- Mercredi 18 juin 2025
- Proposition de loi élargissant la possibilité pour les collectivités territoriales et leurs groupements d'avoir recours au modèle de la société portuaire pour l'exploitation de leurs ports - Examen des motions et amendements au texte de la commission
- Ouverture à la concurrence du transport ferroviaire de voyageurs - Audition de M. Patrick Jeantet, président de la Fédération des industries ferroviaires (FIF), Mme Rachel Picard, présidente de Proxima, et M. Laurent Fourtune, président de Kevin Speed, membres de l'Association française du rail (Afra), M. Alexander Ernert, directeur des affaires publiques Europe de Trainline France, et Mme Solène Garcin-Berson, déléguée générale de l'Afra
- Plan Plastique 2025-2030 - Communication
Mercredi 18 juin 2025
- Présidence de M. Jean-François Longeot, président -
La réunion est ouverte à 9 h 30.
Proposition de loi élargissant la possibilité pour les collectivités territoriales et leurs groupements d'avoir recours au modèle de la société portuaire pour l'exploitation de leurs ports - Examen des motions et amendements au texte de la commission
M. Jean-François Longeot, président. - Je constate qu'aucun amendement n'a été déposé sur la proposition de loi, présentée par Mme Nadège Havet et MM. Michel Canévet et Yves Bleunven, élargissant la possibilité pour les collectivités territoriales et leurs groupements d'avoir recours au modèle de la société portuaire pour l'exploitation de leurs ports.
Ouverture à la concurrence du transport ferroviaire de voyageurs - Audition de M. Patrick Jeantet, président de la Fédération des industries ferroviaires (FIF), Mme Rachel Picard, présidente de Proxima, et M. Laurent Fourtune, président de Kevin Speed, membres de l'Association française du rail (Afra), M. Alexander Ernert, directeur des affaires publiques Europe de Trainline France, et Mme Solène Garcin-Berson, déléguée générale de l'Afra
M. Jean-François Longeot, président. - L'ouverture à la concurrence du transport ferroviaire de voyageurs constitue, comme vous le savez tous, un point d'attention particulier dans le cadre de nos réunions plénières consacrées aux transports.
Le 29 janvier dernier, une première table ronde nous a permis d'aborder plusieurs enjeux de ce sujet central, tant pour les opérateurs et les autorités organisatrices de la mobilité (AOM) que les usagers du transport ferroviaire. Y étaient conviés des représentants de la SNCF Voyageurs, de Trenitalia France, de Transdev et de Renfe Operadora. Cette réunion était l'occasion d'établir ensemble un premier bilan d'étape de l'ouverture à la concurrence depuis la loi du 27 juin 2018 pour un nouveau pacte ferroviaire, qui transposait en droit national le principe européen d'ouverture à la concurrence. Avec nos intervenants, nous avions pu identifier les obstacles rencontrés par les acteurs déjà présents sur le marché, notamment les difficultés liées à l'homologation et à la certification du matériel roulant. Nous avions aussi évoqué les spécificités propres à chaque secteur concerné par la transformation de ce marché, à savoir : les lignes à grande vitesse, dans le cadre des Services librement organisés (SLO) ; les Trains d'équilibre des territoires (TET), c'est-à-dire les Intercités, dont l'État est l'autorité organisatrice ; les lignes Transilien et de Transport express régional (TER) dont les régions sont l'autorité organisatrice.
Notre commission a jugé utile de se pencher désormais sur les difficultés auxquelles font face les nouveaux entrants sur le marché.
Afin de poursuivre nos échanges de janvier, nous recevons aujourd'hui des représentants des opérateurs alternatifs de demain : M. Patrick Jeantet, président de la Fédération des industries ferroviaires (FIF) ; Mme Rachel Picard, présidente de Proxima, et M. Laurent Fourtune, président de Kevin Speed, tous deux membres de l'Association française du rail (Afra) ; M. Alexander Ernert, directeur des affaires publiques Europe de Trainline France et secrétaire général d'ADN Mobilités ; et Mme Solène Garcin-Berson, déléguée générale de l'Afra.
En guise de préambule, j'aimerais poser quelques questions liminaires à nos intervenants.
Mes premières questions portent sur l'arrivée de nouveaux opérateurs économiques sur le marché des SLO. Ces nouveaux acteurs rencontrent des difficultés particulières, que des opérateurs historiques étrangers comme Trenitalia ou Renfe ne connaissent pas, ou du moins surmontent plus aisément, lorsqu'ils ouvrent des lignes ferroviaires en France.
Ils doivent tout d'abord trouver les financements nécessaires au démarrage de leur activité, mais leur capacité d'endettement reste limitée, alors que les investissements initiaux sont très élevés. En effet, ces opérateurs ne percevront pas de recettes commerciales avant 2030 et ne devraient pas dégager de bénéfices avant plusieurs années d'exploitation. Les acteurs financiers se montrent donc réticents à leur octroyer des financements, en raison notamment de leur incapacité à rembourser à court terme, mais aussi à cause de l'instabilité réglementaire et de la volatilité des prix des péages - lesquels représentent la majorité du coût total d'exploitation. Quel rôle pourrait jouer le législateur pour faciliter l'arrivée de ces nouveaux opérateurs alternatifs ?
À ces freins au financement de leur activité, s'ajoutent des entraves à la réception du matériel roulant dans les délais impartis. D'une part, les délais de livraison du matériel roulant sont particulièrement longs. Les capacités de production des constructeurs ferroviaires comme Alstom sont saturées, et il est long et onéreux de créer des chaînes supplémentaires. D'autre part, le processus d'homologation et de certification est complexe et coûteux. Tant les opérateurs alternatifs à la SNCF que les constructeurs dénoncent la lourdeur des tests de matériel à réaliser avant de faire circuler les rames. On dénombre 54 normes nationales supplémentaires relatives à la sécurité ferroviaire et à la compatibilité avec l'infrastructure par rapport aux standards européens, appelés spécifications techniques d'interopérabilité (STI). L'Agence de l'Union européenne pour les chemins de fer (ERA) estime que 17 de ces normes pourraient être révisées, voire supprimées. De plus, les liens de certains acteurs de l'écosystème de l'homologation avec l'opérateur historique peuvent aussi poser des problèmes d'équité de traitement des demandes des opérateurs alternatifs. Ces facteurs expliquent le retard dans le lancement effectif de l'activité des opérateurs alternatifs, accentuant ainsi la défiance des financeurs qui redoutent l'absence de visibilité économique. Le législateur pourrait-il prendre des initiatives pour lever les difficultés actuelles rencontrées par les industriels du secteur ferroviaire ? Comment simplifier et fluidifier le processus d'homologation du matériel roulant ?
Enfin, les nouveaux entrants sur le marché des SLO font face à une autre barrière à l'entrée sur le marché : l'accès aux centres de maintenance. Ceux-ci, gérés par l'opérateur historique, sont aujourd'hui saturés, et les opérateurs alternatifs pourraient craindre d'être défavorisés dans la prise en charge du matériel roulant par les centres de maintenance. Devons-nous conserver la gestion du service de maintenance par l'opérateur historique, tout en garantissant un traitement équitable, ou bien opter pour la création de nouveaux centres de maintenance, gérés par les opérateurs alternatifs eux-mêmes ?
J'en viens maintenant aux difficultés rencontrées par les constructeurs souhaitant répondre aux appels d'offres des AOM du transport conventionné, à savoir les lignes Transilien et de TER. Il revient dorénavant à chaque région de commander des rames pour ses besoins, selon des spécifications techniques qu'elle définit. Les faibles quantités commandées et les différences de cahiers des charges pourraient décourager certains constructeurs de candidater, ce qui pourrait limiter la compétitivité des offres, dont le prix serait également renchéri par les faibles économies d'échelle réalisées. Comment remédier à cet écueil afin d'assurer aux régions des offres performantes ?
Ma question suivante, relative à la billettique, tant pour le SLO que le transport ferroviaire conventionné, s'adresse à tous nos invités, mais plus spécifiquement à M. Alexander Ernert. La pluralité d'opérateurs fragmentera l'offre de transport ferroviaire et complexifiera l'acte de réservation de billets, à moins que l'ensemble des trajets soient réservables sur une plateforme unique. Aujourd'hui, on observe que la plateforme de réservation SNCF Connect propose les trajets de la ligne TER Marseille-Nice, exploitée par Transdev, mais pas les trajets assurés par Trenitalia sur la ligne LGV Sud-Est - où une alternative SNCF existe. Que faire pour éviter une trop grande « archipellisation » de la billetterie, qui nuirait au voyageur ?
