Jeudi 26 juin 2025

- Présidence de Mme Dominique Vérien, présidente -

La réunion est ouverte à 08 h 30.

Table ronde sur les inégalités dans le recrutement et le déroulement de carrière des femmes scientifiques

Mme Dominique Vérien, présidente. - Chers collègues, Mesdames, Messieurs,

Depuis quatre mois, notre délégation conduit un cycle de travaux consacré à la thématique « Femmes et sciences », sous la coordination de nos rapporteures, Marie-Do Aeschlimann, Jocelyne Antoine, Laure Darcos et Marie-Pierre Monier.

Cette mission vise à identifier les leviers d'action permettant de donner aux filles et aux femmes toute leur place dans les parcours et carrières scientifiques, alors qu'elles ne représentent encore qu'un tiers des chercheurs et un quart des ingénieurs en France.

Nous avons d'ores et déjà consacré de nombreuses auditions à l'enseignement scolaire, secondaire et universitaire des mathématiques et des sciences, aux stéréotypes de genre attachés à ces disciplines, ainsi qu'aux déterminants de l'orientation des jeunes filles vers les filières scientifiques.

La séance du jour porte sur les femmes ayant choisi une formation, puis une carrière dans les sciences. Elles demeurent, encore aujourd'hui, sensiblement moins nombreuses que les garçons à s'engager dans cette voie. En 2023, seulement 13 % des étudiantes diplômées de l'université l'étaient dans les filières STIM (sciences, technologies, ingénierie et mathématiques), contre 40 % des étudiants.

Quelles sont les trajectoires de ces femmes ? À quelles inégalités, discriminations voire violences sont-elles exposées lors de leur recrutement puis au cours de leur carrière ?

Il nous a été indiqué qu'environ une femme sur deux, après avoir opté pour une carrière scientifique, quitte ce champ professionnel au cours des dix années suivant l'obtention de son diplôme. Cette proportion interpelle, d'autant plus dans un contexte de fortes tensions en compétences dans les secteurs liés à la transition numérique, à la transition écologique, à l'intelligence artificielle ou encore à la santé. Ces enjeux nécessitent un vivier scientifique élargi, où la mixité représente un levier d'innovation, de performance et de qualité.

Comment expliquer ce phénomène, souvent qualifié de « tuyau percé », qui conduit à la disparition progressive des femmes dans les filières scientifiques, technologiques et numériques ? Se manifeste-t-il de manière homogène selon les secteurs ou les types de structures - laboratoires de recherche, établissements universitaires, entreprises privées ?

Au-delà de l'identification des freins, il nous appartient de formuler des préconisations opérationnelles. Quels dispositifs permettraient de fidéliser les talents féminins ? Quels leviers activer pour favoriser leur accès aux postes à responsabilité ? Comment structurer des parcours de mentorat efficaces ? De quelle manière faire évoluer les pratiques de recrutement, d'évaluation, de management et de promotion dans les milieux scientifiques ?

Il paraît essentiel de sensibiliser les employeurs et les décideurs à l'apport déterminant de la diversité. La présence accrue des femmes dans les équipes constitue un facteur reconnu de créativité, d'innovation et d'efficacité, tant dans les laboratoires que dans les entreprises. Les stéréotypes de genre et la faible représentation des femmes dans les métiers d'avenir, notamment ceux liés aux technologies et à l'intelligence artificielle, génèrent des coûts économiques qu'il convient de mettre davantage en lumière.

Afin d'aborder ces questions, j'ai le plaisir d'accueillir :

- Mathieu Arbogast, chargé de projets à la Mission pour la place des femmes au Centre national de recherche scientifique (CNRS), membre du Haut Conseil à l'Égalité entre les Femmes et les Hommes (HCE) ;

- Cécile Jolly, économiste, cheffe de projet « Prospective des métiers et des qualifications » au Haut-Commissariat à la stratégie et au plan, co-autrice du rapport « Lutter contre les stéréotypes filles-garçons », dont le volet « marché du travail et formation » nous intéresse particulièrement ;

- May Morris, directrice de recherche CNRS à l'Institut des Biomolécules Max Mousseron, coordinatrice du programme de mentorat Femmes & sciences pour doctorantes à l'Université de Montpellier, membre du conseil d'administration de EPWS (European Platform for Women in Science) ;

- Elisabeth Richard, directrice des relations avec la société civile chez ENGIE, membre du HCE et membre du comité de direction de Femmes@numérique.

Je vous souhaite à toutes et tous la bienvenue et vous remercie pour votre présence.

Je précise que cette table ronde fait l'objet d'une captation audiovisuelle en vue de sa retransmission en direct sur le site internet et les réseaux sociaux du Sénat.

Je donne sans plus tarder la parole à Mathieu Arbogast.

M. Mathieu Arbogast, chargé de projets à la Mission pour la place des femmes au CNRS, membre du HCE. - Je vous remercie de m'avoir invité à présenter les actions engagées par le CNRS en faveur du recrutement et de la carrière des femmes scientifiques. Je souhaite également remercier la coprésidente et le coprésident du Comité parité-égalité du CNRS, Béatrice Marticoréna et Jean-Louis Vercher, ainsi que mes collègues de la Mission pour la place des femmes au CNRS, en particulier sa directrice Elisabeth Kohler ainsi que Laura-Flore Jean-Baptiste, pour leur contribution à cette intervention.

Permettez-moi de concentrer mon propos sur les actions concrètes menées par le CNRS, sans m'étendre sur celles portées par des associations partenaires telles que Femmes & Sciences.

En 2024, le CNRS a reçu le prix « Champion européen de l'égalité » décerné par la Commission européenne, récompensant les progrès réels réalisés ces dernières années. Il est toutefois difficile de les maintenir, notamment dans un contexte où les candidatures féminines aux concours de chercheurs, y compris à l'international, tendent à se raréfier dans plusieurs disciplines comme l'astronomie ou la physique. La diversité dans les recrutements reste pourtant indispensable, notamment pour améliorer la qualité de la science.

Le CNRS se compose d'une moitié de personnels relevant des métiers d'ingénierie et de soutien technique (IT), et d'une autre moitié de chercheurs, titulaires ou contractuels. Les logiques d'action varient selon ces deux populations. Historiquement, les politiques en faveur de l'égalité ont davantage bénéficié aux chercheuses qu'aux personnels IT.

Un indicateur significatif concerne la proportion de femmes accédant au corps des directrices de recherche : elles représentaient 25 % en 2010 et 32 % fin 2024, soit une proportion proche de celle observée parmi l'ensemble des chercheuses.

Ces avancées reposent sur plusieurs conditions de réussite.

Premièrement, les diagnostics et actions du CNRS s'appuient sur des recherches scientifiques, en particulier en sciences humaines et sociales, qui méritent d'être pleinement soutenues. Par ailleurs, la politique d'égalité s'inscrit dans la durée, avec la création dès 2001, de la Mission pour la place des femmes. Enfin, cette politique bénéficie d'un engagement fort de la direction générale : le président du CNRS s'implique personnellement et un maillage dense d'acteurs est mobilisé, depuis le Comité parité-égalité jusqu'aux référentes et référents égalité dans les laboratoires.

L'égalité s'insère dans l'ensemble des dispositifs : contrats d'objectifs, plans d'action et démarches d'évaluation européenne HRS4R. Pour les personnels IT, les comités de recrutement sont nombreux, régulièrement renouvelés, et souvent biaisés dans la rédaction des fiches de poste, comme l'a notamment démontré Célia Bouchet dans un article publié dans La Nouvelle Revue du Travail. En revanche, les concours de chercheurs sont organisés par des comités siégeant quatre ans, sur plusieurs postes, ce qui facilite une politique de recrutement plus égalitaire.

Concernant les personnels IT, une vidéo de sensibilisation sera diffusée à tous les jurys. Pour les chercheuses, un dispositif complet a été déployé : état des lieux cosigné dans Nature Human Behaviour par Isabelle Régner, vice-présidente à l'Égalité Femmes-Hommes et à la Lutte contre les Discriminations d'Aix-Marseille Université ; communication mettant en avant les succès féminins ; guide de candidature non genré ; désignation de membres référents chargés d'établir un suivi de la proportion de femmes à chaque étape du concours ; e-learning sur les biais de genre proposé systématiquement à tous les membres des sections ; et incitation forte à une vigilance active, même si aucun quota n'est appliqué.

Par ailleurs, dans le cadre des démarches DORA (Déclaration de San Francisco sur l'évaluation de la recherche) et CoARA (Coalition pour l'avancement de l'évaluation de la recherche), le CNRS préconise une évaluation qualitative plutôt que strictement bibliométrique, cette dernière tendant à défavoriser les femmes. Le modèle implicite du « bon chercheur », associé à l'autorité, à l'assertivité et au dévouement, reste fortement genré au masculin et doit être réinterrogé.

S'agissant des promotions et accès aux responsabilités, les comités sont invités à promouvoir les femmes à proportion de leur présence dans le vivier de promouvables, même en cas de sous-représentation dans les candidatures. Par ailleurs, le Comité parité-égalité a formulé des propositions pour accroître la part des directrices de laboratoire, encore trop faible.

D'autres actions transversales méritent d'être mentionnées : fresque de l'égalité pour sensibiliser l'ensemble des agents ; formations sur les violences sexistes et sexuelles ; attribution paritaire des médailles ; absence de soutien à des manifestations scientifiques où les femmes sont sous-représentées ; valorisation des femmes scientifiques dans la communication écrite et visuelle ; dispositifs d'accompagnement au projet de carrière dans certaines disciplines (physique, informatique) ; études régulières, comme celle précitée de Célia Bouchet sur la faible reconnaissance des métiers IT féminins.

La parentalité fait également l'objet d'ajustements : prolongation de contrat après un congé maternité ; maintien à taux plein d'une prime annuelle pour les IT ; déduction de 18 mois par enfant pour l'évaluation des chercheurs ; « packs » de financement de retour de congé maternité dans plusieurs instituts ; financement de crèches éphémères lors d'événements scientifiques.

Enfin, nous encourageons l'intégration du sexe et du genre dans les objets de recherche du CNRS. Nombre d'avancées en la matière sont dues à des chercheuses, et contribuent à rendre la science plus inclusive.

Ces efforts s'avèrent indispensables dans un environnement où les biais de genre apparaissent dès l'enfance et se renforcent tout au long de la carrière : en postdoctorat, les femmes quittent davantage la recherche après une naissance ; le sexisme, plus encore que la parentalité, explique leur départ de l'université ; l'autopromotion reste moins bien perçue lorsqu'elle émane d'une femme ; les lettres de recommandation véhiculent un sexisme bienveillant ; les disciplines féminisées sont moins financées, y compris pour les hommes qui y travaillent ; les femmes sont découragées de soumettre aux revues les plus prestigieuses et pénalisées dans les arbitrages sur l'ordre de signature ; leurs publications sont évaluées plus lentement ; et les mères renoncent plus souvent aux mobilités professionnelles.

