Jeudi 9 octobre 2025

- Présidence de M. Jean-François Rapin, président -

La réunion est ouverte à 8 h 40.

Proposition de règlement modifiant le règlement (UE) 2021/1119 établissant le cadre requis pour parvenir à la neutralité climatique (objectif climatique 2040) - Examen de la proposition de résolution européenne et de l'avis politique

M. Jean-François Rapin, président. - Mes chers collègues, je veux tout d'abord saluer la présence de Mme Kateryna Bondina, consultante principale au sein du département des relations interparlementaires de la Rada d'Ukraine. Mme Bondina est accueillie cette semaine au Sénat, dans le cadre d'une coopération en format « Triangle de Weimar » avec le Bundesrat et le Sénat polonais. Mme Bondina est la troisième fonctionnaire ukrainienne accueillie au Sénat dans le cadre de ce dispositif depuis sa mise en place en 2023. Je veux souligner à cette occasion l'engagement constant du Sénat, et en particulier de la commission des affaires européennes, en faveur de l'Ukraine. Nous lui souhaitons la bienvenue et espérons que son stage au Sénat lui sera profitable.

Nous devons désigner un vice-président en remplacement de notre ancien collègue André Reichardt, qui a quitté le Sénat. Conformément à l'article 13 du Règlement du Sénat, le groupe Les Républicains nous a fait part de son souhait de le remplacer par notre collègue Ronan Le Gleut.

Je vous propose donc de désigner Ronan Le Gleut comme nouveau vice-président de notre commission, au titre du groupe Les Républicains.

M. Ronan Le Gleut est désigné vice-président.

M. Jean-François Rapin, président. - Ainsi que je l'ai évoqué hier en réunion de Bureau, nous devrons procéder rapidement à plusieurs nominations de rapporteurs.

Nous devrons, en particulier, à la suite des conclusions du groupe de travail sur la subsidiarité, désigner des rapporteurs pour vérifier la conformité au principe de subsidiarité de deux textes qui nous ont récemment été soumis : premièrement, la proposition de règlement révisant le règlement relatif à l'organisation commune des marchés (OCM) et au programme « fruits, légumes et lait à l'école » - ce texte devant être examiné en commission la semaine du 20 octobre ; deuxièmement, la proposition de règlement sur le mécanisme de protection civile de l'Union européenne et le soutien de l'Union européenne pour la préparation et la réponse aux urgences sanitaires, qui devra être examiné au plus tard le 6 novembre.

Nous procéderons rapidement aux nominations formelles sur ces textes et sur l'ensemble de ceux identifiés comme pouvant intéresser la commission à court terme. N'hésitez pas à m'indiquer si vous souhaitez vous engager dans l'examen de certains textes dans les semaines et mois qui viennent.

Nous abordons maintenant le premier point de notre ordre du jour, afin d'examiner une proposition de résolution européenne (PPRE) présentée par nos collègues Marta de Cidrac et Michaël Weber sur l'objectif climatique de l'Union européenne à l'horizon 2040.

C'est une question d'actualité et sensible, alors que se profile la COP30, au cours de laquelle l'Union européenne aimerait afficher des objectifs ambitieux.

Néanmoins, le dossier est complexe à plusieurs titres. Je rappelle que notre commission des affaires européennes s'était mobilisée lors de la présentation du règlement dit « loi européenne sur le climat », en adoptant un avis motivé parce que la Commission européenne entendait alors fixer la trajectoire intermédiaire à l'horizon 2040 par actes délégués. Cela ne nous apparaissait pas possible, compte tenu de l'importance politique, économique et territoriale du sujet.

Notre commission avait également mené, en lien avec la commission des affaires économiques et la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, un travail important sur le paquet « Ajustement à l'objectif 55 », qui traduisait de manière opérationnelle l'objectif climatique à l'horizon 2030.

Le texte que nous examinons aujourd'hui présente un objectif de réduction de 90 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) à l'horizon 2040, même si cela est en réalité plus complexe, comme vont nous l'expliquer les rapporteurs. Il s'agit d'une première étape, qui impliquera ensuite une modification des textes du paquet « Ajustement à l'objectif 55 » pour les adapter au nouvel objectif.

Cela ne sera à l'évidence pas simple, si l'on en croit les travaux au Conseil comme au Parlement européen. La grogne est réelle dans certains secteurs, et nous devons prendre en compte la nouvelle stratégie de compétitivité dans laquelle s'est engagée l'Union européenne à la suite des rapports Draghi et Letta.

Je laisse le soin à nos rapporteurs de présenter les enjeux de ce texte, qui sera certainement suivi de nombreux travaux de notre commission en 2026.

M. Michaël Weber, rapporteur. - Monsieur le président, mes chers collègues, il y a un peu plus de trois mois, la Commission européenne a présenté une proposition de règlement visant à amender la « loi européenne sur le climat », entrée en vigueur en juillet 2021. Elle vise à y inclure un objectif climatique contraignant de 90 % de réduction des émissions nettes de gaz à effet de serre d'ici à 2040 par rapport à 1990. Une fois adopté, ce texte servira de référence et de cadre d'action pour la réglementation en matière de climat et d'énergie, qui doit être révisée dans la perspective de l'après-2030.

Le règlement dit « loi européenne sur le climat » impose, en effet, de déterminer un nouvel objectif intermédiaire pour 2040 afin d'atteindre la neutralité climatique à l'horizon 2050 prévue dans ce cadre.

Cet objectif devait être présenté dans les six mois suivant le premier bilan mondial de l'accord de Paris, soit au cours du premier semestre 2024. La Commission a pris un certain retard, notamment en raison du calendrier de renouvellement des instances européennes. Je rappelle qu'un premier objectif intermédiaire également contraignant a été fixé par ce règlement : une réduction de 55 % des émissions nettes de gaz à effet de serre d'ici à 2030. Selon la Commission européenne, qui se fonde sur les plans nationaux en matière d'énergie et de climat et les mesures prises par les États membres, l'Union européenne est sur la bonne voie pour y parvenir.

S'agissant du texte que nous examinons aujourd'hui, la présidence danoise du Conseil souhaitait parvenir rapidement à un accord entre les États membres. Elle espérait ainsi pouvoir valider l'objectif pour 2040 avant le début de la COP30, qui se tiendra au Brésil à la mi-novembre, et l'utiliser comme base pour définir la contribution de l'Union aux efforts climatiques mondiaux pour 2035.

Une décision à la majorité qualifiée des ministres de l'environnement était prévue dès le 18 septembre. Or plusieurs États membres, parmi lesquels la France, ont demandé le report de ce débat à la prochaine réunion du Conseil européen des 23 et 24 octobre - débat qui n'aboutira finalement sur aucune prise de décision... Cette forme de procrastination n'est pas à la mesure de l'urgence climatique, et je ne peux, à titre personnel, que le regretter. Le Haut Conseil pour le climat a pourtant clairement appelé le gouvernement français à ne plus faire obstacle aux ambitions climatiques européennes pour 2040 et à éviter tout nouveau report sur ce texte.

Malgré la phase de consultation qui a précédé la publication de la proposition de la Commission européenne, les États membres ont exprimé des positions divergentes quant à l'ambition de réduction proposée et aux modalités d'application.

À titre personnel, je considère que l'Union européenne doit arriver à la COP30 avec une contribution forte, notamment un objectif pour 2035 qui s'appuie sur un objectif clair de réduction pour 2040. J'insiste sur le fait que l'objectif d'une réduction de 90 % pour 2040 émane d'une recommandation de la communauté scientifique. Il s'agit même d'un minimum, selon le Haut Conseil pour le climat, si l'on veut tenir la trajectoire de l'accord de Paris et atteindre la neutralité climatique d'ici à 2050. Il n'est donc pas question de remettre en cause cet objectif, ni de douter de la capacité de l'Union européenne à l'atteindre, comme le laisse malheureusement entendre la proposition que nous vous soumettons.

L'Union européenne a réalisé des progrès significatifs en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre, ce qui lui a permis de dépasser largement son objectif pour 2020. Entre 1990 et 2023, cette réduction s'est établie à 37 %. Cette tendance se retrouve également dans notre pays, avec une diminution de 30 % de ces émissions nettes depuis 1990.

Tous les secteurs ont réalisé des progrès importants dans ce domaine depuis 1990, à l'exception de celui des transports, dont les émissions de COont continué à croître. Naturellement, des efforts supplémentaires seront nécessaires dans l'ensemble des secteurs d'activités économiques, et les résultats positifs obtenus par l'Union européenne ne doivent pas conduire à un ralentissement des actions engagées - je tiens à le souligner.

