- Mardi 21 octobre 2025
- Audition de Mme Marie-Ange Debon, candidate proposée par le Président de la République aux fonctions de présidente du conseil d'administration de La Poste
- Vote sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de Mme Marie-Ange Debon aux fonctions de présidente du conseil d'administration de La Poste
- Dépouillement sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de Mme Marie-Ange Debon aux fonctions de présidente du conseil d'administration de La Poste
- Mercredi 22 octobre 2025
Mardi 21 octobre 2025
- Présidence de Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente -
La réunion est ouverte à 15 h 05.
Audition de Mme Marie-Ange Debon, candidate proposée par le Président de la République aux fonctions de présidente du conseil d'administration de La Poste
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous avons le plaisir d'accueillir aujourd'hui Mme Marie-Ange Debon, candidate proposée par le Président de la République à la fonction de présidente du conseil d'administration du groupe La Poste.
Aux termes des dispositions de l'article 10 de la loi du 26 juillet 1983 relative à la démocratisation du secteur public, la présidente du conseil d'administration de La Poste est nommée par décret, parmi les membres du conseil d'administration et sur proposition de celui-ci. La durée de son mandat est de cinq ans.
En application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution, cette nomination par décret du Président de la République ne peut intervenir qu'après audition par les commissions compétentes de l'Assemblée nationale et du Sénat. Cette audition, ouverte à la presse et au public, est retransmise en direct sur le site du Sénat.
Elle donnera lieu à un vote à bulletin secret, pour lequel les délégations de vote ne sont pas autorisées. L'Assemblée nationale entendra Mme Debon aujourd'hui à 17 heures, puis nous procéderons simultanément au dépouillement - sans doute autour de 19 heures -, pour lequel les deux scrutateurs désignés seront nos collègues Antoinette Guhl et Daniel Gremillet. Je les en remercie par avance.
Il ne pourra être procédé à cette nomination si l'addition des votes négatifs dans les deux commissions représentait au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés.
Pour mémoire, le poste de président du conseil d'administration de La Poste était occupé depuis septembre 2013 par M. Philippe Wahl, que nous avons auditionné à de nombreuses reprises dans le cadre de nos travaux. Je veux ici lui rendre hommage, car il a su prendre à bras-le-corps des défis majeurs au cours de ses douze années de mandat. Confronté à la chute vertigineuse de la distribution du courrier, le groupe La Poste, sous sa direction, a vigoureusement réagi et a su se diversifier et s'internationaliser, notamment en développant son activité dans les domaines du colis et de la bancassurance.
Madame Debon, vous êtes diplômée d'HEC et ancienne élève de l'École nationale d'administration (ENA) ; vous avez commencé votre carrière en tant que magistrate financière à la Cour des comptes en 1990. De 1994 à 1998, vous occupez plusieurs postes de direction à France 3. Après un retour à la Cour des comptes entre 1998 et 2003, vous rejoignez le groupe Thomson en tant que secrétaire générale de 2003 à 2008.
De 2008 à 2013, vous êtes secrétaire générale de Suez Environnement, poste que vous cumulez à partir de 2009 avec celui de directrice des projets eau et propreté de l'entreprise. De 2013 à 2018, vous êtes directrice générale adjointe en charge de l'international de Suez Environnement, avant de devenir entre 2018 et 2019 directrice générale adjointe en charge de la France, de l'Italie et de l'Europe centrale de Suez. Depuis 2020, vous êtes la présidente du directoire de Keolis, filiale de la SNCF qui exploite notamment des réseaux de bus, de métros et de tramways partout dans le monde.
Avant de passer la parole à notre collègue Patrick Chaize, rapporteur sur cette nomination, je souhaite rappeler que La Poste est passée du statut d'établissement public à celui de société anonyme à capitaux 100 % publics en 2010. En 2020, la Caisse des dépôts et consignations (CDC) en est devenue l'actionnaire de contrôle puisqu'elle détient désormais 66 % des participations du groupe La Poste, l'État conservant les 34 % restants.
Deuxième employeur public de France après l'État avec plus de 225 000 collaborateurs en 2023, dont 60 500 facteurs, La Poste est présente partout ou presque, au plus près des citoyens et dans leur quotidien, représentant indirectement la présence de l'État et des services publics, en particulier dans les territoires ruraux.
Entreprise à mission depuis 2021, le groupe s'est doté d'une belle raison d'être que je veux ici citer, car elle rappelle combien La Poste joue un rôle essentiel dans la vie des Français : « Au service de tous, utile à chacun, La Poste, entreprise de proximité humaine et territoriale, développe les échanges et tisse des liens essentiels en contribuant aux biens communs de la société tout entière ».
À cet égard, je souhaite vous entendre sur la façon dont La Poste s'appuie sur sa présence dans les territoires pour jouer un rôle actif en faveur de la cohésion sociale tout en dégageant de nouvelles sources de revenus, particulièrement en zone rurale et en tenant compte du vieillissement des populations : livraison de colis et de médicaments, portage de repas et autres services à la personne dans un contexte où, en 2030, les personnes âgées de plus de 65 ans seront au nombre de 23 millions, dont 12 millions seront âgées de plus de 75 ans. Cette activité est-elle rentable ? Son développement est-il compatible avec la réduction effective de l'emprise postale sur le territoire ?
Autre question, nettement plus polémique : la semaine dernière, La Poste a annoncé un accord-cadre pour renforcer son partenariat de distribution avec la plateforme de vente en ligne chinoise Temu, qui pourra compter sur 7 000 guichets Colissimo répartis dans toute la France, contre une centaine jusqu'ici, auxquels s'ajouteront 4 000 points de collecte.
Comprenez-vous les critiques qui sont adressées à La Poste par l'Alliance du commerce et la Fédération pour la promotion du commerce spécialisé (Procos), qui n'hésitent pas à qualifier La Poste de « cheval de Troie de Temu », avec des entreprises françaises qui subiront de plein fouet la concurrence de plus en plus forte d'entreprises chinoises qui cassent les prix ? Il semblerait que les grandes plateformes chinoises d'e-commerce que sont Temu, Shein et Alibaba représentent déjà plus de 20 % des volumes transportés par Colissimo...
Toujours sur ce sujet sensible, que pensez-vous de la taxe de deux euros sur les petits colis livrés par des entreprises établies hors de l'Union européenne, notamment depuis la Chine, prévue dans le projet de loi de finances (PLF) pour 2026 ?
M. Patrick Chaize, rapporteur. - Nous sommes réunis aujourd'hui pour nous prononcer sur la candidature de Mme Marie-Ange Debon, dont la nomination en qualité de présidente du conseil d'administration du groupe La Poste est proposée. L'enjeu pour nous est d'approuver ou non cette nomination pour une durée de cinq ans.
Avant de vous écouter nous exposer votre feuille de route pour La Poste, nous avons besoin d'en savoir davantage sur vous et sur la gouvernance que vous comptez mettre en place en tant que dirigeante du groupe.
Pourriez-vous nous présenter vos atouts pour prendre la direction de cette grande entreprise publique à un moment charnière de son histoire ?
Comment vous positionnez-vous sur la question de la rémunération des principaux dirigeants du groupe ? Comme vous le savez, il s'agit d'un sujet très sensible dans un contexte où les rémunérations dans la sphère publique sont censées être plafonnées à 450 000 euros.
J'en viens aux grands défis que vous devrez affronter si vous êtes confirmée à la tête de La Poste.
Sous l'impulsion de Philippe Wahl, La Poste a profondément transformé son modèle ces dernières années ; cela doit nous conduire collectivement à réfléchir au bilan de ces évolutions et à notre vision de ce groupe chargé de plusieurs missions de service public essentielles pour notre cohésion sociale.
Historiquement, la distribution du courrier puis la livraison de colis représentaient la majeure partie du chiffre d'affaires du groupe La Poste, mais la baisse du volume du courrier est désormais une tendance de long terme, accélérée par la crise sanitaire, par la numérisation des échanges et par l'ouverture à la concurrence du marché en 2011.
Afin de faire face à ce défi existentiel, La Poste a mis en oeuvre une ambitieuse stratégie de diversification et de croissance externe, en développant des activités de téléphonie mobile, de bancassurance - avec le rapprochement entre La Banque Postale et CNP Assurances en 2020 -, de livraison internationale de colis ou encore de services de proximité et à domicile - comme la livraison de repas auprès de personnes âgées.
Désormais groupe international - 44 % de son chiffre d'affaires est réalisé à l'étranger - et multiactivités, La Poste a enregistré en 2024 des résultats en progression : son chiffre d'affaires s'est établi à 34,6 milliards d'euros et son résultat net a progressé pour atteindre 1,4 milliard d'euros.
Ces chiffres cachent néanmoins des fragilités importantes. La filiale de livraison de colis Geopost a ainsi enregistré un résultat d'exploitation négatif de 98 millions d'euros, pénalisée par l'essor de la livraison hors domicile, en points relais ou en consigne.
La Banque Postale a certes enregistré 1,2 milliard d'euros de résultat net grâce aux activités d'assurance, mais les activités de banque de détail sont restées en perte de près de 400 millions d'euros, pénalisées par la dégradation des marges nettes d'intérêt.
Aussi vous faudra-t-il continuer à faire évoluer La Poste pour prendre en compte les changements économiques et sociaux profonds qui touchent son modèle d'activité et faire en sorte que celui-ci soit robuste dans la durée.
Quel regard portez-vous sur les transformations profondes opérées au sein du groupe La Poste ces dernières années ? Quelles seraient les pistes que vous privilégieriez pour améliorer la rentabilité financière du groupe ?
En particulier, comment réduire les coûts pour améliorer la soutenabilité financière, dans un contexte où l'endettement de La Poste a fortement augmenté pour dépasser les 10 milliards d'euros ? Avez-vous identifié des activités qu'il conviendrait de céder à d'autres opérateurs économiques, d'abandonner ou a contrario de développer ?
Au-delà du modèle économique global, qui conditionne évidemment sa bonne santé financière, nous sommes bien sûr tout particulièrement sensibles, ici, au Sénat, aux missions de service public confiées par l'État au groupe La Poste, qui sont, dans notre pays, à la fois plus nombreuses et plus exigeantes que dans les autres pays européens.
Lesdites missions ont été confiées à La Poste par la loi du 2 juillet 1990 relative à l'organisation du service public de La Poste et à France Télécom et sont régies par un contrat d'entreprise État-La Poste. En compensation des obligations spécifiques qui lui reviennent, La Poste perçoit une rémunération de l'État.
S'agissant, tout d'abord, du service universel postal, la loi du 9 février 2010 relative à l'entreprise publique La Poste et aux activités postales a désigné La Poste en tant que prestataire pour une durée de quinze ans à compter du 1er janvier 2011, soit jusqu'au 31 décembre 2025. Un décret du 26 juillet 2025 a renouvelé cette mission pour une durée de dix ans, à compter du 1er janvier 2026.
Le service universel postal consiste notamment en une levée et une distribution six jours sur sept sur l'ensemble du territoire national pour les envois de correspondances jusqu'à 2 kilos, et de colis postaux jusqu'à 20 kilos.
Le montant de la compensation au titre du service universel postal est compris entre 500 millions d'euros et 520 millions d'euros par an. La Poste française est ainsi celle qui reçoit le montant le plus élevé, tandis que la majorité des opérateurs postaux européens ne reçoivent aucune compensation pour le service universel. Malgré cette compensation, le coût supporté directement par le groupe s'élève à environ 479 millions d'euros en 2023. Ce déficit devrait persister à l'avenir en raison de l'importance des coûts fixes.
Comment faire face aux résultats durablement dégradés de l'activité courrier ? Considérez-vous que la fréquence de distribution du courrier devrait être revue, la France étant l'un des derniers pays à conserver une fréquence de distribution six jours sur sept ?
Ensuite, la loi confie à La Poste une mission d'aménagement du territoire au moyen de son réseau de points de contact. L'objectif de cette mission de service public est de fournir un service postal à toute la population, sur l'ensemble du territoire. La loi fixe des règles précises d'exercice de cette mission, notamment en termes de dimensionnement : le réseau de La Poste comporte au moins 17 000 points de contact au plan national.
Sur le plan de l'accessibilité, pas plus de 10 % de la population d'un département ne peut se trouver éloignée de plus de cinq kilomètres ou de plus de vingt minutes de trajet automobile des plus proches points de contact de La Poste.
Pour ce qui est de l'adaptabilité, La Poste adapte son réseau de points de contact, notamment par la conclusion de partenariats locaux publics ou privés, en recherchant la meilleure efficacité économique et sociale.
Ces dernières années, la mission d'aménagement du territoire de La Poste a vu son coût croître - 100 millions d'euros supplémentaires entre 2018 et 2023 -, alors même que la fréquentation du réseau n'a cessé de diminuer. En dépit de l'objectif de création de nouvelles activités, comme la désignation de bureaux comme centres d'examen pour passer l'épreuve théorique du code de la route, celles-ci ne représentent que 6 % de l'activité du réseau et ne compensent pas les fortes pertes de volume sur le courrier et le colis grand public.
Comment mieux articuler le réseau de La Poste avec les autres politiques déployées en faveur de l'accès aux services publics ? Quelles pistes privilégieriez-vous pour favoriser des synergies plus fortes avec le programme France Services ?
J'en viens à la mission de transport et de distribution de la presse, ainsi qu'à la mission d'accessibilité bancaire. La première, par laquelle La Poste s'engage à desservir les zones rurales, vise à garantir le respect du principe de pluralisme de la presse et à permettre à chaque citoyen un égal accès à l'information. Malgré un protocole d'accord entre l'État, La Poste et les éditeurs de presse signé en 2022 pour mettre en place une seule grille tarifaire et la création d'une aide à l'exemplaire, la bascule vers le portage n'a pas donné les résultats escomptés, les éditeurs de presse n'ayant pas réalisé les investissements requis par le portage en zone dense, et la situation financière de cette mission ne cesse de se dégrader.
Il en va de même s'agissant de la mission d'accessibilité bancaire, laquelle permet à toute personne qui en fait la demande d'ouvrir un Livret A et d'effectuer gratuitement ses opérations de dépôt et de retrait à partir de 1,50 euro, afin de favoriser la bancarisation et l'épargne de l'ensemble de la population.
Là encore, la compensation que verse l'État au groupe est élevée - 303 millions d'euros en 2023 - sans pour autant couvrir les charges supportées par La Poste.
Au total, le montant de la compensation versée par l'État au titre des quatre missions de service public dépasse désormais le milliard d'euros, le montant du déficit non compensé et laissé à la charge de La Poste représentant pour sa part, d'après les chiffres donnés par Philippe Wahl, quelque 1,2 milliard d'euros. Ces montants apparaissent clairement insoutenables financièrement, tant pour l'État que pour La Poste.
Pensez-vous qu'une nouvelle loi postale sera nécessaire dans les mois ou, plus vraisemblablement, les années à venir, pour redessiner le périmètre des missions de service public de La Poste ?
Ces dix dernières années, La Poste a en outre développé sa filiale Docaposte en la dotant d'un portefeuille d'actifs technologiques destiné à en faire l'un des acteurs majeurs de la confiance numérique en France et en Europe, par exemple sur la cybersécurité et la santé.
Docaposte a ainsi commercialisé la première solution souveraine et industrielle d'intelligence artificielle (IA) générative pour enrichir ses solutions destinées au secteur public, aux PME, aux acteurs de la santé et de la banque-assurance. Elle a également développé le logiciel de vie scolaire Pronote, utilisé par 18 millions d'utilisateurs.
En s'appuyant sur une alliance avec la Banque des Territoires, Dassault Systèmes et Bouygues Telecom, elle a également lancé l'offre de cloud souverain NumSpot.
Alors que la souveraineté numérique est une préoccupation de plus en plus prégnante, comment comptez-vous continuer à développer les activités de Docaposte en matière de protection des données sensibles ? Les héberger en France constituera-t-il une priorité pour vous ?
Anne-Catherine Loisier, rapporteure pour avis sur le budget de La Poste dans le cadre du projet de loi de finances, m'a transmis ses questions. Les voici : quelles seront vos priorités en matière de dialogue social avec les organisations syndicales de La Poste ?
Alors que La Poste est à ce jour la seule entreprise à avoir été condamnée pour manquement à la loi de 2017 sur le devoir de vigilance, pouvez-vous garantir que le plan de vigilance de La Poste présentera systématiquement à l'avenir une cartographie très précise des risques humains et environnementaux de ses activités, y compris au sein de ses filiales, fournisseurs et sous-traitants ?
Nous avons besoin, pour nous prononcer sur votre nomination, de bien comprendre comment vous vous positionnez sur les différents enjeux que je viens d'évoquer et d'identifier vos priorités pendant les cinq années de mandat qui vous seraient confiées à la tête de La Poste.
Mme Marie-Ange Debon, candidate proposée par le Président de la République aux fonctions de présidente du conseil d'administration de La Poste. - C'est un grand honneur et un privilège pour moi de me présenter devant vous. La Poste est une magnifique entreprise, sans doute la plus ancienne de France. Plus que cela, par sa taille, par son histoire, par sa culture et par sa présence dans nos territoires, c'est une institution.
Je mesure l'honneur qui m'est fait, l'héritage qui m'est transmis et les défis qui m'attendent si votre vote m'est favorable. Je me propose de me présenter, de partager mon diagnostic et de vous faire part de mon projet, que je devrai affiner de l'intérieur, avec les équipes et l'ensemble des parties prenantes.
Je suis mariée et j'ai trois grandes filles. Je suis née en région parisienne, mais j'ai une grand-mère originaire du Cantal, une autre du Finistère et un grand-père de la Creuse, mes racines sont profondes dans nos territoires !
J'ai commencé mon parcours professionnel comme magistrat à la Cour des comptes, pendant quatre ans, puis j'ai travaillé dans quatre entreprises et secteurs différents. Mon parcours est très marqué par des métiers de services publics, à fort ancrage territorial et à forte dimension humaine. J'ai exercé dans le service public de l'audiovisuel avec France 3, dans le service public de l'environnement avec Suez et dans le service public du transport collectif avec Keolis, que je dirige depuis cinq ans.
Keolis, entreprise de 70 000 collaborateurs, réalise la moitié de son activité en France et l'autre moitié à l'international. Elle n'est pas très connue, car elle opère souvent en marque blanche, endossant des dénominations locales comme TBM à Bordeaux, Star à Rennes, Rubis à Bourg-en-Bresse ou Artis à Arras, mais en taille, elle dépasse la RATP, plus célèbre, d'une courte tête.
J'ai un parcours à l'international, pour avoir dirigé les activités internationales de Suez pendant cinq ans, parce que l'entreprise Thomson Technicolor où j'ai passé dix ans n'opérait que 5 % de son activité en France et parce que, comme je l'ai dit, la moitié de l'activité de Keolis est à l'international.
J'ai aussi eu l'honneur d'être, pendant sept ans, membre de l'Autorité des marchés financiers (AMF), où j'ai eu à aborder beaucoup de sujets relatifs aux banques, assurances et investisseurs.
Mon objectif, en tant que cheffe d'entreprise, est d'embarquer des équipes de direction et de terrain vers une vision stratégique et une performance opérationnelle. Je suis convaincue de l'intérêt de la transparence, du dialogue et du collectif. J'ai besoin d'écouter avant de me forger une opinion et de prendre une décision : écouter mon équipe directe, mais aussi les postiers et postières, le cas échéant, ainsi que toutes les remontées de terrain, internes comme externes. C'est dans cet esprit que j'ai piloté mes directions chez Suez et Keolis et que j'entends piloter La Poste. Je suivrai à ce titre les traces de mon prédécesseur, dont je salue très chaleureusement le bilan, ainsi que celui de Jean-Paul Bailly. Tous deux ont été des dirigeants emblématiques de La Poste.
Je crois en la force du collectif, en particulier dans les entreprises de cette taille. Il faut piloter la décision au plus près du terrain, de ceux qui connaissent intimement un territoire ou un sujet. La responsabilité locale et la décentralisation sont de puissants leviers de motivation, dans une époque où cette dernière manque parfois.
Mon diagnostic de la situation de La Poste est encore très préliminaire. Vous-mêmes connaissez très bien cette maison : vous avez, à plusieurs reprises, auditionné Philippe Wahl et plusieurs membres de son comité de direction. C'est l'occasion pour moi de saluer le Sénat, qui a beaucoup soutenu La Poste dans sa mutation.
La Poste s'est en effet transformée avec succès au cours des dix dernières années, du courrier vers le colis, de la banque à la bancassurance, d'une concentration française à une diversification internationale. Elle est aujourd'hui multiactivités, multiservices, avec pour colonne vertébrale son réseau et ses postiers et postières, qui exercent trois types d'activités : logistique, services financiers, services de proximité et de souveraineté.
Le courrier, qui représentait 50 % du chiffre d'affaires de La Poste il y a dix ans, n'en représente plus que 15 %. Malgré ce séisme, le chiffre d'affaires du groupe atteint aujourd'hui 35 milliards d'euros, avec un résultat net de 1,4 milliard d'euros en 2024 et une dette de 10 milliards d'euros.
