un master de droit fiscal -, je dois dire que c'est encore le parent pauvre de notre fiscalité. Pourquoi ? Parce que cette fiscalité est soit punitive, soit incitative. Quand elle est incitative, cela semble être efficace, d'après le peu d'évaluations disponibles, même si on a un budget vert de l'État. Quand elle est punitive, c'est compliqué. Je vous renvoie à l'histoire de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP). D'ailleurs, en 2009, quand le Gouvernement a supprimé la taxe professionnelle, l'aspect le plus commenté par la doctrine de la décision du Conseil constitutionnel sur le projet de loi de finances, ce n'était pas la taxe professionnelle, c'était l'annulation des dispositions relatives à la TGAP. C'est assez curieux.

La charte de l'environnement pourrait servir de base à une fiscalité verte, on le sait ; on a déjà tiré tout ce que l'on pouvait de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, même en recourant à son article XIII... On pourra donc bien tirer tout ce que l'on veut de la charte de l'environnement sur un texte portant sur la fiscalité environnementale.

M. Bertrand Faure, professeur de droit, université de Nantes. - Je ne suis pas spécialiste de finances publiques, je suis un généraliste du droit des collectivités territoriales. Mon propos sera moins pointu que celui de mes collègues ; néanmoins, mon style est direct...

Je vais donc répondre rapidement aux questions que vous avez envoyées.

La protection constitutionnelle de l'autonomie locale constitue-t-elle un rendez-vous manqué ? Oui.

Y a-t-il une recentralisation financière ? À mon sens, oui.

Y a-t-il une perte d'autonomie fiscale ? Manifestement.

Y a-t-il rupture du lien démocratique avec les habitants ? Pas nécessairement. En France, le lien démocratique se construit avec l'État, non avec les collectivités territoriales, qui sont des personnes administratives.

Êtes-vous d'accord pour recentraliser le débat sur la question des dépenses ? Absolument ! Et il faut remettre de l'ordre dans le millefeuille territorial, ce qui pourrait engendrer des gains beaucoup plus considérables que la méthode consistant à pressurer le contribuable.

M. Éric Oliva, professeur de droit, université d'Aix-Marseille. - Avant toute chose, je souhaite vous remercier de vous intéresser aux travaux des universitaires - nous nous sentons parfois un peu isolés.

Pour ma part, je suis constitutionnaliste et spécialiste de finances publiques, ce qui recouvre plusieurs questions de la liste que vous avez envoyée. Comme mon collègue, le professeur Dussart, j'ai dirigé des thèses sur le sujet, dont celle, particulièrement intéressante, de David Ytier, primée par le Sénat, qui portait sur l'égalité entre collectivités territoriales en matière financière. Ce travail remarquable a été mené il y a quelques années. La question de l'égalité entre collectivités se pose de manière importante sur le plan financier.

Quand j'étais étudiant, on disait déjà que la décentralisation était plus administrative que financière. Notre premier défaut, en France, c'est de ne pas avoir abordé la dimension financière au moment de la décentralisation, même s'il y a quelques éléments sur cette question dans le code général des collectivités territoriales issu de la loi de 1982 : un budget autonome, des actes pleinement exécutoires. Il y a bien eu autonomie juridique, mais, dès le départ, la décentralisation française a été malade de l'absence de l'aspect financier. C'est un constat.

On peut retracer rapidement l'histoire de ce sujet. Après quelques évolutions, en 2003, la coupe était pleine. On a donc révisé la Constitution, pour garantir aux collectivités territoriales une autonomie financière. On a révisé la Constitution en se concentrant sans doute trop - je rejoins ce qu'a dit Vincent Dussart - sur les recettes et en négligeant un peu les dépenses.