Je tiens aussi à rappeler que le continent européen est le continent qui se réchauffe le plus rapidement. Or les événements météorologiques et climatiques extrêmes qui en résultent entraînent des conséquences financières de plus en plus lourdes, à l'exemple des vagues de chaleur et des incendies qui ont touché la France cet été. Retarder encore l'adoption d'objectifs ambitieux reviendrait à fragiliser la sécurité, l'économie et la santé de nos concitoyens en France et en Europe.

La France est aujourd'hui l'un des pays les plus avancés dans la décarbonation, notamment grâce à son électricité produite à base de sources non fossiles, même si, dans certains secteurs, ses efforts doivent être renforcés.

Selon le ministère chargé de la transition écologique, l'objectif européen, tel qu'il est envisagé pour 2040, représente, pour notre pays, une réduction comprise entre 78 % et 80 % des émissions nettes de gaz à effet de serre par rapport à 1990, selon les secteurs.

Non seulement la Commission européenne fixe un objectif chiffré contraignant, mais elle propose également des mesures d'assouplissement visant à « rendre possible la réalisation » de l'atteinte de la neutralité carbone d'ici à 2050 ainsi que de l'objectif pour 2040. Les flexibilités ne doivent cependant pas être considérées comme des substituts aux réductions effectives d'émissions.

Or l'amendement proposé par la Commission européenne à la « loi européenne sur le climat » soulève un certain nombre de questions.

Je laisse la parole à Marta de Cidrac pour la suite de la présentation.

Mme Marta de Cidrac, rapporteure. - Je souhaite apporter quelques nuances aux propos liminaires de mon collègue Michaël Weber.

Tout d'abord, la cible climatique semble insuffisamment consolidée. L'objectif, dont je rappelle qu'il est contraignant, ne porte, en effet, que sur la réduction des émissions nettes de gaz à effet de serre. Il ne comporte pas d'indication sur la réduction des émissions brutes. Selon l'étude d'impact, l'objectif de réduction de 90 % des émissions nettes correspond à une diminution de 83 % des émissions brutes. Il nous semble essentiel de structurer l'architecture de l'objectif en distinguant les émissions nettes des émissions brutes, afin d'éviter notamment que le déficit d'absorption par les puits de carbone, qu'ils soient naturels ou technologiques, ne soit compensé par les secteurs les plus émetteurs.

Par ailleurs - la France y est particulièrement attentive -, la construction de l'objectif est basée sur une surévaluation des niveaux de contribution des puits naturels et technologiques. Elle ne tient pas compte du déclin, depuis une dizaine d'années, des puits naturels, notamment forestiers, du fait du changement climatique.

En conséquence, il me semble prématuré de nous prononcer, en l'état, sur un niveau d'ambition pour 2040, même si nous pouvons soutenir la référence à un objectif intermédiaire fixé après négociation entre les États membres.

Pour parvenir à la neutralité climatique à l'horizon 2050, la Commission européenne propose d'introduire trois flexibilités, ainsi que de nouvelles conditions facilitant cette ambition. Ces flexibilités ont notamment été proposées pour répondre aux réticences et interrogations de certains États membres concernant le rythme de décarbonation. Leurs modalités de mise en oeuvre feront l'objet ultérieurement de propositions législatives de la Commission européenne.

En premier lieu, celle-ci prévoit qu'à partir de 2036, et dans la limite de 3 % des émissions nettes de l'Union européenne en 1990, les États membres pourront utiliser des crédits carbone internationaux provenant de projets réalisés dans des pays tiers afin de calculer la réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre. Cette flexibilité entre dans le cadre prévu à l'article 6 de l'accord de Paris.

Cette faculté, qui n'a pas été demandée par les autorités françaises, suscite de réelles interrogations. Pourquoi un taux de 3 % ? Pourquoi une application à partir de 2036 ? Comment sera-t-elle mise en oeuvre par les États membres ? Les autorités françaises n'ont pas encore de position sur ces éléments, mais elles sont favorables à l'idée d'explorer cette mesure.

Nous estimons que cette flexibilité doit s'accompagner de garanties solides et effectives pour s'assurer qu'elle ne compromette pas la crédibilité de la réalisation des objectifs climatiques au niveau domestique.

La deuxième flexibilité envisagée par la Commission européenne vise à prendre en compte le rôle des absorptions permanentes dans le système d'échanges de quotas d'émission de l'Union européenne. Le réexamen de cette directive, qui en fixera les modalités d'application, est prévu d'ici à la fin juillet 2026.

Cette flexibilité a été introduite pour permettre de compenser les émissions résiduelles dans les secteurs les plus difficiles à décarboner. Actuellement, ces crédits ne peuvent pas être utilisés dans le cadre du marché du carbone. Cette flexibilité, à laquelle les autorités françaises ne sont pas défavorables, doit, à notre avis, être également bien encadrée pour ne pas compromettre la réduction des émissions brutes.

La troisième flexibilité tend à introduire une plus grande souplesse dans la répartition des efforts de décarbonation entre les secteurs économiques. Cela permettrait à un État membre de compenser les difficultés rencontrées dans un secteur donné par des progrès accrus dans un autre. Cette mesure apparaît pertinente.

Il nous semble en effet opportun de laisser plus de marges de manoeuvre aux États membres pour conduire leur trajectoire de réduction des émissions de gaz à effet de serre dans le cadre du règlement sur le partage de l'effort. C'est le sens même du principe de subsidiarité qui doit guider l'action européenne.

La proposition de résolution européenne que nous vous soumettons émet cependant des interrogations sur les conditions de mise en oeuvre de cette flexibilité, lesquelles ne sont pas connues pour l'instant.

Dès lors, le texte que nous proposons ne prend pas position sur ce point, mais appelle à la vigilance lors de la révision du règlement sur le partage de l'effort, qui concerne les secteurs non couverts par le marché carbone.

Par ailleurs, de nouvelles mesures visant à faciliter la réalisation de l'objectif fixé pour 2040 sont proposées par la Commission européenne. Ces mesures sont généralement désignées sous le terme de « conditions facilitantes ». Ces conditions doivent contribuer à concilier la compétitivité de l'Union européenne avec ses ambitions climatiques, en s'appuyant notamment sur les constats dressés dans les rapports de Mario Draghi et Enrico Letta.

Dans cette perspective, notre commission ne peut que se féliciter de l'introduction du principe de neutralité technologique dans le règlement dit « loi européenne sur le climat ». Comme vous le savez, le Sénat est très attaché à ce principe, qu'il a réaffirmé à plusieurs reprises, notamment au sein de notre commission. La proposition de résolution européenne demande à ce que cette neutralité entre les technologies ne soit pas remise en cause au cours des négociations.

Nous estimons que cette ambition climatique ne peut être réalisée sans une véritable stratégie industrielle européenne, fondée sur les technologies propres, le développement des énergies décarbonées et l'électrification des usages. Elle doit aussi nous conduire à réduire notre dépendance aux énergies fossiles, qui s'avère très coûteuse.

C'est dans ce contexte que nous demandons la révision du mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (MACF) pour en corriger les effets négatifs sur les industries européennes. Ce mécanisme doit entrer pleinement en application au 1er janvier 2026. Cette révision est bien prévue par la Commission européenne. Je rappelle que le Sénat avait déjà alerté sur ses imperfections et sur les risques de fuite de carbone, susceptibles de pénaliser les entreprises européennes ou de provoquer de nouvelles délocalisations hors de l'Union européenne.

Je laisse la parole à Michaël Weber pour conclure notre présentation.

M. Michaël Weber, rapporteur. - Nous devons également rappeler que la transition climatique nécessite de mobiliser des financements accrus, tant de la part du secteur public que des acteurs privés. Selon le rapport Draghi, 750 à 800 milliards d'euros d'investissements supplémentaires par an sont nécessaires pour enrayer le déclin de l'Europe et financer les transitions verte et numérique. Or seuls 498 milliards d'euros ont été investis dans la transition climatique dans l'Union européenne en 2023. À titre de comparaison, la Chine a consacré, la même année, 676 milliards de dollars, soit environ 578 milliards d'euros, et a d'ailleurs prévu d'atteindre la neutralité climatique en 2060. Les montants sont donc considérables.

C'est dans ce contexte de besoins d'investissement que les autorités françaises appuient la création d'une « banque européenne de la décarbonation et de l'électrification ». Cette banque devrait aider les entreprises industrielles françaises à mettre fin à l'utilisation des combustibles fossiles et à financer les investissements nécessaires à leur transition énergétique.

Par ailleurs, la présente proposition de résolution soulève des observations sur le partage de l'effort entre les États membres. La répartition des efforts de réduction entre pays est basée sur le PIB par habitant. Elle vise à tenir compte des capacités économiques de chaque État membre pour contribuer à la réduction globale. Par conséquent, la charge de réduction est davantage supportée par les pays les plus riches.