Face à un système aussi complexe, une réponse systémique s'impose.

Je vous remercie de votre attention et suis à votre disposition pour répondre à vos questions.

Mme Dominique Vérien, présidente. - Je vous remercie vivement pour votre intervention. Je cède à présent la parole à Madame Cécile Jolly, membre du Haut-commissariat à la stratégie et au plan.

Mme Cécile Jolly, économiste, cheffe de projet « Prospective des métiers et des qualifications » au Haut-Commissariat à la stratégie et au plan, co-autrice du rapport « Lutter contre les stéréotypes filles-garçons ». - Le Haut-Commissariat a produit un rapport portant sur les stéréotypes et les inégalités de fait, en se concentrant particulièrement sur les enfants et les adolescents jusqu'à leur entrée sur le marché du travail.

Si l'on s'en tient aux débouchés, les femmes demeurent minoritaires dans de nombreux métiers mobilisant des compétences scientifiques, technologiques et mathématiques de haut niveau, qui figurent parmi les plus rémunérateurs. Elles représentent aujourd'hui moins d'un quart des effectifs dans les professions d'ingénierie informatique, de recherche en entreprise privée, d'ingénierie industrielle ou du bâtiment, avec une progression très faible dans le temps.

Nos prospectives ne montrent pas d'amélioration significative de cette tendance, et certaines filières, comme l'informatique et l'industrie, connaissent même un ralentissement de leur féminisation. Seules deux exceptions se distinguent, bien que sous l'effet de stéréotypes de genre : la médecine, où les femmes sont désormais autant représentées que les hommes, malgré une ségrégation persistante selon les spécialités (majoritaires en pédiatrie, minoritaires en chirurgie), et les cadres de la banque et de l'assurance, caractérisés par une répartition relativement équilibrée entre femmes et hommes. Ces secteurs ont connu une féminisation progressive au fil du temps, dont la dynamique se poursuit encore aujourd'hui.

Ces constats renvoient à des stéréotypes de genre fortement ancrés dès l'enfance. Le stéréotype selon lequel « les garçons sont meilleurs que les filles en mathématiques » reste encore partagé par un quart des enfants de 11 à 17 ans. Chez les 18-24 ans, on observe paradoxalement un regain d'adhésion aux stéréotypes, bien qu'il s'agisse généralement du groupe d'âge le moins marqué par les préjugés. De 62 % en 2014, ils ne sont plus que 53 % en 2022 à adhérer très fortement à l'idée selon laquelle « les filles ont autant l'esprit scientifique que les garçons ».

Un autre stéréotype particulièrement préoccupant réside dans l'assignation des femmes aux métiers du care, qui constitue le second levier majeur de leur détournement des filières scientifiques. La déperdition des filles dans ces filières s'observe à chaque étape : menace du stéréotype et perte de confiance en mathématiques dès le primaire, abandon progressif dans les choix de spécialités au lycée, orientation vers des filières plus genrées dans le supérieur (écoles de commerce, médecine, biologie), et enfin, écart entre formation et emploi à la sortie du système éducatif.

Les enquêtes montrent que les jeunes femmes qui ont suivi des cursus scientifiques exercent moins souvent que les jeunes hommes les métiers pour lesquels elles se sont formées. Elles s'orientent majoritairement vers la finance ou le conseil, plutôt que vers les secteurs scientifiques correspondant à leur formation. Et quand elles accèdent à ces métiers, elles tendent à les quitter plus rapidement. Cette situation s'explique en partie par des biais genrés, souvent inconscients, dans les processus de recrutement et sur le lieu de travail.

Des recruteurs peuvent, implicitement, préférer recruter un homme dans un milieu masculin. Parallèlement, les femmes peuvent éprouver un malaise dans ces milieux, le sexisme demeurant la première cause de discrimination sur le marché du travail. Si la mixité ne garantit pas à elle seule l'égalité, elle en constitue néanmoins une condition indispensable. Ce phénomène s'observe également en miroir dans des secteurs très féminisés : un homme travaillant dans la petite enfance rencontrera des difficultés similaires liées à son appartenance au sexe minoritaire.

C'est pourquoi nous plaidons pour une approche systémique fondée sur un continuum d'actions, tout au long du parcours de formation et d'insertion. Les choix de formation sont également conditionnés par l'environnement social, et notamment par les familles. Les parents, premiers prescripteurs de l'orientation, peuvent déconseiller à leurs filles certaines filières, jugées peu mixtes ou susceptibles de les exposer à des situations de sexisme. Une enquête conduite par l'école d'informatique parisienne Epitech auprès d'élèves de terminale et de leurs parents a clairement mis en évidence ce facteur d'autocensure.

Les politiques publiques disposent, à cet égard, de leviers à chaque étape du parcours. Les freins à l'accès des filles aux filières scientifiques et techniques ont des effets cumulatifs qui nuisent, à terme, à leur insertion, à leur mobilité et à leur progression de carrière. La ségrégation sexuée des métiers constitue l'un des facteurs explicatifs des écarts de rémunération entre les femmes et les hommes -- même si la parentalité demeure aujourd'hui la première cause d'inégalités salariales.

La question du vivier constitue un enjeu déterminant. Les employeurs peuvent faire valoir l'absence de candidatures féminines ; or, sans politiques proactives en faveur de la constitution de ces viviers, les déséquilibres constatés perdureront. Ce cercle est, par nature, autorenforçant et appelle donc une action volontariste.

À cette fin, plusieurs recommandations peuvent être formulées. Il convient d'abord de généraliser la formation à la pédagogie égalitaire en mathématiques, tant dans le cadre de la formation initiale que continue des enseignants, cette dernière n'étant pas aujourd'hui systématisée. Il paraît également nécessaire de mettre en place un plan d'action en faveur de la mixité des formations, assorti d'objectifs chiffrés de progression.

Des dispositifs incitatifs tels que des bonus sur les plateformes Affelnet et Parcoursup pourraient également être envisagés, au bénéfice des filles comme des garçons qui s'orienteraient dans des spécialités et des filières où leur sexe est minoritaire. En effet, les garçons sont eux aussi sous-représentés dans certaines filières, notamment dans le champ sanitaire et social, où les besoins en recrutement restent particulièrement importants. Pour ces métiers majoritairement réglementés, la formation initiale demeure déterminante puisqu'elle conditionne l'accès à la profession.

Enfin, il conviendrait de prolonger cette logique jusqu'au processus de recrutement. La transposition prochaine de la directive européenne relative à la transparence salariale constitue une opportunité pour intégrer des indicateurs de progression de la mixité professionnelle dans les outils d'évaluation des entreprises, à l'image de l'index de l'égalité professionnelle. Ils permettraient de rendre visibles les efforts réels engagés, ou au contraire les retards persistants. En effet, les dispositifs de name and shame relèvent pleinement d'une politique publique visant à renforcer l'égalité professionnelle.

Ces propositions s'inscrivent dans une logique de cohérence de l'action publique. Il convient de rappeler à ce titre les apports significatifs de la loi Sauvadet dans la fonction publique en matière d'égalité salariale, ainsi que les avancées introduites plus récemment par la loi Rixain s'agissant de la présence de femmes dans les comités exécutifs et les comités de direction des entreprises françaises.

Mme Dominique Vérien, présidente. - Je me permets de rappeler que c'est la loi Billon-Vérien-Filleul qui a permis de prolonger les avancées portées par la loi Sauvadet concernant la place des femmes dans la haute fonction publique et mérite, à ce titre, d'être pleinement citée. Puisque la loi Rixain est désormais citée en lieu et place de la loi Copé-Zimmermann, il apparaît tout aussi légitime de faire valoir cette nouvelle étape. Il n'est pas inutile de le souligner, y compris dans une logique d'autopromotion féminine, que nous devons pleinement assumer.

Mme Cécile Jolly. - Les métiers à dominante féminine demeurent globalement moins valorisés. Nos travaux montrent en effet qu'à diplômes et caractéristiques individuelles équivalents, les métiers féminins sont en moyenne moins rémunérateurs que les métiers mixtes. À l'inverse, dans les métiers mixtes, les écarts de rémunération entre femmes et hommes sont plus marqués. Une nouvelle fois, la mixité, bien qu'essentielle, ne constitue pas à elle seule une garantie d'égalité.

Je me tiens naturellement à disposition pour répondre à vos questions.

Mme Dominique Vérien, présidente. - Dix ans après la loi Sauvadet, nous avons effectivement mené une analyse qui a mis en lumière des écarts persistants, y compris dans la fonction publique, où l'égalité de traitement devrait pourtant prévaloir à niveau et grade équivalents. Ainsi, dans la fonction publique hospitalière, une directrice des soins perçoit, à caractéristiques comparables, une rémunération inférieure à celle d'un directeur des services techniques. Je souligne volontairement la dimension sexuée de ces fonctions.

Je me tourne désormais vers May Morris, chercheuse et coordinatrice d'un programme de mentorat.

Mme May Morris, directrice de recherche CNRS à l'Institut des Biomolécules Max Mousseron, coordinatrice du programme de mentorat « Femmes et sciences » pour doctorantes à l'Université de Montpellier, membre du conseil d'administration de EPWS (European Platform for Women in Science). - Je vous remercie, Madame la Présidente, Mesdames les Rapportrices et Sénatrices, de me donner l'opportunité de vous présenter les obstacles rencontrés par les femmes dans les carrières scientifiques, ainsi que les réponses que nous y apportons.

Le programme de mentorat que j'ai coordonné sous l'égide de l'association Femmes & Sciences vise à accompagner les jeunes femmes scientifiques à un moment charnière de leur parcours ; celui du doctorat.

La carrière des femmes dans les disciplines STIM demeure semée d'embûches. De nombreux défis les découragent ou freinent leur progression, contribuant ainsi à la persistance du plafond de verre et au phénomène du tuyau percé. Si les femmes quittent la science, c'est parce que notre écosystème scientifique, historiquement masculin et encore marqué par des pratiques patriarcales, demeure incohérent, injuste, et tolère des pratiques délétères : stéréotypes, discriminations, sexisme ambiant, violences physiques ou psychologiques, arrogance, condescendance et mansplaining perdurent, et doivent impérativement être reconnus et sanctionnés.

Parmi les problèmes persistants, la maternité et les conditions de recrutement restent des sujets sensibles dans l'ensemble du paysage scientifique. Une politique du « pas de vague » prévaut trop souvent, certaines réalités étant volontairement occultées.

