Mardi 24 juin 2025
- Présidence de M. Olivier Rietmann, président -
La réunion est ouverte à 12 h 35.
Examen du rapport d'information sur le thème : « Assurances, énergies : les nouvelles contraintes des entreprises »
M. Olivier Rietmann, président. - Il y a une semaine, les conclusions de nos collègues Franck Menonville et Anne-Marie Nédélec sur le « Fabriqué en France » ont suscité des échanges nourris. Tel sera de nouveau le cas aujourd'hui, j'en suis convaincu, autour du rapport de la mission d'information confiée à Michel Canévet et Guillaume Gontard, sur ce qu'il faut bien appeler les deux nouvelles contraintes des entreprises : l'assurance et l'énergie.
En traitant ces deux thèmes de front, notre délégation répond aux préoccupations d'un nombre croissant d'entreprises, confrontées à des résiliations brutales de contrat d'assurance ou inquiètes du prix auquel le mégawattheure d'électricité leur sera facturé dans quelques mois. Notre délégation a détecté ces difficultés peut-être avant d'autres, et les conclusions de nos rapporteurs n'en revêtent que d'autant plus d'intérêt.
Pour m'en être entretenu la semaine dernière avec Michel Canévet et Guillaume Gontard, je sais que leurs recommandations sont empreintes de bon sens et très directement opérationnelles. Elles vont certainement aussi jouer un rôle d'aiguillon auprès de la profession d'assureur, comme auprès d'EDF qui est en première ligne sur la fixation des tarifs de l'énergie. Cela n'est pas pour nous déplaire, puisque c'est bien aussi l'esprit de notre délégation que d'éclairer les débats et de contribuer à faire bouger les lignes.
Je laisse la parole à nos deux rapporteurs. Chacun pourra ensuite bien évidemment s'exprimer sur ces sujets et questionner nos deux collègues.
M. Michel Canévet, rapporteur. - Avant d'entrer dans le détail de nos travaux, un bref rappel du contexte s'impose. Notre mission d'information trouve son origine dans les remontées de terrain parvenues jusqu'à notre délégation à l'occasion de ses différents travaux, en particulier lors de ses déplacements « hors les murs ». Plusieurs interlocuteurs nous avaient interpellés sur le thème de l'assurance et de l'énergie, ils nous ont fait part de leurs préoccupations, parfois même de leur découragement. Autant l'inquiétude sur le coût de l'énergie n'était pas, à proprement parler, un élément de surprise, autant les récriminations autour des contrats d'assurance ont éveillé davantage de curiosité, pour ne pas dire d'incompréhension.
Sur l'énergie, on sait qu'il s'agit d'un facteur de production essentiel : sans énergie, l'appareil productif s'arrête. Or, depuis la pandémie de Covid-19, puis la guerre en Ukraine, ce secteur a été profondément bouleversé. Ces crises ont provoqué un choc d'offre sans précédent, dont les répercussions se font sentir jusque dans les plus petites entreprises de nos territoires. Il n'était donc pas surprenant que ce thème soit en bonne place dans l'ordre des priorités de nos entreprises.
À l'inverse, la question de l'assurance constitue un motif de stress plus récent, mais non moins préoccupant. Il y a encore peu, l'assurance était classée parmi les charges fixes, une ligne de dépense à surveiller, certes, mais qui ne suscitait pas d'inquiétude particulière. Ce n'est plus le cas aujourd'hui. Nous avons donc voulu comprendre ce qui s'est passé : pourquoi tant d'entreprises se retrouvent-elles confrontées à des refus de garantie, à des hausses brutales de primes, voire à l'impossibilité pure et simple de s'assurer ?
Les conclusions que nous vous présentons aujourd'hui sont issues d'une série d'auditions, mais aussi des enseignements tirés de deux tables rondes organisées en réunion plénière de notre délégation, et nous vous remercions, cher Président Rietmann, d'avoir fait le choix judicieux d'y consacrer du temps. La première s'est tenue le 12 novembre 2024, autour des enjeux de l'assurance. La seconde a eu lieu le 27 mai dernier, au travers de l'exemple concret de la filière bois.
Avant d'entrer dans le détail de nos propositions, je voudrais souligner qu'il était pertinent de conduire de front nos travaux sur l'assurance et l'énergie, et cela pour au moins deux raisons. Tout d'abord, ces deux secteurs ont en commun d'avoir émergé à peu près au même moment en tant que contraintes nouvelles et fortes pesant désormais sur un certain nombre d'entreprises. Ensuite, les difficultés d'accès à l'une comme à l'autre relèvent, pour une part, des limites du fonctionnement d'un marché : sans intervention extérieure de la puissance publique, il y a parfois des trous dans la raquette. Les propositions que nous formulons aujourd'hui visent précisément à combler ces manques, à renforcer la résilience de nos entreprises et, au fond, à préserver l'équilibre de nos territoires.
