Mercredi 8 octobre 2025
- Présidence de M. Cédric Perrin, président -
La réunion est ouverte à 9 h 45.
Examen du rapport d'information sur la mission en République tchèque et en Slovaquie
M. Cédric Perrin, président. - Nous examinons le rapport d'information de Nicole Duranton et Thierry Meignen sur la mission en République tchèque et en Slovaquie.
Mme Nicole Duranton, rapporteur. - Les élections du week-end dernier en Tchéquie ont, sans surprise, consacré la victoire du parti ANO d'Andrej Babi. Si celui-ci représente une version plutôt adoucie des populismes centre-européens et devra former une coalition pour gouverner, le balancier semble reparti en faveur du groupe de Visegrád, enceinte de coopération formée par la Pologne, la Tchéquie, la Slovaquie et la Hongrie qui a longtemps été synonyme de critique du consensus européen et le reste sur le plan du soutien à l'Ukraine.
Le Bureau de notre commission a donc bien fait de créer la mission d'information qui nous a conduits en Tchéquie et en Slovaquie, deux pays formant un bon échantillon de cette Europe centrale qui constitue la charnière entre l'Europe de l'Ouest et le monde slave - nous aborderons également un peu la Hongrie et la Pologne.
Cette Europe est à la fois voisine - Prague est plus proche de Paris que Berlin - et relativement peu évocatrice. Tomá Masaryk, philosophe et premier président de la République tchécoslovaque, n'est certes pas inconnu en France, mais qui l'a lu ? Et qui saurait dire à quoi associer Svatopluk Ier, dont l'impressionnante statue équestre domine Bratislava depuis l'entrée du château ?
Sans doute un bref rappel historique est-il donc nécessaire pour fixer cette idée simple : l'Europe centrale n'est pas l'Europe de l'Ouest ; leurs sociétés, leurs cultures politiques, leurs intérêts stratégiques diffèrent.
L'Europe centrale est historiquement la zone de rivalité des puissances germanique, russe et, pendant quelques siècles, turque. Les frontières en ont été continuellement affectées. Résultat : la correspondance entre conscience nationale et autonomie politique dans les limites que nous connaissons est très récente. La Bohême est certes un royaume depuis le XIIe siècle et a une très brillante histoire, mais elle fut incluse dans le Saint-Empire romain germanique, puis l'Empire d'Autriche. Quant aux Slovaques, ils n'ont longtemps été qu'une composante du royaume de Hongrie. Entre le XVIe et le début du XXe siècles, seule la Pologne a été indépendante, mais de façon très discontinue.
Au XIXe siècle, le réveil des nationalités conduit les Habsbourg à consentir le compromis de 1867, qui crée la double monarchie austro-hongroise : une déception pour beaucoup, car une forme d'autonomie est rendue à la Hongrie, incluant l'actuelle Slovaquie, alors que les Tchèques restent fondus parmi les autres possessions héréditaires des Habsbourg.
L'indépendance acquise après la Grande Guerre est encore insatisfaisante, pas seulement pour les Hongrois, vaincus et humiliés par le traité de Trianon. D'une part, elle est, pour la Tchécoslovaquie par exemple, la création des vainqueurs, qui découpent les pièces de l'Autriche-Hongrie de manière assez artificielle et sans consulter les populations. D'autre part, cette politique est motivée, en France surtout, par des conceptions stratégiques visant à se protéger de l'Allemagne, en la privant de son allié autrichien et en constituant un réseau d'alliances de revers ; l'échec de cette politique est connu.
Pensée d'abord comme un rempart contre l'Allemagne, l'indépendance des petites nations centrales est encore instrumentalisée, après la Seconde Guerre mondiale, par l'Union soviétique pour servir de rempart contre l'Occident capitaliste. En ont résulté quarante ans de glaciation et la répression dans le sang des velléités d'autonomie en Hongrie et Tchécoslovaquie.
L'idée d'Europe centrale comme objet géopolitique renaît ainsi pendant la Guerre froide, d'abord dans son expression littéraire. La plus connue en France est due à Milan Kundera, qui écrit en 1983 L'Occident kidnappé pour s'alarmer que l'Europe centrale, épicentre de la culture européenne, étouffe sous l'oreiller soviétique sans que l'Europe libre l'entende crier.