Dans mon ouvrage de finances publiques, qui date un peu maintenant, j'en arrive à une conclusion, peut-être banale : une collectivité locale élue - car c'est une décentralisation politique et non administrative que nous avons menée, avec des élus issus du suffrage universel, direct ou indirect selon que l'on parle de l'exécutif ou de l'organe délibérant - ne peut s'administrer librement que si elle peut décider librement de ses dépenses facultatives. Pour moi, c'est l'essentiel. Ne cherchons pas midi à quatorze heures : l'autonomie financière, c'est la liberté de choix dans les dépenses. Nous l'avons vu avec les départements, certains n'ont plus cette liberté, car ils sont écrasés par les dépenses obligatoires.

Lorsque j'explique l'autonomie financière en cours, je fais le tableau des dépenses et des recettes, avec les dépenses obligatoires et les dépenses facultatives, et je montre que certaines collectivités ne peuvent même plus financer leurs dépenses obligatoires. Dans ce cas, il n'y a plus d'autonomie financière.

Je propose donc d'adopter le principe d'un cliquet d'autonomie financière, c'est-à-dire un seuil minimal, qui pourrait être de 5 % ou 10 %, de dépenses facultatives. Si l'on n'a plus de choix, on n'a plus de politique ; si l'on n'a plus de politique, on n'a plus de décentralisation politique, on en revient aux circonscriptions administratives d'antan. Le débat devrait également porter sur les dépenses.

Allons plus loin. L'autonomie financière consiste aussi à définir un montant de recettes pour subvenir aux dépenses. Or, avec les dépenses obligatoires liées à l'environnement, le montant des dépenses n'est pas forcément facile à estimer et, si l'on ne maîtrise pas ses dépenses, on ne maîtrise pas ses recettes, puisque l'on est incapable d'indiquer le montant nécessaire. Voilà, selon moi, le noyau technique du problème des finances locales et de l'autonomie financière.

Que faire ? Ce cliquet, que j'évoquais, permettrait, par exemple, d'enclencher une sorte d'aide automatique pour l'autonomie lorsqu'une collectivité n'est plus en mesure de financer ses choix, avec des garde-fous, bien entendu, sans quoi certaines pourraient être tentées de se déresponsabiliser en ayant des dépenses pharaoniques. Voilà le premier point sur lequel je souhaitais vous éclairer.

Quel bilan tirer de la décentralisation et de la révision constitutionnelle de 2003 ? Ce bilan est mitigé, parce que le Conseil constitutionnel n'a pas été un grand protecteur de l'autonomie financière. La décision de 2009 sur la taxe professionnelle a été un pavé dans la mare : d'après cette décision, aucune disposition constitutionnelle ne garantit une autonomie fiscale en faveur des collectivités territoriales. Néanmoins, ce que le Conseil constitutionnel a fait, une révision constitutionnelle peut le défaire. On pourrait donc inscrire la garantie manquante dans la Constitution. On pourrait, par exemple, préciser que les collectivités territoriales disposent d'une autonomie fiscale dans les conditions prévues par une loi organique. Pourquoi pas ?

Cela pourrait nous conduire à plusieurs types de situations.

La situation maximale, qui ne semble pas très intéressante au regard des exemples étrangers, consisterait à passer d'un État monolégislatif à un État plurilégislatif. Cela existe : l'Italie, l'Espagne, nous-mêmes avec la Nouvelle-Calédonie, qui a ses lois, son code général des impôts. Ce serait la solution d'un État régional, nous passerions alors à une autre forme de République. Personnellement, je ne suis pas certain qu'elle soit très bonne, mais tout est possible.

Une autre solution, et il me semble que le troisième alinéa de l'article 72-2 comporte déjà les outils nécessaires, consisterait à renvoyer à une loi organique relative à la fiscalité locale le partage de la fiscalité entre l'État et les collectivités. Cela pourrait aussi s'envisager. En redonnant aux collectivités la maîtrise non pas des recettes - on a bien vu que le problème ne réside pas dans le ratio d'autonomie financière -, mais du dynamisme des recettes. Les collectivités ne peuvent plus, aujourd'hui, disposer d'un montant suffisant de recettes en contrôlant les taux. Les régions n'ont plus, je crois, de pouvoir de taux depuis 2011. Les communes en ont encore un peu, et celui des départements, à part pour les droits de mutation à titre onéreux (DMTO), est ridicule. Dès lors, il faudrait peut-être redonner aux collectivités territoriales des impôts qui leur permettent d'avoir des recettes dynamiques.