Il est donc soutenu que la méthode de calcul nécessite d'être revue pour éviter que la trajectoire de décarbonation des pays les plus avancés ne devienne plus coûteuse que pour ceux qui sont au début de ce processus. Je m'interroge néanmoins, à titre personnel, sur la pertinence de cette remarque, car elle semble aller à l'encontre d'un principe légitime d'équité qui garantit que les États membres à revenus élevés devront atteindre des objectifs plus ambitieux que les États membres à faibles revenus.

Enfin, la proposition de résolution européenne reprend la suggestion formulée par le gouvernement français de définir un objectif de réduction de l'empreinte carbone.

Telles sont les principales observations que nous avons souhaité formuler sur cette proposition de règlement tendant à amender la loi européenne sur le climat et à inscrire un objectif intermédiaire en matière de climat pour 2040. Elles sont rassemblées dans la proposition de résolution européenne que nous vous soumettons.

À titre personnel, je ne peux pas me satisfaire de la tonalité générale de cette proposition, qui, d'une part, ne soutient pas de manière résolue l'objectif d'une réduction de 90 % des émissions d'ici à 2040 et qui, d'autre part, semble relativiser l'urgence du changement climatique en restant muette sur les alertes des scientifiques. Le retard dans l'adoption de l'objectif climatique 2040, provoqué notamment par les réticences de la France, est très alarmant. Nous avons l'opportunité d'inviter le gouvernement à s'engager positivement dans les négociations et à défendre une décision ambitieuse en accord avec les recommandations des scientifiques.

Nous proposerons donc, au nom de notre groupe, une série d'amendements pour rééquilibrer ce texte, sur lesquels je vous propose de débattre.

M. Jean-François Rapin, président. - Il s'agit, bien évidemment, d'un sujet sensible, et il importe d'en débattre. Je veux rassurer M. Michaël Weber : la majorité sénatoriale n'a jamais remis en cause la question climatique ni les enjeux environnementaux. Elle a simplement souligné que, s'il demeure essentiel de se fixer des objectifs ambitieux, il ne faut pas aller trop vite ni trop fort, au risque de devoir, ensuite, revenir en arrière et de redéfinir le rythme de mise en oeuvre.

Je prendrai un exemple concret. J'ai rencontré récemment les représentants d'un grand groupe automobile. J'ai attentivement écouté ce qu'ils m'ont exposé sur un aspect très particulier de leur activité : celui des véhicules utilitaires électriques. L'objectif de ventes de ces véhicules fixé pour 2026 s'élève à 18 % des ventes totales, mais ils n'ont, pour l'instant, atteint que 9 %. Techniquement, ils sont capables de produire à hauteur de 18 %, mais les ventes ne suivent pas. Peut-on imputer cet état de fait aux industriels ? Le groupe en question devra provisionner 2 milliards d'euros dans son prochain budget, en raison d'un risque d'amende pour ne pas avoir atteint l'objectif fixé.

Au-delà du fait que ces groupes demeurent solides, peut-on vraiment les rendre responsables d'un problème d'acceptation sociétale ? Nous ne contestons pas les objectifs eux-mêmes, mais la marche forcée vers ceux-ci conduit parfois à des effets contraires. Il faut concilier l'exigence écologique avec la réalité économique et le respect des comportements de consommation de nos concitoyens.

Je suis, pour ma part, très attaché aux questions environnementales. J'ai été parmi les premiers, en région Hauts-de-France, à installer des panneaux solaires sur ma maison et à utiliser un véhicule électrique - cela depuis 2011. J'essaie ainsi d'incarner et de promouvoir cette démarche. Mais il arrive un moment où l'on constate que certains objectifs deviennent difficilement atteignables. Respectons donc les rythmes et les habitudes, tout en encourageant et en accompagnant le changement.

Mme Christine Lavarde. -Les différents intervenants que j'ai rencontrés, dans le cadre de travaux sur le secteur automobile, m'ont tous rapporté qu'aujourd'hui se pose un véritable problème de confrontation entre l'offre et la demande. Cette difficulté s'explique notamment par le fait que les consommateurs entendent dire, de manière récurrente, que le Parlement européen pourrait revenir sur certaines décisions déjà actées. En conséquence, beaucoup préfèrent attendre avant d'acheter.

On observe la même situation avec les zones à faibles émissions (ZFE). Certains, pour respecter le calendrier prévu par la loi, ont remplacé leur véhicule ; ils ont été les bons élèves. Mais, si l'on revient sur l'instauration des ZFE, ceux qui ont consenti des efforts se sentiront lésés, tandis que ceux qui n'ont rien fait ne seront pas pénalisés. La question demeure donc toujours la même : qui pénalise-t-on ?

Aujourd'hui, les ZFE profitent aux habitants des villes, confrontés à une pollution atmosphérique importante, mais elles peuvent avoir des effets négatifs sur ceux qui vivent à l'extérieur, dans un environnement plus sain, et souhaitent venir en ville. Là encore, il s'agit de déterminer qui l'on pénalise. Interdire les ZFE reviendrait à désavantager les habitants des zones urbaines, pour qui la qualité de l'air constitue un véritable enjeu de santé publique. À l'inverse, les maintenir sans dispositif d'accompagnement de la transition désavantagerait les habitants des zones périphériques, pour lesquels le problème est non pas la pollution, mais la mobilité.

C'est bien toute la question de l'articulation entre les politiques environnementales et les réalités économiques et sociales. Je renvoie, à cet égard, au rapport d'information intitulé L'évolution des valeurs dans le champ économique à l'horizon 2050, publié mardi dernier par la délégation à la prospective du Sénat. Tous les économistes auditionnés, qu'ils soient de droite ou de gauche, ont tenu le même discours : les externalités environnementales, la perte de biodiversité et le dérèglement climatique auront des conséquences majeures sur la chute de notre PIB, avec des chiffres particulièrement inquiétants.

Ce qui fait défaut aujourd'hui, c'est la capacité à concilier ces deux impératifs. Sans doute cela tient-il aussi à nos ressources budgétaires limitées, mais il faut parvenir à faire comprendre que l'écologie ne saurait être punitive : elle doit devenir profitable à tous. C'est bien l'accompagnement de la transition qui pose difficulté.

Si l'on en revient à la question, plus globale, de la décarbonation de l'économie française, une interrogation demeure : comment maintenir un signal-prix cohérent sur l'électricité, alors que le niveau de taxation y reste extrêmement élevé, tandis que, parallèlement, nous continuons à subventionner indirectement une énergie fossile comme le gaz ?

M. Didier Marie. - En écho à ce que vient de dire Christine Lavarde, je confirme que nous avons besoin d'une ambition politique forte et de moyens publics importants. En revanche, je pense, pour ma part, qu'il faut amplifier nos efforts, pour la simple et bonne raison que, pour la première fois en 2024, la hausse de la température mondiale a franchi le seuil de 1,5 degré Celsius de réchauffement, soit le seuil symbolique fixé par la COP21, faisant de 2024 l'année la plus chaude jamais enregistrée.

Le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec) nous dit qu'un réchauffement pérenne de 1,5 degré Celsius exposerait un milliard de personnes supplémentaires au stress hydrique et à la désertification et un quart de personnes supplémentaires aux inondations. De surcroît, il placerait 14 % des espèces animales en danger d'extinction, et 90 % des récifs coralliens seraient susceptibles de disparaître.

Les conséquences économiques, sociales et migratoires seront catastrophiques pour nos sociétés. C'est la raison pour laquelle nous devons être ambitieux, à rebours des tendances actuelles, où tout le monde a tendance à mettre le pied sur le frein, profitant du chaos provoqué par la guerre en Ukraine et l'élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis. Par exemple, en France, le « fonds vert », très apprécié des collectivités territoriales, a fortement diminué.

En lisant la PPRE, nous avons le sentiment que la France est en avance, mais c'est une impression erronée. En 2024, les émissions de gaz à effet de serre n'ont baissé que de 1,8 %, contre 5,8 % entre 2022 et 2023, sachant que l'objectif, entre 2022 et 2030, est de 4,7 % en moyenne annuelle. Nous observons donc un ralentissement important, qui nous éloigne de nos objectifs.

Si la France peut s'appuyer sur une électricité nucléaire compétitive, les secteurs tels que les transports et le bâtiment, qui représentent plus de 50 % de nos émissions de gaz à effet de serre, prennent du retard. L'empreinte carbone moyenne des Français est restée stable depuis 1990, ce qui montre que beaucoup d'efforts restent à faire. Or la Cour des comptes, dans son récent rapport, déplore que cette priorité soit devenue superflue, car les coûts induits par l'inaction restent plus élevés qu'une action immédiate. Le Haut Conseil pour le climat ne dit pas autre chose.

