Mardi 7 octobre 2025
- Présidence de Mme Dominique Vérien, présidente -
La réunion est ouverte à 12 heures.
Examen du rapport d'information sur la place des femmes dans les sciences
Mme Dominique Vérien, présidente. - Mes chers collègues, nous examinons aujourd'hui notre rapport consacré à la place des femmes dans les sciences auquel nous avons consacré la majeure partie de nos travaux au cours de la session dernière.
C'est un rapport très attendu non seulement par notre délégation mais aussi par l'ensemble des interlocuteurs de la communauté scientifique que nous avons rencontrés au cours de nos travaux, environ 120 au total au cours de 80 heures d'auditions et de six déplacements en France et à l'étranger !
Je souhaite, pour commencer, rappeler que l'enjeu ici n'est pas celui de l'accès des filles et des femmes aux sciences de façon générale, mais bien aux mathématiques, aux sciences physiques et chimiques, à l'informatique et aux sciences de l'ingénieur (les filières dites STIM).
En effet, si les femmes sont nombreuses dans les sciences médicales et les sciences du vivant et de la terre ou la biologie par exemple, elles ne représentent qu'un tiers des chercheurs scientifiques et un quart des ingénieurs en France.
Comme vous le savez, en tant qu'ingénieure en travaux publics, c'est un sujet qui me tient particulièrement à coeur. Féminiser les sciences, ce n'est pas seulement un enjeu de justice et d'égalité. C'est aussi un enjeu d'innovation et de compétitivité pour notre recherche et nos entreprises, en un mot de souveraineté nationale.
Nos quatre collègues rapporteures, Marie-Do Aeschlimann, Jocelyne Antoine, Laure Darcos et Marie-Pierre Monier, ont travaillé sur ce sujet pendant plus de six mois.
Nous avons entendu plus d'une centaine de personnes lors d'auditions et tables rondes au Sénat : des femmes chercheuses ou ingénieures inspirantes, des chercheurs en sociologie, économie, psychologie ou sciences cognitives, des directeurs de grandes écoles, des professeurs du primaire, du secondaire et du supérieur, des étudiantes et alumni, des acteurs associatifs ou encore des représentants de l'État et des collectivités territoriales.
Nous avons également effectué plusieurs visites de terrain, sur le campus de Paris-Saclay, à l'institut Curie, au lycée Louis-le-Grand ou encore dans la Meuse, à l'invitation de notre collègue Jocelyne Antoine. Nous nous sommes également rendues au Portugal, à Lisbonne, pour nous inspirer de leurs actions en matière de diffusion de la culture scientifique auprès du grand public, et notamment du jeune public.
Nos auditions ont d'ores et déjà eu le mérite de mettre en lumière des femmes scientifiques aux parcours inspirants.
Chers collègues, vous avez sous les yeux l'Essentiel du rapport, c'est-à-dire sa synthèse. Vous avez reçu ce document hier ainsi que la liste des 20 recommandations proposées par les rapporteures.
Comme vous le voyez, il se découpe en quatre grands temps :
• l'école primaire ;
• l'enseignement secondaire et les choix d'orientation ;
• l'enseignement supérieur ;
• et enfin les carrières professionnelles.
Je laisse sans plus tarder la parole aux rapporteures, à commencer par notre collègue Jocelyne Antoine pour aborder le premier grand temps de notre rapport, celui de l'école primaire.
Mme Jocelyne Antoine, rapporteure. - La sous-représentation des femmes dans les études et carrières scientifiques est la conséquence d'une insuffisante orientation des filles vers les filières et spécialités scientifiques au lycée puis dans les études supérieures, mais aussi de différences de représentations et de résultats entre filles et garçons dès l'école primaire, en particulier en mathématiques. C'est sur l'intégralité du parcours scolaire qu'il faut donc se pencher, et singulièrement sur l'école primaire, que nous avons identifiée comme une étape clé dans la construction des écarts de performance entre filles et garçons.
En effet, alors que filles et garçons ont des résultats similaires à l'entrée en CP, dès quatre mois de CP et d'enseignement formel des mathématiques, une nette avance des garçons apparaît, qui ne fait que s'accroître tout au long des années de primaire.
Ce phénomène est global : il se retrouve quel que soit le contexte social, familial et territorial et l'environnement scolaire.
Cependant, les écarts sont encore plus précoces et marqués chez les enfants issus de familles très favorisées, sans doute parce qu'elles encouragent davantage la compétitivité académique de leurs fils.
Certes, les écarts filles-garçons en mathématiques se retrouvent dans tous les pays de l'Union européenne et de l'OCDE, mais nous sommes le pays où les écarts sont les plus marqués.
Alors comment expliquer ces écarts ?
Il convient de rappeler - s'il en était besoin - qu'il n'existe aucune différence à la naissance entre le cerveau des petites filles et celui des petits garçons, qui ont un sens du nombre identique. Les différences qui apparaissent vers l'âge de 6 ans sont uniquement la conséquence des stéréotypes et biais de genre auxquels les enfants sont confrontés dans leur environnement dès le plus jeune âge et qu'ils intériorisent.
Ces stéréotypes sont présents :
• à la maison, dans les interactions avec leurs parents, qui encouragent davantage la motricité, l'autonomie et la compétition des garçons ;
• à l'école, où les garçons interviennent davantage, en particulier sur des questions de réflexion, là où les filles sont interrogées sur des questions de mémorisation. En outre, les enseignants/enseignantes - qui sont, il faut le rappeler, aux trois quarts des femmes ayant suivi un cursus littéraire - peuvent transmettre leur anxiété ou, en tous cas, leur moindre appétence des mathématiques à leurs élèves filles - un effet mimétique qu'on ne retrouve pas avec leurs élèves garçons ;
• ces stéréotypes sont aussi présents dans tout l'environnement socio-culturel des enfants, les dessins animés, les magazines...
À six ans, les enfants associent déjà le talent intellectuel et mathématique à la figure masculine.
Face à ces constats, nous sommes donc convaincues de la priorité d'agir dès le plus jeune âge.