Dans la présentation de nos recommandations, je céderai la parole à Guillaume Gontard sur le volet énergie, et je commencerai donc par l'accès à l'assurance.
Quels sont les points d'achoppement pour certaines entreprises aujourd'hui en matière d'assurance ? Pour résumer les choses, les exigences assurantielles sont de plus en plus lourdes et la question du désengagement des assureurs se pose.
Le premier point noir se situe dans l'évolution des primes d'assurance sur la période récente. Prenons l'exemple de la filière bois, qui nous a particulièrement alertés : dans ce secteur, les primes d'assurance ont au minimum doublé, voire triplé, sur les trois à quatre dernières années, et ce malgré l'absence de sinistres notables. Les efforts de mise en sécurisation des sites industriels ne permettent pas toujours de revoir à la baisse ces primes. Un chef d'entreprise nous a rapporté avoir investi près d'un million d'euros pour installer des sprinklers ou systèmes d'arrosage tournant ; malgré cet investissement en prévention, sa prime a doublé en quatre ans.
Dans le même temps, les garanties tendent à se restreindre. L'assureur principal limite souvent son engagement à 30 ou 40 % du risque. Le chef d'entreprise doit alors se tourner vers un coassureur, ce qui multiplie les démarches, allonge les délais et complexifie la gestion des contrats.
Un frein supplémentaire se niche dans le niveau souvent dissuasif des franchises proposées par l'assureur. Nous avons ainsi entendu le témoignage d'un chef d'entreprise contraint de supporter une franchise de 400 000 euros pour assurer un stock d'une valeur de 800 000 euros. Peut-on dans ce cas encore vraiment parler d'assurance ? Cette situation frôle l'absurde et touche non seulement les PME, mais également les industriels de plus grande taille, pour lesquels la franchise peut représenter 40 % du montant global assuré.
Pour conclure un contrat, les exigences des assureurs deviennent, là encore, de plus en plus nombreuses. Il ne s'agit pas ici de contester la légitimité de ces exigences - la prévention et la sécurité sont évidemment essentielles -, mais il faut bien réaliser qu'elles représentent un coût réel pour les entreprises. Certains dirigeants nous ont ainsi confié devoir consacrer jusqu'à 9 000 euros par an à des audits réguliers imposés par leur assureur.
Enfin, il peut arriver que les compagnies d'assurance notifient une résiliation de contrat à quelques semaines seulement de l'échéance. Dans de pareilles conditions, l'entreprise a énormément de mal à se retourner et à trouver un nouveau contrat. Parfois c'est même mission impossible.
Comment expliquer cette évolution défavorable aux entreprises dans leur relation à l'assurance ?
L'univers de l'assurance est lui-même frappé de plein fouet par l'émergence de risques qui n'existaient pas auparavant, ou alors dans des proportions bien moindre, et qui ont des conséquences sur les politiques commerciales.
Je pense, tout d'abord, au risque climatique. En 2023, les inondations ont causé 785 millions d'euros de sinistres. Mais le risque cyber s'est aussi brutalement imposé dans le paysage de l'assurance en l'espace de quelques années. À l'échelle européenne, les primes ont doublé en trois ans et on estime que deux PME sur trois ont du mal à trouver une couverture adaptée. Enfin, les violences urbaines alourdissent la facture pour les assureurs : par exemple, les émeutes en Nouvelle-Calédonie, l'an dernier, ont causé 945 millions d'euros de dégâts. Ces événements pèsent lourdement sur les résultats techniques et le compte de résultat des compagnies d'assurance, qui sont alors amenées à ajuster leur modèle économique.
Certains secteurs d'activité sont plus touchés que d'autres : l'agroalimentaire, le bois, l'ameublement, le photovoltaïque ou encore la défense, pour ne citer qu'eux.
Une fois ce panorama d'ensemble dressé, comment travailler à de meilleures conditions d'assurance pour les entreprises ? Nos propositions s'articulent autour de trois axes : la préparation des entreprises, leur sécurisation contractuelle et l'amélioration du fonctionnement du marché.
Notre première recommandation porte sur la nécessité pour l'entreprise de se préparer dans les meilleures conditions à la négociation avec son assureur. Il s'agit donc, en amont de la passation du contrat d'assurance, de procéder à une évaluation la plus précise et la plus exhaustive possible des risques à couvrir. C'est en effet par la meilleure connaissance des risques que le contrat pourra être calibré au plus juste. Cette culture du risque, qui n'est pas toujours très répandue, doit être encouragée.