La France doit afficher une ambition plus forte que l'Europe. C'est pourquoi nous défendrons un certain nombre d'amendements.

Mme Mathilde Ollivier. - L'objectif de 2040 est essentiel dans la perspective de la COP30 à Belém, où l'Union européenne devra jouer un rôle moteur. Or le report des objectifs fait peser un risque sur la crédibilité européenne. Soyons attentifs à ce que dit le Haut Conseil pour le climat.

Le « trop vite, trop fort » n'est pas un argument pertinent. Cette année, le coût du réchauffement pour l'Europe a été de 43 milliards d'euros, si l'on prend en compte les feux de forêt, les sécheresses, les crues, les inondations, etc.

Il faut des engagements publics forts, comme tous les experts nous le disent. Les industries ne doivent pas porter seules le poids de cette transition. Elles doivent être accompagnées et bénéficier de visibilité. Prenons nos responsabilités !

Deux points nous posent plus particulièrement problème dans la PPRE : la neutralité technologique et le soutien explicite au nucléaire. Nous y reviendrons lors de la discussion des amendements.

M. Jean-François Rapin, président. - Nous devons nous situer à l'échelon européen. Le président Larcher recevait hier son homologue slovaque, qui s'est déclaré favorable aux objectifs du Pacte vert, mais qui a reconnu que ces derniers faisaient peser une menace existentielle sur l'industrie de son pays, l'économie slovaque reposant essentiellement sur l'industrie automobile. Peut-on faire courir un tel risque à un pays de 4 millions d'habitants ?

Nous devons mener une négociation à l'échelon européen en tenant compte des spécificités de chaque pays. Relisez les déclarations du chancelier Merz : il doit négocier sur ces objectifs au sein même de son gouvernement.

Mme Pascale Gruny. - « Trop vite, trop fort », c'est l'avertissement que j'ai lancé au commissaire européen Timmermans. Nous pouvons tous être accord sur la nécessité de bien respirer et de bien manger, mais la barre est trop haute. Et, quand nous devons rétropédaler, ce n'est jamais un bon signal. Or c'est ce que fait la Commission européenne actuellement.

L'industrie du médicament rencontre exactement le même problème. Des normes environnementales trop contraignantes lui font perdre du terrain par rapport à ses concurrentes chinoise et indienne. Or c'est un secteur hautement stratégique.

Faisons attention au secteur automobile. C'est l'acheteur qui fait le marché et, derrière les contraintes, il faut toujours penser aux prix.

La puissance publique doit massivement intervenir dans les transports pour que les objectifs soient tenus ; or elle n'en a pas les moyens actuellement. C'est ce que j'ai pu constater en tant que coprésidente d'Avenir Transports. Nous avons besoin de plus de temps.

Mme Karine Daniel. - Nous sommes en train de nous focaliser sur un arbitrage entre le court terme et le long terme, mais les deux sont étroitement liés. Il faut investir massivement maintenant dans la transition écologique pour préserver la rentabilité sur le long terme, sans parler de la biodiversité et des conditions de vie. Je déplore que nous ayons tendance, ce matin, à privilégier le court terme.

Nous ne souhaitons pas renoncer à nos ambitions. J'entends la question des moyens, mais permettez-moi de souligner que l'on trouve toujours les moyens pour des efforts de guerre, qui peuvent malheureusement s'avérer aussi nécessaires, ou pour gérer des crises sanitaires comme le Covid-19.

Mme Christine Lavarde. - Comme je dois m'absenter, je souhaite, si vous me le permettez, monsieur le Président, donner ma position sur les amendements par anticipation. Je suis défavorable à tous les amendements, à l'exception de l'amendement n° 7, qui reprend l'idée de progressivité dans l'arrêt des subventions aux combustibles fossiles.

M. Michaël Weber, rapporteur. - Notre sujet est bien celui de l'action ou de l'inaction climatique.

Lorsque Pierre Moscovici est venu présenter le rapport de la Cour des comptes, il nous a précisé que les investissements nécessaires à la lutte contre le réchauffement climatique étaient de 200 milliards d'euros par an, soit le double de ce que la France y consacre actuellement. Il a également rappelé que le coût de l'inaction climatique était beaucoup plus élevé que celui de l'action.

J'ajoute que le coût des aléas climatiques pour les sociétés assurantielles a été multiplié par quatorze ces dix dernières années. La temporisation dans l'action a donc des effets concrets.

On nous parle de l'impact à court terme sur les économies domestiques. Il est certain que des pays comme la Slovaquie, la Pologne ou la Roumanie sont plus touchés que d'autres, car ils ont des industries encore très dépendantes des énergies fossiles. À cela, je répondrai que le pays qui s'est le mieux lancé dans la décarbonation est la Chine, ce qui n'était pas évident voilà vingt ans. On nous annonçait que les constructeurs automobiles européens allaient facilement s'adapter, mais ce sont bien les véhicules électriques chinois qui sont aujourd'hui les plus performants ! Certes, les Chinois bénéficient de leurs ressources en métaux rares et ne respectent pas les mêmes exigences environnementales et sociales, mais les résultats sont là. Les constructeurs automobiles européens n'ont manifestement pas fait les efforts nécessaires : après avoir envoyé nos ingénieurs sur place, nous prenons aujourd'hui des leçons d'ingénierie. Je le reconnais, la Chine pollue globalement beaucoup plus que l'Europe, mais cette évolution doit nous interroger.

J'ajoute, monsieur le Président, que nous devons accompagner les économies européennes les plus en difficulté au regard des objectifs environnementaux à atteindre, mais je reste persuadé que tout le monde sera gagnant in fine.

Mme Marta de Cidrac, rapporteure. - Vous l'avez compris, mes chers collègues, il y a quelques nuances entre vos deux rapporteurs, mais le débat est sain.

Nous débattons d'une PPRE : il s'agit d'un outil destiné à aider les représentants français auprès des institutions européennes à négocier avec leurs homologues. Il ne s'agit pas de remettre en cause les objectifs ou les investissements. J'estime néanmoins nécessaire de faire preuve de prudence, car nous manquons encore d'éléments pour comprendre la manière dont vont s'articuler ces négociations.

Certes, la Chine progresse plus vite, mais nous partons dans la course avec des handicaps, que d'autres orateurs ont soulignés.

C'est vrai, le continent européen est celui qui se réchauffe le plus, mais nous n'émettons que 6 % des gaz à effet de serre. Cela ne veut pas dire que nous devons stopper nos efforts, mais il faut reconnaître que nous sommes sur une bonne trajectoire et que nous devons aider certains de nos partenaires plus en difficulté à cet égard.

Notre travail a pour but de donner à nos négociateurs des marges de manoeuvre et de faire savoir que la France souhaite prendre certaines précautions. Je le répète, notre propos n'est nullement de revenir sur les objectifs et les moyens. Nous nous interrogeons simplement sur les flexibilités.

Comme Christine Lavarde, je pense qu'il faut accompagner la transition sans pénaliser ceux qui ont commencé à faire des efforts, même s'ils sont insuffisants.

Par ailleurs, contrairement à ce qu'a dit Didier Marie, nous ne pensons pas que la France soit en avance. Nous rappelons juste certains chiffres, qui seront analysés à l'aune des convictions de chacun.

Je le répète à Mathilde Ollivier, nous ne remettons absolument pas en cause les objectifs. Nous pensons juste à conforter la crédibilité de la France au sein des instances européennes.

Enfin, chère Karine Daniel, nous n'opposons absolument pas le court terme et le long terme, qui sont bien évidemment indissociables dans nos réflexions.

M. Jean-François Rapin, président. - N'oublions pas que la production des véhicules électriques chinois, principalement destinés à l'exportation, est hyper subventionnée et très peu décarbonée.

Nous passons à la discussion des amendements.

M. Didier Marie. - L'amendement n° 1 vise à introduire un nouvel alinéa, après l'alinéa 36, afin de prendre en considération les données scientifiques, qui doivent rester notre boussole en matière de lutte contre le dérèglement climatique. Certes, des efforts ont été entrepris, mais nous ne pourrons pas nous contenter de la trajectoire actuelle, d'où la nécessité de rappeler nos ambitions.

L'amendement n° 2 a pour objet de modifier l'alinéa 37. Considérant que la lutte contre le changement climatique est un enjeu mondial, l'Union européenne, qui représente certes moins de 6 % des émissions de gaz à effet de serre dans le monde, doit rester exemplaire pour réduire de 90 % ses émissions polluantes d'ici à 2040 et être crédible pour défendre un accord ambitieux lors de la COP30. L'Union européenne doit défendre un modèle exportable, en particulier face aux choix opérés par l'administration Trump.

