Mardi 7 octobre 2025
- Présidence de M. Alain Milon, président -
La réunion est ouverte à 14 h 05.
Communautés professionnelles territoriales de santé - Examen du rapport d'information
M. Alain Milon, président. - Nous nous réunissons aujourd'hui pour examiner le projet de rapport de la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (Mecss) sur les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), travail de contrôle confié le 5 janvier dernier à Corinne Imbert, rapporteure de la commission des affaires sociales pour l'assurance maladie, et à Bernard Jomier.
Comme vous le savez, depuis cette année, la Mecss examine ses rapports avant que ceux-ci ne soient formellement adoptés par la commission des affaires sociales.
Mme Corinne Imbert, rapporteure. - Créées par la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé, les communautés professionnelles territoriales de santé ont été, dès l'origine, conçues comme un outil souple de coordination des soins ambulatoires, sur l'initiative des professionnels de santé. Notre commission a plusieurs fois réaffirmé son attachement à cet équilibre ces dernières années.
Un accord conventionnel interprofessionnel (ACI) conclu en 2019 par l'assurance maladie et les syndicats de professionnels de santé a fixé, pour cinq ans, les conditions d'accompagnement et de financement des CPTS autour de six missions de service public, également consacrées par la loi : l'amélioration de l'accès aux soins ; le développement d'actions de prévention ; l'organisation des parcours de soins ; la participation à la réponse aux crises sanitaires ; le développement de la qualité et de la pertinence des soins ; enfin, l'accompagnement des professionnels sur le territoire. Les quatre premières missions doivent obligatoirement être mises en oeuvre, tandis que les deux autres sont optionnelles.
Fortement encouragé par les pouvoirs publics, le déploiement des CPTS a été rapide ces dernières années : leur nombre est passé d'une vingtaine en 2018 à plus de 800 en mai 2025. Elles couvrent désormais une grande partie du territoire national et 82 % de la population. Toutefois, contrairement à l'objectif fixé par le Président de la République et le Gouvernement, l'ensemble du territoire national n'est pas encore couvert et 5,4 millions de Français résideraient encore dans des « zones blanches » sans CPTS.
En regroupant les professionnels volontaires sur un territoire, les CPTS permettent d'apporter des réponses coordonnées aux besoins de santé. Les acteurs que nous avons entendus ont, très majoritairement, souligné l'apport des CPTS en matière d'accès aux soins, d'organisation des parcours et de prévention. Elles mettent fréquemment en oeuvre des actions visant à orienter les patients sans médecin traitant vers une offre existante, et contribuent au développement des protocoles de coopération. Les CPTS permettent également aux pouvoirs publics de disposer localement d'interlocuteurs susceptibles de faciliter la mise en oeuvre des politiques de santé, en particulier en ville.
Mais, en réalité, l'action des CPTS n'a jamais été précisément mesurée au niveau national. Par ailleurs, la variabilité de l'implication des professionnels de santé dans leur CPTS est fréquemment soulignée. À ce titre, nous regrettons le manque de données relatives à l'adhésion des professionnels de santé, alors que cet indicateur apparaît particulièrement pertinent pour mesurer l'implantation réelle de ces structures dans les territoires et garantir leur crédibilité. De nombreux professionnels ont, en pratique, du mal à s'approprier cet outil, parfois jugé trop administré ou peu lisible. Dans ce contexte, le risque d'un déploiement « à marche forcée », qui aboutirait à la création de coquilles vides, est réel. C'est paradoxal, au regard de la liberté d'initiative que le législateur a souhaité laisser aux professionnels en 2016, en substituant les CPTS à un projet gouvernemental qui ne répondait qu'à une logique descendante et laissait trop la main aux agences régionales de santé (ARS).
Venons-en à la question des modalités de financement des CPTS. Ces dernières reçoivent deux types de financements conventionnels, dont le montant est fonction du nombre d'habitants couverts : un financement pour le fonctionnement, attribué avant le démarrage des missions et permettant d'assurer le fonctionnement de la CPTS de manière pérenne, et un financement pour chaque mission engagée, composé d'une part fixe et d'une part variable calculée selon l'atteinte des objectifs fixés dans le contrat.
Les ARS apportent également un soutien financier aux CPTS, via les crédits du fonds d'intervention régional (FIR), particulièrement en phase de lancement.