Le premier levier à activer est celui de la formation de leurs enseignants et enseignantes, plus particulièrement sur deux volets :
• d'une part, la formation scientifique et la formation à la didactique des mathématiques des professeurs des écoles qui doivent être renforcées afin qu'ils et elles soient plus à l'aise pour enseigner cette discipline ;
• d'autre part, la sensibilisation aux biais de genre à la pédagogie égalitaire, qui doit être intégrée au concours, en privilégiant notamment la formation entre pairs.
Plus globalement, la culture de l'égalité doit davantage se diffuser au sein des établissements scolaires, et notamment des contenus pédagogiques.
Nous formulons également plusieurs recommandations afin de développer la culture scientifique pour toutes et tous, dans tous les territoires.
La médiation, les stages, les sorties scolaires et les médias à caractère scientifique sont des vecteurs qu'il faut davantage mobiliser. C'est en voyant des femmes et des filles pratiquer et aimer les sciences que l'on convaincra les petites filles que ces disciplines sont faites pour elles.
Je laisse désormais la parole à notre collègue rapporteure Marie-Do Aeschlimann pour le deuxième temps fort du rapport : le collège, le lycée et l'orientation vers les études supérieures.
Mme Marie-Do Aeschlimann, rapporteure. -Après le temps de l'école primaire, vient le temps du collège et du lycée et des premiers choix d'orientation. Une étape charnière car si les bons choix d'options ne sont pas faits à 14-15 ans, il est ensuite compliqué de rejoindre un parcours professionnel à forte dimension scientifique et mathématique.
Or, ces choix sont encore extrêmement genrés aujourd'hui. Et l'on peut douter de leur caractère entièrement libre et éclairé au vu des inégalités, des pressions et des stéréotypes sexistes auxquels les jeunes filles font face.
Si l'écart de niveaux entre filles et garçons en mathématiques tend à se réduire au cours du collège, on note en revanche de réelles différences dans leur rapport à cette discipline : 59 % des garçons déclarent aimer cette discipline et 54 % sont confiants dans leurs capacités dans cette discipline, contre respectivement 42 et 40 % des filles.
Les garçons restent perçus dans leur ensemble, par eux-mêmes, leurs camarades, leurs familles et leurs enseignants, comme étant meilleurs en mathématiques et en sciences. Un sondage récent de France Stratégie montre qu'un quart des jeunes de 11-17 ans pense que les garçons ont davantage l'esprit scientifique que les filles.
Au lycée, les filles font très nettement moins que les garçons le choix de filières et spécialités scientifiques. Certes, elles sont plus nombreuses que les garçons à accéder à une seconde générale et technologique, mais en terminale générale :
• seul un tiers des filles choisissent une combinaison de deux spécialités scientifiques, contre la moitié des garçons ;
• et seules 10 % des filles choisissent l'option « maths expertes », contre un quart des garçons.
Par la suite, seules 17 % des bachelières poursuivant des études supérieures optent pour des filières STIM, contre 44 % des garçons.
Nous souhaitons aujourd'hui délaisser la rhétorique autour du « manque de confiance en soi » et de « l'auto-censure » des filles, qui fait peser sur elles la responsabilité de leur faible choix d'une orientation scientifique. Plutôt que de changer les filles, nous pensons qu'il faut :
• d'une part, changer les mathématiques et les sciences, la façon dont elles sont perçues et enseignées, mettre en valeur leur utilité sociale, afin d'encourager l'envie de sciences chez toutes et tous ;
• et d'autre part, changer les garçons et promouvoir une réelle culture de l'égalité, avec une tolérance zéro pour les comportements sexistes.
Nous avons constaté, par ailleurs, un déficit global d'informations, sur les études et carrières scientifiques ainsi que sur les liens entre choix de spécialités et orientation future.
Afin de lutter contre ce déficit d'informations, nous appelons à développer des campagnes de communication actualisées et modernisées sur le portail Onisep, mais aussi à soutenir les clubs, les stages, les programmes d'immersion, ainsi que les interventions de rôles modèles féminins inspirants.
En la matière, nous tenons à préciser que Marie Curie ne saurait être le seul rôle modèle féminin. On ne demande pas aux garçons d'être Einstein pour s'orienter vers une carrière scientifique ! De même, il faut que nous présentions aux jeunes filles des rôles modèles certes inspirants mais surtout accessibles, proches en âge, qui ont brillamment réussi par leurs efforts, sans être forcément des génies.
Nous appelons également à la mise en place d'un véritable service public de l'orientation, qui soit sensibilisé aux enjeux d'égalité femmes-hommes et qui associe les familles, qui sont parmi les principales prescriptrices des choix d'orientation de leurs enfants et qui doivent donc, à ce titre, être elles aussi sensibilisées aux enjeux d'égalité.
Enfin, il est impératif d'agir davantage sur les représentations et attitudes des garçons, qui véhiculent bien souvent dans les classes des propos sexistes qui alimentent la petite musique selon laquelle les filles ne seraient pas bonnes en maths et donc pas légitimes à poursuivre des carrières scientifiques. Cela implique de donner enfin de véritables moyens aux référents égalité filles-garçons tant au niveau académique qu'au sein des établissements.
Je laisse maintenant la parole à notre collègue rapporteure Marie-Pierre Monier pour évoquer le troisième temps de notre rapport : l'enseignement supérieur.
Mme Marie-Pierre Monier, rapporteure. -Une fois franchies les barrières de l'orientation au collège et au lycée, les jeunes femmes se trouvent confrontées à de nouveaux obstacles : aujourd'hui minoritaires dans les filières scientifiques de l'enseignement supérieur, elles y affrontent souvent un sexisme ordinaire et parfois des violences sexistes et sexuelles.
C'est pourquoi les classes préparatoires, les grandes écoles et les universités constituent un maillon décisif pour donner aux femmes toute leur place dans les sciences.
L'enseignement supérieur concentre ainsi les inégalités héritées du secondaire et en introduit de nouvelles.