L'amendement n° 3 vise à modifier l'alinéa 39. Encore une fois, nous reconnaissons que l'Union européenne et ses États membres ont accompli des efforts significatifs pour lutter contre le réchauffement climatique. Il n'empêche que ces derniers doivent être poursuivis et approfondis, y compris par la France, malgré l'avantage d'une production d'électricité largement décarbonée.

L'amendement n° 4 tend à supprimer l'alinéa 40, afin d'éviter tout antagonisme avec l'alinéa 41. Nous contestons la position de la Commission européenne, qui suggère de mener une politique donnant la primauté à la compétitivité afin de justifier l'abaissement des objectifs en matière climatique. Je vous rappelle d'ailleurs que le commissaire chargé de la mise en oeuvre du Green Deal n'existe plus et que l'expression de « Pacte vert » a disparu de la bouche de la présidente de la Commission européenne. Nous ne souhaitons pas qu'il y ait d'opposition entre compétitivité et exigences en matière de transition climatique. À cet égard, des investissements d'ampleur doivent être réalisés, d'autant qu'ils auront un effet considérable sur la compétitivité, l'emploi et la transformation industrielle, comme le montre l'exemple chinois.

L'amendement n° 5 a pour objet de modifier l'alinéa 49 : nous proposons de « soutenir » la proposition de la Commission européenne de réduire de 90 % les émissions de gaz à effet de serre d'ici à 2040, plutôt que d'« en prendre acte ».

L'amendement n° 6 vise à supprimer l'alinéa 58, pour les mêmes raisons que celles qui nous conduisent à demander la suppression de l'alinéa 40. La France ne peut se considérer comme exemplaire, ni considéré avoir rempli ses objectifs de réduction des gaz à effet de serre, tout en poursuivant ses efforts hors production décarbonée dans tous les autres secteurs, comme l'a souligné le rapport du 3 juillet 2025 publié par le Haut Conseil pour le climat.

L'amendement n° 6 bis tend à supprimer l'alinéa 75, qui ne nous paraît pas suffisamment clair. Nous plaidons pour un rééquilibrage entre les pays les plus émetteurs, sans que cela ait la moindre incidence sur les pays les plus pauvres, qui sont les moins émetteurs.

L'amendement n° 7 a pour objet d'introduire un nouvel alinéa, après l'alinéa 77, qui « rappelle le besoin urgent de mettre un terme à la dépendance de l'Union européenne aux énergies fossiles pour s'aligner sur l'objectif visant à limiter le réchauffement planétaire à 1,5°C, comme l'a souligné le Conseil scientifique consultatif européen sur le changement climatique, et appelle à l'établissement d'un calendrier clair pour la suppression progressive des subventions aux combustibles fossiles. » De toute évidence, nous ne parviendrons pas à sortir des énergies fossiles tant que nous les subventionnons.

Enfin, l'amendement n° 8 vise à remplacer l'alinéa 78 par un alinéa ainsi rédigé : « Appelle le Gouvernement à soutenir les ambitions climatiques européennes pour 2040, à éviter tout nouveau report pour fixer cet objectif climatique nécessaire pour parvenir à la neutralité carbone en 2050 et à faciliter une prise de décision rapide, en amont de la COP30 à Belém, lors de la prochaine réunion du Conseil européen des 23 et 24 octobre 2025. »

M. Michaël Weber, rapporteur. - Je suis, à titre personnel, favorable à l'ensemble de ces amendements. Je propose toutefois, au nom de la commission, un sous-amendement à l'amendement n° 3. Il s'agirait d'insérer un alinéa entre les alinéas 48 et 49, qui préciserait que l'atteinte de la neutralité carbone d'ici à 2050 nécessite néanmoins la poursuite des efforts engagés par l'Union européenne et ses États membres pour réduire les émissions de gaz à effet de serre.

Mme Marta de Cidrac, rapporteure. - J'émets un avis défavorable sur les amendements nos 1, 2, 4, 5, 6, 6 bis .

En revanche, je suis favorable à l'amendement n° 3, sous réserve de l'adoption du sous-amendement présenté à l'instant par Michaël Weber, et à l'amendement n° 7.

Les amendements nos 1, 2, 4, 5, 6, et 6 bis ne sont pas adoptés.

Les amendements n° 3 sous amendé et 7 sont adoptés.

La commission adopte la proposition de résolution européenne ainsi modifiée et disponible en ligne sur le site du Sénat, ainsi que l'avis politique qui en reprend les termes et qui sera adressé à la Commission européenne.

Audition de MM. Mathieu Lefebvre, directeur des affaires européennes et internationales au ministère de l'intérieur, et Jamil Addou, sous-directeur des affaires européennes au ministère de l'intérieur

M. Jean-François Rapin, président. - Nous accueillons à présent MM. Mathieu Lefebvre, directeur des affaires européennes et internationales au ministère de l'intérieur, et Jamil Addou, sous-directeur des affaires européennes au sein de cette même direction. Je précise que cette audition, bien qu'elle fasse l'objet d'un compte rendu, n'est pas filmée, afin que nous puissions avoir des échanges directs et sincères.

La présente audition intervient alors que notre commission s'apprête à recevoir, la semaine prochaine, une délégation de la commission des politiques de l'Union européenne du Sénat italien. Elle se rendra également à Londres à la fin du mois, pour une réunion conjointe avec la commission des affaires européennes de la Chambre des Lords. Nous ferons notamment le point sur les suites du sommet organisé entre l'Union européenne et le Royaume-Uni le 19 mai dernier, ainsi que sur les enjeux migratoires, que je connais bien en tant qu'élu du Pas-de-Calais.

Nous serions heureux de connaître, messieurs, la façon dont vous percevez les enjeux relationnels entre le Royaume-Uni et l'Union européenne sur les questions migratoires et la coopération en matière de police et de lutte contre les réseaux criminels.

Notre commission est également intéressée par votre analyse des enjeux liés à la mise en oeuvre du pacte sur la migration et l'asile, qui constitue un chantier important. En effet, comme vous le savez, le pacte, adopté définitivement au printemps 2024, a modifié en profondeur le cadre juridique européen des politiques migratoires, de l'asile et de contrôle des frontières. Il doit entrer en vigueur en juin 2026. J'ai d'ailleurs interrogé la Secrétaire générale du Gouvernement récemment sur ce point.

En outre, avant l'interruption de nos travaux au mois de juillet dernier, j'avais saisi le gouvernement en vue de réunir, cet automne, le comité de liaison entre le Gouvernement et le Parlement sur la mise en oeuvre du droit de l'Union européenne. Il me semble que la mise en oeuvre du pacte sur la migration et l'asile représente, à cet égard, un enjeu tout particulier.

Je veux également évoquer deux ensembles de propositions émanant de la Commission européenne qui nous préoccupent et sur lesquels nous serons amenés à nous prononcer rapidement. Je pense tout d'abord à la proposition de règlement révisant la directive « Retour », qui a fait l'objet d'un avis motivé du Sénat avant l'été, ainsi qu'aux négociations en cours relatives aux « pays tiers sûrs » et aux « pays d'origine sûrs ». Nos deux rapporteurs, Ronan Le Gleut et Audrey Linkenheld, nous soumettrons leurs propositions très prochainement. En attendant, nous souhaiterions connaître votre analyse d'ensemble de ces réformes.

Autre sujet de préoccupation immédiat : la proposition de règlement relatif au mécanisme de protection civile de l'Union européenne et le soutien de l'Union européenne pour la préparation et la réponse aux urgences sanitaires. Nous avons décidé de mener un travail spécifique concernant la conformité de ce texte aux principes de subsidiarité et de proportionnalité. Nous souhaiterions, dans ce cadre, connaître l'analyse du ministère de l'intérieur.

M. Mathieu Lefebvre, directeur des affaires européennes et internationales au ministère de l'intérieur. - Je vous remercie de me donner l'occasion de discuter avec vous de ces enjeux, d'autant que l'actualité récente est extrêmement riche à l'échelle européenne. Il s'agit pour moi de mon tout premier échange avec la commission des affaires européennes du Sénat depuis que j'ai été nommé directeur des affaires européennes et internationales au ministère de l'intérieur, à la mi-septembre.

Vous l'avez dit, un ensemble de projets de textes importants a été présenté par la Commission européenne et fait l'objet d'intenses négociations. Je m'efforcerai de préciser les priorités du ministère de l'intérieur dans ce contexte.

La première des priorités concerne les textes sur l'immigration, puisque nous souhaitons renforcer les politiques migratoires à l'échelon européen.