Enfin, des fonds conventionnels de l'assurance maladie ont pu être versés, sous certaines conditions, avant la signature de l'ACI.
Alors que les montants versés sont importants, le pilotage et le contrôle des fonds paraissent gravement insuffisants.
Dans le cadre de l'ACI, 105,8 millions et 121 millions d'euros ont été versés respectivement en 2022 et 2023 aux CPTS. Au regard des sommes en jeu, nous ne pouvons que regretter la faible connaissance des financements attribués aux CPTS. Ainsi, six ans après la signature de l'ACI, aucun outil de pilotage de la dépense qui nous permettrait de disposer des données consolidées par mission n'est disponible à l'échelle nationale.
Concernant les financements issus des ARS, le ministère nous a également confirmé qu'il n'existait pas de vision agrégée au niveau national sur ce qui a été versé.
Nous demandons, en conséquence, que soient mis en place urgemment des outils de pilotage de la dépense et d'analyse des financements alloués aux CPTS à l'échelle nationale.
En l'absence d'un tel outil, nous avons interrogé 17 caisses primaires d'assurance maladie (CPAM) afin d'obtenir des grilles d'évaluation et des précisions sur le déroulement du dialogue de gestion. Ce dernier constitue le principal outil de suivi de l'activité des CPTS, permettant d'évaluer leurs actions et d'adapter les financements.
Or, au regard des documents obtenus, nous ne pouvons que constater les limites de cet exercice. Trop souvent, les indicateurs retenus et les justificatifs demandés dans le cadre du dialogue de gestion apparaissent lacunaires. Ainsi, une simple mention d'une réunion dans le rapport d'activité suffit parfois à attester de sa tenue et à déclencher un financement. Certaines CPTS refusent aussi de transmettre la liste de leurs adhérents, au nom du respect de la protection des données personnelles, ou transmettent des pièces justificatives la veille du dialogue de gestion, voire après sa tenue.
En réalité, l'efficacité de cet exercice dépend avant tout de la qualité du dialogue entre les financeurs et les CPTS, comme nous avons pu le constater lors de notre déplacement dans l'Allier.
Au regard de cette première analyse, il nous est apparu impératif de renforcer le contrôle financier des CPTS et de favoriser leur contribution effective à la coordination des soins.
L'adéquation entre les financements alloués et la réalité de l'action des CPTS doit être améliorée afin d'assurer l'efficacité de la dépense publique.
En effet, il existe une réelle dichotomie entre enveloppes théoriques et dépenses réellement engagées. Ainsi, la mission « crise sanitaire », dont le principal objectif consiste en la création, puis l'actualisation d'un plan de gestion de crise, semble largement surfinancée, quand d'autres, comme la mission « prévention », paraissent sous-estimées. Nous appelons à la mise en place d'un cadre national autorisant la fongibilité des enveloppes entre chaque mission. Aujourd'hui, si celle-ci n'est pas explicitement autorisée, elle est pratiquée de fait par les CPTS. Ainsi, 82,4 % des CPTS interrogées par la Fédération des communautés professionnelles territoriales de santé (FCPTS) déclarent y avoir recours.
Par ailleurs, l'existence de crédits de fonctionnement, alloués dès la naissance de la CPTS, puis pendant toute la durée du contrat, interroge. Il existe un risque que cette rémunération au titre du fonctionnement fasse double emploi avec la part fixe des financements des missions.
C'est pourquoi nous estimons que la négociation du prochain ACI, prévue par l'assurance maladie pour 2026, doit être l'occasion de mesurer les dépenses effectives des CPTS sur chacune des six missions et de revoir, à la lumière de ces données, le périmètre et les modalités de financement de ces missions.
Enfin, une discussion doit être engagée entre les financeurs et les organisations représentatives pour augmenter la part variable du financement des CPTS, fondée sur l'atteinte d'objectifs.
M. Bernard Jomier, rapporteur. - Le rapport comporte également des propositions destinées à améliorer l'efficacité du dialogue de gestion, sur l'ensemble du territoire national.
L'utilisation d'outils de gestion performants et de plateformes interopérables doit être favorisée, afin de simplifier la transmission des données et des pièces justificatives. Les contributions que nous avons reçues font état de difficultés dans la collecte des données et la rédaction des rapports d'activité, notamment pour les plus petites CPTS, souvent peu dotées en personnels administratifs.