Sur le terrain, les difficultés sont nombreuses : cooptation au sein de réseaux masculins, invisibilisation des femmes, manque de reconnaissance, absence d'écoute et de soutien, comportements biaisés conduisant à des discriminations, sentiment d'exclusion, dénigrement, humiliations, isolement, violences, harcèlement physique et moral. Ces éléments concourent à créer des environnements de travail toxiques.

Permettez-moi d'insister sur la problématique particulière du congé parental en cas de contrat à durée déterminée. Lorsqu'une chercheuse prend un congé maternité, le versement des prestations par la Sécurité sociale entraîne la suspension du contrat initial, et les crédits de recherche mobilisés peuvent être perdus ou remboursés très tardivement, faute de procédure uniforme entre les tutelles. Nombreuses sont les femmes que nous accompagnons et qui, à l'approche de ce congé, ignorent leurs droits ou les solutions envisageables. Cette incertitude dissuade également certains chercheurs, hommes comme femmes, de recruter de jeunes femmes en âge d'avoir des enfants.

Pour faire face à ces multiples difficultés, le programme de mentorat vise à accompagner les jeunes femmes scientifiques à un moment décisif de leur parcours. Ce dispositif constitue à la fois un réseau d'entraide, de soutien et d'accompagnement, ainsi qu'un vecteur de diffusion progressive de bonnes pratiques au sein des institutions scientifiques. Il repose sur un réseau de mentors, hommes et femmes, engagés pour proposer un accompagnement personnalisé, rassurant et stimulant, répondant à un besoin clairement identifié.

Chaque mentor établit avec sa mentorée une relation de confiance fondée sur l'écoute active, l'échange, le soutien et les encouragements. Les conseils prodigués, ancrés dans l'expérience du monde scientifique, visent à renforcer l'épanouissement professionnel et la capacité d'agir des doctorantes, quelles que soient leurs disciplines. Le mentorat se développe dans un cadre bienveillant et structuré, rythmé par des ateliers de formation, des cercles de discussion et des témoignages de femmes scientifiques ayant construit des parcours diversifiés après leur doctorat.

Entièrement porté par des bénévoles - membres de l'association Femmes & Sciences, coordinatrices locales, comités d'organisation et mentors -, ce programme s'inscrit dans une logique ascendante (bottom-up), fondée sur l'engagement collectif. À Montpellier, par exemple, 150 scientifiques issus de disciplines variées participent à ce réseau, offrant ainsi aux doctorantes une pluralité de modèles et de parcours.

L'accompagnement s'inscrit dans la durée (douze mois) et se structure autour de trois axes :

1. Des rencontres individuelles entre mentor et mentorée, organisées mensuellement. La doctorante choisit son mentor à l'issue de séances de speed-meeting, à partir de présentations brèves et engagées des profils disponibles. L'appariement repose sur l'affinité, la confiance et la volonté partagée d'instaurer un dialogue régulier et bienveillant pendant douze mois.

2. Des cercles de mentorat, conçus comme des ateliers thématiques en petits groupes sur des sujets variés : confiance en soi, choix entre carrière académique ou hors-académique, mobilité internationale, etc. Ces échanges ont lieu dans un climat informel, propice à la libération de la parole des doctorantes.

3. Des ateliers et témoignages de femmes ayant obtenu un doctorat et poursuivi des carrières scientifiques épanouissantes. Ces interventions apportent une ouverture précieuse sur les trajectoires possibles et viennent compléter les contenus proposés par les formations académiques.

Les mentors bénéficient d'une formation spécifique et adhèrent à une charte définissant les engagements réciproques, notamment l'absence d'obligation de résultat en matière d'insertion professionnelle. Un comité pilote veille à l'adaptation et à l'amélioration continue du dispositif.

Un système de suivi et d'évaluation est également mis en place. Les échanges demeurent strictement confidentiels, mais des fiches permettent d'identifier les thématiques abordées afin d'ajuster les contenus proposés aux besoins exprimés par les doctorantes. En fin de programme, un annuaire facilite la poursuite des liens et l'inscription durable dans le réseau. Au terme de dix années d'existence, plusieurs anciennes mentorées sont à leur tour devenues mentors, illustrant la dynamique de transmission au coeur du programme.

Les doctorantes ne sont en aucun cas tenues de participer à l'ensemble des activités : elles s'engagent à leur rythme, en fonction de leurs besoins. Le programme se conclut par une soirée de témoignages particulièrement marquante, au cours de laquelle mentors et mentorées qui le souhaitent prennent la parole pour partager leur expérience et évoquer les apports du mentorat.

Lancé en 2015 à Montpellier, le programme s'est rapidement déployé à Toulouse puis à Paris-Saclay. Aux côtés de Julie Batut et Marina Kvaskoff, nous avons conçu une boîte à outils partagée, afin de structurer et diffuser le savoir-faire acquis au sein de l'association. Le réseau inclut aujourd'hui de nombreuses villes françaises, animé par des coordinatrices issues de Femmes & Sciences, avec le soutien de multiples tutelles et universités. Membre de la plateforme européenne Eument-net, le programme entretient un lien étroit avec d'autres initiatives européennes dédiées aux femmes scientifiques.

Plus de 1 000 doctorantes ont été accompagnées et la participation croît d'année en année, tant en nombre de sites qu'en volume de bénéficiaires. À la demande du ministère, une évaluation qualitative et quantitative a été conduite en 2023-2024, portant sur 800 mentorées accompagnées entre 2015 et 2023. Ce rapport met en lumière une très forte satisfaction à l'égard des ateliers, cercles et témoignages. Plus de 98 % des participantes recommandent le programme, évoquant des mots-clés comme « soutien », « confiance », « partage », « réseau ».

Le taux d'insertion professionnelle atteint près de 70 % dans les trois mois suivants la soutenance de thèse, témoignant de l'efficacité du programme pour enrayer le phénomène du tuyau percé et favoriser le maintien des femmes dans les carrières scientifiques.

Les effets constatés sont nombreux : développement de la confiance en soi, renforcement de l'ambition et de la motivation, atténuation du « syndrome de l'imposteur ». Le programme suscite désormais l'intérêt d'autres institutions souhaitant le décliner pour des publics différents.

Le mentorat permet également aux doctorantes d'élargir leur horizon en découvrant le fonctionnement du monde scientifique au-delà de leur propre laboratoire, en accédant à d'autres environnements de recherche et en s'ouvrant à la diversité des parcours. Elles ont ainsi l'opportunité de rencontrer et d'échanger avec des rôles modèles choisis, au sein d'un réseau structuré de mentors, composé de femmes et d'hommes.

Ce dispositif favorise également l'appropriation des codes tacites du milieu scientifique, souvent non explicités dans les formations académiques, mais essentiels à l'évolution professionnelle. Il encourage une réflexion sur les choix de carrière dans un cadre sécurisé, fondé sur l'écoute, le respect et la bienveillance. La relation de mentorat vient ainsi en complément du rôle du ou de la directrice de thèse, sans jamais s'y substituer.

Les doctorantes y trouvent un espace pour valoriser leurs compétences, prendre conscience de leur potentiel, renforcer leur confiance en elles et consolider leur positionnement professionnel. Cette dynamique s'inscrit dans un processus d'évolution personnelle et professionnelle, rendu possible par l'appartenance à un réseau de soutien pérenne.

Ce programme favorise la constitution d'un véritable réseau de solidarité et de sororité, tout en contribuant de manière concrète à l'insertion professionnelle des jeunes chercheuses. Il répond à un besoin impérieux à l'étape du doctorat qui, généralement, amorce le phénomène du tuyau percé. Cet environnement bienveillant et structurant constitue un véritable safe space, indispensable dans un milieu scientifique encore marqué par des comportements toxiques, sexistes et discriminants. Il s'agit également d'un espace d'émancipation, permettant aux doctorantes de rêver leur avenir et de se projeter librement dans leur carrière scientifique.

Ce dispositif leur offre la possibilité de faire entendre leur voix sans contrainte hiérarchique, dans un cadre d'écoute respectueuse. Il constitue enfin un vecteur de diffusion de bonnes pratiques, au service d'une culture de la solidarité intergénérationnelle, interinstitutionnelle, multiculturelle, incluant des femmes et des hommes.

Je vous remercie de votre attention.

Mme Dominique Vérien, présidente. - Merci beaucoup pour votre intervention. Je laisse la parole à Elisabeth Richard, qui interviendra au titre de Femmes@numérique, et nous apportera également un éclairage sur les modalités d'accueil et d'intégration des femmes dans les entreprises.

Mme Elisabeth Richard, directrice des relations avec la société civile chez ENGIE, membre du HCE et membre du comité de direction de Femmes@numérique. - Merci, Madame la Présidente, Mesdames les Rapporteures et Mesdames les Sénatrices de m'avoir conviée à cette table ronde.

Je remercie également Elisabeth Moreno, présidente de Femmes@numérique, qui m'a proposé d'intervenir en son nom, n'ayant pu être présente aujourd'hui. Je suis heureuse de la représenter, ainsi que la dynamique à l'oeuvre sur ces sujets dans notre pays. Mon engagement se situe à la croisée de plusieurs sphères : le collectif Femmes@numérique, le HCE et le monde de l'entreprise. Depuis deux décennies, je m'investis dans la reconnaissance de la place des femmes dans notre société.

J'aborde cette intervention avec beaucoup d'humilité, car je mesure la richesse des analyses qui ont été présentées. Ces constats résonnent profondément avec ce que j'observe sur le terrain, tant dans les entreprises que dans le cadre de Femmes@numérique. Ce collectif fédère l'État, les associations, les entreprises ainsi qu'un réseau actif de bénévoles, essentiellement constitué de femmes scientifiques. Il incarne une dynamique structurée, déterminée, comparable à celle de Femmes & Sciences, et enrichie par une diversité d'initiatives remarquables sur l'ensemble du territoire.

Nombre d'entreprises industrielles, scientifiques ou technologiques, s'engagent en faveur de la mixité sans aucune réserve. ENGIE, par exemple, est présidée par une ingénieure, Catherine MacGregor, et le recrutement de jeunes femmes issues de ces filières constitue une priorité stratégique. Par ailleurs, les trajectoires féminines ne s'interrompent pas après dix ans de carrière : chaque talent se voit accompagné, soutenu, et encouragé à évoluer vers des responsabilités de haut niveau.

L'arsenal législatif français offre, à cet égard, un socle exceptionnel. En comparaison internationale, rares sont les pays disposant d'un cadre aussi avancé. Je me souviens des débats qui ont entouré l'adoption de la loi Copé-Zimmermann. À l'époque, de nombreuses voix affirmaient qu'aucune femme ne disposait du profil requis pour siéger dans un conseil d'administration. Aujourd'hui, les conseils d'administration du CAC 40 comptent 50 % de femmes et les performances économiques atteignent des sommets. L'argument selon lequel les talents féminins feraient défaut a perdu toute crédibilité.