En France, le pourcentage global de femmes diplômées dans les domaines des STIM est très inférieur à celui des hommes diplômés, puisqu'il est de 13 % d'étudiantes universitaires diplômées, contre 40 % d'étudiants diplômés, soit un écart de près de 30 points.
Au sein des STIM, certaines disciplines connaissent une trajectoire particulièrement préoccupante. Une experte a même parlé d'une « dynamique régressive ». C'est le cas des mathématiques, ce qui m'attriste particulièrement.
La part d'étudiantes dans les diplômes universitaires en mathématiques n'a cessé de stagner, voire de régresser, au cours de la dernière décennie. Cette proportion diminue en licence de mathématiques. Ce plafond est aussi constaté au sein du vivier des professeurs d'université et des maîtresses de conférences, minoritaires en mathématiques fondamentales. On compte ainsi 40 femmes sur 500 professeurs.
Les femmes demeurent particulièrement sous-représentées dans les filières scientifiques les plus sélectives, notamment au sein des meilleures écoles d'ingénieurs françaises, alors même qu'elles intègrent les classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE) scientifiques avec, en moyenne, de meilleurs résultats scolaires que les hommes.
D'une part, les CPGE scientifiques recrutent dans un vivier aux deux tiers masculin, et même à 70 % masculin si l'on ajoute l'option mathématiques expertes. D'autre part, on constate, de la part des filles, une véritable stratégie d'évitement massif des filières à forte composante mathématique. Ainsi, si la plupart des classes prépa scientifiques affichent un taux de féminisation supérieur à 25 %, dans les nouvelles classes préparatoires mathématiques-informatique, l'absence quasi-totale de filles est flagrante.
Enfin, la proportion de filles admises dans les écoles scientifiques les plus prestigieuses (grandes écoles d'ingénieurs ou ENS) est encore plus faible puisqu'elles ne représentent plus que 20 % des étudiants admis aux concours les plus sélectifs.
Au total, dans les quelque 200 écoles d'ingénieurs recensées en France, seuls 30 % des 200 000 élèves qui suivent un cursus d'ingénieur en trois ou cinq ans sont des femmes.
Ce taux de féminisation n'a, en outre, progressé que très lentement sur le long terme : entre 2006 et 2021, la part des femmes ingénieures diplômées est passée de 27 % à seulement 31 %.
Au cours de nos travaux, nous avons en effet pu constater les difficultés rencontrées par les écoles d'ingénieurs pour recruter des étudiantes. Même au sein de celles ayant mis en place des politiques pro-actives de féminisation de leurs effectifs, comme par exemple à l'ESTP, à Centrale-Supélec ou encore à l'X, la progression de la proportion d'étudiantes reste lente et insuffisante.
Dans les écoles normales supérieures (ENS), autres filières d'excellence en France, qui assurent notamment la formation des chercheurs, chercheuses et enseignants, enseignantes dans les disciplines littéraires, scientifiques et technologiques, le taux de femmes admises dans les filières scientifiques est également très faible.
C'est le cas notamment à l'ENS Ulm (moins de 20 % de filles dans la section « sciences » en 2023 et 0 % dans la filière « maths informatique »), à l'ENS de Lyon (moins de 10 % de femmes dans les voies mathématiques et informatique au cours des 4 dernières années cumulées), ou encore à l'ENS de Paris-Saclay que nous avons visitée (12 % de femmes en sciences pour l'ingénieur et 25 % en sciences fondamentales - au sein des sciences fondamentales, seulement 11,5 % de femmes parmi les inscrits en mathématiques).
Enfin, au sein des disciplines scientifiques universitaires, si les femmes sont majoritaires en sciences de la vie et en médecine en 2023 (66 % des étudiants dans les deux cas), elles sont minoritaires en sciences fondamentales (33 % des étudiants).
Ces différents constats amènent à se poser la question des raisons de cette si faible présence de femmes au sein des études scientifiques les plus sélectives.
Elles sont multiples :
· elles ne s'y sentent pas attendues ou pas les bienvenues, « pas à leur place », pour reprendre les mots d'Elisabeth Borne ;
· elles redoutent la très faible mixité de l'environnement et l'éventuelle « toxicité » d'un milieu très majoritairement masculin et compétitif ;
· elles souffrent de la persistance d'un climat de violences sexistes et sexuelles dont la réalité n'est pas encore suffisamment prise en compte par tous les responsables académiques malgré une - plutôt récente - prise de conscience institutionnelle et ministérielle du phénomène.
C'est pourquoi, nous pensons que garantir un environnement favorable et protecteur est essentiel pour que les talents féminins ne se perdent pas à ce moment décisif de la formation professionnelle alimentant ainsi le phénomène bien connu du « tuyau percé ».
Dans cette perspective, nous proposons aujourd'hui d'expérimenter de nouvelles solutions pour atteindre un taux de féminisation de ces filières qui permettra d'assurer une véritable mixité des carrières scientifiques.
Parmi ces solutions, innovantes voire radicales, nous proposons :
- l'instauration de quotas en classes préparatoires et à l'entrée des filières scientifiques les plus sélectives et les moins féminisées ;
- la mise en oeuvre de dispositifs favorables aux filles : bourses spécifiques, augmentation des places en internat, regroupement des filles dans les classes les plus sélectives et compétitives ;
- l'expérimentation de séquences non-mixtes ponctuelles dans les parcours académiques scientifiques ;
- une réforme de l'organisation des processus de sélection à l'entrée des grandes écoles (préparation aux concours et épreuves des concours) et la facilitation des passerelles et l'hybridation des parcours académiques.
La mise en oeuvre de toutes ces mesures ne donnera cependant aucun résultat si la politique de lutte contre le sexisme et contre les violences sexistes et sexuelles dans l'enseignement supérieur scientifique n'est pas appliquée de façon homogène et volontaire par l'ensemble des responsables académiques.
Je laisse la parole à notre collègue rapporteure Laure Darcos pour une présentation de notre quatrième séquence : le déroulé des carrières des femmes scientifiques.
