- Mercredi 8 octobre 2025
- Contrôle budgétaire - Soutien de l'État à la prévention et la valorisation des déchets ainsi qu'à l'économie circulaire - Communication
- Contrôle budgétaire - Les engagements financiers extrabudgétaires de l'Union européenne - Communication
- Conférence interparlementaire prévue à l'article 13 du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) au sein de l'Union économique et monétaire des 29 et 30 septembre 2025 à Billund - Compte-rendu
Mercredi 8 octobre 2025
- Présidence de M. Claude Raynal, président -
La réunion est ouverte à 9 h 40.
Contrôle budgétaire - Soutien de l'État à la prévention et la valorisation des déchets ainsi qu'à l'économie circulaire - Communication
M. Claude Raynal, président. - Nous entendons ce matin le rapport de Mme Christine Lavarde, rapporteur spécial de la mission « Écologie, développement et mobilité durables », sur le soutien de l'État à la prévention et la valorisation des déchets ainsi qu'à l'économie circulaire.
Mme Christine Lavarde, rapporteur spécial. - L'économie circulaire est un concept assez large. Entre le Graal vers lequel il faudrait tendre - l'absence de production de déchets -, et le stockage, qui est la pire des solutions, on passe par le réemploi et la réparation, le recyclage, la valorisation énergétique et l'incinération.
Aujourd'hui, l'usage des matériaux recyclés rencontre des difficultés économiques, notamment en raison de leur surcoût significatif par rapport aux matières vierges. Par exemple, le plastique recyclé coûte en moyenne quatre à cinq fois plus cher que le plastique vierge. Il n'y a donc pas d'intérêt économique pour un fabricant à utiliser de la matière recyclée, alors que celle produite à partir de pétrole est beaucoup moins chère.
Par ailleurs, la filière, encore naissante, rencontre des difficultés, faute de massification. Sur tout un ensemble de chaînes, les volumes de produits à traiter sont encore faibles. Par exemple, la Ville de Paris est revenue sur son système de collecte des déchets alimentaires parce que les quantités étaient trop faibles et les coûts de collecte trop élevés par rapport à la valorisation qui pouvait en être faite. En outre, l'usage des combustibles solides de récupération (CSR) se heurte à un problème de compétitivité par rapport à celui des énergies fossiles, notamment le gaz.
Quand une filière n'a pas de viabilité économique à court terme, mais que l'on est persuadé qu'elle présente un intérêt à long terme, il est possible de l'aider par des fonds publics. C'est ce qui a été fait, mais le soutien est fortement émietté.
Le traditionnel fonds économie circulaire peut en théorie soutenir tout projet présentant un lien avec l'économie circulaire, du financement de chaufferies utilisant des CSR à des campagnes de sensibilisation dans les écoles.
Jusqu'en 2025, près de la moitié des crédits du fonds était allouée au recyclage et à la valorisation énergétique, avec une grande disparité dans les projets financés. L'enveloppe du fonds a été quasiment divisée par deux dans le PLF 2025, passant de 300 à 170 millions d'euros, la baisse portant principalement sur le soutien à la filière CSR, ce qui paraît logique, car c'est celle qui présente le moins d'intérêt au regard de la pyramide de l'économie circulaire.
Le deuxième outil est le fonds vert, destiné à soutenir le tri à la source des biodéchets et leur valorisation, notamment par compostage et méthanisation. Environ 100 millions d'euros ont été versés en 2023 et 2024. Mes critiques sur ce dispositif tiennent à l'émiettement de ces crédits sur la mission « Écologie », en dépit de leur objectif commun.
Il faut citer également le volet « prévention des déchets et soutien à l'économie circulaire » du plan de relance, dont les crédits ont essentiellement été engagés au cours de l'année 2021, ainsi que France 2030, qui comporte deux thématiques liées à l'économie circulaire : le recyclage des plastiques et les solutions innovantes pour la recyclabilité. Deux appels à projets ont été lancés à ce titre, l'un en 2022 pour 430 millions d'euros, l'autre en 2021 pour 120 millions d'euros.
Si l'on additionne ces soutiens publics, en 2015, l'aide s'élevait à 217 millions d'euros. Son acmé a été atteint en 2023, avec 461 millions d'euros de crédits budgétaires, avant qu'une baisse ne s'amorce en 2024, poursuivie en 2025. Je suis toutefois incapable de vous dire quelle sera in fine l'enveloppe réelle : le fonds vert n'étant pas préaffecté, il faudra attendre la loi de règlement pour 2025 pour connaître les crédits fléchés sur ce dispositif.
À côté de ces crédits budgétaires destinés à aider les filières, un principe est mis en place dans le domaine de l'écologie, celui du pollueur-payeur, qui vise à responsabiliser les créateurs d'externalités négatives. Dans le domaine de l'économie circulaire, il s'applique depuis 1992, date de création de la première filière à responsabilité élargie du producteur (REP). Depuis cette date, les filières REP ont crû assez régulièrement, avec une très forte accélération à la suite de la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire (loi Agec). Depuis la promulgation de cette loi, dix nouvelles filières ont été créées, ce qui porte leur nombre à vingt-deux. Une filière REP oblige les producteurs qui y sont inclus à instaurer un système individuel de collecte et de traitement agréé - ce qui a été fait par exemple pour des producteurs relevant des filières des équipements électriques et électroniques, ou de celle des véhicules -, soit à mettre en place collectivement des éco-organismes agréés avec d'autres entreprises soumises aux mêmes obligations. À ce jour, vingt-sept éco-organismes exercent en France pour vingt-deux filières REP, ce qui signifie qu'il peut y avoir plusieurs éco-organismes pour une même filière, mais aussi un seul éco-organisme pour plusieurs filières. Leur taille est très variable : le plus important, Citeo, représente 463 équivalents temps plein pour 1,3 milliard d'euros d'écocontributions sur l'exercice 2024, tandis que le plus petit, PYRéO, compte deux ETP et a collecté 0,9 million d'euros.
Ces éco-organismes sont des organismes de droit privé. Par ailleurs, comme ils ne sont pas autorisés à dégager de bénéfices, leur équilibre économique est exclusivement guidé par leurs dépenses, qui doivent répondre aux obligations d'un cahier des charges arrêté par le ministre chargé de l'environnement. Le budget en équilibre qu'ils présentent détermine le montant de l'écocontribution, le tout étant simplement supervisé par l'Ademe.
On constate une très forte progression des écocontributions : 1,9 milliard d'euros ont été collectés en 2022, 2,3 milliards en 2024, 8 milliards devraient l'être en 2029. Ces sommes pèsent sur l'ensemble des entreprises opérant des mises sur le marché. On peut se poser la question de la soutenabilité à long terme de ce modèle, d'autant que l'écomodulation visant à récompenser les entreprises les plus vertueuses n'est proposée que par 15 filières REP sur 22. Un rapport récent de l'inspection générale des finances (IGF) et de l'inspection générale de l'environnement et du développement durable (Igedd) concluait par ailleurs que l'écomodulation n'était pas un instrument efficace pour inciter les metteurs sur le marché à intégrer des matières recyclées dans leurs produits.
On peut aussi se poser la question de la fraude. Au regard des montants collectés, est-ce que tout le monde paie ? Le contrôle est assez faible : seules sept décisions ont été prises pour imposer des amendes à des metteurs sur le marché qui n'auraient pas réglé leur écocontribution. Un travail est en cours entre l'administration des douanes et le reste du système REP pour faire coïncider les volumes mis sur le marché et les volumes d'écocontribution.
