Mardi 7 octobre 2025

- Présidence de M. Laurent Lafon, président -

La réunion est ouverte à 17 h 00.

Audition de Mme Delphine Ernotte Cunci, présidente de France Télévisions

M. Laurent Lafon, président. - Nous avons le plaisir d'accueillir Mme Delphine Ernotte Cunci, que je remercie d'avoir accepté notre invitation.

Madame la présidente, vous dirigez le groupe France Télévisions depuis 2015. Votre mandat a été renouvelé successivement en 2020, puis en 2025, par l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom). Vous accompagnez donc depuis dix ans l'évolution du service public de l'audiovisuel, dans un contexte marqué par de profondes mutations des usages et des technologies. Cette audition nous offre l'occasion de vous entendre sur votre vision stratégique au début de ce nouveau mandat, mais aussi d'aborder plusieurs sujets d'actualité qui ont suscité un fort écho médiatique et politique ces dernières semaines.

Le premier sujet concerne la situation financière du groupe. Un rapport récent de la Cour des comptes a alerté sur la fragilité du modèle économique de France Télévisions, qualifié d'« impasse » et jugé non soutenable dans la durée, les capitaux propres étant désormais inférieurs à la moitié du capital social.

Dans un contexte de diminution des concours publics, le groupe prévoit une perte d'exploitation d'environ 50 millions d'euros cette année. Cette situation budgétaire a des conséquences négatives en chaîne dans l'ensemble de la filière audiovisuelle.

La Cour des comptes souligne, en outre, la nécessité d'une réforme du cadre social de France Télévisions, actuellement très contraignant. Vous avez dénoncé, en juillet dernier, l'accord collectif de 2013. Vous nous direz ce qu'il en est de la renégociation de ce dernier.

De façon générale, nous aimerions connaître votre analyse des marges de manoeuvre disponibles, des efforts engagés pour maîtriser les dépenses et, plus largement, de la stratégie que vous entendez suivre pour garantir la soutenabilité financière du service public de l'audiovisuel.

Le deuxième sujet porte sur l'impartialité et le pluralisme du service public de l'audiovisuel. Des extraits vidéo diffusés sur internet le 5 septembre dernier ont mis en cause la neutralité du service public. Nous entendrons demain, à ce propos, la présidente de Radio France. La semaine dernière, nous avons auditionné le président de l'Arcom, qui a engagé des travaux pour mieux définir et mesurer ces notions d'impartialité et de pluralisme, en particulier au sein du service public, dont le rôle est essentiel dans le débat démocratique.

Nous souhaiterions donc vous entendre sur les enseignements que vous tirez de ces événements récents et sur les dispositifs mis en place pour prévenir tout biais dans le traitement de l'actualité, tant au niveau de chacune des chaînes du groupe que de l'audiovisuel public dans son ensemble. Une approche globale est en effet indispensable pour préserver la confiance du public.

Êtes-vous prête, comme l'a suggéré le président de l'Arcom, à effectuer un travail d'introspection sur ce sujet ?

Récemment auditionnée par l'Arcom, vous avez par ailleurs dénoncé, publiquement, une « campagne de dénigrement systématique » conduite, selon vous, par les chaînes du groupe Bolloré. En particulier, vous avez qualifié la chaîne CNews de « chaîne d'extrême droite ».

Cette déclaration a surpris un grand nombre d'observateurs, qui se sont étonnés qu'en plein débat sur l'impartialité et la neutralité de l'audiovisuel public, vous cataloguiez politiquement l'un de vos concurrents et que, en faisant cela, vous sembliez positionner les chaînes de France Télévisions en opposition à un courant politique.

À la question « CNews est-elle une chaîne d'extrême droite ? », votre homologue de Radio France, Sibyle Veil, a répondu dimanche dernier dans La Tribune Dimanche : « Je ne fais pas de politique, je refuse de rentrer dans la polarisation, jamais je ne diaboliserai leurs spectateurs, l'audiovisuel public est fait pour tous, pour eux aussi. » Madame la présidente, avez-vous fait de la politique en qualifiant CNews de « chaîne d'extrême droite » ? Maintenezvous ces propos aujourd'hui ?

Je rappelle que cette audition est diffusée en direct sur le site internet du Sénat.

Mme Delphine Ernotte Cunci, présidente de France Télévisions. - Monsieur le président, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, l'audiovisuel public se trouve depuis plusieurs semaines au centre des regards. Deux événements ont donné naissance à des polémiques et à des attaques parfois violentes contre l'audiovisuel public et ses salariés, ce que je regrette.

Ces polémiques ont aussi suscité des interrogations et des interpellations de la part des élus et des citoyens : celles-ci sont toutes légitimes et je vous remercie de m'avoir conviée pour y répondre.

En préalable, je souhaite évoquer trois valeurs fondamentales qui forment le socle de notre légitimité et de notre utilité, à savoir notre impartialité, notre exemplarité et notre créativité.

En ce qui concerne notre impartialité, tout d'abord, notre offre et nos contenus sont financés par tous les Français. Quels que soient leur lieu de vie, leur niveau socioculturel et leur opinion politique, ils doivent être vus, entendus et représentés sur nos antennes : tel est le pacte qui nous lie à nos publics.

France Télévisions est aujourd'hui le premier média du pays : chaque semaine, 81 % des Français nous regardent, et nous sommes la première source d'information du pays. Tous les citoyens, quelles que soient leurs origines ou leurs orientations politiques, regardent donc nos antennes. Nous sommes également le média qui recueille le niveau de confiance le plus élevé de nos concitoyens, à hauteur de 80 %, soit un niveau très supérieur à celui de nos concurrents privés.

Sur un plan formel, France Télévisions respecte scrupuleusement ses obligations en matière d'équité, notamment d'équilibre des temps de parole des responsables politiques. Année après année, l'Arcom constate ainsi que France Télévisions respecte ses obligations en matière de pluralisme et d'honnêteté de l'information.

Les débats sur l'indépendance et l'impartialité du service public sont aussi anciens que l'audiovisuel public lui-même. Le respect du principe d'impartialité, qui est spécifiquement rattaché aux missions de l'audiovisuel public dans la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, a été mis en cause dans le cadre de plusieurs épisodes, sur lesquels je tiens à revenir de manière précise et exhaustive.

Le premier renvoie à la publication d'une vidéo par le média en ligne L'Incorrect, qui relayait des propos tenus hors de l'antenne, notamment par Thomas Legrand, en présence de Patrick Cohen, chroniqueur de l'émission C à vous. Cette vidéo - obtenue dans des conditions illicites - a jeté un halo de suspicion sur l'ensemble de nos journalistes.

Dans cette affaire, je me suis attachée à défendre des principes, à commencer par l'indépendance des journalistes, qui doivent être soutenus lorsqu'ils sont attaqués sans justification et sans fondement. Un autre principe essentiel est la déontologie : le comité d'éthique de France Télévisions, instance indépendante créée par la loi du 14 novembre 2016 visant à renforcer la liberté, l'indépendance et le pluralisme des médias et présidée par Christine Albanel, ancienne ministre de la culture, a rendu un avis public ne relevant pas de manquements déontologiques. Il a ainsi conclu : « Rien ne permet donc d'affirmer, au vu de cette séquence, que Patrick Cohen ait d'autres objectifs que l'exercice de son métier. »

J'ai d'ailleurs reçu Patrick Cohen le 2 octobre afin de lui rappeler que l'obligation d'impartialité s'impose à tous sur le service public et qu'elle ne doit souffrir d'aucune exception. En tant que cheffe d'entreprise et responsable de médias, il m'appartient de faire primer les principes sur la polémique et de faire passer le droit avant le tweet. Nous devons être irréprochables et vigilants.

Par ailleurs, ce questionnement autour de notre impartialité s'est renforcé, depuis plusieurs mois, au sujet de nos missions d'investigation. Comme le prévoit notre cahier des charges, il est de notre devoir d'assurer nos missions d'information indépendamment de toute pression politique ou économique. Cette mission est assortie de devoirs, dont celui d'impartialité, bien sûr : sur un total de vingt-huit numéros de Complément d'enquête de l'année dernière, par exemple, seuls quatre épisodes ont porté sur la sphère politique, et ils ont concerné l'ensemble de l'échiquier.

La déontologie doit également être respectée : le recours aux caméras cachées, notamment, est strictement encadré par nos chartes internes.

S'y ajoute l'exigence d'irréprochabilité : j'ai été interpellée par le président Larcher sur le numéro de Complément d'enquête consacré au Sénat, et, après avoir échangé avec lui, l'Arcom a été saisie. Il est évident que nous tirerons les conséquences d'éventuels manquements qui pourraient être constatés, comme nous l'avons toujours fait.

Le service public est aujourd'hui le dernier média, télévisuel et radiophonique, à proposer une offre d'investigation délaissée par tous les autres et à laquelle les Français restent très attachés. La contrepartie de cet engagement consiste à être irréprochables en tout point.

J'en viens à la deuxième valeur fondamentale, c'est-à-dire l'exemplarité. France Télévisions a un devoir d'exemplarité dans l'usage des deniers publics - j'y suis personnellement attachée. J'ai ainsi tenu, ces neuf dernières années, à rétablir les comptes de l'entreprise afin qu'ils soient systématiquement à l'équilibre. Le récent rapport de la Cour des comptes, qui porte sur la période 2017-2024, livre un diagnostic très clair de la situation de l'entreprise : il y est d'abord affirmé d'abord que l'entreprise a, en l'espace de dix ans, réussi des transformations majeures et pris le virage du numérique.

Nos audiences linéaires se trouvent ainsi au plus haut, tandis que France TV est devenue la première plateforme de streaming et que la plateforme France Info occupe la première place en termes d'information en ligne en France. En outre, des réformes structurelles telles que la fusion des rédactions d'information ou la régionalisation de France 3 ont été achevées.

Les auteurs du rapport constatent également que France Télévisions a dégagé des marges de manoeuvre importantes sur toute la période pour financer ses priorités. Entre 2015 et 2025, les concours publics ont légèrement diminué, alors même que l'inflation progressait de plus de 20 % : cela signifie que le coût de France Télévisions pour la collectivité nationale est environ 20 % moindre que dix ans plus tôt. À cet effet, nous avons diminué nos effectifs de 1 200 équivalents temps plein (ETP) et nos charges de 15 %. Ces efforts n'ont guère d'équivalent dans la sphère publique et je tiens d'ailleurs à saluer les salariés de l'entreprise qui les ont collectivement fournis.

Enfin, le rapport de la Cour des comptes alerte à juste titre sur la situation financière du groupe, qui est désormais qualifiée de « critique ». Je rejoins cette analyse en tout point, d'autant plus aisément que je ne cesse d'alerter les pouvoirs publics sur cette situation depuis plusieurs mois. En effet, pour la première fois depuis mon arrivée, France Télévisions prévoit une perte d'environ 40 millions d'euros en 2025, celle-ci s'expliquant par un écart majeur entre la prévision budgétaire telle qu'établie en 2024 par notre projet de contrats d'objectifs et de moyens (COM) et le niveau de la dotation publique adoptée dans la loi de finances en janvier 2025. Fin 2024, l'État a ainsi révisé sa trajectoire et imposé une baisse de 115 millions d'euros de notre budget pour 2025.

Afin de réduire notre niveau de déficit prévisionnel, tous les leviers ont été utilisés : nous avons diminué de 5 % l'ensemble de nos contrats d'émissions de flux, arrêté des programmes et réduit le train de vie de l'entreprise et les effectifs. Néanmoins, force est de constater que l'écart entre les missions assignées à France Télévisions et ses moyens ne cesse de se creuser et rend impossible un retour à l'équilibre en à peine quelques mois.

Je porte la transformation de France Télévisions depuis dix ans, avec l'ensemble des équipes. Nous allons la poursuivre car il y a encore beaucoup à faire, et je compte bien mettre en oeuvre l'ensemble des recommandations de la Cour des comptes. La principale d'entre elles concerne la révision de notre accord collectif qui date de 2013 : j'ai engagé sa dénonciation en juillet devant notre conseil d'administration, qui l'a acceptée.

Loin des caricatures qui en sont faites, le rapport de la Cour fixe à l'État et à l'entreprise un impératif : le retour rapide à une situation financière assainie pour continuer à remplir pleinement à nos missions.

La dernière valeur fondamentale que je tiens à évoquer est la créativité. Face au mur budgétaire, les premiers arbitrages envisagés font peser une lourde menace sur la créativité de l'audiovisuel public, alors que son avenir ne doit pas se résumer à une équation budgétaire.

France Télévisions fait aujourd'hui office de poumon économique de l'exception culturelle. Si nous avons bien entendu conscience des efforts qui sont collectivement demandés, nous avons démontré notre esprit de responsabilité en la matière au cours des dernières années. Toutefois, dans un paysage international et national qui connaît de tels soubresauts, notre avenir est aussi et avant tout un choix politique. Face à la concurrence de plateformes mondiales qui jouent des coudes pour imposer un soft power américain ou chinois, nous portons une responsabilité toute particulière.

J'alerte notamment sur les nuages qui s'amoncellent au-dessus de nos industries créatives et en particulier au-dessus de la production indépendante, qu'elle soit audiovisuelle ou cinématographique. En effet, une très forte baisse des investissements de France Télévisions constituerait un nouveau choc violent pour le secteur. Dans ce contexte, l'audiovisuel public doit être aux avant-postes de la défense de l'ensemble de la filière, qui représente en France 260 000 emplois non délocalisables et répartis sur l'ensemble du territoire.

Or cette industrie se porte mal, car les plateformes étrangères ont réduit leurs investissements en raison de changements stratégiques, tandis que les chaînes privées s'inquiètent, à juste titre, des baisses des budgets publicitaires. Les coupes dans les financements publics viendraient donc abîmer davantage un paysage déjà fragilisé.

L'animation française - pourtant un fleuron mondial - connaît une crise majeure, alors que le modèle économique du cinéma français est fragilisé du fait de la baisse des financements du principal investisseur privé et de la moindre fréquentation des salles. Si nous réduisons nos investissements à l'avenir, le monde de la fiction et du documentaire connaîtra un important ralentissement.

Je rappelle que vous avez, depuis plusieurs années, consolidé l'écosystème culturel avec le plan France 2030, les crédits d'impôt et le soutien du Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) : une réduction de nos investissements équivaudrait à un revirement stratégique. La question centrale est donc non pas uniquement la place de l'audiovisuel public, mais celle de l'importance que nous accordons encore à l'exception culturelle et notre capacité à faire entendre une voix singulière dans le concert de la création.

Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, l'audiovisuel public porte avec lui une longue et vieille histoire. Depuis sa naissance, il est devenu une force et un appui pour la démocratie. Son histoire le rend souvent imparfait et il gagne toujours à être amélioré.

En conclusion, je tiens à souligner que nous nous sommes engagés dans une guerre de l'information et que nous devons notamment faire face à des ingérences étrangères : l'audiovisuel public est un levier pour faire face à la manipulation de l'information.

Au moment où la guerre s'étend, notre souveraineté informationnelle et culturelle constitue désormais un enjeu de sécurité nationale. J'entends les voix qui s'élèvent pour réclamer notre privatisation, mais une chose est certaine : l'heure n'est pas à désarmer l'audiovisuel public, car j'ai la conviction qu'il joue le rôle de bouclier de la démocratie et qu'il est d'une grande utilité à tous les citoyens : il s'agit d'un bien commun et d'un trésor à préserver, au service de tous les Français.

M. Cédric Vial, rapporteur pour avis des crédits de l'audiovisuel public. - Le rapport de la Cour des comptes pointe effectivement une série de réussites de France Télévisions, mais également un certain nombre de difficultés et de défauts stratégiques. Le président de la Cour des comptes, Pierre Moscovici, a évoqué une situation alarmante, en particulier à propos du niveau des fonds propres du groupe.

J'ai été très déçu en lisant ce rapport : alors que nous échangions régulièrement au sujet de la situation de France Télévisions, j'ai eu l'impression de découvrir un certain nombre de difficultés - si ce n'est des manquements - que je n'avais pas encore complètement identifiées.

Parmi les réussites à mettre à votre actif, la fusion des différentes chaînes est en effet à relever, mais cette réforme a été engagée il y a plus de dix ans et il semble que vous n'ayez pas réussi à enclencher les réformes nécessaires pour les dix années à venir, tant et si bien que France Télévisions se retrouve dans une situation difficile.

Vous avez évoqué le numérique : là aussi, vous avez bien pris une série de virages, mais le rapport pointe les limites de la stratégie « multipolaire » que vous avez retenue au travers de la coexistence de plusieurs plateformes, dont Pluzz, Culturebox et Slash. J'ai d'ailleurs cru comprendre que plus de 90 millions d'euros avaient été consacrés à cette dernière : confirmezvous ces chiffres ?

Quoi qu'il en soit, certains choix stratégiques paraissent étonnants, d'autant plus si l'on se souvient de l'échec de Salto, qui s'est traduit par une perte de 57 millions d'euros, sur un total de 80 millions d'euros de déficit cumulé.

Quelles sont vos projections dans le domaine numérique ? À l'instar de certains de mes collègues, j'ai été surpris de vous voir signer un accord avec Amazon Prime, dans le cadre d'un mouvement de « délinéarisation » également illustré par l'accord passé entre TF1 et Netflix. De surcroît, vous avez annoncé le regroupement des chaînes sous l'appellation « France TV ». De fait, on peut avoir l'impression qu'il n'existe plus qu'une chaîne unique, adaptée à un accord avec Amazon Prime, et peut-être avec Netflix à l'avenir.

Est-ce bien votre stratégie ? Avons-nous besoin, par conséquent, de cinq canaux ? Plus largement, la perspective de voir l'audiovisuel public diffusé sur de grandes plateformes américaines ne soulève-t-elle pas un enjeu de souveraineté ?

J'ai également remarqué qu'il n'existait pas de compte analytique pour chacune des chaînes. Êtes-vous en mesure de communiquer à la représentation nationale le coût de France 5, de France 4 et de France Info TV ? Ces éléments seraient utiles pour éclairer votre stratégie.

Enfin, pour ce qui est de la création, la Cour des comptes a mis en exergue une série de difficultés, dont un manque de transparence dans le choix des programmes. À elle seule, l'entreprise Mediawan facture plus d'un quart des 400 millions d'euros consacrés à ce poste : comment l'expliquez-vous et envisagez-vous d'améliorer la transparence des règles de sélection des programmes ?