Enfin, ma dernière question est transversale. Nous avons reçu le 28 mai dernier M. Thierry Guimbaud, président de l'Autorité de régulation des transports (ART). Considérez-vous que les compétences et les moyens du régulateur lui permettent de jouer son rôle de garant de l'ouverture à la concurrence ? Quelles compétences supplémentaires pourrait-il éventuellement recevoir ?
Mme Rachel Picard, présidente de Proxima. - Je commencerai par quelques éléments d'introduction pour éclairer nos positions.
En tant que membre de l'Afra, nous faisons aujourd'hui un triple constat.
Premier constat : la crise capacitaire a déjà commencé.
Sur les principaux axes à grande vitesse qui relient les grandes villes françaises, 10 % à 15 % des voyageurs ne peuvent pas monter à bord des trains, faute d'offre suffisante. Ce déficit va s'aggraver si rien ne change. La capacité actuelle, même avec les commandes de matériel roulant récemment passées, ne permettra que de maintenir l'offre existante, alors même que la demande croît fortement. À horizon 2030, nous estimons que 25 % des voyageurs resteront à quai si aucune action n'est entreprise.
Deuxième constat : le report modal est nécessaire.
Face à l'urgence climatique, il est essentiel de favoriser les modes de transport décarbonés, au premier rang desquels le transport ferroviaire. Le train est en effet un levier majeur pour réduire les émissions de gaz à effet de serre.
Troisième constat : l'état du réseau ferré français est préoccupant.
Le réseau vieillit et nécessite un entretien régulier et un effort accru de régénération. Selon les propres chiffres de la SNCF, 1,5 milliard d'euros par an de financement supplémentaire seraient nécessaires pour maintenir le réseau à niveau. Or ce besoin n'est aujourd'hui pas couvert.
Face à ces enjeux, nous partageons tous la volonté d'améliorer la qualité de service, d'élargir l'offre, d'accélérer le report modal, et de répondre aux besoins de financement du réseau. L'ouverture du marché du SLO à la concurrence est la réponse qui a été choisie au niveau tant communautaire que national.
La loi pour un nouveau pacte ferroviaire en a fixé le cadre, dans lequel se sont inscrits les nouveaux entrants, qu'ils soient opérateurs historiques étrangers ou compagnies indépendantes. L'objectif est de faire émerger une offre complémentaire à celle de l'opérateur historique, et qui apportera des bénéfices pour les voyageurs, le système ferroviaire dans son ensemble, la planète, et même pour SNCF Réseau, qui bénéficiera d'au moins 700 millions d'euros de recettes supplémentaires par an selon nos estimations.
Mais la réussite de cette ouverture repose sur une condition essentielle : la stabilité des règles. Vous l'avez rappelé, les investissements initiaux sont lourds, de l'ordre de 1 milliard d'euros dès l'entrée sur le marché, et s'inscrivent sur le très long terme. Pour garantir leur sécurité, les différentes règles - juridiques, économiques et tarifaires - doivent rester stables, particulièrement au démarrage. Le niveau des péages, en particulier, est un facteur absolument critique.
M. Patrick Jeantet, président de la Fédération des industries ferroviaires (FIF). - Il existe aujourd'hui en France une demande extrêmement forte pour le transport ferroviaire, ce que confirme d'ailleurs l'ART. Cette demande émane aussi bien de nos concitoyens que des touristes étrangers, et concerne les TGV, les TER comme les Intercités. Or cette demande est largement non satisfaite par l'offre actuelle. L'ouverture à la concurrence constitue à ce titre un levier majeur pour augmenter l'offre de façon significative.
Je prendrai deux exemples concrets.
Sur les TER, depuis l'organisation des premiers appels d'offres, on constate, à offre constante, une baisse de l'ordre de 20 % du coût au kilomètre. En comparaison, l'Allemagne, qui a ouvert les TER à partir de 1997, mais de façon effective dans les années 2000, avait enregistré une baisse de l'ordre de 30 %. Cela donne la possibilité aux régions soit de conserver cette économie, soit de proposer des offres supplémentaires, sachant que la demande est bien là.
Deuxième exemple : le TGV en Espagne, notamment la ligne Madrid-Barcelone. Sa troisième phase a été mise en service en 2008, mais l'ouverture à la concurrence n'a eu lieu qu'à partir de 2020. Aujourd'hui, trois opérateurs y sont présents : l'opérateur historique Renfe, un consortium mené par Trenitalia, et un autre par la SNCF.
Résultat : entre 2019 - avant la crise du covid - et 2024, le nombre de voyageurs sur cette ligne a augmenté de 79 %, tandis que les prix ont baissé de 30 %. Certes, les opérateurs ne sont pas encore tous à l'équilibre, mais ils pourraient l'être avec une remontée des prix de 10 %. Cela montre bien que l'ouverture à la concurrence permet une forte augmentation de l'offre et répond à une demande massive.
La concurrence, tant sur le segment conventionné que sur l'open access, est donc une solution pertinente. Encore faut-il pouvoir la mettre en oeuvre. Or plusieurs obstacles demeurent, notamment l'accès au matériel roulant.
Pour les opérateurs privés de grande vitesse comme Kevin Speed, Proxima, ou d'autres projets émergents, le premier défi est l'acquisition d'une flotte : c'est un investissement considérable, avec une prise de risque importante. Si le projet échoue, que fait-on du matériel ? Quelle est sa valeur de revente ? Elle peut être proche de zéro.
Le problème n'est pas uniquement celui de l'écartement des voies, comme entre l'Espagne et la France - un constructeur a d'ailleurs su le résoudre - ; il concerne surtout la signalisation et l'alimentation électrique.
Il faut toujours garder à l'esprit que le système ferroviaire européen reste avant tout national. Faire rouler un TGV français en Allemagne, par exemple, suppose qu'il soit bicourant.
En France, l'ERTMS (European Rail Traffic Management System) couvre environ 40 % des lignes à grande vitesse (LGV). Or tous les trains ne roulent pas sur des LGV ; il faut donc un autre système de signalisation, en général le système national, voire le système de signalisation grande vitesse.
Le problème, actuellement, c'est que le matériel roulant est conçu pour un pays, et que l'utiliser dans un autre pays coûte très cher. Les nouveaux opérateurs et leurs investisseurs prennent donc un risque considérable. C'est pourquoi on trouve sur ce marché les opérateurs nationaux, qui ont déjà une flotte - essentiellement Renfe, Trenitalia, SNCF. Dans la phase suivante, il faudra que les nouveaux entrants investissent afin de gagner une part de marché significative d'au moins 20 %. Il faut donc tout faire pour favoriser l'accès au matériel roulant, lequel n'est aujourd'hui pas simple.
C'est en France que les choses sont les plus compliquées. Ainsi, lorsque l'opérateur national lance un appel d'offres pour des TER, les spécifications sont trois fois plus nombreuses qu'aux Pays-Bas ou en Suède, par exemple. Et pour homologuer un train dans notre pays, il faut passer deux fois plus d'essais de freins qu'ailleurs. La FIF a fait une étude de benchmark sur les procédures d'homologation dans les pays européens : elles sont beaucoup plus longues en France, ce qui complexifie l'arrivée du matériel roulant sur le réseau et constitue un frein à l'ouverture à la concurrence. Le temps de démarrage des opérations est retardé d'autant.
Autre facteur de complexité : en France, le matériel roulant doit être testé sur la ligne qui sera exploitée, ce qui n'est pas le cas en Allemagne, par exemple, où le matériel roulant est homologué pour l'ensemble du réseau.
M. Laurent Fourtune, président de Kevin Speed. - La société Kevin Speed a pour objectif d'offrir des services ferroviaires à grande vitesse - 300 kilomètres à l'heure - sur de courtes distances, avec des arrêts tous les cent kilomètres dans les gares, le long des LGV.
La loi du 27 juin 2018 pour un nouveau pacte ferroviaire a ouvert le marché, et les nouveaux entrants ainsi que leurs investisseurs ont surtout besoin de stabilité juridique. Votre commission a donc une mission importante : désigner des responsables dont le rôle sera déterminant pour l'évolution du ferroviaire en France, notamment le président de l'ART, celui de SNCF Réseau et celui du groupe SNCF.
La SNCF, c'est « l'éléphant dans la pièce », comme disent les Anglais. C'est un acteur très respecté dans le secteur ferroviaire européen et ses succès sont nombreux en Europe. Kevin Speed et Proxima, qui ne sont pour l'instant que des « souris », entendent apporter davantage d'innovations au service des clients. Nous proposons ainsi, chez Kevin Speed, un train à un seul étage, avec des sièges à haute densité et deux fois plus de portes, ce qui permettra de desservir les gares intermédiaires sans perdre de temps lors des arrêts, et de désaturer les gares terminales et les noeuds ferroviaires. Cela représente, au bout du compte, 30 % de CO2 en moins, et la possibilité de payer les péages plein tarif en pratiquant des prix plus bas.