Au final, entre les quatre dispositifs de crédits budgétaires et les filières REP, nous pouvons parler d'une véritable usine à gaz. La montée en puissance des filières REP ne s'est pas accompagnée d'une diminution des subventions publiques, pour des résultats somme toute très médiocres.
Le budget de l'Union européenne pour 2021-2027 a prévu une nouvelle ressource dépendant de la qualité du recyclage du plastique dans chaque pays. Or, la France est bonnet d'âne en la matière, puisque nous payons à nous seuls 20 % de la recette plastique du budget de l'Union. Sur la période 2022-2024, cela représente tout de même 4,3 milliards d'euros. Si la France recyclait aussi bien que l'Allemagne, nous pourrions économiser chaque année 750 millions d'euros.
Nous constatons également que les outils de la loi Agec se sont surtout concentrés sur des dispositifs à forte visibilité médiatique, dont le fameux fonds réparation, qui souffre aujourd'hui d'un problème de massification et de distribution à grande échelle. Les réparateurs indépendants - cordonniers, couturiers, distributeurs de produits électroménagers hors chaîne - en sont très peu bénéficiaires, car il est très compliqué d'obtenir l'agrément.
Si, à l'échelle de l'ensemble des éco-organismes, sur la période 2010-2022, les tonnages collectés ont connu une augmentation proche de celle des écocontributions dues, la croissance des tonnages recyclés et valorisés reste beaucoup plus faible que la progression des écocontributions. En d'autres termes, nous arrivons à collecter, mais nous n'arrivons pas à transformer et réutiliser. Au surplus, en 2023, 40 % du gisement des déchets soumis à une REP échappaient encore à la collecte, soit 6,6 millions de tonnes. Sur huit filières disposant d'un objectif de collecte, seules trois l'ont atteint en 2023.
Les REP ont par ailleurs une trésorerie dormante importante : un milliard d'euros fin 2022, soit environ la moitié de ce qu'ils ont collecté. Nous n'avons pas connaissance des données pour 2023 et 2024, ce qui pose un problème de transparence, mais nous sommes certains que cette trésorerie augmente, car nous avons pu constater un différentiel de l'ordre de 300 millions d'euros entre les dépenses effectuées par les éco-organismes et le montant de la collecte.
C'est la raison pour laquelle nous préconisons notamment d'encadrer les provisions pour charges futures, en prévoyant des seuils plus contraignants et en renforçant les sanctions en cas de non-respect.
Nous voulons aussi que cette trésorerie dormante soit utilisée pour soutenir l'investissement. Si la loi Agec a prévu une réorientation des REP vers l'investissement, nous sommes aujourd'hui très loin d'avoir atteint cet objectif. Nous proposons donc que les éco-organismes puissent initier des appels à projets capacitaires permettant d'atteindre les objectifs réglementaires de réutilisation, de réincorporation et de recyclage. L'utilisation de ces crédits disponibles dans la trésorerie des REP justifierait, dans le même temps, une diminution progressive des crédits du fonds économie circulaire, moyennant deux nuances. Premièrement, ce fonds reste indispensable dans les outre-mer, où les filières REP sont très peu développées. Deuxièmement, lorsque c'est nécessaire, des dispositifs de prêts à taux zéro restent nécessaires pour financer des projets dont la viabilité économique ne pourra exister qu'à très long terme. La Caisse des dépôts et consignations pourrait aussi jouer ce rôle de financeur.
Il faut également renforcer le contrôle des éco-organismes, qui n'est pas très efficace à en croire le rapport des inspections générales. De plus, certaines sanctions sont inadaptées. Le montant de l'astreinte journalière est ainsi indépendant des fonds collectés par les éco-organismes - PYRéO est soumis au même montant d'astreinte journalière que Citeo... La sanction qui vise à retirer la labellisation de l'éco-organisme pose également problème : lorsqu'il n'y a qu'un seul éco-organisme dans une filière REP, il ne paraît pas crédible de lui retirer sa labellisation.
Je préconise donc d'adapter et de simplifier la procédure de contrôle des éco-organismes. Le rapport propose en premier lieu de mutualiser les moyens des administrations en charge du suivi et du contrôle des filières REP. Aujourd'hui, cinq structures publiques interviennent dans ce contrôle : la direction générale de la prévention des risques (DGPR), les douanes, la direction générale des entreprises, le contrôle général économique et financier et l'Ademe. Or la majorité des effectifs sont concentrés à l'Ademe et la DGPR, pourtant administration de tutelle et disposant du pouvoir de sanction, n'a pas accès à Syderep, la base de données de l'Ademe...
Le rapport propose en second lieu de renforcer le budget de ces administrations. Actuellement, dans le projet annuel de performances de la mission « Écologie », sont seulement indiqués 4 millions d'euros de recettes sont affectés à la DGPR pour financer des campagnes de communication sur le suivi des filières REP. La redevance pour le contrôle ne figure pas dans le projet annuel de performances.
La DGPR m'a expliqué que ses moyens budgétaires étaient presque entièrement consacrés à la vérification des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE), qui accuse un retard important. Par conséquent, le suivi des filières REP n'est pas assuré. Je suggère donc de financer les moyens supplémentaires de supervision et de contrôle par une hausse des redevances des éco-organismes.
Il serait également judicieux, au sein des informations communiquées par l'Ademe sur son plafond d'emplois, d'isoler les effectifs qui s'occupent des REP, puisqu'un budget dédié est prévu par la loi Agec.
Enfin - et c'est peut-être le plus dramatique -, la supervision des filières REP ne repose aujourd'hui sur aucune analyse économique des secteurs. Une meilleure information sur les situations financières des éco-organismes et des filières soumises à ces REP est donc nécessaire. Les contentieux sont nombreux et certains acteurs font faillite, car certains dispositifs ont été conçus en faisant totalement abstraction de l'économie de la filière. On peut entendre qu'il y ait un problème de rentabilité à court terme, mais nous ne pouvons pas avoir autant d'argent qui dort dans les filières REP et des résultats aussi mauvais.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - La situation est consternante. Le rapport souligne bien les carences et les insuffisances du mécanisme des écocontributions. Les entreprises sont prélevées, puis nous assistons à une fuite en avant sans contrôle, ou avec des contrôles insuffisants, sur le niveau de dépense et d'efficacité. Nous devons réfléchir à une meilleure organisation, plus fluide, avec un nombre d'intervenants plus restreint et une nouvelle allocation des ressources.
Les dispositifs que nous avons créés à une certaine époque échappent désormais au contrôle du Parlement. Quand Christine Lavarde rappelle le montant des sommes en jeu, surtout si on le projette à l'horizon 2030 en cas de poursuite de la dérive, cela donne froid dans le dos. Nous devons faire les bons arbitrages et redresser la situation. La situation de la filière des petites réparations est assez révélatrice de la dérive actuelle : en raison de la complexité du dispositif, elle n'est pas vraiment accessible, ce qui est assez incompréhensible.
Si je souscris aux propositions de notre collègue, je souhaiterais l'interroger sur sa proposition n° 1, celle du prêt à taux zéro : quel avantage cette solution présente-t-elle ?
M. Grégory Blanc. - Je remercie notre rapporteur pour la clarté de son propos et j'approuve presque toutes ses recommandations.
Je souscris à la nécessité de bien dissocier ce qui relève du recyclage de ce qui relève de la réparation ou de la refabrication. Nous devons être extrêmement clairs, car ce sont deux façons d'envisager le développement et l'industrialisation de l'économie circulaire. Les circuits logistiques et les besoins financiers ne sont pas les mêmes lorsqu'il s'agit de transformer la matière, d'un côté, ou de transformer ou réparer un produit, de l'autre.