La Poste a été capable de passer ces virages, tout en s'affirmant comme une entreprise citoyenne, ce qui est très important à mes yeux. C'est ainsi la plus grande entreprise à mission de France, avec la meilleure notation en matière de développement durable. J'ai moi-même introduit les entreprises à mission chez Keolis, pour la première fois à Bordeaux.
Les engagements de La Poste sont tenus en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre - son objectif est de les réduire de 45 % à l'horizon 2030 -, mais aussi de finance durable, avec 34 % de financements citoyens, et de formation, avec un effort inégalé en France. La Poste peut se féliciter d'être le premier financeur des collectivités locales et des hôpitaux publics ; elle est la première banque des plus fragiles et la seule banque des exclus.
C'est grâce aux postiers et aux postières qu'elle a réussi cette transformation, parce que ceux-ci sont attachés à leur métier.
La Poste affronte aussi des défis. Le premier est la sous-compensation des missions de service public. En Europe, elle est l'entreprise postale qui remplit le plus de missions de service public, mais son déficit se situe, depuis 2023, à plus de 1 milliard d'euros, ce qui peut menacer sa solidité financière et son développement. La chute du courrier devrait se poursuivre, de 5 milliards d'objets aujourd'hui à 3 milliards en 2030. Or la structure financière du groupe n'est pas assez solide pour absorber une telle baisse, la plupart de ses activités étant justes à l'équilibre, ou fragiles.
Le deuxième défi est la concurrence exacerbée dans la logistique et les services financiers. Dans le premier domaine, celle-ci provient d'opérateurs low cost ou de nouveaux venus, comme les spécialistes du hors domicile, en France comme en Europe. Dans le second, La Poste fait face à une concurrence très forte des banques traditionnelles, mais aussi des mutualistes, des banques numériques et de nouveaux acteurs, comme ceux qui proposent la carte Revolut.
Le troisième défi que La Poste doit relever est la montée en puissance de sa diversification, plus complexe que prévu. Elle a capitalisé sur deux grandes tendances de notre société, le vieillissement et l'évolution numérique, et a lancé avec succès de nombreuses activités en ce sens ; elle devrait ainsi atteindre cette année 15 millions de repas portés à domicile. Dans le numérique, elle a relevé, avec Docaposte, les défis de l'archivage électronique, du vote électronique, du cloud, des données médicales. Pour autant, cette diversification est plus lente que prévu et reste économiquement fragile.
La Poste dispose d'atouts majeurs, le premier d'entre eux étant ses équipes. Je souhaite donc construire mon projet autour de la confiance, dans une entreprise qui en est le symbole même, aux yeux des entreprises, des usagers, voire à vos propres yeux : on lui confie ses courriers, ses colis, ses économies, ses données personnelles, etc. Elle s'est d'ailleurs déjà positionnée en tiers de confiance, dans le numérique et la santé.
J'entends construire un pacte de confiance avec les pouvoirs publics, les territoires, les postiers, les organisations syndicales et les clients, mais la confiance, ce n'est pas la naïveté, elle se nourrit d'actions concrètes, d'engagements et d'exigences.
La sous-compensation pèse fortement sur les comptes de l'entreprise et donc sur ses capacités à investir dans de nouveaux métiers, qui prendront le relais des métiers déclinants. Il s'agit d'une question de survie à court ou moyen terme et nous devrons travailler dans le temps pour améliorer les compensations ; votre chambre a un rôle précieux à jouer à ce titre lors de l'examen du projet de loi de finances.
Nous devrons également trouver les moyens de faire évoluer le périmètre des missions de service public : la moitié de leur déficit provient, par exemple, de la distribution de la presse et l'accord de 2022 n'a pas produit les effets escomptés. Mon objectif est de discuter avec les acteurs concernés pour trouver une solution viable, même si je reste attachée au pluralisme de l'opinion, clé de notre démocratie, et consciente de l'importance de la distribution, notamment dans les zones rurales.
S'agissant du contrat de présence territoriale, La Poste a déjà apporté la preuve de sa capacité d'innovation, mais il faudra aller plus loin. Ainsi, elle doit optimiser sa présence dans le dispositif des maisons France Services (MFS) et poursuivre l'amélioration de ses 420 MFS en travaillant plus étroitement avec d'autres lieux communaux, afin d'en faire des pôles de vie plus actifs et ainsi mutualiser les flux dans les zones les plus excentrées.
Le pacte de confiance avec les pouvoirs publics et les territoires passe aussi par des actions volontaristes de La Poste, dont une revue de son portefeuille d'activités, afin de nous assurer que nous sommes présents dans les bons pays, ce qui peut nous conduire à en quitter certains ou à nous implanter davantage dans d'autres. L'international représente 45 % de l'activité de La Poste, mais plus de 45 % de sa rentabilité. Les difficultés de Geopost, en particulier en 2024, ont donné lieu à des cessions d'actifs et à des plans de redressement sur lesquels il faudra continuer de travailler.
La Poste doit chercher à limiter ses coûts, lesquels ne se résument pas, tant s'en faut, à ses coûts de personnel : achats, prestations externalisées, coûts de structure, systèmes d'information, etc. Nous devons réaliser nos missions, de service public ou non, au meilleur coût.
Enfin, La Poste a deux actionnaires, dont le principal est la Caisse des dépôts et consignations (CDC) à 66 %. L'apport de CNP Assurances a été un acte fondateur de la nouvelle Poste et un grand pôle financier public est désormais en place. Il doit fonctionner de manière cohérente pour faciliter les financements, qui constituent le ressort de la croissance et du développement dans notre pays.
Le numérique constitue également un axe majeur du projet de la Caisse des dépôts et consignations (CDC), promu par son nouveau directeur général, Olivier Sichel. Il nous faudra y travailler en commun.
Le pacte de confiance doit donc être aussi noué en interne, avec les postiers et les organisations syndicales. Je vous ai dit mon attachement au dialogue, à la transparence et au collectif. J'hérite d'une maison dans laquelle le climat social a été apaisé et riche ces dernières années. Ses dirigeants ont été attentifs à la qualité de vie au travail et à la gestion des emplois et des parcours professionnels. Je m'inscrirai dans cette lignée, en portant une attention particulière à l'accidentologie, à la protection des équipes et à l'absentéisme. Je serai attentive à nos équipes comme à nos clients parce qu'équipes engagées et clients satisfaits vont de pair.
Ma tâche sera aussi de bien faire fonctionner le collectif, dans un groupe dans lequel les prestations croisées sont très nombreuses, à hauteur de 7 milliards d'euros pour un chiffre d'affaires de 35 milliards d'euros. L'avenir passe, en France, par une meilleure mutualisation des ressources et l'alignement du collectif managérial sera l'une de mes priorités.
Le pacte de confiance, enfin, doit être noué avec nos clients, qui sont la raison d'être d'une entreprise et doivent être au coeur de nos préoccupations et de nos processus, afin que nous mettions à leur disposition une offre de services plus large et un parcours facilité. J'y vois une priorité. Vous avez sans doute déjà tous connu des moments irritants avec La Poste, je m'engage donc à améliorer la satisfaction des clients. En les considérant de manière plus fine et plus segmentée. Les attentes ne sont pas les mêmes en centre-ville, en périphérie et dans la ruralité et le vieillissement de notre base de clientèle constitue pour nous un défi.
Le groupe a constitué un socle fort de services de proximité et de souveraineté numérique, sur lequel je voudrais capitaliser afin que La Poste devienne véritablement le tiers de confiance numérique de ses clients et l'opérateur numérique du secteur public. Le groupe a engagé cette mutation avant l'avènement de l'intelligence artificielle générative, nous devrons donc accélérer les investissements financiers et humains pour prendre en compte ces dernières évolutions, et pour faire de La Poste un acteur clé de la souveraineté et de la confiance numériques.
Si votre vote m'est favorable, vous pourrez compter sur moi pour conduire La Poste dans cette nouvelle phase de transformation, appuyée sur un socle multiservice, et forte de son ancrage de proximité.
J'en viens aux questions qui m'ont été posées.
L'accord-cadre avec Temu a suscité beaucoup d'émotion la semaine dernière et continue à être critiqué. On estime qu'un tiers des produits industriels distribués en Europe vient de Chine, commercialisés par de nombreuses plateformes américaines et européennes, le poids des plateformes chinoises étant encore faible. La Poste, à travers ses 60 000 comptes clients, a accompagné le développement de la vente en ligne ces dernières années, un secteur qui a connu une croissance de 7 % à 8 % par an. Les colis jouent maintenant un rôle important dans le métier de facteur et constituent une part importante de la tournée, puisque 80 % des Colissimo passent par sa sacoche.
La plupart des grandes plateformes ont commencé à internaliser la distribution, en mettant en oeuvre leurs propres moyens logistiques. C'est le cas d'Amazon, qui reste tout de même un client encore important pour le dernier kilomètre. Cette dynamique d'internalisation est une source d'inquiétude forte pour La Poste : de manière contre-intuitive, Colissimo connaît ces derniers mois pour cette raison une baisse de ses livraisons en provenance de Chine. Des outils logistiques propres se mettent en place dans de nombreux pays européens, notamment en Espagne. Alibaba, par exemple, a créé à cette fin sa propre structure : AliExpress.
L'accord conclu avec Temu vise seulement à allonger la durée du partenariat, d'un an à trois ans, sans favoriser en aucune manière la partie chinoise : La Poste applique bien ses conditions générales de vente. L'objectif est de voir comment se développera cette plateforme de distribution.
Il est essentiel que les autorités européennes, les douanes nationales et l'Organisation mondiale du commerce se penchent sur les livraisons en provenance de Chine, dont La Poste n'est qu'un maillon de la chaîne. Que ces colis soient livrés ou non par ses services ne changera rien à la présence chinoise, puisque les articles en question seront de toute façon distribués, soit de manière internalisée, soit par des concurrents du groupe.
La taxe de deux euros peut avoir des répercussions sur l'expédition de colis. Toutefois, la vision de La Poste, que je partage, est que les importateurs chinois la détourneront aisément en faisant venir en masse les articles en France, par conteneurs ou palettes, au lieu de procéder à des expéditions au cas par cas. Il convient de s'attaquer au sujet des produits chinois de manière beaucoup plus structurée et collective, à l'échelle européenne et mondiale.
La rémunération des dirigeants a défrayé la chronique, en particulier ces derniers mois. Rappelons le contexte : le décret du 26 juillet 2012 relatif au contrôle de l'État sur les rémunérations des dirigeants d'entreprises publiques a eu pour objet de créer un plafond de rémunération de 450 000 euros. Depuis l'opération Mandarine en 2018, qui a permis d'unir CNP Assurances à La Poste, cette dernière n'est plus une entreprise dans laquelle l'État a une participation majoritaire ; il en va de même pour les filiales du groupe, comme La Banque Postale. Par conséquent, le décret ne s'applique pas.
Au-delà des aspects juridiques, La Poste, dans ses activités de banque et d'assurance, se bat sur le plan économique et managérial contre des concurrents puissants et structurés, dans un marché où la concurrence est exacerbée. Mon rôle de chef d'entreprise est d'attirer les talents et de leur donner envie de s'investir, d'autant plus s'agissant de secteurs à forte technicité et soumis à une importante régulation. Aussi, il est de mon devoir de garder les dirigeants auxquels il a été fait allusion et de les stimuler, au nom du succès de l'entreprise. La Banque Postale n'a-t-elle pas connu des résultats nettement meilleurs en 2024 et en 2025 qu'en 2023 ?
Le conseil d'administration de La Banque Postale et celui de CNP Assurances, qui comprennent des représentants tant de l'État, des actionnaires que des organisations syndicales, ainsi que des personnalités qualifiées, ont approuvé ces rémunérations, exerçant ainsi leur compétence. Nous vivons dans un monde caractérisé par une forte dichotomie entre le secteur public et le secteur privé, où les rémunérations sont plus élevées, peut-être moins raisonnables. La Poste se situe dans l'entre-deux et doit concilier les exigences de chacun des secteurs. Ce sera l'un de mes objectifs, car cette dichotomie n'est simple pour personne.
M. Pierre Cuypers. - En tant qu'élu d'une circonscription rurale, située à soixante kilomètres de Paris, j'atteste que le service rendu au public, notamment âgé, par La Poste n'est pas satisfaisant et même en complet dysfonctionnement : courrier dans la boîte aux lettres le lundi quand il était attendu le mercredi précédent, presse déchirée... Est-il possible d'attribuer des missions nouvelles à un personnel qui, d'ores et déjà, ne parvient pas à remplir sa tâche ? Comment comptez-vous vous y prendre pour corriger ces défaillances ?
M. Fabien Gay. - La Poste est l'un des services publics les plus aimés par les Français, souvent l'un des derniers sur de nombreux territoires, ruraux comme urbains, en métropole comme dans les outre-mer. Pour le faire vivre et pour assurer l'égalité républicaine, il faudra que le Parlement lui accorde davantage de moyens à l'issue des discussions budgétaires, faute de quoi les usagers paieront : on ne peut pas demander toujours plus à La Poste en matière de maillage territorial sans compenser le coût de ces missions de service public. Cette question est d'actualité et le restera.
Ces transformations devant être menées avec les salariés du groupe, comment comptez-vous aborder la question sociale - je n'aime pas beaucoup l'expression « dialogue social » - au sein de l'entreprise ? Quelles échéances vous donnez-vous en la matière ? Les transformations rapides de ces dernières années, comme la livraison de repas ou de colis, ont parfois été violentes, comme les syndicats l'ont souvent décrit.
Je me permets une digression sur la rémunération des dirigeants de grandes entreprises publiques. Je ne suis pas populiste, mais, face à la stagnation des salaires et même si j'entends l'argument de la compétition internationale, il faut étancher la soif de justice sociale et fiscale qui s'exprime partout dans le pays. Une rémunération supérieure à 450 000 euros n'est pas un bon signal, à moins que vous ne présentiez à votre arrivée des propositions offensives en matière d'augmentation de salaire pour l'ensemble des salariés du groupe. À défaut, dans le contexte politique, ce discours est inaudible.
Par ailleurs, quel est votre avis sur les transformations de l'entreprise, notamment en ce qui concerne les colis ? Dans le privé, par exemple chez Amazon, une commande passée le matin est livrée le soir, tandis que, dans le département où je suis élu, il faut trois à cinq jours pour un colis, qui arrive une fois sur deux dévasté ou ouvert. J'ai compris de mes discussions avec les salariés de La Poste que le groupe entend déployer des consignes dans les gares ou dans les supermarchés pour combler son retard en la matière. Je considère pourtant que celui-ci est irrattrapable. L'entreprise ne devrait-elle pas se consacrer plutôt à la livraison par intelligence artificielle ou par véhicule autonome, innovations qui se développent de l'autre côté de l'Atlantique et qui s'imposeront en France dans les dix prochaines années ?
M. Jean-Claude Tissot. - À Saint-Étienne, quatorzième commune la plus peuplée de France, La Poste a fermé dix bureaux en dix ans. La question de la présence territoriale du groupe dans les territoires ruraux se pose. M. Wahl déclarait devant notre commission au sujet de nouvelles fermetures d'agences communales : « Discutons et regardons la fréquentation ». Cette équation sera-t-elle toujours d'actualité ? Le maintien ou la fermeture d'une agence restera-t-il un calcul mathématique fondé sur ce critère ?
En outre, une banque particulièrement présente dans l'ensemble des départements a décidé de procéder, elle aussi, à des fermetures d'agences, provoquant la disparition des distributeurs automatiques de billets, une mauvaise nouvelle de plus pour les habitants et pour les commerçants dans un contexte de raréfaction permanente des services de proximité. En tant qu'auteur, il y a quelques années, de la proposition de loi visant à renforcer l'accessibilité et l'inclusion bancaires, je souhaite entendre votre avis : La Poste a-t-elle, selon vous, pour mission d'assurer la disponibilité des espèces ?
Enfin, d'après les syndicats, le volume de colis livrés pour le compte de Temu explosera immanquablement à la suite de l'accord qui a été conclu. Le cas échéant, envisagez-vous de recruter des agents supplémentaires ?
Mme Marie-Ange Debon. - Je sais la complexité de desservir correctement les départements ruraux, y compris pour un groupe comme La Poste, fort de 225 000 salariés. Je ferai de la qualité de service une priorité. Les enquêtes de satisfaction s'améliorent en 2024 et en 2025 par rapport à 2023 ; il en va de même de nos résultats en matière de respect de nos obligations. Même si les facteurs font très bien leur travail, nous avons tous vécu des moments d'irritation en allant au bureau de poste ou en agence La Banque Postale, aussi, le groupe mène une transformation culturelle afin de mettre le client au coeur du processus et des formations.
De fait, nous réussirons à proposer de nouveaux services grâce à un effort de formation massif, La Poste consacrant 4,5 % de son chiffre d'affaires à former son personnel : numérique, responsabilité sociale des entreprises (RSE), nouveaux métiers... Par exemple, l'entreprise s'est lancée dans le processus Icope (Integrated Care for Older People), qui vise à favoriser le maintien à domicile des personnes âgées, au nom du bien-vieillir. Grâce à cette démarche, les agents du groupe ont appris spécifiquement à collecter des informations sur la santé et l'état d'esprit des clients, par le biais de questionnaires.
Comme je viens de Keolis, le sujet des véhicules autonomes me parle. Nous disposerons, en complément des autres solutions, d'un tel mode de livraison à horizon de cinq à dix ans, afin d'améliorer la qualité de service dans les zones excentrées ou dans celles où nous éprouvons des difficultés à nous rendre, pour des raisons de sécurité ou de densité de trafic. Aux États-Unis, dans des villes comme San Francisco, Los Angeles ou Austin, un taxi sur deux est un véhicule autonome.
De nombreux outils informatiques ont été développés ces dernières années pour améliorer la qualité de service : les facteurs disposent désormais de Facteo et les clients peuvent recevoir par SMS des informations sur la livraison de leur colis. Ces solutions du quotidien ont exigé un travail important de la part de La Poste. Gardons à l'esprit que la force du groupe est de desservir tous les territoires, jusqu'au dernier kilomètre, six jours sur sept : Amazon n'ira pas dans la zone rurale la plus excentrée ! La Poste maintiendra, elle, cette exigence, pourtant complexe.
Je souhaite apporter une précision sur la disponibilité des espèces : entre 2022 et 2024, le nombre de retraits a baissé de 20 %. Pour autant, le ratio de distributeurs automatiques de billets gérés par La Poste est bien supérieur à la part de marché qu'occupe La Banque Postale, le groupe s'efforçant de proposer des facilités bancaires dans l'ensemble de ses 17 000 points de contact. Nous oeuvrerons à maintenir cet équilibre.
Les fermetures d'agences ne relèvent pas d'un pur calcul mathématique. La Poste n'a jamais voulu anticiper de diminution de la fréquentation, mais, quand cette baisse est évidente et massive, le groupe doit en tenir compte, d'autant que l'équation économique de l'entreprise est complexe. De fait, le nombre de passages en agence est passé de 2 millions à 740 000 et certains bureaux n'en reçoivent que très peu. L'évolution des 17 000 points de contact, pour mutualiser les services et maintenir ainsi une présence locale, se fera toujours en concertation avec vous, mesdames, messieurs les sénateurs, en tant qu'élus des territoires.
Les positions des syndicats sur l'accord conclu avec Temu divergent, comme en atteste une publication sur Twitter, ce matin, dans laquelle la CFDT met l'accent sur l'importance, pour les facteurs, de la livraison de colis. Ce marché est crucial pour le maintien de l'emploi en France, et on ne peut pas demander à La Poste de régler à elle seule le problème de la fabrication industrielle en Chine, l'usine du monde !
Le dialogue social au sein de l'entreprise a profondément changé l'année dernière. En effet, le groupe a rejoint le droit commun des entreprises privées grâce à la mise en place de trente-deux comités sociaux et économiques (CSE), particulièrement actifs. J'ai entendu dire que certaines de leurs réunions pouvaient durer deux jours ! Je ferai mienne cette culture de la concertation. Même si certains n'apprécient pas le terme « dialogue social », je n'ai pas encore trouvé de meilleur moyen de communiquer les choix stratégiques aux équipes et, inversement, de permettre au personnel de direction de mieux comprendre les difficultés rencontrées sur le terrain par les guichetiers ou les facteurs.
Mme Évelyne Renaud-Garabedian. - En 2024, plus de 775 millions d'articles d'une valeur inférieure à 150 euros sont entrés sur le territoire français sans entraîner le paiement de la moindre taxe douanière. Dans le projet de loi de finances, le Gouvernement, pour justifier une taxation de deux euros de chaque petit colis, avance que l'afflux massif de produits en provenance d'Asie a trois effets négatifs : il fragilise le commerce de proximité ainsi que le dynamisme de certains de nos territoires, engendre un manque à gagner pour les finances publiques et exerce une pression logistique croissante sur La Poste.