Le projet de règlement « Retour », proposé par la Commission européenne le 11 mars dernier, répond globalement aux ambitions du ministère, qui soutient l'ensemble des mesures permettant de faciliter, d'accélérer et d'accroître les éloignements d'étrangers en situation irrégulière. Un premier compromis sous présidence danoise a été présenté le 25 septembre : plusieurs dispositions ont été améliorées par rapport à la proposition initiale de la Commission. Les autorités françaises, notamment le ministère de l'intérieur, visent l'objectif - partagé par la présidence danoise et de nombreux États membres - de parvenir à une orientation générale du Conseil européen d'ici à la fin de l'année.

Vous avez rappelé, monsieur le Président, l'avis qu'a rendu le Sénat sur la question de savoir s'il fallait une directive ou un règlement. Cette La position du Sénat, qui privilégiait le maintien d'une directive, est, de toute évidence, partagée par le ministère de l'intérieur dans le cadre des négociations actuelles. Il faut admettre cependant que l'équilibre politique au sein du Conseil a conduit la présidence à maintenir son orientation sur un projet de règlement.

Sur le fond, au-delà de cette question centrale du vecteur juridique de la réforme envisagée, la proposition de la Commission européenne et les améliorations présentées vont dans le bon sens pour les autorités françaises, sachant que nous visons un objectif de révision de la directive « Retour » de 2008, qui pose de nombreuses difficultés pour la mise en oeuvre des reconduites à la frontière.

Mais nous demeurons extrêmement vigilants sur certains points, au sujet desquels nous souhaitons faire évoluer les propositions de la présidence danoise. Je songe en particulier à la reconnaissance mutuelle obligatoire des décisions de retour. La Commission européenne envisage en effet de rendre obligatoire cette reconnaissance mutuelle, qui est aujourd'hui une simple faculté ouverte aux États membres, à compter du 1er juillet 2027 ; mais cette proposition se heurte à des oppositions, dont celle de la France, et, à titre de compromis, la présidence danoise du Conseil, propose une entrée en vigueur de ce dispositif plutôt en 2029.

Nous considérons que la reconnaissance mutuelle obligatoire des décisions de retour est une fausse bonne idée, car elle induirait une complexité supplémentaire de mise en oeuvre. Nous aurions surtout des difficultés à contrôler l'effectivité des décisions de retour prises par les autres États membres. C'est pourquoi nous plaidons pour le maintien d'un dispositif facultatif : ainsi, un État membre pourrait prendre une décision à l'échelon national, même si un autre pays a fait de même, simplement pour plus de rapidité et d'effectivité.

Deuxième paquet essentiel dans le cadre des politiques migratoires : la mise en oeuvre du pacte européen sur la migration et l'asile. Nous entrons dans une période clé, puisque le mécanisme de solidarité, qui est l'une des composantes de ce pacte, doit être défini dans les tout prochains mois. La Commission européenne doit en principe publier, à la mi-octobre, un rapport d'évaluation de la situation migratoire, une proposition de décision pour classer les États au regard du risque migratoire et une proposition sur la réserve de solidarité.

Le pacte européen sur la migration et l'asile repose sur le mécanisme de solidarité, mais aussi et surtout sur un renforcement de la protection aux frontières et une réaffirmation du principe de responsabilité des États membres, notamment dans le cadre de la reprise des « transferts Dublin », que certains États ont arrêtés depuis plusieurs années.

Par ailleurs, nous souhaitons renforcer les leviers permettant de stimuler la coopération des pays tiers en matière migratoire. Nous avons, dans le cadre des discussions avec le Parlement européen concernant le projet de règlement sur les préférences commerciales, obtenu un accord en trilogue pour l'introduction d'une clause de réadmission, c'est-à-dire d'une conditionnalité sur les réadmissions des ressortissants de pays tiers. Nous avons également obtenu l'adoption récente, par le Conseil et le Parlement européen, d'une révision du mécanisme de suspension des exemptions de visa, qui doit permettre aux États membres de réagir plus vite à l'égard de pays tiers non coopératifs, en particulier pour la réadmission de leurs ressortissants, conformément aux demandes formulées par la France.

Il nous reste encore à obtenir de la Commission européenne une proposition de révision législative du levier visa-réadmission (LVR). A priori, nous bénéficions d'une fenêtre de tir cet automne, puisque la Commission européenne devrait bientôt publier une nouvelle stratégie européenne en matière de politique des visas.

Nous sommes également très vigilants sur la révision, en 2026, du mandat de l'Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes (Frontex). Sur ce point, les discussions préparatoires ont déjà commencé. Nous connaissons les orientations souhaitées par la Commission européenne, soit le triplement des effectifs du corps permanent de l'agence et une extension de son mandat. Pour notre part, nous souhaitons que Frontex en reste à son coeur de métier, c'est-à-dire la protection des frontières européennes extérieures, en appui des États membres.

Enfin, le traitement de la question migratoire transmanche est aussi au coeur de nos préoccupations. Nous aurons l'occasion d'en parler plus précisément lorsque nous évoquerons l'accord pilote signé entre la France et le Royaume-Uni. Nous avons pour priorité d'inscrire la question des migrations transmanche à l'échelon européen, alors que, depuis le Brexit, il n'existe pas d'accord entre l'Union européenne et le Royaume-Uni. Ce sujet nécessite encore d'être travaillé avec nos partenaires européens, mais nous avons convaincu la Commission européenne d'y porter plus d'attention.

Nous avons observé, concernant l'accord franco-britannique annoncé cet été, qui prévoit le renvoi en France d'un migrant arrivé irrégulièrement sur le sol britannique par la Manche contre l'accueil d'un migrant installé en France et souhaitant demander l'asile au Royaume-Uni (principe du « un pour un »), des réticences très fortes, voire une opposition claire de la part de certains États méditerranéens. Toutefois, nous sommes depuis parvenus à leur expliquer la philosophie et les objectifs du projet envisagé. Nous avons également oeuvré à faire converger la position des pays du Benelux et de l'Allemagne. Ce travail commence à porter ses fruits, mais rien n'est gagné !

Je voudrais, du reste, aborder deux autres volets relatifs à la sécurité intérieure, qui sont également au coeur des priorités du ministère. Ce dernier a pour objectif d'accompagner les initiatives européennes en matière de sécurité, tout en veillant au respect des compétences nationales.

La Commission européenne a publié une stratégie de sécurité intérieure au printemps 2025. Ce document est le bienvenu, car il répond à plusieurs des attentes formulées par les autorités françaises et le ministre de l'intérieur, à savoir la lutte contre le narcotrafic et la lutte contre le terrorisme. Nous nous réjouissons que l'accent ait été mis sur la traçabilité des flux financiers. La stratégie européenne comporte également un volet consacré au renforcement de l'approche administrative, qui vise à créer des obstacles au blanchiment au sein des circuits légaux.

Si nous pouvons nous satisfaire des orientations définies par la Commission européenne en matière de sécurité intérieure, nous restons vigilants sur plusieurs points précis. Nous savons notamment que la Commission entend réviser le mandat de l'Agence de l'Union européenne pour la coopération des services répressifs (Europol) en 2026. Nous tenons à ce que cette institution s'en tienne à son coeur de métier, soit le traitement de données et de fichiers, en appui des services d'enquête nationaux. Il ne faudrait pas qu'Europol gagne un pouvoir d'enquête qui serait totalement autonome par rapport aux services de chaque État membre.

La Commission européenne a également évoqué, au sein de sa stratégie, un agenda contre-terroriste. Si nous l'approuvons, nous souhaitons toutefois qu'il désigne clairement l'une des principales menaces auxquelles nous sommes confrontés : la menace islamiste et djihadiste. Nous considérons, par ailleurs, que la question de l'entrisme islamique n'est pas traitée à ce stade.

Du reste, dans le périmètre de la sécurité intérieure, nous demeurons vigilants sur la question de l'accès aux données. Notez que la Commission européenne a publié une feuille de route sur l'accès aux données par les services de police et de gendarmerie. Comme vous le savez, il s'agit d'un sujet de préoccupation ancien lié à des arrêts de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) sur l'accès aux données dans les enquêtes pénales. Nous veillerons donc à ce que toute initiative législative prise par la Commission en ce domaine ne reprenne pas cette jurisprudence de la CJUE. La Commission devrait au préalable démontrer qu'un certain nombre de conditions sont bien respectées, sans quoi les enquêtes des services de police et de gendarmerie deviendraient plus complexes.