Autant je soutiens les recommandations 2 à 7 de votre rapport, que je voterai sans difficulté, car nous avons besoin de plus de lisibilité, de clarté et d'efficience, autant j'ai un désaccord sur la recommandation n° 1. Nous avons besoin de plus de fonds en les orientant mieux, notamment sur la refabrication et la réparation, car il est nécessaire de développer ces filières, d'innover et d'inventer. À côté, nous devons créer des véhicules financiers qui permettent aux opérateurs de supporter le poids de produits qui pèsent dans leur stock et leur bilan. Aujourd'hui, ils ont besoin d'argent et les banques, très souvent, ne veulent pas leur prêter.
L'idée des prêts à taux zéro est bonne, mais elle ne sera sans doute pas suffisante. Il faut également travailler à la question des durées d'amortissement pour les biens dits « durables ». Je ne peux donc pas voter une recommandation qui propose de prendre de l'argent à un endroit pour le mettre à un autre, alors que les enjeux d'adaptation sont considérables et qu'ils nécessitent de repenser l'ensemble de la filière. Nous avons besoin d'investir plus d'argent et de réinventer l'ensemble de nos outils.
M. Pierre Barros. - Certains parmi nous ont été sollicités par les filières du BTP, très actives sur le sujet. Nous pouvons les comprendre, car elles paient aujourd'hui la charge des REP sans avoir en retour un niveau de services adaptés aux volumes qu'elles traitent.
Lorsqu'on connaît un peu le milieu du bâtiment, on sait ce que pèse la charge des déconstructions, des déchets et de leur traitement. Le secteur a construit depuis quelques années ses propres filières de revalorisation, mais ce changement de prestataires ou d'opérateurs crée a minima un stress pour les entreprises du BTP. Le sujet est particulièrement sensible pour les très grosses entreprises. Quant aux petites entreprises et aux PME, cette réorganisation n'a pas permis de limiter les dépôts sauvages dans nos territoires. Je trouve que ces deux échelles sont à mettre en relation.
Tant qu'il n'y aura pas une filière cohérente de revalorisation et de transformation, nous pourrons bien injecter tous les millions que nous voudrons, les objectifs ne seront pas atteints.
Mme Ghislaine Senée. - Je vous remercie de mettre en avant ce sujet, car il y a un véritable problème, notamment avec les éco-organismes. Ma rencontre avec l'entreprise Le Relais m'a permis de mieux comprendre les enjeux dans la filière textile.
Il convient de bien dissocier ce qui relève du recyclage de ce qui relève du réemploi, car ce n'est pas la même chose. Le recyclage peut être automatisé et représente un investissement que l'éco-organisme devrait pouvoir financer. En revanche, le réemploi du textile demande un tri manuel. En dépit de l'intelligence artificielle et des capteurs, une expertise humaine reste nécessaire pour apprécier la qualité du tissu.
Aujourd'hui, le coût du tri est de l'ordre de 300 euros nets, mais l'éco-organisme ne le valorise qu'à hauteur de 150 euros. Il considère que, dans le cas de l'entreprise de l'économie sociale et solidaire Le Relais, les recettes d'aide à l'insertion compensent la différence. Or, l'aide à la réinsertion représente également un coût - accompagnement, formation, etc. - et cette politique publique de l'emploi n'a pas à servir les filières et les entreprises qui mettent des biens sur le marché.
Ce sujet doit être réglé une bonne fois pour toutes. L'estimation réelle du coût du traitement et du tri ne peut être effectuée par les seuls metteurs sur le marché, car cela fausse la donne. Il faut revoir la gouvernance et prévoir que les opérateurs de terrain aient au moins leur mot à dire, voire soient majoritaires.
Il faudrait aussi pouvoir régler la question des matériaux qui n'ont pas d'exutoire. Il y a par exemple aujourd'hui des montagnes de textiles qui s'entassent : les metteurs sur le marché ont la responsabilité de trouver une solution et de la financer.
Contrairement à notre collègue, je ne crois pas qu'il faille baisser les crédits du fonds économie circulaire, car nous voyons bien qu'il est, dans certains secteurs, créateur d'emplois. Les prêts à taux zéro peuvent apporter une réponse, mais elle ne sera pas totale. Je ne suis donc pas favorable à cette recommandation, non plus qu'à la recommandation n° 3, car nous savons que les appels à projets empêchent les entreprises d'avoir de la visibilité pour investir sur une base pluriannuelle. J'émets enfin une petite réserve sur la recommandation n° 4 : vous avez dit qu'il s'agissait de renforcer la procédure, mais il me semble qu'il s'agit en réalité de l'adapter et de la simplifier. Quoi qu'il en soit, si nous ne retirons pas la proposition n° 1, j'aurai du mal à voter ce rapport.
M. Laurent Somon. - Je vous remercie pour ce rapport fort intéressant et je souhaite vous poser trois questions.
La première concerne les plastiques. La contribution élevée de la France est-elle due à l'utilisation de certains plastiques difficilement recyclables ou à un véritable défaut de collecte ?
La seconde porte sur l'importante trésorerie dormante dont vous avez parlé. Existe-t-il des différences entre les filières ? Certaines sont presque autonomes, comme celle du papier-carton, d'autres non. Les filières autonomes, qui sont donc en économie circulaire, bénéficient-elles d'une valorisation ? Serait-il envisageable, comme le suggère la recommandation n° 1, de leur accorder des prêts à taux zéro plutôt que de diminuer le fonds de contribution ? La crainte de ces entreprises autonomes est de payer pour les autres, qui ont encore besoin de subsides publics.
Toujours au sujet des plastiques, les organismes publics de ramassage et de traitement craignent-ils de perdre des volumes si une consigne était mise en place ? La consigne est-elle un dispositif positif pour le recyclage du plastique ou risque-t-elle de déstabiliser les services publics de ramassage et de traitement ?
Enfin, ma troisième question porte sur le fonds réparation. Dispose-t-on d'une évaluation de son coût budgétaire ? Peut-on constater par ailleurs une diminution de la consommation, notamment dans le textile ?
Mme Florence Blatrix Contat. - Ce rapport très précis dresse un état des lieux et expose les faiblesses du financement de l'économie circulaire. Cette dernière me paraît essentielle : elle peut constituer un véritable avantage comparatif pour la France, avec des entreprises capables d'exporter leur savoir-faire.
Si la collecte s'est améliorée dans notre pays, le recyclage n'est pas au niveau. Je partage l'essentiel du rapport, mais, comme d'autres collègues, je ne souscris pas à la proposition de supprimer le fonds économie circulaire. Ce fonds est notamment utilisé pour les projets de production de CSR, qui sont essentiels pour beaucoup de nos collectivités. Sa suppression serait donc un frein au financement de ces projets.
Quelles seraient les conséquences de la suppression de ce fonds, même si j'ai bien compris que les outre-mer pourraient être épargnés ? Par ailleurs, les failles de ces dispositifs ne sont-elles pas dues à une filière de recyclage insuffisamment structurée ? Que faudrait-il faire pour avoir des filières plus efficientes ?
M. Jean-Raymond Hugonet. - C'est un sujet majeur. La semaine dernière, j'ai visité l'un des plus grands sites de recyclage de France, situé à Vert-le-Grand, dans mon département, l'Essonne ; celui-ci est adossé à la Semardel, une importante société d'économie mixte.
Je félicite Christine Lavarde pour ce rapport étayé et précis.