J'ajoute que l'affaire « Legrand Cohen » pose problème en termes d'indépendance de l'audiovisuel public : il n'est pas envisageable de dépendre d'une stratégie établie par un parti politique, et votre réaction nous a étonnés.

Mme Delphine Ernotte Cunci. - Pour en revenir à la stratégie passée, la fusion de multiples entités représentait un prérequis pour mener les chantiers ultérieurs, mais il était surtout essentiel de prendre pied dans le numérique afin d'en devenir le leader, à l'image de ce que nous avions accompli dans le domaine du linéaire. Il s'agit de tenir compte de l'évolution des usages, qui se déportent de plus en plus vers un usage à la demande via les plateformes. Tel a été le sens de notre action sur les dix dernières années, en simplifiant notre écosystème : dix ans plus tôt, nous comptions 300 sites ; ne subsistent désormais que trois grandes plateformes, à savoir France TV, France Info et Ici pour l'offre régionale.

Comme le relève la Cour des comptes, France Télévisions est parfaitement en phase avec les modes de consommation actuels des Français - en moyenne, 70 % pour le linéaire et 30 % pour le numérique.

Par ailleurs, vous pointez les lacunes et le manque de lisibilité de la stratégie, ce qui n'est pas complètement faux : si nous avons travaillé avec l'État à l'élaboration d'un COM qui était quasiment prêt à la fin de 2023, ce contrat - qui décrit les ambitions et les moyens associés sur plusieurs années - n'a malheureusement pas pu être finalisé, et nous vivons depuis lors sans ce cadre de référence.

Par conséquent, nous nous sommes saisis de notre vision stratégique à dix ans. Parmi les éléments qui doivent nourrir notre réflexion, il faut noter que si la consommation moyenne d'audiovisuel d'un Français se répartit actuellement entre trois heures de télévision et une heure de consommation de vidéos sur les réseaux sociaux - principalement sur YouTube - la proportion est inversée chez les moins de 30 ans, qui consacrent 70 % de leur temps aux réseaux sociaux et au partage de vidéos.

De notre point de vue, l'enjeu consiste donc à basculer vers un média qui sera numérique plus que linéaire. Cela ne signifie pas que le linéaire n'aura pas d'importance, car il représentera vraisemblablement environ 30 % de la consommation ; pour autant, nous devons dès à présent approfondir les transformations de l'entreprise qui ont déjà été engagées afin d'aller vers un média avant tout numérique.

Je reconnais volontiers que ces transformations ne s'inscrivent pas dans le cadre d'un COM clairement défini, et nous appelons de nos voeux cette discussion avec la puissance publique, afin de formaliser clairement la feuille de route de l'entreprise pour les années à venir.

Nous n'avons pas fait disparaître les chaînes. En revanche, nous modifions ce que l'on appelle le bug antenne : toutes les vidéos sont marquées « France Télévisions ». En effet, sur le numérique, qu'il s'agisse des réseaux sociaux, de YouTube ou, demain, d'Amazon, il faut que nous poussions notre marque unique. Nous ne sommes pas assez importants dans l'univers numérique pour nous permettre d'arriver en ordre dispersé.

Le monde de la distribution n'est pas totalement figé : de nouvelles alliances vont sans doute se nouer demain. Dans ce contexte, quel est l'intérêt, pour France Télévisions, de passer un accord avec Amazon Prime, qui, comme aujourd'hui Canal+, compte au nombre des distributeurs ?

En étant présente sur Amazon Prime, France Télévisions peut espérer toucher des publics qui viennent moins naturellement ou moins directement sur l'application France.tv. C'est ce que nous allons expérimenter dans les mois qui viennent, sachant que le concept en lui-même est assez proche de celui de MyCanal. Depuis longtemps, toute l'offre de France.tv est disponible sur MyCanal : c'est ce mode de distribution que nous avons reproduit avec Amazon.

Pour autant, les canaux linéaires restent selon nous un formidable outil pour toucher tous les publics. Le week-end dernier, nous avons diffusé une course automobile de Formule 4 qui a eu lieu au Mans, le GP Explorer. Cet événement, organisé par Squeezie, le plus grand influenceur français, fait concourir de grands noms des plateformes, en particulier d'importants influenceurs. Le programme dont il s'agit a été extrêmement suivi sur YouTube comme sur France 2, alors même qu'il est né sur le numérique. Il faut bel et bien penser nos canaux linéaires comme une formidable vitrine de ce que France Télévisions fait de mieux, pour rendre ces contenus accessibles au plus grand nombre.

Vous m'interrogez aussi sur la création. Dans le monde de la production, on a effectivement vu un certain nombre de groupes se concentrer au cours des dernières années. Or, l'un de nos rôles est évidemment de veiller à la production indépendante.

La part des projets que nous confions à ces groupes est-elle ou non en croissance ? Cette autorité indépendante qu'est l'Arcom a mené un bilan quadriennal de l'activité de France Télévisions, et sa réponse est clairement non.

Le chiffre de 100 millions d'euros, que vous citez au sujet de Mediawan, comprend à la fois de la création et du flux. En revanche, les 400 millions d'euros évoqués se réfèrent uniquement à la création. Je souligne en particulier que, pour la fiction, la part des grands groupes est restée quasiment stable au cours des cinq dernières années.

Pour ce qui est de la partie financière proprement dite, je cède la parole à M. Vion.

M. Christian Vion, directeur général adjoint de France Télévisions. - Selon la Cour des comptes, notre situation financière s'est dégradée au point de devenir critique. Cette remarque est assez juste, comme l'essentiel des constats figurant dans son rapport. Mais il s'agit également d'une photographie, prise, par définition, à un instant t ; et cette situation résulte de l'histoire économique de France Télévisions.

À cet égard, trois éléments me paraissent très importants.

Premièrement - la Cour des comptes le souligne très clairement -, entre 2016 et 2024, l'entreprise est restée à l'équilibre d'exploitation avant éléments non récurrents. Il s'agissait d'une priorité de gestion, que Mme la présidente nous avait fixée pour toutes ces années et que nous avons respectée malgré les difficultés. Je rappelle qu'entre 2018 et 2022 les concours publics ont baissé de 160 millions d'euros ; qu'en 2020, première année de la crise covid, l'entreprise n'a pas bénéficié de crédits du plan de relance ; qu'en 2023 nous avons dû composer avec un très mauvais marché publicitaire, et qu'au cours de l'année 2024 les concours publics ont fait l'objet d'une régulation importante.

Malgré tout, les objectifs ont été tenus, alors même qu'en 2013, 2014 et 2015 l'entreprise avait accusé des pertes d'exploitation cumulées de 130 millions d'euros. Ces pertes concourent à la situation financière actuelle. Je précise qu'il ne s'agissait pas d'un dérapage de notre gestion : cette dégradation de la situation financière était inscrite, explicitement, dans le COM des années considérées.

Deuxièmement, le résultat net enregistré s'est révélé déficitaire au titre de certaines années, en particulier 2018 et 2022, pour deux raisons essentielles : tout d'abord, nous avons financé sur nos fonds propres nos investissements dans Salto, et c'était normal - il s'agissait d'une chaîne payante, et les fonds publics, destinés à financer l'offre publique disponible pour tous les citoyens, n'avaient pas à être ponctionnés à ce titre ; ensuite, nous avons mené le dispositif de fin de carrière portant rupture conventionnelle collective (RCC), plan de départs volontaires dont nous avons financé un tiers sur nos fonds propres, sachant que les deux autres tiers ont été financés par l'État sous forme de dotations en capital. D'ailleurs, ce choix n'est pas sans incidence sur le problème juridique et économique que vous évoquez, c'est-à-dire une situation où nos capitaux propres sont inférieurs à la moitié du capital social, puisque ces dotations ont eu tendance à augmenter le capital social.

Troisièmement et enfin, en 2024 et 2025, la trajectoire des concours publics a été modifiée. Nous avons travaillé quinze mois durant à un COM, en lien avec l'État, afin d'établir une trajectoire financière pour France Télévisions entre 2024 et 2028. En 2024, cette trajectoire a été remise en cause : 33 millions d'euros de régulation budgétaire ont été imposés en cours d'année. Nous avons alors pu rester à l'équilibre, mais en 2025 nous n'y arriverons pas.

De nouvelles coupes ont été annoncées, notamment au titre de la loi de finances pour 2025. Ces baisses, cumulées, atteignent 112 millions d'euros. Elles surviennent alors même que notre conseil d'administration a déjà voté un budget en déficit.

Nous avons fait tous les efforts possibles pour piloter ce déficit : nous avons présenté un premier budget affichant un déficit d'exploitation de 49 millions d'euros. Les 26 millions d'euros de coupes supplémentaires nous auraient conduits à un déficit de 70 millions d'euros : jugeant ce niveau inacceptable, la gouvernance nous a demandé de revoir notre copie, ce que nous avons fait volontiers. Nous avons ainsi fait approuver lors de notre conseil de juillet dernier un budget rectificatif présentant un déficit limité à 57 millions d'euros. En outre, j'ai le plaisir de vous annoncer que, la semaine prochaine, nous pourrons présenter au conseil une réduction sensible de cette perte, laquelle devrait s'établir aux alentours de 44 millions d'euros, sous réserve de la situation économique et de l'état du marché publicitaire, qui, depuis quelques semaines, nous inquiète beaucoup.

Monsieur Vial, vous vous dites déçu à la lecture de ce rapport, et je le comprends volontiers. Je rappelle toutefois que nous avons agi, avec notre gouvernance, de manière tout à fait transparente. D'ailleurs, la gouvernance a été d'un appui total dans les moments stratégiques que j'évoquais. De même, les choix opérés ont systématiquement été soumis à la validation de nos commissaires aux comptes.

La situation de l'entreprise est-elle critique ? Elle ne l'était pas jusqu'en 2024. Nous savions que la trésorerie avait baissé et que nous avions un problème de capitaux propres. Mais, même en tenant compte de la ponction effectuée en 2024, nous avions des solutions pour reconstituer tant la trésorerie que les capitaux propres. Je pense en particulier à notre projet immobilier Campus 2025, consistant à regrouper nos seize implantations parisiennes autour de la maison France Télévisions. Ce programme permettait de dégager des économies d'exploitation et la cession de deux immeubles nous permettait de franchir de nouveau le seuil des capitaux propres.

Le déficit de 2025 va creuser de nouveau notre trésorerie et nos capitaux propres. Évidemment, nous ne restons pas sans réagir : nous réduisons notre déficit et travaillons à une cession d'actifs qui devrait nous permettre d'améliorer notre trésorerie. Tout dépend de ce qui va se passer ensuite : l'incertitude pesant sur les concours publics pour 2026, 2027 et 2028 est l'élément qui pourrait rendre notre situation critique. Si, en 2026, les concours publics subissaient de nouveau une baisse sensible, je crains que nous ne puissions être à l'équilibre : l'entreprise serait de nouveau en déficit.

Enfin, nous travaillons à des réformes de structure. Nous avons déjà parlé de l'accord collectif. S'y ajoutent d'autres chantiers, qui exigent un minimum de temps. Nous avons donc besoin de visibilité, ce qui suppose une trajectoire pluriannuelle cohérente avec nos missions. C'est dans ces conditions que nous pourrons revenir à l'équilibre.

Mme Sylvie Robert. - Madame la présidente, avant tout, les membres du groupe socialiste tiennent à vous dire tout leur soutien face à l'offensive dont vous faites l'objet de la part du groupe Bolloré.

La première recommandation de la Cour des comptes s'adresse non pas à France Télévisions, mais à l'État. Il s'agit de « fixer une trajectoire financière réaliste » et de « traiter l'insuffisance des capitaux propres à travers l'adoption d'un COM ». A priori, nous ne pouvons que souscrire à de telles demandes - je rappelle que nous avons rejeté les projets de COM à l'unanimité.

France Télévisions doit bel et bien se réformer, mais l'entreprise ne peut pas y parvenir sans un cadre budgétaire clair et soutenable. C'est précisément pourquoi la contribution à l'audiovisuel public, et singulièrement à France Télévisions, ne doit pas baisser en 2026.

Dans un tel contexte, marqué par une incertitude budgétaire maximale et par une vaste offensive idéologique contre l'audiovisuel public, êtes-vous toujours favorable au projet de holding ?

J'en viens aux partenariats de distribution. Aujourd'hui, les plateformes se « TVisent » un peu - on le voit avec Netflix -, tandis que, d'une certaine manière, les chaînes de télévision se « plateformisent ». Comment caractérisez-vous la relation stratégique entre les premières et les secondes ? Iriez-vous jusqu'à diffuser les contenus d'autres plateformes ? Dans le cadre des accords de distribution que vous évoquez, une part des recettes publicitaires est-elle dirigée vers France Télévisions ?

Enfin, dans son rapport, la Cour des comptes aborde la convergence quadri-médias des programmes d'outre-mer, en rappelant la nécessité d'une information de proximité. Ce modèle ne pourrait-il pas nourrir la réflexion relative à l'implantation du réseau Ici ?

Mme Monique de Marco. - L'audiovisuel public est attaqué par des médias politisés, qui eux ne respectent aucune règle, et qui en particulier se moquent du pluralisme. Vous avez eu raison de rappeler leur engagement politique. Ce sont eux qui se rendent coupables d'infraction à la loi, et non le service public. Des chercheurs ont montré que des opinions de droite et d'extrême droite s'expriment sur les médias de Vincent Bolloré, quoi qu'en disent certains ici.

Quel volume d'économies pensez-vous réaliser grâce à la négociation d'un nouvel accord collectif ? En outre, l'intelligence artificielle permettra-t-elle selon vous de réduire le niveau d'emploi à France Télévisions ? À cet égard, comment garantir le maintien de la qualité des programmes et le respect des règles éthiques en vigueur ?

M. Max Brisson. - Ceux que vous avez élégamment traités de « caricaturaux » ne sont pas nécessairement hostiles à l'audiovisuel public : simplement, ils se réservent le droit d'être critiques. Bien sûr, l'audiovisuel public propose beaucoup de beaux programmes, mais il suscite aussi beaucoup de questions, qu'il s'agisse de son indépendance ou du respect du pluralisme. Je pense, en particulier, à certaines émissions télévisées dont l'impartialité est sujette à caution. L'entre-soi qui y règne me semble bien éloigné de ce que devrait être notre télévision publique. Or vous venez de nous dire, en substance : « Circulez, il n'y a rien à voir. » Nous ne pouvons pas l'accepter.

Si France Inter a décidé de suspendre immédiatement Thomas Legrand de son antenne, Patrick Cohen, lui, reste présent chaque soir sur France 5. Il n'a jamais présenté aucune excuse, si l'on excepte une courte explication orchestrée dans une émission dont il est le chroniqueur, devant ses collègues complaisants. N'est-ce pas là une faute éthique ?

En juillet 2023, vous déclariez devant l'Assemblée nationale que le service public de l'audiovisuel s'efforçait de « représenter la France telle que l'on voudrait qu'elle soit ». Plus récemment, vous avez qualifié CNews de média d'opinion - il s'agit même, selon vous, d'une « chaîne d'extrême droite ».

Que faut-il en conclure ? Que le service public a pour mission d'être le contrepoids du groupe Bolloré ? De lui faire barrage coûte que coûte ? De se dresser, tel un missionnaire, contre une pensée jugée moralement condamnable ? Qu'il a pour noble destinée d'enseigner aux Français la bonne manière de penser ? Est-ce vraiment là la mission de l'audiovisuel public ?

Pouvez-vous nous expliquer précisément ce que signifie « représenter la France telle que l'on voudrait qu'elle soit » ? Pouvez-vous nous dire selon quels critères qualifier, d'après vous, une chaîne de télévision d'extrême droite ?

Le 18 septembre dernier, vous plaidiez une fois de plus pour un véritable soutien politique et financier aux médias du service public. Or, dans son rapport du 23 septembre suivant, la Cour des comptes épinglait la gestion financière de la télévision publique. À vous entendre, ce serait surtout la faute des autres, qu'il s'agisse de l'État ou du législateur. Vous réclamez davantage de moyens, mais vous interrogez-vous sur le périmètre, les moyens, l'externalisation, les statuts, les contrats ou encore les salaires ? Acceptez-vous que l'on se penche sur ce volet de la gestion des deniers publics sans être qualifié de « caricatural » ?

À la suite de la publication du rapport de la Cour des comptes, je me dois de vous interroger : ne pensez-vous pas que vous faites le mandat de trop ? Avez-vous pensé à donner votre démission ?

M. Pierre Ouzoulias. - Il y a quelques années, on accusait France Télévisions de mettre en avant le président Macron de façon éhontée. J'entends à présent que France Télévisions est au service du projet politique des partis de gauche : si tel est le cas, c'est singulièrement contre-productif...

On vient d'évoquer CNews : je me suis rendu une fois sur le plateau de cette chaîne et j'ai eu l'impression d'être devant un tribunal. Le journaliste, le chroniqueur, l'opposant : tout le monde était contre moi. Après cette expérience malheureuse, je n'y suis pas retourné. Quand les hommes de gauche sont traités en coupables, ils cessent de venir. Il ne faut pas s'étonner, dès lors, qu'une telle chaîne ait des problèmes de pluralisme.

Au sujet de l'impartialité, je tiens à rappeler cette phrase de Jaurès : « Il n'y a que le vide qui est neutre. » Dès lors, ce qui importe, c'est le débat contradictoire : il faut présenter aux auditeurs des pensées structurées qui s'opposent. Là est le rôle du service public.

Selon vous, la télévision publique doit donner à voir ce que la France devrait être. Elle est effectivement au service de la République, à l'instar de l'école publique, dont le rôle, depuis la Révolution française, est de fabriquer des républicains.

Il y a longtemps que le ministère de la culture, votre ministère de tutelle, vous demande d'aider la production externe. Vous le faites, mais cette politique est à la fois lourde et coûteuse. Ne pourrait-elle pas être financée directement par le ministère de la culture ?

Les plateformes d'intelligence artificielle chalutent très largement les informations produites par le service public, qu'il s'agisse de France Télévisions ou de la Bibliothèque nationale de France (BNF). Ne serait-il pas normal d'exiger d'elles une forme de rémunération pour toutes les données qu'elles mettent à profit afin de contrôler une part croissante du marché ?