J'en viens au dernier volet de mon propos, qui concerne la préparation et la gestion de crise. Le projet de règlement sur le mécanisme de protection civile de l'Union européenne (MPCU), publié par la Commission en juillet dernier, soulève effectivement de nombreuses questions. Le ministère de l'intérieur n'est pas le seul à suivre ce texte. La Commission propose en effet un dispositif de gestion des crises intersectoriel, c'est-à-dire, en France, interministériel, étendu aux urgences sanitaires et à la coopération civilo-militaire. Or, le mécanisme de protection civile actuel fonctionne très bien : nous comprenons donc mal pourquoi la Commission souhaite le modifier et le fusionner avec l'Autorité européenne de préparation et de réaction en cas d'urgence sanitaire Hera (Health Emergency Response Authority), qui a été instituée pour tirer les leçons de la pandémie de Covid-19 afin de faire face à des enjeux sanitaires.

En outre, la Commission européenne veut créer une plateforme européenne de coordination des crises (ou « hub ») à sa main. Or, une telle proposition remet en cause la compétence exclusive des États dans la protection de leur population en cas de crise et soulève un réel problème de subsidiarité. Par ailleurs, s'il fallait renforcer la coordination au niveau de l'Union européenne, cela devrait être fait, à notre sens, au sein du Conseil et dans le cadre du mécanisme existant.

Enfin, dans sa proposition, la Commission européenne évoque une coopération civilo-militaire, ce qui touche également à des sujets de souveraineté.

Nous sommes donc très attentifs à ce projet de règlement, et notre position est assez ferme. Pour autant, nous avons relevé quelques éléments positifs dans la proposition de la Commission, comme le remboursement total des frais de transport. Cependant, le MPCU soulève des problèmes de principe, sur lesquels nous n'avons pas obtenu de réponse claire.

M. Jean-François Rapin, président. - Le mécanisme européen de protection civile est utile aujourd'hui. L'intervention de l'Union européenne pour renforcer l'entraide entre États membres face aux catastrophes fonctionne assez bien. Mais de là à devenir maître d'ouvrage dans la réponse à toutes les catastrophes dans l'Union, il y a un pas ! Le risque est d'éloigner les dispositifs d'intervention du théâtre des crises, alors que, l'expérience le prouve, la proximité et la réactivité des secours sont essentielles. En revanche, l'action de l'Union a posteriori, au travers du soutien financier à la reconstruction et à l'aide aux ouvrages et de la coordination, est tout à fait bénéfique.

Le nouvel accord franco-britannique sur l'immigration, qui suit le principe « one in, one out », a été conclu en juillet. Quels en sont les premiers résultats ? Le ministre de l'intérieur, avec lequel j'échange régulièrement sur le sujet, voit dans cet accord parfois contesté, au prétexte qu'il ne servirait à rien, une manière de mobiliser l'Union européenne sur cette question.

Nous avons produit un rapport, conjointement avec la commission des lois, sur l'action de Frontex et sur le renforcement nécessaire de ses moyens pour lui permettre d'assurer pleinement sa mission. Les visites que j'ai effectuées sur le terrain m'ont prouvé à quel point cela reste compliqué, en raison, à la fois, de l'ordonnance de sa mission et du manque de moyens, notamment humains.

M. Ronan Le Gleut. - Le concept de « pays d'origine sûr » a été créé pour permettre aux autorités compétentes des États membres d'accélérer le traitement des demandes d'asile effectuées par les ressortissants de ces pays lors d'un entretien individuel.

Dans ce cadre, les États membres, mais aussi l'Union européenne, peuvent définir une liste de « pays d'origine sûrs ». En l'espèce, les États membres peuvent créer, modifier et maintenir des listes nationales de « pays d'origine sûrs », dès lors qu'elles sont compatibles avec la position européenne. Les listes nationales devront être communiquées à la Commission européenne avant le 12 juin 2026.

Quelle est la position du ministère sur ce sujet ?

Mme Marta de Cidrac. - Le ministère de l'intérieur est soumis à des impératifs de sécurité nationale, mais aussi européenne. Arrive-t-il que des tensions de gestion apparaissent entre ces deux missions ? Outre les sujets liés à l'immigration, je pense à la protection des données ou aux droits fondamentaux.

En outre, la France accuse-t-elle du retard dans la transposition de certaines directives européennes de votre secteur de compétences ?

Mme Mathilde Ollivier. - Lorsque des familles ukrainiennes protégées temporairement en France reviennent sur notre sol après avoir effectué un séjour en Ukraine, il arrive que certains enfants soient refoulés par les autorités de Pologne durant leur transit, au motif qu'ils ne disposent pas d'un titre de séjour individuel - on considère qu'ils ont dépassé la durée de séjour autorisée sans visa dans l'espace Schengen. En effet, en France, les documents de protection temporaire sont délivrés au nom de la famille, et non à titre individuel. Or, dans la directive sur la protection temporaire, il est exigé que chaque bénéficiaire, y compris les enfants, dispose d'un titre de séjour.

Cette différence d'interprétation est susceptible de créer un conflit d'application au niveau européen. En découlent des situations compliquées pour ces familles, contraintes à demander un visa en Ukraine pour leurs enfants, dont certains ont été empêchés de faire leur rentrée scolaire en France en septembre dernier. Avez-vous connaissance de cette difficulté ?

Vous évoquez la nécessité de mieux prendre en compte la menace djihadiste dans la stratégie européenne sur la sécurité intérieure. Qu'en est-il de la montée préoccupante des mouvements d'ultradroite et de groupuscules d'idéologie nazie ?

Le système européen d'information et d'autorisation concernant les voyages (European Travel Information and Authorization System, ou Etias) doit être opérationnel en 2026. Les Français binationaux qui ne possèdent pas de passeport français pourront-ils entrer dans l'Union européenne avec leur titre étranger sans encombre ?

M. Jean-François Rapin, président. - N'oublions pas non plus que certains mouvements d'ultragauche aussi agissent parfois avec violence...

Il est urgent d'apporter une solution aux familles ukrainiennes mentionnées par Mme Ollivier pour ne pas les laisser en difficulté.

M. Mathieu Lefebvre. - Le statut de protection temporaire n'a pas été conçu pour prévoir des allers-retours dans le pays d'origine. Au-delà de cet élément, qui relève de l'esprit du texte, la réglementation française ne prévoit pas de titre de séjour pour les mineurs.

Il y a donc une divergence d'interprétation de la réglementation européenne entre les autorités françaises et polonaises - la réglementation française est bien conforme au droit de l'Union européenne. Nous avons été saisis de cette situation il y a quinze jours seulement et nous avons pris contact avec les autorités polonaises pour aboutir à une solution rapide. Si vous le souhaitez, je vous tiendrai informés de l'évolution de ce dossier.

L'accord migratoire pilote franco-britannique signé par les ministres les 29 et 30 juillet 2025 a pris effet le 6 août. Il est donc à la fois très récent et temporaire, puisqu'il est prévu pour durer jusqu'au 12 juin 2026, veille de l'entrée en vigueur du pacte sur la migration et l'asile.

Cependant, nous avons beaucoup d'espoirs concernant cet accord. Ses résultats ne se traduiront pas forcément par des chiffres considérables, mais nous sommes confiants quant à son effet dissuasif. Ce dispositif vise à réadmettre en France des personnes entrées de manière irrégulière au Royaume-Uni. En contrepartie, des familles, actuellement sur le sol français, sont identifiées par les autorités britanniques pour être éligibles à une émigration légale au Royaume-Uni. Un principe de parité s'applique : pour une personne réadmise en France, une personne doit être admise au Royaume-Uni.

Ce principe est dissuasif, puisqu'il envoie un message aux personnes qui envisagent d'entreprendre une migration irrégulière. Le voyage est coûteux et dangereux - on sait que les conditions de traversée sont souvent difficiles - et risque, en outre, de se solder par un échec.

En parallèle, nous maintenons la pression auprès de nos partenaires britanniques pour qu'ils réduisent les facteurs d'attractivité sur leur territoire. À ce titre, un projet de loi visant à renforcer les moyens de répression du travail dissimulé est en cours d'examen à la Chambre des Lords. Le ministre de l'intérieur a d'ailleurs reçu sa nouvelle homologue britannique, Mme Shabana Mahmood, il y a quelques jours : elle a confirmé cette orientation.

Un travail de communication est également mené pour dissuader les personnes qui souhaitent migrer au Royaume-Uni.

Au-delà de l'accord pilote, notre objectif est de traiter plus globalement la question migratoire au niveau communautaire.

Enfin, nous poursuivons nos efforts de répression des réseaux de passeurs. C'est l'une des cibles principales de l'action de coopération avec le Royaume-Uni. Des unités conjointes franco-britanniques sont mobilisées en ce sens. Depuis le début de l'année, 171 trafiquants ont été interpelés et 18 filières de transit par small boats ont été démantelées. Un effort a donc été mené sur le renseignement entre les services opérationnels. Les Britanniques ont investi plus de 100 millions de livres sterling dans le Border Security Command. Enfin, nous bénéficions de l'appui de l'agence Frontex, même s'il n'atteint pas encore le niveau que nous souhaiterions. Nous avons tout de même obtenu un renfort de 40 garde-frontières et un soutien pour les fonctions support. En outre, un bateau a été mis à notre disposition par le Portugal.