Sur le plan quantitatif, la révision de 2003 a fonctionné grâce au subterfuge des recettes ayant une base locale d'assiettes, c'est-à-dire des impôts d'État transférés - donc, disons-le clairement, des dotations déguisées, puisque les ratios sont plus importants. En revanche, sur le plan qualitatif, les collectivités ont perdu. C'est sur ce point que la question se pose.

Dernière remarque, sur la fiscalité environnementale : peut-on faire reposer l'autonomie financière sur de la fiscalité environnementale ? Je ne le pense pas. Pour appuyer les propos de mon collègue, le professeur Vincent Dussart, la fiscalité environnementale a une particularité assez rare : il s'agit d'un prélèvement qui détruit l'assiette sur laquelle il est établi. Pour l'instant, il y a des pollueurs et ce mécanisme est utilisé - la Catalogne, la Galice, l'Andalousie ont une fiscalité nucléaire -, mais les comportements que l'on souhaite éradiquer vont disparaître, et c'est l'objectif de cette fiscalité. À ce moment, la base d'imposition disparaîtra et il n'y aura plus de recettes.

Ainsi, à court terme, oui, mais, si l'on veut baser la démocratie locale sur un fondement pérenne, cela ne me semble pas constituer la meilleure voie.

M. Thomas Dossus, rapporteur. - Monsieur Faure, pensez-vous que l'autonomie consiste à disposer librement de ses recettes ou faut-il intégrer aussi les dépenses dans l'équation ?

M. Bertrand Faure. - L'autonomie financière est une expression générale, vague, on y met un peu ce que l'on veut. On peut y mettre une autonomie de recettes, une autonomie de dépenses, ou les deux. Ainsi, finalement, tout dépend de chaque État et du moment de son histoire.

Votre question me ramène à la réponse par laquelle j'ai eu l'impression de vous surprendre. Il n'y a pas, en l'absence de fiscalité locale, de rupture du lien démocratique avec les citoyens, parce que notre Constitution établit le lien démocratique avec l'État : c'est le Parlement qui fait la loi, par les représentants du peuple. Aux termes de l'article 34, le Parlement établit l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impôts de toute nature. Le lien fiscal est avec l'État, par les représentants du peuple, au sein du Parlement.

En revanche, à l'échelon local, l'article XV de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen me paraît plus pertinent : « La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration. » En effet, parmi les agents publics, il y a les élus locaux. Par conséquent, le lien politique entre les citoyens et les élus locaux passe plutôt par le fait de contrôler la dépense de l'argent public par les élus locaux, plutôt que par le lien fiscal de la recette, qui est lié à l'État. Il a d'ailleurs fallu une application assez souple de la Constitution pour créer le mécanisme de l'impôt local direct.

Par ailleurs, notre pays a un système délétère, parce que la dépense est contrainte et que la recette est libre. Pour les collectivités territoriales, la dépense est contrainte par la loi, qui fixe les dépenses qui s'imposent à elles, en matière sociale, scolaire, etc. Quant à la recette, elle est libre, grâce à un système fiscal par lequel il suffit d'augmenter le taux de l'impôt pour augmenter ses recettes. Ainsi, on peut faire face à ses dépenses et, in fine, c'est le citoyen qui est la variable d'ajustement des dysfonctionnements entre l'État et les collectivités locales. Voilà pourquoi le système me paraît perfectible.

En tout état de cause, je pense qu'il ne faut pas voir de lien démocratique entre les citoyens et les collectivités locales. En outre, les impôts locaux existent dans d'autres pays. Le problème, en France, c'est le millefeuille administratif : il y a tout de même quatre niveaux possibles de perception de l'impôt ! On ne voit pas cela ailleurs. En Allemagne, les communes ont des recettes fiscales, les régions aussi, mais les Kreise n'en ont pas, puisqu'elles perçoivent des prélèvements sur les communes. En France, il existe quatre niveaux d'imposition, avec le manque de transparence que cela induit, par exemple pour ce qui concerne les superpositions de taux en matière de taxe foncière.