Mme Laure Darcos, rapporteure. -La conséquence logique de cette faible féminisation des filières académiques scientifiques est une sous-représentation féminine dans les carrières scientifiques, que ce soit dans le domaine de l'ingénierie, de la recherche, de l'informatique ou du numérique.
Les femmes représentent aujourd'hui moins d'un tiers des chercheurs scientifiques et un quart des ingénieurs en France. Ce chiffre stagne ces dernières années. Elles sont encore moins nombreuses à occuper des postes à responsabilité au sein des laboratoires de recherche ou des départements R&D des entreprises.
Dans un contexte de fortes tensions en compétences dans les secteurs liés à la transition numérique, à la transition écologique, à l'intelligence artificielle ou encore à la santé, un vivier scientifique élargi est vital, où la mixité est gage d'innovation, de performance et de qualité, tant dans les laboratoires que dans les entreprises.
Aujourd'hui, il est indispensable de former au moins 20 000 ingénieures et ingénieurs et 60 000 techniciennes et techniciens de plus chaque année pour permettre à la France de rester compétitive dans ces domaines.
En outre, environ une femme sur deux, après avoir opté pour une carrière scientifique, quitterait ce champ professionnel au cours des dix années suivant l'obtention de son diplôme : c'est le phénomène effectivement bien connu du tuyau percé, que ma collègue Marie-Pierre Monier évoquait précédemment.
Celui-ci creuse les inégalités salariales entre femmes et hommes, notamment dans le domaine de la recherche scientifique.
On constate ces inégalités dès la procédure de recrutement des chercheurs.
D'une part, ce recrutement est de plus en plus tardif, ce qui peut être pénalisant pour les femmes. D'autre part, on observe une diminution du nombre de postes proposés aux jeunes.
Le déroulé de la carrière, ensuite, est également pénalisant pour les femmes. Le modèle professionnel du « bon chercheur scientifique » implicitement masculin, entièrement consacré à son activité professionnelle, sans considération pour sa vie privée et familiale, peut être dissuasif pour les femmes pour qui la difficile conciliation entre vie professionnelle et vie familiale aggrave le manque d'attractivité de la recherche scientifique.
Ce manque d'attractivité est également accentué par la prévalence de toute la palette des violences sexistes et sexuelles dans ce domaine : que ce soit le « sexisme ordinaire » encore profondément ancré dans le monde scientifique ou toutes les violences sexistes et sexuelles dont les femmes sont victimes. Ces violences sont d'ailleurs particulièrement présentes au moment de l'entrée dans la vie professionnelle, il est donc essentiel d'agir en amont.
Dès lors, afin d'accélérer la féminisation des secteurs professionnels scientifiques, nous formulons plusieurs recommandations.
Dans le domaine de l'enseignement supérieur et de la recherche :
· des quotas de genre pour le recrutement et les promotions de femmes ;
· des formations aux biais de genre des jurys de recrutement et comités de sélection ;
· la mise en oeuvre de programmes d'accompagnement et de mentorat des femmes vers des postes à responsabilité.
Pour une plus grande mixité au sein des carrières scientifiques dans l'entreprise, notamment au sein des métiers de l'ingénierie, nous recommandons de sensibiliser les chefs d'entreprises et les directions des ressources humaines (DRH) aux enjeux de la diversité des recrutements comme facteur d'innovation et de performance économique.
La délégation est également favorable à une réflexion plus poussée concernant l'éga-conditionnalité des aides publiques à la recherche, type crédit d'impôt recherche (CIR) ou convention industrielle de formation par la recherche (CIFRE).
Pour maintenir les femmes dans les carrières scientifiques, nous recommandons des mesures de conciliation entre vie professionnelle et vie familiale :
· une réforme du congé paternité et du congé parental pour une plus grande égalité dans le déroulé de carrière des pères et des mères ;
· pour les jeunes parents : un allègement des charges administratives et pédagogiques des chercheuses au retour de congé maternité ; des décharges d'enseignement et un soutien spécifique aux jeunes parents chercheurs ; une valorisation du travail collectif et en équipe ; le développement de dispositifs de gardes d'enfants au sein des instituts de recherche et des universités.
Enfin, le renforcement de la lutte contre le sexisme ordinaire et les violences sexistes et sexuelles dans les secteurs scientifiques doit contribuer au maintien des femmes dans ces secteurs et à la féminisation de leur recrutement.
Avant tout, il est nécessaire de créer un espace protecteur pour que les femmes restent dans les métiers scientifiques.
Nous recommandons donc la mise en oeuvre de politiques en faveur de l'égalité femmes-hommes et de lutte contre les VSS dans l'ensemble des organisations académiques.
S'agissant du secteur privé, la formation à la lutte contre les violences sexistes et à la culture de l'égalité doit être rendue obligatoire dans les entreprises, à tous les niveaux, et notamment auprès des managers et des décideurs, et intégrée à la politique de responsabilité sociétale de l'entreprise (RSE).
Nous sommes bien sûr à votre disposition pour développer davantage l'une ou l'autre de nos recommandations. Je terminerai en remerciant notre présidente Dominique Vérien pour sa confiance et le soutien apporté à la réalisation de ce rapport, attendu depuis plusieurs années et qui je l'espère, fera date.
Mme Marie-Pierre Monier. - Je souhaite vraiment insister sur le fait qu'il est fondamental que les enseignants du premier degré soient particulièrement attentifs à la réussite du processus.
J'aimerais rappeler aussi que pendant longtemps et jusqu'en 1986, les ENS étaient au nombre de deux et non-mixtes : l'une, Sèvres, n'accueillait que des filles, l'autre, Ulm, que des garçons. Il y avait donc la moitié de filles ! C'est depuis que la mixité a été introduite que nous constatons une baisse très significative des effectifs de filles dans les filières scientifiques des ENS. Et cela a une relation directe avec le syndrome de l'imposteur que nous avons déjà évoqué.