Le deuxième axe de recommandations vise à restreindre l'incertitude contractuelle pour les entreprises. Cela implique de programmer les investissements dans la prévention, en lien avec l'assureur, mais aussi de privilégier des contrats pluriannuels pour offrir de la visibilité aux entreprises. Dans le même esprit, il nous semble utile d'arrêter un délai minimum de résiliation du contrat d'assurance avant son échéance, 6 mois par exemple. Ce délai minimum permettrait de préserver les marges de manoeuvre de l'entreprise pour trouver un nouvel assureur.
Le troisième et dernier axe de travail porte sur l'amélioration des pratiques sur le marché de l'assurance aux entreprises. Plus précisément, dans l'approche actuarielle et commerciale des compagnies d'assurance, le périmètre de mutualisation des risques mériterait d'être parfois élargi. Il faut en effet préserver l'assurabilité de tous les secteurs d'activité et de toutes les catégories d'entreprises. C'est là un point sensible, qui touche au coeur de la logique assurantielle. Chacun comprend que n'assurer et ne mutualiser que les « bons » risques est certes très rentable, mais une telle pratique n'est pas soutenable à l'échelle macroéconomique. Un autre point nous paraît essentiel. C'est la création d'un « Observatoire de l'assurance aux entreprises » réunissant les professionnels du secteur, les représentants des entreprises et ceux des Services départementaux d'incendie et de secours (SDIS). Il y a parfois des écarts très importants entre les exigences des assureurs et celles des pompiers, par exemple. Cet Observatoire rapprochera les différents acteurs en vue d'un partage des bonnes pratiques dans la relation entre les entreprises et les assureurs.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Le marché de l'énergie a subi un choc d'offre massif voilà quatre ans. Le redémarrage économique après la pandémie de Covid-19 a entraîné une flambée des prix de l'électricité, du gaz et des produits pétroliers. Cette envolée s'est trouvée amplifiée avec le déclenchement de la guerre en Ukraine. Certes, courant 2023, les prix ont reflué pour retrouver aujourd'hui des niveaux proches de ceux d'avant la crise. Mais cette accalmie ne doit pas masquer la réalité d'un marché profondément instable.
Le secteur de l'électricité, en particulier, présente quelques singularités. Ce marché, déréglementé depuis 2007, reste d'une part dominé par EDF et son programme nucléaire. D'autre part, et malgré la dérégulation, un prix réglementé de référence continue de structurer le marché : l'Arenh, c'est-à-dire le prix de vente de l'électricité nucléaire historique, fixé aujourd'hui à 42 euros le mégawattheure. Ce mécanisme a longtemps joué un rôle d'amortisseur pour de nombreux professionnels.
De ce tableau d'ensemble, il faut essentiellement retenir une idée : pour différentes raisons, le marché de l'énergie est extrêmement volatile, les prix peuvent considérablement varier d'une année sur l'autre, d'un mois à l'autre, une semaine à l'autre, et même d'un jour à l'autre. On touche précisément là au point sensible : le véritable problème pour les entreprises, ce n'est pas seulement le niveau des prix, mais aussi leur forte volatilité. Le sujet est d'autant plus prégnant que l'Arenh disparaît au 31 décembre prochain. Des professions comme les boulangers par exemple, qui bénéficiaient de ce tarif, s'inquiètent donc à juste titre de ce qui les attend à partir de 2026.
Il faut aussi avoir à l'esprit la situation de nombreuses entreprises qui, au plus fort de la crise énergétique en 2022, ont signé des contrats d'approvisionnement en électricité à des tarifs très élevés. Ces contrats ont souvent été passés pour trois ans et ils s'appliquent donc encore aujourd'hui, alors même que les prix de l'énergie ont nettement baissé depuis 2023. Pour préserver la compétitivité-prix de ces entreprises, il serait opportun de permettre une révision de ces contrats, afin que la baisse des prix puisse leur être répercutée. Il y a là un enjeu d'équité et de survie économique pour nombre de PME et de très petites entreprises qui, du fait de leur taille, n'ont pas le même pouvoir de négociation que les grands groupes.
En revanche, des négociations sont en cours entre EDF et ses plus gros clients pour préparer l'après-Arenh. Or, ces pourparlers paraissent plus ou moins enlisés. Le récent changement à la tête d'EDF visait notamment à les relancer. Avec Michel Canévet, nous pensons qu'il sera utile d'en assurer le suivi à l'automne, car ces accords sont essentiels pour la compétitivité de secteurs entiers, fortement consommateurs d'énergie.