M. Thomas Dossus, rapporteur. - Le manque de transparence et la complexité qui entoure la perception des ressources par les collectivités donnent le sentiment d'un maquis de dispositifs et de compensations, qui entravent finalement la lisibilité du système.

Nos auditions ont révélé un véritable hiatus entre ce que les élus locaux et l'État ont l'impression, respectivement, de percevoir et de donner. Sur le papier, les ratios sont corrects, mais certains élus ont le sentiment de vivre sous une contrainte croissante.

Cette complexité n'est-elle pas à l'origine du manque de lisibilité de l'autonomie financière des collectivités ? Une remise à plat n'est-elle pas nécessaire ?

M. Vincent Dussart.  - J'en suis convaincu, à la fois comme élu local et comme enseignant.

Dans les cours de fiscalité, on enseigne les principaux impôts, mais aussi les taxes indirectes ou encore les neuf composantes de l'impôt forfaitaire sur les entreprises de réseaux (Ifer). La taxe professionnelle a, par exemple, été remplacée par pas moins de quatorze impôts !

Il suffit de regarder la liste qu'envoie la direction générale des finances publiques (DGFiP) aux élus locaux au mois d'août pour les inviter à voter, avant le 30 septembre, l'ensemble des délibérations relatives aux exonérations dans tous les domaines, notamment en matière environnementale.

Par ailleurs, la fiscalité de l'urbanisme et de l'aménagement est un sujet qui reste peu abordé. Cette fiscalité a été démantelée, puisqu'il ne reste plus que la taxe d'aménagement, qui a d'ailleurs été entièrement fiscalisée à l'occasion de son récent transfert du code de l'urbanisme vers le code général des impôts. Un certain nombre de mesures, là encore, ont été supprimées.

Il faut ensuite prendre en compte une multitude de petites taxes, dont certaines ont été éliminées, notamment sur la sous-densité, qui ne rapportait pas assez. C'est donc bien une forme de maquis. D'autres difficultés doivent être soulignées : l'état 1259, dans lequel est précisé le montant des recettes fiscales, est transmis de plus en plus tard, au mois d'avril désormais. Et de nouvelles contraintes apparaissent : ainsi, ma commune a récemment fait l'objet d'une petite amende, en raison de son récent passage en zone urbaine, ce qui impose un minimum de 25 % de logements sociaux. Trois jours avant de boucler le budget, il a donc fallu trouver 115 000 euros supplémentaires...

Ce n'était pas comme cela quand j'ai entamé mon premier mandat, il y a quatorze ans. D'un point de vue universitaire, je le constate aussi : la complexité des normes, sans même parler des dotations, est immense.

M. Thomas Dossus, rapporteur. - Vous évoquiez la loi organique. Est-il possible de remettre l'ensemble du système à plat ?

M. Éric Oliva. - Pour l'heure, cela paraît très compliqué. Cependant, l'enjeu est de construire un avenir pérenne. Une meilleure définition du partage de fiscalité, avec une loi organique précisant les impôts locaux, et éventuellement les fourchettes d'augmentation, serait utile.

En effet, l'article XIII de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen impose, y compris aux collectivités locales, le respect du principe d'égalité devant les charges publiques. Ce principe interdit ainsi d'exonérer les contribuables d'impôts locaux : à une époque, il revenait au préfet d'annuler une délibération qui aurait rendu cela possible ! Nous avons connu quelques ovnis - c'est le nom qu'on leur donne - de ce type dans le département des Bouches-du-Rhône.