En termes de business model, le remplissage des trains est essentiellement lié aux trajets entre les métropoles, dans lesquelles vivent 20 millions d'habitants. Il y a donc 45 millions de personnes qui habitent dans d'autres territoires, qu'il s'agit aussi de desservir : même s'ils ne représentent que 10 % à 30 % de la charge des trains, ils rendront les lignes rentables. En effet, on vend plus de billets lorsque le train s'arrête davantage - avec un arrêt au Creusot sur la ligne Paris-Lyon, on peut vendre des billets à deux voyageurs, l'un effectuant un Paris-Le Creusot et l'autre un Le Creusot-Lyon.
Depuis 2013, le nombre de TGV a diminué en France, passant de 470 à 360 trains, avec une baisse de 19 % de la desserte des gares secondaires. Or l'augmentation de la desserte n'est pas une question de subventions. Puisqu'il n'y a pas assez de trains actuellement, il est essentiel d'en ajouter - les nouveaux entrants devraient apporter environ 70 trains supplémentaires - pour transporter les Français et desservir toutes les gares.
Par ailleurs, la démotorisation des ménages est en cours dans les métropoles, tandis que la « havanisation » du parc automobile se poursuit dans les villes moyennes et les zones rurales. Il faut donc trouver des solutions pour que tout le monde continue à se déplacer. C'est ce que nous apportons dans le secteur ferroviaire, en investissant : 70 trains, cela représente 2,8 milliards d'euros de fonds privés, qui s'ajoutent à l'argent public. Il s'agit d'une réponse très concrète à la demande formulée le 12 juin dernier par le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, Éric Lombard, lors de la conférence Ambition France Transports. En outre, ces 70 trains rapporteront au moins 700 millions d'euros par an au titre des péages ferroviaires versés au gestionnaire d'infrastructure. L'ouverture à la concurrence du transport ferroviaire permettra donc de réaliser des économies.
Pour en revenir à l'avenir de SNCF, il est éclairant de considérer l'exemple italien : depuis l'ouverture à la concurrence en Italie, Trenitalia dessert beaucoup plus de gares. La SNCF fera de même, à condition qu'elle fasse preuve d'efficacité.
Nous nous sommes demandé pourquoi les dividendes de la SNCF avaient diminué de 200 millions d'euros entre 2023 et 2024, passant de 1,7 à 1,5 milliard d'euros - ils vont continuer à baisser, annonce la SNCF, indiquant qu'ils auront diminué d'1 milliard d'euros en 2028. Pour autant, les billets de train ne sont pas moins chers et il y a eu 4 % à 5 % de voyageurs en plus dans les TGV... Nous avons trouvé une explication : l'année dernière, les coûts opérationnels de SNCF Voyageurs ont augmenté de 8 %. Dans un contexte d'inflation à 2 %, c'est beaucoup ! Ces pertes seront de 400 millions d'euros en 2025, de 600 millions en 2026 et de 800 millions en 2027, pour arriver à 1 milliard d'euros en 2028. Il faut donc rétablir la situation de SNCF Voyageurs car, à côté des nouveaux entrants, elle a beaucoup à apporter aux Français.
La procédure d'homologation des trains est une spécificité française, ce qui est lié à la structure du marché : il n'y avait jusqu'à présent qu'un seul acheteur. C'est aussi un problème de processus et de moyens, puisque le groupement d'intérêt économique (GIE) Eurailtest, coentreprise de la RATP et la SNCF, n'a pas le droit de recruter en propre, par exemple pour procéder aux essais et aux homologations. Nous souhaitons qu'il y ait des moyens supplémentaires pour effectuer tous les tests, et une base d'essais en France. Enfin, nous demandons que les homologations ayant fait l'objet d'un soutien public, par exemple de la part d'une région, soient mises à la disposition de tous ceux qui utiliseront les trains homologués. Procéder à un test, c'est long et cher ; il s'agit de ne pas le faire plusieurs fois ! Ce problème, qui relève selon moi du droit commercial, pourrait être résolu par l'ART.
M. Alexander Ernert, directeur des affaires publiques Europe de Trainline France. - Trainline est une plateforme numérique de billetterie permettant de réserver en ligne des billets de train et de bus pour des trajets en France et en Europe. Nous travaillons avec 300 opérateurs, dont la totalité des opérateurs ferroviaires européens, et employons environ 1 000 salariés, dont 500 travaillent dans la tech, et 80 au siège parisien de l'entreprise. Nous vendons à peu près 1,2 milliard de billets pour l'Union européenne, et 4,6 milliards de billets pour le Royaume-Uni, qui est notre principal marché.
En France, avec Omio, Kombo et BlaBlaCar, nous avons créé l'Association française des plateformes de distribution numérique de titres de transport et de mobilité (ADN Mobilités), afin d'élargir la visibilité et la reconnaissance de ce marché digital en France et en Europe, d'améliorer le cadre des opérations sur ce marché et de faciliter l'utilisation du train.
Nous avons fait une étude portant sur les clients de Trainline en Espagne : 18 % de ceux qui ont acheté leur billet sur notre plateforme ne prenaient pas le train régulièrement. Ils ont choisi notre agence parce qu'elle permet de voyager avec plusieurs opérateurs en combinant plusieurs billets. Par ailleurs, nous sommes la première plateforme numérique sur laquelle il est possible de réserver, à la fois, des trains régionaux et des trains à grande vitesse ; même Renfe n'offre pas cette possibilité.
Nous disposons pour cela des informations relatives à l'ensemble des connexions de lignes régionales et à grande vitesse françaises et européennes. Nous proposons une offre multimodale ainsi qu'un dispositif de réservation innovant. En affichant toutes les offres disponibles, nous faisons jouer la concurrence sur le rail.
ADN Mobilités ne représente que 10 % à 15 % de ce marché, la SNCF occupant une place dominante - cet opérateur ferroviaire réalise 85 % à 90 % de la distribution, jusqu'à 95 % pour les trajets grandes lignes. C'est un problème, car nous n'avons pas la possibilité de négocier. À l'occasion des discussions menées entre la SNCF et les entreprises du voyage, un représentant de ces dernières a même parlé de « diktat ». Or l'article L. 1115-10 du code des transports, issu de la loi du 24 décembre 2019 d'orientation des mobilités (LOM), dispose que les conditions du contrat conclu entre le fournisseur du service numérique multimodal et le gestionnaire de chacun des services « sont raisonnables, équitables, transparentes et proportionnées », et que l'ART peut surveiller ce mécanisme.
De même que sont régulés l'accès à l'infrastructure de transport et les péages, la distribution de billets doit aussi l'être pour que le marché puisse se développer.
M. Stéphane Demilly. - L'ouverture à la concurrence du transport ferroviaire de voyageurs vise à améliorer la qualité de service et à faire baisser les coûts. Elle représente aussi une opportunité de repenser la mobilité durable dans notre pays, afin de réduire l'usage de la voiture et de renforcer le train dans le cadre de la transition énergétique.
Pour autant, la coexistence entre l'opérateur historique et les nouveaux entrants soulève des questions de gestion des infrastructures, d'harmonisation des conditions d'accès, de coordination des horaires, de fluidité des correspondances et de stabilité juridique. Le succès de l'ouverture à la concurrence dépendra donc largement de la capacité des acteurs publics et privés à collaborer efficacement et à répondre aux attentes des usagers.
Monsieur Jeantet, vous avez évoqué le risque inhérent à l'achat de flottes de matériel roulant. Quels investissements prioritaires permettront, selon vous, de garantir la compétitivité de l'industrie ferroviaire française ?
M. Franck Dhersin. - Quels principaux facteurs de blocage avez-vous identifiés dans le cadre de vos activités ?
La grande majorité des acteurs souligne la coopération très efficace avec SNCF Réseau, qui joue parfaitement le jeu. Partagez-vous cette opinion ?
Quelle est votre opinion sur le processus d'homologation français, que certains d'entre vous ont déjà évoqué ?
Concernant la billettique, les opérateurs de distribution alternatifs sont souvent la porte d'entrée des voyageurs vers les services des nouveaux opérateurs ferroviaires, comme le démontre l'expérience espagnole. Si l'on veut que l'ouverture à la concurrence se déroule dans un cadre équitable pour tous les acteurs, il faut s'intéresser à cet aspect qui a été négligé dans les différents textes législatifs.
