- Jeudi 26 juin 2025
- Désignation d'un membre du Bureau
- Désignation d'un rapporteur
- Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant un système commun en matière de retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier dans l'Union (contrôle de la conformité du texte COM(2025) 101 final au principe de subsidiarité) - Communication et proposition de résolution européenne portant avis motivé
- Étude sur la subsidiarité, la proportionnalité et le rôle des parlements nationaux dans le processus législatif européen - Audition de Mme Diane Fromage, professeur de droit européen à l'Université de Salzbourg
Jeudi 26 juin 2025
- Présidence de M. Jean-François Rapin, président -
La réunion est ouverte à 9 h 05.
Désignation d'un membre du Bureau
M. Jean-François Rapin, président. - Mes chers collègues, nous devons tout d'abord désigner un vice-président en remplacement de notre collègue Georges Patient, démissionnaire. Conformément à l'article 13 du Règlement du Sénat, le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants (RDPI) nous a fait part de son souhait de le remplacer par notre collègue Teva Rohfritsch.
Je vous propose donc de désigner Teva Rohfritsch comme nouveau vice-président de notre commission au titre du groupe RDPI.
Il en est ainsi décidé.
Désignation d'un rapporteur
M. Jean-François Rapin, président. - Je vous propose de désigner Brigitte Devésa rapporteure de la proposition de résolution européenne déposée par notre collègue Catherine Morin-Desailly sur la protection des mineurs en ligne. Elle sera en mesure de nous présenter sa position le jeudi 3 juillet.
Pour nous conformer à la nouvelle procédure prévue par l'article 73 quinquies C du Règlement du Sénat, il nous revient également de fixer un délai limite pour le dépôt des amendements, qui devra être effectué via l'application Ameli. Je vous rappelle que tous les sénateurs peuvent désormais déposer des amendements sur ces propositions de résolution, dès leur examen par notre commission. Je vous propose de fixer ce délai limite au mardi 1er juillet à 18 heures.
Il en est ainsi décidé.
Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant un système commun en matière de retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier dans l'Union (contrôle de la conformité du texte COM(2025) 101 final au principe de subsidiarité) - Communication et proposition de résolution européenne portant avis motivé
M. Jean-François Rapin, président. - Nous en venons maintenant à la communication de nos collègues André Reichardt et Audrey Linkenheld sur la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant un système commun en matière de retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier dans l'Union.
Ce texte, qui réforme la directive « retour » de 2008, a été présenté par la Commission européenne le 11 mars dernier. Le groupe de travail sur la subsidiarité l'a examiné et a décidé d'approfondir son examen au titre du respect des principes de subsidiarité et de proportionnalité.
Il s'agit évidemment d'un sujet politiquement sensible. À ce stade, nous ne prendrons toutefois pas position sur le dispositif, mais uniquement sur sa conformité au principe de subsidiarité. Il nous faudra ensuite très certainement envisager une prise de position sur le fond, à l'automne.
Je précise qu'une coordination a été assurée avec la commission des lois, qui ne se saisira pas de notre proposition, dans la mesure où le délai limite pour l'adoption d'un avis motivé est fixé au 27 juin, c'est-à-dire demain.
Sans plus attendre, je passe la parole à Audrey Linkenheld et André Reichardt pour qu'ils nous fassent part de leurs observations.
Mme Audrey Linkenheld, rapporteure. - Mes chers collègues, comme vous vous en doutez, mes analyses peuvent diverger de celles d' André Reichardt sur le fond de la réforme, par exemple sur la situation des mineurs étrangers en situation irrégulière. Mais tel n'est pas l'objet de la présente communication. En l'espèce, nous avons travaillé efficacement et, après avoir entendu les services de la Commission européenne et ceux de la direction générale des étrangers en France (DGEF) du ministère de l'intérieur, nous sommes parvenus à la conclusion qu'un projet d'avis motivé devait être présenté, en raison des nombreuses interrogations posées par la réforme au regard du principe de subsidiarité.
Je commencerai par évoquer le contexte de la réforme. Depuis 2008, les procédures d'éloignement des étrangers en situation irrégulière dans les États membres de l'Union européenne sont encadrées par la directive 2008/115/CE, dite « retour », qui a établi des règles européennes minimales pour organiser le retour dans leur pays d'origine ou dans un pays tiers des étrangers en situation irrégulière sur le territoire d'un État membre de l'Union européenne. Ce texte prévoit un délai de retour volontaire, allant de sept à trente jours, applicable sauf exception. Il encadre aussi les retours forcés ainsi que les possibilités de placer un étranger en situation irrégulière en rétention administrative.
Ce texte laisse une grande marge d'appréciation aux États membres, dès lors que ces derniers respectent les droits fondamentaux. À titre d'exemple, si la France, pour appliquer la directive, a institué les obligations de quitter le territoire français (OQTF) adoptées par les préfets, qui visent les étrangers en situation irrégulière sur le territoire national, elle a pu également instituer - hors champ de la directive - d'autres procédures telles que les expulsions à l'égard des étrangers qui menacent l'ordre public ou l'interdiction du territoire français (ITF), peine complémentaire prononcée par le juge pénal contre un étranger coupable d'un crime ou d'un délit puni d'une peine d'emprisonnement d'une durée supérieure ou égale à trois ans.
Toujours dans le cadre de la directive, le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (Ceseda) précise que la rétention est décidée en dernier ressort, pour une durée initiale de quatre jours. Elle peut ensuite être allongée, moyennant plusieurs réexamens de la situation par le magistrat du siège du tribunal judiciaire compétent, jusqu'à quatre-vingt-dix jours. Enfin, le droit français exclut en principe les mineurs des décisions d'éloignement et de rétention, ce qui n'est pas le cas dans tous les autres États de l'Union.
Cependant, la Commission européenne et les États membres considèrent aujourd'hui que la réforme du cadre européen des procédures de retour est impérative. Cette volonté a été exprimée dans les orientations politiques de Mme von der Leyen pour l'actuelle mandature, mais aussi par le Conseil européen dans ses conclusions du 17 octobre 2024.
Des réformes ont déjà été adoptées récemment avec le renforcement du rôle de l'agence européenne Frontex dans l'organisation des opérations de retour, l'adoption d'une stratégie européenne de retour volontaire, le développement d'accords dits « gagnant-gagnant » avec certains pays tiers clefs pour favoriser les procédures de retour, ou encore la création d'une procédure de retour à la frontière dans le cadre du pacte sur la migration et l'asile, prévu pour entrer en vigueur en juin 2026.
Toutefois, dans l'exposé des motifs de sa proposition, présentée le 11 mars dernier, la Commission européenne souligne que le taux d'exécution des décisions de retour, qui est estimé à 20 % au niveau européen et à 10 % en France pour les OQTF, est insuffisant. Et elle explique ensuite que les divergences entre législations nationales seraient la cause principale de cette situation.
M. André Reichardt, rapporteur. - La proposition de règlement tend d'abord et surtout à uniformiser les procédures de retour. Pour cela, elle harmonise les définitions applicables par référence à celles qui ont été adoptées dans le pacte sur la migration et l'asile. Ainsi, la proposition étend la définition du « pays de retour » vers lequel un étranger en situation irrégulière peut être éloigné, dans son article 4. Elle impose aux forces de l'ordre des États membres de vérifier l'état de vulnérabilité des étrangers en situation irrégulière, dans son article 6. Elle prévoit aussi que les décisions de retour des États membres devront s'insérer dans un format commun, appelé « décision de retour européenne », et être communiquées au système d'information Schengen (SIS).
En complément, l'article 9 de la proposition précise qu'au plus tard le 1er juillet 2027, à l'issue d'une évaluation, et par un acte d'exécution, les États membres devront exécuter les décisions de retour adoptées par un autre État membre du fait d'un mécanisme de reconnaissance mutuelle obligatoire de ces décisions.
En deuxième lieu, la proposition de règlement vise à renforcer les droits fondamentaux des personnes faisant l'objet d'une décision de retour, avec la nécessité de faire primer « l'intérêt supérieur de l'enfant » dans les procédures concernant des mineurs, la mise en place d'un mécanisme d'évaluation indépendant des procédures de retour - à l'article 15 -, ou encore l'instauration d'un effet suspensif obligatoire pendant la période maximale de quatorze jours durant laquelle une personne visée par une décision de retour pourrait la contester par un recours, aux articles 14, 27 et 28.