Je ne comprends pas très bien ce dernier argument : en proposant une mesure qui pourrait assécher ce flux, au détriment du chiffre d'affaires de l'entreprise, le Gouvernement déplore-t-il un regain d'activité commerciale pour La Poste ? D'après vous, le groupe perd-il beaucoup d'argent sur les petits colis ?
En tant que sénatrice des Français établis hors de France, mes administrés m'alertent : leurs comptes bancaires hexagonaux ferment les uns à la suite des autres en raison des contraintes réglementaires sur l'origine des fonds ; or ils sont vitaux, que ce soit pour payer les impôts ou encaisser sa retraite. J'ai évoqué le sujet avec Philippe Wahl, lors d'une précédente audition dans le cadre de notre commission. La solution pourrait passer par La Banque Postale. Je me suis entretenue avec un dirigeant de la Caisse des dépôts et consignations (CDC) qui ne s'est pas du tout montré sensible au problème, accepteriez-vous, en cas de nomination, que j'entre en contact avec des membres de votre équipe pour aborder le sujet ?
Mme Antoinette Guhl. - Ma première question a trait à la société Temu. La CDC a refusé son soutien au BHV en raison de l'accord que celui-ci s'apprêtait à conclure avec Shein. Or la CDC est fortement présente au conseil d'administration à la présidence duquel vous candidatez. Exigera-t-elle également de votre part une rupture de votre alliance avec Temu ? Quel est votre positionnement à ce sujet ? Par ailleurs, la conclusion de cet accord avec Temu ne constitue-t-elle pas un manquement au devoir de vigilance auquel votre groupe est soumis ?
Ma deuxième question porte sur CNP Assurances. Nos collectivités éprouvent aujourd'hui de grandes difficultés à trouver des assureurs qui les protègent contre les différents risques, en particulier ceux qui sont liés aux changements climatiques. L'assurance de ces collectivités figurera-t-elle parmi les grandes missions que vous entendez assigner à CNP Assurances ?
Enfin, troisièmement, en ma qualité de sénatrice de Paris, je souhaite vous interroger sur la stratégie de présence postale dans les grandes villes. En effet, autant l'on entend beaucoup parler de la stratégie de présence postale dans le monde rural, autant l'on évoque rarement celle qui est prévue pour le milieu urbain très dense.
M. Franck Menonville. - Mes deux questions portent sur le réseau de points de contact. Celui-ci compte aujourd'hui un peu plus de 7 000 bureaux de poste répartis sur le territoire, auxquels s'ajoutent plus de 5 000 agences postales communales et des relais au sein des commerces. Pourriez-vous détailler pour nous votre ambition pour le maintien des équilibres de ce maillage, s'agissant notamment des bureaux de poste ?
Ma seconde question a trait aux agences postales communales. Celles-ci reposent sur un beau partenariat entre La Poste et les communes, qui permet à la fois de maintenir un maillage de points de contact et de dynamiser les services de proximité grâce, en particulier, aux synergies établies avec les secrétariats de mairie. Cependant, certains services n'y sont pas présents. Avez-vous l'ambition de faire monter en puissance l'offre de services dans ces agences postales communales et, si oui, lesquels ?
Mme Marie-Ange Debon. - Je reviens sur la taxation de deux euros. Les colis déjà distribués par les facteurs participent pleinement à l'équilibre économique du service universel postal. Sans cela, nos tournées seraient moins fournies et les facteurs auraient moins d'activité ; cela constitue donc un atout pour eux et La Poste ne perd pas d'argent sur ces livraisons.
J'ai évoqué l'internalisation que mettent en place certaines plateformes, ce sujet permet de faire le lien avec l'environnement et le devoir de vigilance. La Poste dispose de 37 000 véhicules électriques ; la livraison des colis est donc assurée, au minimum, de manière respectueuse de l'environnement, ce qui n'est pas nécessairement le cas lorsque ce processus est internalisé par des concurrents ou effectué par d'autres plateformes. Il me semble nécessaire de garder cet élément à l'esprit.
Je note votre observation sur les Français de l'étranger. Je ne peux y répondre aujourd'hui, mais je l'inscris et j'y donnerai suite. Les contraintes de gouvernance et de compliance qui s'imposent aux banques sont extrêmement strictes et sont définies à l'échelle européenne. La Banque Postale est bien entendu tenue de les respecter, pour autant, je m'assurerai qu'une réponse plus spécifique, si elle existe, vous soit apportée.
Concernant la CDC, le BHV et Shein, il s'agit de deux sujets totalement différents : pour ce qui nous concerne, les colis dont il est question contiennent des produits déjà commandés par les particuliers. La Poste les distribue et ne peut opposer de refus de vente ni exercer de discrimination à ce sujet. Que les colis proviennent d'un site européen ou non, qu'il s'agisse de Temu ou d'un autre vendeur, nous sommes tenus de les livrer. Le choix de la CDC est donc différent : elle s'est interrogée au sujet d'une entreprise qui est moins une plateforme qu'un acteur de la fast fashion et a souhaité adresser un message. Ces deux sujets sont donc de nature distincte.
Je prends note de votre observation sur le devoir de vigilance ; c'est à mon sens un point important à surveiller et La Poste y est extrêmement attentive. Je l'ai moi-même été chez Keolis, en appliquant de manière proactive la directive sur la publication d'informations en matière de durabilité par les entreprises (CSRD), alors que l'entreprise n'y était pas contrainte. Je serai donc particulièrement scrupuleuse sur ce point. S'agissant des déclarations de La Poste, le devoir de vigilance, défini par la loi du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d'ordre, s'est progressivement construit et précisé, et je ferai en sorte que nous le respections pleinement ; c'était également la vision de mon prédécesseur. Pour autant, ce droit s'étant construit progressivement, il exige que nous prêtions attention aux aspects humains, sociaux, économiques et environnementaux qu'il recouvre.
En ce qui concerne l'assurance, il est exact, malheureusement, que beaucoup d'opérateurs et de collectivités locales peinent à s'assurer. Il s'agit d'une vraie difficulté du marché et les opérateurs de transports publics sont également concernés. CNP Assurances est avant tout un assureur de particuliers - retraite, prévoyance - et intervient sur les risques dits IARD (incendies, accidents et risques divers), mais son activité ne concerne pas nécessairement les collectivités locales, dont la couverture relève de savoir-faire plus spécifiques. J'examinerai néanmoins ce point si vous m'en donnez l'occasion par votre vote.
Quant à la stratégie de présence postale en milieu urbain, il est vrai que nous en parlons peut-être moins, car la densité du tissu pose moins de questions. Une réflexion est néanmoins menée sur l'optimisation de l'ensemble des installations et sur la pertinence de la présence de La Poste. La France connaît des situations spécifiques dans ses grandes villes, s'agissant en particulier des migrants. Le groupe joue un rôle très important à ce sujet et déploie une stratégie forte, puisque 360 de ses bureaux leur sont destinés. Dans les tissus urbains complexes et denses, dont Paris et sa périphérie font partie, La Poste a été très active pour développer, dans le cadre de sa mission d'accessibilité bancaire, l'accueil, l'aide à la traduction et l'aide aux documents numériques. Il convient, à mon sens, de la féliciter pour le travail qui a été accompli dans ce domaine.
S'agissant des autres missions relevant davantage du service universel postal, le travail a surtout consisté à moderniser le parc immobilier, avec des investissements significatifs opérés par La Poste et le déploiement d'outils informatiques idoines.
Concernant les synergies d'offre dans les différentes agences, mon objectif est bien de définir de plus en plus de services de proximité. Je reprends l'exemple des repas à domicile : La Poste en livre 15 millions, mais le marché potentiel est de 150 millions. Nous avons donc encore une possibilité de développement, non pas en agence, mais dans le portage à domicile. De nombreux services numériques peuvent être également déployés de manière plus nette dans les agences. Il en va de même de tous les métiers liés à La Banque Postale, puisque le rôle des conseillers bancaires doit encore se développer afin d'offrir l'ensemble des produits : crédit immobilier comme crédit à la consommation. La chance de La Poste est de disposer, dans ses lieux de vie que sont ses agences et ses bureaux, des flux liés à ses différents métiers. Nous avons ainsi la capacité de créer des synergies. L'objectif est bien, pour reprendre le jargon du secteur bancaire, de faire du multiéquipement, c'est-à-dire d'offrir tous les métiers possibles à nos clients existants, et d'en attirer de nouveaux. C'est l'un des axes dont je souhaite poursuivre l'exploration, en particulier autour du secteur bancaire et du numérique.
Mme Marianne Margaté. - Mes questions portent tout d'abord sur l'emploi. De nombreuses suppressions de postes ont eu lieu à La Poste, notamment parmi les facteurs. Le chiffre de 15 000 à 20 000 suppressions d'emplois d'ici à 2030 est évoqué ; a-t-il pour vous une réalité ? Compte tenu de la baisse du volume de courrier, quel est votre objectif en termes d'effectifs à cet horizon et combien de suppressions d'emplois envisagez-vous au vu de l'évolution de la charge de travail ?
Par ailleurs, La Poste recourt à un pourcentage très important d'emplois précaires. Envisagez-vous une politique de conversion de ces contrats en CDI, afin de fidéliser le personnel et de lui permettre de travailler dans de meilleures conditions ?
J'en viens, comme mes collègues, aux missions de service public. Nous assistons à une dégradation de la qualité du service, couplée aux augmentations du prix du timbre, à la suppression de tournées et au risque d'allongement du temps de distribution, avec le J+ 3. Ce délitement de la qualité du service public rendu par La Poste rend d'autant plus crispante toute velléité de suppression de points de contact.
L'objectif de 17 000 points de contact, fixé par le contrat de présence postale, s'accompagne d'une diminution du nombre de bureaux de poste au profit d'agences postales communales ou de relais commerçants. Quelle sera, selon vous, la répartition future entre ces différentes modalités, alors que les services rendus ne sont pas les mêmes et que la charge supportée par les communes ou les commerçants diffère ? En outre, cet objectif de 17 000 points de contact sera-t-il maintenu ?
Enfin, certaines communes - les plus petites d'entre elles, celles qui sont situées dans un quartier prioritaire de la politique de la ville ou en outre-mer - disposent d'un droit de veto. Ce droit, qui permet de protéger des territoires particulièrement fragiles, a-t-il vocation, selon vous, à perdurer ?
M. Lucien Stanzione. - La Cour des comptes a récemment souligné la fragilité de la trajectoire financière de La Poste et la nécessité de redéfinir ses missions de service public. Dans nos départements ruraux, où le maillage postal reste un élément central de la vie locale, comment envisagez-vous de garantir la soutenabilité financière du service universel sans réduire la présence territoriale ni affaiblir le lien social que représentent les bureaux de poste, notamment ruraux ?
Combien de nouveaux bureaux de poste comptez-vous créer, sous quelle forme juridique et avec quel statut ?
Mme Anne Chain-Larché. - La France est l'un des derniers pays européens à assurer la distribution du courrier six jours sur sept. Dans un contexte qui impose aujourd'hui de restaurer les marges du groupe, envisagez-vous de maintenir cette fréquence de distribution, qui constitue un atout important, notamment dans les secteurs ruraux, où de nombreuses voix s'élèvent à ce sujet ?
Par ailleurs, sur proposition du Sénat, La Poste a souhaité apporter des réponses à la détection de la précarité informatique et administrative. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce point ?
Enfin, si une modification, peut-être en profondeur, du service postal devait être envisagée, avez-vous l'intention de la mener en concertation étroite avec les parlementaires et les élus locaux, à l'instar de la concertation menée avec les salariés ?
Mme Marie-Ange Debon. - S'agissant des suppressions d'emplois, il faut avoir à l'esprit que la diminution du nombre de postes ces dernières années est clairement liée à la baisse du volume de courrier. Il convient également de noter que ces suppressions correspondaient exclusivement à des départs à la retraite : La Poste n'a connu aucun plan social, ce qui est assez rare pour une entreprise de cette taille qui a subi une telle baisse d'activité.
Pour l'avenir, les chiffres que vous mentionnez ne m'évoquent rien ; je n'ai pas d'objectif à ce sujet pour 2030. La bonne attitude n'est pas de devancer une baisse de fréquentation, mais de l'accompagner si celle-ci se confirmait. Mon objectif sera avant tout de multiplier les services dans l'ensemble de nos lieux de présence, et non de réduire les emplois.
En ce qui concerne la précarité des contrats, nous recrutons beaucoup, en France, plus de 8 500 personnes par an. L'un de mes objectifs, en lien avec la culture de l'entreprise, est de permettre le fonctionnement de l'ascenseur social et les évolutions de carrière au sein de La Poste. Le rôle de la formation est important, mais il n'est pas le seul facteur. Certains collaborateurs, qui ont accompli toute leur carrière au sein du groupe, évoluent via différents types de contrats et notre objectif est bien d'aller vers des contrats de moins en moins précaires, en proposant davantage de formations. Un parcours commence parfois par l'apprentissage, se poursuit par un CDI et évolue tout au long d'une carrière. Il ne s'agit donc pas d'accroître la précarité, mais au contraire d'offrir aux collaborateurs de La Poste la capacité de s'inscrire durablement dans un parcours professionnel.
J'ai bien noté votre insistance sur la qualité de service ; ce sera, avec l'ensemble du comité de direction, l'une de nos tâches premières.
S'agissant du droit de veto, la logique est à la concertation. Le contrat de présence territoriale, qui est élaboré avec l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité (AMF), s'inscrit dans cette culture. Sur les 17 000 points de contact actuels, la part des agences postales communales a progressé. L'objectif, comme je le mentionnais au sujet des maisons France Services, est de proposer dans ces lieux le plus d'activités possible, afin que ceux-ci soient multiactivités et multiservices. Il n'est donc pas question de supprimer le droit de veto.
Le rapport de la Cour des comptes met en lumière une tension que nous partageons tous : nous souhaitons plus de services publics, tout en faisant face à la difficulté de leur financement. Il s'agira là de mon principal dilemme de future présidente potentielle de La Poste : comment améliorer la fourniture de ces services publics au moindre coût, comment obtenir que ces services soient mieux financés et qu'est-ce qui est soutenable ? Voilà pourquoi il est si important de construire l'avenir, voilà pourquoi j'ai insisté sur la sous-compensation : nous devons investir dans les métiers de demain pour compenser le déclin de certaines activités.
Le volume de courrier va en effet continuer de décliner. Vous êtes sans doute parmi ceux qui écrivent le plus, car vous recevez beaucoup de lettres de vos territoires et vous y répondez, mais vous êtes malheureusement un petit îlot, qui résiste.
Du point de vue de La Poste, j'aimerais avoir beaucoup d'îlots comme celui-ci, mais les courriers administratifs - ceux des banques, des administrations - se raréfient ; les communications deviennent toutes numériques. Les feuilles de paie que nous avons connues et reçues par voie postale nous parviennent désormais dans des coffres-forts électroniques. Cette disparition du courrier est préoccupante. Le colis s'y est substitué, mais de nombreux paliers restent à franchir. Maintenir le service universel postal à l'identique alors que nous allons connaître le séisme d'une nouvelle baisse sera problématique.
La Poste assure une distribution six jours sur sept, alors que la directive européenne en prévoit cinq et que la plupart des pays européens s'en tiennent à cette fréquence, quand certains ne la respectent même plus. Je ne peux répondre aujourd'hui à votre question sur ce point, mais il nous faut réfléchir à l'organisation des tournées. La presse nécessite une livraison six jours sur sept, et il y a également la question de l'urgence. Peut-être pourrions-nous adopter des approches différentes selon les territoires - ruraux, périphériques ou urbains - et voir si le portage de la presse finit par se développer. L'ensemble de ces éléments constituent un sujet que nous aurons à traiter, mais qui relève également du domaine législatif.
Sur la précarité administrative, je note ce point, sans être certaine de disposer de tous les éléments pour y répondre. Néanmoins, comme nous l'avons vu en matière de bien-vieillir et de santé, nous sommes bien placés pour jouer un rôle en la matière. Les maisons France Services ont été un succès et de nombreux actes y sont accomplis. Sur les 2 500 maisons existantes, La Poste n'en gère que 400, qui ne sont peut-être pas les plus performantes, mais ce dispositif a contribué à réduire la précarité administrative ces dernières années. Nous devrons continuer à y travailler.
M. Vincent Louault. - Je vous remercie de vos propos, tant il est toujours difficile de répondre avec précision à des questions sur un poste auquel l'on n'est pas encore nommé.
Ma question sera donc encore plus précise et portera sur l'Union postale universelle (UPU). Vous demandez, à juste titre, des compensations pour le service universel postal, à hauteur d'environ 500 millions d'euros. Pourtant, alors que vous évoquez une stagnation, voire une baisse, du volume des colis, les chiffres européens montrent un doublement annuel de celui-ci. Il est en effet passé de 1,3 milliard en 2022 à 2,3 milliards en 2023 et devrait atteindre 4,5 milliards en 2024. À ce rythme, ce sont cinq, six ou sept milliards de petits colis qui pourraient être à traiter en 2025.
L'UPU fonctionne comme une chambre de compensation. Lorsque j'envoie un paquet à ma soeur au Canada, je ne rémunère pas la poste canadienne pour les derniers kilomètres de la livraison. Cette compensation est négociée dans le cadre d'un cycle, le cycle d'Abidjan, qui s'achève cette année. Quelle est votre position en vue du prochain cycle de négociations de l'UPU ? En effet, les colis que vous transportez pour Shein, Temu et consorts ne vous rapportent que 1,50 euro, la Chine étant considérée comme un pays en voie de développement, vous lui accordez gracieusement une réduction de 50 %. En conséquence, envoyer une lettre de 100 grammes coûte aujourd'hui deux fois plus cher qu'un colis Shein ou Temu que vous livrez.
Quelle est donc votre volonté dans ces négociations internationales difficiles - les Américains ont bloqué le cycle il y a une dizaine d'années -, et comment pouvons-nous vous y aider ? Au vu des enjeux de service public, nous ne pouvons pas permettre d'offrir une réduction de 50 % sur tous les colis de Shein et de Temu distribués par La Poste.
M. Jean-Marc Boyer. - Parmi les missions que vous avez mentionnées - service public, concurrence, diversification -, vous avez souvent évoqué la baisse du volume de courrier, que chacun peut constater. Le problème est que nos territoires, parfois isolés ou éloignés, comptent des personnes âgées qui ne sont adeptes ni du coffre-fort électronique ni de l'intelligence artificielle.
À plusieurs reprises, vous avez évoqué les maisons France Services. Quelle relation future envisagez-vous avec ces structures, sachant que ce sont aujourd'hui les citoyens qui s'y rendent, alors que La Poste assure une mission de proximité, presque à domicile ? De quelle manière ce dispositif peut-il évoluer, afin que les citoyens ne soient pas, un jour, amenés à se rendre dans une maison France Services pour y retirer leurs colis, voire leur courrier ?
Mme Viviane Artigalas. - Ma première question porte sur la diversification de vos activités. Vous avez indiqué que les missions de service public non compensées vous empêchaient d'envisager une meilleure diversification. Si vous disposiez des moyens de mettre celle-ci en oeuvre, ce qui serait bénéfique pour La Poste, s'agirait-il plutôt d'étendre le périmètre des diversifications que vous menez déjà, ou de vous orienter vers d'autres domaines d'activité ? Dans le second cas, lesquels ? Cette diversification impliquerait-elle le rachat d'entreprises ou l'investissement dans d'autres sociétés à l'étranger, sachant que vous réalisez déjà 44 % de votre chiffre d'affaires à l'international ?
Ma seconde question a trait à votre actionnaire principal, la CDC. La Banque des territoires est un acteur important du prêt à long terme aux collectivités locales. Comment envisagez-vous les complémentarités ou la concurrence entre La Banque Postale et la Banque des territoires ?
M. Christian Redon-Sarrazy. - Comment comptez-vous lutter contre l'aggravation de l'exclusion numérique ? De nombreux services sont aujourd'hui dématérialisés ou numérisés ; or La Poste s'adresse à un public parfois très éloigné du numérique. Que comptez-vous faire pour éviter que le fossé se creuse encore davantage ?
Mme Marie-Ange Debon. - S'agissant du cycle de l'Union postale universelle (UPU), vous me poussez dans mes retranchements quant à ma compréhension de la dimension internationale, mais ce point est vraiment important. Comme je l'évoquais en réponse à la question sur Temu, de nombreux enjeux relèvent de négociations internationales, douanières, européennes, voire au sein de l'Organisation mondiale du commerce (OMC).
En théorie la Chine a décidé cette année de ne plus se prévaloir du statut de pays en voie de développement, mais elle a assorti cette décision d'un certain nombre de conditions et de réserves. Il m'appartiendra d'approfondir ces réserves pour étudier comment elles se traduisent financièrement dans les échanges postaux internationaux.