Le taux de commission de SNCF Voyageurs vers ces vendeurs de billets est très faible, de l'ordre de 1 % pour les Ouigo et de moins de 3 % pour les TGV Inoui. Il est probable que SNCF Connect, en tant qu'entité juridique, ne soit ni rentable ni même à l'équilibre sur les opérations de vente de titres de transports. Comment Trainline et ADN Mobilités observent-ils la situation de la distribution en France ? Quelles évolutions seraient-elles souhaitables ?
M. Alexandre Basquin. - Vous connaissez notre position, celle du groupe CRCE - Kanaky, sur l'ouverture à la concurrence ; l'expérience britannique semble nous donner raison.
Je souhaite évoquer la problématique du manque de visibilité sur les financements à venir pour l'entretien et le renouvellement du réseau. Différentes annonces ont été faites ces dernières années, notamment le plan « Nouvelle Donne ferroviaire » présenté en 2023 par la Première ministre Élisabeth Borne, qui prévoyait des financements à hauteur de 100 milliards d'euros pour le ferroviaire, dont 35 milliards étaient fléchés vers le rajeunissement des réseaux ; ce plan a été enterré.
Aujourd'hui, la conférence Ambition France Transports est l'occasion de nombreux échanges, qui portent notamment sur la question du financement ; les conclusions de ces travaux devraient être rendues mi-juillet. Or il est question dans le même temps, selon une note confidentielle de Bercy révélée par la presse, de remettre en cause les financements dédiés au rail, avec un risque de remise en cause de projets annoncés, comme les liaisons Provence-Alpes-Côte d'Azur et Sud-Ouest. Pourtant, la politique du rail, qui est structurante, mérite une visibilité à très long terme - nous pouvons tous en être d'accord.
Je rappelle que SNCF Réseau finance, à lui seul, le renouvellement du réseau, lequel est utilisé par d'autres compagnies qui - il est vrai - s'acquittent de droits de péage. Pour autant, les recettes liées auxdits droits s'élèvent à 3 milliards d'euros, quand l'effort annuel de renouvellement du réseau atteint 4 à 5 milliards. Il ne nous paraît pas normal que l'État compense une nouvelle fois ce déficit en investissant 1,5 milliard d'euros. J'entends bien qu'il existe des problématiques d'investissement liées au matériel roulant et à la crise capacitaire, mais c'est le jeu de l'ouverture à la concurrence : les règles sont posées et vous pouvez vous tourner vers vos actionnariats respectifs.
Ne trouveriez-vous pas juste que les sociétés privées qui utilisent le réseau public participent davantage financièrement, via les droits de péage, au renouvellement du réseau ainsi qu'à l'amélioration des conditions de transport et de sécurité des usagers, ce qui permettra aussi de répondre au problème capacitaire ? Un réseau optimisé serait une garantie fiable, pour demain, de l'utilisation durable du rail pour tous.
M. Jacques Fernique. - L'objectif global de la réforme est de gagner 50 % de voyageurs supplémentaires d'ici à 2040. Je prendrai l'exemple de ma région Grand Est, qui est réputée ne pas faire partie des moins bien loties pour ce qui concerne la dynamique du transport ferroviaire de voyageurs, en citant trois lignes. Premièrement, plus de 10 % à 15 % des voyageurs du TGV Strasbourg-Paris restent sur le quai ; les trains sont tous complets, ce qui ne rend pas cette ligne très attractive - or la liaison aérienne Strasbourg-Paris n'existe plus ! Deuxièmement, le matériel roulant du TER 200, « dorsale ferroviaire » desservant Strasbourg, Colmar, Sélestat, Mulhouse et Bâle est totalement en bout de course. Ce sont des rames « Corail » vieillissantes. Troisièmement, l'offre du tram-train Strasbourg-Bruche-Piémont des Vosges, ligne de desserte fine du territoire qui rejoint Épinal, est limitée du fait de l'état de l'infrastructure, alors même que la demande importante.
On nous dit que l'ouverture à la concurrence devrait renforcer l'offre, tout en permettant à l'opérateur historique de continuer à progresser. Je crois que l'on n'évalue pas à la bonne hauteur les besoins de régénération et de modernisation du réseau, et d'adaptation en vue d'une meilleure résilience face au réchauffement climatique : 1,5 milliard d'euros d'investissements supplémentaires, cela me semble correspondre à une estimation basse.
Concernant les péages français, il y a un paradoxe : leurs tarifs sont parmi les plus élevés d'Europe. On nous dit qu'en Italie, la diminution des tarifs de péage a entraîné une hausse des recettes du fait de l'augmentation du trafic. Mais pour que cela soit possible, un abondement via des financements publics devrait intervenir durant la période de transition. La conférence de financement permettra-t-elle de les trouver ? Le modèle italien est-il applicable en France ?
On peut certes critiquer « l'éléphant », c'est-à-dire l'opérateur historique ; il n'en demeure pas moins qu'en assurant une péréquation entre les lignes naturellement déficitaires et les lignes plus rentables, il participe au maintien de la cohésion du territoire. Quant au fonds de concours de la SNCF, il permet pour une bonne part d'entretenir le réseau. Mais ce modèle ne sera pas durable parce qu'un opérateur ne peut pas être le seul à participer au financement du réseau...
Dans ces conditions, comment trouver 50 % de voyageurs supplémentaires en quinze ans ?
M. Patrick Jeantet. - De façon générale, l'industrie française croule sous les taxes de production, auxquelles s'ajoute le récent versement mobilité régional, sans oublier le coût du travail. Il s'agit de se pencher sur cette question si nous voulons renforcer notre compétitivité.
Pour le ferroviaire, la conception de l'infrastructure et du matériel roulant relève de la SNCF, tandis que les industriels fabriquent ces équipements sans les avoir conçus. Cela ne se passe pas ainsi dans l'aéronautique : Airbus conçoit ses avions.
Un autre exemple est assez positif, celui du tramway. Les grands constructeurs de tramways - Alstom, Siemens, etc. - conçoivent ces équipements et en négocient simplement l'aménagement avec les organisatrices de la mobilité (AOM).
La SNCF devra tenir compte du basculement qui est à l'oeuvre, notamment concernant ses spécifications, qui sont beaucoup trop nombreuses, ce qui engendre des surcoûts élevés. L'une des conséquences en est que des industriels ayant conçu des produits innovants ne les vendent pas dans notre pays. Pour autant, il est vrai que la SNCF est une bonne référence : une entreprise qui a conclu un contrat avec cet opérateur peut ainsi proposer ses produits dans d'autres pays, mais la France n'en bénéficie pas. Il faut transformer la chaîne d'approvisionnement. D'ailleurs, SNCF Réseau et les industriels du secteur annonceront prochainement qu'ils vont s'associer afin d'améliorer leurs relations, en dehors des marchés publics.
Les tarifs des péages payés par les TGV sont deux fois plus élevés en France que chez ses voisins espagnol et italien. Il faudrait les abaisser, d'autant que l'ouverture à la concurrence entraînera une augmentation du nombre de services et de trains.
SNCF Réseau, dont j'ai été le président, a besoin d'une économie à coûts fixes : c'est non pas le coût unitaire, mais le montant absolu de ses recettes qui est important. Lorsqu'il y aura davantage de trains sur le réseau, ce montant restera inchangé.
Il est vrai que durant la période de transition, qui durera trois ou quatre ans, un financement de l'État pourrait être utile. Pour autant, le nombre de trains aura augmenté sur le réseau français qui est, selon l'ART, très peu utilisé. Il y a de la place pour davantage de trains, même s'il existe des goulots d'étranglement.
J'en viens au renouvellement et à la modernisation du réseau. Dans les années 1980 et 1990, sur le réseau structurant qui reçoit 85 % des circulations en France, on investissait 1 milliard d'euros par an. Aujourd'hui, on investit 2,8 milliards. Le Conseil d'orientation des infrastructures (COI) et plusieurs experts considèrent qu'il faut consacrer 4,5 milliards d'euros au renouvellement et à la modernisation - par ce terme, il faut entendre : automatisation via les systèmes de contrôle commande des trains. Au sein de la conférence de financement à laquelle je participe, ce montant de 4,5 milliards d'euros est unanimement considéré comme non négociable. En effet, si on ne consacre pas ces moyens au réseau, on sera obligés un jour de diminuer la circulation des trains.
J'aborde à présent la question du fonds de concours. La SNCF, qui est une entreprise, réalise des bénéfices et verse des dividendes à l'État, lequel a décidé de les utiliser en abondant un fonds de concours en vue d'améliorer le réseau : cet argent appartient non pas à la SNCF, mais à l'État, qui est propriétaire de la SNCF. Ne nous trompons pas à ce sujet !