En troisième lieu, plusieurs mesures doivent assurer une meilleure prise en compte des enjeux de sécurité : on peut citer l'obligation de coopération imposée à l'étranger faisant l'objet d'une décision de retour, aux articles 21 à 23, qui est une déclinaison du pacte, mais aussi l'extension des durées maximales d'application de l'interdiction d'entrée dans un État membre de l'Union européenne - de cinq à dix ans - et de rétention administrative - de six à douze mois.
Enfin, en quatrième lieu, la proposition ouvre la possibilité aux États membres qui le souhaitent de passer des accords avec des pays tiers pour que ces derniers accueillent, dans des « centres de retour », des étrangers en situation irrégulière ayant fait l'objet d'une décision de retour (articles 4 et 17). Sans attendre, l'Italie a tenté de mettre en place un tel système avec l'Albanie, mais le devenir de cet accord dépendra de la conclusion des différents contentieux en cours.
Mme Audrey Linkenheld, rapporteure. - Cette proposition suscite plusieurs interrogations au titre du contrôle de subsidiarité, ce qui justifie selon nous l'adoption d'un avis motivé pour cinq motifs.
En premier lieu, la proposition de règlement n'est pas accompagnée d'une analyse d'impact et, selon nos interlocuteurs du ministère de l'intérieur, la concertation menée par la Commission européenne a été lacunaire. Le ministère a d'ailleurs pris l'initiative d'inviter les services de la Commission européenne dans une préfecture, début juillet, pour qu'ils se confrontent aux conséquences concrètes de leurs propositions.
Les services de la Commission ont certes produit un « document de travail », qui envisageait trois pistes d'évolution : l'amélioration de la directive « retour » actuelle (option a), la présentation d'un nouveau cadre normatif européen pour simplifier les procédures actuelles et proposer une harmonisation renforcée (option b, finalement retenue), ou encore la proposition d'un nouveau cadre normatif européen uniforme (option c).
Malheureusement, ce document de travail n'a pas la portée d'une analyse d'impact et il n'examine que très superficiellement la conformité de la réforme aux principes de subsidiarité et de proportionnalité. Il a par ailleurs été présenté tardivement - le 16 mai, alors que la proposition de règlement date du 11 mars dernier.
De plus, les explications de la Commission européenne sur « l'urgence » qui aurait interdit la production d'une analyse d'impact ne semblent pas convaincantes puisque, dans le même temps, elle met en avant le fait que les problèmes sont débattus depuis plusieurs années, qu'elle a mené une longue phase de consultation pour connaître les avis des parties et que de nombreux experts ont été sollicités.
Le deuxième motif retenu dans notre projet d'avis motivé est relatif à l'absence de toute référence aux « États membres » dans le titre de la proposition de règlement, alors qu'une telle référence est affirmée dans celui de la directive 2008/115/CE. Cette absence n'est pas seulement symbolique ; elle est tout simplement contraire aux traités.
En effet, si la mise en place d'un espace de liberté, de sécurité et de justice par le traité de Lisbonne a confirmé le développement d'une politique commune de l'asile et d'une politique commune de l'immigration par l'Union européenne, ces dernières ne constituent pas une compétence exclusive de l'Union européenne. Au contraire, ces politiques sont d'abord mises en oeuvre par les autorités et juridictions des États membres, avec un appui de l'Union européenne, et non l'inverse.
En outre, conformément au traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), ces politiques communes ne doivent porter atteinte ni aux responsabilités des États membres dans le maintien de l'ordre public et la sauvegarde de la sécurité intérieure - article 72 -, ni à la délimitation de leurs frontières - article 77 -, ni à leur droit de fixer des volumes d'entrée de ressortissants de pays tiers sur leur territoire dans le but d'y rechercher un emploi - article 79, paragraphe 5.
Cette absence de mention est d'autant plus incohérente que le corps même de la proposition de règlement ne cesse de faire référence au territoire et à la responsabilité des États membres pour mettre en oeuvre la réforme.
M. André Reichardt, rapporteur. - Le troisième motif retenu est relatif aux conséquences du remplacement de l'actuelle directive 2008/115/CE, qui est une directive d'harmonisation minimale, par une proposition de règlement d'effet direct et d'application immédiate, dont l'adoption doit permettre « d'uniformiser » les procédures de retour applicables dans les États membres, avec, en particulier, la mise en place progressive d'une procédure de reconnaissance mutuelle obligatoire des décisions de retour entre États membres au plus tard le 1er juillet 2027 - article 9.
En effet, la Commission européenne n'apporte aucun élément probant pour expliquer que le remplacement de l'actuelle directive « retour » par un règlement était nécessaire : au contraire, le document de travail de ses services publié le 16 mai confirme que l'option retenue par la Commission européenne « pourrait être mise en oeuvre soit par une directive, soit par un règlement ». C'est donc bien un motif de communication politique qui a présidé au choix d'un règlement.
Mais, au regard du principe de subsidiarité, ce choix aura trois effets immédiatement perceptibles et lourds de conséquences.
Le premier effet va être une limitation évidente des marges d'appréciation accordées aux États membres pour mettre en oeuvre les décisions de retour, même si la proposition reconnaît le droit de chaque État membre de s'opposer à la reconnaissance d'une décision de retour d'un autre État membre, pour des raisons d'ordre public.
Mais en application de cette exception, la France pourra-t-elle continuer à refuser d'exécuter une décision d'éloignement concernant un mineur adoptée par un autre État membre ? Interrogés sur ce point, les services de la Commission européenne se veulent rassurants. Ceux du ministère de l'intérieur, eux, ont été plus prudents, estimant que si la réglementation actuelle était maintenue, c'est la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) qui trancherait ce point.
On peut aussi noter que le projet de règlement a supprimé sans justification l'exclusion des décisions d'éloignement résultant d'une sanction pénale qui était prévue par la directive de 2008. Ainsi, le régime qu'il institue s'appliquerait à l'interdiction du territoire français (ITF) prévue en droit français : or, les dispositions procédurales qu'il prévoit paraissent difficilement compatibles avec la pérennité de cette sanction pénale.
Plus généralement, le texte prévoit de nouvelles procédures obligatoires pour les services des États membres, qui sont déjà sous tension : ainsi, l'examen de vulnérabilité, le format unique pour les décisions de retour, la reconnaissance mutuelle obligatoire des décisions de retour sont autant de charges supplémentaires pour ces services qui ne sont pas évaluées par la Commission européenne, faute d'analyse d'impact. Or cette charge semble excessive.
Enfin, si une telle réforme est adoptée en l'état, il faudra bien adapter, sans délai, notre droit à ce nouveau texte qui primera sur les dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (Ceseda). Ces dernières seront nombreuses à devenir obsolètes. Pour reprendre les mots du directeur général des étrangers en France (DGEF), le préfet Éric Jalon, c'est un « élément qui fait peur », car la nécessaire adaptation de notre droit sans procédure claire conduirait nécessairement, selon lui, à une « paralysie » des procédures d'éloignement.
La deuxième conséquence de l'adoption d'un règlement est très importante pour nous, mes chers collègues, car elle entraînera la fin de la possibilité, pour le Parlement français, de se prononcer sur le nouveau dispositif européen de retour et, le cas échéant, de l'adapter aux spécificités de notre pays, faute de mesures de transposition. En effet, en raison de « l'effet cliquet » constaté à chaque transfert de compétences à l'Union européenne, tout retour en arrière en faveur des parlements nationaux semble peu probable.
La troisième conséquence de ce choix sera d'engendrer des coûts supplémentaires et non maîtrisables par les États membres, du fait de la compensation financière - prévue à l'article 9 - qu'un État membre exécutant une décision de retour à la place de l'État membre ayant adopté cette décision pourra exiger de ce dernier.
J'en viens au quatrième motif retenu pour justifier notre avis motivé : si la proposition de règlement est adoptée dans sa rédaction actuelle, on peut s'interroger sur le devenir des mesures d'exécution d'office, applicables par exemple en matière d'expulsion, et des autres mesures qui peuvent être prises dans la continuité immédiate d'une décision de retour. De telles mesures semblent, en l'état du texte, incompatibles avec l'effet suspensif automatique instauré le temps du délai de recours de quatorze jours ouvert à un étranger en situation irrégulière contre la décision de retour qui le concerne.
Enfin, en cinquième lieu, dans notre projet d'avis motivé, nous regrettons le recours massif aux actes d'exécution, qui sont prévus à l'article 291 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), et qui sont adoptés par la seule Commission européenne.