Le sujet des colis chinois dépasse La Poste ; il requiert une action des pouvoirs publics européens et internationaux. D'ailleurs, alors que les États-Unis ont mis en place des barrières douanières, les ventes chinoises y résistent bien : malgré des taux additionnels de 25 % à 50 %, les ventes se maintiennent à un bon niveau, ce qui démontre la puissance de feu des fabricants et des plateformes chinoises.
Le développement des services à domicile constitue un axe majeur et l'une des forces de La Poste, fondée sur la confiance : dans les territoires ruraux, tout le monde connaît son facteur ou sa factrice, qui entre parfois au domicile.
M. Olivier Rietmann. - De moins en moins, en raison de la croissance des CDD.
Mme Marie-Ange Debon. - Il existe toutefois une complicité, ou tout au moins une connaissance mutuelle. Le service à domicile peut être un élément de développement de l'activité de La Poste, précisément pour traiter les cas d'exclusion numérique ou pour apporter des compléments de services, comme nous le faisons déjà pour le portage de repas ou de médicaments. Il ne s'agit donc pas d'imposer aux personnes âgées qui ne pourraient plus se déplacer de se rendre dans les maisons France Services, mais bien de maintenir un service de proximité dans les endroits les plus reculés. Cela se définit territoire par territoire.
Pour répondre à Mme Artigalas sur les moyens de la diversification, il est vrai qu'il s'agit là d'un point majeur pour l'avenir de La Poste, laquelle doit disposer des ressources nécessaires pour continuer d'investir, d'abord, dans ses propres outils. Nous devons ainsi poursuivre nos investissements dans l'immobilier, dans nos centres de tri et dans nos plateformes de flux, pour que ces infrastructures soient de grande qualité. Il nous faut donc mener un effort sur notre coeur de métier en France.
S'agissant de La Banque Postale et de la qualité de service, nos outils informatiques doivent également être à la hauteur, afin que la consultation d'un compte sur un téléphone mobile offre une expérience équivalente à celle que connaissent les clients des autres banques. Nous devons donc disposer de ressources pour investir dans nos métiers principaux.
Viennent ensuite nos métiers à l'international. Mon souhait est évidemment que l'international soit un amplificateur du succès de La Poste, et non un handicap. Je serai donc extrêmement vigilante sur le développement dans ce domaine, afin de nous assurer que nous investissons dans les bons pays. Certains sont des succès : on ne le sait pas toujours, mais le Brésil, par exemple, est une réussite pour CNP Assurances et pour La Poste. S'il convient donc de les choisir de manière sélective, ces implantations peuvent constituer des relais de profitabilité, voire soutenir le financement de notre propre service public en France.
Reste le numérique, qu'il convient d'aborder avec nuance. Si 75 % des Français se disent à l'aise avec le numérique, ce qui est beaucoup, 25 % ne le sont pas, ce qui nous oblige à une grande vigilance.
En ce qui concerne la Banque des territoires, les règles sont assez claires : elle finance sur des durées de plus de vingt-cinq ans, tandis que La Banque Postale intervient sur des durées inférieures. La Banque des territoires se concentre donc sur les grandes infrastructures des collectivités locales - réseaux d'assainissement, investissements longs... -, tandis que la branche de La Banque Postale qui finance les collectivités locales opère sur des investissements à plus court terme. La partie investissement en capital est, quant à elle, portée par Bpifrance. Au sein de la CDC et du grand pôle financier public, l'organisation est fonctionnelle et les règles sont bien définies.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Merci madame, et bon courage pour votre audition à l'Assemblée nationale où vous vous rendez maintenant.
Vote sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de Mme Marie-Ange Debon aux fonctions de présidente du conseil d'administration de La Poste
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous avons achevé l'audition de Mme Marie-Ange Debon, candidate proposée par le Président de la République pour exercer les fonctions de présidente du conseil d'administration de La Poste. Nous allons maintenant procéder au vote sur cette proposition.
Le vote se déroulera à bulletin secret, comme le prévoit l'article 19 bis de notre Règlement. En application de l'article 1er de l'ordonnance n° 58-1066 du 7 novembre 1958 portant loi organique autorisant exceptionnellement les parlementaires à déléguer leur droit de vote, les délégations de vote ne sont pas autorisées.
Je vous rappelle que le Président de la République ne pourrait procéder à cette nomination si l'addition des votes négatifs des commissions de l'Assemblée nationale et du Sénat représentait au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés dans les deux commissions.
Il est procédé au vote.
La séance est close à 17 h 00.
Dépouillement sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de Mme Marie-Ange Debon aux fonctions de présidente du conseil d'administration de La Poste
Après dépouillement du scrutin sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de Mme Marie Ange Debon aux fonctions de présidente du conseil d'administration de La Poste (simultanément à celui de la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale, le résultat est le suivant :
Nombre de votants : 34
Bulletin blanc : 1
Bulletin nul : 1
Suffrages exprimés : 32
Pour : 18
Contre : 14
Mercredi 22 octobre 2025
- Présidence de Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente -
La réunion est ouverte à 9 h 30.
Audition de Mme Catherine MacGregor, directrice générale d'Engie
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous avons le plaisir d'accueillir Mme Catherine MacGregor, directrice générale d'Engie depuis janvier 2021.
Madame MacGregor, le monde de l'énergie n'a plus de secret pour vous puisque vous avez accompli l'ensemble de votre carrière professionnelle au sein de grands groupes du secteur. Vous avez débuté chez Schlumberger, où vous avez exercé pendant 23 ans, d'abord comme ingénieure sur une plateforme pétrolière au Congo, avant de gravir les échelons jusqu'à devenir présidente de l'activité de forage. Vous avez ensuite occupé, pendant deux ans, les fonctions de directrice générale de Technip Énergies, entreprise spécialisée dans l'ingénierie et les technologies destinées aux infrastructures énergétiques, avant de rejoindre Engie. Vous êtes d'ailleurs aujourd'hui l'une des quatre femmes dirigeantes d'une entreprise du CAC 40.
Pour mémoire, le groupe Engie est né en 2008 de la fusion entre Gaz de France et Suez. L'État français détient à ce jour plus de 23 % de son capital social, et la Caisse des dépôts et consignations un peu plus de 3 %. Si la fourniture de gaz naturel est son coeur de métier historique, votre groupe s'est considérablement diversifié puisqu'il est aujourd'hui présent dans la production et la fourniture d'électricité renouvelable, dans la construction d'infrastructures énergétiques, ou encore dans les services d'efficacité énergétique. Engie est l'actuel leader en France sur plusieurs segments comme le solaire, l'éolien, ou encore la production de biométhane. Votre groupe est aussi le deuxième producteur national d'hydroélectricité.
Engie est également présent à l'international. Par exemple, vous venez de mettre en service le plus grand parc éolien terrestre d'Afrique, d'une capacité de 650 mégawatts, implanté en Égypte sur les bords du Golfe de Suez, qui alimente un million de foyers en énergie propre. Lors du dernier salon du Bourget, vous avez conclu un contrat avec le groupe Airbus pour l'accompagner dans la décarbonation d'une vingtaine de sites industriels en Europe.
Je souhaite vous interroger d'abord sur les objectifs climatiques européens. L'Union européenne s'est fixée, à travers le paquet « Ajustement à l'objectif 55 », un premier objectif de réduction de 55 % des émissions de gaz à effet de serre d'ici à 2030, et un second objectif de neutralité carbone en 2050. En novembre dernier, lors de la présentation de la deuxième édition de votre scénario de décarbonation de l'Europe à horizon 2050, vous sembliez optimiste sur l'objectif pour 2030, mais beaucoup plus réservée sur celui fixé pour 2050, que vous subordonnez au déploiement de technologies qui sont encore au stade de développement, comme la capture et le stockage de carbone. Quels leviers d'action identifiez-vous pour être au rendez-vous en ce domaine ? Vous vous êtes opposée à l'instauration d'une nouvelle cible de baisse de 90 % des émissions en 2040, à laquelle songerait Bruxelles, en considérant qu'un tel objectif serait « contre-productif » : qu'en est-il ?
Je souhaite, ensuite, aborder le sujet de l'instabilité géopolitique et de ses conséquences sur vos activités et les prix que vous pratiquez. La guerre en Ukraine et les paquets de sanctions décidés contre la Russie ont conduit l'Europe à se détourner progressivement du gaz russe, dont la part dans les importations de l'Union européenne s'élevait à 19 % l'an passé - si l'on additionne les importations par gazoduc et par gaz naturel liquéfié (GNL). Alors que les États membres souhaiteraient mettre fin à ces importations européennes en provenance de Russie au plus tard en 2027, la Hongrie, très dépendante du gaz russe, vient de signer un contrat de dix ans avec Engie pour couvrir un peu moins de 5 % de sa demande annuelle. Actuellement, auprès de quels pays vous fournissez-vous en gaz naturel, et comment tenez-vous compte des soubresauts géopolitiques dans votre stratégie d'approvisionnement ?
Par ailleurs, l'accord commercial conclu cet été entre les États-Unis et l'Union européenne comporte un volet énergétique qui prévoit des achats d'hydrocarbures américains - gaz naturel, pétrole et combustibles nucléaires - pour un montant de 750 milliards de dollars sur trois ans, auxquels s'ajoutent 600 milliards de dollars de nouveaux investissements européens aux États-Unis. Dans quelle mesure votre groupe est-il concerné par cet accord ? Ces engagements répondent-ils aux intérêts des entreprises énergétiques françaises et européennes, ou sont-ils une contrainte supplémentaire dans la définition de votre politique stratégique ?
Enfin, notre commission a toujours veillé à ce que nos concitoyens et nos entreprises accèdent à une énergie abordable. Depuis le 1er juillet 2023, date de disparition des tarifs réglementés de vente de gaz, comment le prix du gaz proposé par Engie a-t-il évolué, notamment au regard du prix repère publié chaque mois par la Commission de régulation de l'énergie (CRE) à destination des clients résidentiels ?
Mme Catherine MacGregor, directrice générale d'Engie. - Merci pour votre accueil, c'est toujours le bon moment de parler de l'énergie, sujet stratégique s'il en est.
Dans un contexte géopolitique chahuté, notre groupe garde le cap de la transition énergétique, avec trois convictions : si elle est bien conduite, la transition peut être source de compétitivité et de souveraineté, ce qui est de plus en plus important ; elle permet de rapatrier des moyens de production, donc de la croissance et des emplois, c'est une opportunité ; enfin, la transition énergétique ne peut pas se faire sans les territoires.
Quelques mots sur Engie : notre histoire est riche, nous comptons 98 000 salariés dans le monde, dont 46 000 en France, et nous avons inscrit dans nos statuts d'accélérer la transition énergétique, avec un objectif « net zéro carbone » en 2045, ce qui n'est pas une mince affaire pour un groupe vendant du gaz. J'y travaille depuis mon arrivée, nous avons transformé le groupe pour que l'ensemble de nos activités et notre modèle de création de valeur répondent à cet objectif.
Nous produisons de l'électricité, environ 100 gigawatts à l'échelle mondiale, près de la moitié provient des énergies renouvelables - le reste est issu de centrales à gaz et du nucléaire, nous sommes l'opérateur historique des centrales en Belgique. Nous avons l'ambition de nous développer significativement dans les énergies renouvelables, que nous associons aux batteries, les renouvelables et le stockage allant de pair ; en France, nous sommes le premier opérateur éolien et solaire, et le deuxième dans l'hydraulique. Pour la partie aval, nous sommes présents auprès de nos clients particuliers et industriels, auxquels nous vendons de l'électricité et du gaz ; en France, nous fournissons 5 millions de foyers en électricité et 6 millions en gaz. Entre la production et les clients se trouvent les infrastructures, nécessaires pour acheminer toute cette énergie ; nous sommes les opérateurs historiques des infrastructures gazières en France, dont nous assurons la quasi-totalité des opérations. Nous avons également des infrastructures électriques, pas en France puisque c'est le terrain réservé de RTE et d'Enedis, mais que nous développons dans les autres pays où nous opérons. Enfin, le rôle des infrastructures décentralisées est très important, avec une présence très forte dans les réseaux de chaleur : dans de nombreuses villes, nous opérons ces réseaux qui délivrent une chaleur compétitive et la plus décarbonée possible, et nous espérons développer de plus en plus de réseaux de froid. D'une manière générale, nous avons l'ambition d'être la meilleure utility de la transition énergétique, c'est-à-dire de délivrer un service utile à nos clients.
Engie investit environ 10 milliards d'euros chaque année. Nous le faisons de la manière la plus responsable possible, au bénéfice de la société, de nos clients industriels, des citoyens et de nos collaborateurs. Nous avons une vue équilibrée du partage de la valeur et de notre rôle, avec pour boussole la transition énergétique, mais pas à n'importe quel prix : elle doit rester la plus abordable et la plus fiable possible. Pour cela, le pragmatisme s'impose : nous ne parviendrons pas à réaliser une transition énergétique si nous sommes dans le dogme ou dans l'idéologie ; nous aurons besoin de toutes les énergies décarbonées pour conduire cette transformation, et nous ne gagnerons rien à jouer une technologie contre une autre. L'objectif de neutralité carbone à l'horizon 2050 est très ambitieux pour l'Europe et pour la France, il exige une électrification massive : c'est un levier de décarbonation, car il est beaucoup plus facile de décarboner l'électron que les autres sources d'énergie. Cependant, même en maximisant l'électrification, nous n'atteindrons, au mieux, que la moitié des besoins d'énergie finale - et c'est bien pourquoi nous devons aussi nous attaquer aux molécules. Il va falloir décarboner le gaz, les défis technologiques et économiques pour y parvenir sont devant nous, nous devrons actionner tous les leviers, en particulier développer le biométhane et l'hydrogène.
Le gaz a des propriétés spécifiques : la molécule se stocke et se transporte aisément, et le gaz est indispensable à certaines industries, pour atteindre certaines températures ou parce que l'électrification serait trop onéreuse ; nous aurons donc besoin de solutions gazières, et, notre conviction chez Engie, c'est l'alliance de l'électron et de la molécule, pour assurer une transition énergétique et en garder le coût abordable. Un mardi de l'hiver dernier, la puissance électrique appelée sur les réseaux était de 87 gigawatts, tandis que la puissance fournie par le gaz sur le même territoire était de 123 gigawatts : nous ne pouvons pas supprimer le gaz des systèmes de chauffage, il nous est nécessaire, nous devons rester pragmatiques. En revanche, nous devons électrifier ce qui peut l'être et opter pour des systèmes hybrides : l'objectif est d'utiliser l'électricité décarbonée la plus économique possible en base et, lorsque cela est nécessaire, de faire intervenir le gaz en appoint - et en utilisant les infrastructures existantes.
Nous savons que la demande d'électricité va augmenter et il faut se positionner du côté de la production. Nos capacités hydroélectriques et notre parc nucléaire actuel - même prolongé - ne pourront pas absorber la hausse, et si le nouveau nucléaire jouera un rôle, cela ne sera pas avant 2038 et avec des coûts plus élevés que ceux du nucléaire amorti. Par conséquent, il n'y a pas d'autre choix que le développement rapide des renouvelables électriques, avec les moyens de stockage et de flexibilité que représentent les centrales à gaz. Ce sont des développements qu'il faut réaliser pour accompagner ce mouvement d'électrification.
J'ouvre une parenthèse pour vous rassurer sur l'acceptation de ces énergies renouvelables. On a parfois l'impression que personne n'en veut, mais les sondages sont très clairs : 84 % des Français y sont favorables, et d'autant plus favorables qu'ils vivent près des projets, c'est contre-intuitif mais c'est ce que montrent les enquêtes. Les énergies renouvelables ont une image positive, il faut les développer et les combiner à la filière nucléaire, qui est une force pour la France.
Tout cela va prendre du temps, et notre responsabilité de développeur est de privilégier les projets les plus compétitifs. Il y a deux modèles de développement pour ces projets : soit un contrat direct avec des clients, ce qui ne coûte rien à l'État ; soit un mécanisme de soutien qui permet à l'investisseur une juste rémunération de son capital et lui donne de la visibilité sur le prix de l'électricité pendant la période d'amortissement du projet, sur quinze ou vingt ans. Ce prix sera d'autant plus bas que l'investissement sera compétitif. C'est pourquoi, chez Engie, nous nous battons pour qu'un cadre stable soit défini, qui assure une visibilité aux industriels et aux investisseurs. C'est une condition pour engager des projets importants, donc diminuer le coût de l'énergie et avec lui le coût pour l'État via le mécanisme de soutien. Nous devons être exigeants sur la compétitivité des projets ; pourquoi faire du solaire dans des régions où il y en a déjà trop ? S'il y a déjà du solaire, favorisons plutôt les batteries ou couplons le nouveau solaire avec les batteries, ou bien changeons d'échelle pour faire des projets plus importants - il y a certes des contraintes, en particulier le zéro artificialisation nette (ZAN). On aime les petits projets en France car c'est plus facile, mais cela n'aide pas la compétitivité et les coûts se répercutent sur le soutien public : faire du solaire en France à 70 ou 80 euros du mégawattheure, cela n'a rien d'évident quand il est à 30 ou 35 euros en Espagne... Je crois qu'il y a des progrès à faire pour s'assurer que nous réalisons les bons projets renouvelables. Il faut de la visibilité, de la stabilité, de meilleurs moyens de réaliser les meilleurs projets et de limiter au maximum la dépendance aux subventions ; ce doit être un objectif commun.
Un mot sur le contexte international. La France ferait figure d'exception si elle décidait de ne faire que du nucléaire : nous serions même les seuls à faire ce choix. L'énergie décarbonée est vue d'abord comme un avantage concurrentiel mondial. En 2024, la Chine a installé à elle seule 278 gigawatts d'énergie solaire et 80 gigawatts d'éolien, ce qui représente 70 % des nouvelles capacités mondiales. À ce rythme, la Chine construit en renouvelables l'équivalent de plusieurs dizaines de centrales nucléaires chaque mois. Elle démontre sa capacité industrielle et logistique hors normes, puisqu'elle installe ses projets tout en développant son industrie - et elle a pivoté la quasi-totalité de son industrie vers la décarbonation et l'industrie verte, notamment dans l'énergie, mais aussi dans le secteur automobile. Fait intéressant, la Chine développe aussi le nucléaire : elle a aujourd'hui 56 réacteurs en exploitation et 30 en construction. Plus près de chez nous, les énergies renouvelables représentent la moitié de la production électrique de l'Europe : des pays comme la Suède, la Finlande, l'Espagne ou encore la Belgique - où nous sommes l'opérateur nucléaire - combinent nucléaire et renouvelable. La Pologne, qui produit encore une énergie très carbonée, avec des centrales à charbon, s'engage massivement dans le développement des énergies renouvelables pour assurer sa transition. L'Italie, qui fait son électricité surtout à partir du gaz, a produit l'an passé plus de 43 % de son électricité à partir des renouvelables : elle est en passe d'équilibrer son système et a l'ambition de tripler ses renouvelables à court terme, pour sortir de la dépendance au prix du gaz et améliorer sa souveraineté.
Le mix électrique que nous prônons repose donc sur l'ensemble des technologies et donne un prix du marché de gros le plus bas possible. C'est important, car il y a toujours une différence entre les prix vus par nos clients, industriels ou particuliers, et le prix du marché de gros. Plus nous serons au rendez-vous côté production, plus nous ferons baisser les prix de l'électron sur les marchés de gros. Ensuite, il faudra activer d'autres leviers, en particulier les taxes et le coût de l'infrastructure. Il faut optimiser le système dans son ensemble, et non pas regarder une seule de ses briques.
En France, nous arrivons à la fin de l'Accès régulé à l'électricité nucléaire historique (Arenh), un dispositif qui a été très décrié mais qui a beaucoup contribué à la protection des clients industriels et particuliers, en donnant aux fournisseurs un accès à 100 térawattheures d'électricité à un prix défiant toute concurrence de 42 euros le mégawattheure. La fin de l'Arenh aura un impact inflationniste, mais nous partons d'une situation où les prix sont parmi les plus bas d'Europe, autour de 20 euros du mégawattheure en dessous de l'Allemagne, ce qui nous place dans une situation relativement favorable.
Un autre point important est la transformation des modes de production. S'il faut développer les batteries avec le solaire, il y a aussi des moments dans la journée où nous avons trop d'électricité - se produit alors le fameux phénomène des prix négatifs. Nous en tenons compte chez Engie avec notre offre « Happy Heures Vertes », qui propose un prix plus bas quand il y a trop d'électrons, une expérience que nous menons pour 100 000 clients au maximum. Il faut être agile, les fournisseurs ont un rôle très important. La concurrence entre eux est essentielle, elle amène l'innovation, des services clients plus performants et la capacité à apporter les bénéfices de la transition énergétique aux clients. La multiplication de ce genre d'offres permettra de réunir le monde de la production et celui de la consommation : voilà comment nous envisageons cette transformation entre la baisse du prix de gros et la facture finale.