Il faut rappeler que, historiquement, ces entreprises électro-intensives, comme l'aluminium, la chimie ou la métallurgie, sont souvent situées à proximité de centrales hydroélectriques, dans des vallées souvent déshéritées qui ont besoin de cette implantation industrielle. C'est pourquoi il est essentiel de préserver la maîtrise publique de nos barrages. Comme vous le savez, une discussion est en cours entre la France et la Commission européenne sur ce dossier. Nous défendons l'idée, soutenue par une résolution unanime de l'Assemblée nationale, de sortir la production hydroélectrique du cadre concurrentiel européen, soit par une dérogation, soit en privilégiant un système de quasi-régie. Il s'agit là d'un choix stratégique pour l'avenir de notre industrie, de nos territoires et de notre souveraineté énergétique.
De manière plus générale, il faut également rendre les prix de l'énergie plus lisibles et plus prévisibles. C'est une demande forte et récurrente des entreprises, qui va au-delà du prix lui-même. Cela doit nous interroger sur la pertinence d'un marché de l'électricité, puisque les promesses de baisses de prix grâce à la concurrence entre fournisseurs n'ont jamais été respectées. Au contraire, la concurrence a entraîné une explosion des prix et n'a guère apporté d'investissements supplémentaires pour la transition énergétique ou le réseau électrique. Bien sûr, cette question de la pertinence ou non du marché de l'électricité dépasse le cadre du rapport, mais cela me semblait primordial à rappeler.
Si la question d'un retour au monopole public de l'électricité avec des tarifs réglementés n'est donc pas abordée ici, nous avons néanmoins identifié deux leviers permettant d'encadrer un minimum ce marché, pour apporter plus de prévisibilité aux entreprises.
Le premier levier, ce sont les contrats de long terme, déjà répandus dans le secteur des énergies renouvelables, comme le solaire ou l'éolien : les PPA, ou Power Purchase Agreements. Ce type de contrat permet à l'acheteur de sécuriser un approvisionnement en énergie verte à un tarif stable, ce qui est un atout considérable pour anticiper les coûts. Il requiert toutefois une certaine expertise pour son montage, et nous estimons qu'il serait utile d'établir un « contrat type » pouvant servir de référence et de base de négociation aux entreprises dépourvues d'expertise en matière de passation de contrat complexe.
Le second levier concerne les « contrats pour différence » (CfD), qui commencent à se développer pour l'énergie décarbonée, y compris le nucléaire. L'année dernière, la commission d'enquête du Sénat sur l'électricité a d'ailleurs recommandé de remplacer l'accord État / EDF par ce type de contrat, avec un prix de référence situé entre 60 et 65 euros le mégawattheure. Nous partageons cette orientation : un CfD avec un tarif plancher et un tarif plafond offrirait enfin la prévisibilité dont nos entreprises ont tant besoin.
Mais il ne suffit pas de sécuriser les prix : il faut aussi accompagner les efforts d'adaptation des entreprises.
Les « communautés énergétiques locales » sont une piste très prometteuse. Elles permettent, en associant entreprises et collectivités, de développer des unités locales de production d'énergie renouvelable et d'autoconsommation. Des initiatives existent déjà, comme à Prémian dans l'Hérault, et il faut encourager leur essaimage partout en France. Il faut sensibiliser l'écosystème économique local et les collectivités territoriales à l'intérêt de développer de telles communautés énergétiques.
Les ressources technologiques, comme le compteur Linky par exemple, doivent aussi être mises à profit pour valoriser davantage l'effort d'adaptation des entreprises aux contraintes de fonctionnement du réseau électrique. On désigne cette pratique sous le terme d'« effacement », qui renvoie à la capacité de réduire, ou décaler, sa consommation lors des pics de demande. L'effacement peut être encouragé au travers d'une tarification plus incitative en « heures creuses », ou encore de garanties d'emprunt accordées à l'effort d'équipements énergétiquement sobres.
Dans le même esprit, il paraît indispensable que les plans en faveur de l'activité économique - plans de relance, plans de transition environnementale, plans sectoriels - intègrent systématiquement un volet dédié au financement de la décarbonation. Cela doit devenir un réflexe.
Certaines entreprises se tournent aussi vers la biomasse, en installant des chaudières biomasse ou en développant la méthanisation. C'est une source d'énergie renouvelable majeure, contribuant à la croissance durable, à la création d'emplois et à la réduction de la dépendance aux énergies fossiles. Mais les obstacles réglementaires sont nombreux entre le respect des normes relatives aux installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE) et l'obtention des différentes autorisations, en particulier pour le permis de construire. Afin de favoriser les alternatives à l'électricité, il faut donc autant que possible faire tomber les barrières économiques et réglementaires qui freinent le développement de la production de chaleur à partir de la biomasse. Dans le même registre, nous plaidons pour un maintien du « Fonds chaleur », géré par l'Ademe et actuellement doté de 600 millions d'euros ; ce fonds encourage le déploiement des installations de production de chaleur renouvelable sur l'ensemble du territoire.