Les indicateurs retenus doivent être soigneusement sélectionnés : nous recommandons de privilégier les indicateurs de résultats adaptés aux spécificités des territoires et au niveau de maturité des CPTS, qui permettent de mesurer réellement l'impact de leur action. Les professionnels sont parfois réticents à la fixation d'indicateurs quantitatifs, qui ne peuvent refléter pleinement la complexité des situations sur le terrain et la qualité des actions mises en oeuvre. En effet, les CPTS ne disposent pas toujours d'une maîtrise suffisante des déterminants permettant d'atteindre des objectifs de résultats, tels que l'amélioration des taux de dépistage ou des conditions d'accès à des professionnels de santé extérieurs à la CPTS. Les régulateurs eux-mêmes ne disposent pas toujours de la capacité d'isoler l'effet de l'action de la CPTS sur l'évolution observée de ces indicateurs.
Il apparaît également indispensable de renforcer le contrôle financier des CPTS, aujourd'hui très insuffisant malgré le versement de montants importants d'argent public.
Tout d'abord, les dépenses et la gestion des CPTS devraient être davantage contrôlées. L'ACI laisse une très grande liberté aux CPTS dans l'utilisation des fonds qui leur sont octroyés, et le risque de mésusage de ces fonds publics a régulièrement été évoqué lors des auditions que nous avons conduites. Les réponses que nous avons reçues dans le cadre de notre enquête révèlent que de nombreuses CPAM se sentent démunies, l'une d'entre elles nous ayant même explicitement indiqué n'avoir « aucune légitimité », en l'état actuel des textes, « à questionner la CPTS sur l'utilisation des deniers publics » qui lui sont versés.
Plusieurs exemples de dépenses litigieuses nous ont ainsi été rapportés, qui menacent d'altérer la confiance des acteurs dans le dispositif. Ainsi, certaines CPTS organisent des activités culturelles et sportives à destination de leurs membres, telles que des cours mensuels de yoga, des sorties en voile ou des « soirées théâtre ». Des dépenses destinées à la convivialité et à la consolidation d'équipe, par exemple l'organisation de galas, ont également été rapportées. Par ailleurs, certaines CPTS thésauriseraient une partie des fonds qui leur ont été octroyés, demeurés inutilisés dans le cadre des actions conduites. Une ARS et une CPAM ont également évoqué l'utilisation des fonds de l'assurance maladie pour réaliser des investissements immobiliers.
De plus, nous avons observé que le niveau d'information dont disposent les régulateurs sur les dépenses engagées par les CPTS varie beaucoup d'un territoire à l'autre. Une CPAM rapporte, par exemple, que l'une des CPTS de son territoire lui adresse son rapport d'activité « amputé de la partie financière », quand d'autres indiquent, au contraire, demander et obtenir systématiquement, dans le cadre du dialogue de gestion, le bilan comptable et le compte de résultat de la CPTS.
En conséquence, il est recommandé dans le rapport d'imposer la transmission à l'ARS et à la CPAM des documents budgétaires et comptables nécessaires au contrôle de l'utilisation des fonds publics accordés aux CPTS. Les sommes en jeu nous paraissent justifier, dans le contexte budgétaire actuel, un tel renforcement des contrôles.
Parallèlement, un encadrement strict, au niveau national, de la gestion financière des CPTS est nécessaire. La ligne de crête entre le renforcement du contrôle de la dépense publique et le risque de suradministration est difficile à tenir. Nous croyons toutefois possible d'encadrer davantage les choses sans décourager les professionnels de s'engager ni étouffer les initiatives locales.
Ces nouvelles règles pourraient viser, notamment, à interdire ou à encadrer certaines dépenses. De nombreuses CPAM interrogées suggèrent également de fixer une masse salariale maximale en fonction de la taille de la CPTS ou, à tout le moins, une grille de rémunération des postes clés des CPTS, notamment ceux de directeur et de coordonnateur. Aujourd'hui, seules les indemnités et rémunérations versées aux professionnels de santé sont plafonnées par décret.
Ce cadrage renforcé des dépenses pourrait être élaboré avec les professionnels de santé, l'année prochaine, dans le cadre de la négociation du prochain ACI. Ainsi, l'on pourrait envisager des règles claires tendant à interdire certaines pratiques, ou encore à prévoir des mécanismes de récupération des indus et des sanctions financières visant les personnes responsables des dépenses litigieuses. Un cadre national contribuera à éclairer les CPTS sur leurs marges de manoeuvre et les protégera d'éventuelles interprétations divergentes entre régulateurs locaux.