Une révision est nécessaire. Les taxes transférées à l'occasion de la réforme de la taxe professionnelle ne pourront pas être rendues aux collectivités territoriales avec des pouvoirs de taux. Cela soulève des problèmes de concurrence, par exemple dans le cas de la taxe sur les surfaces commerciales (Tascom). Les droits de mutation à titre onéreux (DMTO) sont ainsi totalement encadrés ; ils sont d'ailleurs très volatiles.

La fiscalité environnementale existe depuis longtemps. On peut aujourd'hui considérer que la taxe d'enlèvement des ordures ménagères (Teom) en fait partie, au regard de l'évolution des services publics.

Ces révisions sont peut-être faisables. La volonté politique suivra-t-elle ? C'est un autre débat...

Par ailleurs, il faut régler les problèmes afférents à la dotation globale de fonctionnement (DGF) et aux autres dotations. Il y a d'abord eu la réforme d'ampleur de 2004, puis des suppressions... Tout cela doit être revu.

En revanche, la globalisation, qui consiste à accorder des soutiens financiers globaux sans affectation particulière, si ce n'est en fonctionnement et en investissement, est un principe important, au fondement de la liberté locale. Les subventions d'équipement reposent sur des dossiers, ce qui traduit finalement un phénomène de recentralisation. Le chantier est donc vaste !

M. Bertrand Faure. - L'autonomie financière des collectivités locales pourrait très bien s'établir de la manière suivante : des recettes globales suffisantes et librement dépensées.

M. Thomas Dossus, rapporteur. - Mais comment évaluer des recettes « suffisantes » ?

Dans son rapport Décentralisation : le temps de la confiance, Éric Woerth proposait d'instaurer, sur le modèle du Conseil d'orientation des retraites (COR), une instance réunissant les acteurs des collectivités et de l'État pour objectiver les besoins d'investissement et de fonctionnement. Qu'en pensez-vous ?

M. Bertrand Faure. -Lors du transfert de compétences, une commission consultative de transfert des charges n'avait-elle pas été instaurée ?

M. Éric Oliva. - Si, en effet.

M. Bertrand Faure. - J'ignore quel travail a été réalisé par cette instance...

Il faut aussi se pencher sur la jurisprudence. Il existe des contentieux entre collectivités et État pour financement insuffisant des charges transférées. Or ce contentieux, porté devant le Conseil d'État ou le Conseil constitutionnel, est généralement assez rude envers les collectivités territoriales.

Le Conseil constitutionnel fait ainsi la différence entre les transferts et les extensions de charges et de compétences : seuls les transferts doivent être compensés.

Quant au Conseil d'État, sa jurisprudence s'accorde sur celle du Conseil constitutionnel, puisqu'il juge que c'est le coût historique de la compétence qui doit être transféré à la collectivité territoriale. Ainsi, lorsque le nombre de prestataires de l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) a augmenté et que son prix a explosé, l'État n'a pas été contraint d'ajuster son transfert. Certes, l'État était obligé de prendre une loi nouvelle de compensation pour que les collectivités puissent faire face aux charges qui n'avaient pas été compensées. Le Conseil constitutionnel ne peut sanctionner l'État que sur des lois qui existent : il n'y a pas de contrôle des inconstitutionnalités par omission...

La jurisprudence pourrait donc évoluer sous l'action du législateur ou du constituant pour préciser ce que doit être une décentralisation à l'euro près.

M. Vincent Dussart. - N'oublions pas, en outre, le cinquième alinéa de l'article 72-2 de la Constitution, qui fait de la péréquation un objectif à valeur constitutionnelle. Je n'y suis bien évidemment pas opposé, mais cette disposition reste une atteinte à l'autonomie financière, bien qu'elle ait été validée, puisqu'elle est tout à fait normale.

Là encore, si la globalisation est importante, elle pose un problème par rapport à la péréquation. D'énormes écarts de richesse subsistent entre certaines collectivités, notamment au sein du bloc communal, le lissage étant plus important entre les grandes collectivités.