Enfin, et c'est une demande unanime de la part des entreprises, il est impératif de maintenir l'effort budgétaire de l'État au service de la compensation carbone des entreprises, afin de préserver le tissu industriel et les projets de décarbonation. Au terme de notre mission, nous voulons alerter sur ce point essentiel, car il pourrait fort bien revenir en débat lors de l'examen du prochain projet de loi de finances. Il existe aujourd'hui une enveloppe d'environ un milliard d'euros pour la compensation carbone, il ne faut pas y toucher. Sinon, c'est non seulement la compétitivité-prix de nos entreprises qui se verrait mécaniquement dégradée, mais aussi leurs programmes de décarbonation qui pourraient être remis en cause.
En conclusion, nos propositions s'inscrivent dans le cadre du fonctionnement actuel du marché de l'énergie, et plus particulièrement de l'électricité, bien qu'il mérite d'être questionné. Notre mission ne visait pas une « révolution » de ce marché sur la base de pétitions de principe, il s'agissait plutôt d'apporter des améliorations pragmatiques et directement opérationnelles, afin de répondre aux attentes des entreprises de notre pays.
Parmi nos recommandations, il en est une sur laquelle je veux revenir un instant, car elle peut permettre à notre délégation de continuer à assurer le suivi de ces enjeux dans les mois à venir. La période de la fin de l'année va être déterminante pour les négociations entre EDF et ses gros clients. Le point crucial réside dans le prix du mégawattheure, et l'on sait que la Commission de régulation de l'énergie (CRE) travaille à définir un prix de référence pour le système qui doit succéder à l'Arenh à compter du 1er janvier prochain.
Il pourrait être utile, Monsieur le Président, de prévoir un temps en séance plénière, en novembre ou décembre, pour faire un point d'étape avec les principaux acteurs de ces négociations, qui vont peser lourdement dans la santé économique du pays pour les prochaines années.
Enfin, il me semble important de rappeler que les hausses de primes d'assurance et de coût de l'énergie sont largement dûes au changement climatique et à la raréfaction des combustibles fossiles. Cette situation étant amenée à s'amplifier, quelques mesures techniques ne suffiront pas : il nous faut donc revoir en profondeur nos manières de produire et nos choix énergétiques.
Outre nos propositions pratiques, il me paraît indispensable de poursuivre la décarbonation dans nos entreprises, qui est aussi un facteur de compétitivité. La décarbonation et la sobriété énergétique sont l'avenir de notre modèle économique. Plus elles seront mises en oeuvre, plus nos entreprises pourront se prémunir des chocs de prix comme ceux que nous avons examiné dans ce rapport.
M. Olivier Rietmann, président. - Merci à nos deux rapporteurs, ils ont maîtrisé ce sujet technique de la meilleure des manières. Un mot sur l'origine de ce rapport. Avec Guillaume Gontard, nous avions discuté l'été dernier de l'accessibilité et du coût de l'énergie pour les entreprises, notamment les entreprises électro-intensives - et je m'étais engagé à y travailler. Puis nous avons rencontré Léonard Prunier, président de la Fédération des entreprises et entrepreneurs de France (FEEF), qui nous a indiqué qu'un quart de ses adhérents s'étaient retrouvés confrontés à une rupture de contrat d'assurance. J'ai donc proposé de lier les deux sujets, et nos deux rapporteurs ont accepté d'y travailler ensemble, je les en remercie.
J'en profite pour dire à chacun de vous de ne pas hésiter à suggérer des travaux. Nous allons être pris par le projet de loi de finances dans la deuxième partie de l'année, mais rien n'est arrêté pour l'an prochain. Avec Fabien Gay, dans le cadre de la commission d'enquête sur les aides aux entreprises, nous avons identifié le sujet des franchises et de la location de gérance - je proposerai à notre bureau d'y travailler, par exemple avec une mission « flash ».
M. Pierre Cuypers. - La couverture des risques face aux aléas climatiques ne fonctionne pas bien. Lorsqu'un aléa climatique se produit, les délais de réponse et de présence des experts sont extrêmement longs et les gens sont laissés dans leurs difficultés, que ce soit des entreprises ou des particuliers. On observe des dysfonctionnements également pour couvrir les aléas liés à des manifestations. Je connais un coiffeur à Paris, avenue Marceau, qui a vu sa vitrine brisée deux ou trois fois en un an et qui travaille derrière des panneaux de contreplaqué parce que son assurance est bloquée.