Considérant qu'elle va subir une concurrence sur les segments rentables - Paris-Lyon, Paris-Bordeaux, Paris-Marseille -, la SNCF prévoit de garder dans son giron les segments non rentables. Or, dans les appels d'offres sur le TER, la SNCF a diminué ses coûts de 20 %. On peut imaginer qu'avec l'ouverture à la concurrence des LGV, elle fera de même et que certaines de ces lignes deviendront rentables ! D'autres lignes, en revanche, sont structurellement déficitaires, mais nous sommes là dans le domaine du service public, lequel doit être subventionné après lancement d'un appel d'offres, comme cela a été le cas pour les Intercités. À cet égard, l'ART devrait avoir accès à plus de données pour pouvoir juger quelles sont les lignes relevant de la délégation de service public.
M. Laurent Fourtune. - Monsieur Dhersin, la société SNCF Réseau s'est placée dans la dynamique de l'ouverture du marché. Kevin Speed a d'ailleurs déjà signé plusieurs accords-cadres avec le gestionnaire d'infrastructure. Toutefois, il est vrai que nombre de ses cheminots se demandent comment ils pourront faire face à cette nouvelle situation ; il leur faudra un peu de temps et il convient de faire de la pédagogie.
S'agissant des homologations, la procédure est compliquée et cela coûte de l'argent. Kevin Speed vient de définir avec SNCF Réseau les conditions techniques d'accès au réseau. C'est un investissement, et l'on ne peut donc pas demander aux opérateurs de renoncer aux dividendes ; sinon, personne n'investira...
Monsieur Basquin, la contribution à l'amélioration du réseau se fait via l'acquittement des péages, qui sont supérieurs, pour les LGV au coût d'entretien du réseau. Ainsi, tous les TGV de France contribuent massivement à l'entretien des autres lignes. Pour notre part, contribuer de cette façon ne nous pose pas de problème.
Vous avez posé la question de la justice. Le premier opérateur ferroviaire à avoir bénéficié d'une réduction du péage au titre du droit européen était le groupe SNCF avec l'Eurostar, pour la desserte Londres-Amsterdam, qui dessert Calais et Lille...
M. Franck Dhersin. - Il ne s'arrête plus ni à Calais ni à Lille !
M. Laurent Fourtune. - ... c'est-à-dire une compagnie du groupe SNCF. Il n'y a donc pas de passe-droit en la matière.
Monsieur Fernique, je ne comprends pas ce que vous avez dit sur l'objectif de report modal de 50 % vers le ferroviaire d'ici à 2040. Il ne s'agit pas d'un objectif de report modal : si les gens prennent le train, c'est parce qu'ils n'ont plus de voiture lorsqu'ils habitent en ville, et que leur véhicule est trop vieux quand ils vivent à la campagne. La fréquentation des TER augmente donc de 10 % chaque année, et celle des TGV de 5 % - pas davantage parce que ceux-ci sont presque tous complets. En 2032, la SNCF et les nouveaux opérateurs auront tous deux fois plus de clients ! Vous êtes donc bien modéré en visant une augmentation de 50 % du nombre de voyageurs en 2040. En Espagne, l'augmentation est de plus de 90 % sur la ligne Madrid-Barcelone depuis l'ouverture à la concurrence, et en Italie la fréquentation des lignes a doublé.
En France, les TER aussi sont archipleins, pas seulement les TGV ! C'est un changement de paradigme, un autre monde.
La desserte du territoire va progresser, même celle des petites gares, et les trains qui s'y arrêtent vont devenir rentables. Il faut enclencher cette dynamique et y répondre en mettant des trains supplémentaires sur le réseau, car les Français en ont besoin.
Mme Rachel Picard. - Monsieur Dhersin, nous aidons SNCF Réseau à faire avancer sa réflexion et la collaboration se déroule bien, même si elle est lente. Les nouveaux entrants proposent tous une offre complémentaire pour créer du trafic et chercher des clients qui, aujourd'hui, ne prennent pas le train.
Concernant l'accès à la maintenance, les opérateurs ont besoin d'un centre principal pour ranger leur flotte de trains et l'entretenir, ce qu'a fait Proxima en investissant dans un centre en propre, et de centres secondaires puisque leurs trains vont desservir de plus en plus de gares sur le territoire. Il existe un cadre validé par le régulateur ferroviaire, qui donne une vision sur un an de la disponibilité des centres de maintenance. Dans la mesure où nous, nouveaux entrants, élaborons nos plans de transport en trois ans, achetons des sillons et les programmons deux ans à l'avance, nous ne savons pas si nous pourrons bénéficier d'une place dans un centre piloté par SNCF Voyageurs ou SNCF Réseau, avec lesquels nous avons entamé des discussions. J'attire votre attention sur ce point qui représente pour nous un préalable. Il nous faut de la visibilité et des lieux pour garantir la robustesse et la propreté de nos trains.
Pour ce qui est de la billettique, Trainline fait un excellent travail, mais SNCF Connect a 85 % des parts de marché du secteur de la vente numérique de billets. Cela pose une difficulté aux nouveaux entrants. Les opérateurs historiques qui se lancent sur le marché français ont déjà une image de marque, un système de distribution, un accès au marché et plus de temps devant eux, ce qui n'est pas notre cas. Si nos billets sont distribués par une plateforme qui représente seulement 15 % de ce marché, nos trains rouleront, mais vides ; quant aux voyageurs, ils ne pourront ni comparer les offres ni les combiner. Nous souhaitons que soient instaurés une transparence et une indépendance, ainsi qu'un accès au marché global.
En 2030, 25 % des voyageurs devraient rester à quai, faute d'offre pour répondre à la demande. Lorsque les nouveaux opérateurs arriveront sur le marché ferroviaire, cette dynamique, loin de porter atteinte à l'équilibre économique de SNCF Voyageurs - il ne perdra aucun client -, permettra d'augmenter le trafic et l'attractivité du train.
Les péages posent aux nouveaux entrants un problème de soutenabilité, puisqu'ils représentent 50 % à 60 % des coûts d'exploitation. Pour résumer, avant d'envisager de changer les règles du jeu, il faut laisser leur chance aux nouveaux produits et agir ensuite éventuellement.
M. Alexander Ernert. - Le point essentiel pour les clients, c'est de pouvoir comparer les offres, et donc tout simplement d'y avoir accès. En 2022 et 2023, nous avons observé une augmentation des réservations pour la ligne Paris-Lyon, en hausse de 60 %, pour la ligne Paris-Madrid, de 263 %, et pour la ligne Lyon-Barcelone, de 140 %. Les plateformes indépendantes, comme Trainline, Omio, Kombo et BlaBlaCar, peuvent contribuer à gérer ces flux. Pour autant, notre modèle commercial dépend des commissions de vente des opérateurs ferroviaires. Or le marché est dominé par un seul opérateur, la SNCF, qui peut dicter les prix des commissions ; cela pose un problème.
Avec des commissions de vente de 3 %, nous ne pouvons pas nous rémunérer. Sur la plateforme de réservation Booking.com, par exemple, ces commissions sont de 10 % à 30 %. En outre, nous devons payer pour accéder aux données de la SNCF et aux services de paiement par carte bancaire. Nous souhaitons qu'une autorité neutre puisse contrôler ces pratiques.
J'attire aussi votre attention sur une disposition de l'article L. 1115-11 du code des transports, qui vise « les services de mise en relation facilitant la pratique du covoiturage, lorsque le point d'origine et la destination du trajet sont [...] distants de moins de cent kilomètres », car la distance prévue est trop courte.
Nous avons créé ADN Mobilités en France parce que le marché de la distribution numérique de billets y est en pleine croissance et que nos quatre entreprises travaillent sur le marché français. Il faut éviter que Google ou une autre entreprise américaine n'accapare ce marché !
SNCF Connect, plateforme purement française, ne vend de billets ni pour des trajets internationaux ni pour les touristes. Pour notre part, nous attirons des voyageurs américains et japonais, entre autres, qui souhaitent prendre le train en France. Il s'agit de soutenir ce marché en développement.
M. Guillaume Chevrollier. - L'ouverture à la concurrence permettra-t-elle de renforcer l'offre de transport, d'augmenter le nombre de trains et de diminuer le coût de la mobilité ? C'est un sujet majeur, notamment dans le Grand Ouest où les trains sont pleins.
Pouvez-vous faire un point sur les travaux de signalisation à réaliser ?