M. Pierre-Antoine Levi. - La Cour des comptes nous rappelle dans son rapport que l'État actionnaire doit prendre, avant le 31 décembre 2026, des mesures de rétablissement des fonds propres ou de réduction du capital social, sous peine de dissolution légale.

Elle relève, en parallèle, que votre investissement dans la création va au-delà de votre obligation légale. Un accord conclu à l'été 2024 fixe en effet un seuil de 440 millions d'euros par an, alors que votre obligation légale n'est que de 420 millions d'euros. Ce choix, qui se concevait dans le cadre du dernier COM, paraît plus contraignant dans le contexte financier actuel.

La Cour ajoute que le retour à l'engagement légal de 420 millions d'euros pourrait être facilité par le décret relatif au service de médias audiovisuels à la demande (Smad), qui va rendre le secteur de la production moins dépendant de France Télévisions. Les 20 millions d'euros supplémentaires représentent la moitié du déficit que vous accusez en 2025 : comment justifiez-vous le choix budgétaire actuel, alors que la pérennité même de l'entreprise est en jeu ?

J'en viens aux comités sociaux et économiques de France Télévisions. La Cour des comptes souligne qu'ils sont généreusement dotés : l'entreprise consacre 0,2 % de sa masse salariale brute aux activités économiques et professionnelles et, surtout, 2,2 % aux activités sociales et culturelles. La part est de 1,5 % environ chez TF1, de 0,95 % chez M6 et d'environ 1 % dans la plupart des grandes entreprises privées.

La charge financière supportée à ce titre par France Télévisions reste très élevée - 13,6 millions d'euros en 2019 et 14,2 millions d'euros en 2024 -, notamment pour la restauration. Le comité interentreprises concentre à lui seul 63 % du financement des activités sociales et culturelles, soit 3,5 millions d'euros en 2023. Il gère des centres de vacances et possède en propre un patrimoine unique. Je pense en particulier au château de La Finou, à Lalinde, en Dordogne, qui dispose d'un parc de 115 hectares et d'une piscine rénovée pour 1 million d'euros.

Dans un rapport de 2016, la Cour des comptes avait déjà examiné les comptes et la gestion de ces activités sociales et culturelles. Elle avait formulé un certain nombre de propositions à cet égard. Dans son dernier rapport, elle juge souhaitable que la gestion de ces organismes soit auditionnée. Comment justifiez-vous que France Télévisions consacre un tel pourcentage de sa masse salariale aux activités sociales et culturelles, alors que l'entreprise accuse un déficit de 40 millions d'euros ? Avez-vous l'intention d'auditionner la gestion de ces activités ? Envisagez-vous de réduire cette dotation au niveau des concurrents privés de France Télévisions ? Vous pourriez ainsi dégager plusieurs millions d'euros d'économies.

Mme Colombe Brossel. - Avant tout, je tiens à vous remercier d'avoir mis des mots simples sur une réalité qui l'est tout autant : le groupe que vous représentez fait bel et bien l'objet d'une offensive politique et idéologique de la part d'un groupe de médias d'extrême droite.

Il suffit d'allumer CNews pour constater qu'il s'agit d'une chaîne d'extrême droite. Il ne faut pas plus de trois secondes et demie pour s'en rendre compte... J'ajoute, pour rappel, que CNews a été condamnée à payer 200 000 euros d'amende à la suite de propos racistes proférés par Éric Zemmour. Les cinquante-deux sanctions subies par C8 et CNews, dont seize en 2024, sont, elles aussi des éléments tangibles. Il me semble nécessaire de rappeler ce contexte.

À l'évidence, certains membres de cette commission se réjouiraient que la situation budgétaire de France Télévisions soit aussi catastrophique qu'annoncé. Pourtant, c'est la création française tout entière qui s'en trouverait affectée.

Au-delà de l'enjeu culturel, l'audiovisuel public joue un rôle économique et social majeur. Derrière chaque documentaire, chaque fiction, chaque concert diffusé se trouvent des milliers de professionnels - réalisateurs, scénaristes, techniciens, comédiens, musiciens ou encore producteurs indépendants : autant d'hommes et de femmes qui structurent la filière créative, laquelle est essentielle à notre pays.

À elles seules, France Télévisions et Radio France consacrent chaque année près de 480 millions d'euros à la création. Il s'agit là d'un investissement décisif.

Madame la présidente, êtes-vous en mesure d'évaluer l'impact d'une baisse de 63 millions d'euros de votre budget ? Quels seraient les effets directs et indirects d'une telle mesure sur le volet création de France Télévisions ?

M. Jacques Grosperrin. - J'étais très fier de France Télévisions jusqu'il y a peu. Beaucoup de pays nous enviaient notre service public de l'audiovisuel, car il diffusait nombre d'émissions intéressantes et vivantes. Deux événements concomitants m'ont fait changer d'avis.

Le premier a trait à la publication du rapport de la Cour des comptes. Ce dernier met en exergue les difficultés du groupe, et notamment la dégradation de ses finances. Quid du contrat d'objectifs et de moyens ? Qui est responsable de cette situation, madame la présidente ? Vous ou votre tutelle ? Que pouvez-vous nous dire à ce sujet ?

Le second tient à vos récents propos relatifs à la chaîne CNews, qui, de mon point de vue, relèvent de la faute morale, voire politique. La présidente d'un service public financé à hauteur de 80 % par l'État aurait dû faire preuve de davantage de prudence dans son expression. S'agissant de CNews, Pierre Ouzoulias a parlé de tribunal ; personnellement, quand je regarde C à vous ou C à dire ?!, j'ai cette même impression... Et je ne suis pas le seul ! L'Institut Thomas More a analysé, en 2024, l'orientation politique de 587 intervenants sur les chaînes de France Télévisions : si la moitié d'entre eux sont « neutres », on comptabilise, pour l'autre moitié, 20 % de macronistes et 25 % de socialistes et progressistes, contre 4 % seulement de personnes classées à droite. Il est normal de s'interroger, car les faits sont têtus...

J'aurais également aimé vous entendre à propos de Patrick Cohen, puisque, contrairement à Thomas Legrand, celui-ci continue d'être présent sur France Inter et sur les plateaux des chaînes de France Télévisions. Posons-nous les bonnes questions : si les Français regardent davantage les autres chaînes, c'est peut-être parce que le service de l'audiovisuel public ne répond plus à leurs attentes !

Madame la présidente, mes questions sont simples : le pluralisme est-il toujours un objectif de France Télévisions ? Quelles dispositions envisagez-vous de prendre pour rétablir la confiance de nos concitoyens dans l'audiovisuel public ?

Mme Karine Daniel. - Ma question porte sur le rapprochement entre France 3 et France Bleu sous la marque « Ici » : disposez-vous d'un premier bilan de cette nouvelle formule ? Quels enseignements peut-on tirer d'une telle évolution en termes d'audience et de lisibilité des programmes ? J'insiste sur le volet relatif au financement d'une création décentralisée, locale et diversifiée, car on entend des inquiétudes s'exprimer dans les régions.

Mme Catherine Morin-Desailly. - Je remercie Laurent Lafon d'avoir organisé cette audition. Nous sommes effectivement très attachés à notre audiovisuel public, un service public que nous évaluons régulièrement dans la mesure où il doit remplir des missions spécifiques et uniques en leur genre. C'est aussi pourquoi - nous l'admettons bien volontiers, madame la présidente - il existe une telle exigence de la part des parlementaires : nous attendons du service public de l'audiovisuel impartialité et respect du pluralisme, une exigence qui, je le souligne, vaut aussi pour l'audiovisuel privé.

Je le dis d'autant plus volontiers que, dans ce contexte de guerre de l'information, il me semble qu'il serait préférable que les efforts se concentrent sur la situation internationale et les graves menaces qui nous entourent : je pense à la montée des périls, aux ingérences étrangères, aux cyberattaques qui se multiplient. Les forces vives du paysage audiovisuel feraient bien de davantage lutter contre la désinformation.

Cédric Vial a évoqué la situation alarmante de France Télévisions. Le rapport de la Cour des comptes, qui livre un bilan contrasté, mais plutôt équilibré du groupe, aborde un certain nombre de sujets : il détaille les efforts, les gains de productivité et économies déjà réalisés, mais, dans le même temps, il pointe un certain nombre de défauts stratégiques.

Je siège au conseil d'administration de France Télévisions ; j'ai toujours fait en sorte d'y adopter une posture exigeante, ou, en tous les cas, jamais complaisante. Ainsi, j'ai toujours été hostile à la plateforme Salto, dont on constate l'échec aujourd'hui. Le projet initial, le vôtre, madame la présidente, était beaucoup plus ambitieux, de dimension européenne, mais il n'a, hélas, pas pu être mené à bien. Il serait intéressant que vous nous en expliquiez les raisons, car, aujourd'hui, on ne peut que regretter le rapprochement avec des plateformes extra-européennes, comme celle d'Amazon.

Je souhaiterais apporter une nuance aux critiques que l'on entend concernant l'absence de réformes à France Télévisions. Je déplore pour ma part que, depuis quinze ans, la tutelle de l'État soit erratique et changeante. Ainsi, respectivement en 2012 et en 2017, François Hollande et Emmanuel Macron se sont engagés à réformer l'audiovisuel public sans jamais le faire. Franck Riester a certes eu le courage d'engager cette évolution, en dotant le groupe d'une perspective globale, d'une gouvernance et d'un modèle économique solides, avec des missions réaffirmées et adaptées aux usages du numérique, mais la réforme a finalement été suspendue... La Cour des comptes elle-même insiste sur l'absence d'une trajectoire budgétaire claire, qui fragilise beaucoup l'entreprise.

D'aucuns appellent de leurs voeux la privatisation de l'audiovisuel public. C'est totalement irréaliste : aujourd'hui, les ressources publicitaires sont en effet réduites à peau de chagrin du fait de l'essor des plateformes numériques. Pour disposer d'un paysage audiovisuel équilibré, il ne faut pas privatiser des chaînes qui, par ailleurs, exercent des missions auxquelles il convient d'être attentif : l'éducation, la promotion de la transparence, la lutte plus que jamais nécessaire contre la désinformation.

Madame la présidente, il y a encore beaucoup de travail à faire pour réformer France Télévisions. Et il faut évidemment régler au préalable la question budgétaire. À ce sujet, je ferai remarquer que nous avions voté un très bon texte l'an dernier pour compenser la disparition soudaine de la redevance audiovisuelle.

M. Jean-Gérard Paumier. - Madame la présidente, lors de l'une de vos récentes auditions, ici même, au Sénat, vous aviez exprimé votre inquiétude à propos du budget de France Télévisions, inquiétude alimentée, selon vous, par les injonctions contradictoires des ministères de la culture et des finances. Pourriez-vous nous donner quelques exemples des injonctions contradictoires émises par le ministère de la culture concernant les obligations d'investissement dans la création qu'il vous fixe, ainsi que quelques exemples des injonctions contradictoires du ministère des finances en ce qui concerne la régulation budgétaire appliquée à votre groupe ?

M. Adel Ziane. - Je suis pour ma part toujours aussi fier de France Télévisions, ne serait-ce que parce que ce service public couvre l'ensemble de nos territoires, de nos départements et de nos régions. Ce rôle est extrêmement important et apprécié par les élus de manière générale.

Madame la présidente, je veux moi aussi revenir sur les propos que vous avez tenus dans le journal Le Monde le mois dernier, et qui vous valent aujourd'hui une pluie de critiques. Je tiens pour ma part à les saluer : de mon point de vue, dire que CNews est une chaîne d'extrême droite est non pas une provocation, mais un constat lucide. Depuis des années, cette chaîne - et, plus largement, la galaxie médiatique de Vincent Bolloré à travers CNews, Europe 1 et le Journal du dimanche (JDD) - mène une véritable campagne de dénigrement de l'audiovisuel public. La réponse que vous avez apportée était, selon moi, nécessaire.

Cette campagne de dénigrement m'inquiète à plus d'un titre : elle s'apparente à certaines stratégies médiatiques qui ont prospéré aux États-Unis, notamment au travers de Fox News, et qui ont contribué à l'émergence du trumpisme. Avec ces procédés médiatiques, on ne se contente pas de critiquer : on déforme, on caricature, et on met parfois en danger des journalistes en proférant des propos haineux. Une telle campagne sert un dessein idéologique et économique.

Vous avez une responsabilité immense à cet égard, celle de faire vivre un audiovisuel public libre, pluraliste et rigoureux dans un contexte où la désinformation prospère, que ce soit sur les réseaux sociaux ou dans les médias généralistes. Votre rôle consiste aussi à garantir à chacun un accès à une information indépendante, à la culture, au sport, à la création, en lui donnant les moyens d'être un citoyen éclairé, engagé dans la vie de la cité. Certains considèrent à tort que défendre le service public, c'est défendre un bastion partisan. En réalité, cela revient à défendre le droit des Français à une information qui s'affranchit des intérêts financiers et de quelques milliardaires qui cherchent à imposer une ligne idéologique.

Sur le plan financier, le récent rapport de la Cour des comptes a fait couler beaucoup d'encre. Pour autant, son président, Pierre Moscovici, a rappelé que la privatisation de France Télévisions n'était pas une option. Si le rapport évoque des résultats préoccupants, il en fait porter la responsabilité principale à des ressources devenues instables depuis la suppression de la redevance audiovisuelle ; on peut lire par ailleurs qu'à France Télévisions des efforts considérables ont été consentis via notamment des baisses d'effectifs. En vérité, le problème est que l'État n'est pas au rendez-vous des engagements qu'il doit fixer.

Pour finir, permettez-moi de rappeler les récents propos de Rodolphe Belmer, ancien directeur général du groupe Canal+, et aujourd'hui PDG de TF1 : celui-ci a affirmé que la France avait besoin d'un « audiovisuel public fort, solidement financé ». Ce soutien - c'est à souligner - vient du privé et témoigne d'une conscience partagée : sans un pôle audiovisuel public solide, le paysage médiatique s'appauvrit, la création s'affaiblit, la démocratie est menacée.

Quels leviers concrets l'audiovisuel public peut-il mobiliser pour renforcer ses missions en matière de formation citoyenne et mieux faire comprendre le rôle essentiel qu'il joue dans la vie démocratique pour chacun d'entre nous, quel que soit son âge, son parcours ou son territoire ?

M. Aymeric Durox. - Lors de votre audition à l'Assemblée nationale en mars 2024, vous aviez annoncé qu'il n'y aurait plus de portraits politiques dans l'émission Complément d'enquête à l'approche des élections européennes du 9 juin suivant. Or un premier Complément d'enquête sur Jordan Bardella avait été diffusé le 18 janvier sans que cela n'émeuve personne à France Télévisions. À l'inverse, les portraits d'Alexis Kohler, de Rachida Dati et de Gabriel Attal avaient été supprimés.

Le 19 septembre 2024, un second Complément d'enquête consacré à Jordan Bardella a été diffusé sur France 2. Il s'agit d'un record pour une personnalité politique en un laps de temps si court ; d'aucuns pourraient même considérer qu'il s'agit d'une forme d'acharnement, d'autant que, dans le même temps, aucun portrait d'Alexis Kohler, de Rachida Dati ou de Gabriel Attal - pour reprendre ces trois personnalités - n'a été diffusé, malgré les multiples affaires les concernant.

Comment expliquez-vous le « deux poids, deux mesures » institué par un audiovisuel public pourtant financé par les impôts des Français, et ce alors même que vous aviez déclaré le mercredi 12 janvier 2022 sur France Inter que vous veilleriez à ce que toutes les opinions soient représentées sur le service public ?

Autre question : en cas de dissolution de l'Assemblée nationale, envisagez-vous la mise en retrait de la présentatrice du journal télévisé de 20 heures, Léa Salamé, en raison de sa proximité avec l'un des leaders de la gauche dans notre pays - ce qui contribuerait peut-être d'ailleurs à faire remonter les audiences ?

Mme Sonia de La Provôté. - La semaine dernière, lors de son audition par notre commission de la culture, le président de l'Arcom a déclaré que 60 % des spectateurs et auditeurs avaient confiance dans le service public de l'audiovisuel. Comment expliquez-vous cette perte de confiance ? Est-ce uniquement la faute des autres ? Comment regagner la confiance du public et relever ce pourcentage à au moins 80 % ?

Mon autre question a trait au déficit de France Télévisions. Celui-ci est passé de 57 millions d'euros à 44 millions d'euros en trois mois, ce qui est très positif. Vous auriez annoncé qu'une partie des économies réalisées - de mémoire, il s'agit d'un montant de l'ordre de 60 millions d'euros - concernerait la création. Or cela risque de faire l'effet d'une déflagration dans ce milieu. Je considère pour ma part qu'encourager la création fait partie des missions de l'audiovisuel public : est-il encore possible de revenir, ne serait-ce que partiellement, sur cet effort de 60 millions d'euros ?

M. Yan Chantrel. - Je tiens à mon tour à réaffirmer notre soutien au service public face aux attaques que votre groupe subit. Je le dis avec d'autant plus de force que j'ai eu l'occasion d'observer, en tant que sénateur représentant les Français établis hors de France, que, dans certains pays, l'audiovisuel public avait été attaqué par les mêmes forces politiques qui s'en prennent à vous - je pense évidemment aux médias de la sphère de M. Bolloré, lequel assume un dessein idéologique et politique très clair, et pour lequel il a d'ailleurs été condamné à de multiples reprises... J'ai pu constater l'exact inverse de ce que l'on vous reproche : c'est précisément le démantèlement du service public de l'audiovisuel et son délitement au profit de chaînes privées qui ont pour conséquence l'absence de contradiction, de diversité et de pluralisme.

Personne ici ne s'en est ému, mais plusieurs présentateurs vedettes de la chaîne CNews ont déclaré publiquement qu'ils rencontraient ou dînaient régulièrement avec des personnalités politiques, notamment des ministres - M. Retailleau pour ne pas le citer -, afin de discuter en privé avec eux et de recueillir leur avis sur tel ou tel sujet. J'insiste, personne ne s'en offusque ! Une telle situation pose pourtant un problème éthique. De telles pratiques vont à l'encontre du pluralisme que doivent pourtant respecter toutes les chaînes de télévision, qu'elles soient publiques ou privées.