M. Jamil Addou, sous-directeur des affaires européennes à la direction des affaires européennes et internationales du ministère de l'intérieur. - Le soutien de Frontex est bien entendu utile dans le champ opérationnel, mais il est surtout important d'un point de vue politique, car il constitue un signal fort. L'intervention de Frontex pour protéger la frontière extérieure de l'Union européenne formée par la Manche et la mer du Nord est la première preuve tangible de la reconnaissance par la Commission européenne de la nécessité d'intervenir et du caractère multilatéral de la question, qui engage bien toute l'Union.

Ainsi, même si ce soutien n'atteint pas le niveau opérationnel attendu, son développement est perçu de manière très favorable.

M. Mathieu Lefebvre. - J'en viens aux « pays d'origine sûrs ».

La Commission a proposé, le 16 avril 2025, une première liste européenne de sept pays - le Kosovo, le Bangladesh, la Colombie, l'Égypte, l'Inde, le Maroc et la Tunisie. Au-delà de cette liste, la notion de « pays d'origine sûr » inclut également les pays candidats à l'Union européenne, qui remplissent, par principe, les critères pour être désignés comme tels, sauf en cas de circonstances particulières - c'est notamment le cas de l'Ukraine.

Cette proposition de liste européenne reçoit le soutien des autorités françaises. Nous restons cependant vigilants quant à la clarté et à la précision de ce texte, afin d'éviter toute incertitude sur les pays composant la liste européenne. Nous prêtons notamment attention aux critères utilisés pour exclure un pays candidat de la liste. Pour le reste, son principe et son contenu nous conviennent.

Cette liste est l'un des éléments du pacte sur l'asile et la migration, et nous sommes favorables à l'accélération de sa mise en oeuvre - tant qu'elle se fait sans préjudice de la pleine application de l'acquis en vigueur, en particulier du règlement de Dublin.

M. Jamil Addou. - C'est bien parce que la proposition de la Commission européenne respecte l'intégrité de nos listes nationales que nous soutenons cette initiative.

Il faut en outre rappeler que le concept de « pays d'origine sûr » permet de recourir, pour les demandes d'asile, à des procédures dites accélérées et à des conditions d'examen des recours non suspensives. Cela contribue donc à gérer le flux plus rapidement, sans nous exonérer de l'obligation de traiter la demande au fond ni d'examiner le besoin de protection.

M. Mathieu Lefebvre. - Madame la sénatrice Marta de Cidrac, vous m'interrogez sur la conciliation des intérêts nationaux et européens. Ceux-ci convergent en de multiples aspects. En effet, il importe que les textes européens soient adoptés et mis en oeuvre dans le cadre de politiques nationales. Sur le sujet migratoire, en particulier, les convergences entre intérêts européens et nationaux sont assez nettes.

En ce qui concerne la sécurité intérieure, le narcotrafic et la criminalité organisée ne connaissent pas de frontières. Là aussi, nous avons intérêt à développer des stratégies et des outils convergents au niveau européen, sans perdre de vue le respect de notre souveraineté.

Ainsi, si Europol réalise déjà un travail remarquable de traitement et d'accès aux données, tout à fait indispensable au bon déroulement des enquêtes judiciaires nationales, la création d'un « FBI européen » ne nous paraît pas souhaitable. Elle empiéterait sur les compétences des États, telles qu'elles sont définies par le traité sur l'Union européenne.

Concernant la transposition, la France fait aujourd'hui figure de bonne élève. Seule la directive concernant les sanctions à l'encontre des employeurs (2009/52/CE) n'a pas été transposée. Certes, elle fait partie du pacte sur la migration et l'asile, qui n'entrera en vigueur qu'en juin 2026, mais il reste encore un important chantier à réaliser avant cette date.

La mise en oeuvre de l'autorisation de voyage européenne Etias est prévue pour le dernier trimestre 2026. Le plus simple serait sans doute que les binationaux concernés se fassent établir un passeport.

Mme Mathilde Ollivier. - Cette situation concerne des pays où la communauté française est assez importante, comme le Canada. Ces Français sont assez éloignés de la France, certains n'y sont pas même nés. Puisqu'ils n'ont jamais besoin de leur passeport français, certains n'auront pas le réflexe d'en faire établir un avant leur séjour, du moins pas dans les délais impartis pour l'obtenir. Certes, ils pourraient l'anticiper. Cependant, au vu du nombre de Français binationaux vivant dans ces pays, une attention particulière devrait leur être portée.

M. Mathieu Lefebvre. - Nous allons regarder ce point. Surtout, il faudra que nos postes diplomatiques assurent une bonne communication pour que personne ne soit pris en défaut d'ici à l'entrée en vigueur d'Etias.

M. Jamil Addou. - Etias est comparable à l'Esta (Electronic System for Travel Authorization) américain. Or, à ma connaissance, il n'est pas possible de contourner l'Esta sans passeport américain.

M. Mathieu Lefebvre. - Le ministère de l'intérieur reste attentif à la question de l'entrisme islamiste, car des financements de l'Union européenne sont parfois versés à des associations ou à des structures susceptibles de véhiculer des messages islamistes militants.

De manière générale, la stratégie européenne nous semble très générique. Actuellement, la première menace terroriste reste l'islamisme djihadiste. Cependant, d'autres mouvements font l'objet d'une grande vigilance de nos services de sécurité, notamment ceux de tendance d'ultradroite.

M. Jean-François Rapin, président. - Pour conclure, pourriez-vous revenir sur l'état de nos relations avec l'Italie en matière de gestion des frontières ?

M. Mathieu Lefebvre. - La relation franco-italienne sur les sujets de sécurité et d'immigration a été compliquée ces dernières années, mais elle s'est notablement améliorée depuis un an, tant dans les instances multilatérales européennes qu'au niveau de la coopération bilatérale.

Le point d'attention principal reste le mécanisme de solidarité dans le cadre des discussions sur le pacte sur la migration et l'asile. Selon nous, le mécanisme ne peut s'entendre que si le principe de responsabilité est bien réaffirmé et si l'Italie prend effectivement en charge les transferts relevant de l'application du règlement de Dublin. À cet égard, nous avons pu constater que les Italiens montraient quelques signes d'ouverture sur ce point. Cependant, rien n'est encore certain.

Nous constatons par ailleurs une assez forte convergence de vues avec l'Italie sur la proposition de règlement révisant la directive « Retour ». Nos voisins partagent notamment nos réserves sur la question de la reconnaissance mutuelle obligatoire des décisions, y voyant, sans doute, un obstacle à une véritable effectivité des décisions de retour.

Comme je l'ai indiqué, les pays méditerranéens ont exprimé leurs inquiétudes voire leurs réticences envers l'accord France-Royaume-Uni. Le ministre de l'intérieur, Bruno Retailleau, a largement échangé avec son homologue Matteo Piantedosi sur ce sujet. L'Italie est devenue observatrice du suivi de la mise en oeuvre de cet accord, ce qui nous paraît plutôt satisfaisant.

Un prochain sommet franco-italien et un conseil des ministres de l'intérieur sont prévus pour le début de l'année 2026. Ce sera notamment l'occasion de faire un point sur la mise en oeuvre du traité du Quirinal, signé en 2021. Ce traité prévoit un certain nombre d'actions concernant la coopération bilatérale. Je pense notamment à l'unité de renseignement opérationnel installée à Vintimille depuis la signature à Paris de l'arrangement administratif par les deux ministres de l'intérieur, le 28 février 2025.

Trois arrangements administratifs ont été signés. Le premier est relatif à une brigade mixte franco-italienne opérationnelle depuis le site de Menton. Le deuxième créera l'unité opérationnelle italo-française, qui consistera en une unité mixte entre la gendarmerie nationale française et les carabiniers italiens : elle constituera un réservoir de forces mobilisables, notamment dans la sécurisation des grands événements. Enfin, le troisième texte est relatif à l'application de l'article 23 bis du code frontières Schengen sur le transfert des ressortissants de pays tiers appréhendés dans les zones frontalières vers le pays qu'ils ont traversé.

En matière de sécurité civile, la France et l'Italie semblent très alignées sur le règlement MPCU. Les Italiens font également preuve d'une grande vigilance sur ce sujet, craignant que le dispositif proposé par la Commission ne soit trop large.

M. Jean-François Rapin, président. - Messieurs, je vous remercie.

La réunion est close à 11 heures.