Ainsi, ce sont des actes d'exécution qui définiraient le contenu et le format de la future « décision de retour européenne », mais aussi du formulaire type valide pour les demandes de réadmission. De tels actes institueraient également le caractère obligatoire de la procédure de reconnaissance mutuelle des décisions de retour entre États membres. Ils détermineraient enfin le montant de la compensation financière due par l'État membre d'émission d'une décision de retour à l'État membre qui a exécuté cette décision. Or, ces éléments importants devraient figurer, soit dans le corps du règlement, soit dans des annexes.
En effet, ces actes ne sont pas soumis au contrôle des parlements nationaux des États membres, et donc du Sénat, qui seraient exclus de l'examen de ces évolutions. Cela paraît démocratiquement plus que contestable. Il est en fait demandé au Sénat de donner un « blanc-seing » en amont de la présentation intégrale du dispositif, sans qu'il puisse l'évaluer a posteriori.
Pour finir, je me permets de constater que nos observations sont en cohérence avec les conclusions du rapport de notre commission sur la « dérive normative » de l'Union européenne, qui a été présenté en décembre dernier.
Pour rappel, ce dernier demandait à la Commission européenne de présenter systématiquement une analyse d'impact avec ses propositions de règlement et de directive. Il recommandait également à la Commission européenne de privilégier les directives aux règlements, car les directives permettent de mieux tenir compte des traditions juridiques des États membres et leur laissent une réelle marge d'appréciation. Enfin, le rapport demandait à la Commission européenne d'éviter l'usage excessif des actes d'exécution et des actes délégués.
Vous l'avez compris, mes chers collègues, Audrey Linkenheld et moi-même estimons qu'il conviendrait de faire droit à l'excellent rapport de M. le président Rapin et de voter à l'unanimité cette proposition de résolution portant avis motivé.
M. Jean-François Rapin, président. - Merci pour ce travail de contrôle rigoureux. Vos observations semblent effectivement confirmer l'analyse du groupe de travail sur la subsidiarité concernant les difficultés posées par la proposition de règlement « retour » au regard du respect du principe de subsidiarité.
Mme Sophie Briante Guillemont. - Je partage en tous points les propos des rapporteurs. J'aurais toutefois une question concernant le choix politique de la Commission européenne de présenter un règlement. Comment a-t-elle justifié cette décision ?
Mme Audrey Linkenheld, rapporteure. - La justification de la Commission européenne repose sur le constatque le taux d'exécution des décisions de retour demeure aujourd'hui trop faible - de l'ordre de 20 %, contre un niveau légèrement supérieur avant la crise sanitaire liée au Covid-19. À ses yeux, cette faiblesse résulte directement de la disparité des législations nationales, notamment en lien avec les mouvements secondaires. Elle vise des situations où une personne entre dans un premier État membre, y fait éventuellement l'objet d'une décision de retour, puis passe dans un second État membre qui n'exécutera pas cette décision.
Sur cette base, la Commission européenne allègue que les divergences nationales empêchent toute avancée significative, alors même que les États membres ont clairement affirmé leur souhait d'une politique de retour plus efficace. La Commission a donc considéré qu'il fallait un outil réglementaire susceptible de passer outre aux blocages des États membres.
Les services de la Commission européenne ont été très clairs sur ce point. En revanche, lorsqu'on les a interrogés sur la réaction des États membres, leurs réponses sont demeurées assez vagues. Or la France n'est pas le seul pays État membre embarrassé par le recours à un règlement. Procéder ainsi, en catimini, sans permettre aux États membres, et en particulier aux Parlements nationaux, de se prononcer, va clairement à l'encontre de l'esprit même qui nous anime ici.
Ce texte comporte des éléments que je trouve intéressants sur le fond, mais qui ne conviendront pas à certains de nos collègues : on peut évoquer la possibilité d'un délai suspensif de 14 jours pour permettre à un étranger faisant l'objet d'une décision de retour de contester cette dernière par voie de recours, mais aussi l'introduction d'un examen de la vulnérabilité lors de la vérification de l'identité d'un étranger, ou encore l'intégration dans le champ du cadre juridique européen sur les « retours » de l'interdiction du territoire français (appelée aussi « double peine »). Il s'agit d'un sujet éminemment politique. L'énonciation de ces dispositifs démontre qu'il est pour le moins surprenant de faire l'impasse d'un véritable examen de fond par le Parlement, s'agissant d'un sujet aux conséquences importantes, tant en termes d'organisation administrative que de charge de travail, de coût, et même de portée symbolique.
Je souhaite également revenir sur la question des mineurs. Aujourd'hui, la France fait partie des rares États membres à ne pas procéder à leur éloignement. La reconnaissance mutuelle obligatoire des décisions de retour pourrait nous placer devant une alternative : soit accepter l'éloignement de mineurs sur la base d'une décision prise par un autre État membre ; soit maintenir notre position actuelle, en refusant tout éloignement, ce qui, sans naïveté, pourrait conduire à ce que, de manière un peu caricaturale, tous les mineurs d'Europe viennent se réfugier en France, dans le cadre de mouvements secondaires, en sachant qu'ils y seront protégés. Ce n'est pas le sens que nous voulons donner à la solidarité européenne.
Enfin, au regard de ce qui précède, nous vous proposons d'amender légèrement le paragraphe 16 de la proposition d'avis motivé. Celui-ci évoque, à propos de la proposition de règlement, la question du droit au recours et un possible impact direct sur notre droit national, notamment en matière d'exécution d'office des interdictions du territoire français. La formulation actuelle pourrait laisser croire que c'est le fond même qui nous dérange. Or, ce qui nous pose problème, c'est que cette disposition contrevient au droit en vigueur en France, sans que le Parlement ait été, à un moment ou à un autre, associé au travail préparatoire. Nous proposons donc simplement d'ajouter une phrase pour clarifier ce point. Cela ne modifie en rien l'analyse qu'André Reichardt et moi-même venons de vous présenter.
Nous vous proposons donc de rédiger ainsi le paragraphe 16 : « En quatrième lieu, le Sénat déplore que la proposition de règlement contrevienne à plusieurs dispositions du droit national en vigueur. Attaché à l'exercice d'un droit au recours effectif des personnes faisant l'objet d'une décision de retour, il constate en particulier que l'effet suspensif automatique de 14 jours maximal qui serait prévu par la proposition (articles 14, 27 et 28) pourrait induire la modification ou la suppression de mesures du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) autorisant actuellement l'exécution d'office de certaines décisions, telles que les peines d'interdiction du territoire français (ITF) ; ».
La proposition de modification des rapporteurs est adoptée.
M. André Reichardt, rapporteur. - Comme le disait Audrey Linkenheld, le choix d'un règlement marginalisant les parlements nationaux est une décision éminemment politique. À partir du moment où le taux de retour est jugé insatisfaisant par la Commission européenne, l'explication qui nous a été donnée oralement par les représentants de cette dernière est la suivante : en raison de réglementations nationales très hétérogènes, il faut mettre un terme à ce chaos et « régimenter tout ça » - j'emploie ce terme à dessein.
Cette volonté éclaire l'ensemble du dispositif. Il s'agit d'une forme de « mise au pas » : il faut désormais avancer en ordre et « cesser de rigoler ». L'objectif affiché est clair : éviter les transpositions car, sinon, la procédure est rallongée de plusieurs mois, voire de plusieurs années.
Mme Audrey Linkenheld, rapporteure. - Dans l'entretien que nous avons eu avec les services de la Commission européenne, nous avons longuement évoqué la question des mouvements secondaires. Or ce sont bien les États membres qui en subissent les conséquences et qui se disent gênés par ces mouvements. Le problème ne se situe pas tant aux frontières extérieures de l'Union européenne que dans le passage d'un État membre à l'autre. On peine donc à comprendre en quoi cela relèverait prioritairement de la compétence de la Commission européenne. Celle-ci se montre très préoccupée par les mouvements secondaires, mais, en l'occurrence, elle ferait mieux de se concentrer sur les sujets qui la concernent directement, au lieu de chercher à régimenter un dispositif dont les répercussions pèsent d'abord sur les États membres.
Un autre sujet délicat se profile derrière cette logique : celui de la notion de « pays tiers sûr ». Il s'agit normalement d'une notion propre au droit d'asile, qui ne devrait donc pas concerner les étrangers en situation irrégulière éloignés au titre de la rétention. Pourtant, certains États membres utilisent cette même définition à la fois pour l'asile et pour la rétention. De surcroît, la liste des pays considérés comme sûrs varie d'un État membre à l'autre. Je pense notamment à la Syrie ou à l'Afghanistan. Aujourd'hui, certains États membres considèrent que ces pays sont sûrs, ce qui n'est pas le cas de la France. Ce sont là des sujets qui mériteraient d'être débattus, à condition bien sûr que l'on accorde une place réelle à l'expression des parlements nationaux sur ces questions lourdes de conséquences.