J'ai une question qui concerne plus spécifiquement les Français établis hors de France. Un certain nombre de nos ressortissants et de francophones, partout dans le monde, ne peuvent pas suivre l'intégralité des émissions du service public de l'audiovisuel. Pourquoi ne pas mettre en place un système de licence universelle leur permettant d'accéder à ces contenus, un système qui de surcroît constituerait une source de revenus pour France Télévisions ? Parmi nos 3 millions de ressortissants et les près de 300 millions de francophones de par le monde, nombreux sont ceux qui seraient prêts à payer pour avoir accès à de tels contenus plutôt que de dépenser plusieurs dizaines d'euros par mois pour Netflix ou Amazon Prime. J'estime que nous n'avons pas à rougir de notre création audiovisuelle, notamment si on la compare à l'offre culturelle ou audiovisuelle proposée dans la plupart des autres pays. Notre création publique est de qualité ; il faut en être fier.

M. Laurent Lafon, président. - Madame la présidente, en matière d'information, on voit bien que la priorité de France Télévisions reste le 20 heures - j'en veux pour preuve l'ambitieuse campagne de publicité que vous avez lancée début septembre. Une telle stratégie vous semble-t-elle toujours aussi pertinente ? À une époque où l'information en continu est accessible à tous, est-il toujours aussi judicieux de miser sur le 20 heures plutôt que d'investir dans France Info TV, qui continue d'enregistrer, je le rappelle, la plus faible audience de toutes les chaînes d'information du même type ?

J'ai une autre question de moindre importance : parmi ses recommandations, la Cour des comptes évoque la piste d'une hausse des ressources publicitaires sur la plateforme France TV. Sur sa plateforme, TF1 percevrait entre 150 millions et 200 millions d'euros de ressources publicitaires, contre environ 50 millions d'euros pour France Télévisions, et ce alors même que l'audience y est supérieure à celle de la plateforme de la chaîne privée : ne s'agit-il pas là d'une idée intéressante pour renflouer les caisses du groupe ?

M. Cédric Vial, rapporteur pour avis. - Madame la présidente, je vous remercie de ne pas oublier de me répondre sur le coût de Slash et à propos du coût, en comptabilité analytique, de chaînes comme France Info TV, France 5 ou France 4.

Mme Delphine Ernotte Cunci. - Bien sûr, monsieur Vial. Christian Vion va immédiatement satisfaire votre curiosité avant que je ne réponde aux différentes questions qui m'ont été posées.

M. Christian Vion. - Première précision, 90 millions d'euros, c'est le coût de l'ensemble de notre politique en direction des jeunes publics, et non le coût de Slash, qui s'élève, lui, à une dizaine de millions d'euros seulement.

Par ailleurs, nous retraçons effectivement le coût de chaque chaîne dans une comptabilité analytique, une présentation qui est d'ailleurs accessible à tous, puisqu'elle figure en annexe du rapport de la Cour des comptes. Cela dit, pour être tout à fait honnête, le pilotage financier ne se fait plus véritablement par chaîne : on raisonne désormais selon une offre globale, offre grâce à laquelle nous sommes parvenus à faire des économies ces dernières années, notamment en supprimant un certain nombre de doublons.

Mme Delphine Ernotte Cunci. - Mme Sylvie Robert me demande mon avis sur la holding. Personnellement, j'ai toujours été en faveur d'un rapprochement des entreprises de l'audiovisuel public, parce que je pense que c'est un facteur d'amélioration de l'offre à destination de nos différents publics. À France Télévisions, j'ai moi-même été l'artisan d'une fusion des entreprises, d'une simplification des marques, d'un regroupement de tous derrière un seul objectif. Nous serions bien inspirés de faire de même avec l'ensemble des entreprises de l'audiovisuel public.

En revanche, j'estime qu'aujourd'hui, compte tenu de l'état de nos finances publiques, lesquelles ont un impact extrêmement important sur le budget de France Télévisions, et au vu de l'absence de contrat d'objectifs et de moyens, la mise en place d'une holding est vouée à l'échec. Voilà sur quoi porte mon inquiétude. J'ajoute que les salariés de France Télévisions y sont opposés, d'autant qu'ils sont très inquiets des récentes attaques contre le service public, des conclusions du rapport de la Cour des comptes, et de l'absence de perspectives fixées par l'État actionnaire.

Nous serions confrontés simultanément à une baisse significative de nos subventions et à un changement de gouvernance. La question fondamentale qui se pose aujourd'hui est donc, selon moi, de savoir si, demain, on veut vraiment un service public de l'audiovisuel fort. Il faut aussi se demander ce qu'un audiovisuel public fort signifie et tenter de redéfinir ses missions en fonction de la réponse qu'on apporte à cette interrogation et des moyens qu'on lui attribue.

Il ne sera pas possible de maintenir un service public fort si l'on continue, chaque année, de lui imposer des régulations budgétaires inopinées. Cela ne me choque pas de devoir continuer à faire des économies - j'en ai toujours fait dans les fonctions que j'ai occupées -, mais il convient de fixer un cadre clair. Une fois ce cadre correctement défini, il faudra réfléchir à la meilleure gouvernance à établir pour réussir. C'est ainsi que le problème se pose.

Aujourd'hui, je m'inquiète de cette absence de vision stratégique globale. Elle sème le doute sur les intentions qui ont présidé à l'élaboration d'un texte - la proposition de loi relative à la réforme de l'audiovisuel public et à la souveraineté audiovisuelle - qui me semble pourtant nécessaire. Certains s'interrogent sur le véritable dessein derrière l'idée d'un changement de gouvernance, craignant qu'il s'agisse d'une tactique pour affaiblir plus encore l'audiovisuel public. Je considère pourtant cette réforme comme nécessaire dans l'absolu. Mais j'estime que les circonstances ne sont pas très favorables aujourd'hui à la création de cette holding.

Catherine Morin-Desailly, Max Brisson et Jacques Grosperrin ont abordé la question du pluralisme et de l'impartialité, un enjeu qui est effectivement important. Jusqu'ici, le pluralisme était comptabilisé par les chaînes de l'audiovisuel public et l'Arcom à l'aune des temps de parole des personnalités politiques, selon des modalités qui différaient selon qu'ils s'exprimaient dans le cadre d'une campagne électorale ou non. Mais une récente décision du Conseil d'État a modifié la donne : en substance, on nous a demandé de tenir compte de l'ensemble des intervenants sur nos plateaux de télévision ou dans nos studios de radio. Vous êtes plusieurs à m'avoir dit que vous estimiez que, sous cet angle, le compte n'y était pas et que nous ne respections pas les règles d'équité des temps de parole.

Je le dis très simplement : pour l'instant, il n'y a pas de doctrine en la matière. L'Arcom, dans l'une de ses délibérations, a précisé qu'elle instruirait dorénavant ex post toute saisine sur le fondement d'un trouble manifeste au pluralisme, en tenant compte de l'ensemble des participants aux programmes diffusés, et qu'elle rendrait ensuite un avis sur ce fondement.

À France Télévisions, nous avons pris en considération cette évolution. Nous avons ainsi souhaité renforcer la transparence. Aujourd'hui, nous publions sur la plateforme France Info les temps de parole des différents invités politiques. Pour aller un cran plus loin, je m'engage à porter à votre connaissance la liste des invités présents dans l'ensemble de nos émissions, en apportant un maximum de précisions sur chaque invité.

Je souhaite revenir sur le chiffre de 60 % cité par Martin Ajdari, dont j'ignore l'origine. Nous disposons d'une note de 6 sur 10 - ce qui n'est pas 60 % - attribuée à France Télévisions par un sondage de l'Institut français d'opinion publique (Ifop) sur l'impartialité des médias. Une telle note n'a de sens que si elle est rapportée à celle des autres. Or, en décembre 2024, la moyenne des groupes de médias s'établissait à 5,5, quand France Télévisions obtenait 6 ; en mars 2024, nous étions à 5,8 pour une moyenne générale de 5,4. Tous les groupes ont donc progressé, y compris le nôtre, et nous demeurons en tête. Il faudra interroger M. Ajdari sur sa source, mais ne nous engageons pas pour autant dans une bataille de chiffres.

Contrairement à ce qu'indiquait M. Grosperrin, tout le monde nous regarde. Les sondages sur les votes lors de la dernière élection présidentielle auprès de nos téléspectateurs montrent que notre public est tout à fait représentatif de l'électorat français. La raison en est simple : nous sommes massifs. Nous sommes le premier groupe audiovisuel français : un Français sur deux nous regarde chaque jour et huit sur dix chaque semaine, quels que soient leur couleur politique, leur lieu de résidence ou leur catégorie socioprofessionnelle. J'apporterai un bémol : nous sommes davantage présents auprès des catégories socioprofessionnelles dites CSP- que des CSP+. Nous touchons 81 % de la population chaque semaine, et ce chiffre atteint 87 % pour les CSP- . Cela ne surprendra personne, la télévision est populaire.

Vous soulevez la question de la partialité, qu'il faudrait parvenir à définir. Le président de l'Arcom nous a, certes, appelés à l'introspection à ce sujet. À France Télévisions, nous sommes peu portés sur la psychanalyse et préférons réfléchir à l'action. Cela consiste à donner des règles claires à nos équipes éditoriales pour garantir le meilleur équilibre possible entre les invités, ce qui nous semble être le point fondamental. Nous mènerons ce travail en lien avec l'Arcom, qui prévoit sa propre étude sur ce thème ; j'ai également demandé à notre comité d'éthique - une entité indépendante, je le rappelle - de nous accompagner et de valider notre plan de marche. Nous le rendrons public afin de vous fournir une analyse plus documentée, plus fine et plus précise. Il me paraît légitime d'aller plus loin dans la transparence qui nous est réclamée.

Vous m'interrogiez sur mes propos tenus dans Le Monde. En tant que cheffe d'entreprise, je défends une société cible d'un dénigrement massif, et ce bien avant l'affaire « Legrand Cohen ». M. le secrétaire général tient à votre disposition la liste des verbatims atroces dont le service public est la cible au quotidien. Dès lors, il est bon de dire les choses : je considère que CNews est une chaîne d'opinion ; nous ne faisons pas le même métier. LCI, BFM et France Info sont des chaînes d'information. Notre rôle est précisément d'accueillir la multiplicité des opinions et des points de vue, afin de permettre au téléspectateur de se forger sa propre idée.

M. Jacques Grosperrin. - C'est bien mieux dit comme cela.

M. Max Brisson. - Mais, enfin, quelle est votre légitimité pour classer les autres chaînes ?

Mme Delphine Ernotte Cunci. - En tant que présidente de France Télévisions et cheffe d'entreprise, je suis légitime à défendre les journalistes et, plus largement, cette maison, ainsi qu'à en rappeler les règles. Nous n'exerçons pas le même métier que certains et nous avons une obligation d'impartialité ; il s'agit d'une règle cardinale à laquelle nous ne dérogerons jamais. Dans le même temps, tout ne se vaut pas et il est important de réaffirmer que France Télévisions est la maison commune et que notre vocation n'est pas de diffuser des opinions. D'ailleurs, la devise de France Info est : « L'information n'est pas une opinion. »

Quant à savoir si j'accomplis le mandat de trop, je dirais plutôt qu'il s'agit d'un mandat de plus. C'est l'Arcom qui procède à la nomination, après un écrit, l'examen d'un plan stratégique et un grand oral. Je suis très engagée pour le service public, et pour le service public de l'information ; c'est ma conviction, et c'est ma fierté. Dans les temps compliqués que nous traversons, sur le plan de la politique intérieure comme de la géopolitique, un service public qui constitue une agora commune, un lieu où, un peu comme au Sénat, l'on peut nourrir des opinions différentes tout en continuant à se parler, à échanger et à fabriquer du commun, me semble absolument essentiel.

Vous m'avez interrogée sur Ici et l'outre-mer comme modèle potentiel ; je suis tout à fait d'accord. France Télévisions dispose de neuf stations de radio, de télévision et de web dans les départements et territoires ultramarins. Ce que nous cherchons à accomplir avec Radio France, nous l'expérimentons donc avec succès depuis des années outre-mer, où un travail concerté entre les équipes de la télévision, de la radio et du numérique a permis de créer de véritables trimédias. La Cour des comptes a d'ailleurs souligné le bon fonctionnement de ce modèle, que nous souhaitons mettre en place pour le réseau régional Ici.

Le premier bilan de cette initiative est mitigé, car nous sommes un peu au milieu du gué : le projet de holding, initialement présenté par M. Riester dès 2020, est discuté depuis un an et demi, il est repassé devant le Sénat et n'a toujours pas abouti. Cette attente ne nous aide pas à avancer dans notre réflexion. Néanmoins, des points très positifs doivent être relevés : l'unification des marques a été bien accueillie par les téléspectateurs, qu'il s'agisse du logo unique France Télévisions ou de la marque Ici, désormais présente sur l'ensemble des programmes régionaux de France 3. La régionalisation des éditions, opérée en 2023, avec vingtquatre éditions à la mi-journée et vingt-quatre le soir, est un véritable succès d'audience. Les matinales de radio filmées, bientôt au complet, nous engagent également à aller plus loin dans le travail en commun.

Concernant nos obligations de création et l'impact d'une réduction de nos investissements à ce sujet, il m'est difficile de quantifier précisément les éventuelles pertes d'emplois. Cependant, l'association La filière audiovisuelle (LaFA) qui regroupe chaînes privées et publiques à l'initiative du président de TF1, Rodolphe Belmer, a publié une étude montrant que l'industrie audiovisuelle représente 12,5 milliards d'euros de valeur ajoutée et 260 000 emplois. France Télévisions n'est pas le seul financeur de la création audiovisuelle, mais le principal, un choc sur notre budget aurait un impact considérable sur ces emplois ; pour autant, il serait malhonnête de ma part de l'évaluer par une simple règle de trois.

Sur l'équilibre entre production interne et externe, la loi de 1986 favorisait la seconde. Il y a dix ans, le taux de production interne avoisinait 2 %. Grâce à des accords signés avec les syndicats de producteurs, nous avons amélioré nos droits numériques, augmenté nos investissements dans la création et accru la part de nos productions propres, qui est passée de 30 millions à 100 millions d'euros, ce qui nous a permis, par exemple, de produire notre feuilleton quotidien. L'essence de France Télévisions reste toutefois de favoriser la diversité de la création, et donc des productions externes, qu'elles soient régionales ou ultramarines, pour lesquelles nous avons pris des engagements précis.

Si demain nous ne pouvions pas honorer les 440 millions d'euros d'investissements prévus dans ce domaine, nous devrions dénoncer l'accord qui nous lie aux syndicats de producteurs, avec lesquels il nous faudra discuter à nouveau, au risque de remettre en question notre taux de production interne, mais aussi nos droits numériques, qui sont la contrepartie de nos investissements et qui fondent la force de notre plateforme France TV. Nous sommes prêts à le faire, mais une grande partie de notre modèle serait alors remise en question, sans compter les conséquences économiques que cela emporterait sur de nombreux producteurs et créateurs et, au final, sur l'emploi.

L'intelligence artificielle (IA) est un phénomène complexe à appréhender. Nous savons que son impact sera important, mais ses modalités restent à préciser. Certains emplois seront profondément transformés, comme celui de documentaliste à l'Institut national de l'audiovisuel (Ina), où l'IA facilite grandement l'indexation des archives. Pour autant, elle crée aussi de nouveaux besoins et ne supprimera pas ce métier, mais le modifiera. Le processus créatif est aussi touché : des auteurs utilisent déjà des outils comme ChatGPT pour écrire des scénarios, ce qui aura une incidence sur les coûts de création, a priori à la baisse. La filière audiovisuelle (LaFA) a d'ailleurs vocation à encadrer le dialogue sur ce sujet.

En matière d'information, nous nous imposons des règles claires, formalisées dans une charte : il est interdit de diffuser une image créée avec de l'IA sans le mentionner explicitement. De plus, nous n'alimentons pas les moteurs d'IA générative avec nos contenus, car leur utilisation mérite une juste rémunération. Au sein de l'Union européenne de radiotélévision, que j'ai l'honneur de présider, nous nous sommes accordés avec les grands syndicats de la presse internationale sur cinq demandes communes aux plateformes d'IA, dont un juste partage de la valeur.

Enfin, revenons sur le cas de Patrick Cohen. Celui-ci est salarié de France Inter, mais intervient sur nos antennes, je le considère donc comme l'un de nos journalistes. Nous nous sommes concertés avec ma collègue Sibyle Veil et avons conclu qu'il n'avait rien dit de répréhensible dans la vidéo diffusée. Cette position a été confirmée par le comité d'éthique de France Télévisions, composé de personnalités indépendantes, ainsi que par celui de Radio France. Il y a donc une convergence de vues totale sur ce point. Néanmoins, la diffusion de cette vidéo volée sème le trouble. Pour autant, par exemple, reprocherait-on à un journaliste d'une autre chaîne de dîner avec M. Sarkozy ? Non, car discuter avec des responsables politiques, c'est le métier des journalistes, et il faut admettre ces échanges pour tout le monde. Telle est la règle chez nous.

M. Max Brisson. - Eh bien, il faudra le dire à Mme Dati... Il s'agissait tout de même de parler de la stratégie électorale du parti socialiste !

M. Christophe Tardieu, secrétaire général de France Télévisions. - Concernant le comité social et économique et les taux de 0,2 % et 2 % qui ont été évoqués, le taux de 2 % est fixé par l'accord collectif de 2013. La loi précise qu'il ne peut être dérogé à un pourcentage fixé par un tel accord que par un nouvel accord collectif.

Cette question légitime permet également d'aborder ce que l'on pourrait appeler l'ère de post-vérité, qui a suivi le rapport de la Cour des comptes. Le fameux château en Dordogne, par exemple, est, certes, un monument d'intérêt patrimonial, mais son état ne permet pas d'y loger qui que ce soit. Il est en réalité utilisé pour les colonies de vacances destinées aux enfants du personnel.

Dire que l'audiovisuel public a décidé, par accord collectif, d'être plus généreux que les médias privés peut s'entendre ; une modification ne sera possible que par une évolution de cet accord. Comme la présidente l'a précisé, celui-ci a été dénoncé en juillet dernier ; ce point fera donc évidemment partie des éléments qui seront prochainement discutés.