À l'inverse de mes collègues qui viennent de s'exprimer, la présence de la recommandation no 1 m'invite à voter le rapport : c'est la plus importante - et de loin. Prévoir de l'argent est nécessaire, certes, mais nous sommes bien placés pour savoir que celui-ci ne coule plus à flots. La diminution des crédits du fonds économie circulaire sera non pas brutale, mais progressive : voilà l'intérêt de cette proposition. Ne pas adopter cette proposition serait une erreur majeure, à l'heure où nous traversons une période difficile sur le plan financier.
M. Marc Laménie. - Merci à notre rapporteur spécial pour ce travail de qualité. Plusieurs de nos collègues ont évoqué la question du textile. Les bornes de collecte débordent dans nos départements respectifs. Quelles solutions pourraient-elles être mises en oeuvre ?
Quel est le nombre d'emplois créés par les entreprises et les associations relevant de l'économie sociale et solidaire (ESS) ?
M. Christian Bilhac. - Merci à Christine Lavarde pour son excellent travail. Nous devrions consulter les archives de l'administration : les données étaient plus faciles à trouver voilà 50 ou 100 ans qu'à l'heure actuelle, époque de l'informatique et de l'intelligence artificielle. Nous avons seulement accès à des données qui datent déjà de deux ou trois ans. Ce constat vaut pour tous les rapports que nous examinons.
Quelque chose m'échappe au sujet des filières. Lorsque j'ai acheté un appareil électroménager, j'ai payé l'écocontribution. De même lorsque j'ai réalisé des travaux dans ma salle de bains : c'est moi qui ai payé la mise en décharge des gravats, et non la filière.
Toutefois, les contributions payées par les citoyens, de l'ordre de 2,3 milliards d'euros, sont insuffisantes. Résultat : des financements supplémentaires, issus du fonds vert, du fonds économie circulaire, du programme d'investissements d'avenir (PIA) sont nécessaires. Pas moins de cinq entités sont chargées des contrôles : la direction de la supervision des filières REP de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), la direction générale de la prévention des risques, la direction générale des entreprises (DGE), le contrôle général économique et financier (CGefi), la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). Une fois encore, tout le monde fait tout : c'est le bazar !
Quelle part du montant des écocontributions est-elle réellement affectée à des actions de recyclage et à l'économie circulaire ? À combien s'élèvent les montants perdus dans les méandres de toutes ces structures ? Plus personne n'y comprend rien !
Mme Sylvie Vermeillet. - Les acteurs de la filière bois estiment que le montant de l'écocontribution qu'ils devraient verser à la filière REP des produits et matériaux de construction du bâtiment (PMCB) est insoutenable, alors que le bois participe de la décarbonation du bâti. Pouvez-vous nous apporter des précisions à ce sujet ? Je rappelle que le Sénat a adopté une proposition de loi d'Anne-Catherine Loisier à ce sujet le 15 mai dernier.
M. Claude Raynal, président. - Le graphique de la page no 1 de L'Essentiel montre l'évolution constatée et la trajectoire prévisionnelle du montant des écocontributions perçues par les filières REP entre 2000 et 2028. Je regrette que celui-ci ne comporte pas l'évolution qui était prévue en 2000 : nous aurions pu comparer les différences entre la trajectoire alors prévue et ce qui s'est effectivement passé. Le graphique traduit-il une évolution normale ou un retard par rapport aux prévisions ?
Mme Christine Lavarde, rapporteur spécial. - Il reflète les nouvelles obligations introduites par la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire. Aucune prévision n'avait été élaborée avant ce texte.
M. Claude Raynal, président. - Comment vérifier année après année que les objectifs sont atteints ? Cette courbe est-elle déclinée filière par filière pour que l'administration puisse effectuer des contrôles, et, le cas échéant, imposer des corrections ?
Mme Christine Lavarde, rapporteur spécial. - Vous appelez de vos voeux un contrôle de l'efficacité de la politique publique dans son ensemble. Or celui-ci est aujourd'hui vraiment déficient, car les données ne sont pas partagées et le système est très endogame. En effet, les personnes validant les écocontributions et celles chargées des contrôles sont les mêmes : elles sont juges et parties.
Le Parlement voit son contrôle plus limité, puisqu'il s'agit d'organismes de droit privé ne bénéficiant d'aucun crédit budgétaire. C'est regrettable : nous avons beaucoup de difficultés à obtenir des éléments, ce qui n'est pas le cas pour les données des différents fonds publics. Ceux-ci sont toutefois sans commune mesure avec la masse d'argent collectée auprès des entreprises et utilisée pour le fonctionnement des REP, bien plus importante.
Tel est l'objet de la deuxième série de préconisations du rapport : renforcer les contrôles. Certes, la Cour des comptes a publié plusieurs rapports sur les filières, sans oublier le travail mené par les inspections générales, mais nous déplorons tous de ne pas disposer de données en nombre suffisant. C'est seulement en consultant les rapports d'activité que nous parvenons à trouver quelques éléments. Nous faisons face à un manque de transparence évident, car le système est très fermé sur lui-même, sans que l'administration puisse jouer son rôle.
Je ne pourrai pas à votre question générale sur l'économie sociale et solidaire, Monsieur Laménie, car mon contrôle porte sur l'économie circulaire : ce sont deux champs d'activité différents, même s'il peut y avoir des recoupements.
Marta de Cidrac et Jacques Fernique, membres de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, ont mené à bien un travail très intéressant sur la mise en oeuvre de la loi Agec. Je vous invite à lire ce rapport très complet, publié au mois de juin dernier.
Monsieur Bilhac, vous avez souligné que c'était le consommateur qui payait l'écocontribution. En théorie, ce n'est pas le cas, puisque celle-ci résulte de l'application du principe pollueur-payeur. Lors de l'examen de la loi Agec, deux filières - l'ameublement et la filière électrique et électronique - ont obtenu que cette charge figure sur la facture remise au client. La filière ameublement souhaite que cette transparence perdure, alors que celle-ci devait être temporaire : les acteurs de la filière ne souhaitent pas qu'on leur impute l'augmentation du prix de vente des meubles.
Lorsque le consommateur paie, on s'éloigne du principe pollueur-payeur, dont l'objectif était d'inciter les producteurs à être plus vertueux. Le système mis en place pèse sur les entreprises, non sur les consommateurs, même si, dans les faits, les producteurs ont répercuté sur ces derniers l'augmentation des charges qu'ils supportent.
Le bonus réparation ne représente aucun coût pour le budget de l'État, puisqu'il est entièrement financé par les filières REP. Les seuls chiffres dont nous disposons montrent qu'entre 2022 et 2024, seuls 30 % des crédits prévus ont été exécutés.
La montée en charge de ces bonus a pris du temps, car il a fallu d'abord agréer les réparateurs ; puis le nombre de produits éligibles a considérablement augmenté. On peut toutefois s'interroger sur le montant des bonus, sans lien avec le prix d'achat de l'appareil. Si vous faites réparer une machine à laver classée E, qui consomme beaucoup d'eau et d'électricité, vous bénéficiez du même montant de bonus que pour une machine A+, qui ne vous a pourtant pas coûté le même prix à l'origine. Le montant du bonus est le même pour un drone et pour une bouilloire, alors que ce ne sont pas les mêmes personnes qui les achètent. Je me pose un certain nombre de questions sur la manière dont les bonus ont été fixés et sur le choix des appareils concernés. Ces éléments n'entraient toutefois pas dans le cadre de mon contrôle budgétaire, puisque nous ne sommes pas chargés d'établir le cahier des charges : c'est le travail du ministère de l'environnement.