Les assureurs vont-ils continuer d'assurer les aléas climatiques ou les récoltes ? Si ce n'est pas le cas, il faudra une refonte totale du domaine de l'assurance, avec une participation de l'État - parce qu'aujourd'hui, les assureurs ne se mettent pas d'accord sur la couverture de ces risques, ils le font à de telles conditions que beaucoup de gens ou d'entreprises risquent de ne plus s'assurer.
M. Olivier Rietmann, président. - Il y a deux poids, deux mesures : l'État prend en charge une partie de l'assurance dans le domaine agricole, mais les entreprises des autres secteurs doivent se débrouiller seules, il faudrait remédier à cette inégalité.
Mme Anne-Sophie Romagny. - L'assurance récolte dysfonctionne, nombre d'agriculteurs en viennent à s'en passer parce que les conditions ne sont plus intéressantes. Il y a aussi les aléas liés au passage des oiseaux migrateurs, qui causent des dégâts dans les champs ; la région Grand Est prend en charge une partie de réensemencement, mais une seule fois seulement, alors que les dégâts peuvent survenir plusieurs fois. Il faut donc réformer en profondeur l'assurance agricole, c'est un sujet à part entière.
Mme Brigitte Devésa. - Je félicite nos deux rapporteurs pour leur excellent travail, j'y ai appris beaucoup sur ce dossier technique.
Vous proposez de créer un observatoire de l'assurance aux entreprises : au-delà du simple partage de bonnes pratiques, quelles seraient ses compétences ? Comment garantir qu'un tel observatoire ne sera pas dominé par les intérêts des assureurs, au détriment des entreprises ? Quel sera son impact sur les coûts assuranciels supportés par les entreprises ?
Mme Sylvie Valente Le Hir. - Votre proposition en matière de productions alternatives d'électricité me semble très importante, il faut les encourager et simplifier la réglementation, car elle freine le développement de la production de chaleur à partir de biomasse ou de géothermie. Je l'ai expérimenté comme maire et présidente d'intercommunalité, lorsque nous avons voulu installer un système de géothermie pour notre salle polyvalente : il est difficile de soutenir ces investissements, alors qu'ils sont porteurs d'avenir et particulièrement intéressants sur le plan écologique. Comment maintenir les aides par exemple du « Fonds chaleur » ? Elles sont primordiales pour les investissements, qui sont de plus en plus compliqués.
M. Michel Canévet, rapporteur. - Les délais de réponse des assurances et d'intervention des experts sont un véritable sujet, que nous n'avons cependant pas traité en tant que tel, il serait opportun d'enrichir notre rapport sur ce point, d'évoquer la possibilité de réduire les délais.
Les aléas liés aux manifestations sont également un vrai sujet. En Nouvelle-Calédonie, les assureurs ne veulent plus assurer les entreprises, ils disent que l'État a protégé les personnes plutôt que les biens - et si l'on pousse le raisonnement, cela revient à dire que les biens ne sont plus protégés du tout. Pour les difficultés d'assurance, le médiateur de l'assurance permet de régler certains cas de défaut de couverture, cette intervention par un tiers est utile. Le sujet est sur la table - une proposition de loi a été déposé pour que l'aléa lié au déroulement de manifestations soit mieux pris en compte.
L'assurance récolte a été améliorée récemment, mais on voit bien que les aléas climatiques rendent la couverture des risques particulièrement difficile - cette année, il y a des dégâts liés aussi bien à l'insuffisance de pluie dans certains territoires, qu'à la tombée de grêlons sur le vignoble, par exemple. Les aléas climatiques sont difficiles à prendre en compte et l'État est si impécunieux qu'il ne lui est pas possible d'intervenir sur tout. Il y a le projet de transférer le régime des calamités agricoles, vers un système fondé sur l'assurabilité, mais il faut regarder de près quelles en sont les conséquences.
M. Pierre Cuypers. - L'une des réponses apportées par l'État est de pouvoir déclarer les catastrophes naturelles plus rapidement. En effet, les assureurs attendent cette déclaration pour engager le processus, tout comme les collectivités.
M. Michel Canévet, rapporteur. - C'est une piste. Il faut prendre en compte aussi les dégâts de la faune sur les cultures, qui sont nombreux. En Bretagne, nous connaissons bien le problème des choucas et des sangliers qui prolifèrent - l'agriculteur qui exploite devant chez moi a dû réensemencer son champ de maïs parce que les sangliers l'avaient totalement dévasté. Les fédérations de chasseurs, normalement responsables de rembourser les dégâts occasionnés par les sangliers aux agriculteurs, sont incapables de faire face. C'est un vrai problème, je n'ai pas trouvé de solution autre qu'un fonds dédié, je ne pense pas qu'une assurance couvre ce risque-là, ou alors avec un tel niveau de primes ou de franchises que l'assurabilité serait remise en cause.