Mme Delphine Ernotte. - Vous m'avez interrogée sur la phrase que l'on m'oppose souvent : « la France telle qu'on voudrait qu'elle soit ». Sortie de son contexte, celle-ci ne signifie rien. Je l'ai prononcée lors d'une audition, et voici ma déclaration exacte et complète : « Je tiens à dire qu'on ne représente pas la France telle qu'elle est, parce que si on représentait la France telle qu'elle [est], on aurait toujours 5 % de femmes [parmi] les experts. On essaie de représenter la France telle qu'on voudrait qu'elle soit. Sur la mixité, on est passé de 25 % de femmes expertes sur nos plateaux à 50 %. Je dis que ça ne représente pas la société, car il n'y a pas un [tel] équilibre aujourd'hui, par exemple, au moment de la pandémie, quand beaucoup de médecins sont venus sur nos plateaux. Il y a beaucoup plus de professeurs de médecine hommes à l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) [...] que de professeures femmes. À l'époque, c'était 18 % de professeures de médecine femmes. On a dû forcer notre talent et inviter plus de professeures femmes que de professeurs hommes. C'est en ça que je dis que nous ne sommes pas le reflet de la réalité puisqu'on doit faire 50-50 là où la réalité était en l'occurrence [...] 18-82. » Je parlais donc de notre devoir, qui relève de nos obligations de service public, de représenter la diversité sur nos antennes.

Concernant l'augmentation éventuelle de la publicité sur notre plateforme, la Cour des comptes a fait une remarque très juste. Nous avons déjà tenté l'expérience en 2024, à la suite de coupes budgétaires, et avons subi un retour de bâton féroce de la part de nos téléspectateurs. Il s'agit donc d'une possibilité, qui n'est pas sans inconvénient : une pression publicitaire accrue pourrait emporter des répercussions sur l'appréciation que nos publics ont de la plateforme. Je rappelle par ailleurs que le projet de loi qui était en discussion visait à plafonner la publicité sur le numérique. Il est donc nécessaire que la puissance publique clarifie ses attentes en la matière. J'estime pour autant, comme la Cour des comptes, que cette piste doit être explorée, car nous avons besoin de ces ressources.

Quant à notre relation avec les plateformes et au contrat avec Amazon, vous m'avez demandé si nous étions prêts à distribuer d'autres contenus. La réponse est oui, à condition qu'il s'agisse de contenus de service public. Depuis quelques mois, France TV est devenue une plateforme de distribution, et nous sommes prêts à aller plus loin : nous distribuons Arte TV, les chaînes parlementaires, TV5 Monde, France Médias Monde et l'INA. Nous pourrions distribuer des chaînes partenaires dont la ligne est cohérente avec la nôtre, par exemple celle de Michel Cymes, qui est une figure de l'antenne et dont l'offre va dans le sens d'une information pertinente pour nos publics. En revanche, il n'est pas question de distribuer les contenus d'Amazon. Nous sommes donc ouverts à une extension, mais dans des limites qui respectent notre logique éditoriale.

Mme Sylvie Robert m'interrogeait sur le retour financier de ce contrat avec Amazon. Sans pouvoir vous en livrer toutes les conditions, je confirme que cet accord contribuera aux ressources propres de France Télévisions puisque nous percevons la totalité des recettes. Les montants attendus ne sont certes pas de l'ordre de notre déficit, mais, les petits fleuves faisant les grandes rivières, cela constitue une motivation. Cet accord nous offre un contact avec un public potentiellement différent, nous le confirmerons à l'usage, et des ressources financières supplémentaires.

Concernant la dialectique entre le 20 heures et l'information en continu, le journal de 20 heures reste un moment très important, comme le montrent ses audiences. Vous avez raison, monsieur le président, avec nos téléphones et nos alertes, nous savons tout, tout de suite ; le journal n'est donc plus un moment de découverte. C'est pourquoi, depuis un an, nous avons fait le choix d'y intégrer des sujets beaucoup plus longs. Il dure désormais une heure et comprend une partie magazine qui revient en détail sur certaines problématiques. Nous constatons que, si nos contemporains sont de plus en plus drogués à l'information en continu, cette formule est très appréciée. La deuxième partie du journal, composée de formats longs, obtient ainsi de bien meilleurs résultats que ce qui était diffusé auparavant, ce qui témoigne d'une appétence de nos publics pour entrer dans la profondeur des sujets.

Il nous faut donc réussir à combiner les deux approches. L'enjeu n'est pas de déshabiller le 20 heures au profit de France Info, mais de mieux mutualiser le travail des équipes d'information. Aujourd'hui, les sujets du 20 heures sont souvent réutilisés et commentés sur France Info, mais l'inverse est beaucoup plus rare. Nous devons progresser vers plus de fluidité, afin que les sujets de France Info puissent, par exemple, alimenter le 20 heures. C'est notamment pour cette raison que j'ai souhaité dénoncer l'accord collectif : l'enjeu principal est de trouver de la fluidité dans nos métiers et dans la façon de les exercer.

Enfin, concernant la liste des émissions de Complément d'enquête et la question de leur équilibre, je cède la parole pour vous répondre à M. le secrétaire général, qui dispose d'une liste exhaustive.

M. Christophe Tardieu. - Sur les deux dernières années, les numéros de Complément d'enquête consacrés à des responsables politiques sont loin de constituer la majorité des émissions diffusées. La liste des personnalités traitées inclut M. Bardella, Mme Dati, M. Philippe, M. Kohler, M. Dupont-Moretti, Mme Hidalgo, Mme Rousseau, M. Mélenchon et Mme Chikirou. Une émission a également été consacrée aux assistants parlementaires du Rassemblement national ; c'est peut-être à cette dernière, monsieur le sénateur Durox, que vous faisiez allusion.

Mme Delphine Ernotte Cunci. - Vous m'avez également interrogée sur ce que ferait Léa Salamé si son conjoint décidait de se présenter à une élection, quelle qu'elle soit. Sa position a toujours été très claire : elle se retirerait de l'antenne. Nous en avons parlé clairement.

M. Laurent Lafon, président. - Merci de votre présence, il nous semble nécessaire d'entretenir ainsi un dialogue direct.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 18 h 55.

Mercredi 8 octobre 2025

- Présidence de M. Laurent Lafon, président -

La réunion est ouverte à 9 h 30.

Audition de Mme Sibyle Veil, présidente-directrice générale de Radio France

M. Laurent Lafon, président. - Mes chers collègues, je souhaite tout d'abord remercier Mme Sibyle Veil, présidente de Radio France, d'avoir accepté notre invitation. Madame la présidente, nous poursuivons avec vous une série d'auditions sur le service public de l'audiovisuel. Nous avons en effet entendu, hier, la présidente de France Télévisions et, la semaine dernière, le président de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom).

Je rappelle que vous dirigez Radio France depuis avril 2018 et que vous avez été renouvelée en 2023 par l'Arcom pour un second mandat de cinq ans. Votre action s'inscrit dans un contexte de profonde mutation tant économique que technologique. Cette audition sera l'occasion de faire un point sur la situation d'une entreprise qui joue un rôle majeur dans le paysage culturel français.

Si nous avons souhaité vous entendre aujourd'hui, c'est plus particulièrement en raison des interrogations suscitées par l'affaire impliquant les journalistes Thomas Legrand et Patrick Cohen, qui a ravivé le débat sur l'impartialité de la radio publique. Des extraits vidéo diffusés sur internet le 5 septembre dernier ont mis en cause la neutralité du service public. Vous avez alors décidé de suspendre Thomas Legrand de l'antenne de France Inter. Nous avons été nombreux à nous émouvoir de la suspicion que les propos diffusés pouvaient créer et du risque qu'ils faisaient peser sur la confiance du public.

Le principe d'impartialité ne se confond pas avec le pluralisme, même s'il en est un pilier. Il suppose de distinguer clairement information et commentaire, journalistes et éditorialistes. Au-delà de l'épisode que je viens d'évoquer, il convient de s'interroger plus largement sur la manière dont Radio France garantit, dans ses pratiques quotidiennes, l'équilibre des points de vue et la diversité des analyses.

Ces questions concernent l'ensemble des médias audiovisuels, mais elles ont une importance particulière s'agissant du service public. L'Arcom a d'ailleurs engagé un travail à ce sujet. Comment le groupe Radio France entend-il s'y associer, et quelles évolutions envisagez-vous pour renforcer vos mécanismes internes en la matière ?

Mme Sibyle Veil, présidente-directrice générale de Radio France. - Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie d'avoir pris l'initiative de cette audition, qui intervient à un moment de vérité pour l'audiovisuel public. Aujourd'hui, Radio France va bien et guide le marché de la radio grâce à des audiences qui augmentent, se rajeunissent et se diversifient. Depuis dix ans, l'entreprise se transforme, elle est à la pointe des technologies et elle a procédé à des économies substantielles qui ont permis de contribuer à hauteur de 120 millions d'euros à l'effort de la Nation. Quel autre service public peut afficher un tel bilan ? Pourtant, un récit négatif se cristallise autour de l'audiovisuel public.

Un média de service public n'est pas un média comme un autre - vous avez donc raison d'être exigeant, monsieur le président -, car il est au service de tous les citoyens et il a un devoir d'exemplarité. À cet égard, Radio France a toujours pris ses responsabilités et su reconnaître ses erreurs quand il le fallait. C'est ce que nous avons fait après la publication d'une vidéo, le 5 septembre dernier, sur le site internet du magazine L'Incorrect : le soir même de sa diffusion, nous avons pris la décision de suspendre à titre conservatoire Thomas Legrand de l'antenne de France Inter, ayant immédiatement compris l'émoi et les fantasmes que cette vidéo pouvait susciter.

Rien n'est plus insupportable pour un journaliste de Radio France et pour l'ensemble de nos équipes que de se voir soupçonnés d'être l'instrument d'un parti, d'un camp, voire d'un complot. Pour la bonne information de la représentation nationale, il me semble important de revenir sur les faits.

Thomas Legrand n'est plus membre de la rédaction de France Inter depuis 2022. Durant les trois dernières années, il intervenait régulièrement à l'antenne dans le seul cadre d'un magazine consacré à l'histoire des idées politiques, dont la diffusion a cessé en juin dernier. Lors de cette rentrée, il devait participer le dimanche matin à un débat contradictoire de douze minutes, dont le premier invité était Alain Minc ; après la diffusion de la vidéo précitée, il y a renoncé.

Aujourd'hui, Thomas Legrand n'a plus d'engagement contractuel avec Radio France. Disant cela, je fais un simple rappel des faits qui ne vise ni à excuser ni à minimiser ceux-ci, et je suis prête à répondre à toutes les questions et à toutes les critiques. Pour autant, au nom de cette éthique de sincérité, je ne peux pas laisser dire qu'un journaliste de Libération n'appartenant plus à la rédaction de France Inter, et qui ne devait intervenir que douze minutes par semaine le dimanche matin, à 8 h 45, lors d'un face à face contradictoire, pourrait à lui seul orienter la ligne éditoriale de cette chaîne et manipuler l'opinion.

La réalité des faits montre que la thèse du complot ne tient guère ; il ne faut donc pas faire dire à cette vidéo ce qu'elle ne dit pas. Mais je ne suis pas aveugle : je suis consciente que cette polémique laissera des traces. Certains disent qu'elle vient conforter le sentiment d'une prétendue partialité, ce qui me fait penser à la dialectique bien connue entre statistiques de l'insécurité et sentiment d'insécurité.

Sans sous-estimer ce sentiment, je rappelle que Radio France touche chaque mois, via ses antennes et ses offres numériques, 76 % des Français. Un média peut-il être partisan lorsqu'autant de nos concitoyens se reconnaissent dans ses contenus ? En regardant de près la composition de nos audiences, on constate que nous parlons à toutes les générations, à toutes les catégories sociales et à tous les territoires. Lors des dix dernières années, nous avons gagné 1,5 million d'auditeurs, dont 400 000 âgés de moins de 25 ans. À une époque où les jeunes sont happés par les écrans, cette victoire nous oblige.

Radio France est le deuxième groupe de radio en termes d'audiences chez les catégories populaires, ce qui est très loin de l'image donnée par certains d'une citadelle parisienne : 80 % de nos auditeurs, soit huit auditeurs sur dix, habitent hors de l'Île-de-France. Ce chiffre correspond exactement à la répartition de la population : nos auditeurs sont à l'image du pays, contrairement à ce que laissent croire certains propos caricaturaux. Et si nous avons gagné de nouveaux auditeurs ces dernières années, c'est parce que nous avons réussi à donner à chacun d'eux des raisons d'écouter nos antennes.

J'en viens à la question de notre impartialité, laquelle est au coeur de la polémique.

L'impartialité est une exigence permanente pour toutes les équipes qui travaillent sur nos antennes, et elle s'appuie sur un corpus de règles de déontologie extrêmement exigeantes. En effet, au fil des années, nous avons ajouté, aux règles habituelles de la profession, des règles couvrant les champs les plus sensibles : devoir de réserve ; usage des réseaux sociaux ; prévention des conflits d'intérêts ; collaborations extérieures ; périodes électorales. Bref, nous n'avons rien laissé au hasard. Et ces règles s'appliquent. J'en veux pour preuve qu'au cours des deux dernières années, j'ai été conduite à prendre huit sanctions disciplinaires pour des manquements déontologiques, ce qui montre que nous ne tolérons ni conflit d'intérêts ni connivence. Ces sanctions ont d'ailleurs été abondamment critiquées, à la fois par ceux qui nous jugent trop sévères avec ceux qu'ils aiment et par ceux qui nous trouvent trop laxistes avec ceux qu'ils n'aiment pas. Mais je préfère ces critiques aux soupçons qui pèsent sur notre travail et qui abîment la confiance des Français.

Je vais désormais aborder la question du pluralisme de nos antennes. À cet égard, j'informe la commission que je suis accompagnée dans le cadre de cette audition par Charles-Emmanuel Bon, secrétaire général de Radio France, Céline Pigalle, directrice éditoriale déléguée en charge de l'information et de la proximité, et directrice du réseau « ici », et Vincent Meslet, directeur éditorial, afin que nous puissions répondre très concrètement aux questions que vous vous posez sur notre travail.

Lorsqu'on examine une journée type sur nos antennes, on constate que la diversité des thèmes abordés et des opinions émises n'a rien de comparable avec celle en vigueur sur les autres médias : nous ne choisissons pas les sujets que nous traitons, mais nous abordons un maximum de sujets chaque jour. Par ailleurs, l'équilibre entre les contenus internationaux, nationaux et locaux n'a pas d'équivalent. Nos chaînes constituent non pas un média de commentaires émis sur des plateaux parisiens, mais le média du terrain. J'en veux pour preuve les cent quatre-vingts heures de reportages diffusés chaque semaine sur nos antennes, et les contenus de nos 44 stations locales qui composent jusqu'à un quart de nos journaux nationaux. Nous cherchons en effet à faire entendre cette réalité du pays, que les sénateurs connaissent si bien. Notre objectif est aussi de répondre aux attentes de ces Français qui estiment que les médias, aujourd'hui, ne parlent pas suffisamment de leur vie et de leur situation.

Enfin, nous avons développé ces dernières années des espaces importants de débat contradictoire, dans lesquels échangent notamment Françoise Fressoz du Monde, Guillaume Roquette, Isabelle Lasserre et Alexandre Devecchio du Figaro, ou encore Charles Sapin du Point. Toutes les voix ont leur place sur nos antennes, dans la seule limite du respect des droits fondamentaux, de la science et des faits. Conscients des exigences qui pèsent sur nous, en tant que service public, nous avons multiplié ces dernières années les initiatives visant à renforcer la confiance des citoyens.

Il y a un an, nous avons lancé une réflexion sur la manière de répondre à la décision du Conseil d'État du 13 février 2024 sur le pluralisme des opinions et la délibération de l'Arcom. L'Autorité de régulation nous a dit que notre groupe était le premier média, et même le seul, à avoir engagé un tel travail en interne. La première traduction de cette réflexion est le développement d'un outil qui nous permettra de disposer de bilans automatisés sur les intervenants et les thématiques traitées sur nos antennes. Nous rendrons ces bilans publics afin de montrer l'extrême pluralité en vigueur sur nos antennes, ce qui - je l'espère - permettra à l'avenir d'objectiver les débats et les analyses relatifs à ce sujet.

Je veux rappeler, enfin, que nos succès historiques - Le Masque et la Plume ; Répliques, dont nous venons de fêter les quarante ans avec son producteur, Alain Finkielkraut ; le très populaire Jeu des 1 000 euros - ne sont ni de droite ni de gauche.

Ce que nous faisons, aucun autre média ne le fait aujourd'hui. Qui d'autre diffuse chaque semaine cinq cents heures de savoirs, qu'il s'agisse de philosophie, de sciences ou d'histoire, auxquels s'ajoutent des contenus en provenance de grandes institutions intellectuelles, d'enseignement ou de recherche, que nous rendons disponibles pour tous les Français, gratuitement, sous forme de podcasts sur l'application et le site de Radio France ? Le service public que nous représentons consiste aussi en cela : rendre les cours du Collège de France accessibles à tous, même à ceux qui ne peuvent pas s'y rendre physiquement. Or personne n'en parle !

Personne ne parle non plus de ce que nous avons développé ces dernières années pour lutter contre la place excessive des écrans dans la vie des enfants. Le 16 octobre prochain, nous lancerons ainsi la première radio pour les jeunes : une radio de service public dont les contenus, qui développeront l'attention et l'imagination des enfants, sont d'une telle qualité que beaucoup de radios européennes de service public nous demandent d'en adapter les contenus. Nous estimons que cette mission relève de l'intérêt général, et que seul le service public veut et peut s'en saisir.

Certes, tout n'est pas parfait et des points sont perfectibles. C'est pourquoi nous sommes ouverts au débat, mais celui-ci doit être posé avec justesse : on doit parler de ce qui ne va pas en tenant compte de ce qui va bien, car ce débat doit être mené non pas pour détruire le service public, dont notre pays a besoin, mais pour l'améliorer.