Pourquoi les jeunes filles demeurent-elles si peu nombreuses dans les filières scientifiques ?

Permettez-moi de partager une hypothèse fondée sur mon expérience. Depuis vingt ans, j'observe une montée considérable des violences faites aux femmes. Très tôt, avant même la crise sanitaire, j'ai travaillé sur les violences intrafamiliales en entreprise. Réfractaire à investir ce sujet, la direction m'opposait alors l'argument de la séparation entre sphère privée et sphère professionnelle. L'irruption du télétravail durant le confinement a balayé cette frontière artificielle, l'espace domestique ayant intégré l'espace professionnel.

Nous avons alors été confrontés à des situations de violences touchant directement certaines de nos collaboratrices. Ce choc a agi comme un révélateur. Pour la première fois, la direction générale a réagi sans détour, en m'offrant « carte blanche » pour agir.

Depuis quatre ans, les 11 millions de factures envoyées chaque année par ENGIE comportent les numéros d'urgence : 39 19, 17, 114. Cette mesure traduit un engagement de service public, mais également un message adressé à nos clientes, à nos collaboratrices, et à l'ensemble de la société. Elle a permis une libération de la parole au sein du groupe ENGIE. De nombreuses femmes ont osé s'exprimer, parfois pour elles-mêmes, souvent pour leurs filles.

En 2024, ma rencontre avec Angélique Cauchy a profondément transformé mon regard. Victime de viols commis par son entraîneur de tennis entre l'âge de 12 et 14 ans, cette jeune femme m'a sollicitée afin de porter son combat au sein du groupe ENGIE. Son témoignage s'accompagne d'un constat accablant : en France, un enfant sur sept subit des violences dans le cadre d'activités sportives ordinaires. Parmi ces victimes, 85 % sont des filles. Sur les 7 millions d'enfants licenciés dans un club sportif, environ 900 000 relèvent de cette statistique tragique.

Angélique m'a alors livré une vérité bouleversante : les jeunes filles ayant subi de telles violences évitent ensuite, durablement, tout environnement à dominante masculine. Le lien avec les filières scientifiques, souvent perçues comme des espaces masculins, devient évident. La notion de safe space prend ici une dimension décisive.

Chez ENGIE, nous avons conditionné l'ensemble de nos partenariats sportifs à la mise en oeuvre de dispositifs de prévention. Aucun événement ne bénéficie de notre soutien sans engagement sur ces enjeux. Ce principe s'applique rigoureusement et produit déjà des effets concrets. Soucieuse d'évaluer la réalité de terrain, je me suis rendue auprès des jeunes. Les échanges ont confirmé l'analyse d'Angélique : les jeunes filles victimes de violences se détournent massivement des filières techniques, dès lors qu'elles y perçoivent une majorité masculine. Ce retrait constitue une réalité structurelle, et l'ampleur du phénomène impose une prise de conscience collective.

La chute récente de la part des filles à l'École polytechnique - de 21 % à 16 % en une seule année - doit être interprétée comme un signal d'alarme. Une diminution de cinq points ne saurait s'expliquer par une variation conjoncturelle. Elle manifeste, au contraire, l'installation d'une dynamique régressive, malgré les efforts engagés. Le déploiement du mentorat, la multiplication des programmes d'accompagnement, les cercles d'intérêt, les actions de terrain, ou encore les dispositifs tels que Tech pour Toutes ou Capital Filles, témoignent d'un engagement constant. Et pourtant, le recul s'accentue.

Ce paradoxe révèle une cause profonde. Les violences subies durant l'enfance façonnent durablement les trajectoires des petites filles, et le refus d'intégrer des univers masculins en constitue une conséquence directe.

Il devient impératif de concevoir une réponse collective. Entreprises, associations, pouvoirs publics, collectivités territoriales, l'ensemble des acteurs doit s'unir pour imaginer des dispositifs permettant aux jeunes filles d'accéder sans crainte aux filières scientifiques.

Mme Dominique Vérien, présidente. - Je vous remercie pour votre intervention. Cette tendance à la sexualisation croissante des professions mérite toute notre attention, d'autant qu'elle ne saurait être attribuée à une moindre capacité à affronter la complexité ou la compétitivité. La médecine en constitue une démonstration éclatante : malgré un environnement éminemment sélectif, les jeunes femmes y sont de plus en plus nombreuses, y compris dans des spécialités exigeantes comme la chirurgie. Plusieurs collègues ici présentes peuvent d'ailleurs attester que leurs filles s'y engagent avec détermination.

À l'inverse, d'autres secteurs connaissent une masculinisation déclinante : à l'École nationale de la magistrature, la sous-représentation masculine devient préoccupante.

Il semble qu'au-delà d'un seuil de 30 % de représentation, un groupe ne se perçoive plus comme minoritaire. En-deçà, au contraire, l'effet de minorisation devient manifeste et potentiellement dissuasif. Cette perception pourrait expliquer pourquoi certains jeunes hommes se détournent de métiers perçus comme « féminins », souvent synonymes de moindre reconnaissance symbolique. Il convient également d'interroger la corrélation entre féminisation des métiers et dévalorisation salariale : une profession majoritairement exercée par des femmes tend à être moins bien rémunérée, ce qui peut contribuer à l'éloignement des hommes.

Inversement, les femmes demeurent sous-représentées dans des environnements professionnels à forte dominante masculine, parfois en raison du climat de violence ou d'hostilité qui s'y déploie. À cela s'ajoute, me semble-t-il, un phénomène plus insidieux : l'influence de certains réseaux sociaux véhiculant des discours masculinistes, qui banalisent la violence, y compris dans la sphère conjugale, et réintroduisent des formes de domination comme mode d'expression générationnel.

Dès lors, comment interpréter cette accentuation des clivages genrés dans les trajectoires professionnelles ?

Elle conduit à une moindre présence des jeunes femmes dans les disciplines scientifiques dites « dures », mais également à un déficit de garçons dans des secteurs où leur participation reste pourtant nécessaire.

Mme Cécile Jolly. - La ségrégation sexuée horizontale tend à reculer dans son ensemble. Cette évolution s'explique notamment par une progression de l'accès des femmes à certains métiers, notamment ceux de cadre. Toutefois, des clivages importants subsistent, en particulier dans les professions très techniques - celles dont il est question ce matin - ainsi que dans les métiers d'employés et d'ouvriers.

Pour ces deux dernières catégories socio-professionnelles, la répartition reste profondément genrée : les aides-soignantes, les auxiliaires de vie ou les assistantes maternelles sont quasi exclusivement des femmes, tandis que les ouvriers du bâtiment ou de l'industrie demeurent très majoritairement des hommes. Les évolutions les plus notables proviennent davantage d'une féminisation progressive de certaines filières et métiers, comme dans le bâtiment. À l'inverse, les métiers historiquement féminins liés au care ne connaissent aucune masculinisation.

Cette répartition genrée reflète des stéréotypes profondément enracinés. Persiste ainsi l'idée que les hommes doivent assumer la responsabilité principale des revenus du foyer - une norme implicite de la masculinité encore difficile à déconstruire. Or, les métiers féminisés, souvent plus récents dans leur structuration professionnelle, sont moins valorisés financièrement, ce qui n'incite pas les hommes à les rejoindre.

Les rôles sociaux, en particulier l'assignation des femmes au care, pèsent également lourdement dans les trajectoires éducatives et professionnelles. Chez les jeunes filles, l'impact des prescripteurs apparaît particulièrement prégnant : nombre d'entre elles ne se dirigent pas de manière autonome vers les métiers du soin ou de l'aide à la personne. Une fois engagées dans ces filières, elles se heurtent fréquemment à une réalité déceptive : conditions de travail éprouvantes, horaires contraignants, recours massif au temps partiel contraint, déplacements multiples et non rémunérés. Même lorsque le taux horaire atteint le niveau du SMIC, la rémunération mensuelle demeure largement insuffisante. Cette prise de conscience intervient tardivement, à l'épreuve du terrain, rendant toute réorientation ultérieure particulièrement complexe.

Mme Elisabeth Richard. - ENGIE soutient le programme Capital Filles, qui vise à accompagner les jeunes filles issues de quartiers prioritaires ou de territoires ruraux vers des carrières scientifiques. J'ai eu l'occasion de participer à une rencontre à la Maison de la radio, aux côtés de lycéennes venues découvrir les métiers du futur. J'intervenais après une représentante de L'Oréal, qui évoquait les nombreuses opportunités scientifiques au sein de son entreprise. Sa prise de parole s'accompagnait de visuels représentant des figures emblématiques comme Julia Roberts et des slogans évocateurs tels que La vie est belle, de Lancôme.

Au fond, cette intervention posait une question essentielle : celle du rôle modèle. Les jeunes filles expriment le besoin de travailler dans une industrie qui les inspire et les fait rêver.

De notre côté, nous avons beaucoup évolué. Nous ne parlons plus simplement d'industries, mais de métiers de la décarbonation, de la protection de l'environnement, des énergies renouvelables. Ces missions ont du sens et résonnent profondément auprès des nouvelles générations. Il a toutefois fallu mener un travail de fond pour transformer l'image de nos entreprises industrielles, les rendre plus attractives et permettre à ces jeunes filles de s'y projeter.

La présidente de Siemens nous a d'ailleurs sollicités pour comprendre comment nous étions parvenus à susciter l'intérêt de ces jeunes filles. Il ne s'agit pas uniquement d'offrir des postes bien rémunérés : l'essentiel réside dans la capacité à leur permettre de se projeter.

Elles aspirent, comme cela a été souligné précédemment, à évoluer dans des safe spaces. J'en suis convaincue : plus les entreprises et les institutions scolaires seront protectrices, plus les jeunes femmes oseront s'engager dans ces filières - et l'effet sera réciproque.

Mme May Morris. - J'aimerais revenir sur la notion de safe space, en particulier au regard des bonnes pratiques issues du mentorat transversal. Nous avons été confrontées à de nombreux témoignages - parfois graves - qui n'avaient jusqu'alors trouvé aucun espace pour être exprimés ou traités. Ces paroles se sont libérées précisément parce que le dispositif de mentorat offrait un cadre protecteur, sans lien hiérarchique ni enjeu d'évaluation. Ce réseau permet ainsi de faire émerger des situations problématiques que les doctorantes, souvent isolées au sein de leurs institutions ou placées sous des tutelles multiples, ne savent pas toujours comment ou à qui signaler.