Les questions liées à la consigne relèvent davantage de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable que de la commission des finances. Je souhaite toutefois vous apporter quelques éléments sur les catégories de plastique nous conduisant à nous acquitter d'une amende auprès de l'Union européenne. Il s'agit des bouteilles en plastique à usage unique pour boisson, des emballages plastiques ménagers hors bouteilles, et des emballages plastiques non ménagers. En réalité, ce sont quasiment tous les emballages plastiques, mais ils sont dissociés par catégories.
Je ne suis pas en mesure d'apporter des précisions sur la situation de la filière bois. En revanche, le cas de la filière BTP, en cours de négociation, est intéressant. La durée de vie des produits utilisés est très longue. Les metteurs sur le marché sont soumis à l'application du principe pollueur-payeur. Or le moment où interviendra le recyclage des produits est lointain. Les acteurs bénéficiant du soutien logistique de la REP sont les acteurs de la démolition, et non pas nécessairement ceux qui ont payé l'écocontribution à l'origine.
Le recyclage est couvert par la REP bâtiments, mais il aura été payé par d'autres. D'où des tensions pour définir le cahier des charges de cette REP. Les enjeux sont colossaux, car les volumes le sont également et la nature des acteurs est très différente entre les géants du BTP et les petits artisans, notamment dans la filière bois. Je suis bien incapable de vous dire à quoi pourrait ressembler le futur cahier des charges.
Je m'étonne du peu d'appétit de certains pour passer d'un soutien budgétaire à un soutien par les filières REP pour financer les investissements dans le domaine du recyclage. Le financement des REP repose sur le principe pollueur-payeur : on demande à ceux qui produisent des externalités négatives de les compenser. À l'inverse, le soutien budgétaire repose sur un financement par la collectivité, c'est-à-dire par l'ensemble des citoyens, via l'impôt.
Par ailleurs, nous faisons face à un problème de soutenabilité des finances publiques. Or nous avons constaté à de nombreuses reprises que de l'argent dormait dans ces filières. J'ai répondu à toutes vos questions que les crédits budgétaires n'avaient pas été utilisés dans leur intégralité ; il en va de même pour les sommes collectées par les filières. Je vous invite vivement à visiter les sites internet de ces éco-organismes : il y a pléthore de personnes dont je me demande ce qu'elles font. Un même éco-organisme peut ainsi disposer de deux ou trois sites internet, selon que l'on est un professionnel, un institutionnel ou un particulier.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Il y a du gaspillage !
Mme Christine Lavarde, rapporteur spécial. - Oui, il y a du gaspillage. C'est d'ailleurs le titre du rapport : « Éviter le gaspillage ».
M. Claude Raynal, président. - Au regard de nos débats, je vous propose de voter d'abord la recommandation no 1, puis, en un seul bloc, les recommandations nos 2 à 7.
La recommandation n° 1 est adoptée, de même que les recommandations nos 2 à 7 du rapporteur spécial. La commission autorise la publication de sa communication sous la forme d'un rapport d'information.
Contrôle budgétaire - Les engagements financiers extrabudgétaires de l'Union européenne - Communication
M. Claude Raynal, président. - Nous allons maintenant entendre une communication de M. Jean-Marie Mizzon, rapporteur spécial sur les engagements financiers extrabudgétaires de l'Union européenne.
M. Jean-Marie Mizzon, rapporteur spécial. - Les engagements extrabudgétaires recouvrent le concept comptable de « passif éventuel », c'est-à-dire des obligations financières potentielles qui pourraient être contractées en fonction d'un événement futur. En pratique, il s'agit de situations où le défaut d'un tiers engage la responsabilité financière de l'Union européenne (UE) : le cas le plus fréquent est celui d'opérations où l'UE prête en s'endettant. Ces prêts peuvent être accordés à des États membres, l'exemple type étant, dans le cas du plan de relance européen, celui de la Facilité pour la reprise et la résilience, dite FRR, ou à des pays tiers, à travers des « assistances macrofinancières », plus connues sous le sigle d'AMF.
Les engagements extrabudgétaires couvrent aussi les garanties budgétaires octroyées par l'UE à des tiers comme la Banque européenne d'investissement (BEI), chargés de la mise en oeuvre de programmes destinés à soutenir l'investissement au sein de l'UE et en dehors.
Je souhaite en premier lieu évoquer avec vous le rythme effréné de la progression des engagements extrabudgétaires de l'UE et des risques qu'ils font peser sur son budget, mais aussi sur celui des États membres contributeurs.
Que ce soit la réponse à la crise sanitaire ou à l'agression russe en Ukraine, les dispositifs européens d'assistance financière ont été mis en place à la faveur de crises afin de pouvoir débloquer rapidement des sommes importantes. Les sommes en question sont en effet tout sauf négligeables : le niveau de risque porté par le budget européen a ainsi presque quadruplé entre 2019 et 2024, soit une hausse moyenne de 30 % par an, avec une forte poussée au moment de la crise sanitaire, avec une augmentation de 51 % par an de 2019 à 2021.
L'essentiel de la hausse observée peut être attribué aux dispositifs d'assistance financière aux États membres, qui ont progressé de 49 milliards d'euros en 2019 à 249 milliards d'euros en 2024, soit une hausse de 200 milliards d'euros, qui équivaut à 80 % de la hausse totale observée.
Quant à l'assistance aux pays tiers, si elle est d'ampleur moindre dans son ensemble, elle a néanmoins connu une progression encore plus dynamique, passant de 5 milliards d'euros en 2019 à 47 milliards d'euros en 2024, sous l'effet principalement du soutien apporté à l'Ukraine.
Cette expansion des engagements extrabudgétaires n'est pas près de s'arrêter. Sur la base des seuls instruments existants ou dont le règlement européen a été voté, on peut s'attendre à ce que l'exposition du budget de l'Union européenne continue de s'accroître à un rythme plus que significatif, doublant presque d'ici la fin du cadre financier pluriannuel 2021-2027, pour atteindre 640 milliards d'euros, principalement sous l'effet de la mise en oeuvre de la FRR, mais aussi avec les décaissements progressifs du programme SAFE (Security Action For Europe), nouveau programme de l'UE visant à financer les achats communs en matière de défense.
Or ces divers engagements ne sont pas sans risque pour les budgets de l'Union européenne et de ses pays contributeurs : il s'agit principalement d'un défaut des bénéficiaires, qui peut être géré de deux façons, avec le recours ou non à des provisions.
Sur le plan conceptuel, le principe de provisionnement ne va pas nécessairement de soi : à titre de comparaison, le Trésor britannique critique une telle pratique, objectant que l'utilisation de fonds provisionnés expose le budget au risque de marché et immobilise des ressources publiques. La position britannique s'entend du point de vue d'une entité souveraine, dotée d'un pouvoir fiscal, car elle peut toujours augmenter ses ressources pour trouver les fonds nécessaires en cas de réalisation du risque. À l'inverse, l'UE est liée par la décision relative aux ressources propres et la pratique du provisionnement, longtemps majoritaire, se justifiait.
Aujourd'hui, les garanties budgétaires de l'UE sont provisionnées, et pendant longtemps, c'était aussi le cas des prêts aux pays tiers.
Si un prêt n'est pas provisionné, il est alors couvert par ce que l'on appelle la « marge de manoeuvre », ou parfois la « marge sous plafond ». Cette marge de manoeuvre représente l'écart entre le plafond des ressources propres pouvant être perçues auprès des États membres, fixé par la décision relative aux ressources propres, et les plafonds de dépenses, fixés par le cadre financier pluriannuel (CFP).