Je voudrais clore mon propos en évoquant ce qui compte le plus, et qui est un défi majeur : la qualité du paysage démocratique, aujourd'hui et à l'horizon des dix prochaines années. Ce paysage ne doit pas être le jeu de la désinformation et des manipulations. Il ne faut pas céder tout le terrain aux plateformes américaines et chinoises, qui se moquent de la cohésion de notre pays, pas plus qu'il ne faut favoriser ce morcellement de la société diagnostiqué depuis des années, notamment par Jérôme Fourquet.

Notre pays a besoin, dans la durée, de médias français souverains et solides qui soient à l'abri de toute pression, qui travaillent en faveur de la création de communs autour d'émotions positives et qui ne courent pas après le buzz facile, les polémiques et les divisions. Et le service public peut représenter ce contre-modèle, à l'opposé des médias d'opinion et des réseaux sociaux. À défaut, nous serons condamnés à importer le modèle américain, dont nous voyons les effets : une société fracturée, tellement divisée par l'exacerbation des tensions qu'elle en devient irréconciliable. Cette inquiétude, que j'éprouve en tant que citoyenne, se traduit par une grande responsabilité pour la dirigeante de médias de service public que je suis.

Il serait dommage de jeter le bébé avec l'eau du bain en cédant à l'idée d'une privatisation de l'audiovisuel public, laquelle s'est répandue comme une traînée de poudre dans le sillage de la diffusion de cette vidéo. La présente audition nous permettra d'en parler et de sceller - je l'espère - avec les Français et avec vous, leurs représentants, une confiance durable.

M. Cédric Vial. - Je tiens à rappeler en préambule que, dans l'affaire dite LegrandCohen, la conversation au coeur de la vidéo diffusée a été captée dans des conditions qui ne correspondent pas aux règles déontologiques. Cela pose un problème et devrait tous nous interroger.

Par ailleurs, le traitement de cette affaire par certains médias peut être considéré comme disproportionné. Néanmoins, le problème qui a trait à l'indépendance demeure.

La loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication a défini trois règles impérieuses : l'impartialité, c'est-à-dire la présentation honnête de l'information ; l'indépendance ; le pluralisme. En l'occurrence, la question qui se pose est celle de l'indépendance, non par rapport à une direction ou à un actionnaire, mais par rapport à un parti politique ou à une stratégie électorale extérieure à la rédaction dont relèvent ces journalistes. En effet, lors de cette discussion avec des représentants d'un parti politique, ceux-là ne faisaient rien moins qu'échafauder une stratégie électorale destinée à avantager un candidat - en l'occurrence, Raphaël Glucksmann - en se servant de leur position sur une antenne du service public, donc des moyens de l'État.

Si la loi de 1986 a fixé ces trois valeurs d'indépendance, de pluralisme et d'impartialité, c'est notamment pour que les auditeurs de la radio de service public puissent avoir confiance dans ceux qui s'expriment sur ces ondes. Le problème qui se pose n'est pas lié au fait qu'un journaliste ait des opinions ; c'est que l'on ne sache pas s'il exprime simplement celles-ci ou s'il essaie de convaincre des électeurs en se servant de sa position, suivant ainsi une logique politicienne et non plus de journaliste ou de chroniqueur. Il s'agit là d'un défaut de présentation honnête de l'information.

Vous avez réagi de manière très forte, et quasiment instantanée, en suspendant ces journalistes de leurs fonctions. Or, moins de quarante-huit heures plus tard, Patrick Cohen prononçait sa chronique sur France Inter. Cette suspension était de très courte durée ! Quant à Thomas Legrand, il publiait quelques jours après un communiqué de presse pour annoncer qu'il renonçait à son émission et partait avec toute la sympathie et la confiance de sa direction... Ce n'est pas ainsi que nous définissons une sanction. S'agissait-il d'un départ volontaire ou d'une sanction ? Si Thomas Legrand n'avait pas démissionné, l'auriez-vous sanctionné ? Selon vous, le méritait-il ? Pour notre part, nous considérons tous, y compris nos collègues socialistes, qu'il aurait dû être sanctionné beaucoup plus lourdement.

Patrick Cohen était bien présent lorsque Thomas Legrand a dit : « Avec Patrick, on fait ce qu'il faut pour Dati ». Or on a dit qu'il ne méritait pas de sanction parce qu'il ne s'était pas exprimé. Pourtant, quand on n'est pas d'accord, on s'exprime, en général ; et qui ne dit rien consent... Là encore, ne fallait-il pas une sanction ? Avez-vous pris conscience de l'émoi suscité par cette affaire ?

Il y a certes de la place sur vos antennes pour une ligne éditoriale ; nous ne le remettons pas en cause. Pour autant, certains biais éditoriaux sont quelque peu systématiques, notamment sur l'antenne de France Inter, dont on peut considérer que la ligne éditoriale ressemble à celle d'une chaîne d'opinion.

Mme Sibyle Veil. - La décision de suspension à titre conservatoire concernait seulement Thomas Legrand, et non Patrick Cohen. Nous avons dissocié les deux situations, car la vidéo était tronquée : on ne sait pas ce que Patrick Cohen a pu dire ou ne pas dire. Sur la vidéo diffusée, il ne dit rien et ne s'associe pas aux propos de Thomas Legrand.

Par ailleurs, concernant ce dernier, comment aurait-il pu, ne disposant que de quatre ou cinq minutes d'antenne hebdomadaires, inciter les Français à voter pour tel ou tel candidat ? Cette critique n'est pas sérieuse.

Nous nous sommes penchés, avec beaucoup d'objectivité, sur l'ensemble des chroniques de Patrick Cohen depuis qu'il est responsable de l'édito politique du matin sur France Inter : rien ne permet d'étayer le moindre soupçon de soutien à des personnes hostiles à la ministre démissionnaire de la culture, Rachida Dati, ou de nature à grossir une polémique dans le cadre de sa candidature parisienne. Il a fait davantage d'éditos dans lesquels il critique Anne Hidalgo que d'éditos visant Mme Dati ! Cela corrobore exactement ce que l'on voit sur la vidéo : Patrick Cohen assiste, écoute, comme beaucoup de journalistes le font lorsqu'ils rencontrent des responsables politiques. Le jour où l'on ne permettra plus aux journalistes de sortir de leur bureau pour rencontrer les acteurs politiques sur le terrain, c'en sera fini du métier de journaliste, qui sera remplacé par des intelligences artificielles ou par des agences de presse.

Nous faisons donc la différence entre le cas de Patrick Cohen, d'un côté, et celui de Thomas Legrand, de l'autre.

Je le répète, une décision de suspension à titre conservatoire a été prise à l'encontre de Thomas Legrand, qui a très rapidement reconnu qu'il ne pouvait plus participer à l'émission de débat prévue. Je rappelle que, d'ores et déjà, il n'intervenait plus sur notre antenne en tant que journaliste de la rédaction de France Inter, mais de manière très claire avec la casquette de journaliste de Libération. Les auditeurs, au cours des débats contradictoires, savent très clairement pour quel journal travaille chacun des intervenants, qu'il s'agisse d'Alexandre Devecchio ou de Guillaume Roquette, par exemple. Personne n'est dupé.

Puisque Thomas Legrand était non plus journaliste de France Inter depuis 2022, mais un intervenant devant apporter la contradiction à un invité lors d'un débat, les règles de déontologie de la rédaction ne lui étaient pas applicables. S'il avait appartenu à cette rédaction, nous aurions veillé à ce qu'il n'y ait pas de conflit d'intérêts, de soupçon de connivence ou de déloyauté et à ce que son devoir de réserve soit respecté. Mais, en l'occurrence, ces règles - j'y insiste - ne s'appliquaient pas à lui.

Cette émission a tout simplement été supprimée et Thomas Legrand n'est plus sur nos antennes : c'est la réalité des faits. D'aucuns ont dit que l'on ourdissait un complot... Il ne faut pas être dupe de l'instrumentalisation de cette vidéo.

Vous avez dit que notre antenne avait une ligne éditoriale. Mais il y a une différence entre avoir une ligne éditoriale et être un média d'opinion.

Une autorité vérifie si nous respectons nos obligations en termes de pluralisme et d'impartialité : l'Arcom. Or, pour ce qui est du respect de ces obligations, elle ne nous a jamais pris en défaut. Si elle avait eu le moindre soupçon que notre ligne s'apparentait à celle d'un média d'opinion, elle aurait depuis longtemps pris des sanctions à notre encontre, ou elle l'aurait mentionné dans l'un de ses rapports, par exemple dans le rapport sur l'exécution du cahier des missions et charges de Radio France, qui rappelle l'ensemble de nos obligations de service public.

Laissons l'Arcom, qui a engagé un travail sur ce sujet, dire si Radio France remplit ses obligations d'impartialité : cela permettra d'objectiver et de clarifier le débat. En tant que présidente de ce groupe, je puis vous dire que l'impartialité est pour nous une véritable exigence, et que la diversité des points de vue et des opinions exprimés sur nos antennes nous différencie fondamentalement d'un média d'opinion.

Les médias d'opinion sélectionnent certains sujets et certains faits, qui vont dans le sens du récit qu'ils veulent promouvoir. Ce n'est pas le cas sur les antennes de Radio France ; nous pourrons y revenir en prenant des exemples précis et en examinant, sur les divers sujets qui sont abordés, si le principe du contradictoire est respecté.

M. Max Brisson. - Un point de règlement, monsieur le président : au vu du nombre d'intervenants, la balance penche largement en faveur de la gauche. La prise de parole intervenant par intervenant me pose donc problème.

M. Laurent Lafon, président. - Je rappelle la règle : un intervenant de chaque groupe peut prendre la parole, puis tous les membres de la commission qui souhaitent s'exprimer peuvent le faire. La liste des intervenants est équilibrée, mon cher collègue.

M. Max Brisson. - Pas en proportion des groupes !

Mme Sylvie Robert. - Mon cher collègue, rien n'interdit aux membres de votre groupe d'intervenir !

Madame la présidente, nous vous apportons notre soutien dans cette période et réaffirmons notre très fort attachement à l'audiovisuel public.

Il est vrai qu'il existe une offensive idéologique très forte du groupe Bolloré à l'encontre de l'audiovisuel public, comme le montre l'instrumentalisation de l'affaire dite Legrand-Cohen. Quelques chiffres : la part de CNews dans la couverture médiatique de cette affaire entre le 5 et le 19 septembre derniers a été de 95,6 %, soit une part 36,8 fois plus importante que celle de LCI et 61,3 fois plus importante que celle de BFM. La part d'Europe 1 dans cette couverture médiatique a été de 68,4 %, soit 30 fois plus importante que celle de RTL. Ce sont des faits !

L'impartialité est, pour nous, une composante du pluralisme. Il eût été très intéressant que l'Arcom élargisse son étude relative à l'impartialité à l'ensemble de l'audiovisuel, qu'il soit public et privé. Nous en avons fait la demande.

Outre les satisfecit en termes d'audiences et de stratégie, des points de fragilité demeurent, au niveau des ressources humaines notamment. La question de la proximité doit également être approfondie.

S'agissant de la visibilité et de la prévisibilité financières, les premiers chiffres relatifs au budget de l'audiovisuel public qui ont circulé ne sont pas bons. Quelles seraient les conséquences d'une baisse supplémentaire du budget de Radio France pour 2026 ? Quel en serait l'impact, à la fois social et sur les projets ?

Comment comptez-vous préserver la liberté d'expression des humoristes et des artistes, qui constitue l'identité de Radio France ?

M. Pierre Ouzoulias. - Je vous remercie solennellement, madame la présidente, ainsi que vos équipes, pour le concours énorme que vous avez apporté à la lutte contre l'antisémitisme. Le balado sur l'affaire Dreyfus publié en 2024 a été vu par 6 ou 7 millions de personnes. Je salue le travail de Philippe Collin, Violaine Ballet et Juliette Médevielle, qui apporte à nos concitoyens un éclairage, notamment sur le débat politique - je pense aussi aux balados sur Léon Blum, Sigmaringen ou Samuel Paty.

Tous ces programmes concourent au travail d'éducation qui est la mission principale du service public, en établissant un dialogue constant entre les faits d'aujourd'hui et ceux d'hier. À ce titre, je vous suggère un balado sur l'année 1957, lors de laquelle trois gouvernements se sont succédé, avec trois blocs incapables de composer un gouvernement...

Face à la montée des périls, la France doit assumer son destin historique, et le service public est l'instrument de la revendication de sa place particulière dans le monde.

Vous parlez à l'intelligence des Français, et c'est une réussite : on comptabilise 85 millions d'écoutes de balados, et la fréquentation de l'application Radio France a augmenté de plus de 50 % en un an. Même l'audience de France Musique a progressé de 8 %.

Quelle politique mènerez-vous vis-à-vis des plateformes d'intelligence artificielle qui utilisent très largement les contenus de Radio France, afin qu'elles s'acquittent de ce qu'elles doivent ? Il y a là un combat à mener.

M. Max Brisson. - J'ai apprécié votre intervention liminaire, plus humble et moins autosatisfaite que celle qu'il nous a été donné d'écouter hier, à l'exception de vos propos très français, donneurs de leçons, s'agissant de l'étranger et des États-Unis.

Je vous sais très investie dans les questions d'impartialité du service public, d'indépendance et de pluralisme. Même si nous sommes des passionnés du service public, plusieurs éléments contribuent à notre malaise. Nous connaissons désormais votre argumentation sur l'affaire Cohen-Legrand, nous ne la partageons pas. Dont acte.

Je reviendrai à mon tour sur l'étude de l'Institut national de l'audiovisuel (INA) publiée dans La Revue des médias, qui montre certes que CNews et Europe 1 ont beaucoup traité cette affaire, mais aussi que France Info et France Inter n'en ont que très peu parlé au début. Pour quelles raisons le service public a-t-il occulté ce sujet les premiers jours suivants sa révélation ?

Par ailleurs, nous avons demandé hier à Mme Ernotte ce qu'elle entendait lorsqu'elle qualifiait CNews de « chaîne d'extrême droite ». Votre directeur éditorial, Vincent Meslet, a déclaré au Parisien, le 13 septembre, que CNews et Europe 1 étaient « des médias d'opinion », « des médias militants, d'obsession », et que les journalistes du service public ne faisaient pas le même métier. Est-il possible que la direction éditoriale de Radio France, sous votre autorité, puisse publiquement prendre de telles positions ? Est-ce le rôle de l'audiovisuel public de se poser en contrepoids du groupe Bolloré ?

Pensez-vous enfin que vos rédactions ont fait preuve d'impartialité dans le traitement de la taxe Zucman ou de la loi de notre collègue Laurent Duplomb ? Ne pensez-vous pas, au contraire, que le service public a poussé dans l'agenda politique un point de vue porté par ailleurs par des forces politiques ? Est-ce là le rôle de l'audiovisuel public ? Nous ne le pensons pas.

Mme Monique de Marco. - Vous dirigez Radio France dans un contexte de profondes mutations, d'interrogations croissantes sur l'indépendance des médias, de polémiques suscitées par des médias de droite et d'extrême droite sur le manque de neutralité de l'audiovisuel public, comme sur l'affaire Legrand-Cohen. Pourquoi ne pas assumer, madame la présidente, que vous avez des chroniqueurs de gauche, comme Thomas Legrand, mais aussi d'autres chroniqueurs, qui, eux, ne sont pas de gauche ?

Ma question porte sur la fusion des quarante-quatre radios locales de France Bleu, devenues Ici. Quel bilan faites-vous de cette fusion au bout d'un an ? Quel a été son coût ? Les résultats en termes d'audience sont-ils à la hauteur des attentes ?

M. Pierre-Antoine Levi. - Vous vous félicitez d'avoir gagné 400 000 auditeurs de moins de 25 ans en dix ans, France Inter étant classée au troisième rang des radios sur cette cible. Vous annoncez vouloir créer la première radio du service public en France à destination des enfants, deux webradios étant prévues pour la saison 2025-2026. Pourtant, dans le même temps, vous avez arrêté la diffusion sur la bande FM de la radio Mouv' à la rentrée 2025. Créée en 1997, Mouv' était la seule station de Radio France dédiée aux jeunes et aux cultures urbaines, centrée sur le rap et les musiques actuelles. Certes, sa part d'audience ne s'élevait qu'à 0,5 %.

Comment comptez-vous toucher les jeunes des quartiers populaires, première cible de Mouv', avec France Inter, France Culture ou France Info ? Ces antennes ne parlent pas le même langage et ne diffusent pas les mêmes contenus que Mouv'. N'y a-t-il pas un risque de perte sèche du public jeune et populaire ?

Par ailleurs, vous annoncez créer une radio pour enfants alors que vous supprimez une radio pour les jeunes. Concrètement, d'où proviendront les moyens financiers et humains alors que vous devez économiser 23,9 millions d'euros ? Surtout, une radio pour les enfants de cinq ans remplacera-t-elle Mouv' dans sa mission auprès des adolescents ?

La Cour des comptes a salué en janvier 2025 votre transformation numérique tout en alertant sur la masse salariale de Radio France, qui représente 55 % de ses charges d'exploitation. Cette stratégie s'inscrit dans une logique de migration vers le DAB+. Cependant, seuls 65 % de la population française était couverte par le DAB+ à la fin de l'année 2024, l'objectif étant d'atteindre 70 % en 2025.

Pouvez-vous garantir qu'aucun territoire rural ne se retrouvera en zone blanche radiophonique suite à l'arrêt de la FM ? Ensuite, avez-vous mesuré l'impact social de cette décision ? Combien de Français devront acheter de nouveaux récepteurs DAB+ pour continuer à recevoir vos antennes ? N'est-ce pas leur faire supporter le coût de vos économies ? Enfin, comment justifiez-vous l'abandon de la FM alors que près d'un tiers de la population n'a pas encore accès à la DAB+ ? N'est-ce pas contradictoire avec la mission d'égalité territoriale du service public ?

M. Aymeric Durox. - Le 13 mars 2024, Le Monde révélait une prétendue collaboration entre le journaliste de France Info Jean-François Achilli et Jordan Bardella, pour l'écriture d'un livre autobiographique. Jean-François Achilli a toujours nié cette collaboration et a indiqué qu'il n'y avait rien eu d'autre que des échanges entre un journaliste politique et un homme politique. Mais à Radio France, il n'y a pas de présomption d'innocence pour ceux qui sont soupçonnés de pactiser avec le diable. Un mois plus tard, Jean-François Achilli était licencié pour faute grave, après avoir été suspendu à titre conservatoire.