La commission adopte, à l'unanimité, la proposition de résolution européenne, ainsi modifiée, portant avis motivé sur la conformité au principe de subsidiarité, disponible en ligne sur le site du Sénat.
M. Jean-François Rapin, président. - La procédure prévoit que, dès demain, ce texte deviendra une résolution du Sénat portant avis motivé. Il sera alors transmis aux institutions de l'Union européenne, en particulier à la Commission européenne.
En vertu des règles actuelles, il faut qu'un tiers des Parlements nationaux adopte un tel avis motivé - ou un quart, lorsqu'il s'agit de matières relevant de l'espace de liberté, de sécurité et de justice, comme c'est le cas en l'espèce- pour contraindre la Commission européenne à reconsidérer sa proposition. Cette procédure, dite du « carton jaune », peut conduire, le cas échéant, au retrait du texte.
À ce jour, seuls trois cartons jaunes ont été prononcés. Je ne suis pas certain que nous parvenions à réunir le nombre requis sur la question qui nous occupe aujourd'hui.
Il faut savoir en outre que le délai de huit semaines dont disposent les parlements nationaux pour adopter un avis motivé s'apprécie à compter de la date de transmission du projet d'acte dans les langues officielles de l'Union.
La procédure est très dépendante de la capacité de réaction des États membres. L'administration des parlements de certains États de petite taille n'est pas en mesure de produire des avis motivés, ce qui limite notre capacité d'action par rapport à la Commission européenne.
Dans le même esprit, la force de proposition des parlements nationaux est bridée pour l'adoption des conclusions de la Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires (Cosac), où des majorités considérables sont exigées pour que des amendements, même très pertinents, soient adoptés. C'est assez déplorable. Il est temps selon moi de revoir ces règles de majorité. Elles ont été établies à une époque où tout allait bien et où tout passait plus facilement dans l'Union européenne. Aujourd'hui, des réflexions sont en cours sur ces questions. Les parlements nationaux ont leur rôle à jouer dans la démocratie européenne et doivent pouvoir être entendus.
Il faut noter qu'en 2023, le Sénat français était la troisième chambre la plus active en matière d'avis motivés transmis aux institutions de l'Union européenne après la Chambre des députés italienne et le parlement suédois, le Riksdag, à égalité avec le Sénat italien. Mais en Suède, le fonctionnement est très différent : le Gouvernement ne prend aucune décision à l'échelle européenne sans consulter la commission des affaires européennes, d'où cette forte activité.
À mon sens, les règles de majorité actuelle vont à l'encontre d'une expression saine des parlements nationaux. Lors de la prochaine Cosac qui se tiendra au Danemark, j'interviendrai pour indiquer qu'elles commencent à nous poser de sérieux problèmes démocratiques.
Mme Sophie Briante Guillemont. - Notre avis motivé de ce jour sera-t-il envoyé directement pour information aux parlements nationaux ?
M. Jean-François Rapin, président. - Oui, bien sûr. Nos services font un travail de lobbying auprès des autres États membres. Certains parlements reprennent parfois mot pour mot nos travaux. Cela ne nous gêne pas. L'important est qu'ils s'expriment.
Je me permets de donner la parole à Mme Diane Fromage, professeur de droit européen à l'Université de Salzbourg, que nous allons auditionner et qui a assisté à notre réunion en attendant.
Mme Diane Fromage, professeur de droit européen à l'Université de Salzbourg. - Même si les seuils n'ont pas été modifiés dans les traités, la Commission européenne a progressé dans sa façon de travailler sur ce point. Depuis 2018, elle a la possibilité de répondre de manière agrégée aux avis motivés dès lors qu'un certain nombre de parlements nationaux se sont exprimés, quand bien même ce dernier reste inférieur aux seuils prévus dans les traités. Compte tenu de la difficulté d'appliquer les seuils, mais aussi du fait que la Commission est demandeuse « d'inputs » de la part des parlements, elle fournit désormais des réponses beaucoup plus détaillées.
M. Jean-François Rapin, président. - Les choses évoluent progressivement. Peut-être est-ce le moment, tout de même, de suggérer une modification des seuils. Le problème se pose également pour les avis politiques, auxquels la Commission doit aussi répondre. Nous en produisons beaucoup et il s'agit selon moi de l'outil d'expression le plus pertinent pour le Sénat.
M. André Reichardt. - Au-delà des seuils, il faudrait aussi demander la modification des délais dans lesquels nous devons fournir ces avis motivés. Il est extrêmement difficile de travailler dans de tels délais, qui exigent une grande assiduité des services concernés. Je suis intimement persuadé que cela peut conduire certains collègues dans d'autres parlements à renoncer.
Je ne me retrouve pas dans ce fonctionnement de l'Union européenne. Appliquer le règlement « retour » reviendrait, selon les termes du préfet Jalon, à écraser le Ceseda. Est-ce ainsi que l'on fonctionne dans cette Union européenne ? Parce que l'on estime, en haut, que cela doit changer, on déciderait de ne plus appliquer toute une partie d'un code pourtant voté par le Parlement. À tout le moins, nous demandons un assouplissement des délais. Les parlements nationaux doivent avoir le temps de réagir dans de bonnes conditions.
M. Jean-François Rapin, président. - Nous pourrons exprimer cette revendication également. Pour aboutir, ma proposition devra recueillir l'unanimité des parlements européens. Si je ne doute pas du soutien de mon homologue de l'Assemblée nationale et d'un certain nombre de parlements, l'unanimité me semble toutefois inaccessible. Je ferai néanmoins cette demande, qui n'a jamais été formulée jusqu'ici.
Monsieur Reichardt, je suis tout à fait d'accord avec vous. Mon combat depuis que je suis président consiste à impliquer de façon beaucoup plus pragmatique les parlements nationaux dans les décisions européennes. J'ai noté, dans mes relations interparlementaires, une volonté croissante des parlements nationaux d'exister et d'apporter une voix parfois dissonante, mais nécessaire au fonctionnement de l'Union.
Les esprits changent et nos homologues sont peut-être plus coopératifs. J'ai vu la bascule s'effectuer sous la présidence belge. Lors de la Cosac, 90 amendements avaient été présentés sur la résolution finale. C'était totalement inédit et cela voulait dire quelque chose. En Pologne, encore récemment, nous avons présenté de nombreux amendements sur la résolution finale avec les Allemands. Quelques voix contre suffisent aujourd'hui à rejeter un amendement, quand bien même ce dernier recueille une large majorité en sa faveur, compte tenu de la nécessité de recueillir une majorité qualifiée des trois-quarts... J'ai tout de même l'impression que les choses évoluent dans le bon sens et que le nouveau Parlement européen, en tout cas ses représentants auprès des parlements nationaux, sont beaucoup plus attentifs à nos préoccupations. Nous le devons à la présidente Metsola, à qui j'ai signifié que la situation ne pouvait plus durer : on ne peut pas opposer Parlement européen et parlements nationaux. Les députés européens ont des prérogatives, nous en avons aussi. Ils ne veulent pas perdre les leurs, nous ne voulons pas perdre les nôtres. Si nous arrivons à trouver un chemin convergent, notre travail commun pourrait être très intéressant.
Étude sur la subsidiarité, la proportionnalité et le rôle des parlements nationaux dans le processus législatif européen - Audition de Mme Diane Fromage, professeur de droit européen à l'Université de Salzbourg
M. Jean-François Rapin, président. - Nous avons le plaisir à présent de recevoir Mme Diane Fromage, professeur de droit européen à l'Université de Salzbourg. Je précise que cette partie de notre réunion fait l'objet d'une captation vidéo et est diffusée sur le site Internet du Sénat.
Madame Fromage, vous êtes intervenue à plusieurs reprises au Sénat. Vous suivez de très près les pratiques des parlements nationaux dans les affaires européennes et vous venez d'ailleurs d'assister à notre commission. Vous avez récemment remis à la commission des affaires constitutionnelles du Parlement européen une étude sur la subsidiarité, la proportionnalité et le rôle des parlements nationaux dans le processus législatif européen. Vous y analysez de manière détaillée la façon dont le respect des principes de subsidiarité et de proportionnalité a été contrôlé par les parlements nationaux et pris en compte par les institutions de l'Union. Vous y formulez également plusieurs propositions, que vous ne manquerez pas de nous présenter.