Pourquoi proposons-nous un observatoire de l'assurance ? Tout simplement parce que nous avons besoin d'un lieu où se rencontrent les entreprises, ceux qui sont en charge de la sécurité et les assureurs. C'est nécessaire, on voit bien qu'il y a des pratiques différentes entre les départements sur les exigences de sécurité, il faut harmoniser mais il faut aussi que les entreprises exposent les risques auxquels elles sont confrontées. Un observatoire a aussi pour vocation de pouvoir quantifier les choses, ce n'est pas possible aujourd'hui, nous l'avons constaté. Les risques augmentent, il faut les mesurer plus précisément, c'est le rôle d'un observatoire.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Nous n'avons pas abordé l'assurance agricole en détail, ce sujet a déjà fait l'objet d'un rapport et d'un texte de loi, et la situation n'est toujours pas satisfaisante, surtout face aux aléas climatiques, il faudra revoir l'ensemble du système. En tant qu'élu d'un territoire de montagne, je suis particulièrement sensibilisé à l'importance des aléas climatiques - je peux témoigner par exemple de l'impact économique et social de la fonte des glaciers, on l'a vu par exemple avec le hameau de la Bérarde, dans l'Oisan, qui a été littéralement rayé de la carte. J'ai rencontré récemment des responsables de refuges de montagne qui ne peuvent plus accéder à leurs installations, cela a des répercussions sur l'ensemble de l'activité touristique et économique des vallées concernées. Les effets du changement climatique mettent à mal notre système assurantiel, il va bientôt atteindre ses limites, le fonds Barnier ne suffit pas aux besoins de remboursement. Ce problème important nécessite une réflexion plus globale sur nos systèmes d'assurance.
Si nous avons mis en avant les alternatives à l'électricité, c'est pour valoriser des solutions locales intéressantes, qui ont des retombées économiques. Le Premier ministre a mentionné la géothermie dans son discours de politique générale, mais cette technologie est encore peu connue et peu aidée. Nous avons vu aussi, par exemple, que les entreprises du bois utilisent de la biomasse pour le séchage du bois, mais ce recours n'est pas encouragé - l'aide se focalisant sur l'électricité décarbonée, ce qui est utile, mais pas suffisant.
C'est pourquoi nous avons souligné l'importance du « Fonds chaleur ». Nous nous sommes battus pour le maintenir l'an dernier, il est largement utilisé, parce qu'il correspond à une véritable demande et un véritable besoin ; le diminuer serait une erreur. Nous avons rencontré des boulangers qui, grâce à des aides, ont pu décarboner leurs fours, cette transition leur a fait baisser leur consommation - ceux qui ne l'ont pas fait se retrouvent en difficulté, avec l'augmentation du coût de l'énergie. C'est pourquoi nous mettons l'accent sur la conservation du « Fonds chaleur », même si nous savons qu'il risque d'être réduit.
Mme Sylvie Valente Le Hir. - Dans les Hauts-de-France, la géothermie est tout à fait possible, mais elle suppose de réaliser des études préalables coûteuses - pour une commune comme la mienne, de 1 800 habitants, c'est lourd à porter, nous avons vraiment besoin d'aide. La géothermie procure un chauffage de grande qualité, à moindre coût, mais il faut du courage pour porter un tel investissement, on n'est pas toujours compris, on vous dit que ça va être compliqué, pour la simple raison que ce n'est pas habituel... Il faut donc du soutien, d'autant que ce marché est petit, et assez cher au démarrage, avec peu d'acteurs, ce sont des éléments à connaître.
M. Olivier Rietmann, président. - D'autant que, dans les Hauts-de-France, on ressent une saturation à l'égard des éoliennes...
Mme Sylvie Valente Le Hir. - C'est vrai, merci de le dire.
M. Michel Canévet, rapporteur. - Nous sommes face à des défis majeurs. La volatilité des prix de l'énergie est particulièrement préoccupante, avec la remontée du prix du pétrole liée à la situation au Moyen-Orient. La question du coût de l'énergie n'est pas derrière nous et nous savons que c'est un facteur de production très important. Pour y faire face, nous devons continuer la décarbonation, elle nous permettra d'être moins dépendants de facteurs exogènes et nous nous orienterons vers des prix plus stables. Cependant, cela nécessite des investissements considérables, ce qui est malvenu compte tenu de la situation de nos finances publiques.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Le coût de l'énergie et de l'assurance apparait comme un problème pour les entreprises, c'est assez récent à ce niveau, et préoccupant.