À côté du financement conventionnel et des cotisations versées par les adhérents, les CPTS disposent parfois de sources de financement secondaires très diversifiées. En effet, l'ACI ne leur interdit pas de bénéficier de financements complémentaires, versés par des personnes publiques ou privées. Figurent notamment parmi ces financeurs les collectivités territoriales, les unions régionales des professionnels de santé (URPS), mais aussi des acteurs privés comme des associations ou des laboratoires pharmaceutiques.
Ces financements demeurent aujourd'hui largement méconnus de l'assurance maladie et de l'État, qui ne disposent, là encore, d'aucune donnée consolidée ni d'aucun outil de suivi.
En conséquence, nous nous prononçons pour la mise en place, dans le cadre du nouvel ACI, d'un contrôle des sources de financement des CPTS, mené à l'aide des documents budgétaires et comptables que les structures devront désormais transmettre à leurs financeurs.
Certains financements secondaires observés induisent, en outre, des risques spécifiques. Ainsi des fonds versés par des laboratoires pharmaceutiques en contrepartie de formations : l'assurance maladie reconnaît l'existence, dans ce type d'accord, d'un risque de financiarisation des CPTS.
C'est pourquoi nous jugeons souhaitable que, dans la perspective de la négociation du nouvel ACI, une réflexion soit engagée avec les professionnels de santé sur l'opportunité d'encadrer davantage le financement des CPTS par des entreprises et, singulièrement, par des laboratoires pharmaceutiques.
Vous l'aurez compris, mes chers collègues, nous avons une préoccupation commune : continuer de faire des CPTS des structures souples de coordination, à la main des professionnels de santé qui souhaitent s'y engager. Nous croyons nécessaire que l'assurance maladie continue de financer ces structures, utiles à notre système de santé. Nous jugeons également indispensable que les professionnels impliqués disposent d'une réelle marge de manoeuvre pour répondre, dans le cadre de leur responsabilité populationnelle, aux besoins de santé qu'ils identifient.
Toutefois, nous ne souhaitons pas que la crédibilité des CPTS puisse être entamée par une mauvaise utilisation des fonds publics qui leur sont versés. Sans tomber dans la suradministration ni le soupçon généralisé, nous croyons nécessaire de renforcer le dialogue de gestion destiné à suivre l'action de ces structures et d'améliorer les contrôles financiers.
En d'autres termes, nous souhaitons mieux contrôler les CPTS sans décourager les professionnels.
Mme Annie Le Houerou. - Je suis satisfaite de la conclusion de Bernard Jomier : il ne faudrait pas jeter le bébé avec l'eau du bain ! Je suis sidérée de certaines pratiques observées, comme des cours de yoga ou des soirées conviviales... Dans mon département des Côtes-d'Armor, les CPTS fonctionnent véritablement : nous sommes dans un territoire plutôt en déficit de professionnels de santé ; ceux-ci donnent beaucoup de leur temps, souvent bénévolement, pour que ces outils de coordination apportent un réel service à la population.
Il est évidemment nécessaire de sanctionner les fraudeurs et ceux qui détournent l'argent public, mais j'espère que cela ne concerne pas la majeure partie des CPTS. Dans mon département, ni moi ni les membres de ces CPTS ne pourraient imaginer de telles dérives. Il convient donc de ne pas se focaliser sur ces situations, sauf à ce qu'elles soient réellement très fréquentes.
Le dernier point que je souhaite souligner est le contrôle des sources de financement. Dès lors que des industries pharmaceutiques ou d'autres financeurs non publics interviennent, cela limite la possibilité de contrôle des deniers publics. Ce n'est pas l'objectif : les CPTS doivent rester centrées sur leur rôle de coordination et sur les missions qui leur sont dévolues, notamment la prévention, un domaine où il reste beaucoup à faire. Dans mon département, la question de la prévention repose largement sur le travail réalisé par ces CPTS.
Mme Cathy Apourceau-Poly. - Je remercie nos deux collègues pour ce rapport, qui est fort intéressant. Les CPTS, comme les conseils territoriaux de santé (CTS) auxquels nous participons régulièrement, avaient à l'origine pour objet de faciliter l'accès à un médecin traitant et d'améliorer les parcours de soins. La première question à se poser est de savoir si, depuis leur création, les CPTS ont effectivement rempli la mission pour laquelle elles ont été créées.