Grâce à ce cadre de confiance, nous avons pu accompagner plusieurs d'entre elles, y compris en engageant des discussions avec les tutelles concernées pour identifier des issues et proposer des solutions concrètes. C'est pourquoi je crois fondamental de garantir, au-delà d'un simple espace d'écoute ponctuel, un safe space pérenne où les jeunes femmes peuvent s'exprimer sans crainte de répercussions.

Plusieurs mentors se sont également confiées, partageant des récits de harcèlement, d'abus, voire de viols. Ces femmes sont devenues des rôles modèles, non pas parce qu'elles incarnent des figures idéalisées comme Julia Roberts, mais parce qu'elles sont des femmes, mères de famille parfois, et elles-mêmes marquées par des parcours heurtés par le sexisme ou la violence.

Ce type de témoignage, lorsqu'il émerge dans un cadre sécurisé, ouvre la voie à une prise en charge constructive, à l'émergence de solutions, à l'édification collective d'un environnement plus protecteur. Il me semble ainsi essentiel de penser ces safe spaces non pas comme des dispositifs à la marge, mais comme des éléments structurants de toute politique d'égalité.

M. Mathieu Arbogast. - En réponse à votre question sur l'orientation et la répartition sexuée des métiers, il convient, me semble-t-il, de distinguer deux volets : d'une part, la société dans son ensemble, et d'autre part, le fonctionnement institutionnel.

Sur le plan sociétal, les biais de socialisation genrée restent puissants. Une étude récente révèle que, dans les expositions scientifiques, les parents passent plus de temps à expliquer les contenus exposés à leurs fils qu'à leurs filles. Ce constat, dont les parents n'ont souvent pas conscience, montre à quel point les représentations influencent l'orientation dès le plus jeune âge. L'impact de l'entourage familial sur les trajectoires révèle, de toute évidence, l'ampleur du défi.

Sur le plan institutionnel, une étude conduite au CNRS sur la mobilité horizontale de nos personnels IT sur douze ans -- soit plus de 8 000 agents -- met en lumière une tendance préoccupante : la mixité diminue. Lors des changements de poste, les agents se dirigent vers des environnements déjà genrés : les femmes rejoignent des métiers féminisés, les hommes des secteurs à dominante masculine.

Cette dynamique met en lumière un double enjeu : d'une part, celui de la formation, abondante dans la fonction publique comme dans le secteur privé ; d'autre part, celui du fonctionnement et de la culture institutionnels, qui peuvent encourager -- ou freiner -- les mobilités vers des domaines moins stéréotypés. L'étude menée a permis de mettre en évidence ce phénomène encore peu interrogé et insuffisamment traité.

Mme May Morris. - Au-delà des stéréotypes, les témoignages recueillis au quotidien, tant au CNRS qu'à Montpellier, révèlent un sexisme encore profondément ancré.

Le sexisme ordinaire, qu'il s'agisse de mansplaining, d'attitudes condescendantes ou de dénigrement, constitue un véritable facteur de mal-être. Ces comportements, banalisés, s'accumulent et finissent par peser lourdement sur les femmes, jusqu'à provoquer des départs ou des réorientations vers des environnements féminins, perçus comme des safe spaces.

Il me semble essentiel d'ouvrir une véritable réflexion sur ces mécanismes. Nombreux sont les hommes qui n'en mesurent ni la portée ni les effets délétères.

M. Mathieu Arbogast. - Je souhaite également insister sur l'enjeu du sexisme et des violences, que j'aurais dû mentionner plus tôt. Les atteintes psychologiques soulignées par May Morris peuvent s'avérer aussi destructrices que les violences physiques ou sexuelles. Le sexisme, y compris dans ses formes dites ordinaires ou « bienveillantes », demeure très présent, y compris chez des personnes dont on attendrait qu'elles aient intégré les principes d'égalité.

Un exemple récent m'a été rapporté : une jeune chargée de recherche nouvellement recrutée au CNRS - ce qui suppose une réussite exceptionnelle à un concours extrêmement sélectif - s'est vu asséner par un collègue plus ancien : « De toute façon, tu as été recrutée parce que tu es une femme. » Cette remarque, profondément dévalorisante, l'a atteinte de plein fouet et a compromis, dès ses débuts, la confiance qu'elle avait en elle.

Il ne s'agit pas d'autocensure, mais bien de mécanismes de censure institutionnelle ou relationnelle, qui freinent l'engagement et l'ambition des femmes. Une directrice de recherche m'a également confié avoir reçu une évaluation si humiliante d'un projet qu'elle portait, qu'elle a tout simplement renoncé à déposer d'autres dossiers.

Mme Jocelyne Antoine, rapporteure. - Je vous remercie pour la richesse de vos interventions, qui éclaire déjà nombre de points. Quelques questions subsistent néanmoins.

D'abord, sur les stéréotypes de genre qui influencent encore l'orientation professionnelle des jeunes, ainsi que sur l'impact persistant de la maternité dans les trajectoires des femmes, y compris parmi les nouvelles générations. Pourriez-vous revenir sur ce volet spécifique de votre étude ?

Votre rapport de mai 2025 formule une vingtaine de propositions précises. Quelle réception ont-elles rencontrée ? Certaines ont-elles été mises en oeuvre ? Les pouvoirs publics s'en sont-ils saisis ?

La traduction concrète des idées demeure l'enjeu central, d'autant que les reculs semblent aujourd'hui l'emporter sur les avancées.

Vous avez également évoqué les violences subies par les enfants, notamment dans le sport, et leurs répercussions sur les choix d'orientation. Dans ce prolongement, je souhaiterais vous interroger sur l'influence des réseaux sociaux. La violence qui s'exprime sur TikTok atteint, ces derniers mois, un degré particulièrement préoccupant. On y observe une misogynie virulente, une forme de dégradation de la figure féminine et de sa place dans la société, au travers de contenus extrêmement choquants.

Cette tendance trouve-t-elle un écho dans vos travaux, notamment en ce qui concerne les interrogations des jeunes et l'influence des générations ? Mesure-t-on l'influence des réseaux sociaux et la violence qui s'y déploie ?

Enfin, concernant les dispositifs de sensibilisation et les référents égalité - notamment au CNRS - quel accueil rencontrent-ils sur le terrain, en particulier auprès de vos collègues masculins ?

Mme Laure Darcos, rapporteure. - Je tiens à vous remercier, car cette table ronde spécifique aux parcours scientifiques et aux enjeux de carrière constitue, à mes yeux, un apport fondamental à nos travaux.

Je souhaite également attirer votre attention sur l'exposition massive des mineurs à la pornographie en ligne. Malgré des années de mobilisation, un tribunal administratif a récemment annulé les mesures visant à restreindre l'accès à ces contenus. Pourtant, nous avons reçu des témoignages accablants : un enfant sur deux de moins de 14 ans a déjà été confronté à de la pornographie violente. Ce type de contenus façonne une vision dégradante des femmes, avec des conséquences graves sur les comportements et la construction sexuelle des adolescents.

Dans l'ensemble des auditions et témoignages que nous avons recueillis, un point revient de manière récurrente : l'autodétermination se construit très tôt, entre 5 et 10 ans. Or, il me semble que la sensibilisation des parents constitue un levier fondamental, ces derniers s'adressant différemment à leurs filles. Certaines études sociologiques l'ont démontré clairement : même lorsque les deux parents sont issus du milieu de l'ingénierie, ils n'orientent pas nécessairement leur fille vers ces filières. Ce constat invite à une prise de conscience plus large. Il me paraît donc essentiel de sensibiliser les professionnels eux-mêmes, notamment dans les entreprises, afin qu'ils incitent explicitement leurs enfants - et en particulier leurs filles - à se projeter dans les métiers scientifiques.

Par ailleurs, je salue les initiatives relatives aux rôles modèles, en particulier celles que vous avez évoquées au CNRS, et qui, me semble-t-il, se déploient également dans d'autres établissements publics. De même, le mentorat joue un rôle précieux, une fois les parcours engagés.

Toutefois, nous restons profondément attachés à une sensibilisation plus précoce. Il conviendrait d'intervenir dès le collège, de manière régulière et pas uniquement à l'occasion d'événements ponctuels comme La Fête de la Science. Il ne s'agit pas nécessairement de mobiliser de grandes figures comme Claudie Haigneré - que j'admire profondément et que nous avons d'ailleurs reçue récemment -, mais elle-même reconnaît que son parcours peut sembler hors de portée.

Nous devons multiplier les figures de proximité : des étudiantes ou de jeunes professionnelles capables de s'adresser à ces adolescentes, de leur assurer que les sciences sont accessibles, que derrière leur apparente abstraction se cachent des métiers concrets, porteurs de sens, y compris dans des secteurs perçus, à tort, comme moins attractifs.

J'ai notamment été frappée par la visibilité accordée au stand de L'Oréal lors du salon VivaTech, dont l'ampleur témoigne d'une volonté affirmée de valoriser les carrières scientifiques. Les associations nous l'ont d'ailleurs indiqué : ces actions de sensibilisation, bien qu'indispensables, mobilisent fortement les intervenantes, tant sur le plan professionnel que personnel. Même si elles ne sont pas encore assez nombreuses, leur présence auprès des collégiens constitue un levier déterminant pour favoriser l'égalité d'accès aux filières scientifiques.

La sursollicitation des femmes dans les jurys de recrutement constitue également un enjeu majeur. Du fait de leur sous-représentation, elles sont très fréquemment sollicitées afin d'assurer une forme de parité dans les instances de sélection. Ce déséquilibre crée un cercle vicieux, dans lequel une minorité assume une charge disproportionnée, avec un impact réel sur leur charge mentale et leur disponibilité. Il serait utile de réfléchir à des mécanismes de rééquilibrage de cet investissement.

La question des congés maternité demeure centrale. De nombreuses femmes témoignent d'un ralentissement ou d'un blocage dans leur progression professionnelle, en lien avec la maternité. En outre, assumer un poste à l'étranger devient particulièrement complexe lorsqu'aucun dispositif n'est prévu pour accompagner la famille. Lors des travaux menés dans le cadre de la loi de programmation pour la recherche (LPR), nous avons tenté d'identifier des solutions. Il pourrait être pertinent de s'inspirer des pratiques en vigueur dans le réseau diplomatique, où des mesures d'accompagnement du conjoint sont parfois envisagées.

De surcroît, certains témoignages que nous avons reçus font état d'appropriations abusives de travaux scientifiques. Il s'agit d'un véritable vol scientifique, doublé d'une violence hiérarchique. Il serait utile qu'un comité de déontologie soit institué pour dénoncer ces pratiques et permettre la libération de la parole.