Concrètement, en cas de réalisation du risque, lorsqu'un prêt est couvert par la marge de manoeuvre, ceci se traduit in fine par une baisse de certaines dépenses ou une hausse des contributions des États membres, même si, comme l'ont rappelé les services de Bercy et de la Commission, différents instruments de flexibilité existent, avec des enveloppes de crise et des possibilités de virement et de reports pour atténuer et diffuser le choc.
Or je constate que ce sont les engagements extrabudgétaires couverts par la marge de manoeuvre qui sont en forte hausse, qu'il s'agisse des dispositifs d'assistance aux États membres ou, désormais, de certains dispositifs de soutien à l'Ukraine.
Je souhaite justement commencer par étudier ces derniers dispositifs, qui ne sont pas les plus importants sur le plan quantitatif, mais où l'aléa est le plus prononcé.
Les prêts accordés à l'Ukraine représentent fin 2024 près de 90 % des prêts accordés à des pays tiers. On peut distinguer plusieurs vagues dans ce support.
Comme vous le savez, l'agression russe en Ukraine remonte à 2014 et, très vite, des prêts ont été accordés à l'Ukraine, les fameuses AMF. Ces prêts suivent le règlement européen en vigueur et sont provisionnés à 9 %. De 2014 à février 2022, cela représente un montant de 5,3 milliards d'euros.
Avec l'invasion russe de 2022, une AMF exceptionnelle de 6 milliards d'euros est décidée. Toutefois, compte tenu du risque, nouveau, son taux de couverture est porté à 70 %, la différence de 61 % étant constituée d'une garantie apportée par les États membres. De fait, une garantie d'un milliard d'euros a été votée en France dans la loi de finances pour 2023.
Dans un troisième temps, toutefois, à partir de 2023, une rupture s'opère et le principe d'une couverture en amont est abandonné. Deux dispositifs sont successivement décidés, une AMF+ de 18 milliards d'euros et une Facilité pour l'Ukraine de 33 milliards d'euros, qui ne sont désormais plus couverts que par la marge de manoeuvre. Ce choix est fait en catimini, sans justification officielle, noyé dans une discussion technique. Sur le fond, il est expliqué par le coût prohibitif que représenterait le provisionnement de ces instruments - environ 33 milliards d'euros.
En pratique, toutefois, les prêts les plus volumineux ont été accordés aux conditions les plus favorables, avec des maturités de plus en plus longues et des garanties de moins en moins formalisées, ce qui constitue essentiellement un transfert de risque du budget de l'UE vers celui des États membres contributeurs.
Bien sûr, les administrations européennes et françaises interrogées se sont voulues très rassurantes, notant que les prêts en question bénéficient d'une période de grâce de 10 ans et de maturités longues qui permettraient de lisser un choc éventuel.
Le rapport s'intéresse enfin à la nouvelle pratique de la Commission européenne, qui consiste à utiliser les actifs russes immobilisés à la suite des sanctions de l'UE. En octobre 2024, un premier prêt de 18 milliards d'euros a été accordé, financé par les revenus d'aubaine associés à ces actifs.
Alors que les projections du FMI affichent des besoins de financement pour l'Ukraine de l'ordre de 10 milliards de dollars par an pour les prochaines années, la Commission et les États membres étudient désormais la possibilité d'un nouveau soutien selon le mécanisme suivant : la société où sont déposés les actifs russes immobilisés, Euroclear prête 140 milliards d'euros à l'UE à un taux de 0 % ; celle-ci les prête en retour à l'Ukraine ; ce dernier prêt n'est remboursé que si l'Ukraine reçoit des réparations de guerre de la Russie.
Ce montage est encore en cours de discussion et suscite des débats sur le droit de propriété de ces actifs et l'attractivité des places européennes.
J'en viens maintenant aux dispositifs qui constituent la plus grosse part de l'exposition du budget de l'Union européenne : les dispositifs d'assistance aux États membres.
Le volume des prêts a fortement progressé au moment de la crise sanitaire avec deux dispositifs. Le premier, intitulé SURE (Support to mitigate Unemployment Risks in an Emergency), était doté d'une enveloppe globale de 100 milliards d'euros pour couvrir les coûts directement liés au financement des dispositifs nationaux de chômage partiel. Le second, la FRR, était l'instrument pour distribuer le plan de relance européen NextGenerationEU. Fin 2024, l'enveloppe totale de la FRR était de 650 milliards d'euros, dont 291 milliards d'euros de prêts : c'est cette dernière enveloppe qui nous intéresse et qui explique une grande partie de la progression attendue des engagements extrabudgétaires d'ici à la fin du CFP.
Le reste de la hausse est expliqué par un nouveau programme, le programme SAFE, créé en 2025 pour financer des achats de défense en commun au sein de l'Union européenne. Le montant de ce programme s'élève à 150 milliards d'euros et sera décaissé jusqu'en 2030.
Jusqu'à maintenant, la France n'a jamais eu recours à ce type d'instrument, la dette française étant meilleur marché : ce n'est hélas plus le cas, et la France devrait recourir aux prêts permis par le programme SAFE à hauteur de 16 milliards d'euros.
La forte croissance de ces prêts n'est pas sans risque pour la France, en tant qu'emprunteur et en tant que prêteur.
En tant qu'emprunteur, il s'agit de ne pas céder aux sirènes de taux légèrement plus intéressants. Les dépenses engagées doivent avant tout être nécessaires. Or ces grands programmes de prêts sont conçus en temps de crise, dans des délais contraints ; à titre d'exemple, la Cour des comptes européenne a questionné l'efficacité des dépenses financées grâce à la FRR lors d'une évaluation menée à ce sujet.
Mais les conséquences principales affecteraient l'État prêteur. Comme nous l'avons vu, ces prêts sont garantis par la marge de manoeuvre et, à ce titre, sont principalement garantis par les États membres. La France est donc particulièrement exposée en tant que deuxième contributeur net au budget de l'Union.
Or je constate que cette exposition est concentrée, trois pays - l'Italie, l'Espagne et la Pologne - affichant une dette envers l'Union européenne de plus de 80 milliards d'euros. Ces instruments peuvent représenter des proportions importantes, supérieures à 10% du PIB pour sept États membres, principalement des pays d'Europe de l'Est souhaitant recourir au dispositif SAFE - la Lettonie, la Lituanie, la Roumanie, la Pologne, et la Hongrie.
L'administration de Bercy s'est de nouveau montrée rassurante dans nos échanges, mettant en avant le risque limité de défaut à court terme pour les États membres. Si les analyses de la Commission européenne qu'elle nous a communiquées confirment cette appréciation, ces mêmes analyses pointent un risque élevé sur les finances publiques de ces États à moyen terme.
Qu'en est-il de la gestion de ces risques ? J'ai pu constater dans le cadre de ce contrôle que la Commission produisait une documentation régulière et relativement bien fournie, ponctuée chaque année d'une analyse sur la viabilité de la couverture assurée par les provisions et par la marge de manoeuvre. Bercy juge ces tests globalement crédibles, à une exception près, celle de l'horizon de ces tests, qu'il conviendrait d'étendre.
Enfin, j'ai pu constater que les services de Bercy ne produisaient aucune analyse propre sur ce risque et se reposaient sur les travaux de la Commission européenne. Or cette dernière a pour mission de protéger avant tout les intérêts de l'Union et se soucie moins du niveau de la contribution française. Pour remédier à cette insuffisance, comme à d'autres, ce rapport présente huit recommandations.