J'ai été aussi beaucoup interpellée par les programmes mis en place par les écoles d'ingénieurs - Centrale Supélec notamment - afin d'attirer davantage de filles. Car, la réalité c'est que la France en a besoin. Désormais, la seule façon de faire progresser notre société, c'est de parvenir à attirer plus de filles dans les écoles d'ingénieurs.
Mme Laure Darcos. - Je voulais revenir sur l'observation qui semble à première vue assez contre-intuitive, selon laquelle les parents issus de CSP + poussent davantage leurs garçons que leurs filles dans les filières compétitives alors que dans les milieux moins favorisés, les fils et les filles seront traités plus équitablement. Cela nous a été confirmé par des sociologues et plusieurs interlocutrices entendues au cours de nos travaux : c'est dans les milieux aisés que l'opinion selon laquelle l'homme doit mieux gagner sa vie est plus répandue. Plusieurs ingénieures que nous avons auditionnées l'ont d'ailleurs personnellement expérimenté.
M. Laurent Somon. - Je suis un peu surpris par les données sur les violences sexuelles et sexistes : y a-t-il des données statistiques qui attestent qu'elles sont plus répandues dans les filières scientifiques ?
Mme Marie-Pierre Monier. - Ce n'est pas la même proportion de filles !
M. Laurent Somon. - Certes, mais il y a tout de même des filières scientifiques fortement féminisées comme les écoles vétérinaires par exemple. Et d'ailleurs les filles y réussissent sans quota, ce qui m'amène à ma deuxième interrogation.
Pensez-vous que les quotas vont régler le problème ? Pour répondre aux besoins, ne vaudrait-il pas mieux ouvrir plus de postes ? Puisque les épreuves écrites sont anonymes, du brevet jusqu'aux concours les plus élevés, les quotas joueraient donc au moment des épreuves orales, en sélectionnant plutôt une candidate femme qu'un candidat homme ?
Mme Dominique Vérien, présidente. - À l'École nationale de la magistrature, on manque d'hommes. Par conséquent, sans qu'il s'agisse à proprement parler de quotas, ces derniers bénéficient sans doute de meilleures chances d'être admis. Il faut savoir qu'en réalité, il y a des endroits où l'on rééquilibre ainsi les choses.
M. Laurent Somon. - Et à l'inverse, je citerai sans la nommer le cas d'une grande école de commerce, dont les jurys de concours, il y a plusieurs années, rééquilibraient la part des admis en faveur des hommes, pour des questions liées au temps de travail et à la crainte des entreprises de devoir faire face à un afflux de congés maternité.
À côté de ces discriminations qui peuvent exister, la question clé reste celle des besoins et de la nécessité de créer des postes.
Mme Laure Darcos. - Concernant l'augmentation du nombre de postes, l'argument est valable, mais un peu biaisé car beaucoup de jeunes filles passent leur temps à nourrir le complexe de ne pas aller jusqu'au bout.
Le mot « quota » peut faire peur. Avec la présidente Dominique Vérien, nous sommes allées à la rencontre de jeunes filles en classes préparatoires scientifiques au lycée Louis-le-Grand. Quand nous avons abordé le sujet, elles se sont montrées agacées ne souhaitant pas que l'on réduise leur mérite au fait d'avoir été recrutée en raison de la mise en place de quotas. Sauf que nous raisonnons bien sûr ici à compétences égales. À partir du moment où, sur Parcoursup, elles sont aussi nombreuses que les garçons, mais que l'on constate une baisse de leur nombre en première année de classe préparatoire, et surtout entre la première et la deuxième année, cela signifie que certaines abandonnent pour des raisons autres que leurs compétences intellectuelles et scientifiques, par exemple, parce qu'elles ne trouvent pas forcément de places en internat adaptées, ou parce que, dans les groupes de travail, les garçons prennent toute la place pour répondre aux questions, et qu'elles n'ont donc pas l'impression de pouvoir s'imposer. En somme, elles abandonnent pour de mauvaises raisons.
Nous leur avons simplement parlé de notre propre expérience avec les quotas en politique, en leur disant : « Vous aurez peut-être l'impression d'être sacrifiées la première année, mais en réalité, vous travaillez aussi pour les générations suivantes. »
Dans les milieux de l'intelligence artificielle, nous avons besoin de femmes, notamment pour alimenter les algorithmes avec des données de santé féminines. L'objectif n'est pas forcément d'augmenter le nombre de postes pour qu'il y ait plus de femmes, mais simplement de rétablir un équilibre de mixité.
Ce constat est en effet valable dans la magistrature ou dans l'enseignement, où il serait important d'avoir plus d'hommes. Je vous invite à vous souvenir de l'expérience de cette étudiante normalienne que nous avons rencontrée à Louis-le-Grand.
Mme Dominique Vérien, présidente. - En effet, comme vous le savez, le lycée Louis-le-Grand abrite les meilleures classes préparatoires scientifiques de France. Une jeune étudiante normalienne issue de ses rangs nous a fait part de son expérience à l'ENS Ulm où elle a été reçue aux deux concours, le concours élève et le concours étudiant, l'un en physique et l'autre en mathématiques.
Elle décide de se lancer dans une double licence mais s'en trouve alors fortement dissuadée par un responsable du laboratoire de mathématiques, qui lui fait part de ses doutes quant à sa capacité à réussir ce double cursus. L'étudiante persiste et obtient ses deux licences avec mention. Elle était la seule femme de sa promotion.
Ayant l'intention de poursuivre plus loin dans ce double cursus elle sollicite un bilan avec le même professeur, à qui elle venait pourtant de prouver ses compétences, et s'entend alors répondre qu'elle n'en serait pas capable et que suivre une double licence avait été une erreur. Par conséquent, l'étudiante a fini par choisir la physique et abandonner les mathématiques.
C'est absurde qu'une jeune femme aussi brillante se trouve dissuadée et doive renoncer à ses ambitions parce qu'un professeur ne veut pas de femme parmi ses étudiants.
Mme Marie-Pierre Monier. - S'agissant des quotas, la glaciologue Heidi Sevestre qui réside et travaille au Svalbard norvégien et que nous avions auditionnée lors de notre événement sur les femmes scientifiques aux parcours inspirants en mars 2025, nous a expliqué que la Norvège en a mis en place à tous les stades : pour les étudiants, les doctorants, les post-doctorants, les professeurs d'université...