La chute du Mur et de l'URSS est donc l'histoire d'une liberté retrouvée. Le premier usage qu'en ont fait Tchèques et Slovaques a été de modifier de nouveau les frontières en se séparant, fin 1992, puisqu'ils n'avaient jamais souhaité vivre ensemble.
Tous ont rapidement rejoint l'Otan, par désir pressant de trouver un protecteur qui ne pouvait alors pas être l'Europe, faute de politique de défense commune, et à l'invitation non moins pressante du président Clinton et de sa secrétaire d'État d'origine tchèque, Madeleine Albright. Tous ont ensuite rejoint l'Union européenne en 2004. Jusqu'à la crise de 2008 environ, le bilan institutionnel, politique et économique de l'intégration euro-atlantique était jugé plutôt bon. Mais on ne comprend pas la trajectoire politique de ces pays jusqu'à nos jours sans prêter attention au revers de la médaille.
L'intégration européenne n'a pas permis aux petits États centraux de s'affirmer face aux grands États membres. La France, en particulier, n'était pas pressée de voir le centre de gravité de l'Union se déplacer loin de Paris et Bonn. Les nouveaux membres ont longtemps eu le sentiment d'être à nouveau relégués dans une forme de périphérie et que leurs préoccupations de voisinage étaient subordonnées à la relation de l'Union avec Moscou.
Ensuite, la « peur pour l'existence de la Nation », qui caractérise la psychologie centre-européenne, a été réveillée par de sérieux problèmes démographiques. La chute des taux de fécondité et l'exode de la population jeune et instruite vers l'Europe de l'Ouest, certes moindre au centre qu'à l'est, alimentent forcément des angoisses identitaires, dont découle en partie l'obsession de certains leaders, comme Viktor Orbán, pour la natalité.
Enfin, les effets matériels de l'intégration européenne ont alimenté une puissante critique du consensus libéral de l'Union. Les économies des pays d'Europe centrale et orientale sont souvent qualifiées de « capitalismes dépendants », car elles sont dépendantes, dans des proportions variables, aux exportations, aux investissements étrangers, aux financements des banques étrangères, aux transferts issus des migrations ou encore aux fonds structurels européens.
L'intégration des économies tchèque, slovaque, polonaise et hongroise aux chaînes de valeur allemandes, en particulier, a commencé dès la fin des années 1980 ; de nos jours, la Tchéquie est parfois appelée « le dix-septième Land ». La chute du Mur a été l'occasion pour l'Allemagne de réaliser le vieux rêve de la Mitteleuropa, formulé de manière plus ou moins fédérale - ou dominatrice - du milieu du XIXe au début du XXe siècle. Dans ces conditions, le report de la décision par la République tchèque, la Pologne et la Hongrie d'intégrer la zone euro peut être compris comme le refus d'une perte de contrôle économique supplémentaire.
Au carrefour de ces explications, la crise migratoire du milieu des années 2010 a été un puissant catalyseur des mouvements nationaux-populistes en Europe centrale. Terres d'émigration depuis le XIXe siècle et ayant traversé de douloureux nettoyages ethniques pendant et après la Seconde Guerre mondiale, ces pays vivent très mal les prétentions de Bruxelles à imposer un modèle libéral et multiculturel insoucieux des préoccupations nationales.
Dans ces conditions, la progression de forces politiques contestataires du consensus européen s'explique assez bien. On ramène souvent ces forces à deux grandes caractéristiques : une forme de populisme, c'est-à-dire la légitimation par le renchérissement patriotique ou le dépassement des clivages partisans ; et une hostilité à certaines formes garantissant l'État de droit. On y range le Fidesz hongrois de Viktor Orbán, Droit et Justice (PIS) en Pologne, le SMER-SD de Robert Fico en Slovaquie ou encore AUR en Roumanie. Le parti ANO d'Andrej Babis en est une version tempérée, mais celui-ci envisage de rétablir la coopération avec ses homologues hongrois et slovaque.