Concernant la billetterie et la complexification du paysage ferroviaire, je souhaite attirer l'attention sur les usagers, notamment des territoires ruraux, qui ne sont pas familiers de la digitalisation. Comment garantir à tous les voyageurs une information claire, transparente et accessible pour l'ensemble des offres ? Il y a beaucoup d'illectronisme dans notre pays et il faut veiller à ne pas pénaliser certains publics.
M. Olivier Jacquin. - Je salue Patrick Jeantet aux côtés duquel je siège au sein de la conférence dédiée au financement des transports.
Vous avez confirmé, messieurs Fourtune et Jeantet, que le fonctionnement de l'actuel fonds de concours de la SNCF était quelque peu baroque. Il ne manque cependant pas d'être astucieux car, comme me l'a expliqué l'ancien directeur de cabinet d'Élisabeth Borne, il est ainsi conçu que Bercy ne peut pas le taxer ! Comment contribuerez-vous au fonctionnement du coût complet du réseau ferroviaire au-delà de la troisième année d'entrée sur le marché ? Un tarif spécifique est prévu pour les trois premières années d'exploitation d'une ligne pour un nouvel entrant, et c'est la SNCF qui en a bénéficié en premier lieu...
Le nouveau pacte ferroviaire avait été anticipé au Sénat par la proposition de loi d'Hervé Maurey et Louis Nègre relative à l'ouverture à la concurrence du transport ferroviaire de voyageurs, qui, dans son article 4, prévoyait une compensation pour financer les dessertes les moins rentables. Monsieur Fourtune, vous envisagez un conventionnement pour garantir les dessertes les moins rentables. Je prépare une proposition de loi instaurant un mécanisme s'approchant du service universel postal, garantissant à tous les Français une desserte minimale. Ainsi, le système serait égalitaire.
Monsieur Ernert, vous dites qu'il ne faut pas laisser la place à Google, mais je ne vois pas de différence entre Trainline, qui prélève une commission sur les ventes, et Google. Pour ma part, je préconise de créer, à côté de SNCF Gares & Connexions, un opérateur public chargé de la billettique, sous le contrôle de l'Autorité de régulation des transports (ART).
La sûreté ferroviaire (Suge) joue un rôle essentiel. Elle est financée par la holding SNCF. Il faudrait que tous les opérateurs contribuent à la sécurité ferroviaire. Je préconise que la Suge soit rattachée à SNCF Gares & Connexions.
M. Pierre Jean Rochette. - Avant, à Saint-Étienne, on était mal desservis par la SNCF, mais tout le monde étant mal desservi, on avait appris à souffrir en silence. L'ouverture à la concurrence a un peu changé les choses puisque l'on nous dit régulièrement que l'on va supprimer notre TGV direct pour Paris, alors qu'il est toujours plein. On ne peut pas réserver les TGV du matin, car ils sont complets - pas dès Saint-Étienne, mais à Lyon.
La concurrence arrive sur les grands axes mais pas chez nous. Cela nous peine alors que déjà, parfois, la SNCF nous oublie - enfin, pas au niveau du prix ! Je me demande s'il n'y a pas eu un raté dans l'ouverture à la concurrence. Je suis très libéral, mais je pense que nous aurions dû contraindre les opérateurs et coupler, dans les appels d'offres, des sillons rentables et des sillons qui le sont moins, en desserte locale. Sinon, la concurrence se focalisera sur le Paris-Lyon-Marseille et les axes très légèrement secondaires tels que Saint-Étienne-Paris seront oubliés.
Personnellement, je suis favorable à l'ouverture à la concurrence, mais sur le temps long, j'y serai opposé si elle n'arrive pas jusque dans les territoires.
M. Louis-Jean de Nicolaÿ. - Chacun essaie de faire des efforts en faveur de la transition énergétique. Qu'en est-il des trains de nuit sur les longues distances ? Y a-t-il une véritable réflexion sur ce mode de transport à l'international ?
Dans beaucoup d'endroits, les correspondances entre trains régionaux et trains nationaux ne fonctionnent absolument pas, ce qui incite les gens à continuer de prendre leur voiture.
M. Jean-Claude Anglars. - La liaison Paris-Rodez répond à un besoin évident d'aménagement du territoire. En 2024, plus d'un million de voyageurs ont emprunté les lignes de nuit intérieures, un chiffre en hausse de 26 % par rapport à 2023. Malgré son utilité et la forte demande, le train de nuit reste fragile. Il souffre de beaucoup de retards, de pannes, d'annulations à répétition et d'un matériel vétuste. Dans le contexte d'ouverture à la concurrence, pensez-vous qu'une liaison telle que Paris-Rodez a encore un avenir ? Comment éviter que la libéralisation ne produise deux classes de voyageurs, ceux qui bénéficieront de l'ouverture du marché, sur les grands axes, et ceux qui, sur les lignes rurales ou de nuit, seront oubliés ?
M. Hervé Gillé. - Les propos de M. Jeantet m'étonnent. Sur le TGV Bordeaux-Paris, la SNCF perd de l'argent. La perte s'élevait à 80 millions d'euros par an du fait des coûts du sillon de la société Lisea, selon les derniers chiffres communiqués, qui datent d'il y a trois ans. Je suis preneur des derniers chiffres, que l'on a refusé de me donner.
Cette liaison est un succès commercial, les TGV sont complets, mais il y a toujours une perte financière. Le directeur de SNCF Voyageurs le dit clairement, et affirme que des arrêts à Poitiers et Angoulême accroîtraient encore les pertes.
Mesdames et messieurs, on attend de votre part une position collective donnant vos revendications vis-à-vis de l'État sur la mise en transparence des coûts des sillons, qui sont très différenciés. En tant que législateurs, nous souhaitons que des positions collectives soient exprimées, afin de cibler vos demandes en vue de la mise en concurrence. Ce serait un réel bénéfice dans le dialogue que l'on commence à établir.
La mobilité inclura de plus en plus les coûts de l'intermodalité. Un usager lambda se demande combien lui coûte le trajet total, incluant voiture, parking et train, afin d'évaluer ce qui est le plus concurrentiel. L'intégration des coûts de l'intermodalité est fondamentale. Les notions de partenariat sur des packs de mobilité sont aussi importantes, pour mettre en concurrence un coût de transport qui n'est pas uniquement lié au train. Savez-vous combien coûte une place de parking de proximité à Bordeaux ? Plus de 100 euros pour trois ou quatre jours par semaine !
M. Patrick Jeantet. - La signalisation est la première cause des manques de qualité dus à l'infrastructure. Lorsqu'il y a un problème de signalisation, automatiquement, le train s'arrête. Les 4,5 milliards d'euros incluent la maintenance et la rénovation de la signalisation existante. Jusqu'à présent, avec les 2,8 milliards d'euros de SNCF Réseau pour la rénovation, l'accent a été mis sur les voies, bien plus que sur la signalisation. En effet, comme le train s'arrête en cas de défaut de signalisation, il n'y a pas de risque à proprement parler.
En passant à 4,5 milliards d'euros, on peut traiter le volet numérisation, en particulier la commande centralisée du réseau, qui est l'équivalent d'une tour de contrôle régionale qui permet d'automatiser tous les postes d'aiguillage principaux. Comme c'est automatisé, c'est beaucoup plus fiable et cela améliore grandement la productivité puisque l'on a besoin de beaucoup moins de monde. Ce projet de commande centralisée du réseau, commencé il y a une quinzaine d'années, a toujours été la variable d'ajustement des budgets puisque l'on priorisait les voies.
SNCF Réseau réclame les 4,5 milliards d'euros pour ne plus avoir à arbitrer et pouvoir améliorer considérablement la signalisation sur le réseau ferroviaire.
Le programme de signalisation ERTMS (European Rail Traffic Management System, ou système européen de gestion du trafic ferroviaire) permet d'augmenter la capacité de la voie. La ligne Paris-Lyon vient d'être équipée d'ERTMS niveau 2, ce qui accroît sa capacité de 20 %. Autre avantage, en cas d'incident, on peut redémarrer le système bien plus vite.
La France et l'Allemagne sont les mauvais élèves de l'ERTMS, car elles sont très en retard en la matière. Mais tout n'est pas comparable. De petits pays comme le Luxembourg et la Belgique, dont les systèmes de signalisation étaient vraiment en fin de vie, ont tout basculé sur l'ERTMS très rapidement. Nous, nous avons essentiellement équipé les LGV. L'État s'est engagé, l'an dernier, à déployer l'ERTMS ligne par ligne, ce qui nécessite des financements importants.