Mon département, le Pas-de-Calais, compte plusieurs CPTS, dont le fonctionnement n'est pas toujours optimal et où l'on relève parfois des pratiques discutables. Les CPTS et les CTS sont complètement méconnus du public. Nous n'avons pas réussi à vulgariser leur rôle ni à faire en sorte que les habitants s'approprient ces structures. Même si leur objectif premier est de faire travailler les professionnels ensemble, il serait utile d'informer le public sur les services proposés, surtout dans un contexte où de nombreux habitants n'ont plus de médecin traitant. Ce dernier point constitue une vraie difficulté dans mon département, comme dans beaucoup d'autres, même si cela ne peut être imputé aux CPTS ou aux CTS.
Mon principal souci, comme nous l'évoquons souvent à la commission des affaires sociales et à la Mecss, concerne l'utilisation de l'argent public. Nous finançons de nombreuses structures, mais presque aucun rapport ne vient jamais évaluer les actions qu'elles mènent. Il est pourtant nécessaire de mesurer concrètement ce que ces politiques apportent aux professionnels et aux populations. Ces dispositifs continuent d'être financés alors même que l'argent public se raréfie, mais nous n'avons presque jamais de suivi ni de bilan.
Corinne Imbert et Bernard Jomier l'ont justement souligné dans leur rapport : il est essentiel de regarder à quoi sert l'argent et comment il est employé, et de disposer d'une évaluation réelle de ces politiques.
Mme Florence Lassarade. - Je remercie également les deux rapporteurs pour leur travail. Au démarrage des CPTS, j'étais extrêmement sceptique, en particulier en raison de la faible adhésion du milieu médical. Néanmoins, ces structures se sont rapidement développées sur l'ensemble du territoire, bien que de manière hétérogène dans leur fonctionnement. Elles comptent de nombreux professionnels paramédicaux et, proportionnellement, moins de médecins, mais à l'origine, elles servaient au moins de carnet d'adresses, permettant à chaque praticien nouvellement arrivé dans un secteur de disposer d'un correspondant.
Plusieurs aspects me préoccupent, et cela ne se limite pas aux CPTS. Dans notre pays, quels que soient les rapports demandés, il est difficile d'obtenir des chiffres. Même pour des sujets comme les maternités, les informations manquent. Est-ce par souci d'éviter toute intrusion dans la vie privée, ou parce que l'on ne veut rien savoir du fonctionnement de nos structures ?
Lors d'un déplacement à Londres avec l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst), consacré à la bioéthique et au génome, j'ai constaté que, malgré certaines limites du système de santé anglais, les autorités disposent d'un goût de l'évaluation et de données exploitables. En comparaison, le fonctionnement des CPTS diffère fortement selon les territoires. Par exemple, une infirmière m'expliquait qu'elle recevait 50 euros à chaque réunion de CPTS, ce qui l'étonnait. Dans certaines réunions de mon département, un moment convivial est prévu à la fin. Cela peut sembler normal, mais doit rester proportionné.
M. Alain Milon, président. - La loi du 26 janvier 2016, issue du projet de loi de Marisol Touraine, texte dont j'ai été rapporteur au Sénat, visait à regrouper les professionnels de santé libéraux pour coordonner leurs travaux à l'égard de la patientèle. Ce qui m'a toujours étonné dans les CPTS, et m'a conduit à demander un rapport à Corinne Imbert et Bernard Jomier, ce sont les sommes parfois considérables laissées dans ces organismes. Lors du regroupement, il a été demandé des locaux, des ordinateurs, un secrétariat, voire un directeur de site, ce qui n'était ni le but premier de la loi, ni l'intention de la ministre, ni celle du rapporteur. Ce rapport m'intéresse donc particulièrement, et il conviendra de lui donner des suites.
Mme Corinne Imbert, rapporteure. - Ce fut un grand plaisir de travailler avec Bernard Jomier sur ce rapport. Je faisais partie des élus ayant des soupçons ; je n'ai donc pas été surprise des propos qui nous ont été tenus. Certains professionnels sont engagés, et certaines CPTS fonctionnent très bien. J'ai donc été très intéressée de voir quels étaient à la fois les dysfonctionnements et les réussites des CPTS.