En conclusion de votre intervention liminaire de quinze à vingt minutes, vous pourrez nous rappeler les circonstances dans lesquelles ce rapport vous a été commandé par le Parlement européen et nous indiquer les retours que vous avez eus depuis sur ces propositions.
Mme Diane Fromage, professeur de droit européen à l'Université de Salzbourg. - C'est un honneur et un plaisir d'intervenir de nouveau au Sénat. Je vous remercie de m'avoir permis d'assister à vos travaux ; je travaille depuis plus de quinze ans sur les parlements nationaux dans l'Union européenne et il était donc tout à fait intéressant d'observer la pratique.
J'ai en effet été chargée par la commission des affaires constitutionnelles du Parlement européen d'actualiser une étude que j'avais effectuée en 2022 sur les questions de la subsidiarité. Il s'agit cette fois d'examiner la subsidiarité, la proportionnalité et le rôle des parlements nationaux. Ces deux principes sont tout à fait complémentaires et parfois même difficiles à distinguer, la proportionnalité faisant partie intégrante, à mon sens, de la subsidiarité. Ce rapport a été présenté en mai au Parlement européen, puis devant le réseau des parlements nationaux à Bruxelles, ce qui a donné lieu en effet à des réactions.
J'introduirai d'abord les principes de subsidiarité et de proportionnalité, en revenant notamment sur la question du mécanisme d'alerte précoce, pour examiner ensuite la pratique : comment les parlements se sont-ils saisis de leur possibilité d'examiner le principe de subsidiarité depuis le traité de Lisbonne ? Je m'intéresserai ensuite au rôle des institutions, en particulier celui du Comité des régions et du Parlement européen. Je procéderai de même pour le principe de proportionnalité, avant de me pencher sur les recommandations que j'ai présentées dans cette étude. Enfin, je vous ferai part de quelques réactions au projet de rapport qui a été examiné par la commission des affaires constitutionnelles.
Le principe de subsidiarité est composé de deux éléments cumulatifs. Il s'applique lorsque, pour une action définie, les États membres ne sont pas en mesure d'atteindre l'objectif défini et que, dans le même temps, l'Union européenne peut apporter une valeur ajoutée. C'est là, à mon sens, l'élément le plus difficile à prouver. Il s'agit en effet d'un contrôle plus politique que juridique, puisqu'il en appelle à une évaluation de la pratique.
Alors que la subsidiarité, qui vise donc à définir qui, de l'État membre ou de l'Union européenne, doit agir, ne s'applique que dans les domaines qui ne sont pas de la compétence exclusive de l'Union, le principe de proportionnalité, lui, s'applique quel que soit le domaine de compétence. En un mot, la proportionnalité vise à déterminer l'intensité de l'action de l'Union. Il s'agit, par exemple, de savoir s'il faut agir sous la forme d'une directive ou d'un règlement.
Si ces deux principes ont été définis en tant que principes généraux du droit de l'Union à l'occasion de l'adoption du traité de Maastricht en 1992, la subsidiarité n'existe dans le cadre législatif européen que depuis l'Acte unique - elle avait été introduite dans le domaine de l'environnement - alors que la proportionnalité existe depuis les années 1970, grâce à la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne. Si la Cour constate régulièrement des violations du principe de proportionnalité, ce n'est pas le cas pour celui de subsidiarité. Cela s'explique probablement par la difficulté à saisir la nature de la subsidiarité, même si, selon l'article 5 du protocole n° 2 sur l'application des principes de subsidiarité et de proportionnalité du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), il existe une obligation de justifier de manière qualitative et, dans la mesure du possible quantitative, le respect du principe de subsidiarité. C'est là, à mon sens, que la Cour de justice pourrait effectuer son contrôle. Elle le fait, de fait, de façon de plus en plus approfondie.
M. Jean-François Rapin, président. - S'agit-il bien d'un contrôle sur saisine ?
Mme Diane Fromage. - Tout à fait. Seuls les États membres peuvent saisir la Cour de justice. Néanmoins, depuis le traité de Lisbonne, les parlements nationaux peuvent demander à leur Gouvernement de le faire. Sur ce point, on constate une différence entre les États membres. En France, comme en Allemagne, il s'agit d'un droit de la minorité parlementaire : dès lors qu'une minorité parlementaire demande au Gouvernement de saisir la Cour de justice, cette saisine est de droit, alors qu'en Espagne, par exemple, le Gouvernement n'est pas contraint d'accéder à la requête du Parlement.
M. Jean-François Rapin, président. - Le Rassemblement national l'a fait récemment en France pour la première fois.
Mme Diane Fromage. - Absolument. La question est de savoir si on contrôle la subsidiarité à ce moment-là ou en amont. Il vaut mieux selon moi contrôler la subsidiarité en amont et tenter d'avoir une influence au Conseil plutôt que saisir la Cour de justice. En effet, les procédures sont longues et les chances de succès moindres.
Il est intéressant de noter que, avant même que ce droit ne lui soit reconnu dans les traités, le Bundestag a tenté à trois reprises de contester une mesure devant la Cour de justice sur le fondement du principe de subsidiarité. Cela n'a toutefois jamais abouti.
Il faut aussi souligner que le principe de subsidiarité est un principe général du droit de l'Union depuis le traité de Maastricht. Il peut donc être contrôlé par la Cour de justice depuis 1992 et non pas seulement depuis l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne, celui-ci ne faisant que renforcer une possibilité qui existait déjà.
Le traité de Lisbonne constitue cependant un véritable point d'inflexion en termes d'inscription dans les traités du contrôle de la subsidiarité. Ce point d'inflexion concerne simplement le principe de subsidiarité et non le principe de proportionnalité, puisque ce dernier n'est pas inclus légalement et formellement dans le mécanisme d'alerte précoce.
Dans la pratique, la proportionnalité a été intégrée dans la subsidiarité, si bien que les parlements nationaux sont aussi chargés de garantir le respect de ce principe. À ce jour, trois cartons jaunes ont été adressés, ce qui, à mon sens, n'est pas forcément le signe d'un échec du mécanisme. En fait, le système d'alerte précoce joue un rôle d'épée de Damoclès et, dès lors que les institutions, en particulier la Commission, savent qu'il y aura un contrôle par les parlements nationaux, elles font preuve de davantage de retenue.
De surcroît, il peut y avoir un avis motivé au titre de la subsidiarité dans le cadre du dialogue politique. Il faudrait donc procéder à une analyse plus fine des contributions adressées dans le cadre de ce dialogue avant de conclure à un échec du mécanisme du carton jaune.
M. Jean-François Rapin, président. - Vous estimez donc que le faible nombre de cartons jaunes ne constitue pas un échec, parce qu'en fait il y a moins de cas où un problème de subsidiarité se pose.
Mme Diane Fromage. - C'est l'une des explications mais on peut aussi observer que certains parlements nationaux, estimant que le succès des mécanismes dont nous parlons était incertain, ont choisi de se concentrer sur le contrôle au niveau national, c'est-à-dire d'agir plutôt auprès de leur gouvernement - c'est le cas du Bundestag allemand ou du Grand Comité du parlement finlandais. Ainsi, dès lors que tous les parlements nationaux ne jouent pas le jeu dans le cadre du système d'alerte précoce, il devient très difficile d'atteindre les seuils.
Dans le même temps, beaucoup de parlements ont conscience du fait qu'il faut intervenir le plus en amont possible, en particulier au moment des consultations, et ils estiment que le contrôle de subsidiarité dans le cadre du système d'alerte précoce intervient trop tardivement dans la procédure pour être efficace. Pour ces parlements, dès lors qu'une proposition est sur la table, il est trop tard pour mettre en avant la question de la subsidiarité.
D'ailleurs, les rapports annuels de la Commission européenne sur les relations avec les parlements nationaux révèlent un accroissement de la participation de ces derniers aux consultations.
Toutes ces explications me laissent penser que trois cartons jaunes ne sont pas nécessairement le signe d'un échec du mécanisme, parce que sa mise en place a justement incité les parlements qui ne participaient pas aux affaires européennes à devenir actifs. C'est aussi un effet de la mise en place du système d'alerte précoce.
M. Jean-François Rapin, président. - Quel est le taux de réponse aux consultations ?
Mme Diane Fromage. - Je ne le connais pas exactement, mais il est évident qu'il augmente.