L'électricité ne représentant que le quart de notre consommation finale d'énergie, nous allons devoir activer l'ensemble des sources à notre disposition : la chaleur - et nous espérons bientôt le froid - avec les collectivités locales, la décarbonation de l'industrie, la géothermie, et encore le biométhane, dont la croissance a été importante au cours de ces dix dernières années et dont nous espérons qu'il va encore se développer avec la mise en place des certificats de production de biométhane (CPB).
Un commentaire, également, sur l'échelon auquel nous devons traiter la politique énergétique. Nous avons besoin de planification au niveau national, de visibilité et d'un cap, car les investissements nécessaires au mix énergétique que nous voulons s'inscrivent dans un temps long. C'est pourquoi nous appelons de nos voeux un cadre tel que défini par la proposition de loi Gremillet pour une programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE). Nous avons besoin de savoir que l'ensemble des technologies auront une place dans le mix énergétique français, plutôt que de se crisper sur la définition d'un objectif par technologie au niveau central. Ce qui compte avant tout, c'est de lancer une dynamique, de marquer clairement que nous allons développer les renouvelables, les batteries, le nouveau nucléaire ; c'est plus important que de se disputer sur une décimale pour l'objectif d'une technologie en particulier dans notre mix cible.
La simplification est aussi un point sur lequel il faut avancer, au-delà du travail très important que vous faites : c'est le cas en particulier pour le ZAN. Nous avons besoin d'un cadre, de visibilité, de stabilité et d'une vision pour le système énergétique, ce qui relève du niveau central.
Ensuite, très clairement, la transition énergétique demande une appropriation forte des territoires, des élus locaux et des citoyens. C'est pourquoi il me semble très important de donner un peu plus de liberté, de capacité d'arbitrage et de décision aux échelons inférieurs, car qui mieux que l'échelon local pour décider combien de solaire, combien d'éolien, et où implanter ces projets ? Ce rééquilibrage entre le niveau central et le niveau local est essentiel. Je pense au projet magnifique d'éolien au large des îles d'Yeu et de Noirmoutier, sur lequel nous travaillons depuis une douzaine d'années et que nous allons mettre en service après seulement deux ans de construction : ce projet n'aurait jamais vu le jour sans un soutien très fort des Vendéens, des citoyens et des élus locaux à tous les niveaux. Ce soutien s'accompagne d'une véritable exigence sur la création d'emplois locaux : nous créons 66 emplois sur l'île d'Yeu pour assurer la maintenance du projet, c'est loin d'être négligeable à l'échelle de cette île. La transition énergétique a besoin du soutien des territoires, ils en bénéficient grâce aux créations d'emplois, et aux retombées fiscales importantes. Du reste, la stabilité fiscale est importante : changer les règles du jeu alors que les investissements ont été faits, c'est évidemment un problème.
Les projets de biométhane montrent bien comment l'énergie est liée au territoire : ils réussissent seulement lorsqu'ils sont portés par les agriculteurs, qui peuvent en dégager un revenu complémentaire face aux aléas climatiques qui pèsent parfois sur leur production. Le biométhane donne aussi des engrais biologiques avec un digestat local dont le prix n'est plus soumis aux aléas des matières premières que nous devons importer. Le rôle des territoires est donc extrêmement important. Les citoyens ne s'y trompent pas et j'ai la conviction que les Français sont beaucoup plus en faveur de la transition énergétique qu'on ne le dit parfois.
Il me faut aussi parler de l'échelon européen et du maintien du marché européen en intégralité. La France a de la chance : elle exporte de l'électricité vers ses voisins, c'est une source de revenus, mais elle peut également en importer, ce que nous avons fait massivement en 2022. Le marché européen se développe, notamment avec l'essor des énergies renouvelables dont le coût marginal est très bas, ce dont nous bénéficions. Je sais qu'il y a parfois cette tentation de redevenir une « île » sur le plan énergétique - en tant qu'énergéticiens, nous sommes très inquiets de cette idée de priver la France de sa capacité d'échanger tous les quarts d'heure avec ses voisins européens. Les Britanniques, qui en sont sortis avec le Brexit, prennent maintenant des mesures pour réintégrer le marché européen de l'électricité.
Le groupe Engie est pleinement engagé sur les objectifs climatiques de notre pays. Nous voulons jouer tout notre rôle auprès de nos collaborateurs, de nos fournisseurs et de nos clients - entreprises, particuliers ou territoires -, qui veulent rester attractifs et compétitifs, avec le soutien et l'engagement de leurs élus. Il est possible d'y parvenir si nous travaillons ensemble. Je vous remercie de l'intérêt que vous portez à ce sujet très complexe de l'énergie.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Merci pour cette présentation passionnante, à la fois claire et précise.
M. Daniel Gremillet. - Merci pour votre intervention brillante. Nous avons besoin d'un cap énergétique : c'est un enjeu stratégique pour la compétitivité de nos entreprises et de l'économie française. C'est dans cet esprit que nous avons déposé notre proposition de loi, que le Sénat a déjà examinée à deux reprises. Certains demandent une PPE par décret, cela nous paraît bien plus fragile qu'avec une loi : qu'en pensez-vous ?
La consommation énergétique de la France, ensuite, n'a pas évolué comme prévu dans les cinq dernières années, notamment parce que la réindustrialisation n'est pas au niveau souhaité. Les centres de données (data centers) liés à l'intelligence artificielle et aux cryptomonnaies ont consommé près de 460 térawattheures (TWh) d'électricité en 2022, soit l'équivalent de la consommation électrique annuelle de la France. D'après l'Agence internationale de l'énergie (AIE), la consommation des data centers en 2030 sera de 945 TWh, soit plus du double de la consommation actuelle. À Marseille, devenue sixième hub internet mondial, la captation des ressources électriques par les centres de données est devenue un sujet d'inquiétude et de crispation, notamment avec le port de la cité phocéenne. Ma seconde question s'adresse donc autant à la patronne d'Engie qu'au membre du conseil d'administration de Microsoft : la France peut-elle faire face à une telle croissance de la demande d'électricité ? De tels besoins sont-ils compatibles avec l'objectif de neutralité carbone, que le groupe Engie s'est fixé pour 2045, et que le géant Microsoft s'est fixé pour 2030 en prévoyant même une empreinte carbone négative à cette échéance ?
Enfin, nous arrivons au terme des contrats d'achat de renouvelables. Comment se positionne Engie sur la fin de ces contrats ?
M. Patrick Chauvet. - Le 4 septembre dernier, vous avez publié dans Le Figaro une tribune pour tordre le cou aux attaques contre les énergies renouvelables. J'ai trouvé très intéressants vos propos volontairement offensifs.
D'après vous, dans l'hypothèse où le prix de l'électricité resterait bas, le soutien aux énergies renouvelables s'élèverait à 50 milliards d'euros sur les dix prochaines années, loin des 300 milliards d'euros annoncés par les opposants à ces énergies. En revanche, en cas de flambée du coût de l'électricité, les énergies renouvelables rapporteraient de l'argent ; vous avancez le montant de 5,5 milliards d'euros engrangés par l'État français pendant la dernière crise énergétique, en l'espace de deux ans. Vous ajoutez que « lorsque l'État engage 1 euro de soutien, les entreprises investissent 6 euros en France. [...] Une seule éolienne rapporte 10 000 euros par an en fiscalité locale, permettant de financer des projets concrets : rénovation d'école, toiture d'église, équipements publics, etc. ». Enfin, vous écrivez que les énergies renouvelables auraient créé 50 000 emplois directs, « des emplois durables et non délocalisables, qui participent à la réindustrialisation du pays ».
La proposition de loi déposée par notre collègue Daniel Gremillet, dont je suis le corapporteur, contient plusieurs dispositions en faveur des énergies renouvelables et décarbonées. La ligne de notre commission n'a jamais dévié : ces énergies sont indispensables pour atteindre la neutralité carbone en 2050. Nous avons un amendement demandant l'étude de l'impact financier sur toutes les formes de production d'énergie.
D'après vos données financières, quelles sont les énergies renouvelables les plus efficientes au regard du coût de construction et de fonctionnement des infrastructures, et d'autre part, de leur rendement ?
M. Fabien Gay. - Vous prenez régulièrement la parole dans un contexte où nous avons besoin de rationalité dans le débat politique, tant il connaît une hystérisation sur les questions d'énergie. Je partage votre avis : nous allons avoir besoin d'électrifier. Il faut évidemment du nucléaire existant et du nouveau nucléaire. Mais comme il faut attendre le nouveau nucléaire encore 25 ans, il y aura besoin d'énergies renouvelables si nous voulons électrifier les usages et répondre aux besoins d'avenir, tout en réduisant le volume par la rénovation de nos bâtiments. Vous rappelez les exploits de la Chine en la matière, il faut dire aussi que tout en développant très fortement les énergies renouvelables, les Chinois en sont aussi les producteurs. C'est une capacité que nous n'avons pas aujourd'hui, nous sommes donc dépendants et si nous voulons progresser dans ce domaine, nous dépendons des autres. Il faut donc construire une filière industrielle, et j'espère que chacun ici s'en souviendra dans le débat budgétaire...
Cependant, j'ai un désaccord avec vous, parce que je conteste le fonctionnement actuel du marché européen de l'électricité. On peut vouloir sortir des mécanismes de construction du prix du marché européen, sans pour autant rompre avec le système de solidarité ; les premières interconnexions datent de 1967, la construction du marché européen tel que nous le connaissons date de 1997 : nous avons donc fonctionné pendant trente ans dans un autre système et nous pouvons y revenir. Nous vivons des crises parce que le système libéral tel que nous le connaissons ne vit que grâce à des crises...
Ma première question porte sur l'hydraulique. Nous venons de rendre un rapport sur le sujet, en particulier sur le difficile passage du régime des concessions à celui des autorisations ; il y a un conflit avec la Commission de régulation de l'énergie (CRE). Que comptez-vous faire, en tant que propriétaire de la Société hydro-électrique du Midi (Shem) et qu'actionnaire de la Compagnie nationale du Rhône (CNR), en matière d'investissements d'avenir dans les barrages que vous détenez ?
Ma deuxième question concerne l'emploi. Nous ne pouvons pas accomplir la transition sans les salariés ; j'ai déjà eu l'occasion de vous interpeller sur la vente d'Equans, qui va concerner 5 000 personnes, dont 3 000 techniciens implantés dans l'ensemble de nos territoires. Envisagez-vous une vente à la découpe, qui serait une catastrophe pour les techniciens, ou souhaitez-vous vendre à un groupe l'entièreté de cette entreprise ? Où en êtes-vous de cette vente ? Je suis attaché à la préservation des savoir-faire et des emplois en France...
Mme Catherine MacGregor. - Nous avons besoin d'un cadre, la proposition de loi que vous avez adoptée est utile, je l'ai dit dans mon propos introductif. Un équilibre entre le nucléaire et les renouvelables nous convient, nous avons besoin de visibilité, par exemple pour aller plus loin sur le biométhane. Il y a ensuite la question des appels d'offres en général, et de ceux en mer en particulier. Il faut étendre ce que nous avons accompli ces dernières années, pour réduire les coûts. Pour le projet d'éolien en mer de l'île d'Yeu, le prix du contrat de différence (CFD) est assez élevé, car il a été fixé en 2011. Aujourd'hui, l'éolien en mer est plus compétitif, les turbines sont bien plus performantes, il est donc temps d'avancer - et plus nous donnerons de la visibilité sur les appels d'offres, plus nous réduirons les coûts et meilleurs seront les effets d'échelle.
Les centres de données sont une chance pour la France et pour l'Europe, il y a un enjeu de souveraineté numérique. De la même manière que nous avons des entreprises comme Mistral et de très belles réussites dans l'intelligence artificielle, il est important que les infrastructures suivent ; c'est une brique importante. Cependant, il faut veiller à ce que ces centres ne fassent pas augmenter le prix de l'énergie, ce qui peut signifier qu'on puisse leur demander de « l'additionnalité », c'est-à-dire des capacités de production d'électricité propre. Si un data center consomme l'équivalent d'une ville de 100 000 habitants, on peut attendre qu'il soit accompagné de moyens de production décarbonés en France, plutôt qu'il doive se brancher sur notre électricité, ce qui aurait un effet inflationniste. Les data centers sont une chance pour la France, à condition de nous en assurer par cette demande d'additionnalité...
Le mécanisme de soutien au renouvelable est limité dans le temps. Au terme des obligations d'achat, nous sommes exposés au prix du marché, ou bien nous contractons directement avec un client. Cela nous permet d'utiliser nos électrons, de les mettre dans notre portefeuille et de les offrir à des clients, notamment industriels. Il faut soutenir le « repowering », c'est-à-dire la modernisation de nos installations, ce qui fait baisser les coûts.
J'ai publié une tribune dans Le Figaro pour contrer un certain nombre de fake news sur les sujets de l'énergie, qui sont courantes. Face à ces fake news, mes collaborateurs ont souvent la tentation de se taire, par une sorte de sidération ou de réticence à entrer sur un terrain irrationnel qui n'est pas le nôtre. Je pense que nous avons une responsabilité d'entreprise, chez Engie, de contrer les fausses informations - et qu'il nous revient par exemple de dire que les projets français d'énergies renouvelables ne coûteront pas 300 milliards d'euros comme on l'entend, mais plutôt autour de 50 milliards d'euros. C'est pourquoi j'ai pris la parole - du reste, on pourrait nous reprocher plus tard de ne pas l'avoir fait, si de mauvaises décisions devaient être prises sur la base d'informations erronées.
Vous me demandez laquelle des énergies renouvelables je préfère : c'est très difficile à dire, un peu comme de choisir lequel de ses enfants on préfère. Toutes les énergies ont des avantages et des inconvénients. Le solaire est très apprécié et compétitif, mais il présente un certain profil de production et nous aurions rapidement un problème avec le tout solaire, chacun le comprend. L'éolien, en particulier l'éolien en mer, a des avantages très importants et il est très compétitif. Les batteries constituent une solution de stockage, tout comme l'hydroélectricité et le nucléaire. J'ai moins parlé du nucléaire devant vous, car Engie n'est pas l'opérateur de référence en France, mais nous le sommes en Belgique ; vous connaissez les avantages et les inconvénients du nucléaire : une quantité très importante d'énergie décarbonée, avec un profil très stable, mais il y a la question des déchets. Chez Engie, nous avons payé 15 milliards d'euros cette année au gouvernement belge en prévision du traitement à long terme des déchets nucléaires - nous resterons responsables du démantèlement des centrales, à hauteur d'environ 10 milliards d'euros, mais nous avons versé 15 milliards d'euros à l'État belge pour qu'il se charge des déchets, ceci à long terme.
Notre intérêt est de développer les énergies renouvelables dans leur ensemble, tout en maintenant des centrales à gaz, parce qu'elles vont jouer un rôle d'appoint très important, et nous insistons sur le besoin de les maintenir sur le réseau. Le message clé est donc que l'on ne peut pas opposer les technologies les unes aux autres ; nous allons avoir besoin d'un mix. D'où ce besoin de planification pour s'assurer que toutes les technologies soient bien intégrées et pour donner de la flexibilité aux échelons plus locaux.
Je vous rejoins pour dire que nous avons aussi besoin de développer une filière industrielle. En réalité, nous n'allons pas tout fabriquer en France, mais des projets de taille significative auront un effet d'entraînement, chaque projet que nous construisons est vecteur d'emplois en France.
Attention, quand on parle du marché européen de l'électricité, il faut bien voir qu'il ne fonctionne plus du tout comme il y a trente ans. Les échanges se font de manière quasi instantanée, à l'échelle du quart d'heure, le marché s'optimise en permanence. Si nous en sortions, nous ne nous retrouverions pas dans la situation d'il y a trente ans. C'est l'expérience qu'en font les Britanniques, qui souhaitent désormais revenir et construire plus d'interconnexions. Des accords bilatéraux ne permettent pas de réagir en quinze minutes en cas de blackout ou de problème technique et pour pouvoir importer, il faut être extrêmement réactifs, c'est important de rester intégrés dans ce marché.
Sur le volet social, nous n'avons aucune intention de vendre Equans à la découpe, monsieur Gay. La vente d'ensemble est en cours, cela prend plus de temps que nous ne le voulions, ce dont nous ne sommes pas satisfaits, car cela ajoute de l'incertitude à nos collaborateurs. Nous sommes donc très engagés pour conclure avec responsabilité, sur la qualité du projet industriel et social.
Enfin, il faut régler le conflit avec la CRE sur le régime de l'hydraulique. Nous sommes satisfaits que la CNR soit préservée du changement, puisque la concession a été renouvelée à l'horizon 2041. Nous sommes également positifs sur l'opportunité d'avoir accès à des produits de flexibilité. Sachant que la réforme, si elle est adoptée, figera pour très longtemps le paysage concurrentiel, il nous paraît important de pouvoir mettre à la disposition des autres fournisseurs un certain montant de la production. Cela n'aura pas d'impact en termes sociaux, mais nous permettra de continuer à enrichir les offres que nous proposons à nos clients. Ce sont donc plutôt des aspects positifs de la réforme. Nous avons des discussions qui se poursuivent sur l'optimisation des vallées du Sud-Ouest, nous espérons développer davantage la Shem.
M. Jean-Claude Tissot. - Vous prônez l'accélération de la décarbonation de vos activités, en vous alignant sur l'objectif européen « zéro carbone » à l'horizon 2050. Ce discours est louable et sa déclinaison passe par une augmentation de la production d'énergies renouvelables.
J'aimerais vous entendre sur la question de l'énergie solaire et, plus précisément, sur la baisse des tarifs de rachat de l'électricité produite par les petites installations photovoltaïques en toiture. Comment le groupe Engie a-t-il accueilli cette orientation à la baisse ?
M. Guislain Cambier. - Dans les Hauts-de-France, territoire à la fois urbain et agricole, nous disposons de ressources abondantes en déchets et en production végétale, ce qui est utile pour produire de l'énergie, en particulier dans les territoires plus périurbains ou périphériques.
Intégrez-vous cette dimension de proximité et de maillage dans le choix de vos projets ?
Mme Anne Chain-Larché. - En Seine-et-Marne, de nombreux foyers sont alimentés en gaz par citernes à des prix exorbitants, ils sont pieds et poings liés aux distributeurs : dans quelle mesure Engie peut-elle s'associer au déploiement des réseaux, qui sont très coûteux pour les collectivités ?
Mme Catherine MacGregor. - Il est toujours délétère de changer les règles du jeu une fois que des investissements sont engagés. Le solaire en toiture est pertinent lorsqu'il est compétitif et qu'on maîtrise les effets sur le réseau de l'électricité supplémentaire ainsi produite : il faut être attentif aux possibles effets de bord. Au Brésil ou aux Pays-Bas, il y a eu des prix négatifs : lorsqu'il y a un excédent de solaire à une heure donnée, ajouter du solaire en toiture très subventionné à petite échelle, ce n'est pas la meilleure utilisation des deniers publics. Il faut garder la boussole du coût et de la compétitivité, donc être sélectif sur les projets.
Nous ne savons pas produire le biométhane autrement qu'en étant intégrés dans nos territoires et dans l'écosystème local. La difficulté est de déterminer la taille d'un méthaniseur : s'il est trop petit, la production du biométhane est très chère. Mais il faut aussi prendre en compte les coûts et les inconvénients de la logistique, qui peuvent disqualifier des projets trop importants : nous devons arriver à des méthaniseurs de taille moyenne qui sont intégrés et bien acceptés, en optimisant les coûts, l'acceptation locale et l'intégration logistique.
Concernant le déploiement de réseaux locaux de gaz, je vous dirigerai vers GRDF, qui est le mieux à même de répondre à un besoin local de développer un réseau, normalement en s'appuyant sur son réseau existant pour le densifier. Nous pourrons en parler avec la directrice générale de GRDF.
Mme Viviane Artigalas. - La précarité énergétique de nos concitoyens augmente, en raison de la précarité financière des ménages, de la fin du bouclier tarifaire et de l'augmentation du poids de la facture énergétique dans les budgets. Le montant du chèque énergie est beaucoup trop faible pour couvrir les dépenses des plus modestes et, bien que l'électricité soit un bien de première nécessité, on constate une hausse des impayés.
Une directive européenne incite les États membres à soutenir les ménages précaires en établissant des prix réglementés. Avec mes collègues, j'ai donc déposé une proposition de loi créant une tarification spéciale de l'électricité en faveur des ménages modestes. Que pensez-vous d'une telle initiative, qui porte une véritable mesure de justice sociale et limiterait les impayés ?
Dans le même ordre d'idées, que pensez-vous de la mise en place de tarifications spéciales pour les artisans, les PME et les TPE afin de protéger leur activité ?
Mme Martine Berthet. - Rapporteure pour avis sur le compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État », j'aimerais connaître votre sentiment au sujet du maintien de l'État au capital d'Engie. Après la fusion Suez-Gaz de France, l'État a mené, à partir de 2015, une politique de désengagement, qui s'est traduite par plusieurs ventes de participations. Poursuivant cette dynamique, la loi Pacte de 2019 a autorisé l'État à céder l'intégralité de sa participation, sous réserve de conserver au moins une action spécifique. L'objectif était de permettre à Engie d'ouvrir son capital à d'autres investisseurs, notamment pour financer la transition vers le renouvelable, tout en garantissant à l'État un certain contrôle sur les activités de l'entreprise. Depuis cette date, l'environnement énergétique, économique et géopolitique a changé et, finalement, la participation de l'État au capital d'Engie est restée stable, à un peu moins d'un quart.