En France, l'école d'ingénieurs EPF a changé ses statuts pour créer le parcours ParityLab, qui comprend un concours et un programme de formation distincts, réservés aux jeunes filles, qui représentent 50 % des effectifs.
On peut tenter toutes ces initiatives, mais il faut surtout changer d'état d'esprit, car si cela fonctionne ailleurs, il n'y a aucune raison que cela ne marche pas en France.
On a vu que dans certaines CPGE scientifiques actuellement, il y a 40 % de filles admises sur Parcoursup et seulement 20 % qui se présentent le jour de la rentrée. Il faut absolument réussir à changer cela. Et également encourager la pluridisciplinarité car c'est cela qui attire les filles.
Mme Annick Billon. - Je remercie nos quatre rapporteures et salue la persévérance de Laure Darcos, car nous évoquons ensemble ce sujet depuis de nombreuses années
Ce que j'apprécie dans votre rapport et votre présentation, c'est que tout le spectre des sujets y est traité. Je trouve son titre extrêmement intéressant, car il est très positif : il s'agit de féminiser pour dynamiser la société, c'est donc une plus-value. Par les sujets que nous traitons habituellement, que ce soit les violences, l'inégalité salariale ou la santé des femmes au travail, il ne nous est pas souvent donné l'occasion de rédiger un rapport avec autant d'aspects positifs et je pense qu'il faut s'en féliciter.
Nous avons rencontré grâce à vous de nombreuses femmes inspirantes que l'on ne voit pas suffisamment et qui ont la lourde responsabilité de s'engager pour rendre les femmes plus visibles dans les sciences. Comme elles l'ont relevé lors des auditions, on leur en demande donc toujours plus : non seulement il faut qu'elles soient brillantes, mais en plus il faut qu'elles jouent les « VRP » des sciences, sachant qu'elles sont moins nombreuses que les hommes et que cela représente une charge importante pour elles.
Je vois votre rapport comme une boîte à outils qui vivra très longtemps, à l'instar d'autres rapports comme « Femmes et ruralités : en finir avec les zones blanches de l'égalité » ou « Femmes et agriculture : pour l'égalité dans les territoires ».
Vous évoquez les questions de formation, d'information, mais aussi de droit du travail, avec les congés parentaux, les modes de garde et la politique familiale. Vous parlez de bourses, d'internats et vous donnez des outils pour favoriser la place des femmes dans les cursus scientifiques.
J'ai une question à vous poser sur les quotas, qui sont l'un de ces outils.
Avez-vous évoqué entre vous l'option d'avoir des écoles non mixtes, puisque la question des violences sexuelles et sexistes se pose ? Comme à l'époque de l'ENS Sèvres, qui permettait d'apprendre dans un environnement non mixte et d'éviter les quotas.
Concernant l'ARCOM, ses représentants, que nous auditionnons régulièrement, mettent souvent en avant la nécessité d'une représentation égalitaire des hommes et des femmes. Faut-il durcir votre recommandation à son sujet ou lui donner plus de moyens pour la mettre en oeuvre ? Faut-il, spécifiquement pour les sciences, avoir des dispositifs de mesure différents ? En effet, lorsqu'on parle d'experts, il peut s'agir de spécialistes en politique, en sciences ou en littérature. On trouvera peut-être un vivier plus important de femmes expertes en enseignement ou en littérature que dans les sciences.
Pour éviter que tout le poids ne repose sur les femmes, qui doivent déjà travailler dans les sciences et, en plus, se valoriser, n'y a-t-il pas quelque chose à inventer pour mettre en lumière leur travail ? Ne pourrait-on pas créer des prix, des bourses ou d'autres outils pour distinguer chaque année des femmes qui, avec des parcours ordinaires, sont devenues ingénieures ?
Enfin, l'un des arguments pour attirer les femmes vers les sciences est la perspective, dans certaines carrières comme les ingénieures, de très bien gagner sa vie. Car cela signifie être autonome financièrement. D'autant que les entreprises recherchent des ingénieures femmes, notamment en raison d'obligations législatives de représentation des femmes dans les postes à responsabilité, avec les lois Copé-Zimmermann et Rixain.
Il faudrait sans doute mieux communiquer sur ces arguments et faire savoir qu'en devenant ingénieures, les femmes auront une carrière très évolutive, qu'elles ne s'enfermeront pas dans un domaine technique.
Mme Jocelyne Antoine. - L'an dernier, je participais à l'assemblée générale de la fédération du BTP de mon département. Sur les dix interlocuteurs, dix messieurs, aucun ne m'a citée lors des propos introductifs, alors qu'ils s'adressaient volontiers à « Monsieur le député » ou « Monsieur le sénateur ».
J'ai gardé le sourire pendant les discours mais j'ai tout de même décidé de ne pas laisser passer, car dix oublis, ce n'est pas rien. Je suis donc allée voir le président de la fédération du BTP pour le remercier de son invitation et lui signifier que, dans la mesure où je n'étais apparemment pas présente, puisque jamais citée, je ne participerais pas au verre qui suivrait. J'ai donc quitté l'assemblée après les discours, très poliment.
Cette année, le président de la fédération du BTP a appelé ma collaboratrice car il organise en novembre un événement sur la place des femmes dans le BTP, en faisant intervenir plusieurs associations qui travaillent sur l'orientation des femmes, et m'a proposé de venir y présenter notre rapport.
Mme Marie-Do Aeschlimann. -Pendant nos auditions, nous avons souvent évoqué le fait que les pays les plus égalitaristes ne sont pas ceux où la représentation des filles dans les carrières scientifiques est la plus élevée, c'est ce que l'on appelle le paradoxe de l'égalité. Cela s'explique par le fait que, dans les pays qui ne le sont pas - notamment en Afrique du Nord ou dans certains pays d'Amérique du Sud -, s'investir dans les sciences est vécu comme un moyen d'émancipation économique pour les filles, dans des contextes où les moyens des familles sont moindres.