Je souhaiterais conclure sur la question des quotas dans les classes préparatoires, actuellement à l'étude avec Elisabeth Borne. Permettez-moi de partager une expérience personnelle en lien avec la loi Copé-Zimmermann. J'ai suivi la formation du Certificat Administrateur de Sociétés portée par l'IFA et Sciences Po, mais n'ai jamais été retenue pour intégrer un conseil d'administration. N'étant ni dirigeante d'un grand groupe ni directrice financière, je ne corresponds pas aux profils habituels. On promeut les mêmes, au sein des mêmes réseaux, contribuant ainsi à un plafond de verre persistant.

Pourtant, dans d'autres domaines, les quotas ont démontré leur utilité. En politique, leur introduction a suscité des réticences, mais sans ces mesures volontaristes, nous n'aurions pas avancé. Je tiens d'ailleurs à saluer l'engagement constant de la gauche en faveur de la parité. La réforme de 2015, imposant des binômes femme-homme aux élections départementales, a marqué une étape essentielle, en dépassant la logique d'appoint des femmes en position de suppléance.

Ainsi, je suis convaincue que l'instauration de quotas devient aujourd'hui une nécessité. S'agissant des classes préparatoires, plusieurs scientifiques suggèrent de cibler spécifiquement le passage entre la première et la deuxième année de classe préparatoire. En effet, si de nombreuses jeunes filles franchissent avec motivation l'étape de Parcoursup pour intégrer une classe préparatoire, beaucoup décrochent avant d'atteindre la deuxième année. Leur adresser un signal clair, avec l'instauration d'un quota de 30 % en deuxième année, pourrait les inciter à poursuivre.

Mme Jocelyne Antoine. - Madame Morris, j'aimerais savoir si votre programme de mentorat intervient également en amont, à des niveaux plus précoces du parcours scolaire.

Connaissez-vous par ailleurs d'autres structures qui oeuvrent en ce sens ?

Une telle mobilisation serait essentielle, eu égard à la chute très marquée du nombre de jeunes femmes entre la première année de classe préparatoire et les années suivantes.

Mme Dominique Vérien, présidente. - Je relaie une question transmise par notre collègue Marie Mercier, à destination d'Elisabeth Richard.

Elle s'interroge sur le chiffre évoqué par Angélique Cauchy - « 1 enfant sur 7 victime de violences » - et souhaite en connaître l'origine précise : cette donnée provient-elle d'une étude dédiée au sport ou résulte-t-elle d'un croisement de données ?

Mme Annick Billon. - Je tiens à vous remercier, Mesdames, Monsieur, pour la qualité de votre présentation.

Vous avez évoqué plusieurs pistes intéressantes, parmi lesquelles les crèches éphémères, le mentorat ou encore les fresques de l'égalité. Il est rassurant de constater que ce dernier outil peut être mobilisé de manière vertueuse, contrairement à certains usages observés dans le milieu hospitalier, où il a parfois véhiculé des messages contraires aux principes d'égalité.

Nous observons, dans nos territoires, un désengagement croissant vis-à-vis de l'engagement bénévole. Plusieurs auditions antérieures l'ont souligné : nombre de femmes très engagées, notamment dans des associations comme Femmes & Sciences, expriment une forme d'épuisement, car leur engagement se fait souvent au détriment de leur carrière ou de leur vie personnelle.

Dans ce contexte, Madame Morris, pourriez-vous préciser la part des hommes dans vos dispositifs ?

Par ailleurs, je me réjouis de retrouver Elisabeth Richard, dont chacun connaît l'engagement, et avec qui nous avons eu l'occasion de partager un déplacement à New York, dans le cadre de la CSW, en présence également de notre collègue Olivia Richard.

Je me joins également à la question soulevée par notre collègue Marie Mercier : si le témoignage présenté par Angélique Cauchy est fondé sur un ressenti compréhensible, il me semble néanmoins essentiel de rappeler qu'une politique publique ne saurait reposer sur un sentiment.

Vous avez évoqué le chiffre d'un enfant sur sept, notamment dans le cadre des violences dans le sport. De quelles violences parle-t-on précisément ? Vous avez également mentionné que 85 % des jeunes filles seraient concernées : sur quelle base ces données reposent-elles ?

Il me semble, à ce stade, indispensable de disposer d'un état des lieux rigoureux, afin d'évaluer l'impact réel de ces violences sur l'orientation des jeunes filles. C'est à cette condition que nous pourrons formuler des réponses fondées sur des éléments incontestables.

Mme Dominique Vérien, présidente. - Permettez-moi de préciser la raison pour laquelle, avec Marie Mercier et Annick Billon, nous nous interrogeons sur les chiffres, notamment celui de 85 % de filles concernées. Lorsque Marie et moi avons corédigé un rapport sur les violences sexuelles faites aux mineurs, nous avions constaté qu'avant la puberté, les garçons étaient, eux aussi, particulièrement exposés. Les abus touchent presque autant les garçons que les filles à ce stade. Ce n'est qu'après la puberté, et bien sûr à l'âge adulte, que les femmes deviennent très majoritairement les victimes.

C'est pourquoi nous souhaitons obtenir des précisions sur les sources et les périmètres de ces données.

Mme Elisabeth Richard. - Les chiffres proviennent du ministère des sports. Je viens de les vérifier à nouveau. Nous communiquons largement sur ces données, à travers des campagnes de sensibilisation et des clips diffusés depuis plusieurs mois. Les statistiques -- édifiantes -- s'inscrivent dans le cadre de la stratégie officielle de prévention des violences portée par le ministère des sports. Si les études demeurent trop peu nombreuses, les témoignages recueillis dans les milieux du sport et du parasport révèlent l'existence de pratiques, de comportements et de propos inappropriés.

Ainsi, 79,2 % des athlètes interrogés déclarent avoir subi au moins une forme de violence psychologique, 40 % des violences physiques, et 28,2 % des violences sexuelles.

Ces données ont été présentées officiellement par Amélie Oudéa-Castéra en 2023. Une autre étude, conduite en Belgique (étude CASES), aboutit à des résultats similaires.

Mme Annick Billon. - Ma question portait également sur le lien entre les violences subies durant l'enfance et les choix d'orientation scolaire ou professionnelle.

Mme Elisabeth Richard. - La notion de safe space est au coeur de ce sujet. Comme plusieurs intervenantes l'ont souligné, les jeunes filles s'orientent majoritairement vers des filières dans lesquelles elles se sentent en sécurité, où la présence féminine paraît suffisante pour garantir un environnement perçu comme protecteur.

Mme Laure Darcos. - Elles demandent également une augmentation du nombre de places en internat pour faciliter leur poursuite d'études. D'autres suggèrent, sans aller jusqu'à la non-mixité, de pouvoir être regroupées au sein des classes, afin de constituer un noyau de solidarité féminine, dans lequel elles se sentent davantage soutenues.

Mme Elisabeth Richard. - Les jeunes filles ne veulent plus prendre de risques et expriment clairement le besoin d'être ensemble plutôt qu'isolées. Cette tendance ne relève pas d'un simple ressenti : les données disponibles révèlent un phénomène massif et éclairant. Le lien entre pratiques sportives, exposition aux violences et poursuite d'études soulève des questions essentielles sur les déterminants de l'orientation.

Mme Dominique Vérien, présidente. - Ce phénomène s'inscrit plus largement dans un climat sociétal général, car les mécanismes observés dans le milieu sportif se retrouvent également à l'école, dans les études supérieures, ou dans le cadre familial.

Je vous laisse à présent répondre aux différentes questions formulées par nos rapporteures.

Mme May Morris. - Sur la question des rôles modèles et des interventions précoces, l'association Femmes & Sciences s'implique d'ores et déjà en amont du lycée, y compris dans des établissements du premier degré. À titre d'exemple, Julie Batut, à Toulouse, a lancé le programme Primaths, qui intervient dans les écoles maternelles et primaires avec un discours adapté. À cet égard, il convient de souligner que les femmes assurent une part prépondérante - voire l'intégralité -- de ces interventions, ce qui contribue à un épuisement tangible, lié à leur forte mobilisation en faveur du changement.

S'agissant plus spécifiquement du mentorat à destination des doctorantes, l'exemple de Montpellier montre une participation masculine comprise entre 15 % et 20 %, selon les années. Les hommes engagés sont souvent pères de jeunes filles engagées dans des études supérieures ou conjoints de femmes scientifiques. Ils ont ainsi pleinement conscience des freins existants et souhaitent activement s'y confronter. Il conviendrait, à terme, de sensibiliser plus largement les hommes à ces enjeux, le mentorat pouvant constituer un levier d'évolution des représentations.

Concernant l'existence de programmes de mentorat à des niveaux plus précoces, quelques dispositifs peuvent être mentionnés. L'Institut Supérieur de l'Aéronautique et de l'Espace (ISAE-Supaéro) pilote ainsi le programme OSE (Ouverture Sociale Étudiante). Les Cordées de la réussite, bien que relevant d'une autre logique, participent également à cette dynamique. L'association Femmes & Sciences a, pour sa part, candidaté à l'appel à projets « Un enfant, un mentor ». Le projet présenté visait spécifiquement les territoires ruraux. Il n'a pas été retenu, mais des actions ont néanmoins été menées, notamment sous forme d'ateliers de sensibilisation à destination d'enseignants du secondaire, à l'initiative du rectorat de Montpellier. Le lycée Champollion de Lattes illustre également une initiative pertinente : un dispositif de « cadettes » met en lien des lycéennes en option ingénierie avec des femmes ingénieures.

Un déploiement plus systématique supposerait un travail étroit entre les collèges et les lycées. La contrainte majeure réside dans l'organisation du temps : les jeunes étant mineurs, toute intervention en dehors du temps scolaire requiert des autorisations spécifiques et pose des difficultés logistiques. Malgré tout, de nombreux programmes de mentorat existent, au-delà du champ scientifique, et l'association Femmes & Sciences reçoit de nombreuses sollicitations.

Un point d'attention particulier porte sur la reconnaissance de l'engagement des mentors. Alors que les femmes supportent souvent une charge bénévole importante, sans compensation, il conviendrait d'envisager une valorisation effective de cet investissement. Celle-ci pourrait ne pas être uniquement financière, mais également intégrée dans les parcours de carrière, à l'image de ce qui se pratique en Suisse ou en Allemagne, où le mentorat est reconnu comme un critère dans les promotions professionnelles.

S'agissant enfin des questions d'intégrité et de déontologie, j'accompagne actuellement trois personnes confrontées à des formes de harcèlement moral et physique, exercées par des supérieurs hiérarchiques ayant commis des atteintes à l'intégrité scientifique, notamment par l'appropriation de travaux ou de sujets.

Je suis également impliquée dans un cas plus récent, où un chercheur s'est tristement illustré par un mansplaining manifeste. Ce comportement a constitué un signal d'alerte précoce, suivi, quelques mois plus tard, par une tentative d'appropriation de résultats scientifiques.