Quel rôle a joué cette qualité d'actionnaire de l'État dans vos choix stratégiques lors de la crise énergétique, notamment concernant les sources d'approvisionnement - et dans votre stratégie en matière de transition écologique ?
Selon vous, dans une logique purement économique - je ne vous interroge pas sur l'aspect politique -, l'État a-t-il vocation à se désengager d'Engie, en conservant seulement une action spécifique, comme l'y autorisait la loi Pacte ?
Mme Marie-Lise Housseau. - En août dernier, un accord a été trouvé entre l'Europe et la France pour investir à nouveau dans de grands barrages. Si nous avons de nombreux barrages hydroélectriques dans les Pyrénées, il n'y a plus beaucoup de sites disponibles, et des associations environnementales sont farouchement opposées à toute création de barrages. Quelle est la prospective d'Engie en matière de nouveaux barrages en France et en Europe ?
Vous venez d'assembler les trois premières éoliennes flottantes au large de Port-la-Nouvelle : quelles sont vos perspectives de développement sur ce secteur très venté de la Méditerranée ?
Mme Catherine MacGregor. - La transition énergétique coûtera plus cher à ceux qui utilisent des produits carbonés et il est très important de protéger les ménages précaires. Ce serait une véritable injustice sociale, et la transition énergétique serait légitimement rejetée par nos concitoyens si son coût devait être supporté sans tenir compte des capacités contributives : un fléchage pour protéger les ménages les plus précaires me paraît essentiel. Je n'ai pas tous les tenants et aboutissants techniques ; le chèque énergie a le mérite d'exister : faut-il le cibler davantage ? Je ne saurais le dire, mais je sais qu'il faut protéger les ménages les plus modestes, sans quoi on met en péril la transition énergétique dans son ensemble. Lorsque l'on parle du coût de la transition énergétique, on songe beaucoup aux subventions, mais c'est le coût pour chacun d'entre nous qui doit être pris en compte, en particulier pour ceux qui ont un faible pouvoir d'achat.
Lors de la crise énergétique, les énergéticiens se sont tous mobilisés, quelle que soit la participation de l'État à leur capital : l'intérêt national est clair pour chacun d'entre nous. Pour Engie, l'important c'est l'alignement sur la stratégie, c'est ce que nous avons aujourd'hui pour la transition énergétique.
Les équipements hydroélectriques sont précieux, même s'ils ont leurs vulnérabilités, ce sont des cathédrales presque naturelles, des endroits assez spectaculaires ; cependant, il est devenu extrêmement compliqué de construire de nouveaux barrages en France, ainsi que dans la plupart des pays occidentaux, comme on le fait encore en Inde et en Chine, par exemple. Nous allons plutôt nous orienter vers la modernisation et le développement de l'existant.
Enfin, nous apprécions beaucoup les éoliennes flottantes, leurs coûts restent encore un peu élevés par rapport à l'éolien en mer posé, mais elles offrent des avantages, par exemple en Méditerranée où les fonds sont très profonds, ou quand elles sont implantées un peu plus loin des côtes, ce qui les rend plus acceptables. Il faut cependant toujours prendre en compte le coût de l'infrastructure, car le coût du transport d'électricité ou de la connexion au réseau peut devenir prohibitif si l'on est très loin. En tout état de cause, nous sommes très heureux d'avoir bien avancé sur ce projet iconique et pionnier en Méditerranée.
M. Bernard Buis. - Quel est votre regard sur les effets de la loi d'accélération de la production d'énergies renouvelables de 2023 ?
M. Yannick Jadot. - Un commentaire : quand la France ne respecte pas ses objectifs en matière d'énergies renouvelables, que ces objectifs sont souvent des plafonds et qu'une instabilité administrative, financière, juridique et législative déstabilise en permanence les filières, avoir des objectifs par énergie est aussi une façon de rassurer ces dernières.
Quel est pour vous un prix d'équilibre du marché de l'électricité ? Est-ce 70 euros le mégawattheure ? À un tel prix d'équilibre, le nucléaire existant, les énergies renouvelables et le gaz trouvent leur place ; mais pensez-vous possible d'inclure les EPR2 à ce niveau de prix ?
Enfin, vous n'avez pas répondu à la présidente de notre commission sur le gaz de schiste. Tout ce que vous expliquez - et je suis très favorable aux dynamiques d'Engie - se heurte à la partie sombre de votre entreprise : le gaz de schiste américain - qui est extrêmement polluant et qui nous place dans une dépendance incompatible avec l'objectif de souveraineté que vous avez évoqué. Engie ne contribue-t-elle pas à une dépendance vis-à-vis d'une énergie extrêmement polluante, aujourd'hui pilotée par un président qui ne souhaite ni la protection du climat ni le bien-être de l'Union européenne ? Comment envisagez-vous cette part sombre d'Engie, dans laquelle vous vous engagez pourtant résolument ?
M. Daniel Fargeot. - La production d'énergie en Europe, par et pour les Européens, est un sujet majeur de souveraineté. Un cadre stable est important pour réaliser la transition énergétique et la décarbonation. Toutefois, ces objectifs de transition sont à double tranchant, notamment pour le secteur de l'automobile, extrêmement fragilisé en Europe. La Commission européenne a d'ailleurs assoupli ses engagements sur la réduction des émissions de CO2 et prévoit un plan d'action pour ce secteur.
Comment Engie se positionne-t-elle face à cette double exigence de transition énergétique et de souveraineté, qui, dans certains domaines, vient déstabiliser tout un pan de notre industrie ?
Mme Catherine MacGregor. - La loi d'accélération de 2023 est un peu décevante, mais il faut prendre en compte le moratoire mis sur la table début juillet et l'absence de PPE. Pour le dire familièrement, tout cela « flotte » et il est difficile de juger l'effet d'une loi quand le reste ne suit pas - vous l'avez dit, monsieur Jadot, la confiance n'est plus là. Un développeur d'Engie me parlait d'un superbe projet d'éolien dans les Hauts-de-France, bien accepté et soutenu par les élus locaux et les citoyens, le type de projet qui a tout pour lui ; pourtant, il est bloqué, car l'administration ne veut pas approuver le permis de construire - par manque d'allant, de courage. On peut faire toutes les lois du monde, cela ne suffit pas s'il n'y a pas de vision, une force d'entrainement. Si l'administration ne veut pas développer l'éolien, elle trouvera toujours un prétexte. C'est pourquoi vous avez raison : une manière de pallier ce manque d'allant est de mettre des objectifs dans la loi. Nous ne devrions pas avoir besoin de le faire, mais c'est comme ça - et ce que nous devons faire, c'est de convaincre le Parlement et les citoyens qu'il va falloir se tourner vers toutes les énergies renouvelables.
Quelques mots sur les prix. Je ne sais pas si l'on peut vraiment parler de prix d'équilibre, les critères évoluent. On peut attendre que les prix sur le marché de gros baissent puisque les coûts marginaux de production de renouvelables sont de zéro - je ne prends pas en compte les taxes et les réseaux. Plus les énergies renouvelables se développeront, plus forte sera leur influence sur les prix - il n'y a donc pas vraiment de sujet de coût d'équilibre. Ce qui est sûr, c'est que le nouveau nucléaire sera a priori au-dessus. Le coût va être important, mais d'autres facteurs interviennent, en particulier l'intérêt pour la France de maintenir sa filière nucléaire, qui est une chance. La discussion portera sur le nombre d'EPR2, car nous savons bien que le nouveau nucléaire sera plus cher que le renouvelable.
Il n'y a pas de « part sombre » chez Engie. Nous sommes un acteur gazier, nous avons l'infrastructure et nous vendons du gaz, mais nous n'en produisons pas, nous l'achetons à des fournisseurs. Nous en achetions à la Russie avant la guerre en Ukraine ; aujourd'hui, nous n'en achetons plus. Nous avons une politique de diversification importante de nos fournisseurs pour éviter de créer de nouvelles dépendances. D'ailleurs, nous n'étions pas dépendants du gaz russe chez Engie, puisque la part russe dans nos approvisionnements représentait moins de 20 %. Nous achetons aujourd'hui du GNL aux États-Unis, en veillant à ne pas dépasser des pourcentages qui créeraient une nouvelle dépendance, nous y faisons très attention. Le meilleur moyen de réduire les risques est de diversifier ses approvisionnements.
Nos approvisionnements en GNL sont diversifiés, nos achats américains sont effectivement exposés au gaz de schiste, mais Engie est aujourd'hui le plus exigeant des acheteurs - moins « sombre » peut-être que les autres -, puisque nous demandons à nos fournisseurs de suivre un processus le plus exemplaire possible pour l'approvisionnement et la production de gaz de schiste, avec notamment des engagements sur l'eau. Nous avons des contrats avec des fournisseurs qui, eux-mêmes, s'engagent auprès des producteurs à suivre certaines pratiques. Nous avons cette traçabilité aujourd'hui sur nos contrats.
M. Franck Montaugé. - Êtes-vous bien sûre que vous n'achetez pas de gaz russe ? Il y a des détournements...
Mme Catherine MacGregor. - Nos terminaux peuvent en importer, mais le portefeuille d'Engie ne compte aucun fournisseur de gaz russe... Nous avions des contrats avec Gazprom, mais ils ne sont plus en activité. Sur le marché spot du GNL, nous n'avons pas de contrat avec la Russie, c'est certain. Nous sommes très attentifs à nos contrats GNL et nous demandons à nos fournisseurs d'être exemplaires.
M. Yannick Jadot. - Je renouvelle la question de la présidente : en conséquence de l'accord entre Mme von der Leyen et M. Trump, Engie est-elle une entreprise proactive pour importer davantage de gaz américain, et donc davantage de gaz de schiste ?
Mme Catherine MacGregor. - Notre politique d'approvisionnement n'a pas changé. Nous avons une trajectoire de décarbonation et de neutralité carbone à l'horizon 2045, ce qui signifie que nos achats et nos ventes de gaz fossile vont décroître de manière régulière jusqu'à cette date : nous n'avons donc pas intérêt à acheter plus de gaz de schiste, et les 750 milliards de dollars que vous évoquez n'ont guère de portée pratique pour nos approvisionnements, en réalité.
S'agissant du cadre européen de la décarbonation, je n'ai guère de commentaire à faire sur les objectifs en matière automobile, n'étant pas de la partie, mais je sais que les allers-retours sur les objectifs ne sont jamais souhaitables. Si on se met à douter de la date de 2035, c'est dramatique pour les investissements - mieux vaut la stabilité que le stop and go.
Sur la trajectoire de décarbonation, ensuite, nos scénarios montrent que nous n'avons pas besoin d'être à 90 % des objectifs en 2040 pour arriver à la neutralité carbone en 2050 ; nous pourrions nous contenter d'un objectif moins strict. Compte tenu du coût de la transition énergétique et du message de simplification très attendu par les industriels, il me semble que ce serait envoyer un mauvais signal que de « forcer » cet objectif de 90 % en 2040.
Les Européens sont aujourd'hui très inquiets de la compétitivité et de la bureaucratie. Ils ont besoin de recevoir des messages positifs, des messages de simplification : la confiance dans les institutions est une dimension très importante à prendre en compte.
M. Christian Redon-Sarrazy. - Beaucoup d'usages connaissent aujourd'hui un effet rebond : l'efficacité énergétique des systèmes devenant meilleure, les usages se multiplient et annulent les gains, ce qui entraîne une montée encore plus forte de la consommation. Avec l'intelligence artificielle, par exemple, le matériel est de plus en plus puissant, mais les modèles deviennent aussi de plus en plus lourds et gourmands en ressources ; les progrès d'optimisation ne suffisent donc pas à endiguer la croissance de la demande.
Face au risque de devoir arbitrer entre une consommation pour des usages domestiques et des recours à l'intelligence artificielle de plus en plus massifs pour des usages essentiels comme la santé, les mobilités ou le fonctionnement des services publics, faudrait-il envisager des régulations ou des plafonds de consommation pour certains services très intensifs ?
M. Sebastien Pla. - Sénateur de l'Aude très engagé sur le développement de l'éolien en mer et l'hydrogène décarboné à Port-la-Nouvelle, j'ai été particulièrement frappé par le résultat d'une étude de l'Institute for Energy Economics and Financial Analysis (l'IEEFA) d'avril dernier, indiquant que la France ne parviendrait pas à atteindre ses objectifs d'installation d'éoliennes en mer en 2032. Nous ne disposerions que de 3 gigawatts opérationnels, alors que l'objectif est de 18 gigawatts. Quelles sont, selon vous, les raisons de cet échec ?
Le mégafeu de cet été a ravagé une partie de mon territoire des Corbières. Pour reconstruire la forêt, j'espère que nous pourrons compter sur Engie, par l'achat de labels bas-carbone dédiés : qu'en pensez-vous ?
Mme Anne-Catherine Loisier. - Je partage votre vision et je pense nécessaire de renforcer notre mix énergétique pour faire face aux nouvelles échéances. Je crois également nécessaire de rester intégrés au marché européen de l'électricité pour assurer notre approvisionnement ; cependant, les parlementaires que nous sommes se soucient de la soutenabilité financière de ce système pour les Français. L'abonnement de base est passé de 97 euros en 2012 à 233 euros en 2025 ; RTE et Enedis prévoient chacun des programmes d'intervention de plus de 100 milliards d'euros dans les quinze années à venir ; enfin, le rapport sur l'impact du budget vert annexé au projet de loi de finances pour 2025, précise que la facture énergétique des ménages les plus pauvres se montait à plus de 13,5 % de leur revenu total en 2025. C'est donc un sujet majeur.
Comment intégrez-vous la maîtrise des prix dans votre réflexion ? Vous faites référence à un prix européen : où peut-on le trouver ? Il me semblait qu'il y avait des prix par pays, mais pas de prix européen...
Enfin, comment prenez-vous en compte les aspects de cybersécurité dans vos infrastructures critiques ?
Mme Catherine MacGregor. - Sur l'intelligence artificielle, il est très important que les opérateurs de centres de données contribuent au développement de nouveaux moyens de production d'électricité. C'est le meilleur moyen de protéger le système électrique local et d'éviter des surcoûts. Il faut donc définir des conditions exigeantes d'implantation, et continuer à travailler sur l'efficacité énergétique. L'un de mes collaborateurs me l'a dit hier à propos de l'un de nos clients industriels, à qui nous allons proposer une énergie plus verte et moins chère : avec la transition énergétique telle que nous la visons, nous sommes plus verts et moins chers, il faut être efficace.
J'ai noté votre question relative au mégafeu, j'y répondrai par écrit.
Sur l'éolien en mer, nous revenons aux sujets de PPE. Il est très important de cadencer les appels d'offres. Nous avions commencé une dynamique assez positive, la CRE était montée en cadence, mais ce n'est plus le cas. Or, il faut massifier pour que nos technologies d'éoliennes flottantes deviennent compétitives : il n'y a pas de secret, nous avons besoin de perspectives.
Il n'y a pas de prix européen de l'électricité, mais un marché européen. Chaque pays étant interconnecté aux autres et ces interconnexions n'étant pas parfaites, il y a des différences de prix entre les pays. Comme je l'ai dit dans mon propos introductif, nous devons agir sur un ensemble de facteurs pour que le coût du système électrique reste le plus bas possible, y compris les coûts de réseau. Des batteries bien placées, par exemple, peuvent aider à diminuer un investissement réseau : quand il y a un goulet d'étranglement, il peut être plus judicieux d'avoir placé une batterie en amont, qui va libérer de l'électricité au moment choisi, plutôt que d'accroitre la capacité. En optimisant le système, nous nous assurerons que les coûts de distribution et de transport sont les moins élevés possible. Cependant, cela demande des investissements, c'est certain. La facture d'électricité résulte de trois éléments : le prix de l'électron, sur lequel nous savons aujourd'hui agir à la baisse ; les taxes, qui sont un autre sujet ; et, enfin, le coût des réseaux. Les coûts des réseaux vont augmenter, mais si nous savons diminuer le prix de l'électron, et si l'on agit sur les taxes, l'ensemble sera tenable. Aujourd'hui, nos prix de l'électricité pour les particuliers sont plus bas en France que dans les autres pays européens où nous sommes présents. Il est vrai que la partie « taxes » est assez significative ; il y a donc peut-être des moyens d'action. Et puis il y a le sujet majeur des ménages précaires, sur lequel il faut travailler.
M. Frédéric Buval. - Engie est un acteur majeur de la transition énergétique, y compris dans les territoires ultramarins où les enjeux sont spécifiques : dépendance aux énergies fossiles importées, coûts élevés de production, et vulnérabilité accrue aux effets du changement climatique. Pourriez-vous nous préciser quelle est aujourd'hui la stratégie d'Engie dans les outre-mer et comment le groupe entend accompagner ces territoires dans leur trajectoire vers une autonomie énergétique durable et décarbonée ?
M. Jean-Luc Brault. - J'ai beaucoup travaillé avec vous lorsque je dirigeais le groupe Dalkia, présent dans les réseaux de chaleur, et mes anciens collègues me disent qu'Engie se désengage des performances énergétiques sur les bâtiments des villes et les bâtiments communaux : est-ce exact ?
Ensuite, comment Engie compte-t-elle protéger les TPE et PME face à la volatilité des prix de l'énergie ?
M. Daniel Salmon. - Je vous remercie de votre engagement dans la lutte contre la désinformation.
En 2021, j'ai réalisé avec Pierre Cuypers un rapport sur la méthanisation, nous en soulignions un certain nombre de faiblesses et de défis, en particulier la ruée sur la biomasse et la compétition avec l'élevage. Dans le Grand Ouest, nous avons perdu 11 % de bovins au cours des cinq dernières années, ce n'est pas lié uniquement à la méthanisation, mais il y a parfois une concurrence déloyale. Vous avez également parlé de taille optimale pour un méthaniseur : quelle est-elle - est-elle par exemple plutôt autour de 30 ou de 50 tonnes par jour ?
Enfin, le stockage par batterie connaît de fortes évolutions. Quel est le prix du stockage d'un kilowattheure ou d'un mégawattheure dans une batterie et quelles sont les perspectives d'avenir ?
M. Franck Montaugé. - Le stockage par batterie à grande échelle est-il de nature à changer les rapports entre les énergies renouvelables non pilotables et la production classique, par exemple nucléaire ? Quelles sont les modalités d'utilisation de cette énergie stockée ? Quel type de contrat avez-vous par rapport au réseau de transport ou de distribution : faites-vous exclusivement du stockage et de l'injection, ou également du soutirage ? Les batteries que vous utilisez sont-elles de production nationale ?
Je termine par une remarque. Je trouve regrettable que, dans nos débats, l'on parle toujours de coût de production en sortie de centrale et pas en coût complet, c'est-à-dire en intégrant le coût du réseau et celui de la flexibilité. En raisonnant ainsi, on change sensiblement la donne des modes de production les uns par rapport aux autres.
Mme Évelyne Renaud-Garabedian. - Depuis 2020, Engie a réduit sa présence internationale d'environ 70 à 31 pays. En août dernier, Engie a également annoncé réduire ses investissements dans les énergies renouvelables aux États-Unis du fait de l'environnement politique et économique incertain, pour redéployer des moyens vers la zone Afrique-Moyen-Orient-Asie.
Comment l'appréciation des risques géopolitiques et réglementaires ainsi que des données économiques et financières oriente-t-elle vos décisions de retrait de certains pays et de redéploiement d'activités dans d'autres ?
M. Rémi Cardon. - Madame la directrice générale, dans le contexte budgétaire compliqué que nous connaissons, une contribution exceptionnelle sur les bénéfices des grandes entreprises a été inscrite dans le projet de loi de finances pour 2025. Cette contribution doit-elle rester exceptionnelle ou devenir régulière ? À combien s'élèvera la contribution d'Engie, même si l'exercice 2025 n'est pas encore terminé ?
M. Vincent Louault. - Je comprends qu'Engie ait besoin de CFD élevés pour vendre du gaz et des turbines à gaz lorsqu'il y a de l'intermittence, comme en Belgique où vous montez une très grosse turbine à gaz avec un investissement de 650 millions d'euros.
Ma question est très simple : quand serez-vous prêts à signer des contrats avec la CRE à moins de 60 euros sur des énergies renouvelables, pour qu'enfin nous puissions rêver ?
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Je crois que le temps va vous manquer pour répondre à ces questions : vous pourrez le faire par écrit, si vous le voulez bien.