M. Claude Raynal, président. - Merci, monsieur le rapporteur spécial, pour ce rapport complet et, il faut bien le reconnaître, extrêmement technique.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Il est vrai que ce sont des sujets très techniques ; le Sénat doit veiller à rendre compréhensibles les caractéristiques de ces dispositifs.
La semaine dernière, Florence Blatrix Contat et moi-même participions à la conférence interparlementaire qui se tenait au Danemark. Nous avons constaté une demande quasi unanime d'un effort de consolidation européenne en faveur de la défense. Les Danois nous ont également expliqué qu'ils aidaient directement l'Ukraine en participant à son effort de défense. Ils considèrent que leur aide est ainsi plus ciblée et plus efficace ; nous devons être attentifs à cet arbitrage.
Le fonctionnement de l'Union européenne - je pense notamment aux présidences semestrielles - est naturellement complexe. Les parlements nationaux courent toujours le risque d'être en porte-à-faux ou de ne pas disposer du bon niveau d'information. Toute amélioration dans la connaissance et le contrôle de ces mécanismes permettra de mieux comprendre les enjeux.
Mme Florence Blatrix Contat. - Je partage le constat de notre rapporteur spécial : les engagements extrabudgétaires de l'Union européenne ont augmenté ; il faut donc renforcer le contrôle et améliorer la transparence.
La question de la compétitivité de l'Union européenne et de l'achèvement du marché unique nous est rappelée lors de chaque conférence interparlementaire. Dans ce cadre, les pays auront besoin d'investir massivement, notamment dans la transition écologique. Vous faites le constat que le coût de la dette européenne, des emprunts européens pour le compte des États membres, est aujourd'hui compétitif, ce qui est vrai pour la France, vu notre situation actuelle.
Je m'interroge sur la recommandation no 3, qui vise à limiter le recours aux prêts octroyés par l'Union européenne aux seules situations de crise où l'apport européen est manifeste. Il serait dommage pour la France de se priver du recours à de tels prêts pour financer des actions en faveur de la compétitivité, de la transition écologique et des grands objectifs que nous nous fixons. Dans le futur cadre financier pluriannuel, Ursula von der Leyen a proposé un nouvel emprunt de 400 milliards d'euros ; il serait donc dommage que la France, a priori, se prive de ces possibilités.
Mme Sylvie Vermeillet. - Je souscris à la remarque qui vient d'être formulée sur la réalité des fonds propres de l'Union européenne.
Comment seront remboursés tous ces prêts ? Existe-t-il des échéanciers ? Comment fonctionnent les différés de remboursement ? J'avoue ne rien comprendre à ces différents plans, alors que la France doit rembourser les emprunts liés au plan de relance dès 2028. Je n'ai jamais eu accès à un échéancier pays par pays.
M. Jean-François Rapin. - Je ne m'opposerai pas aux propos de Florence Blatrix Contat ; je souhaite simplement les modérer. Concernant l'architecture du prochain cadre financier pluriannuel, toutes les analyses montrent que le remboursement des prêts consentis par le programme NextGenerationEU plombera progressivement le budget de l'Union. On annonce un budget à 2 000 milliards d'euros, ce qui donne l'impression d'une augmentation considérable, mais il s'agit d'euros courants, et non d'euros constants. Autrement dit, on ne prend pas en compte les éléments inflationnistes importants qui ont bouleversé l'architecture budgétaire.
Je suis donc très attentif au nouveau CFP - je sais que les deux rapporteurs de la commission des affaires européennes du Sénat sur ces questions sont aussi vigilants. Je ne souhaite pas que l'on replonge dans de nouveaux emprunts sans disposer de davantage de visibilité - même si ceux-ci serviraient à financer des objectifs que nous partageons tous, comme l'amélioration de la compétitivité de l'Union. Je le répète : le remboursement des 750 milliards d'euros, sans ressources propres, est une catastrophe pour les budgets à venir. Toutes les politiques nouvelles visant à gérer l'urgence, notamment géopolitique, avec le réarmement, ne peuvent pas être financées, car nous sommes à l'os ! Voilà la légère différence que j'introduis par rapport aux propos de Florence Blatrix Contat, dont je connais la vigilance sur le sujet.
M. Marc Laménie. - Les montants des dispositifs d'assistance aux États membres augmentent fortement. La crise sanitaire est souvent l'explication avancée, mais on prévoit aussi une forte progression entre 2024 et l'échéance de 2027. Peut-on mettre un terme à cette progression ?
Mme Christine Lavarde. - Une fois n'est pas coutume, je ne suis pas d'accord avec Florence Blatrix Contat. Il est très difficile d'assurer la viabilité du cadre financier 2021-2027. Les charges d'intérêt de l'emprunt NextGenerationEU ont considérablement augmenté par rapport à ce qui avait été envisagé au moment où les 750 milliards d'euros ont été levés. Nous devons donc commencer à rembourser les premiers intérêts, et cela n'est pas prévu dans le budget de l'Union. Par conséquent, on rabote, on essaie de trouver des solutions, mais comme aucun État membre ne veut contribuer davantage, il faut revenir sur des politiques qui avaient été définies au début du cadre.
Je souhaite également tirer la sonnette d'alarme pour la suite. Aujourd'hui, les journaux mettent en avant le dynamisme de l'économie italienne, mais celui-ci s'explique par l'argent qui provient de l'emprunt européen. Qu'adviendra-t-il de l'Italie quand elle devra commencer à rembourser ces emprunts ? La situation sera peut-être un peu différente.
Finalement, emprunter revient à reporter les difficultés à plus tard. Nous sommes confrontés au même problème avec notre dette. Ce rapport complète utilement les travaux que nous menons à la commission des affaires européennes.
M. Jean-Marie Mizzon, rapporteur spécial. - Madame Vermeillet, il n'y a jamais eu de défauts de paiement à ce jour sur les prêts accordés par l'UE couvert par la marge de manoeuvre et le système mis en place n'a jamais été pris en défaut. Cela dit, le passé ne permet pas de prédire l'avenir.
Madame Blatrix Contat, la qualité des projets éligibles est la première source de vigilance. L'expérience montre que les systèmes montés dans la précipitation ne sont pas toujours très performants. Il est donc préférable que le gouvernement fasse preuve de vigilance avant de se tourner vers des prêts proposés par l'Union européenne pour financer des actions dont l'efficacité et l'efficience peuvent être contestées. Sans compter que l'échelon européen ajoute un niveau supplémentaire de complexité au contrôle parlementaire.
Président Rapin, vous évoquiez le plan NextGenerationEU dans son ensemble et la nécessité de nouvelles ressources propres. Afin d'être parfaitement clair pour nos collègues non-spécialistes, le plan de relance européen dispose d'un volet prêts et d'un volet subventions. Le contrôle s'intéressait au volet prêts et au remboursement attendu des États. Mais le plan de relance comporte également un volet subventions, dont le remboursement est plus incertain, reposant sur l'adoption de nouvelles ressources propres. Les premiers remboursements doivent intervenir en 2028. Nous verrons comment la Commission, le Conseil et le Parlement tomberont d'accord.
Monsieur Laménie, ce sont des choix politiques qui mettront un terme à ce système. Nous savons d'ores et déjà que les montants des dispositifs d'assistance aux États membres augmenteront jusqu'en 2027. Pour la suite, la réponse est entre les mains des institutions européennes.
Madame Lavarde, vous avez raison : le succès économique actuel de l'Italie repose sur des raisons conjoncturelles. J'espère toutefois qu'à l'avenir, celles-ci deviendront structurelles.