La loi de 2016 visait à apporter plus de coordination et d'ambition. Le législateur a retiré, dans la loi de 2019, les dispositions permettant à l'ARS de reprendre la main pour créer des CPTS quand les professionnels ne s'engagent pas. En réponse, la direction générale de l'offre de soins (DGOS) a développé à marche forcée des CPTS pour que toute la France soit couverte par ces structures. Cela a abouti à des coquilles vides et à des dysfonctionnements. Cette situation m'avait interpellée.
Ne nous y trompons pas, tout dépend des professionnels. Certains sont impliqués, d'autres moins, ou pas du tout... Un radiologue de mon département, dont le cabinet a plusieurs sites, est présent dans trois CPTS mais ne s'y implique pas, faute de temps. Son associé est en revanche très impliqué sur le dépistage du cancer du sein.
Les 17 CPAM que nous avons interrogées ont un avis très consensuel, mais rencontrent des difficultés à obtenir des chiffres. La demande d'évaluation me semble légitime.
L'hétérogénéité résulte inéluctablement d'un système aussi dépendant des professionnels, mais elle est aussi une conséquence de son déploiement à marche forcée, qui aboutit à des absurdités. Sans suradministrer ni être soupçonneux à tout va, j'estime qu'il faut que les choses soient claires pour que tout se passe bien dans l'intérêt des patients et des territoires et que l'esprit de la loi initiale soit conservé. Sinon, il en résulte des solutions chères en fonctionnement et pour lesquelles les acteurs refusent de rendre compte, ce qui n'est pas acceptable.
Mme Cathy Apourceau-Poly. - Très bien !
M. Bernard Jomier, rapporteur. - L'histoire des CPTS est très intéressante. Où place-t-on désormais l'argent pour améliorer la santé de nos concitoyens ? En créant les CPTS, la gauche voulait choisir une approche populationnelle, territoriale, avec des CPTS contrôlées par les ARS et les CPAM. La majorité sénatoriale plaidait quant à elle pour une approche plus souple, pour que les professionnels de santé aient davantage la main.
Le système mis en place responsabilise les acteurs de la santé avec un cadre : les quatre missions obligatoires et les deux missions facultatives. Les acteurs choisissent ce qui est important pour leur territoire et mènent des actions, avec un contrôle très lâche.
Désormais, nous sommes presque à front renversé. Lors des auditions, nous avons entendu certains acteurs qui sont, depuis toujours, opposés aux CPTS et qui estiment que les CPAM et les ARS doivent davantage les contrôler. Il n'est pas étonnant non plus que ces dernières souhaitent aussi contrôler davantage, car elles n'ont pas apprécié ce fonctionnement bottom up ; elles préfèrent la manière inverse, lorsque l'instance supérieure tient les verrous et dit aux médecins et infirmières que faire. Voilà le système des CPTS ; et évidemment, il y a des dérives...
Kant écrivait que la liberté n'existe pas sans l'apprentissage de la liberté. Il ajoutait que, quand on sort un enfant du trotteur, il tombe. Eh bien, on a donné à des professionnels, sur un territoire très précis, la liberté de s'organiser, et ils tâtonnent. Cela fonctionne dans certains endroits, mais dans d'autres non.
Comment encadrer ? Il ne faut pas accepter des dérives. Je n'ai aucun scrupule : il faut sanctionner si besoin est. Si vous avez utilisé l'argent pour une croisière avec champagne...
Mme Émilienne Poumirol. - C'est de la fraude !
M. Bernard Jomier, rapporteur. -... l'année suivante, cet argent sera repris sur le budget de rémunération des membres du bureau de la CPTS et non sur le budget des actions. « Tu casses, tu répares. » Et tu voles, tu rends l'argent. Ce n'est pas compliqué, mais il ne faut pas suradministrer. Nous devons faire attention et observer ce qui se passe : quelle orientation voulons-nous pour nos dépenses de santé ? Le système vertical descendant est-il l'idéal ?
J'en viens à l'interrogation de Florence Lassarade. Nous manquons de données pour évaluer les actions, car de nombreuses personnes n'ont pas intérêt à ce qu'on évalue leur action ou la destination de l'argent. Si l'on commence à le faire sérieusement, des rentes de situation disparaîtront. Vous avez raison : on n'évalue pas assez. Les CPTS doivent accepter qu'on évalue leur action, ni plus ni moins que les autres, j'y insiste. On doit leur demander des comptes sur leur utilisation de l'argent public comme on le fait pour tous les acteurs du soin qui reçoivent des financements publics. C'est la ligne que nous proposons dans ce rapport.