M. Jean-François Rapin, président. - La participation aux consultations n'a pas la même signification pour une commission comme la nôtre que le contrôle de la subsidiarité. Cela ne soulève pas les mêmes enjeux en termes de délibération démocratique. Pour autant, nous avons adopté des avis politiques valant contribution à une consultation publique lancée par la Commission européenne.
Mme Diane Fromage. - Les modalités du dialogue politique sont très variées, il inclut même l'audition d'un commissaire européen par une commission comme la vôtre.
J'ai récemment mené une étude pour comparer les pratiques des parlements nationaux dans leur participation aux affaires européennes et nous nous sommes interrogés sur les modalités de leur participation au processus de consultation.
Le système d'alerte précoce fait l'objet de critiques régulières et plusieurs initiatives ont été prises pour l'améliorer, que ce soit par votre commission dans le cadre de la présidence française de l'Union européenne ou par la Cosac. Quand on regarde les statistiques, on observe une préférence marquée des parlements nationaux pour les contributions dans le cadre du dialogue politique, ce qui me semble tout à fait logique, puisque les parlements nationaux sont des institutions politiques qui veulent influencer les dossiers sur le fond. Il y a peut-être aussi une forme de fatigue des parlements nationaux au sujet du contrôle de subsidiarité.
Le Sénat français fait partie des chambres les plus actives en ce qui concerne le nombre de contributions et d'avis motivés. On remarque aussi une forte variation du niveau de participation des parlements nationaux au fil du temps : cela peut s'expliquer par les périodes électorales, mais aussi - je le disais tout à l'heure - par l'évolution des modalités de la participation de certains au contrôle de l'action des institutions européennes. Ainsi, certains parlements ont fait le choix d'arrêter de participer au mécanisme d'alerte précoce ou de participer différemment au dialogue politique.
Nous avons aussi vu l'apparition d'avis « positifs » : un Parlement félicite la Commission européenne. Cela est notamment apparu au Portugal et était lié au fait que le président de la Commission, à l'époque M. Barroso, était portugais... On peut tout de même s'interroger : est-ce vraiment nécessaire qu'un Parlement adopte une contribution pour féliciter la Commission d'autant que répondre à cette contribution mobilise des moyens humains ? Je ne suis pas certaine que cela participe vraiment d'un dialogue politique.
Les principaux domaines concernés par les avis motivés sont la fiscalité, en particulier celle sur les entreprises, la libre circulation des travailleurs et l'espace de liberté, de sécurité et de justice. On observe beaucoup moins d'avis motivés en matière de marché intérieur. Les parlements nationaux se mobilisent donc davantage sur les sujets régaliens pour lesquels les compétences de l'Union européenne sont plus limitées.
Par ailleurs, on peut noter que l'attention de la Commission envers le contrôle de la subsidiarité et, de manière générale, les positions des parlements nationaux s'est accrue, y compris en termes de qualité des réponses. Nous ne sommes plus du tout dans la même logique qu'il y a quinze ans, lorsque le système d'alerte précoce a été introduit. La Commission répond davantage aux observations formulées par les parlements. De même, la justification des propositions législatives s'est améliorée, mais si cela est encore perfectible.
On peut aussi noter que certains parlements ont décidé de commencer à travailler sur un texte dès la publication en anglais du mémorandum explicatif, alors que d'autres attendent la traduction dans leur langue pour faire courir le délai de huit semaines.
En 2017, la Commission européenne a mis en place un groupe de travail sur la subsidiarité et la proportionnalité et sur l'idée plus générale de « faire moins de façon plus efficace ». Ce groupe, auquel ont participé trois représentants des parlements nationaux et trois du Comité des régions, a recommandé la mise en place d'une grille de subsidiarité, ce qui a été fait en 2018. Les parlements nationaux avaient parfois des définitions différentes de ce principe, ce qui rendait encore plus difficile la coordination. Cette grille de subsidiarité, qui est maintenant prise en compte pour toutes les propositions d'une certaine importance politique et qui inclut aussi la proportionnalité, a certainement contribué à une meilleure justification de ces questions.
L'intérêt des entités régionales et locales s'est, de son côté, estompé au fil du temps. Au moment de l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne, les parlements régionaux étaient très actifs, mais ils participent maintenant beaucoup moins au contrôle de subsidiarité.
Certains de ces parlements régionaux, par exemple le Parlement bavarois, ont décidé d'envoyer leurs avis motivés directement à la Commission européenne et ces avis sont maintenant consultables sur le site internet de la Commission européenne.
Soixante-treize assemblées régionales existent au sein de l'Union européenne. Si toutes envoyaient leurs avis motivés à la Commission européenne, la situation serait ingérable. En outre, les rapports entre les parlements régionaux et les autorités fédérales constituent une question nationale qui ne devrait pas se traduire par une relation directe de ces parlements avec la Commission. C'est une question d'équilibre des pouvoirs. Il faut donc continuer à centraliser le dialogue politique au niveau national pour conserver une relation claire entre l'État membre et la Commission.
Très peu de cas liés à la subsidiarité ont été présentés en tant que tels devant la Cour de justice, mais nous observons un contrôle de plus en plus strict de la part de celle-ci, en particulier sur la justification de la proposition législative. Ainsi, l'avocate générale Juliane Kokott a défini un test en deux parties : un test formel sur la justification et un test sur le fond.
La Commission examine couramment ensemble les principes de proportionnalité et de subsidiarité. Le Comité des régions fait de même. La justification en matière de proportionnalité pourrait être améliorée - c'est à mon sens plus urgent qu'en matière de subsidiarité.
Le Parlement européen n'accorde que peu d'attention au principe de proportionnalité, alors que la Cour de justice l'examine très couramment. Même si cette dernière fait preuve d'une certaine déférence à l'égard du législateur, des actes ont déjà été annulés sur cette base.
J'en arrive à mes recommandations, qui sont au nombre de dix.
La Commission européenne a mis en oeuvre une pratique, les réponses « agrégées », dans laquelle elle applique des seuils plus bas que ceux du contrôle de subsidiarité. Je crois qu'elle a raison d'appliquer des seuils plus bas et je comprends la frustration de ne pas arriver à activer le mécanisme.
Cependant, il existe un danger : abaisser les seuils de façon significative risquerait de bloquer la procédure législative européenne et surtout, dans le contexte actuel, de provoquer un détournement du mécanisme d'alerte précoce par les parlements nationaux à des fins d'opposition politique. Ce fut très clairement le cas lors du troisième carton jaune, qui portait sur la proposition de la Commission visant à réexaminer la directive concernant le détachement de travailleurs : des parlements nationaux ont utilisé et détourné ce mécanisme pour manifester en fait leur opposition de fond.
M. Jean-François Rapin, président. - Il y avait donc suffisamment de parlements nationaux pour s'opposer politiquement à la Commission ?
Mme Diane Fromage. - Le troisième carton jaune était en fait un carton jaune régional. Les avis motivés provenaient des parlements des pays d'Europe de l'Est et du Danemark. Les gouvernements de ces pays se sont concertés, ils ont poussé leurs parlements à se concerter également et à activer le mécanisme d'alerte précoce.
M. Jean-François Rapin, président. - La question que vous soulevez est importante : il s'agit de savoir si l'on respecte la volonté politique des parlements nationaux, ou si l'on passe outre au profit d'une avancée européenne.
Mme Diane Fromage. - Je comprends la tentation d'utiliser le système d'alerte précoce à ces fins, mais ce n'est pas pour cela qu'il a été créé dans les traités. Nous pourrions tout à fait imaginer une coordination des parlements nationaux au sein du dialogue politique, comme cela s'est déjà passé à trois reprises, dont une fois avec l'Assemblée nationale. Il ne faut pas détourner le système d'alerte précoce de sa finalité. J'insiste sur ce point, car la Commission européenne, lorsqu'elle examine les avis motivés dans le cadre de l'alerte précoce, est liée par les traités : elle ne peut examiner que la subsidiarité au sens strict. Elle n'a pas la possibilité juridiquement de modifier son texte pour un autre motif. C'est pourquoi cet instrument, même s'il est politiquement plus visible, n'est pas le bon si les parlements souhaitent un changement de fond du texte. Cela peut être source de frustration, comme on a pu le constater lors des premier et deuxième cartons jaunes. Je ne dis pas que la Commission a tout bien fait mais il faut tenir compte du cadre dans lequel elle opère.
La question du délai de huit semaines pour émettre un avis motivé est très sensible. En réponse aux recommandations du groupe de travail de 2017, ce délai est appliqué de façon plus souple : certaines périodes, comme Noël, sont désormais exclues du décompte. Il faut continuer dans cette direction.