Bref, l'Europe centrale et orientale n'est pas l'Europe occidentale. De bons historiens centre-européens l'ont montré : les conditions de construction d'États-nations y ont été plus difficiles à réunir, le libéralisme politique et la philosophie de la démocratie y ont été introduits plus tardivement. Les procédures de sanction relatives au respect de l'État de droit ou les niveaux de corruption en témoignent encore.
Quid des conceptions stratégiques ? Dans tous ces États, le maintien d'un lien transatlantique fort demeure l'une des priorités cardinales de la politique extérieure et de défense. La présence américaine en Europe est vue comme une garantie pour la sécurité nationale autant qu'un facteur d'équilibre régional - autrement dit, une manière d'échapper au dilemme historique entre Allemagne et Russie. Il est puissamment porté par l'adhésion des élites politiques au modèle américain, qui a tiré la transition dans les années 1990.
Il ne s'agit pas que d'une demande unilatérale de protection : ces pays sont aussi une pièce importante de l'échiquier européen du point de vue des États-Unis. Ces derniers considèrent qu'une Europe centrale pacifiée par une Allemagne dominante économiquement, mais réconciliée avec ses voisins, car ayant délégué sa défense aux États-Unis, réunit les conditions de promotion des intérêts américains contre leurs principaux adversaires du continent eurasiatique.
Tous sont impliqués dans l'Otan. La Pologne abrite 10 000 soldats américains et une base antimissiles des États-Unis. Hongrie et Slovaquie accueillent des groupements tactiques multinationaux. La Tchéquie joue un rôle important dans la présence avancée de l'Otan en Slovaquie. Tchéquie, Slovaquie et Pologne se sont portées acquéreurs de F-16 ou F-35.
Dès lors, pour les Centre-européens, les notions d'autonomie stratégique et de souveraineté européenne en matière de défense sont impensables, voire comiques. Nos discussions à Prague avec le numéro deux du ministère de la défense n'ont laissé aucun doute à ce sujet. Il n'en résulte pas que les instruments européens ne les intéressent pas, au contraire ; mais ceux-ci ne dicteront jamais une préférence européenne de principe.
Tous les pays d'Europe centrale ont repris à leur compte l'objectif de 5 % du PIB consacré à la défense, fixé par la nouvelle administration américaine et adopté au sommet de La Haye en juin dernier. Le Premier ministre slovaque, Robert Fico, l'a toutefois qualifié d'absurde et a de nouveau brandi l'hypothèse d'une neutralité de son pays, mais sa position semble relativement isolée et le président slovaque a signé la déclaration finale du sommet.
M. Thierry Meignen, rapporteur. - J'en viens aux différentes conceptions des finalités de l'ensemble euro-atlantique - c'est là où les choses se compliquent.
Les attitudes des pays d'Europe centrale à l'égard de la Russie et, par voie de conséquence, de l'Ukraine en guerre sont hétérogènes. Pour Varsovie réconciliée depuis trente-cinq ans avec Berlin, la Russie est l'ennemi historique ; c'est un sentiment qui préexistait aux menaces russes en Ukraine et nourrit l'atlantisme pragmatique du pays. L'hostilité à la Russie est également très forte à Prague : le gouvernement Fiala plaidait pour une politique de sanction très ferme. La Hongrie oscille entre solidarité avec les sanctions européennes et opportunisme économique, puisque, enclavé, le pays dépend des hydrocarbures russes acheminés par voie terrestre à hauteur de 95 % pour le gaz et 77 % pour le pétrole.
Bratislava, enfin, s'est démarquée depuis vingt ans comme la moins hostile à l'égard de Moscou, pour les mêmes raisons pragmatiques que la Hongrie, mais aussi en raison de la sympathie dont jouit la Russie au sein d'une population dont l'identité nationale s'est davantage appuyée, au XIXe siècle, sur le panslavisme contre les idéologies pangermaniste et panmagyare. Le Premier ministre Fico s'est ainsi rendu deux fois à Moscou depuis un an.