Sur la question énergétique, nous avons constaté la complexité du prix de l'électricité, il dépend de facteurs nombreux et d'une régulation qui passe par le marché européen ; c'est un ensemble sur lequel il est difficile d'avoir prise, il n'était pas aisé d'énoncer des solutions pratiques aux problèmes dont nous sommes saisis ; nous nous sommes donc concentrés sur des orientations générales. Nous nous sommes focalisés sur deux propositions : rendre les prix plus lisibles, à travers la contractualisation sur du temps long, avec des seuils de prix hauts et bas - et encourager les efforts d'adaptation, tels que la décarbonation et la sobriété. Les entreprises qui ont travaillé sur ces aspects sont plus résilientes face aux hausses de prix.
J'ai également mentionné l'importance du lien entre l'hydroélectricité et l'industrie électro-intensive : ces industries se sont installées à proximité de barrages et si on ne redonne pas un avantage à cette électricité hydraulique, des entreprises délocaliseront, abandonneront ces vallées, ce serait dramatique, en termes environnemental, humains et économiques.
M. Olivier Rietmann, président. - Je vais insister sur le poids de l'insécurité et de l'instabilité de notre environnement économique, tel que le perçoivent les entreprises - et sur les conséquences pour les investissements.
La directrice générale de la Chambre de commerce américaine en France nous a dit que si les investisseurs aiment venir en France pour son cadre de vie et le coût relativement faible de la santé, ils sont souvent découragés par l'insécurité politique, administrative et normative, on le voit encore ici avec les normes assurantielles et l'accès à l'énergie. L'accumulation de ces insécurités pèse sur l'attractivité et, par conséquent, sur la réindustrialisation de notre pays. Tous les rapports que nous avons écrits ces dernières années convergent sur ce point : en France, nous avons un problème d'instabilité et d'insécurité politique, administrative et normative, alors que les investissements et les décisions d'entreprise se font sur le long terme.
Or, chaque année nous changeons les règles en novembre pour l'année suivante, quand bien même les entreprises se sont calées sur les règles en cours : allons-nous continuer comme cela longtemps ? Il faudrait que nos règles, quand elles concernent les entreprises, soient adoptées pour quelques années au moins, le temps que les entreprises s'y adaptent et qu'elles aient un retour d'investissement pour s'y être conformées. Ce n'est pas du tout ce que nous faisons : nous changeons les règles, puis, sans laisser le temps aux entreprises de s'y adapter, nous les changeons de nouveau sans prévenir. C'est un facteur d'instabilité qui joue contre notre attractivité, contre notre économie. Il est temps de retrouver de la stabilité et de la sécurité pour les investisseurs dans notre pays.
M. Pierre Cuypers. - Connaissez-vous le nombre d'entreprises qui s'assurent en dehors du système français ?
M. Michel Canévet, rapporteur. - Il y a des courtiers qui interviennent pour des assurances étrangères, certaines collectivités sont parfois obligées de s'assurer auprès d'assureurs étrangers. Cependant, nous n'avons pas quantifié le phénomène.
M. Pierre Cuypers. - Il serait intéressant de le savoir.
M. Olivier Rietmann, président. - Il y a eu une ouverture à la concurrence, de l'électricité comme de l'assurance : il faudrait en voir les résultats, aussi bien sur l'offre que sur les tarifs.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Ce que l'on observe, c'est que l'ouverture du marché de l'électricité à la concurrence n'a pas fait baisser les prix ni facilité l'investissement. On se retrouve, en réalité, avec des quasi-monopoles, car tel était l'objectif.
M. Olivier Rietmann, président. - L'objectif était plutôt, en multipliant les concurrents, d'augmenter la capacité de négociation, donc d'améliorer l'offre et de faire baisser les prix...
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Oui, mais en réalité, on voit qu'il faut réguler, encadrer les contrats avec un plancher bas et un plafond, pour que, même si les prix fluctuent, on reste dans une zone acceptable. La concurrence montre vite ses limites sur le marché de l'électricité, qui a un réseau interconnecté et qui exige des investissements très lourds.
M. Michel Canévet, rapporteur. - Il ne faut pas oublier que derrière les assureurs, il y a les réassureurs, qui sont surtout étrangers. En réalité, le système de la réassurance cadre étroitement la capacité d'action des assureurs, les tarifs évoluent aussi en fonction de ce cadre.
Nous nous sommes interrogés sur la mise en place d'une compagnie d'assurance publique. Cependant, si cette compagnie publique devait assurer tous ceux qui n'ont pas d'assurance parce que leurs risques sont élevés, tandis que le secteur privé se garderait le reste du marché, cela ne peut pas fonctionner. Il faut donc être prudent avec ce type d'idée.
M. Olivier Rietmann, président. - Merci encore pour ce travail.
La délégation adopte le rapport à l'unanimité et en autorise la publication.
La réunion est close à 13 h 40.