Mme Florence Blatrix Contat. - Je reviens sur la recommandation no 3. J'ai bien entendu votre réponse sur la qualité des projets éligibles ; toutefois, celle-ci ne me convainc pas : en période de crise, certains projets peuvent être moins qualitatifs que ceux portant sur de grands objectifs.
Si cette recommandation était adoptée, la France se priverait d'une possibilité intéressante. Je m'abstiendrai donc sur ce point.
M. Claude Raynal, président. - Je m'abstiendrai également.
La commission adopte les recommandations du rapporteur spécial et autorise la publication de sa communication sous la forme d'un rapport d'information.
Conférence interparlementaire prévue à l'article 13 du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) au sein de l'Union économique et monétaire des 29 et 30 septembre 2025 à Billund - Compte-rendu
M. Claude Raynal, président. - Nous poursuivons avec le compte rendu de la conférence interparlementaire prévue à l'article 13 du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l'Union économique et monétaire (TSCG).
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Comme de coutume, une délégation de la commission des finances s'est rendue, les 29 et 30 septembre, à la conférence interparlementaire semestrielle, plus communément appelée « conférence de l'article 13 » du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) au sein de l'Union économique et monétaire (UEM).
Ces conférences se tiennent deux fois par an et permettent aux parlements nationaux d'exercer un contrôle sur l'application des règles de gouvernance budgétaire et financière de l'Union européenne. Elles réunissent des délégations de parlementaires issus des parlements nationaux et du Parlement européen ainsi que des représentants des institutions européennes et des experts extérieurs.
La conférence se tenait cette année dans la charmante commune de Billund au Danemark, mise à l'honneur en tant que siège du groupe Lego, multinationale européenne à succès. La délégation sénatoriale se composait de moi-même et de Florence Blatrix Contat, membre de la commission des finances et de la commission des affaires européennes. L'Assemblée nationale était représentée par Liliana Tanguy, députée Renaissance du Finistère, et de Sylvie Josserand pour le Rassemblement national.
La présidence danoise avait notamment choisi de traiter du défi sécuritaire à notre frontière orientale, dont l'évidence s'imposait à tous alors que le trafic aérien était fortement perturbé par l'intrusion de drones sur le territoire danois. La conférence s'est intéressée plus généralement à la réponse économique et budgétaire à adopter pour soutenir l'effort de défense.
La conférence était constituée de trois tables rondes. La première portait sur un sujet cher aux institutions européennes, la recherche d'une plus grande compétitivité sur le continent. Le rapport Draghi, remis l'an dernier à la Commission, livre un diagnostic détaillé, qui fait consensus, et formule les principaux défis : l'identification de nouveaux moteurs pour la croissance, la décarbonation de l'énergie à un prix compétitif et l'adaptation à la nouvelle instabilité géopolitique. Pourtant, à ce jour, seuls 11 % des recommandations du rapport ont été mises en oeuvre.
Dans son intervention lors de la première table ronde, Florence Blatrix Contat a insisté sur la nécessité d'actionner tous les leviers disponibles pour financer les 750 à 800 milliards euros d'investissements par an nécessaires pour que l'économie européenne puisse tenir son rang.
Dans une intervention très dynamique, l'économiste Philippe Aghion a plaidé pour un recours accru à des coalitions d'États volontaires, afin de monter et de financer plus rapidement des projets capables de stimuler l'innovation.
J'ai ensuite trouvé que la table ronde se déroulait suivant des lignes politiques classiques, les parlementaires de droite insistant sur la nécessité de simplifier un certain nombre de normes européennes, lorsque les parlementaires de gauche rappelaient que le rapport Draghi prônait aussi le maintien du modèle social européen et de la transition écologique, facteurs d'attractivité et de durabilité de la croissance.
La deuxième table ronde traitait de la question de la défense. Les dépenses de défense des États membres de l'Union ont augmenté de plus de 37 % depuis 2021. Cette croissance devrait se poursuivre dans les prochaines années avec l'objectif « otanien » d'atteindre 5 % du PIB. Dès 2024, les dépenses de défense des États membres ont atteint 343 milliards d'euros, contre 107 milliards d'euros pour la Russie. Toutefois, pour l'économiste Guntram Wolff de l'institut Bruegel, présent à la conférence, l'enjeu n'est pas tant de dépenser plus que de dépenser mieux. La défense européenne est trop fragmentée et souffre de la multiplication des standards : à titre d'exemple, l'Union européenne dispose de 17 types de chars d'assaut quand les États-Unis n'en ont qu'un. Wolff défend donc la création d'un marché commun de la défense, avec des achats communs de matériel militaire pour accroître le pouvoir de marché des États et favoriser les économies d'échelle.
Reste la question du financement et de la solidarité entre États de l'Union. Les pays de l'Est ont rappelé que, s'ils supportent des coûts supérieurs pour sécuriser la frontière orientale de l'Union européenne, cette sécurité profite à l'ensemble du continent, y compris aux pays de l'Ouest. Ils ont aussi souligné le fait que les dépenses engagées bénéficient majoritairement aux industriels de l'armement des grands pays occidentaux.
La dernière table ronde a traité plus généralement de l'adaptation des règles de gouvernance économique de l'Union aux nouvelles dépenses attendues pour défendre le continent européen.
Dans mon intervention, j'ai indiqué que les échanges engagés avec la Commission européenne depuis l'ouverture d'une procédure pour déficit excessif en 2024 étaient utiles pour éviter une dégradation encore plus forte de la situation budgétaire française. Mais j'ai aussi mis en garde contre une lecture trop rigoriste, contre-productive de ces règles budgétaires.
Cet équilibre à trouver était au coeur des différentes prises de parole. Les parlementaires danois ont présenté les investissements récents réalisés par leur pays dans des missiles et drones européens. Ils ont aussi insisté sur le fait que, pour financer ces efforts, le Danemark a récemment renoncé à un jour férié et, surtout, mené des réformes structurelles, comme l'indexation des retraites sur l'espérance de vie. Ainsi, d'ici à 2040, l'âge légal de départ à la retraite au Danemark sera porté à 70 ans. Cela laisse songeur...
À gauche de l'échiquier politique, de nombreux parlementaires ont appelé à ne pas opposer les dépenses de défense aux dépenses sociales et environnementales.
Plus malicieusement, sur la question du respect des règles budgétaires, un parlementaire autrichien a noté que l'un des effets de l'exemplarité budgétaire allemande était un niveau globalement catastrophique des infrastructures dans ce pays.
En conclusion, le représentant de la Commission européenne a noté que les nouvelles règles budgétaires adoptées en 2024 permettaient désormais d'avoir une lecture plus fine de la situation macroéconomique de chaque État. Il a aussi noté que le plus dur était à venir et qu'il appartenait maintenant aux États de mettre en oeuvre les réformes importantes auxquelles ils se sont engagés dans leurs plans budgétaires et structurels de moyen terme (PSMT).
La prochaine conférence aura lieu au printemps à Bruxelles, dans le cadre de la présidence chypriote du Conseil.
Mme Florence Blatrix Contat. - Je souscris aux propos du rapporteur général. Comme élément de contexte supplémentaire, j'ajouterais qu'un graphique présentant le respect des règles budgétaires européennes pour la période 1998-2024 a été présenté lors de la conférence : la France a décroché le bonnet d'âne avec le taux de conformité le plus faible, une information qui n'a pas manqué de faire réagir dans la salle.
La réunion est close à 11 h 30.