Pour cette raison, la Slovaquie est souvent considérée comme le cheval de Troie des intérêts russes en Europe. L'émigration de la population jeune et diplômée des villes déséquilibre en effet les perceptions des Slovaques restés dans le pays et les réseaux sociaux sont un canal efficace de propagation de l'influence russe, mais la russophilie slovaque préexistait à internet.
Les positions des Centre-européens à l'égard de l'Ukraine sont devenues plus complexes encore. Tous lui ont fourni de l'aide. En dépit de la russophilie de Robert Fico, la Slovaquie poursuit son aide à Kiev. Le président du Parlement slovaque, Richard Rai, originaire de Koice, à l'est du pays, nous a bien expliqué les solidarités ukraino-slovaques au niveau décentralisé dans l'extrême ouest de l'Ukraine, qui fut slovaque dans l'entre-deux-guerres, et la crainte de son pays d'un scénario de type Tchernobyl, préjudiciable à toute la région.
Pologne et Tchéquie sont restées les soutiens les plus déterminés de l'Ukraine et ont accueilli de très nombreux réfugiés. Leurs opinions publiques affichent cependant une certaine lassitude : en Tchéquie, elles s'agacent de l'accueil des réfugiés et, en Pologne, elles s'inquiètent des conséquences économiques d'une éventuelle adhésion de l'Ukraine à l'Union. Karol Nawrocki, nouveau président polonais, s'est fait le porte-parole de ces craintes et adopte une position de fermeté dans les contentieux mémoriels avec l'Ukraine, tel le massacre des Polonais de Volhynie par l'armée insurrectionnelle ukrainienne pendant la Seconde Guerre mondiale.
L'hétérogénéité des vues stratégiques des Centre-européens se retrouve à l'égard de la Chine. Pologne et Tchéquie suivent une politique d'ouverture à l'égard de ce pays, mais sa concrétisation se fait attendre et dépend beaucoup de la relation transatlantique. Hongrie et Slovaquie y sont plus ouvertes, avec davantage de succès.
Par ailleurs, Tchéquie et Hongrie se distinguent par la solidité de leur soutien à Israël.
Et l'Europe dans tout cela ? D'abord, l'Union européenne est loin d'épuiser les géographies mentales de la zone. Le fantôme de l'Autriche-Hongrie plane toujours sur l'Europe centrale, puisque Václav Havel appelait, en 1991, à combler le vide laissé par sa disparition ; le groupe de Visegrád a été la première réponse à cet appel. Le format de Slavkov, l'initiative centre-européenne, le groupe des Neuf de Bucarest ou encore l'initiative des trois mers, d'origine polonaise et très soutenue par le président Trump à sa création en 2016, constituent d'autres cadres de coopération en Europe centrale, plus ou moins actifs selon les alignements politiques de leurs membres et aux attributions plus ou moins larges. Ils témoignent que, dans cette partie du continent aussi, les États ont la politique de leur géographie.
La perception de l'Union européenne elle-même est à géométrie variable. Si les élites tchèques y sont très largement attachées, l'opinion publique du pays est historiquement l'une des plus eurosceptiques ; la participation aux élections européennes est traditionnellement très faible, en dessous de 30 %, sauf aux dernières élections, où elle a culminé à 36 %. Les Slovaques sont ceux qui ont la plus mauvaise image de l'Union.
La dernière expression de l'euroscepticisme slovaque est le vote, il y a dix jours, d'une révision constitutionnelle faisant primer la législation du pays sur toute autre norme en matière d'identité nationale, cette notion étant comprise très largement, mais visant d'abord les questions de parentalité, de famille, d'état civil et de moralité publique. Cette réforme a été vivement dénoncée par les défenseurs des droits des minorités. Au-delà du sujet de fond, elle manifeste surtout un souverainisme que l'histoire du pays rend assez facile à comprendre et qu'on retrouve aussi en Tchéquie.