M. Jean Sol, - Nous sommes régulièrement sollicités sur la taxe d'aménagement. Que pouvez-vous nous dire à ce sujet ?

M. Vincent Dussart. -La taxe a été transférée il y a deux ans, lorsqu'elle a déménagé du code de l'urbanisme vers le code général des impôts. Elle était déjà recouvrée par la DGFiP. Désormais, elle est entièrement fiscalisée.

Le changement de date d'exigibilité de cette taxe avait alors posé problème et l'intervention des assemblées avait été fondamentale pour trouver une solution. Cette date est normalement fixée à la fin des travaux. Il a donc pu arriver qu'un immeuble non terminé permette au constructeur d'éviter de payer des impôts. Le législateur est alors intervenu pour créer une possibilité d'acompte sur les plus gros projets.

On rencontre aussi d'autres problèmes. Il peut arriver que certains contribuables ne soient plus en mesure de régler la taxe lorsque les travaux sont enfin achevés. Il faut reconnaître que son montant est parfois important. Certes, il est variable, mais les taux peuvent atteindre 20 % dans certaines zones. Cela pousse certains citoyens à écrire à leurs élus pour leur demander d'être dispensés de cette taxe. Bien entendu, c'est impossible...

Par ailleurs, certaines difficultés sont conjoncturelles : le ralentissement du secteur immobilier et la difficulté des entreprises à contracter des prêts ont entraîné une baisse de cette taxe, qui constitue en réalité la seule recette fiscale d'investissement.

Selon moi, renvoyer cette taxe au code d'urbanisme ne changera rien du tout : elle est désormais fiscalisée. Les directions départementales des territoires (DDT) continuent, malgré tout, à intervenir. Mais il sera difficile de revenir en arrière. Peut-être pourrions-nous faire évoluer cette taxe pour aller vers une plus grande obligation de transparence vis-à-vis de ceux qui la paient, notamment sur la question des zones. En effet, lorsqu'un maire fait passer une zone à un taux supérieur à 5 %, il doit le justifier, notamment dans le cadre de la loi du 20 juillet 2023 visant à faciliter la mise en oeuvre des objectifs de lutte contre l'artificialisation des sols et à renforcer l'accompagnement des élus locaux. Sans doute pourrions-nous faire beaucoup mieux à cet égard.

M. Thomas Dossus, rapporteur. -Le Conseil constitutionnel n'a jamais statué sur une éventuelle attaque ou entrave à l'autonomie financière des collectivités.

Au regard de la position parfois critique des élus sur le traitement que leur impose l'État, estimez-vous que la valeur constitutionnelle de l'autonomie financière devrait être renforcée ? Une réforme constitutionnelle serait-elle nécessaire pour mieux la définir ?

MÉric Oliva. - Je veux expliquer la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Si le Conseil est si discret, c'est qu'il a finalement refusé de rendre autonome l'autonomie financière ! Dans sa lecture, cette autonomie est au service de la libre administration des collectivités territoriales.

Par conséquent, toutes les atteintes qui ont été portées à ce principe, y compris avant la révision de 2003, ont été examinées par le Conseil constitutionnel au seul regard de la libre administration des collectivités territoriales. Or tant que celle-ci n'est pas entravée, l'autonomie financière ne peut être prise en compte dans les décisions - et ce n'était pas le cas. Il y a donc une réserve de dénaturation, selon l'appellation qui lui est donnée en technique constitutionnelle. Pour l'instant, la libre administration n'est pas dénaturée.

Le Conseil exerce un contrôle minimal sur l'autonomie financière et ses conséquences quant à la libre administration. Or ce principe n'est pas atteint, parce que les suppressions d'impôts sont compensées par des impôts d'État ou par des dotations. Quantitativement, rien n'a bougé et la libre administration n'est pas altérée.

Pour renforcer le mécanisme d'autonomie, il faut tout simplement supprimer de la loi organique cette notion d'« impositions de toutes natures », disposant d'une part locale d'assiette - c'est-à-dire les impôts d'État qui sont transférés et qui permettent d'augmenter plus ou moins artificiellement les ratios d'autonomie financière.