Notre prochain projet de mise en place de l'ERTMS est sur la ligne nouvelle Provence-Alpes-Côte d'Azur (Paca), qui fait sauter de gros goulots d'étranglement pour réduire de près d'une heure le temps de trajet entre Paris et Nice. Ces travaux sont faits alors que la voie est exploitée, ce qui est compliqué.
Nous avons un programme, mais encore faut-il qu'il y ait les financements.
M. Laurent Fourtune. - Nous peinons tous à nous projeter dans le monde d'après. Or il existe déjà : en Italie. La quasi-totalité des gares de villes moyennes y sont très bien desservies par la grande vitesse. Pourquoi le nombre de dessertes a-t-il doublé avec la mise en concurrence ?
M. Olivier Jacquin. - En raison de la baisse des péages.
M. Laurent Fourtune. - Pas que ! Le montant des péages a baissé de 40 % et les dessertes ont augmenté de 70 %. Résultat, les revenus du réseau ferré italien, Rete ferroviaria italiana (RFI), liés aux péages ont augmenté. Il y a donc plus d'argent pour rénover le réseau italien.
Quand il y a deux ou trois concurrents, chacun se bat là où il est bon. Italo s'est concentré sur l'axe Turin-Milan-Rome et a desservi de manière extraordinaire les gares intermédiaires. La gare de Reggio Emilia, au milieu des champs, est desservie 90 fois par jour, alors qu'à Meuse TGV, quand il y a cinq trains par jour, c'est bien !
Quand vous êtes en concurrence, vous ne pouvez pas vous contenter de chercher le client de Milan à Rome, ligne sur laquelle vous êtes l'un contre l'autre, ce qui fait chuter les prix. Il faut aller chercher les clients plus loin pour remplir le train. Quand vous faites des arrêts sur la ligne, vous accueillez des clients supplémentaires.
Je veux rassurer le sénateur Rochette : quand Kevin Speed desservira Le Creusot et Mâcon, je peux vous garantir que la SNCF sera ravie d'arriver avec des trains pleins de Stéphanois à Lyon. Comme elle ne gagnera pas beaucoup d'argent sur le Lyon-Paris, elle aura besoin d'aller à Saint-Étienne.
C'est ce qui s'est passé en Italie. C'est ce qui se passera en France.
Laissez faire le marché ; laissez chaque opérateur trouver sa spécialité. L'opérateur national de référence s'apercevra qu'avec les souris qui l'embêtent sur les gros axes, il devra se concentrer sur l'ensemble du réseau, sur lequel il est déjà implanté. Il se rendra compte que le territoire est son atout et il le développera, comme Trenitalia l'a fait en Italie.
La stratégie de long terme doit être vectrice d'adaptation. Regardez ce qui s'est fait en Italie ou en Espagne. Allez voir les gares de Calatayud et de Cuenca. Je peux vous garantir que ce ne sont pas de grandes villes.
Les parkings sont un problème. Plus aucun abonnement n'est disponible dans ceux des gares du Creusot, de Mâcon, de Haute-Picardie. À Meuse TGV, des voitures sont garées tout le long de la départementale. Ces parkings doivent être agrandis. Les TGV sont pleins, mais les parkings aussi. En outre, ces gares manquent de bus de rabattement. À Ambition France Transports, nous proposons d'agrandir les parkings et de les inclure dans le péage autoroutier quand ils sont juste devant l'autoroute. Il faut se poser la question du périmètre du péage et y inclure l'intermodalité. C'est aussi dans l'intérêt des autoroutiers, puisque leur trafic baisse. Ils ont besoin de trouver des relais de croissance, et amener les gens par l'autoroute jusqu'au parking du TGV en est un.
L'État doit se saisir de la question de l'intermodalité. On ne fera pas tout avec de la grande vitesse, qui a un gros défaut : même en accélérant et en freinant vite, à 300 km/h, on ne s'arrête que tous les 120 km. Il faut des parkings plus grands et plus efficaces économiquement, et des cars de rabattement. Nous avons proposé de prévoir des cars express sur les autoroutes, car il faut une desserte égalitaire du territoire, et je ne crois pas que cela ne puisse se faire que par le train, dont la pertinence a des limites. Il faut dédoubler les moyens et ajouter des cars partout sur le territoire.
Je prône un plan national et une contribution de tous les modes de transport. Il y aura toujours le mode routier au bout, pour les 45 millions de Français qui n'habitent pas en face d'une gare.
Mme Rachel Picard. - En France, on n'a pas l'habitude de considérer que les villes sont des hubs de différentes modalités. Or il faut les concevoir ainsi. Même au niveau strictement ferroviaire, le hub qu'est la gare est totalement piloté par SNCF Réseau. Nous devons tous l'aider à organiser les choses pour améliorer la fluidité entre le maximum de combinaisons possibles. C'est un travail de dentelle. Le ferroviaire est un transport de masse qui permet des combinaisons pour des centaines de personnes. Ce travail est vraiment important.
Midnight Trains, qui était un opérateur de trains de nuit, a disparu. Il a dû renoncer à cause des barrières à l'entrée de l'ouverture à la concurrence. Ces barrières sont réelles.
Sur les dessertes, il faut laisser du temps. La concurrence sur Paris-Lyon est arrivée en 2020. Cela ne fait que quelques années, au cours desquelles nous avons connu le covid et l'éboulement en Maurienne.
Tout opérateur ferroviaire commence par un petit réseau avant de s'étendre. Ce n'est que le début. Une fois que les opérateurs ont une base solide, ils peuvent aller chercher d'autres dessertes et d'autres clients. Commencer par peu de dessertes est une faiblesse par rapport à la SNCF dont le réseau est gigantesque. Ce n'est pas une volonté en soi mais l'enjeu est de réussir la première étape, pour, ensuite, pouvoir construire.
Mme Solène Garcin-Berson, déléguée générale de l'Afra. - Je souhaite souligner la diversité des opérateurs membres de l'Afra, dont les projets viennent en complément de l'offre de l'opérateur historique, sur des segments délaissés.
L'opérateur de trains de nuit European Sleeper, qui fait partie de l'Afra, prépare des projets pour offrir de nouveaux services.
M. Alexander Ernert. - Nous avons un partenariat avec European Sleeper.
Monsieur Jacquin, une plateforme d'État ne peut pas être la solution. SNCF Connect connaît un certain nombre de dysfonctionnements. Si une plateforme ne fonctionne pas, il est important de conserver la possibilité de réserver avec une autre.
Comme nous sommes en concurrence entre distributeurs, nous cherchons la meilleure façon d'attirer les clients. Au Royaume-Uni, nous proposons beaucoup de fonctionnalités pour améliorer la possibilité pour les voyageurs de réserver un train.
SNCF Connect est une très bonne plateforme, parce qu'elle est soumise à une très forte concurrence.
L'intermodalité se joue ici aussi. SNCF Connect, comme nous, vend aussi des billets de car. Il existe d'autres modèles commerciaux comme Kombo ou Omio qui incluent également l'avion. Vous pouvez comparer et réserver un trajet en continu.
Les algorithmes de SNCF Connect et de Trainline sont un peu différents. Parfois, SNCF Connect indique que le train est complet, mais comme il est possible d'effectuer une correspondance à la gare suivante, on peut en réalité emprunter ce trajet en train.
Il est important que plusieurs plateformes coexistent pour répondre à la demande.
Trainline est vraiment focalisé sur le marché européen. Nos actionnaires sont européens. Nous avons des salariés en France.
M. Chevrollier a posé une question sur la desserte régionale et la numérisation. Trainline a été très impressionné par le projet du billet unique, qui nous a paru être la règle d'or pour l'avenir de la billetterie, puisqu'il flexibilise l'utilisation du transport public, grâce au service de post-paiement. Au Royaume-Uni, nous avons des projets pour déployer ce programme.
Nous apportons des réponses à la problématique des petites gares sans personnel. En effet, nous avons la possibilité de fournir à des agents extérieurs une plateforme sur iPad. Dans les maisons France Services, l'agent pourrait imprimer le billet qu'il trouve par la plateforme.
Enfin, jusqu'à récemment, on ne trouvait pas tous les trajets sur SNCF Connect, car l'opérateur historique privilégie ses propres produits. Si vous cherchez un trajet entre Paris et Deauville, vous trouvez les produits SNCF purs, tels que les Intercités, mais pas les TER, qui sont moitié moins chers et allongent le trajet de 30 minutes. En revanche, vous les trouvez sur Trainline et Kombo. Notre idée est d'attirer les clients dans les trains, et non de leur vendre les produits les plus chers.