Les points de divergence entre intérêts français et centre-européens sont donc nombreux. La Tchéquie, pays le plus industriel d'Europe en part de richesse nationale, et la Slovaquie, dont l'industrie automobile pèse 10 % du PIB et près de la moitié des exportations, dépendent des États-Unis pour leur commerce et leur défense et les élites politiques et militaires de ces pays en sont très proches. Nos diplomates veulent croire que la position tchèque est en voie de rééquilibrage, car le Premier ministre Fiala a dit poursuivre l'objectif d'une Europe forte, tandis que le président Pavel a appelé l'Europe à « tenir sur ses propres jambes » et à renforcer le « pilier européen de l'Otan » - cela reste à voir.
Ces questions stratégiques en emportent peut-être d'autres : en juin dernier, la République tchèque a écarté la candidature d'EDF pour la construction de deux centrales nucléaires, confiée au sud-coréen KHNP, dont la proximité avec l'américain Westinghouse est apparue ensuite. Très intégrés dans les chaînes de valeur allemandes, peu agricoles, ces États ont soutenu l'accord avec le Mercosur.
La stratégie de soutien à l'Ukraine trouve dans cette zone ses limites. Viktor Orbán dénonce depuis plus d'un an ce qu'il appelle la « psychose de guerre » européenne et théorise un tout autre projet politique : pour l'Europe, un projet économique débarrassé d'ambitions politiques propres ; pour son pays, ce qu'il appelle la « connectivité », au carrefour des mondes européen, russe, turc et est-asiatique. Robert Fico suit une ligne proche.
L'idée d'une autonomie stratégique européenne trouve peu d'échos dans cette zone. Dans le traité que la France a signé avec la Pologne le 9 mai dernier, le terme de souveraineté n'est ainsi associé qu'à l'énergie, l'agriculture et la technologie. Le texte mentionne certes la notion d'autonomie stratégique, mais au paragraphe sur la politique commerciale de l'Union - et c'était avant l'accord conclu entre Donald Trump et Ursula von der Leyen le 28 juillet dernier...
L'avenir des forces politiques euro-critiques et russo-complaisantes n'est pas facile à prédire. L'image dans les sondages de Viktor Orbán et Robert Fico a nettement pâli, mais la dynamique est plus large. En septembre 2024, le FPÖ autrichien, hostile au soutien à l'Ukraine, s'il n'a pas réussi à former un gouvernement, est devenu la première force politique du pays. En janvier dernier, Zoran Milanoviæ, hostile à l'élargissement de l'Otan et partisan de bonnes relations avec la Russie, a accédé à la présidence croate. En juin, les électeurs polonais ont élu à la présidence le candidat nationaliste et euro-critique Karol Nawrocki, hostile à l'adhésion de l'Ukraine. Enfin, il faudrait revenir un jour sur la situation roumaine.
L'inscription d'Andrej Babi dans ce mouvement n'est pas évidente. Souvent qualifié de populiste, il pourrait mettre fin à l'initiative tchèque pour l'achat d'obus et se montre plus réservé à l'égard du soutien à l'Ukraine. Mais tous nos interlocuteurs sur place nous ont garanti que son arrivée au pouvoir ne changerait pas grand-chose aux grands déterminants de la politique étrangère et de défense tchèque.
Certains grands déterminants matériels de la progression des forces populistes ne devraient pas disparaître de sitôt. Le ralentissement économique allemand lié au renchérissement de l'énergie, aux tarifs douaniers américains et à la concurrence chinoise déstabilise un tissu productif très dépendant des exportations d'automobiles. Le groupe de Visegrád pourrait ainsi rester une force de contestation en Europe. Le facteur économique n'est certes pas le seul qui compte, comme le montre la Pologne, plutôt bien portante.
En toute hypothèse, la France pourrait resserrer ses relations bilatérales avec ses voisins centraux, en tâchant de les comprendre et sans forcément souhaiter qu'ils lui ressemblent.
À cela, tous les moyens sont bons. Nous avons constaté que le souvenir de l'aide apportée par la France à la création de l'État tchécoslovaque est là-bas toujours vif. De fait, notre pays a été le premier à reconnaître, en juin 1918, l'autorité du Conseil national tchécoslovaque, établi à Paris dès 1916 ; le président Poincaré a autorisé la création sur le sol français de l'armée tchécoslovaque avant la naissance de cet État ; le premier chef d'état-major de l'armée nationale a été le général français Maurice Pellé. La mémoire de ces liens historiques est, chez nous, assez faible. Par ailleurs, les jumelages dans cette partie de l'Europe sont probablement insuffisants.