Mme Catherine MacGregor. - Effectivement, c'est plus approprié. Quelques mots de conclusion : nous avons besoin d'un cadre stable, où l'on ne vous retire pas un permis de construire qu'on vous a accordé, où les règles ne changent pas trop souvent, les tarifs douaniers en particulier. L'Europe et la France ont une carte à jouer en apportant de la stabilité, en s'engageant sur un cap de décarbonation et sans en varier, ce sera un avantage pour les investisseurs qui cherchent toujours la visibilité et un cadre stable.
Ce qui est un peu dommage en France - et c'est la raison pour laquelle je me suis beaucoup investie pour la PPE -, c'est que nous n'arrivons pas à jouer cette carte. Il faudrait au moins se donner un cadre, dire clairement que nous voulons décarboner et que nous allons développer l'ensemble des énergies pour y parvenir. Un groupe comme Engie réaliserait encore plus de projets si nous disposions de ce cadre et nous serions plus compétitifs sur les appels d'offres de la CRE, car il est très difficile aujourd'hui d'être compétitif sur le solaire si l'on réalise des microprojets. Tous ces leviers sont donc à actionner pour nous permettre à la fois d'avancer et d'être compétitifs.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Merci encore pour votre participation, notre commission est volontariste sur ces sujets et a développé une expertise au fil des années. Merci également pour vos messages concrets et réalistes, qui soulignent aussi le besoin d'un cadre et d'une vision d'ensemble.
Projet de loi de lutte contre la vie chère dans les outre-mer - Examen du rapport et du texte de la commission
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous passons à l'examen du rapport et du texte de la commission sur le projet de loi de lutte contre la vie chère dans les outre-mer, inscrit à l'ordre du jour de la séance du mardi 28 octobre. Je remercie les rapporteurs de leur travail approfondi, leurs auditions ayant commencé dans le courant de l'été.
M. Frédéric Buval, rapporteur. - Ce projet de loi, qui porte sur une thématique de la plus haute importance pour nos concitoyens ultramarins, est un rescapé de l'instabilité politique qui touche notre pays depuis plusieurs mois. Annoncé au printemps par le ministre des outre-mer d'alors, Manuel Valls, et présenté en conseil des ministres le 30 juillet dernier, juste avant la suspension estivale, il devait être examiné par notre assemblée les 29 et 30 septembre derniers.
Ce calendrier a été mis à mal par la démission du gouvernement Bayrou le 9 septembre, ce qui n'a pas empêché ma collègue Micheline Jacques et moi-même de poursuivre nos travaux et de rencontrer l'ensemble des acteurs concernés par la vie chère : administrations, distributeurs, transporteurs, collectivités territoriales, observatoires des prix, des marges et des revenus (OPMR), autorités de la concurrence, au cours de seize auditions. Bien nous en a pris, car nous avons découvert lors du discours de politique générale du nouveau Premier ministre que la vie chère était « l'urgence des urgences » de son Gouvernement et que ce projet de loi devenait une priorité.
Cela peut sembler difficile à croire, dans la mesure où près de dix ministres, de plein exercice ou délégués, ont occupé le portefeuille des outre-mer depuis 2017, rarement pour plus d'un an. Cependant, la situation économique et sociale est telle que l'inaction est inenvisageable.
La problématique de la vie chère n'est pas étrangère aux travaux de notre commission, qui a examiné en février dernier la proposition de loi visant à lutter contre la vie chère en renforçant le droit de la concurrence et de la régulation économique outre-mer de notre collègue Victorin Lurel, sur le rapport d'Évelyne Renaud-Garabedian. Il est néanmoins important de rappeler quelques faits.
Les crises sociales liées à la vie chère se succèdent et se ressemblent, tout comme la réponse des pouvoirs publics. Que ce soit en 2009 en Guadeloupe et en Martinique, en 2012 à La Réunion, en 2017 en Guyane ou en 2024 à nouveau en Martinique, les constats restent les mêmes. À chaque fois, le Gouvernement réagit par une loi : « Lodeom » pour le développement économique des outre-mer en 2009, loi « Lurel » relative à la régulation économique outre-mer en 2012, loi « Erom » de programmation relative à l'égalité réelle outre-mer en 2017 et, maintenant, le présent projet de loi.
Cet activisme législatif a-t-il sensiblement amélioré la situation ? Les chiffres parlent d'eux-mêmes : les écarts de prix avec l'Hexagone, tels que mesurés par l'Insee, ont légèrement progressé depuis 2010 et sont compris entre 9 % à La Réunion et 31 % en Polynésie française, quand ils sont proches de 15 % en Guyane, à la Martinique et en Guadeloupe.
Surtout, ces écarts sont bien plus élevés pour les produits alimentaires : en 2022, ils atteignaient 36,7 % à La Réunion et jusqu'à 40,2 % à la Martinique et 41,8 % à la Guadeloupe. Ainsi, un panier de courses de 100 euros dans un supermarché hexagonal coûte 140 euros à Fort-de-France. C'est inacceptable, alors que le revenu moyen y est plus faible et que la part des personnes y vivant sous le seuil de pauvreté y est plus élevée. Ces chiffres, connus, n'ont pas évolué pour La Réunion et la Guadeloupe par rapport à 2015.
Les causes de ces écarts sont bien identifiées et ont été analysées avec précision par notre délégation aux outre-mer dans son rapport d'information intitulé La lutte contre la vie chère outre-mer : pansements ou vrais remèdes ?, déposé le 3 avril dernier. La vie chère est un phénomène multifactoriel, lié à plusieurs caractéristiques des territoires ultramarins, dont leur taille et leur isolement. L'étroitesse des marchés domestiques et le tissu économique, constitué essentiellement de très petites entreprises (TPE) et de petites et moyennes entreprises (PME), ne permettent pas de réaliser des économies d'échelle, tirant les prix vers le haut. L'éloignement par rapport à l'Hexagone, principale source des importations locales, implique des frais d'approche, c'est-à-dire des coûts de transport et de logistique, très élevés.
Plus encore, le faible nombre d'acteurs économiques du secteur de la distribution est la traduction d'un environnement économique peu concurrentiel, où quelques grands groupes bien connus, qui exploitent les franchises locales d'entreprises hexagonales, bénéficient de situations oligopolistiques.
À titre d'exemple, le groupe Bernard Hayot (GBH) réalise un chiffre d'affaires de 5 milliards d'euros par an et emploie 18 000 salariés. Plusieurs grands groupes ont adopté une logique d'intégration verticale, ce qui leur permet de contrôler toute la chaîne de valeur d'un produit, parfois au détriment des acteurs indépendants. Les barrières à l'entrée sont nombreuses.
Dans le même temps, la dépendance aux importations provenant de l'Hexagone ou d'Europe, qui représentent 60 % des importations à la Martinique et en Guadeloupe, traduit la survivance d'un modèle économique obsolète et une insuffisante intégration régionale. Le tissu productif est quant à lui peu adapté à la satisfaction des besoins locaux, mais spécialisé dans un nombre limité de productions, notamment agricoles, destinées à l'exportation.
La dernière crise de la vie chère dans mon territoire a été apaisée, à défaut d'être éteinte, par la signature d'un protocole entre l'État, la collectivité territoriale de Martinique (CTM) et les principaux acteurs économiques visant à faire baisser les prix de 6 000 produits alimentaires. Or, un an plus tard, seule la moitié du chemin a été parcourue. Les engagements de la CTM et de l'État en matière fiscale ont été tenus, avec l'abaissement de l'octroi de mer et de la TVA sur ces produits. La hausse des prix des produits alimentaires sur un an, de 0,8 %, est donc plus faible que dans l'Hexagone, où elle s'élève à 1,6 %.
Toutefois, ces progrès vont-ils se confirmer ? L'écart de prix avec l'Hexagone, qui ne peut évidemment pas disparaître, va-t-il au moins diminuer ? On voudrait le croire, tant l'exaspération, voire la colère, des populations ultramarines est forte : les braises de la contestation pourraient aisément se rallumer. Pour autant, le projet de loi ne s'attaque pas aux racines de ce phénomène, comme Micheline Jacques va vous l'expliquer.
Mme Micheline Jacques, rapporteur. - J'insiste d'emblée sur ce que ce projet de loi n'est pas et sur ce qu'il ne contient pas. Ainsi, malgré son titre ambitieux, ce projet de loi ne nous paraît en aucun cas de nature à changer fondamentalement la donne dans le domaine de la lutte contre la vie chère dans les outre-mer. Le Gouvernement l'a présenté depuis plusieurs mois comme une initiative majeure, à même d'avoir un effet économique significatif pour le pouvoir d'achat de nos compatriotes ultramarins. Nous considérons, pour notre part, que les différentes mesures proposées, même cumulées, ne devraient avoir qu'un effet mineur sur la formation des prix en outre-mer.
Il importe donc, en tout premier lieu, de ne pas susciter de faux espoirs, qui engendreraient bientôt d'amères déceptions : non, en aucun cas ce projet de loi ne fera disparaître le phénomène de la vie chère en outre-mer. Tout au plus contribuera-t-il à améliorer modestement la situation en venant renforcer la législation en vigueur pour faciliter l'accès aux produits de première nécessité et aboutir à plus de transparence.
Je voudrais ensuite évoquer brièvement quelques sujets que ce projet de loi ne traite pas, alors que cela serait nécessaire au développement de l'économie des territoires ultramarins.
Premièrement, la vie chère, ce sont des prix trop élevés par rapport à des revenus insuffisants. Si le projet de loi contient des dispositions destinées à modérer, voire à faire baisser les prix, il est totalement lacunaire sur la question des revenus du travail et n'évoque que peu de pistes pour soutenir le tissu économique ultramarin. Or, comme nous le savons bien, une partie de l'écart de prix entre l'Hexagone et les territoires ultramarins s'explique par des raisons structurelles. Aussi la hausse des revenus du travail, par l'activité économique, l'accroissement des richesses et la création d'emplois doivent-ils être un axe essentiel de la lutte contre la vie chère.
Deuxième dossier majeur qui n'est pas même abordé : celui de l'insertion des territoires ultramarins dans leur environnement régional. Bien sûr, cette question relève largement du droit de l'Union européenne, mais cela n'apparaît pas comme une raison suffisante pour totalement faire l'impasse sur ce sujet. Le fait que le commerce des territoires ultramarins se fasse très majoritairement avec l'Hexagone et, plus largement, avec les pays européens, constitue dans bien des cas une aberration économique et environnementale, source de surcoûts qui renchérissent directement les prix pour les consommateurs. Que les crevettes de Madagascar doivent transiter par Rungis pour être vendues à Mayotte ou que les citrons du Brésil fassent de même avant d'être commercialisés en Guyane n'a aucun sens.
Troisième exemple de sujet laissé en déshérence : l'économie informelle, qui pourtant pèse lourdement sur la situation économique de bon nombre de nos compatriotes ultramarins, sans que l'on sache dans quelle proportion.
Au total, vous l'avez compris, nous avons été très déçus par ce projet de loi. Celui-ci nous apparaît avant tout comme un texte d'affichage, un outil de communication au travers duquel le Gouvernement souhaite montrer aux populations ultramarines qu'il agit pour leur pouvoir d'achat alors qu'il se contente de mesures mineures, dont certaines vont certes dans le bon sens, mais dont les effets ne seront, vraisemblablement, guère significatifs.
J'en viens aux dispositions du projet de loi, dont beaucoup s'inspirent de la proposition de loi Lurel, que le Sénat avait adoptée en mars dernier, de la proposition de loi Vallaud visant à prendre des mesures d'urgence contre la vie chère et à réguler la concentration des acteurs économiques dans les territoires d'outre-mer, adoptée par l'Assemblée nationale en janvier dernier, ainsi que du rapport d'information de la délégation sénatoriale aux outre-mer que mon collègue a mentionné.
Le projet de loi comporte seize articles répartis en quatre titres. Le premier s'intitule « Agir pour le pouvoir d'achat et compenser les effets de l'éloignement ».
Dans les collectivités ultramarines, l'article 1er exclut de la définition du prix d'achat effectif, qui correspond au seuil de revente à perte, le prix du transport des produits. Ce dispositif aurait un effet incertain sur les prix et, surtout, risquerait de renforcer les positions dominantes des gros distributeurs, de fragiliser le commerce de proximité et de pénaliser la production locale. Il est donc préférable de le supprimer.
L'article 2 modifie le régime du bouclier qualité-prix (BQP). Il l'étend aux services, de sorte qu'il ne soit plus limité aux produits de grande consommation, et introduit un objectif de santé publique et de réduction des écarts de prix avec la France hexagonale. Il enrichit également la liste des participants à la négociation de ces accords annuels et permet la différenciation des prix et produits en fonction de la surface commerciale des magasins. Il associe également à la négociation de l'accord constitutif du BQP les collectivités et les associations de consommateurs. Il institue, enfin, un mécanisme de sanction administrative en cas de non-respect d'un tel accord.
Nous vous proposons un amendement tendant à ce que l'élaboration de la liste des produits qui composent le BQP prenne en compte, outre les impératifs de santé publique, la promotion des produits locaux. Un autre de nos amendements vise à rendre obligatoire la négociation annuelle d'un BQP dédié aux services.
L'article 3 précise les conditions dans lesquelles le Gouvernement peut réglementer le prix des produits de première nécessité outre-mer et donne la faculté au président de l'OPMR de saisir le préfet en cas de variation excessive des prix afin d'obtenir de ce dernier une analyse de la situation pouvant conduire à un encadrement des prix. Nous vous proposons d'étendre cette faculté aux présidents des exécutifs locaux.
L'article 4 institue, dans le cadre d'une expérimentation, un service public de gestion logistique en Martinique, dit « E-Hub », pour une durée de cinq ans. Il serait confié par l'État à un opérateur privé, dans le cadre d'un contrat de concession, afin de remédier à la carence de l'initiative privée sur ce territoire en matière de mutualisation des flux logistiques.
Nous vous proposons que le E-Hub bénéficie en priorité aux entreprises établies à la Martinique, tant pour leurs activités d'importation que d'exportation ; que les entreprises qui y ont recours respectent des critères de responsabilité sociale et environnementale définis par décret ; et que les autres collectivités territoriales ultramarines puissent demander à leur tour à l'État la mise en place d'un E-Hub deux ans après la promulgation de la présente loi.
L'article 5 habilite le Gouvernement à créer, par ordonnance, un mécanisme de péréquation visant à réduire les frais d'approche des produits de première nécessité importés dans les collectivités territoriales ultramarines, ce qui aurait pour conséquence de majorer ces frais pour d'autres catégories de produits. Nous ne pouvons accepter le fait que le Parlement se dessaisisse ainsi de sa compétence au profit du Gouvernement, d'autant que les contours de ce mécanisme restent très imprécis. Par ailleurs, cela irait à rebours des propos du Premier ministre, lors de sa déclaration de politique générale, selon lesquels il faut redonner au Parlement toute sa place et le laisser décider. Nous vous proposons donc de supprimer cette habilitation, dans l'attente de la proposition d'un dispositif par le Gouvernement en séance publique. La ministre nous a indiqué qu'elle espérait y parvenir.
Le titre II s'intitule « Renforcer la transparence sur les avantages commerciaux consentis aux distributeurs et des sanctions ».
L'article 6 permet à la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) d'exiger des acteurs de la grande distribution présents dans les territoires ultramarins, pour leurs magasins de plus de 400 mètres carrés, qu'ils lui fournissent toutes les informations utiles relatives aux prix et aux quantités vendues des produits de grande consommation, en particulier alimentaires, sous peine d'amende administrative.
L'article 7 vise à améliorer la transparence sur les marges arrière dont bénéficient les distributeurs présents dans les territoires ultramarins de la part de leurs fournisseurs, en exigeant des premiers qu'ils transmettent à la DGCCRF des rapports faisant la lumière sur ces pratiques, qu'il s'agisse de réductions de prix ou d'avantages.
L'article 8 prévoit principalement que l'application de conditions générales de vente différenciées selon que les produits sont vendus dans les outre-mer ou en métropole constitue une pratique restrictive de concurrence passible de sanctions civiles, sauf si elle est justifiée par des raisons objectives telles que l'éloignement géographique.
L'article 9 permet aux associations de consommateurs et au représentant de l'État de saisir en référé le président du tribunal de commerce afin qu'il enjoigne à toute personne morale ne se conformant pas à ses obligations en la matière de procéder au dépôt de ses comptes au registre du commerce et des sociétés, sous peine d'une astreinte de 5 % de son chiffre d'affaires journalier moyen par jour de retard. Une disposition très proche figurait à l'article 1er de la proposition de loi Lurel.
Nous vous proposons de permettre au juge de sanctionner la personne morale ou, le cas échéant, le dirigeant fautif, afin d'adapter la sanction au cas d'espèce.
Au sein du titre III « Renforcer la concurrence », l'article 10 élargit le collège de l'Autorité de la concurrence en lui ajoutant deux membres choisis pour leur expertise en matière économique, de concurrence et de consommation dans les outre-mer, et crée dans ses services d'instruction un service spécialisé sur l'outre-mer. Il permet également l'extension et l'adaptation à la Nouvelle-Calédonie de dispositions du code de commerce relevant de la compétence de l'État en matière de pouvoirs d'enquête, de voies de recours, de sanctions et d'infractions. Enfin, pour la notification des opérations de concentration à l'Autorité de la concurrence, dans le secteur du commerce de détail, il abaisse de 5 millions d'euros à 3 millions d'euros le seuil de chiffre d'affaires réalisé par au moins deux entreprises dans au moins l'une des collectivités d'outre-mer concernées. Cette dernière mesure avait également été adoptée par le Sénat dans le cadre de l'examen de la proposition de loi Lurel en mars dernier.
L'article 11 habilite le Gouvernement à inscrire par ordonnance, dans le code de commerce, des dispositions éparses relatives aux compétences résiduelles que l'État détient en matière de concurrence en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française.
L'article 12 abaisse de 50 % à 25 % le seuil de part de marché atteint dans une zone de chalandise après une autorisation d'exploitation commerciale à partir duquel les commissions départementales d'aménagement commercial (CDAC) peuvent, dans les collectivités ultramarines, saisir l'Autorité de la concurrence. Cette diminution figurait dans la proposition de loi Lurel.
Enfin, le titre IV s'intitule « Soutenir le tissu économique ultramarin ». Il comprend l'article 13, qui concerne les produits de dégagement. Il s'agit de réglementer les prix des produits substituables aux produits locaux, et non uniquement identiques ou similaires. Une disposition très proche figure dans la proposition de loi Lurel.
Les articles 14 et 15 concernent la commande publique et visent, dans le cadre de deux expérimentations, à favoriser l'accès des microentreprises, PME et artisans locaux aux marchés publics dans les collectivités ultramarines.
Ainsi, l'article 14 permet aux acheteurs publics de ces territoires de réserver à des microentreprises, PME ou artisans locaux jusqu'à 20 % de leurs marchés dont la valeur est inférieure aux seuils européens. L'article 15, quant à lui, rend obligatoire un plan de sous-traitance au profit de ces acteurs économiques pour tous les marchés d'un montant de 500 000 euros dont le titulaire ne détient pas l'une de ces trois qualités. La durée de ces deux expérimentations serait de cinq ans.
Enfin, l'article 16 procède à l'extension à Wallis-et-Futuna des dispositions du projet de loi.
Mme Viviane Artigalas. - C'est un projet de loi cosmétique, qui n'est pas à la hauteur d'un sujet crucial pour nos territoires ultramarins.
Certes, le texte reprend des dispositions de la proposition de loi Lurel, que le Sénat a votée. Cependant, il l'avait fait dans le cadre d'un espace réservé, dans un temps très limité. Un projet de loi aurait pu s'appuyer davantage sur le rapport d'information de la délégation sénatoriale aux outre-mer, dont j'étais corapporteure. Nous proposerons des amendements pour muscler ce texte.
M. Daniel Salmon. - Je souscris à l'analyse des rapporteurs : la crise de la vie chère est bien structurelle et marque une fracture sociale et économique avec la métropole, d'où un profond malaise social. Or une partie des remèdes est déjà connue.
L'examen d'un projet de loi eût été l'occasion de prendre de la hauteur. Cependant, nous assistons là à une forme de saupoudrage. Parmi les dépenses contraintes, logement et énergie sont ignorés, de même que les revenus, inférieurs à ceux de l'Hexagone. Nous aussi proposerons d'agir de manière plus forte, notamment pour ce qui concerne les monopoles et la transparence des prix.
Mme Marianne Margaté. - J'approuve les propos de mes collègues. Ce projet de loi traduit un manque de considération pour nos territoires d'outre-mer, au point que son intitulé est indécent par rapport à la pauvreté de son contenu. La dépendance aux importations et le système oligopolistique ne sont pas remis en cause. Deux de nos amendements portent sur l'évaluation et la transparence.