Le jour même de son licenciement, le 29 avril 2024, le directeur de France Info révélait la véritable raison de son renvoi dans Le Monde : « Quand un journaliste corrige les épreuves du futur livre d'un politique, c'est une collaboration. Quand cette collaboration se fait dans une période électorale, cela revient à participer à une stratégie de conquête du pouvoir. »

À Radio France, il y aurait donc une bonne et une mauvaise stratégie de conquête du pouvoir. La bonne, c'est celle de Thomas Legrand et de Patrick Cohen. Thomas Legrand a certes été suspendu, mais il a renoncé de lui-même à son émission dominicale. Pourra-t-il revenir un jour sur Radio France ? Jean-François Achilli, lui, ne le pourra jamais. Quant à Patrick Cohen, qui a pourtant participé à la conversation et l'a approuvé par son silence complice, il n'a pas été sanctionné. Les deux journalistes ont été largement défendus par vos services et par leurs confrères, qui ont argué que cette conversation était privée, que son enregistrement était clandestin. Quand c'est Complément d'enquête qui use des mêmes méthodes, ce n'est pas un problème.

On a l'impression que le problème ne tient pas aux propos montrant une connivence idéologique entre des journalistes du service public et des hommes politiques de gauche, mais à la manière dont ils ont été révélés. La façon dont les échanges privés entre Jean-François Achilli et Jordan Bardella ont été révélés ne semble pas non plus poser de problème.

Comprenez-vous donc, madame la présidente, que des millions de Français aient la désagréable sensation qu'il existe deux poids deux mesures et qu'une très grande majorité de la population estime que s'exprime dans l'audiovisuel public, et sur les antennes de Radio France en particulier, une sensibilité de gauche ?

Mme Laure Darcos. - Chers collègues, j'aurais aimé que l'intervention de la ministre de la culture contre Patrick Cohen dans une émission sur France 5 suscite chez vous le même émoi que la prétendue affaire Legrand-Cohen, qui n'est pour moi qu'une conversation privée. Cette intervention, très borderline, a même valu à la ministre un rappel à l'ordre du Gouvernement. De même, ses attaques ad hominem contre vous sur le service public sont absolument honteuses. Elles m'ont choquée. Une ministre de la culture ne devrait pas dire ça !

Je tiens par ailleurs à vous féliciter, madame la présidente, pour vos podcasts. Votre partenariat avec l'Institut de France, notamment avec l'Académie des sciences, vous permet d'offrir des programmes de haute volée. Ils sont extraordinaires, on ne le dit pas assez. Il faut inciter les jeunes à l'école à écouter vos podcasts.

Ma question porte sur le déplafonnement du marché publicitaire, qui inquiète les radios et les télévisions privées. Pensez-vous pouvoir réussir sans le déplafonnement du marché publicitaire ou doit-on trouver un système qui puisse contenter tout le monde, parce que vous n'aurez pas le choix, compte tenu de la baisse budgétaire qui est annoncée ?

Mme Colombe Brossel. - Nous en sommes aujourd'hui à la troisième audition sur ce que dans cette commission on appelle « l'affaire Legrand-Cohen ». Il est vrai qu'il n'y a aucune autre actualité dans le pays depuis quelques semaines...

Vous l'avez dit, un récit négatif est fait sur le service public, un récit coordonné, organisé. Pourquoi les allers-retours d'autres journalistes, redevenus journalistes après être passés par la politique - je pense à Bernard Guetta, à Bruno Roger-Petit, à Dominique Baudis, à Myriam Lévy -, n'ont-ils pas suscité un tel émoi dans les médias ? Cette instrumentalisation est une stratégie politique affirmée.

Or, nous pensons que le service public est un élément absolument fondamental, compte tenu de l'état de délitement de la démocratie que nous vivons actuellement, notamment pour lutter contre les fake news. Vous nous avez communiqué un certain nombre de chiffres, sur les audiences, la diffusion des podcasts, indiqué que vos auditeurs n'étaient pas exclusivement parisiens. Le problème, c'est que votre autorité de tutelle, la ministre de la culture nie ces éléments et dit de vos radios qu'il s'agit de radios de vieux, écoutées par des CSP+ âgées. Comment faire pour lutter contre ces fake news

Mme Annick Billon. - Je précise en préambule que je suis particulièrement attachée au service public, qui propose des émissions de grande qualité et des podcasts remarquables. Cet attachement ne doit toutefois pas empêcher le contrôle, la vigilance.

Le service public a une obligation d'exemplarité, d'impartialité, de pluralisme. Or le 7/9 de France Inter - je le dis en tant qu'auditrice - n'a pas traité avec impartialité la taxe Zucman ou la loi Duplomb. Il a offert une tribune très large aux détracteurs de cette dernière, qu'ils soient humoristes, chroniqueurs ou experts en tous genres.

Un sondage réalisé par l'Institut français d'opinion publique (Ifop) a montré que 70 % des auditeurs de France Inter ont voté à gauche lors des élections européennes. Or France Inter a favorisé alors Raphaël Glucksmann. Nous sommes tous d'accord sur le fait que L'Humanité relaie des idées communistes, que CNews fait la part belle aux idées de droite, voire d'extrême droite. Le service public diffuse lui aussi une information partisane, mais la différence, c'est qu'il le fait avec de l'argent public.

M. Adel Ziane. - Je remercie le président Lafon d'avoir engagé ce cycle de discussions et de rencontres avec les responsables de l'audiovisuel public. Dans le contexte actuel, il importe d'objectiver des concepts - le pluralisme, l'intégrité - qui, à mon sens, sont parfois mal compris ou dévoyés.

Je rappellerai tout d'abord une évidence : Radio France n'est pas un média comme les autres, c'est un service public. Contrairement à ce qu'a déclaré la ministre de la culture, il touche toutes les générations, dans tous les territoires. Ainsi, dans l'Ariège, l'Aude, la HauteGaronne, le Gers ou encore le Lot, France Inter caracolait en tête des audiences entre 2023 et 2025.

Radio France permet d'accéder à une information indépendante, ainsi qu'à des podcasts. Qui, à part le service public, peut assurer une telle mission civique, éducative et culturelle ?

Je déplore les attaques répétées de la galaxie Bolloré. Entre 2012 et 2014, C8 et CNews ont fait l'objet de cinquante-deux sanctions par l'Arcom, sans que leurs responsables en tirent de conclusions. Au contraire, à la suite des rares incidents survenus sur les antennes de Radio France, la direction a systématiquement pris ses responsabilités.

Le service public, c'est aussi un lieu de liberté éditoriale, de liberté de ton. Les éditos de Patrick Cohen sont à charge contre Anne Hidalgo et Rachida Dati de manière équilibrée.

Quels moyens supplémentaires peut-on mobiliser pour permettre à Radio France de continuer d'atteindre toutes les populations et de jouer pleinement son rôle démocratique, culturel et citoyen, malgré les pressions d'intérêts privés et les campagnes de désinformation ?

Mme Sonia de La Provôté. - Vous avez évoqué la mise en place d'un outil, numérique je suppose, permettant d'effectuer des bilans automatisés et d'objectiver de manière régulière le pluralisme sur vos antennes. Sera-t-il transparent, aurons-nous une visibilité sur les mots-clés retenus par l'algorithme ?

Ma deuxième question porte sur la représentation de tous les territoires de la France, en métropole et dans les outre-mer. Comment choisissez-vous vos interlocuteurs ? Parvenezvous à refléter les aspirations des territoires, de la province ? C'est un enjeu important en termes de pluralisme.

Enfin, et ce sera ma troisième question, l'audiovisuel public peut-il se permettre d'être un média d'opinion sur certaines de ses tranches ? Si la transparence n'est pas faite sur ce point, si ce n'est pas assumé, le doute s'insinue sur l'indépendance du média en question.

M. Jean-Gérard Paumier. - Au printemps dernier, la direction de Radio France a annoncé que Mouv' cesserait d'émettre sur la bande FM pour devenir une radio 100 % numérique, uniquement musicale. Elle a également annoncé avoir proposé à l'État et à l'Arcom de permuter une partie des fréquences de France Musique afin de compléter la couverture de France Info et Ici dans les zones géographiques où elles sont peu diffusées.

Les acteurs privés de la radiodiffusion ont eu l'occasion de faire part de leurs craintes, ce projet de bascule stratégique faisant peser à leurs yeux un risque sur les équilibres du secteur, dans la mesure où France Info et Ici accèdent au marché publicitaire. Les radios commerciales privées ont pour leur part demandé, avant toute mise en oeuvre du projet, une analyse d'impact économique préalable à tout réaménagement de la ressource hertzienne du service public. La transformation de Mouv' en flux musical semble déjà à l'oeuvre.

Pouvez-vous nous en dire plus sur ce dossier ? Les travaux de concertation avec l'Arcom et les radios privées ont-ils débuté ?

Mme Karine Daniel. - Merci d'avoir rappelé dans votre propos liminaire que la radio publique est un élément fort et structurant de notre démocratie et du débat démocratique, alors que l'audiovisuel public subit des attaques, mais aussi des offensives budgétaires.

Pour ma part, je soulignerai le travail de Radio France en matière d'éducation aux médias. Quelle politique menez-vous dans ce domaine et quels développements peut-on attendre en matière de lutte contre la désinformation ?

Je souhaite également revenir sur la visibilité des experts et des universitaires sur vos antennes. Je suis un peu choquée par ce que j'ai entendu dire sur la présence de Gabriel Zucman sur vos antennes. Je rappelle que c'est un universitaire, un économiste. Je souhaite que les universitaires et les experts puissent défendre leurs travaux dans les médias en général, et dans les médias publics en particulier. Enfin, j'insiste sur la nécessaire mixité hommes-femmes sur vos antennes, sujet auquel vous portez une attention particulière.

Mme Catherine Morin-Desailly. - Hier, Delphine Ernotte a réaffirmé le bienfondé de la réforme de l'audiovisuel, notamment de sa gouvernance. Contrairement à elle, vous vous êtes exprimée contre cette réforme. Pourriez-vous nous dire pour quelles raisons ?

Ma deuxième question portera sur la culture. La radio publique est un élément important pour animer le débat démocratique, mais aussi pour relayer la culture, la création. À cet égard, je salue l'immense travail réalisé par France Culture et France Musique. Je pense à toutes ces émissions sur le savoir, sur l'histoire, aux balados. Sans ces radios, les productions des formations théâtrales et musicales de nos territoires ne seraient pas relayées comme elles le sont aujourd'hui, en lien avec France Télévisions.

Radio France, ce sont aussi des formations musicales. La suppression de la redevance et la diminution de la ressource publique ayant affecté leur fonctionnement, pouvezvous nous dire à quelles difficultés elles sont confrontées aujourd'hui ? Quelles perspectives s'offrent à elles ?

Mme Mathilde Ollivier. - Les podcasts de Radio France ont grandement participé à mon éducation sur les questions climatiques et environnementales, mais aussi sur l'archéologie, la géopolitique et la vie politique française, et ce alors que je n'ai jamais possédé de radio.

Pour ma part, je trouve que Radio France a bien couvert le sujet de la taxe Zucman, à laquelle plus de 80 % de la population française, qui aspire à plus de justice fiscale, est favorable. Cette question a en revanche été assez peu traitée dans les médias d'opinion. Il était donc important que Radio France la couvre, dans un souci de représentativité des opinions de la population française.

Je souhaite vous interroger plus spécifiquement sur les enjeux climatiques. Dans un rapport d'avril 2025, plusieurs ONG ont relevé que seulement 2 % du temps d'antenne des médias audiovisuels sont consacrés aux enjeux environnementaux, tandis que 128 cas de désinformation climatique ont été détectés en trois mois, dont la moitié sur Sud Radio et sur CNews.

En tant que directrice de Radio France, envisagez-vous d'augmenter le temps d'antenne consacré au climat ? Quelles mesures mettez-vous en place pour éviter la diffusion de désinformations et garantir la lutte contre les infox, notamment en matière climatique ? Sans contradiction scientifique, le risque est que le discours climatosceptique se normalise.

M. Laurent Lafon, président. - Dans votre propos liminaire, vous avez raisonné globalement, toutes antennes confondues. Or, les auditeurs de France Inter ne sont pas forcément ceux de France Culture ou de France Info. L'outil dont vous avez annoncé la mise en oeuvre fonctionnera-t-il bien chaîne par chaîne ?

Dans le rapport qu'elle a publié en début d'année, la Cour des comptes a qualifié de « généreux » les accords collectifs, qui permettent aux salariés de bénéficier de quatorze, voire de dix-huit semaines de congés, à partir de huit ans d'ancienneté. Envisagez-vous de renégocier ces accords ?

Mme Sibyle Veil. - Je répondrai de manière groupée aux questions. Je commencerai par revenir sur la question de la vidéo, sur laquelle un certain nombre d'entre vous m'ont interrogée.

Si nous n'en avons pas parlé sur nos antennes, c'est parce que l'actualité nationale cette semaine-là était plutôt importante. François Bayrou a perdu le vote de confiance à l'Assemblée nationale ; un nouveau Premier ministre, Sébastien Lecornu, a été nommé. Les journalistes répartissent le temps d'antenne en essayant de prendre en compte ce qui est d'intérêt public. Nous avons donc abordé la question de la vidéo à sa juste mesure.

Nous n'instrumentalisons pas nos antennes pour répondre à des concurrents, pour nous justifier ou militer dans un sens ou un autre. Nous n'avons donc pas utilisé nos antennes pour évoquer cette affaire. Cela aurait peut-être été plus simple. Les dirigeants de Radio France sont intervenus dans d'autres médias. Vincent Meslet a ainsi donné une interview au Parisien, Céline Pigalle est intervenue dans Les Échos. Nos antennes sont faites pour les Français. Nous diffusons ce qui les intéresse au premier chef.

Le licenciement de Jean-François Achilli a été évoqué. Je sais qu'il a suscité beaucoup d'incompréhensions lorsqu'il a été prononcé. Ce licenciement fait partie des huit sanctions disciplinaires prises pour manquement à des règles de déontologie que j'ai rappelées dans mon propre introductif.

Jean-François Achilli animait une émission très importante sur France Info, dans laquelle il couvrait l'actualité quotidienne. Quand nous avons pris connaissance de l'information divulguée dans Le Monde, nous l'avons suspendu, comme nous l'avons fait pour Thomas Legrand, afin d'échanger avec lui et lui donner l'occasion de nous démontrer que ce que rapportait Le Monde était faux. Or il ne l'a jamais démontré. Le manquement était donc constitué, tout corroborant le fait qu'il était en train d'écrire un livre. Plusieurs articles parus dans la presse ces derniers mois le montrent. Lors de nos échanges avec Jean-François Achilli, nous avons pris connaissance de ses collaborations avec des acteurs extérieurs. Il faisait ce que l'on appelle des « ménages », lesquels sont contraires à nos règles déontologiques, en raison du risque de conflits d'intérêts. Nous avons donc pris la décision qui s'imposait.

M. Max Brisson. - Pas pour Patrick Cohen ?

Mme Sibyle Veil. - À ma connaissance, aucun de nos journalistes n'écrit actuellement de livre sur un dirigeant du parti socialiste, candidat à une élection en cours.

Il est arrivé à chacun d'entre vous dans cette salle d'avoir des discussions politiques avec des journalistes et d'échafauder avec eux des hypothèses. Je rappelle enfin que ce rendezvous avait été demandé par les membres du parti socialiste, mécontents des éditos de Thomas Legrand dans Libération, qu'ils estimaient trop défavorables à la direction du parti.

M. Max Brisson. - Et ce n'est pas un programme électoral, ça ?

Mme Sibyle Veil. - Je vous laisse la liberté de qualifier les propos qui ont été tenus. Je rappelle simplement les faits objectivés, notamment concernant Jean-François Achilli.

Ces dernières années, nous avons dû faire face à une réduction de nos budgets, tout en ayant l'obligation de continuer à moderniser notre offre et de jouer un rôle d'impulsion dans la modernisation des médias en France. Cela nous a conduits à prendre des décisions stratégiques, consistant à prioriser les moyens sur certaines de nos antennes et à impulser une évolution importante de notre stratégie de distribution.

De plus en plus, les jeunes n'écoutent de la musique que sur les plateformes de streaming, c'est-à-dire en numérique. Les audiences des radios musicales ont subi cette évaporation avec une réduction très forte du nombre d'auditeurs de moins de 25 ans. C'était également le cas pour Mouv', ce qui nous a conduits à transformer cette antenne en une chaîne exclusivement musicale, à partir du 22 septembre, ce qui contribue à l'effort d'économie de Radio France. Nous évoluons aussi vers une diffusion exclusivement numérique pour toucher un public jeune, dont l'usage est aujourd'hui principalement digital.

La génération actuelle des adolescents et des jeunes adultes se détourne des médias traditionnels au profit des plateformes de streaming ou des réseaux sociaux. C'est pourquoi nous avons décidé de toucher les jeunes dès leur plus jeune âge avec une proposition qui leur donne l'habitude d'écouter un contenu audio. Avec tous les podcasts pour enfants que nous avons développés, nous cumulons aujourd'hui plus de 200 millions d'écoutes, soit environ 5 millions d'écoutes chaque mois.

Nous allons créer la première chaîne qui sera d'abord diffusée purement sur les canaux numériques - c'est une radio digitale - et qui aura vocation à être ensuite diffusée en DAB+. Nous croyons fondamentalement au DAB+, très développé dans les pays européens qui nous entourent, et le rôle du service public est d'accompagner la mutation des usages et de la distribution.

L'équilibre actuel de nos fréquences tient plus de l'histoire que de priorités ; nous avons donc proposé à nos ministres de tutelle et à l'Arcom un réaménagement faisant basculer une partie des fréquences de France Musique vers deux priorités actuelles : l'information en temps de crise, au niveau national par France Info et au niveau local par les 44 antennes locales d'Ici. Nous supprimerons ainsi les trous de couverture que nous connaissons en particulier dans le Nord-Est de la France.