C'est un mécanisme envisageable, qui a déjà existé : avant la révision de 2003, le Conseil avait déjà évoqué de possibles atteintes ou entraves portées à la libre administration. Il y avait donc une mise en garde du législateur, qui pourrait être renouvelée.

N'accusons pas le Conseil constitutionnel de tous les maux ; il se contente de suivre la Constitution, qui renvoie elle-même à la loi. En effet, sans le premier alinéa de l'article 72-2, selon lequel « les collectivités bénéficient de ressources dont elles peuvent disposer librement dans les conditions fixées par la loi », nous n'en serions pas là ! Quelles sont ces conditions ? Il s'agit simplement des principes d'équilibre et de dépenses obligatoires ou interdites. Or ces collectivités disposent, en même temps, librement de leurs ressources : en réalité, cela ne veut rien dire, puisqu'elles sont contraintes par la loi...

MBertrand Faure. - Je trouve que la réforme constitutionnelle de 2003 était bien rédigée. Elle évoquait « une part déterminante de ressources propres ». En réalité, les constitutions italienne ou espagnole ne sont pas plus précises.

M. Thomas Dossus, rapporteur. - Estimez-vous que la notion de « part déterminante » est satisfaisante ?

MBertrand Faure. - Le problème vient de la loi organique du 29 juillet 2004, selon laquelle le ratio de ressources propres ne peut être inférieur au niveau constaté l'année précédente. En même temps, une part de la taxe intérieure sur les produits pétroliers (TIPP) avait dû être affectée aux départements pour financer leurs charges supplémentaires d'aide sociale. Mais cette affectation de la TIPP avait mécaniquement fait chuter le ratio à un niveau inférieur à 2003, ce qui créait une inconstitutionnalité.

Pour se tirer d'affaire, il a fallu un amendement parlementaire définissant la ressource propre de manière si large, en incluant cette notion de part locale d'assiette, qu'elle incluait les ressources affectées. La réforme a été vidée de son venin. On a fabriqué un pétard mouillé, et le législateur, en 2004, a tué son oeuvre...

Nous pourrions envisager une nouvelle loi organique, qui proposerait une autre définition des ressources propres. Nous pourrions alors créer ce cliquet anti-retour que nous avions voulu instituer en 2003.

MVincent Dussart. - En 2007, j'avais été invité au Sénat dans le cadre d'un colloque organisé par Michel Bouvier, professeur de finances publiques et de fiscalité, sur le bilan de la réforme de la fiscalité locale.

J'avais alors montré qu'une partie de la loi était inapplicable, en raison des corrections apportées a posteriori. Il avait d'ailleurs été très difficile de faire publier le premier rapport sur l'autonomie financière : trois années avaient été nécessaires pour cela, et il avait même fallu faire appel à la Commission d'accès aux documents administratifs (Cada)...

Il faut aussi revenir sur la volonté politique. En décembre 2004, le président Jacques Chirac a voulu supprimer la taxe foncière sur les propriétés non bâties (TFPNB) - alors que la loi organique avait été votée en juillet de la même année. Finalement, cette ambition n'a pas eu de suites, en raison de l'opposition des élus locaux, notamment dans les zones rurales, qui voyaient dans la TFPNB une ressource fondamentale. Mais cela en dit long.

À la fin du colloque qui s'était tenu au Sénat en 2007, un sénateur avait reconnu que le législateur s'était quelque peu laissé entraîner. En effet, Michel Mercier donne une définition très intéressante de l'autonomie financière, qu'il fait reposer sur trois piliers : la dimension budgétaire, l'autonomie de gestion et l'autonomie fiscale. Il aurait fallu suivre cette logique.

Quant à la « part déterminante », cette notion ne veut pas dire grand-chose. Ce n'est pas la même chose qu'une part majoritaire, par exemple. Et c'est ainsi que nous sommes arrivés à la notion de ratio...

Je crois que le Gouvernement cherche à faire des économies. Il pourrait en réaliser de ce point de vue, car il y a sans doute un budget affecté au seul calcul de ces ratios ! Ce n'est pas raisonnable...