Sur le plan politique, la France est souvent soupçonnée de défendre l'autonomie européenne à son profit et de manquer de considération à l'égard de ses alliés. Les Tchèques nous reprochent ainsi de ne pas les avoir consultés avant l'extinction de la mission Barkhane, à laquelle ils participaient, et de ne pas avoir contribué à leur initiative d'achat de munitions à destination de l'Ukraine. La Tchéquie est désireuse de participer aux discussions stratégiques européennes : le format Weimar+ pourrait être plus volontiers étendu.
Nous nous interrogeons sur l'attitude à adopter à l'égard des populismes centre-européens. Au fond, les désalignements idéologiques entre États membres ne devraient pas empêcher de développer des liens bilatéraux sur le plan économique ou militaire, lesquels se situent dans un temps plus long que celui des alternances politiques. Le chancelier Merz a récemment redoublé de menaces contre les gouvernements hongrois et slovaque en matière de conditionnalité financière : il est douteux que ce soit une bonne méthode pour renforcer le consensus en Europe et le soutien à une intégration plus poussée parmi ces peuples ombrageux lorsque leur souveraineté est menacée, pour des raisons historiquement compréhensibles.
La France pourrait approfondir encore sa visibilité et la défense de ses intérêts dans les enceintes régionales de coopération. Outre son rôle clé dans la défense du flanc est de l'Otan, elle pourrait tenter de s'impliquer davantage dans les enceintes politiques d'Europe centrale, comme elle le fait en tant qu'observatrice dans les organisations de coopération nordiques et baltiques.
Enfin, si l'Union européenne suscite des sentiments aussi mêlés, peut-être la convergence des vues stratégiques pourrait-elle être suscitée dans un nouveau format. La Communauté politique européenne, lancée par le président Macron à Prague en 2022 en écho aux assises de la Confédération européenne organisées, à Prague également, par le président Mitterrand en 1991, pourrait en être le creuset.
M. Mickaël Vallet. - Expliquer que l'Europe centrale réapparaît comme objet géopolitique, notamment dans son expression littéraire, en mentionnant Milan Kundera et L'Occident kidnappé me paraît un contresens. Kundera a, au contraire, défendu l'idée suivante : nous sommes Européens, point. La notion d'Europe centrale et orientale était, pour lui, une façon de détacher ces peuples de ce qu'il considérait comme leur culture profonde, en tout cas pour les intellectuels, et, partant, d'en faire des satellites d'une autre grande culture européenne. Je suggère donc de reformuler ce passage.
Dans un de ses premiers romans en français, Kundera imagine un ancien dissident se rendre compte, lors d'un colloque international, que le petit accent, caractéristique de la culture tchèque, manque sur son nom dans le badge qu'on lui remet... C'est donc à la fois un détail et un enjeu important.
M. Thierry Meignen, rapporteur. - Dans le rapport, nous consacrons deux pages à cet article de Milan Kundera. Ce passage reflétera la nuance que vous soulignez.
M. Cédric Perrin, président. - Comment la France est-elle perçue dans ces deux pays ?
M. Thierry Meignen, rapporteur. - Ils sont très tournés vers l'Allemagne, notamment sur le plan économique. Un certain nombre de jeunes y poursuivent d'ailleurs leurs études. La France est perçue comme une puissance un peu lointaine. Nos jumelages sont peu nombreux, de même que nos liens économiques. C'est comme si la France n'existait pas vraiment pour eux... Un gros travail est donc à mener pour renforcer notre coopération économique ; il y a encore beaucoup à faire de ce point de vue.
Mme Nicole Duranton, rapporteur. - Nous avons observé à cet égard une vraie attente que la France s'implique davantage en matière économique et de défense.
La commission adopte le rapport d'information et en autorise la publication.
Audition d'une délégation de la commission de la défense de la Grande Assemblée nationale de Turquie (sera publié ultérieurement)
Le compte rendu sera publié ultérieurement.
La réunion est close à 11 h 50.