Mme Laure Darcos. - Pourriez-vous expliciter le terme mansplaining, afin de mieux en comprendre les implications ?

Mme May Morris. - Le mansplaining désigne l'attitude d'un homme qui impose son point de vue à une femme, en prétendant lui expliquer un sujet qu'elle maîtrise souvent mieux que lui. Un collègue est intervenu de manière condescendante, affirmant, sur un ton paternaliste, mieux connaître l'interdisciplinarité sous prétexte de son expérience à Paris, de ses vingt doctorantes ou de ses cinquante jurys. Lorsque je lui ai répondu calmement en rappelant que nos parcours étaient comparables, il s'est emporté.

Cette posture initiale a rapidement évolué vers des comportements plus violents et une tentative manifeste d'appropriation de mes travaux. Je me trouve aujourd'hui encore engagée dans cette situation, que j'ai signalée par tous les canaux disponibles au sein du CNRS. Les dispositifs de remontée d'alerte existent, ils sont nombreux et accessibles. Encore faut-il qu'ils soient suivis d'effet.

Ainsi, il apparaît indispensable de disposer de cellules de signalement pleinement opérationnelles, car réduire la déontologie ou l'intégrité à la seule question de la fraude scientifique relève d'une approche restrictive.

Mme Cécile Jolly. - La pénalité à la maternité désigne l'écart de revenus constaté entre les femmes et les hommes dix ans après la naissance des enfants. Ce différentiel, qui n'existe pas du côté de la paternité, est aujourd'hui bien établi scientifiquement. À mesure que d'autres facteurs d'inégalités ont été en partie corrigés par la loi, cet écart persiste et s'explique essentiellement par deux phénomènes : l'interruption de carrière et la réduction du temps de travail. Ces mécanismes s'observent dès l'entrée sur le marché du travail, puis produisent des effets cumulatifs sur l'ensemble de la trajectoire professionnelle.

La perte de revenus devient particulièrement visible trois ans après la naissance, marquant l'écart le plus important entre le revenu initial et celui que les femmes auraient perçu si elles n'avaient pas eu d'enfant. Ce phénomène a des conséquences majeures, à la fois sur les parcours professionnels féminins, sur les droits à la retraite, et plus largement sur la participation des femmes à l'économie. Or, dans un contexte de déclin démographique et de ralentissement de la croissance de la population active, la stagnation du taux d'activité féminin constitue un vrai sujet d'inquiétude.

Ce taux reste stable depuis dix ans aux âges de la parentalité, pourtant décisifs en matière de contribution à la protection sociale. Si la France ne se situe pas parmi les pays les moins performants d'Europe, elle n'atteint pas non plus les niveaux les plus élevés. Cette stabilité concerne en particulier les femmes peu diplômées, souvent placées en position de second apporteur de revenus au sein du couple. Lorsqu'un homme gagne davantage, c'est généralement la femme qui s'arrête de travailler. Les données montrent que lorsqu'une femme perçoit un salaire supérieur à celui de son conjoint, elle poursuit son activité sans en réduire le volume. À l'inverse, un homme dont les revenus sont moindres maintient son emploi à temps plein. Cette logique d'arbitrage perpétue une répartition inégalitaire des charges parentales et domestiques, observée de manière constante dans toutes les enquêtes.

Par ailleurs, je considère que les violences s'enracinent dans les stéréotypes, lesquels participent activement à leur perpétuation. La dévalorisation du féminin, profondément ancrée dans ces représentations, ouvre la voie à des actes graves. Le même mécanisme s'observe à l'égard des enfants : on s'en prend à celles et ceux perçus comme fragiles.

À cet égard, il semble indispensable de changer le regard porté par les hommes. Il s'agit non seulement de les encourager, mais aussi de les obliger à prendre un congé paternité plus long, car en l'état, les employeurs ne les y incitent pas, voire les en dissuadent. Or, tous les spécialistes s'accordent à dire que l'égalité se construit dès la petite enfance. Ce que l'on observe dans ses premières années, on le reproduit ensuite.

C'est pourquoi nous plaidons pour un allongement du congé paternité, avec une durée obligatoire, dont une partie serait prise en dehors du congé de maternité. L'objectif est de permettre aux pères de s'impliquer concrètement dans les tâches parentales et d'en mesurer les exigences.

Le congé parental, réformé à plusieurs reprises, continue de produire un effet désincitatif à l'emploi pour les femmes les moins diplômées : dans les couples où les revenus sont équivalents, ce sont presque toujours elles qui s'arrêtent de travailler. Aujourd'hui, malgré les réformes, 0,5 % des hommes ont recours au congé parental.

Parallèlement, il convient de permettre aux femmes de reprendre leur activité dans de bonnes conditions, ce qui implique une offre de garde suffisante, incluant les crèches, les assistants maternels et des dispositifs d'accueil scolaire adaptés. L'objectif reste de garantir à toutes les mères qui le souhaitent la possibilité de retravailler, sans renoncer à la qualité de l'accueil de leurs enfants.

Nos propositions s'inscrivent dans un contexte plus large de prise de conscience. Les politiques publiques ont certes permis des avancées, mais les progrès ralentissent et certaines inégalités de genre s'approfondissent. Ce constat justifie que nous agissions collectivement pour notre avenir, celui de nos enfants et des enfants à naître. Les mesures annoncées par la ministre Elisabeth Borne vont d'ailleurs dans le même sens que nos recommandations.

Nous défendons pour notre part des objectifs chiffrés de progression de la mixité, davantage que des quotas rigides. La mixité est définie par un seuil d'au moins 35 % du sexe minoritaire dans les filières éducatives et dans l'emploi.

Pour permettre d'engager un cercle vertueux et atteindre des objectifs raisonnables, on propose une progression de la mixité de 2 % par an. Car il serait irréaliste d'espérer atteindre 40 % de jeunes filles dans les filières du numérique d'ici 2030, alors qu'elles ne représentent actuellement que 7 % des effectifs. À l'appui, nous proposons un système de bonification pour les établissements les plus engagés, afin d'encourager les efforts et d'éviter de pénaliser ceux qui rencontrent déjà des difficultés à cet égard.

Enfin, la question du numérique soulève des inquiétudes croissantes. Nous ne disposons pas, à ce jour, d'éléments permettant d'établir un lien de causalité formel entre la résurgence des stéréotypes de genre et la consommation intensive de contenus numériques par les enfants et les adolescents. En revanche, cette consommation - y compris de plateformes comme Pornhub, notamment par les garçons - est parfaitement documentée. Et les corrélations observées soulèvent des préoccupations majeures.

L'abondance de contenus dits « gris » -- échappant à l'application de la loi -- inquiète par ses effets insidieux : ceux-ci contribuent à une dévalorisation persistante de la figure féminine et renforcent les stéréotypes. Les algorithmes, en orientant les jeunes vers des contenus conformes à leur genre supposé, participent à cette polarisation : les adolescentes sont exposées à des influenceuses valorisant l'apparence et la beauté, tandis que les adolescents suivent des contenus traitant de jeux vidéo ou sportifs voire diffusant des discours masculinistes.

Certaines enquêtes laissent entrevoir un phénomène préoccupant déjà observable dans d'autres pays développés. Nous constatons aujourd'hui un phénomène de polarisation, non seulement entre groupes sociaux, mais également à l'intérieur même des groupes de sexes. Historiquement, le recul de l'adhésion aux stéréotypes de genre observé au cours des trente dernières années s'expliquait notamment par la progression du niveau d'éducation, le recul de la pratique religieuse et, plus largement, par une dynamique de convergence entre les perceptions des hommes et celles des femmes.

Or, les résultats récents de l'enquête que nous avons menée montrent un infléchissement de cette tendance. Entre 11 et 14 ans, les filles présentent un haut degré d'adhésion aux stéréotypes, qui tend à diminuer significativement entre 15 et 17 ans. Chez les garçons, en revanche, cette diminution reste marginale. Ce décalage constitue en soi un sujet d'alerte.

L'origine exacte de ce phénomène reste difficile à établir, ce qui souligne la nécessité de conduire des études approfondies. Dans cette perspective, nous formulons des propositions spécifiques concernant l'environnement numérique, en particulier la nécessité de mieux caractériser les contenus dits « gris », particulièrement stéréotypés.

Nous recommandons à cet égard d'interroger régulièrement les plateformes numériques sur les mesures mises en oeuvre pour limiter la diffusion de ces contenus, dans le cadre d'un mécanisme de name and shame annuel. Contrairement à une idée reçue, cette démarche apparaît techniquement réalisable : les usages des adolescents restent concentrés sur un nombre restreint de plateformes et de contenus, ce qui permettrait un ciblage efficace des actions à mener.

M. Mathieu Arbogast. - Il m'est difficile de prendre la parole après des interventions aussi fortes sur les violences sexistes et sexuelles, mais je souhaite néanmoins apporter quelques éléments complémentaires. Nombre des constats formulés rejoignent les analyses que la présidente et moi-même avons portées dans le rapport 2025 du HCE sur l'état du sexisme en France, notamment sur le service public de la petite enfance ou l'allongement du congé paternité obligatoire.

Par ailleurs, le baromètre du HCE, bien que récent, met en évidence cette polarisation genrée préoccupante, à la fois rapide et marquée. Les données convergent avec les résultats d'enquêtes internationales, telles que « Gender and Generation » ou l'enquête sociale internationale ISSP, dont certains modules sur les valeurs et le genre confirment cette tendance.

S'agissant de l'action du CNRS, nous nous appuyons sur un réseau de 600 référentes et référents égalité à l'échelle nationale. Ce maillage repose souvent sur des binômes ou trinômes, couvrant près de la moitié des 1 000 laboratoires répartis sur le territoire. La désignation des référentes et référents peut parfois relever d'une logique formelle, sans réelle appétence pour le sujet de la part de la personne concernée. Néanmoins, nous constatons qu'une culture de l'égalité émerge progressivement dans nos laboratoires, et les équipes nous sollicitent de plus en plus spontanément.

Pour garantir la légitimité de ces référentes et référents, il paraît indispensable de leur délivrer des lettres de mission claires. Ces documents leur permettent d'affirmer qu'ils s'inscrivent dans une politique institutionnelle structurée, et non dans une démarche militante isolée.

La sursollicitation des femmes, notamment dans le cadre des comités de sélection universitaire, constitue une difficulté bien identifiée. La question reste complexe, car il n'est pas aisé d'affirmer qu'il faudrait désormais réduire la part des femmes dans certains dispositifs, au motif qu'elles y sont aujourd'hui surreprésentées. Cette situation s'explique en partie par une répartition inégale des charges et par le fait que toutes les activités ne bénéficient pas de la même reconnaissance institutionnelle. Il conviendrait sans doute d'envisager des mécanismes de régulation -- comme des plafonnements du temps passé en comités de sélection ou en présidence de jury --, mais la réflexion reste à approfondir.