MBertrand Faure. - Il est très intéressant d'expliquer aux étudiants comment, à partir de la réforme constitutionnelle de 2003, on a finalement orchestré des retours en arrière.

Aujourd'hui, nous avons moins de ressources fiscales que lorsque nous nous émouvions de l'allégement des impôts locaux, à la fin des années 1990, sous Jospin.

D'ailleurs, le Conseil constitutionnel a emboîté le pas à cette dégradation de la situation. Il suffit de regarder le contraste entre deux décisions, prononcées avant et après la réforme de 2003.

Dans son contrôle de constitutionnalité de la loi de finances pour 1999, le Conseil estime que l'allégement prévu de la taxe professionnelle « ne restreint pas les ressources fiscales des collectivités territoriales au point d'entraver leur libre d'administration ». On comprend implicitement que les ressources fiscales et l'autonomie fiscale sont des éléments constitutifs de la libre administration des collectivités locales.

Or, dans le contrôle de constitutionnalité de la loi de finances pour 2020, le Conseil juge qu'« il ne résulte ni de l'article 72-2 de la Constitution ni d'aucune autre disposition constitutionnelle que les collectivités territoriales bénéficient d'une autonomie fiscale ». C'est une régression, en dépit du saut qualitatif qu'aurait pu apporter une révision constitutionnelle.

MVincent Dussart. - D'ailleurs, les parlementaires n'ont même pas saisi le Conseil constitutionnel sur la décision relative à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE). Certes, le même argument aurait sans doute été exposé ; mais cela m'a tout de même surpris.

MÉric Oliva. - La décision n° 2004-500 DC du Conseil constitutionnel sur la loi organique relative à l'autonomie financière des collectivités territoriales est déterminante.

Le législateur organique avait recopié les dispositions du troisième alinéa de l'article 72-2 en inscrivant dans le texte la notion de « part prépondérante ». Or cette notion a été censurée par le Conseil constitutionnel.

Celui-ci estime que ces dispositions sont « dépourvues d'effet normatif ». C'est la première fois, et la seule dans l'histoire de la Ve République, que le juge constitutionnel exerce indirectement un contrôle de constitutionnalité de la Constitution ! En effet, c'est bien un extrait de ce texte qui avait été inscrit dans la loi organique par le législateur...

Dans la loi de finances rectificative de 2003, l'article 72-2 avait d'ailleurs été invoqué dans une saisine parlementaire. Le Conseil n'y avait pas répondu, dans l'attente d'une loi organique, mais probablement aussi parce que cet article était dépourvu de portée juridique.

Ainsi, il a simplement été ajouté, par amendement, il me semble, que « pour chaque catégorie, la part des ressources propres ne peut être inférieure au niveau constaté au titre de l'année 2003 » : cette fois, l'énoncé est normatif. Mais la notion de part prépondérante n'a aucun d'intérêt juridique.

MBertrand Faure. - Cette « part déterminante » rappelle la loi du 7 janvier 1983, dont l'un des articles précisait que « les transferts d'impôts d'État représentent la moitié au moins des ressources attribuées par l'État à l'ensemble des collectivités locales ». Mais cela n'avait que la valeur d'une loi : ce que fait une loi, une autre loi peut le défaire. Cependant, le réformateur, cette fois, s'était un peu plus engagé.

Enfin, j'ajoute que si la situation fiscale des collectivités est dégradée, en revanche, à l'échelle des communes, elle est finalement assez proche de ce que l'on observe en Allemagne, en Italie ou en Espagne : des ressources essentielles proviennent des contributions foncières et de l'impôt sur l'activité économique, auxquelles s'ajoutent une nébuleuse de petites fiscalités à faible rendement et des aides de l'État déterminantes. On a finalement le sentiment d'un schéma européen commun, malgré une situation qui, dans notre pays, est très empirique et assez dégradée.

M. Thomas Dossus, rapporteur. - Messieurs, je vous remercie.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo, disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 17 heures 30.