La Commission européenne devrait aussi continuer à fournir des réponses détaillées et individuelles aux contributions soumises dans le cadre du dialogue politique et à souligner leur impact. C'est un aspect important. Dans son rapport annuel, la Commission explique comment elle a tenu compte des avis des parlements nationaux, mais il faudrait aller plus loin en la matière. Le législateur européen - Conseil de l'Union européenne et Parlement européen - devrait aussi expliquer comment il prend en considération l'avis des parlements nationaux. Selon moi, les parlementaires nationaux devraient se voir attribuer un rôle plus positif et proactif, car le contrôle de subsidiarité est essentiellement négatif et très restreint. Il faudrait mettre en oeuvre un dispositif de carton vert, à l'instar de ce qui existe déjà pour le Parlement européen, qui permettrait aux parlements nationaux d'inviter la Commission européenne à réfléchir sur un sujet et à faire des propositions. Dans les faits, il y a déjà eu trois cartons verts, dont un de la France. Ce dispositif existe donc déjà dans la pratique. Il pourrait être intéressant de le formaliser. La Commission devrait aussi prendre en compte toutes les contributions qu'elle reçoit, même si aucun carton jaune n'est déclenché.
Les parlements nationaux devraient également essayer de fournir une traduction dans d'autres langues de leurs contributions. La plateforme Ipex permet à tous les parlements nationaux d'échanger entre eux, mais un grand nombre des contributions soumises dans le cadre du dialogue politique sont fournies uniquement dans la langue du parlement national. C'est un obstacle à la coopération interparlementaire. Fournir une traduction ne représenterait pas forcément un effort trop important.
M. Jean-François Rapin, président. - La traduction est un exercice délicat. On constate souvent lors de la Cosac que l'interprétation d'un texte varie en fonction des traductions disponibles dans chaque langue.
Mme Diane Fromage. - C'est vrai, mais il est dommage que les parlements nationaux ne se saisissent pas de l'occasion de diffuser plus largement leur opinion politique. La plateforme Ipex devrait être la seule à être utilisée en matière d'échanges interparlementaires. Elle devrait être améliorée. Actuellement, elle coexiste avec un site de la Commission européenne et un site du Parlement européen : tous les trois traitent de la question de la subsidiarité. La Commission publie les avis motivés, les contributions et les réponses, mais ces mêmes avis se trouvent aussi sur Ipex ainsi que le processus qui a précédé leur adoption. Pour avoir une vision d'ensemble, il faut donc consulter les trois sites. C'est fastidieux et regrettable en termes de transparence. Il y a un problème politique, certes, mais il faudrait peut-être créer un hub de subsidiarité, où toutes les informations seraient centralisées.
M. Jean-François Rapin, président. - C'est une bonne idée.
Mme Diane Fromage. - Les parlements nationaux devraient participer au processus législatif plus en amont, dès le stade des consultations, au lieu d'attendre que la proposition de la Commission ne leur soit transmise. Il faudrait également relancer les efforts collectifs afin de définir en commun des priorités sur la base du programme de travail de la Commission européenne. Certains parlements nationaux, comme le Sénat, sélectionnent en amont les propositions qui leur semblent être les plus importantes. Il y a une dizaine d'années, dans le cadre de la Cosac, un tableau était publié qui indiquait simplement les priorités de chaque parlement sur la base du programme de travail de la Commission. Cela permettait de voir à l'avance quels parlements allaient étudier telle ou telle proposition et d'envisager de potentielles alliances. Parallèlement, il faudrait pousser la Commission à avoir un dialogue politique et collectif avec les parlements nationaux. Pourquoi ne pas organiser, dans le cadre de la Cosac une discussion sur le programme de travail sur la base de ce tableau ?
M. Jean-François Rapin, président. - Lors de la dernière réunion de la Cosac qui a eu lieu en Pologne, on nous a simplement présenté une vidéo du commissaire Sefcovic ! M. Sefcovic n'avait pas pu se déplacer et nous n'avons pu échanger avec aucun membre de la Commission européenne.
Mme Diane Fromage. C'est une erreur. Une vidéo, à la différence d'une visioconférence, ne permet pas de dialoguer. Il faudrait que la Commission invite les représentants des parlements nationaux au Berlaymont, pour échanger avec eux.
M. Jean-François Rapin, président. - C'est ce qui se fait dans le cadre de la conférence sur la stabilité, la coordination économique et la gouvernance dans l'Union européenne, prévue par l'article 13 du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) dans l'Union économique et monétaire, mais seuls les membres des commissions des finances sont invités. Je suis associé à ses travaux en tant que président de la commission des affaires européennes, mais j'y participe parce que je suis membre de la commission des finances. C'est effectivement un des rares moments d'échange.
Mme Diane Fromage. Absolument. Il y a un réel besoin d'échange. Paris est proche de Bruxelles, et les délégations du Sénat et de l'Assemblée nationale peuvent s'y rendre facilement pour rencontrer des commissaires européens. Mais c'est beaucoup plus difficile pour les Chypriotes, les Maltais ou les Estoniens, car le trajet est beaucoup plus long. La relation entre les parlements et la Commission européenne varie de ce fait selon les pays.
M. Jean-François Rapin, président. - La conférence sur l'avenir de l'Europe a été une occasion manquée de ce point de vue. Tout le monde était réuni.
Mme Diane Fromage. En effet. Une telle solution, facile à mettre en oeuvre, serait aussi intéressante en termes de coûts. Les ressources des parlements nationaux ne sont pas illimitées. Les parlements nationaux devraient également pouvoir jouer un rôle dans les initiatives Fit for the Future, nouveau nom du programme Refit, sur l'évaluation des mesures législatives existantes. Les parlements nationaux sont les mieux à même de constater comment les mesures édictées par l'Union européenne ont été appliquées au niveau national.
Enfin, j'ai effectué une étude quantitative sur les mentions des parlements nationaux dans les textes européens adoptés depuis 2009. Si les parlements nationaux sont mentionnés, c'est, dans la majorité des cas, pour indiquer que la proposition de texte citée leur a bien été transmise. Les références aux apports des parlements nationaux sur le fond sont rares. Parfois, un dialogue avec les parlements est prévu à un stade ultérieur, lorsque la mesure aura été mise en place. Les parlements nationaux doivent être mieux reconnus en tant qu'organes représentatifs nationaux. Ils ne sont pas de simples parties prenantes, comme peuvent l'être des ONG.
Il en va de même dans les consultations. L'importance des parlements nationaux et de leur rôle n'est pas reconnue, alors même que l'Union européenne, comme vous le soulignez dans votre rapport, agit dans un nombre de domaines accrus.
M. Dominique de Legge. - Nous sommes tous très attachés à la subsidiarité. En vous entendant, je me suis rendu compte de la difficulté d'apprécier cette notion, puisqu'elle s'apprécie par rapport à la capacité à agir des États membres et à la plus-value que pourrait apporter la Commission. Cela relève vraiment du subjectif. Qui peut apprécier la capacité d'un État membre à agir ? Un État pourra considérer qu'il n'a pas la capacité à agir, mais son voisin estimera que c'est une question de volonté. Quant à la plus-value de la Commission, elle ne peut s'apprécier qu'après coup.
Par exemple, je dénie à la Commission sa capacité à apprécier notre capacité à agir en matière de défense. La plus-value de la Commission dans ce domaine reste à démontrer et, en tout état de cause, elle n'est pas appréciée de manière uniforme par chaque pays. Certains trouveront une plus-value dans l'apport de la Commission, d'autres non. Dès lors, ma réflexion est la suivante : peut-on avoir une appréciation de la subsidiarité à géométrie variable ?
M. Ronan Le Gleut. - Tentez-vous, dans le cadre de vos travaux, de mesurer ou de concevoir des outils de mesure de l'influence des parlements nationaux sur les textes européens ? Vous nous avez présenté des statistiques sur le nombre d'avis motivés ou de contributions des parlements nationaux. L'influence d'un parlement est-elle proportionnelle au nombre d'avis motivés qu'il dépose ? Quelle est la bonne stratégie pour peser sur le travail européen ? Je pense par exemple à la création d'alliances entre parlements nationaux.
Mme Sophie Briante Guillemont. - Quel serait le fondement juridique pour instaurer un dispositif de carton vert ?