S'agissant de la double carrière, nous avions formulé une proposition au CNRS visant à mettre en place un dispositif permettant, lorsqu'une personne est susceptible d'être recrutée, d'accompagner également son ou sa conjointe dans la recherche d'un poste. Ce type de démarche suppose souvent des partenariats, notamment avec l'APEC, et peut engendrer un certain coût. Sa mise en oeuvre reste inégale selon les contextes, mais elle me semble pertinente et mériterait d'être expérimentée, même si elle n'a pas encore été retenue à ce stade, dans un environnement institutionnel où les priorités s'avèrent nombreuses.

Concernant les quotas, il n'existe pas, à ce jour, de consensus au sein du CNRS. Ils suscitent à la fois des soutiens et des réticences, selon le périmètre, les modalités et les objectifs envisagés. Il convient néanmoins de rappeler que certains quotas ont été mis en place dans les comités de recrutement, où ils ne suscitent plus de débat particulier.

Enfin, sur la question du surinvestissement des femmes par rapport aux hommes, il importe de l'affirmer sans détour : la responsabilité nous incombe, à nous, les hommes. Ce sont nos comportements, nos pratiques, qu'il convient d'interroger et de transformer.

De nombreuses chercheuses font aujourd'hui état d'un temps disponible de plus en plus restreint, bien moindre que dix ou quinze ans auparavant. Leur engagement, notamment dans les associations ou dans des actions extérieures à leurs missions statutaires, n'en est que plus remarquable. Cette évolution met toutefois en lumière une problématique structurelle : celle de la reconnaissance et de la valorisation des activités. Il apparaît indispensable d'objectiver cette réalité, en procédant à un recensement précis des tâches effectivement assumées au sein des laboratoires, assorti d'une pondération tenant compte du temps qu'elles mobilisent. Certaines activités donnent lieu à une reconnaissance, par le biais d'heures complémentaires ou dans les processus de promotion ; d'autres restent totalement inconsidérées. Or, à ce jour, aucune mise à plat de ces contributions n'est systématiquement menée.

La question du bénévolat renvoie également à celle de l'obligation. Sur ce point, je rejoins pleinement les propos précédents. Le lien avec le congé de paternité me semble particulièrement éclairant. Une étude de l'INED conduite par Ariane Pailhé et Anne Solaz a notamment mis en évidence que les hommes ayant effectivement pris leur congé paternité contribuaient plus directement à une répartition plus équilibrée des tâches au sein du couple.

Certes, un biais de sélection demeure : ceux qui font ce choix sont souvent déjà plus enclins à s'impliquer davantage dans la sphère familiale. L'instauration d'un caractère obligatoire permettrait de neutraliser cette variabilité et de réduire la charge mentale pesant sur les salariés qui, aujourd'hui, s'interrogent : « Ai-je le droit de prendre l'intégralité de mon congé ? Ma ou mon responsable hiérarchique le percevra-t-il positivement ? Mes collègues se moqueront-ils de moi ? ».

Dès lors qu'une mesure devient une norme, les dynamiques collectives s'en trouvent profondément modifiées : le regard de l'employeur évolue, tout comme les pratiques organisationnelles.

Mme Elisabeth Richard. - Permettez-moi d'apporter une dernière précision concernant les données évoquées : elles figurent dans le plan national de lutte contre les violences faites aux enfants, présenté par Elisabeth Borne pour la période 2023-2027. Il s'agit de chiffres officiels, disponibles sur le site du Gouvernement : un enfant sur sept est exposé à des violences dans le sport, toutes formes confondues. Ces statistiques, aussi saisissantes soient-elles, contribuent à une prise de conscience croissante, y compris dans les entreprises, où ces enjeux sont désormais mieux identifiés.

Je souhaiterais également revenir sur les effets du contexte international, et en particulier sur les signaux en provenance d'Amérique du Nord. Ils produisent, de manière croissante, un impact perceptible en France. Si les grands groupes poursuivent activement leurs engagements, conformément aux objectifs affichés, une tendance plus préoccupante se dessine dans certaines entreprises de taille intermédiaire ou plus modeste. Ces dernières semblent marquer un retrait progressif sur les politiques d'égalité professionnelle, notamment en matière de mixité des métiers.

Ce recul s'accompagne d'un discours diffus selon lequel les événements récents survenus outre-Atlantique remettraient en cause la nécessité d'intensifier l'action en faveur de la féminisation des filières et de la diversification des parcours.

Ce phénomène, que l'on observe depuis près de six mois, s'installe progressivement dans le paysage français et appelle à une vigilance accrue.

Mme Dominique Vérien, présidente. - La législation revêt une importance déterminante dans ce contexte.

Mme Elisabeth Richard. - Absolument. En tant qu'entreprise, nous appliquons la loi, et la loi française se montre particulièrement exigeante et structurante sur ces sujets. J'oppose systématiquement cet argument face aux tergiversations : il ne s'agit pas d'une option, mais d'une obligation légale. À titre d'exemple, la loi de 2006 sur le retour de congé maternité s'impose à tous -- il est donc légitime de s'interroger lorsque son application fait défaut. Nul n'est censé ignorer la loi, et c'est précisément en ce sens que les dispositifs législatifs adoptés sont à la fois nécessaires et bienvenus.

Je souhaite par ailleurs partager une expérience marquante, qui illustre combien les cultures organisationnelles peuvent encore faire obstacle à l'expression des talents féminins. En 2017, notre groupe avait lancé, à l'échelle internationale, une réflexion sur « les métiers de demain ». À cette occasion, le réseau des femmes d'ENGIE au Brésil avait formulé une proposition particulièrement novatrice, saluée jusqu'au plus haut niveau. Le président exécutif d'alors, séduit par leur initiative, avait souhaité les faire venir à Paris pour qu'elles présentent leur projet devant le comité exécutif. Enthousiasmées, elles s'étaient immédiatement mobilisées.

Mais dès le lendemain, le directeur local m'a contactée pour me faire savoir que, les collaboratrices relevant de son autorité, c'était à lui qu'il revenait de présenter le projet à Paris. Je m'y suis fermement opposée. Ce type de posture cristallise les formes insidieuses du plafond de verre et de contrôle managérial de proximité.

Finalement, elles ont pu venir à Paris, mais dans un climat d'inconfort manifeste. Elles n'ont pas souhaité prolonger leur séjour ni visiter d'autres sites du groupe : la pression psychologique ressentie les a incitées à effectuer un aller-retour express. Cette situation m'a profondément marquée. Elle témoigne du poids encore très réel que peuvent exercer certaines cultures hiérarchiques ou nationales, y compris dans des contextes d'ouverture et de reconnaissance institutionnelle.

C'est aussi pourquoi, dans les groupes internationaux à ancrage français, la force de la loi constitue un levier précieux.

Mme Dominique Vérien, présidente. - Je vous invite à formuler, chacune et chacun, un mot de conclusion. Nous devons en effet clore cette table ronde, car nous nous apprêtons à accueillir - justement -- une délégation d'une trentaine de hautes fonctionnaires brésiliennes, en visite en France dans le cadre d'un partenariat avec l'INSP.

Mathieu Arbogast, je vous laisse commencer.

M. Mathieu Arbogast. - Je souhaiterais conclure en insistant sur un point qui me semble essentiel, et sur lequel je me sens légitime à intervenir : la nécessité d'agir directement auprès des hommes. Non seulement en ce qui concerne leur rapport à la paternité et à l'investissement parental, mais également de manière plus globale, en particulier vis-à-vis des jeunes générations que nous avons évoquées.

Par ailleurs, au-delà des obligations réglementaires, il importe de promouvoir une logique de systématisation des dispositifs qui ont démontré leur efficacité. Lorsqu'une mesure devient la norme, et ne repose plus sur l'engagement isolé de quelques individus, elle permet d'atteindre plus justement et durablement celles et ceux qui en ont le plus besoin.

Mme Cécile Jolly. - Je tiens tout d'abord à remercier chaleureusement Mathieu, qui a pleinement assumé le rôle de caution masculine au sein de cette assemblée. J'aimerais voir davantage d'hommes engagés comme lui parmi nous.

Je remercie également la délégation de nous avoir auditionnés. Nous traversons un moment décisif, mais aussi périlleux, qui appelle une ambition politique forte et résolue.

Je vous suis reconnaissante de porter ce sujet avec détermination.

Mme May Morris. - Je tiens également à vous remercier. J'espère sincèrement que les propositions formulées pourront être relayées et entendues. Il me semble essentiel de réfléchir collectivement à la notion de safe space, permettant de reconnaître les situations, d'accompagner les personnes concernées et de les écouter avec bienveillance.

Par ailleurs, il convient de s'atteler à une transformation en profondeur de la culture des institutions, mais aussi de la culture sociétale dans son ensemble, afin d'éduquer, de sensibiliser et de sanctionner de manière cohérente.

Enfin, la monoparentalité constitue un enjeu spécifique, souvent aggravé par des situations de violence plus fréquentes et une précarité particulièrement accentuée pour les femmes qui en assument la charge.

Mme Dominique Vérien, présidente. - Nous avons en effet consacré un rapport aux familles monoparentales et en mesurons pleinement les enjeux. Nous savons en particulier que la séparation accentue le décrochage professionnel des femmes, un phénomène d'autant plus marqué lorsqu'elles ont préalablement réduit leur temps de travail à l'arrivée des enfants.

Mme Elisabeth Richard. - Je souscris pleinement à l'ensemble des propos exprimés. Pour ma part, je reste convaincue que les progrès ne peuvent advenir qu'en s'appuyant sur des éléments objectivés. Qu'on les nomme quotas ou objectifs chiffrés importe peu : il me semble essentiel d'y recourir, et je vous encourage vivement à avancer en ce sens.

Mme Dominique Vérien, présidente. - Je vous remercie sincèrement pour la richesse de vos contributions.

Il est apparu clairement, au fil de nos discussions, que tout commence par l'éducation. C'est pourquoi nous réaffirmons notre soutien à l'éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle (EVARS), voulue par la ministre d'État et ministre de l'éducation nationale, Elisabeth Borne, dans l'ensemble des établissements scolaires. Prévu par la loi depuis 2001, cet enseignement reste trop souvent inappliqué. Il est impératif qu'il soit enfin mis en oeuvre, car les représentations se construisent dès le plus jeune âge.

Enfin, nous manquons en France d'une véritable culture de l'évaluation. Définissons des objectifs clairs et mesurons systématiquement les résultats pour en apprécier la portée et ajuster nos politiques.

Sur ce message que je souhaite à la fois positif et mobilisateur, je vous renouvelle mes remerciements les plus chaleureux.