Ces derniers mois, nous avons cherché à continuer d'adapter notre stratégie au contexte et à l'évolution des usages, alors que nous n'avons plus de contrat d'objectifs et de moyens, ni de trajectoires pluriannuelles. Or, pour prendre des décisions qui ne dégradent pas notre offre au public, il faut pouvoir disposer d'une vraie stratégie. Et une stratégie ne peut se construire que si l'on a une visibilité sur plusieurs années. D'où l'importance de retrouver rapidement une pluriannualité avec un contrat d'objectifs et de moyens, avec une trajectoire, qui nous permette aussi d'échanger avec vous sur les priorités stratégiques du service public. C'est l'un des enjeux aujourd'hui, y compris dans le cadre de l'examen du budget pour 2026. Il m'est difficile de me prononcer sur ce point, puisque nous attendons de connaître les orientations du nouveau gouvernement.

Concernant les orchestres, évoqués par Catherine Morin-Desailly, nous avons fait énormément d'efforts de gestion ces dernières années. Nous avons ainsi réduit d'un tiers la taille de notre choeur, le seul choeur symphonique professionnel de France, à l'occasion du plan de départs volontaires mené en 2019.

Radio France a consenti d'importants efforts ces dernières années, et son budget a été baissé à plusieurs reprises. Peu de services publics français ont connu une telle trajectoire au cours des sept ou huit dernières années. Ces efforts et leurs résultats ont d'ailleurs été salués dans le rapport de la Cour des comptes. Aujourd'hui, si l'on va trop loin dans les efforts demandés, cela ne relèvera plus de la rigueur de gestion, mais impliquera des choix politiques, au risque de casser des offres qui ont une utilité pour les Français.

Plusieurs d'entre vous ont rappelé que nous proposons de nombreux contenus éducatifs, des émissions de transmission de savoir, des podcasts sur l'histoire de France ou des contenus d'éducation aux médias. Nous essayons d'avoir une offre de grande qualité et de proposer des formats que peu d'autres médias développent. C'est ce qui fait notre différence et l'utilité d'un service public de la radio.

Concernant le pluralisme, plusieurs études ont été citées, comme celle de l'institut Thomas More publiée par le Figaro. À chaque fois, nous en avons contesté la méthodologie -  le Figaro a d'ailleurs publié notre réponse.

Les études menées par des organismes qui défendent des intérêts et des causes comportent des biais dans leur conduite même. Nous l'avons mis en évidence pour l'étude citée : certaines émissions avaient été mesurées sur une période très courte et à des jours précis. Le seul acteur indépendant et qualifié pour ce type d'analyse est l'Arcom, dont nous attendons l'appréciation sur le pluralisme de nos antennes et le respect de nos obligations d'impartialité.

Nous avons pris les devants pour montrer ce que nous faisons et contredire un certain nombre de caricatures, non seulement sur notre audience - j'essaie de déconstruire plusieurs fausses informations sur la réalité de nos auditeurs -, mais également sur ce qui se passe sur nos antennes. Ces caricatures sont extrêmement loin de la réalité.

En revenant à un débat objectivé, en examinant antenne par antenne - et je vous confirme que les mesures se feront ainsi -, nous pourrons montrer notre pluralisme. Vincent Meslet, à l'origine du travail mené sur ce diagnostic, peut vous l'expliquer.

M. Vincent Meslet, directeur éditorial de Radio France. - Notre objectif est de proposer un baromètre hebdomadaire sur le pluralisme, reposant sur trois critères : le pluralisme des invités, celui des thématiques et celui des points de vue.

Les deux premiers critères sont assez facilement quantifiables et nous publierons ce baromètre une fois par semaine. Le pluralisme des points de vue, qui demande un travail plus soutenu, sera analysé en interne de manière régulière, selon les thématiques choisies. Cet outil de pilotage nous servira à répondre aux saisines et aux critiques extérieures en apportant des arguments. C'est aussi un moyen de piloter les choses.

M. Laurent Lafon, président. - Vous le ferez chaîne par chaîne, mais pourrezvous aussi le faire émission par émission ? Pourrez-vous traiter le « 7/9 » de France Inter à part ?

M. Vincent Meslet. - Tout est possible. Cela fait un an que nous travaillons sur cette question. Nous nous sommes fondés sur l'arrêt du Conseil d'État et la délibération de l'Arcom, qui indiquaient que la période de référence était d'un mois pour les chaînes d'information, donc France Info, et de trois mois pour les autres chaînes. Nous le ferons donc globalement sur l'ensemble de chaque antenne. Bien entendu, s'il est nécessaire de faire un zoom sur telle ou telle émission, nous pourrons le faire.

Mme Céline Pigalle, directrice éditoriale déléguée en charge de l'information et de la proximité de Radio France. - Nous avons travaillé activement au développement d'outils fondés sur l'intelligence artificielle. La démarche qui est la nôtre est, à ma connaissance, unique dans ses proportions, puisque l'ambition finale est de pouvoir prendre en charge l'ensemble des antennes et des rendez-vous, mais aussi d'entrer par thématique, c'est-à-dire de pouvoir, pour un sujet donné, trouver tout ce qui a été produit et toutes les invitations qui ont eu lieu.

Il y a désormais un immense appétit pour ce sujet, mais les développements technologiques vont parfois un peu moins vite, ne serait-ce que parce qu'il faut y réaffecter un certain nombre de salariés qui avaient d'autres missions. Nous voyons en revanche à quel point il est nécessaire de le faire, à la fois pour démontrer ce qui existe déjà en matière de pluralisme sur nos antennes, mais aussi pour dialoguer avec nos équipes sur les difficultés rencontrées dans la recherche d'équilibres sur tel ou tel sujet.

Nous réussirons ainsi à factualiser énormément de choses, ce qui répondra en partie à certaines de vos interrogations, qui relèvent davantage, me semble-t-il, d'un ressenti, d'une impression. Au fond, nous partageons tous le souhait de disposer d'un vrai thermomètre sur lequel nous puissions nous entendre.

Vous nous interrogez sur la taxe Zucman et sur la loi Duplomb. La façon de travailler des journalistes explique pourquoi certains sujets surgissent : nous nous intéressons assez peu aux trains qui arrivent à l'heure, mais à ce qui fait rupture dans l'actualité. La raison pour laquelle ces deux sujets ont été pris en charge de façon relativement massive sur les antennes ne correspond pas à un biais ou à une volonté de pousser une dynamique, mais bien à leur surgissement dans le paysage.

S'agissant de la loi Duplomb, le fait qu'une pétition déposée par une jeune étudiante sur le site de l'Assemblée nationale ait recueilli 2 millions de signatures dûment validées est inédit. C'est un moment de rupture. C'est pour cette raison que nous prenons en charge ce sujet.

Même chose pour la taxe Zucman, qui prend une acuité particulière dans l'actualité, car des représentants de la gauche la remettent sur la table au moment du départ du dernier Premier ministre. Vous noterez que, depuis vingt-quatre heures, nous parlons de l'éventuelle suspension de la loi sur les retraites, parce que c'est l'objet de la discussion politique, non parce que nous avons choisi ce sujet.

De tels événements donnent parfois lieu à des effets maximums. La taxe Zucman a pris beaucoup de place, comme la loi Duplomb, la décision du Conseil constitutionnel continuant d'alimenter le débat. Cela nécessite ensuite des rééquilibrages, par exemple en interrogeant le principe de précaution. Un certain nombre d'interlocuteurs ont ainsi été ensuite présents au micro, que ce soit des représentants de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA) ou des producteurs de betteraves qui, par exemple, nous alertent : certes, on n'utilisera pas de néonicotinoïdes en France, mais on importera des produits de pays européens qui continuent de les utiliser.

Il y a le moment du surgissement d'un nouveau sujet, puis la nécessité d'équilibrer les points de vue. Dans la période de massive polarisation que nous traversons, dès que nous entendons quelqu'un qui défend un point de vue contraire au nôtre, nous avons une fâcheuse tendance à trouver que l'antenne est biaisée.

Gabriel Zucman a été reçu sur France Culture ; en studio se trouvait Jérôme Fourquet, qui ne s'est pas opposé à son idée. Mais deux jours plus tard a été reçu Jean Tirole, prix Nobel d'économie, qui a dit tout le mal qu'il en pensait. Sur France Inter, nous avions fait le choix d'un débat contradictoire : Gabriel Zucman était face à Dominique Carlac'h, du Mouvement des entreprises de France (Medef). Mais, lors de passages successifs, l'auditeur qui n'entend que celui avec lequel il est en désaccord nous reproche de ne pas avoir équilibré les choses.

Sur France Info, par exemple, le jour où Bernard Arnault publie sa tribune contre la taxe Zucman, nous rendons compte des différents arguments et nous nous efforçons de reposer le débat en présentant les divers points de vue politiques. Il faut des instruments pour pouvoir démontrer, sur une journée, une semaine ou un mois, que nous respectons le pluralisme. Une fois les données rassemblées, nous pourrons les analyser.

Une chose est certaine : il y a une attente immense de voir démontrer notre volonté de respecter chaque jour et dans chaque programme le pluralisme. Cette attente, qui n'a cessé d'augmenter, est aussi liée à la revendication de l'impartialité. Nous allons prendre en charge chaque jour un peu plus ces réflexions et tenter de faire la démonstration de notre engagement sur le sujet.

Mme Sibyle Veil. - Il était important de présenter des exemples pour montrer la manière dont nous travaillons sur ce sujet.

M. Cédric Vial. - La loi Dupomb était un sujet d'actualité ; mais à ma connaissance, vous n'avez jamais invité Laurent Duplomb sur France Inter. Pourquoi ?

Mme Céline Pigalle. - Je ne suis pas la programmatrice de France Inter : chacun son rôle. Il me serait reproché d'indiquer qui il faut inviter ou non.

Néanmoins, j'entends votre point. Je dois quand même signaler qu'au moment où ce sujet est devenu d'actualité, nous étions dans une période estivale où il était plus difficile qu'à d'autres moments de programmer. Nous aurons l'occasion d'y revenir, car l'examen du texte n'est pas terminé. A-t-il souhaité nous solliciter et avons-nous refusé de le recevoir ?

M. Cédric Vial. - Je note seulement que vous avez invité M. Zucman, et non M. Duplomb.

Mme Céline Pigalle. - Nous ne manquerons pas de l'inviter.

Mme Sibyle Veil. - Le débat permet de clarifier les choses et de les faire progresser. Fabriquer un média est un travail humain, donc faillible. Chaque jour, nous nous reposons les questions pour essayer de faire le mieux possible.

Ces dernières années, nous avons pris beaucoup d'initiatives, car l'exigence du public est plus forte. Désormais, nous publions les 150 000 messages des auditeurs que nous recevons chaque année et les réponses de la médiatrice des antennes. Nous publions également les avis de notre comité d'éthique et nous publierons prochainement, sous l'égide de Céline Pigalle, l'expérience professionnelle des journalistes qui interviennent sur nos antennes. Tout ce qui va dans le sens de la transparence est bon à prendre.

Une étude sur la satisfaction des Français envers leur service public, réalisée par l'Ifop en 2022 sur un échantillon de près de 5 000 personnes, a été citée dans un rapport parlementaire. Si 61 % des Français n'étaient pas satisfaits de leurs services publics en moyenne, le taux de satisfaction pour le service public de la radio était de 80 %. Nous sommes ouverts au débat et nous essayons chaque jour de faire en sorte que nos missions de service public soient utiles aux Français.

S'agissant de la gouvernance, j'ai toujours dit, y compris devant votre commission, que je ne pourrais que soutenir tout ce qui irait dans le sens d'un renforcement de l'audiovisuel public. Dans un moment où les débats sur l'audiovisuel public sont très politisés et où la situation financière est très fragile, une telle réforme mériterait une étude d'impact. Or, nous n'avons pas eu d'échanges avec l'administration à ce sujet. Nous avons nous-mêmes évalué les coûts que cela pourrait engendrer à quelque 150 millions d'euros. Le budget de l'État est-il en capacité de les absorber ? Si c'est celui de nos entreprises qui doit le faire, il faudrait réaliser autant d'économies sur l'éditorial.

Imaginons un restaurant où il n'y a plus d'argent : faut-il investir sur la qualité de la nourriture ou sur les murs ? Je crois qu'il vaut mieux se concentrer sur les contenus que nous produisons pour les Français. Ma préoccupation première est de savoir comment faire en sorte que, dans une situation financière aussi difficile et tendue, les moyens dont nous disposons ne conduisent pas à détruire les offres.

Le jour où nous supprimerions une formation musicale - ce que je ne souhaite pas, et ce n'est pas à l'ordre du jour -, on ne pourrait pas la recréer. Quand on ferme une radio, on ne peut pas la rouvrir. On ne recrée pas une marque, on ne recrée pas quelque chose qui a été fermé.

Si la conduite d'une telle réforme devait être décidée, il faudrait qu'elle se fasse dans un cadre où nous avons de la visibilité sur son mode de financement et sur son coût. C'est pour cette raison que j'avais pris position sur ce sujet, et Delphine Ernotte partage cette préoccupation.

M. Laurent Lafon, président. - Ce coût de 150 millions d'euros serait celui d'une fusion. La proposition de loi que nous avons votée en seconde lecture au Sénat porte sur la création d'une holding. La Cour des comptes comme l'inspection générale des finances (IGF) ont bien précisé que cette opération serait à coût nul ou quasiment nul.

Mme Sibyle Veil. - L'avenir nous dira si l'intégration des systèmes d'information et d'autres aspects sont à considérer. Ces dernières années, le plan de départs que nous avons mis en oeuvre a porté pour 70 % sur les fonctions support. Cela signifie que nous ne sommes pas en capacité de dire à certains de nos collaborateurs d'aller travailler pour la holding : cela ne peut pas être un coût nul.

Mme Sylvie Robert. - L'IGF l'a bien dit !

Mme Sibyle Veil. - Une étude d'impact comportant un montant précis serait très utile pour que, en cas d'adoption, la réforme se fasse dans des conditions de responsabilité financière, et non au détriment du contenu offert aux Français.

Vous avez également évoqué le rapport de la Cour des comptes sur le temps de travail. L'été dernier, au moment de la dissolution, nous avons pu engager une négociation sereine avec nos partenaires sociaux, qui nous a conduits à réformer le compte épargne-temps (CET). Un climat social serein nous permet donc de faire évoluer le cadre social de nos entreprises.

Aujourd'hui, avec une incertitude aussi forte sur l'évolution de notre gouvernance, il est très compliqué d'engager des réformes et des négociations. Si les partenaires sociaux ne savent pas qui sera à la tête de l'entreprise dans les mois qui viennent, il est très difficile de démarrer ce type de négociation. Un cadre plus stable, avec une visibilité pluriannuelle, est donc beaucoup plus favorable pour aborder des sujets sensibles comme le temps de travail. Si nous devions y revenir, il faudrait que des partenaires syndicaux signent un accord, ce qui impliquerait par exemple de racheter des semaines de travail. L'incertitude sur notre trajectoire financière rend ce type de construction difficile aujourd'hui. Cela ne veut pas dire que nous ne le ferons pas, mais qu'avec de la prévisibilité sur notre budget, nous pourrons envisager beaucoup plus sereinement les améliorations à apporter.

Laure Darcos a posé la question des recettes publicitaires. Nous ne demandons pas de changement sur nos antennes de radio, où nous sommes plafonnés en temps d'antenne dans un marché publicitaire extrêmement fragile, notamment pour les acteurs privés financés uniquement par la publicité. En revanche, sur le marché publicitaire numérique, nous ne sommes pas en concurrence avec RTL ou Europe 1, mais avec Spotify, Google et Apple. La croissance de nos recettes publicitaires numériques ces dernières années est liée à la hausse de l'écoute numérique de nos contenus et de la fréquentation de nos plateformes.

Le plafonnement de ces recettes, sujet débattu l'été dernier, ferait surtout les affaires de Spotify et d'Apple, car cela retirerait un acteur à succès de ce marché. La question est plutôt : que pouvons-nous faire pour consolider les acteurs médiatiques ? Nous ne demandons rien sur le marché de la radio. Sur le numérique, si nos recettes publicitaires augmentaient, les seuls qui pourraient avoir des craintes seraient les acteurs numériques étrangers, plus que les radios françaises.

La privatisation de l'audiovisuel public n'a pas de fondement économique. De nombreuses études, dont celle de l'Arcom, montrent qu'il n'y a pas de place sur le marché publicitaire, en télévision ou en radio, pour un acteur privé supplémentaire qui représenterait un tiers de l'audience. Une privatisation ne signifierait donc pas la substitution par un acteur privé, mais la suppression pure et simple de certaines activités : nous ne sommes plus en 1987, quand TF1 a été privatisée.

Mme Céline Pigalle. - Laurent Duplomb a été invité par France Inter, ainsi que la ministre de l'agriculture, mais ces invitations n'ont pas pu aboutir, sans que j'aie le détail exact de leur réponse.

M. Laurent Lafon, président. - Est-il vrai que Mathieu Gallet a été déprogrammé avant le passage en seconde lecture de la proposition de loi sur la holding ?

Mme Céline Pigalle. - Il était programmé, mais il n'est pas venu.

M. Laurent Lafon, président. - De sa propre initiative, ou a-t-il été déprogrammé ?

Mme Sibyle Veil. - Il existe une liberté de programmation des différentes émissions. À cet égard, l'émission en question, « Zoom Zen », qui est une émission de divertissement, relève de la liberté éditoriale lorsque des choix de programmation sont faits.

Dans d'autres émissions, nous avons eu le plaisir de débattre du sujet et d'inviter plusieurs personnalités favorables à cette évolution de la gouvernance de l'audiovisuel public. Dans une émission comme « Soft Power », par exemple, notre ministre de la culture, qui défend ce projet, a également été invitée, puisque plusieurs d'entre vous ont rappelé son intervention sur France Inter qui a fait beaucoup de bruit.

M. Max Brisson. - Et l'auteur de la proposition de loi ?

M. Laurent Lafon, président. - Oui, j'ai été invité, y compris à débattre avec Sylvie Robert, mais après le vote en seconde lecture au Sénat.

M. Charles-Emmanuel Bon, secrétaire général de Radio France. - Laurent Duplomb est intervenu sur France Info le 8 août et a répondu le 20 juillet aux questions des auditeurs d'Ici Auvergne.

M. Laurent Lafon, président. - Je vous remercie.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 11 h 30.