M. Bernard Jomier. - Je voudrais compléter la question de Dominique de Legge dans le domaine de la santé. J'observe une évolution très rapide en la matière. La pandémie de Covid-19 a probablement provoqué une prise de conscience au niveau européen. D'ailleurs, le Parlement européen a créé très récemment une commission de la santé publique, qui n'existait pas jusque-là, et dont le président est très proactif. Nous allons bientôt étudier un projet d'avis motivé sur un texte relatif aux médicaments critiques. On constate que la Commission européenne est décidée à agir dans ce domaine, pour organiser, au nom de l'efficacité, des chaînes de constitution de stocks, en déterminant leur répartition dans les États membres. L'évolution est très rapide. L'appréciation de la plus-value de la Commission est très politique et l'on peut s'interroger sur l'évolution actuelle.
Mme Diane Fromage. - La question du caractère subjectif de l'appréciation d'une action de la Commission se pose. Il faut savoir que 80 % des textes proposés par la Commission européenne sont en fait des propositions de réforme de textes existants. Dans ce cas, la Commission doit examiner l'évaluation de la subsidiarité qui avait justifié l'édiction du texte originel, c'est-à-dire l'évaluation de la valeur ajoutée européenne et de l'insuffisance de l'action nationale à un instant t, et l'actualiser à l'aune de la situation actuelle, afin d'apprécier si l'action européenne est toujours justifiée.
C'est seulement dans environ 20 % des cas, lorsque l'Union européenne n'a pas encore légiféré, que la Commission doit évaluer la valeur ajoutée de son action dans un nouveau domaine. Dans cette situation, nous n'avons évidemment pas de données, mais nous disposons généralement d'éléments qualitatifs et quantitatifs.
Cela étant dit, il s'agit bien d'une évaluation subjective, qui varie selon les États membres. Dans sa grille de subsidiarité, la Commission européenne doit justifier les différences entre les États. Constater une différence, que ce soit dans l'efficacité des mesures nationales ou dans leur application, n'est pas suffisant pour fonder son action au regard du principe de subsidiarité. Par exemple dans le cadre de la législation relative au marché intérieur, il faut que la Commission explique pourquoi la fragmentation nuit réellement au fonctionnement de ce dernier. La fragmentation en elle-même n'est pas une justification de subsidiarité ; il faut la relier à l'objectif visé.
La Cour de justice de l'Union européenne a déjà indiqué, dans l'un de ses premiers arrêts sur la question, que le fait qu'un État membre soit en mesure, seul, d'atteindre l'objectif de la Commission n'était pas suffisant pour considérer que le principe de subsidiarité n'était pas respecté. Autrement, en effet, l'Union européenne ne pourrait plus agir ! La Cour de justice a indiqué qu'il fallait réaliser des études beaucoup plus nuancées, pour prendre en compte la situation dans les vingt-sept États membres. Il s'agit d'éviter une subsidiarité à géométrie variable. En revanche, si la situation est différente dans les divers États membres, la solution retenue peut être différente. C'est la proportionnalité. Si l'on constate, par exemple, que la pollution a des causes différentes dans les différents États membres, peut-être vaut-il mieux, au niveau européen, définir des seuils de pollution plutôt que de fixer des normes contraignantes. Ce n'est pas alors une question de subsidiarité, mais de définition du contenu de l'action de l'Union européenne et d'appréciation de la proportionnalité de son action.
La question de l'influence des parlements nationaux sur le droit européen ne se limite pas au nombre de contributions ou d'avis motivés émis. Sur ce point, le Sénat français est potentiellement désavantagé au regard de sa position institutionnelle vis-à-vis du Gouvernement, puisqu'il n'y a pas de relation de confiance entre les deux. Les parlements nationaux, comme d'ailleurs les parlements régionaux, cherchent, lorsqu'ils veulent faire avancer une priorité politique, à développer leur influence de multiples manières : auprès de la Commission, par le biais des consultations, des avis politiques ou des avis motivés ; auprès du Parlement européen, par le biais des eurodéputés d'une même famille politique ou du pays ; et auprès du Conseil. On constate que lorsqu'un Parlement parvient à mettre en oeuvre une stratégie claire pour influencer tous ces acteurs, il parvient à faire entendre sa voix. N'oublions pas que la décision finale n'appartient pas à la Commission européenne, mais bien au Conseil et au Parlement européen. Il ne suffit pas de comparer le contenu d'un avis motivé et celui du texte final pour évaluer l'influence d'un parlement. Les parlements nationaux qui parviennent à se coordonner avec leur gouvernement ont plus de résultat en la matière, car celui-ci peut soulever des objections au Conseil. Je ne suis pas certaine que l'influence dépende de l'importance de l'État membre. La réponse officielle de la Commission européenne est que, dès lors qu'un argument est justifié, il est pris en compte, qu'il émane du Bundestag ou d'un « petit » parlement. Est-ce vrai dans les faits ? Je ne saurais le dire.
De même, être très actif ne suffit peut-être pas. Certes, cela attire l'attention de la Commission, mais il faut aussi regarder le contenu des avis qui sont émis. On constate que certains parlements nationaux ont pour habitude d'approuver une position, qu'ils soumettent à leur gouvernement, avant simplement de la transmettre à la Commission. Mais que peut faire alors la Commission, puisqu'elle n'a pas été le destinataire premier ? Il faudrait donc disposer d'une analyse plus nuancée des chiffres relatifs aux nombres d'avis et de contributions et examiner leur contenu.
Les parlements nationaux disposent, tant au niveau national qu'européen, d'une possibilité assez importante d'entrer en dialogue avec les institutions européennes, mais également avec la Banque centrale européenne, le Comité de résolution unique ou certaines agences européennes. Ils disposent donc de plusieurs canaux d'influence possibles. S'ils les actionnent de manière orchestrée, ils peuvent avoir un impact. Je pourrais citer des exemples concrets.
Un carton vert est possible, à mon sens, sans aucun problème juridique, dans le cadre du dialogue politique. La Commission l'a dit. Le carton vert vise simplement à inviter la Commission à examiner la possibilité d'adopter un acte législatif. Il suffirait donc que les parlements nationaux se mettent d'accord. Il n'est pas nécessaire de se fonder sur une base juridique. Cela peut simplement s'inscrire dans le cadre d'une volonté politique coordonnée des parlements nationaux.
Je conclurai sur la question de la santé et de l'évolution des compétences de l'Union européenne. On constate que l'action européenne est bien plus développée que par le passé. Les agences européennes se renforcent. Il ne faut pas oublier que la plupart d'entre elles sont créées sur la base de l'article 114 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), relatif à l'harmonisation sur le marché intérieur. L'approbation des États membres est nécessaire. De plus, les agences sont souvent souhaitées par les États membres, car elles rassemblent des experts nationaux pour définir les normes applicables. Les État préfèrent souvent la création d'une agence plutôt que d'une nouvelle direction générale de la Commission, car elles permettent aux États membres de conserver une influence. Les parlements nationaux pourraient contrôler davantage leurs représentants nationaux dans ces agences, de même qu'ils pourraient contrôler davantage le Conseil.
On observe une inflation législative européenne, en matière de santé comme dans d'autres domaines. Celle-ci vise à répondre aux crises que nous connaissons ou auxquelles nous avons été confrontés. C'est assez paradoxal : d'un côté, l'euroscepticisme progresse ; de l'autre, les États membres et les populations, dans leur ensemble, attendent davantage de l'Union européenne : dès qu'il y a une crise, on lui demande de s'impliquer.
Peut-être faut-il changer la façon dont les parlements participent à ces politiques. Ils doivent utiliser tous les moyens de contrôle dont ils disposent sur ceux qui prennent réellement les décisions au sein des agences, du Conseil ou du Parlement européen.
M. Jean-François Rapin, président. - La question de la santé a émergé lors de la Conférence sur l'avenir de l'Europe, à la suite de la crise du Covid-19. Un groupe de travail avait été constitué sur la santé. J'en étais membre. La Commission européenne était représentée par M. Sefcovic. On a jugé utile de se doter d'un outil de coordination sanitaire à l'échelle européenne. L'Autorité européenne de préparation et de réaction en cas d'urgence sanitaire (HERA) est née à cette occasion. Son budget est important. Voilà comment l'action de l'Union européenne en matière de santé est née. Mais la situation sanitaire est très différente d'un État à l'autre. L'accès à la santé n'est pas partout aussi développé qu'en France.
Je vous remercie pour votre analyse affûtée. Nous allons essayer de travailler encore plus en amont que nous ne le faisons aujourd'hui pour mieux faire valoir nos vues au sein de l'Union européenne. J'avais déjà indiqué au président Larcher que c'était une nécessité.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 11 heures.