Nous l'avons dit, les femmes recherchent en général des carrières où elles peuvent exprimer leur utilité sociale. C'est pourquoi on les retrouve beaucoup dans les métiers du soin, la magistrature ou l'éducation, où elles ont l'impression d'être utiles et de s'occuper des gens.
Aller vers des métiers avec la rémunération en ligne de mire n'est pas de prime abord un réflexe féminin. Cela va peut-être évoluer, je le constate aujourd'hui dans mon entourage. Les jeunes femmes souhaitent de plus en plus être autonomes, faire d'aussi belles carrières que les hommes et avoir des métiers rémunérateurs.
Les carrières scientifiques peuvent donner l'impression aux femmes qu'elles n'auront pas de véritable impact sur la vie réelle. Or, quand on construit, bâtit ou travaille dans l'industrie ou les travaux publics, on a un vrai impact sur le quotidien. De même, en travaillant dans les mathématiques ou les sciences fondamentales, l'impact existe, même s'il est plus lointain.
Il faut apprendre et sensibiliser les jeunes filles au fait qu'elles ont le droit d'aspirer à un métier où elles vont non seulement s'épanouir et avoir une réelle utilité, mais aussi bien gagner leur vie. Ce n'est pas un gros mot pour une jeune fille ! C'est aussi notre rôle, en tant que parents, élus et éducateurs, de laisser aux filles le droit de rêver à autre chose. C'est un long chemin, car cela nécessite de sensibiliser, d'encourager et de laisser entendre que c'est possible. Pour cela, on en revient aux rôles modèles inspirants qui doivent dire aux filles : « J'ai fait tel choix de carrière ou d'études, j'occupe maintenant telle fonction, je m'épanouis, je gagne bien ma vie, et toi aussi tu le peux, demain. » C'est tout un chemin, et j'espère que ce rapport aidera à ouvrir cette voie.
Mme Jocelyne Antoine. - Je vais répondre Concernant la recommandation sur l'ARCOM. Elle se trouve dans la première partie de notre rapport, consacrée au premier âge. C'est cette partie de l'audiovisuel que nous avons ciblée.
Dans les rapports de l'ARCOM, cet aspect est vu de manière générale, mais des exemples nous ont montré que sur certains supports visuels s'adressant aux plus petits, et en particulier aux enfants de 5 ou 6 ans, dans les dessins animés ou les émissions de télévision, il y a une mauvaise représentation de l'image de la fille. C'est dans ce sens que nous souhaitions que l'ARCOM soit sensibilisée.
Mme Laure Darcos. Ce point sur l'ARCOM va de pair avec les manuels scolaires. En effet, comme l'a dit Élisabeth Borne, et comme nous l'ont montré les inspecteurs généraux de l'éducation nationale, le respect une charte d'égalité femmes-hommes doit être obligatoire dans l'élaboration des manuels scolaires. D'après cette charte, lorsqu'on illustre une personne en blouse, par exemple, il faut cesser de représenter systématiquement un homme en chercheur et une femme en infirmière.
Autant nous pouvons corriger beaucoup de choses sur la représentativité à la télévision, autant, pour les sciences, il s'agit davantage d'un problème qui se pose dès l'enfance - dans les dessins animés, les émissions et les manuels scolaires - que d'un problème à grande échelle à l'âge adulte, dans les médias et l'audiovisuel.
Mme Marie-Pierre Monier. - Pour les jeunes aujourd'hui, soit leur famille considère les filles comme les égales des garçons, capables de tout faire, soit c'est l'école qui joue ce rôle. On retrouve alors, la nécessité de travailler sur la place des filles et des garçons. Les sessions « EVARS » - l'éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle - recouvrent tout cela, à condition qu'elles soient effectivement dispensées.
Je voudrais vous rappeler les résultats d'une étude que nous citons dans notre rapport et qui montre à quel point ces stéréotypes sont ancrés. Face à un exercice de reproduction d'une figure géométrique, si vous dites aux filles qu'il s'agit d'un exercice de dessin, elles le reproduisent parfaitement et performent même mieux que les garçons ; si vous leur dites que c'est un exercice de géométrie elles y parviennent moins bien. Cela montre bien à quel point ces biais sont ancrés.
Je voudrais aussi revenir sur les rôles modèles qui ne doivent ni oppressants ni inaccessibles. Nous ne serons pas toutes Marie Curie.
Enfin, il y a tout un ensemble de choses à déconstruire. Une équipe de chercheurs de l'université d'Aix-Marseille a expliqué que, pour éviter les biais de genre au recrutement, elle organisait une séance de formation avec les membres du jury et que ces séances avaient significativement augmenté le taux de féminisation du recrutement.
M. Hussein Bourgi. - Je voudrais remercier nos quatre collègues rapporteures pour leur excellent travail. Étant juriste et non scientifique, j'ai pris beaucoup de plaisir à lire la synthèse de leurs recommandations. Je souhaite formuler deux suggestions.
La première est tirée d'une expérience personnelle. Il y a quelques années, avec le club de la presse de Montpellier, nous nous étions rendu compte que, systématiquement, les experts invités dans les médias nationaux, mais surtout locaux, étaient des hommes. La présidente du club de la presse de l'époque avait donc créé un comité pour travailler sur cette question. Nous avions recensé toutes les femmes expertes de notre département et de notre région dans ce que nous avions appelé « l'annuaire des expertes ». Une fois cet annuaire réalisé, il a fallu convaincre les directeurs de publication et les rédacteurs en chef. Nous avons donc mené un travail de très longue haleine, hommes et femmes ensemble, en les invitant à des petits déjeuners pour les sensibiliser au fait qu'ils faisaient systématiquement intervenir les mêmes intervenants. Nous avions choisi un exemple assez caricatural : un scientifique, parti à la retraite depuis dix ans, continuait d'être sollicité comme expert par tous les médias - France 3, Midi Libre, La Gazette de Montpellier, France Bleu Hérault.