M. Laurent Fourtune. - La Suge constitue un moyen commun qu'il est logique de partager. Ses patrouilles interviennent sur n'importe quel train de n'importe quel opérateur. Il existe déjà un barème de facturation. Chez Kevin Speed, on a bien prévu de faire appel à la Suge. La loger au sein de Gares & Connexions a un sens. On n'en a encore jamais discuté au sein de l'Afra. Laissez-nous le temps d'en débattre plus précisément entre nous.
Personne ne comprend la SNCF quand elle dit que telle ligne est rentable et non telle autre, quand on voit le prix des billets et les trains pleins. C'est un travail de Romain que d'entrer dans le détail de la valeur de chaque marché. Les compétences de l'ART sont par nature juridiques. Elle a vocation à émettre un avis conforme sur les péages. La Cour de cassation l'a confirmé, en jugeant que les avis de l'ART doivent être appliqués. Il est sage de donner à l'ART les moyens de dire, en pleine transparence et indépendance, quelle est la situation économique de chaque marché. Renforcer l'ART dans ce domaine serait utile pour renforcer la transparence, pour tous les opérateurs.
M. Patrick Jeantet. - Je suis très favorable à l'affectation des dividendes de la SNCF au fonds de concours. Le grand sujet de l'infrastructure, c'est la visibilité. SNCF Réseau planifie ses chantiers trois ans à l'avance. En septembre prochain, le gestionnaire d'infrastructure aura besoin de savoir s'il bénéficie d'une montée d'un milliard d'euros en 2028. Certes, c'est la loi de finances pour 2028 qui le dira, mais il faut planifier. Sans assurance il n'y aura pas d'investissements, car on ne peut pas tout déprogrammer au dernier moment.
Le président de SNCF Réseau a une relation quotidienne avec l'ART à qui il fournit tous les éléments propres à élaborer une estimation du coût complet, non pas ligne par ligne, mais par groupe de lignes. D'ailleurs, aujourd'hui, l'ART a fait savoir que pour 2025, les péages sur les services librement organisés surcouvraient le coût complet, à 122 %, et jusqu'à 125 % pour 2026. En réalité, les services à grande vitesse contribuent à financer les TER. Dans le cadre de l'ouverture à la concurrence, il faudra se demander s'il ne vaut mieux pas se contenter de couvrir le coût complet. Cela permettrait une plus grande concurrence, qui, en effet, améliorerait la desserte. En Italie, il me semble que huit à dix villes seulement étaient desservies avant l'ouverture à la concurrence, contre plus d'une centaine maintenant.
Le nouvel entrant va sur les segments les plus rentables dans un premier temps, mais ensuite il s'étend pour remplir davantage ses trains.
Mme Rachel Picard. - Paris-Bordeaux est l'une des lignes dont le péage est le plus cher. Proxima n'irait pas sur l'Atlantique, à Rennes, Nantes et Bordeaux, si nous pensions que ce n'est pas rentable. Nous pensons gagner de l'argent sur Paris-Bordeaux. L'arrêt à Angoulême et Poitiers ne change pas vraiment le coût. Nous nous y arrêterons dans un deuxième temps : pourquoi s'en priver ?
Nous démarrons avec 12 trains et 5 destinations, ce qui est déjà une prouesse. Nous avons choisi d'aller vers trois régions. Nous nous arrêtons à Angers et prenons trois routes, afin d'éviter de créer trop de déséquilibre entre l'offre et la demande. Tripler l'offre sur une route alors que les clients ne sont pas présents serait une catastrophe pour tous. Il s'agit de respecter les équilibres actuels, de se projeter sur l'évolution des marchés, de proposer un modèle complémentaire, et d'aller chercher les clients, par la capacité, le type d'arrêt ou le matériel. Chaque opérateur s'engage en complément d'une offre existante. Le sujet est bien d'apporter des compléments différents.
Quant à la ligne Paris-Bordeaux, il faut suffisamment de volume, un prix minimum pour couvrir le péage, et surtout un train à grande capacité. Il est vrai que des péages très chers incitent à faire circuler moins de trains, avec davantage de passagers dans chaque train. Alstom a développé ces grands trains : il y a une réponse industrielle à la réalité des conditions économiques.
Il y a énormément de clients à attirer entre Bordeaux et Paris. Actuellement, les voyageurs d'Angoulême ne trouvent pas plus de places à destination de Paris que ceux de Bordeaux. Alors que chaque petite gare engendre un coût fixe d'entrée très élevé et qu'il n'y a pas d'économies d'échelle pour les nouveaux entrants, créer des trains directs entre Bordeaux et Paris libérera de la place pour les voyageurs d'Angoulême dans les trains Bordeaux-Paris qui s'y arrêtent, alors qu'actuellement, ceux-ci sont déjà remplis par les voyageurs montés à Bordeaux.
Nous allons libérer l'ensemble des trajets. Chaque opérateur étendra son réseau.
M. Hervé Gillé. - L'offre a diminué à Angoulême.
Mme Rachel Picard. - Pour répondre à la crise capacitaire sur les grands axes, la SNCF est obligée d'aller chercher des trains qui vont dans les gares secondaires pour les remettre sur les grands axes. L'absence de concurrence se ferait au détriment des dessertes secondaires, puisque la concurrence suscite une offre additionnelle. Actuellement, le déficit d'offre est trop élevé.
M. Olivier Jacquin. - Et les 80 millions d'euros ?
Mme Rachel Picard. - Je n'ai pas les chiffres de la SNCF, mais je peux dire qu'un nouvel opérateur peut trouver un équilibre entre Paris et Bordeaux.
Lisea a fait l'effort de nous trouver un dépôt de maintenance, sans lequel nous n'aurions pas pu exister, ce qui nous a aussi encouragés à payer un péage plus élevé.
M. Jean-François Longeot, président. - Merci pour cette table ronde qui nous fait prendre conscience que des mesures d'accompagnement restent encore à prendre pour mettre en oeuvre l'ouverture à la concurrence décidée par le législateur en 2018 dans de bonnes conditions.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo disponible sur le site internet du Sénat.
Plan Plastique 2025-2030 - Communication
Mme Marta de Cidrac. - Je souhaite intervenir en tant que présidente du groupe d'études sur l'économie circulaire pour réagir aux annonces récentes du Gouvernement, qui a présenté la semaine dernière le plan Plastique 2025-2030.
Cette annonce répond à une attente forte de la mission d'information sénatoriale sur la consigne pour réemploi et recyclage des emballages, que j'ai eu l'honneur de conduire en 2023 au nom de notre commission.
Plusieurs recommandations de ce rapport ont été reprises : le renforcement des écomodulations dans la filière REP « Emballages ménagers et papiers graphiques », le lancement d'une campagne nationale ambitieuse sur l'extension des consignes de tri, ou encore un accompagnement accru des collectivités territoriales.
Ces mesures traduisent la reconnaissance du rôle stratégique du Sénat dans la construction des politiques publiques en matière d'économie circulaire.
Je salue également les propos tenus par la ministre à propos de la consigne pour recyclage. En ne présentant plus cet outil comme le levier principal, contrairement à certaines déclarations antérieures émanant du plus haut niveau de l'État, le Gouvernement a entendu les réserves du Sénat. Celui-ci a toujours plaidé pour une approche équilibrée et différenciée de la consigne, dont les effets pervers sont nombreux, et qui concentre l'attention sur une fraction seulement des déchets plastiques : les bouteilles en PET.
Je retiens également de ce plan une inflexion bienvenue vers une économie circulaire à forte dimension industrielle. Le soutien annoncé à l'investissement dans le recyclage, l'innovation et le réemploi constitue une réponse concrète aux enjeux de développement de filières plus sobres, plus locales et créatrices d'emplois.
Pour autant, nous devons rester attentifs aux critiques exprimées par plusieurs associations environnementales et représentants des collectivités, qui soulignent un déséquilibre persistant entre les mesures de réduction à la source et les actions centrées sur le recyclage.
Certaines avancées méritent d'être saluées - je pense notamment à la fin programmée des achats de bouteilles plastiques par l'État d'ici 2026, au soutien à l'innovation pour le réemploi, ou encore à la prime à l'incorporation de matières recyclées.
Nous devons désormais rester pleinement mobilisés pour évaluer la mise en oeuvre effective de ces engagements. Le rapport d'information sur le bilan de la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire, que je présenterai la semaine prochaine avec mon collègue Jacques Fernique, permettra de nourrir utilement la réflexion de notre commission sur ces enjeux.
M. Jean-François Longeot, président. - Nous attendons avec impatience de partager le fruit d'un travail approfondi mené depuis plusieurs mois.
La réunion est close à 11 h 50.