Mme Pascale Gruny. - Comme beaucoup d'autres, je ne connaissais pas très bien les CPTS. Sur le principe, je pense qu'elles sont un outil important, d'autant qu'elles sont créées par territoire. Les territoires sont différents les uns des autres, que ce soit dans les parcours de soin ou les effectifs de professionnels de santé.
Quelle est la rémunération ? Je ne savais pas qu'elle n'était pas enregistrée. Dans mon département de l'Aisne, on m'affirme que ce serait devenu une rente pour le médecin qui en a pris la charge, qui travaille peu à côté alors même que nous pleurons pour obtenir des médecins. Ce serait un détournement, avec des médecins qui font, in fine, de l'administration. Tel n'est pas le but des CPTS ! Cette indemnité est-elle importante ? Merci d'avoir réalisé cette étude, qui était nécessaire.
M. Alain Milon, président. - Le rapport sera mis aux voix lors d'une prochaine réunion de la commission des affaires sociales.
Mme Corinne Imbert, rapporteure. - Vous trouverez un tableau récapitulatif sur les rémunérations dans l'Essentiel, une fois le rapport adopté.
La rémunération et les indemnités perçues par professionnel ne peuvent excéder le plafond annuel de la sécurité sociale, fixé en 2025 à 47 100 euros. Les CPTS reçoivent des financements pour leur fonctionnement et leurs missions, en fonction du nombre d'habitants couverts. Il y a quatre tailles de CPTS. Les CPTS de taille 1 rassemblent moins de 40 000 habitants ; celles de taille 2, entre 40 000 et 80 000 habitants ; celles de taille 3, entre 80 000 et 175 000 habitants ; enfin, celles de taille 4, plus de 175 000 habitants.
Le financement du fonctionnement diffère de celui des missions. Les CPTS de taille 1 disposent de 50 000 euros pour leur fonctionnement, contre 90 000 euros pour les CPTS de taille 4.
Si l'on fait la somme du financement du fonctionnement et des missions, avec des parts fixes et des parts variables pour ces dernières, une petite CPTS de taille 1 reçoit au total 287 500 euros. Les plus grandes peuvent recevoir jusqu'à 580 000 euros par an, sans compter des financements extérieurs. Ceux-ci peuvent être apportés aux CPTS soit de la part de collectivités territoriales - par exemple un conseil départemental pour financer un médicobus - soit d'entreprises privées, et notamment de laboratoires pharmaceutiques... Nous ne connaissons pas ces financements non publics.
Mme Marie-Pierre Richer. - Un directeur de CPTS peut-il exercer à côté ?
M. Bernard Jomier, rapporteur. - Concrètement, il me semble que la situation posant le plus de problèmes est lorsqu'une CPTS n'a aucun médecin dans son bureau - sans vouloir faire de corporatisme. Auquel cas, un professionnel autre s'investit pleinement et tire un revenu de la CPTS. Nous avons des exemples de dérives, y compris en Île-de-France. Rien d'anormal, par contre, à avoir une grosse CPTS avec un coordonnateur ou un directeur qui assure la coordination et qui permet à de nombreuses actions de santé d'être menées. L'enjeu réside dans le dialogue de gestion avec la CPAM : on ne peut avoir de règle unique. C'est pour cela que nous demandons que soient précisés certains montants de rémunération, et que la CPAM dispose de tous les documents budgétaires et financiers.
J'ai l'exemple d'un médecin qui consacre un mi-temps à coordonner la CPTS pour 2 700 euros, ce qui complète son mi-temps d'activité clinique. Cela n'a rien de scandaleux, compte tenu de la réduction de son temps clinique. Nous avons besoin d'outils plus complets pour que le dialogue de gestion permette d'assurer les fonctions de contrôle.
Mme Émilienne Poumirol. - Les 47 000 euros de rémunération sont-ils inclus dans les 580 000 euros pour les CPTS ?
M. Bernard Jomier, rapporteur. - Oui.
Mme Corinne Imbert, rapporteure. - Je vous remercie de votre présence et de votre écoute.
La réunion est close à 14 h 45.