Cette observation concerne la recommandation numéro 6, adressée à l'Arcom. Nous ne pouvons pas nous contenter de faire un état des lieux et je suggère donc que notre délégation mène un travail de sensibilisation auprès des rédacteurs en chef de certains médias, à l'occasion de petits déjeuners par exemple. Je crois beaucoup en la vertu de ce mécanisme : voir une femme à la télévision, entendre une femme à la radio ou dans une interview dans la presse permet de se projeter, d'incarner une fonction.
Ma seconde suggestion est la suivante. Chaque année, nous avons en France une grande manifestation qui s'appelle la Fête de la science. Vendredi dernier, j'ai été invité par le lycée Joffre de Montpellier qui organisait une « Nuit de la science ». M'y rendant en tant que conseiller régional siégeant au conseil d'administration, j'ai discuté avec le proviseur. C'était formidable, il y avait beaucoup de visiteurs. Je leur ai cependant lancé un défi pour l'année prochaine : organiser la Nuit de la science en ne parlant que de femmes scientifiques, afin de les sortir de l'ombre pour les mettre en lumière. Je leur ai donc proposé de célébrer la Fête de la science pendant la journée en présentant des hommes et des femmes, mais de ne mettre en avant que des femmes scientifiques le soir. A priori, ils vont relever le défi. C'est pourquoi je suggère que nous utilisions peut-être un peu plus la Fête de la science en militant pour que beaucoup plus de femmes soient mises à l'honneur à cette occasion. C'est un moment où les Français, parfois très éloignés du monde scientifique, s'y intéressent, parce que c'est dans l'actualité ou parce que leurs enfants les y incitent.
Mme Laure Darcos. -La Fête de la science existe déjà dans de nombreux territoires, mais nous avons dit à plusieurs reprises, lors de nombreuses auditions, qu'il fallait que les académies et l'Éducation nationale se saisissent de ce coup de projecteur annuel. En effet, cet événement est un peu trop devenu un entre-soi de scientifiques, finalement peu vulgarisé.
Nous avons commencé nos travaux en nous rendant auprès de la fondation La Main à la pâte, qui est une association véritablement exceptionnelle, raison pour laquelle nous l'avons mise à l'honneur dans le cadre du prix annuel de notre délégation.
Mme Dominique Vérien, présidente. - Concernant le titre du rapport, les rapporteures et moi-même vous proposons : XX=XY, Féminiser les sciences, dynamiser la société.
Mme Olivia Richard. - J'ai appris beaucoup de choses lors des auditions, qui étaient nombreuses. Bravo, mesdames les rapporteures, pour le travail que vous avez accompli ! Votre présentation est passionnante. Quel véritable enjeu ! On peut retrouver ces problématiques dans de nombreux domaines de la société.
Lorsque je suis allée en Chine, j'ai rencontré des habitants de Canton, le hub de toutes les nouvelles technologies. Des Français qui y sont installés m'ont dit qu'il y avait davantage d'ingénieures chinoises. Le nombre d'ingénieurs chinois était supérieur à la population française. Nous avons donc besoin d'ingénieurs et d'ingénieures. Bravo pour votre rapport, il est magnifique.
Mme Laure Darcos. - Avec Marie-Pierre Richer et Béatrice Gosselin, nous avons été en mission en Égypte début septembre. Toutes les députées qui nous accompagnaient étaient ingénieures.
Mme Annick Billon. - Il y a eu des propositions de résolution sur ces sujets. Peut-être devriez-vous en porter une ? Il y a peut-être matière à porter le sujet au plus haut niveau du Sénat.
M. Laurent Somon. - Je ne vous ai pas remercié tout à l'heure pour ce travail qui bouscule un peu nos connaissances sur le sujet.
La recommandation n° 1 me paraît très importante : il faut agir dès l'école primaire pour que les filles aient plus envie de faire des mathématiques. Cette recommandation, qui vise à renforcer la façon dont les enseignants du primaire peuvent faire aimer, et pas seulement apprendre, les mathématiques, est extrêmement importante.
Il manque une relation, qui peut exister dans certains secteurs, entre le primaire et le collège. En effet, les collèges bénéficient de professeurs spécialistes, alors que l'enseignant du primaire est « tout-terrain ». En plus, on lui demande souvent de faire des choses qui ne relèvent pas de son domaine.
Je vous remercie encore une fois pour ce travail remarquable.
Mme Laure Darcos. - Pour ajouter un élément, nous sommes d'autant plus conscients que la réforme du baccalauréat de M. Blanquer en 2019 était problématique. Elle l'est pour la présence des femmes dans les classes préparatoires, mais également pour toutes celles qui feront ensuite des études pour devenir professeurs des écoles et qui, par conséquent, auront encore moins d'appétence pour les mathématiques et pour leur enseignement aux élèves du primaire.
À ce sujet, Élisabeth Borne a annoncé à la rentrée scolaire une véritable réforme de la formation des professeurs des écoles pour leur enseigner davantage les mathématiques et, comme vous le disiez, les faire aimer à leurs élèves.
Mme Jocelyne Antoine. - Je souhaitais compléter ce point, qui est effectivement très important. Nous avons eu un espoir en voyant les directives d'Élisabeth Borne concernant la formation, qui font contrepoids à la réforme Blanquer, dont la conséquence est qu'une génération de jeunes filles arrive dans la préparation au métier d'enseignant sans avoir fait de mathématiques. La Première ministre les a réintroduit dans la formation des professeurs des écoles ; elle avait donc bien ciblé le problème. Quand une bonne mesure est prise, il faut savoir le souligner.
Mme Dominique Vérien, présidente. - Nous en venons à l'adoption du rapport et de ses 20 recommandations. Vous avez sous les yeux l'Essentiel et la liste des recommandations, et en avez également été destinataires hier.
Le rapport et ses conclusions sont adoptés sans modification.
Le titre choisi pour le rapport est le suivant : « XX=XY, féminiser les sciences, dynamiser la société ».
Je clos désormais la séance, merci à toutes et à tous.