Mme Micheline Jacques, rapporteur. - Concernant le périmètre de ce projet de loi, en application du vade-mecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des présidents, je vous propose de considérer que sont susceptibles de présenter un lien, même indirect, avec le texte déposé, les dispositions relatives aux frais d'approche des produits importés dans les outre-mer, dont les frais de transport, au bouclier qualité-prix, aux situations dans lesquelles les prix peuvent être réglementés outre-mer, à titre dérogatoire, par les pouvoirs publics, aux observatoires des prix, des marges et des revenus (OPMR), à la communication à l'autorité administrative par les entreprises de grande distribution présentes outre-mer d'informations relatives aux prix et aux quantités vendues des produits de grande consommation, à l'encadrement des marges arrière outre-mer, au dépôt par les entreprises établies outre-mer de leurs comptes sociaux, à l'Autorité de la concurrence, dans la composition de son collège et dans ses compétences liées aux outre-mer, aux pratiques restrictives de concurrence outre-mer, aux compétences résiduelles de l'État en matière de concurrence en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française, aux attributions des commissions départementales d'aménagement commercial (CDAC) outre-mer et au droit de la commande publique spécifique aux outre-mer.
Il en est ainsi décidé.
EXAMEN DES ARTICLES
Mme Micheline Jacques, rapporteur. - Les amendements identiques COM-39 et COM-80 visent à supprimer l'article 1er, car ce dernier risque de renforcer les positions dominantes des gros distributeurs, de fragiliser le commerce de proximité et de pénaliser la production locale. En effet, ce dispositif donnerait encore plus de poids aux accusations portées outre-mer contre les gros distributeurs. Or les territoires ultramarins n'ont aucunement besoin d'accroître le sentiment de défiance envers des acteurs économiques déjà largement contestés lors des mouvements sociaux de ces dernières décennies.
Les amendements identiques COM-39 et COM-80 sont adoptés.
L'article 1er est supprimé.
Mme Micheline Jacques, rapporteur. - Nous vous proposons d'adopter cet amendement COM-79, qui vise à utiliser le levier du BQP pour soutenir la production locale dans les collectivités ultramarines.
L'amendement COM-79 est adopté.
Mme Micheline Jacques, rapporteur. - L'amendement COM-2 rectifié vise à étendre le champ du BQP à des produits limitativement listés, comme l'électroménager et les matériaux de construction, et même à des services énumérés de façon imprécise tels que l'eau et les transports. Son adoption aurait pour conséquence de transformer les économies ultramarines en économies presque entièrement réglementées, ce qui n'est pas la solution pour lutter contre la vie chère.
L'amendement COM-2 rectifié n'est pas adopté.
Mme Micheline Jacques, rapporteur. - L'amendement COM-3 rectifié tend à porter jusqu'à 75 % dans les cinq ans la part de produits alimentaires locaux dans le BQP. Nous ne pouvons certes que souscrire à cet objectif, mais celui-ci sera, dans la plupart des collectivités d'outre-mer, inatteignable, dans la mesure où elles ne sont pas autosuffisantes sur le plan alimentaire. L'adoption de l'amendement COM-79 répond à cette préoccupation en prévoyant la prise en compte de la promotion des produits locaux dans l'élaboration du BQP.
L'amendement COM-3 rectifié n'est pas adopté.
Mme Micheline Jacques, rapporteur. - L'amendement COM-4 rectifié vise à faire progresser la part que représente le BQP dans le chiffre d'affaires de la grande distribution ultramarine. Cependant, ce n'est pas le rôle du législateur de dicter la répartition du chiffre d'affaires des opérateurs économiques. Cet amendement conduirait lui aussi à transformer les économies ultramarines en économies dirigées.
L'amendement COM-4 rectifié n'est pas adopté.
Mme Micheline Jacques, rapporteur. - L'amendement COM-18 rectifié a pour objet de transformer la faculté ouverte aux préfets de convier les associations de consommateurs aux négociations du BQP en une obligation. Or celles-ci, déjà membres des OPMR, sont donc associées à ces négociations. Il ne semble donc pas nécessaire d'imposer leur présence, surtout dans des circonstances où le climat social peut être tendu.
L'amendement COM-18 rectifié n'est pas adopté.
Mme Micheline Jacques, rapporteur. - Nous vous proposons d'adopter les amendements identiques COM-19 rectifié bis et COM-92, afin de rendre obligatoire la négociation chaque année d'un BQP dédié aux services, au même titre que celui qui porte sur les produits de grande consommation.
Les amendements identiques COM-19 rectifié bis et COM-92 sont adoptés.
Mme Micheline Jacques, rapporteur. - L'amendement COM-22 rectifié quater prévoit que le BQP soit évalué chaque année par le préfet afin de déterminer l'opportunité de le reconduire. Or le BQP vise non pas à lutter contre l'inflation, mais à modérer les prix et diminuer leur écart avec l'Hexagone. De plus, une telle évaluation est déjà réalisée par les OPMR.
L'amendement COM-22 rectifié quater n'est pas adopté.
L'article 2 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Mme Micheline Jacques, rapporteur. - L'amendement COM-48 tend à ce que les BQP comprennent des produits distribués dans des emballages consignés ou réutilisables. Or rien ne l'empêche en l'état actuel des choses. Il appartient aux acteurs locaux de se saisir de cette question lors de la négociation des BQP.
L'amendement COM-48 n'est pas adopté.
Article 3
L'amendement rédactionnel COM-81 est adopté.
Mme Micheline Jacques, rapporteur. - L'amendement COM-91 vise à habiliter les préfets à prendre des mesures temporaires de fixation des prix. Or le dispositif étant actuellement confié au Gouvernement, la procédure relève déjà de l'État.
L'amendement COM-91 n'est pas adopté.
Mme Micheline Jacques, rapporteur. - L'amendement COM-24 rectifié bis a pour objet de permettre aux préfets de réglementer le prix de l'eau en bouteille outre-mer. En effet, les conditions de déclenchement du plan Orsec eau sont restrictives, tout comme est lourde la procédure permettant au Gouvernement de réglementer le prix des produits de première nécessité. Mais une procédure simplifiée de régulation des prix devra faire l'objet d'échanges avec le Gouvernement et d'une évaluation plus approfondie dans la perspective de l'examen en séance, afin que ses effets puissent être mieux identifiés avant que son adoption ne puisse, le cas échéant, être envisagée. Avis défavorable.
L'amendement COM-24 rectifié bis n'est pas adopté.
Mme Micheline Jacques, rapporteur. - L'amendement COM-49 vise à préciser les circonstances exceptionnelles permettant à l'État de réguler les prix dans les outre-mer. Toutefois, une telle énumération, non limitative des situations réelles rencontrées, ne faciliterait pas nécessairement la régulation des prix dans les outre-mer, voire pourrait restreindre le déclenchement de la procédure aux seuls cas énumérés.
L'amendement COM-49 n'est pas adopté.
Mme Micheline Jacques, rapporteur. - Les amendements identiques COM-29 rectifié et COM-82 visent à étendre aux présidents des exécutifs locaux la faculté de saisir le représentant de l'État en cas de variation excessive des prix. Ce dispositif s'inspire de l'article 9 de ma proposition de loi portant diverses dispositions d'adaptation du droit des outre-mer.
Les amendements identiques COM-29 rectifié et COM-82 sont adoptés.
L'article 3 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Mme Micheline Jacques, rapporteur. - L'amendement COM-40 tend à préciser que l'encadrement des tarifs bancaires outre-mer porte notamment sur certains frais, ce qui n'aurait aucun effet en pratique.
L'amendement COM-40 n'est pas adopté.
Mme Micheline Jacques, rapporteur. - L'amendement COM-50 a pour objet de doter les OPMR de la personnalité morale, ce qui fait l'objet d'une réflexion en cours du côté du Gouvernement. Nous avons évoqué le sujet avec la ministre, qui devrait en séance préciser ses intentions. Avis défavorable.
L'amendement COM-50 n'est pas adopté.
Mme Micheline Jacques, rapporteur. - L'article 4 prévoit la création d'un E-Hub à la Martinique, pour y développer le commerce électronique, au moyen d'une expérimentation d'une durée de cinq ans. Il paraît souhaitable dans un premier temps de tester ce dispositif dans un seul territoire pilote, raison pour laquelle nous sommes défavorables à cet amendement COM-20 rectifié bis, qui l'étend à Mayotte.
Toutefois, une durée d'au moins six ans pour que d'autres collectivités obtiennent leur E-Hub apparaît comme trop longue. C'est pourquoi nous proposerons, avec notre amendement COM-90, que d'autres collectivités puissent en demander la création deux ans après la promulgation de la présente loi.
L'amendement COM-20 rectifié bis n'est pas adopté.
Mme Micheline Jacques, rapporteur. - L'amendement COM-41 comprend différentes mesures destinées à préciser le statut et la forme du E-Hub. Or si plusieurs d'entre elles, destinées notamment à associer les collectivités territoriales à sa définition, sont intéressantes, d'autres peuvent poser des difficultés, notamment la reprise des biens appartenant au concessionnaire au profit d'une personne publique au terme de l'expérimentation. Cet amendement pourrait donc faire l'objet d'échanges avec le Gouvernement d'ici à l'examen en séance.
L'amendement COM-41 n'est pas adopté.
Mme Micheline Jacques, rapporteur. - L'amendement COM-87 prévoit que le E-Hub bénéficie en priorité aux entreprises établies à la Martinique.
L'amendement COM-87 est adopté.
Mme Micheline Jacques, rapporteur. - Avec l'amendement COM-88, seules pourraient avoir recours au E-Hub les entreprises qui respectent des normes sociales et environnementales déterminées par décret.
L'amendement COM-88 est adopté.
Mme Micheline Jacques, rapporteur. - Comme évoqué, l'amendement COM-90 a pour objet de permettre que, deux ans après la promulgation de la loi, des collectivités d'outre-mer puissent demander à l'État la mise en place d'un E-Hub à titre expérimental et pour une durée de cinq ans. La Guadeloupe a déjà fait part de son intérêt pour un tel dispositif.
L'amendement COM-90 est adopté.
L'article 4 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Mme Micheline Jacques, rapporteur. - Nous vous proposons de supprimer l'article 5 en adoptant l'amendement COM-84. En effet, cet article habilite le Gouvernement à légiférer par ordonnance pour mettre en place une péréquation des frais d'approche. Vous connaissez notre réticence au sujet des habilitations. Qui plus est, le mécanisme est inabouti. La ministre s'est engagée à nous soumettre un dispositif complet en séance.
L'amendement COM-84 est adopté.
L'article 5 est supprimé.
Mme Micheline Jacques, rapporteur. - S'ils font partie du territoire douanier de l'Union européenne, les départements et régions d'outre-mer sont en revanche assimilés, sur le plan fiscal, à des États tiers, y compris dans leurs relations avec l'Hexagone. Les colis postaux sont donc considérés comme des importations ou des exportations et soumis à la TVA et à l'octroi de mer. Ainsi, il est obligatoire d'y joindre une déclaration en douane, y compris s'ils sont envoyés entre particuliers et à titre gratuit. Afin de ne pas renchérir excessivement le coût de ces échanges, des franchises existent néanmoins. Nous sommes donc défavorables à l'amendement COM-51.
L'amendement COM-51 n'est pas adopté.
Mme Micheline Jacques, rapporteur. - L'amendement COM-30 tend à inclure les taux de marge parmi les informations transmises par certaines entreprises de la distribution à la DGCCRF. Nous sommes favorables à cette mesure de transparence, dans le respect du secret des affaires.
L'amendement COM-30 est adopté.
Mme Micheline Jacques, rapporteur. - Les deux amendements COM-25 et COM-44 ont pour objet de porter à 1 % ou à 2 % du chiffre d'affaires la sanction en cas de non-transmission des données économiques. Or une amende de 75 000 euros pour une personne physique et de 375 000 euros pour une personne morale est déjà prévue. Il convient donc de rester dans un niveau de sanction proportionné à la faute commise.
Les amendements COM-25 et COM-44 ne sont pas adoptés.
Mme Micheline Jacques, rapporteur. - L'amendement COM-45 tend à créer une mesure de publicité de type name and shame en cas de non-transmission des données économiques. Avis favorable.
L'amendement COM-45 est adopté.
L'article 6 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Mme Micheline Jacques, rapporteur. - L'amendement COM-31 vise à donner aux OPMR la faculté de saisir les agents de la DGCCRF dans le cadre de leurs missions. Avis favorable.
L'amendement COM-31 est adopté et devient l'article 6 bis.
Mme Micheline Jacques, rapporteur. - L'amendement COM-32 reprend une disposition pertinente de la proposition de loi Lurel. Avis favorable.
L'amendement COM-32 est adopté et devient l'article 6 ter.
Mme Micheline Jacques, rapporteur. - L'amendement COM-33 tend à permettre un partage d'informations couvertes par le secret fiscal et le secret des affaires entre les administrations de l'État, les collectivités d'outre-mer et les présidents des OPMR. Cela traduit la recommandation n° 5 du rapport d'information de la délégation sénatoriale aux outre-mer sur la vie chère, même s'il conviendra certainement d'en améliorer la rédaction en vue de la séance pour garantir la protection du secret. Avis favorable.
L'amendement COM-33 est adopté et devient l'article 6 quater.
Mme Micheline Jacques, rapporteur. - Les critères d'indemnisation en cas de rupture brutale d'une relation commerciale, tels qu'ils sont compris dans cet amendement COM-34, ne sont pas indispensables puisqu'ils ressortent déjà de la jurisprudence. Avis défavorable.
L'amendement COM-34 n'est pas adopté.
L'amendement COM-53 est déclaré irrecevable en application de l'article 45 de la Constitution.
Mme Micheline Jacques, rapporteur. - L'amendement COM-35 concerne une réécriture globale de l'article 7 en reprenant un dispositif de plafonnement des marges arrière adopté lors de l'examen de la proposition de loi visant à renforcer le droit de la concurrence et de la régulation économique outre-mer en mars dernier. Toutefois, il convient d'abord de faire la lumière sur les pratiques opaques liées aux marges arrière. Avis défavorable.
L'amendement COM-35 n'est pas adopté.
Mme Micheline Jacques, rapporteur. - L'amendement COM-26 tend à porter à 1 % ou à 4 % du chiffre d'affaires la sanction en cas de non-transmission par les distributeurs des informations sur les marges arrière. La sanction doit rester mesurée. Avis défavorable.
L'amendement COM-26 n'est pas adopté.
Mme Micheline Jacques, rapporteur. - L'amendement COM-54 prévoit une peine complémentaire d'interdiction de gérer un commerce pendant cinq ans à la sanction en cas de non-transmission par les distributeurs des informations sur les marges arrière prévues par l'article 7 du projet de loi. C'est une mesure disproportionnée. Avis défavorable.
L'amendement COM-54 n'est pas adopté.
L'article 7 est adopté sans modification.
Mme Micheline Jacques, rapporteur. - Prévoir, avec l'amendement COM-52, que les conditions générales de vente de l'Hexagone s'appliquent de plein droit aux produits à destination des départements et régions d'outre-mer serait contre-productif. Ainsi, l'article 8 empêche l'établissement de conditions de vente différenciées qui seraient fondées sur le seul fait que les produits sont destinés aux territoires ultramarins. Avis défavorable.
Mme Viviane Artigalas. - N'avions-nous pas voté un amendement semblable, avec un avis favorable de la commission et du Gouvernement, lors de l'examen de la proposition de loi Lurel ?
Mme Micheline Jacques, rapporteur. - Des analyses complémentaires ont révélé d'importantes difficultés au niveau de la DGCCRF.
L'amendement COM-52 n'est pas adopté.
Mme Micheline Jacques, rapporteur. - La sanction prévue pour les fournisseurs et les grossistes qui refusent de transmettre les informations demandées par la DGCCRF sur leurs conditions générales de vente apparaît déjà suffisamment dissuasive. Il n'est donc pas nécessaire d'adopter l'amendement COM-27.
L'amendement COM-27 n'est pas adopté.
L'article 8 est adopté sans modification.
Mme Micheline Jacques, rapporteur. - L'amendement COM-55 vise à sanctionner la discrimination commerciale que les acteurs intégrés verticalement sont susceptibles d'exercer envers leurs clients concurrents. Cet amendement constitue une base de discussion intéressante et devra faire l'objet d'échanges avec le Gouvernement dans la perspective de la séance,
L'amendement COM-55 n'est pas adopté.
Mme Micheline Jacques, rapporteur. - Avec l'amendement COM-83, nous proposons de concilier le dispositif de l'article 9 du projet de loi avec celui qu'a adopté le Sénat le 5 mars 2025 dans le cadre de l'examen de la proposition de loi Lurel, c'est-à-dire une astreinte payée par les dirigeants défaillants. En effet, le présent article ne prévoit de sanction que pour les entreprises en tant que personnes morales. Notre amendement a donc pour objet de permettre au juge de sanctionner la personne morale ou le dirigeant fautif.
L'amendement COM-83 est adopté.
L'article 9 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Mme Micheline Jacques, rapporteur. - L'amendement COM-21 rectifié bis est une demande de rapport. Avis défavorable.
L'amendement COM-21 rectifié bis n'est pas adopté.
Mme Micheline Jacques, rapporteur. - L'amendement COM-36 prévoit que l'obligation de dépôt des comptes des entreprises soit opposable aux experts-comptables. Il fait donc peser l'obligation sur les experts-comptables au lieu des sociétés fautives, ce qui n'est pas pertinent, tout en créant une dépense supplémentaire pour les TPE. Avis défavorable.
L'amendement COM-36 n'est pas adopté.
Mme Micheline Jacques, rapporteur. - Cet amendement COM-46 tend à obliger les entreprises à transmettre diverses informations aux préfets, à l'Insee et aux OPMR dans les collectivités d'outre-mer : taux de marge, prix d'achat et de vente et prix de cession interne. Cette obligation serait assortie d'une sanction, l'injonction faisant, le cas échéant l'objet d'une mesure de publicité. Toutefois, l'article 9 du présent projet de loi prévoit déjà un dispositif voisin s'agissant des seuls comptes. Avis défavorable.
L'amendement COM-46 n'est pas adopté.
Mme Micheline Jacques, rapporteur. - L'amendement COM-61 vise à créer un nouveau régime de sanction en cas de non-dépôt des comptes conduisant au remboursement des aides publiques versées aux entreprises. Le remboursement porterait sur différentes aides aux entreprises, dont les aides financières directes ou indirectes, les exonérations de cotisations patronales, etc. Il serait cependant difficile à mettre en oeuvre. Avis défavorable.
L'amendement COM-61 n'est pas adopté.
Mme Micheline Jacques, rapporteur. - L'amendement COM-60 prévoit un nouveau régime de sanction en cas de non-dépôt des comptes conduisant au remboursement des aides publiques versées aux entreprises. Toutefois, il est disproportionné, alors que l'article 9, renforcé par un amendement de vos rapporteurs, prévoit déjà un tel régime en cas de non-dépôt des comptes. Avis défavorable.
L'amendement COM-60 n'est pas adopté.
Mme Micheline Jacques, rapporteur. - En audition, l'Autorité de la concurrence a fait valoir qu'un abaissement du seuil déclenchant un contrôle de 75 millions d'euros à 50 millions d'euros du chiffre d'affaires total mondial hors taxes réalisé par les entreprises parties à une concentration outre-mer risquerait d'augmenter sensiblement le nombre d'opérations soumises à obligation de notification. Cela créerait une charge supplémentaire pour ces entreprises, ainsi qu'une surcharge administrative importante pour les services de l'Autorité, sans que cette évolution ne la conduise nécessairement à examiner des opérations problématiques en matière de concurrence. Avis défavorable à l'amendement COM-28.
L'amendement COM-28 n'est pas adopté.
L'article 10 est adopté sans modification.
Mme Micheline Jacques, rapporteur. - L'amendement COM-57 tend à permettre à l'Insee de saisir les services du ministère de l'économie dans les outre-mer dans les cas où une entreprise lui oppose le secret des affaires. Toutefois, la menace d'une amende élevée apparaît disproportionnée. Avis défavorable.
L'amendement COM-57 n'est pas adopté.
Mme Micheline Jacques, rapporteur. - L'amendement COM-58 soulève la question intéressante de l'acquisition de licences de franchises ou d'enseignes nationales ou internationales dans le seul but d'en empêcher le déploiement local et la concurrence avec des commerces déjà existants. Il constitue une base de discussion intéressante et devra faire l'objet d'échanges avec le Gouvernement dans la perspective de la séance. Avis défavorable à ce stade.
L'amendement COM-58 n'est pas adopté.
Article 11
L'article 11 est adopté sans modification.
Article 12
L'article 12 est adopté sans modification.
Mme Micheline Jacques, rapporteur. - L'amendement COM-59 vise à lutter contre les pratiques de certains opérateurs économiques qui bloqueraient l'accès à leurs services électroniques aux consommateurs ultramarins. Ces comportements sont déjà interdits par le code de la consommation. Qui plus est, cette interdiction ne concerne toutefois pas seulement les infractions transfrontalières dans le marché intérieur, comme l'indique l'amendement, mais bien dans le territoire national. Avis défavorable.
L'amendement COM-59 n'est pas adopté.
Mme Micheline Jacques, rapporteur. - L'amendement COM-47 prévoit un décret en vue de préciser les critères applicables aux produits locaux substituables aux produits importés. La question de ces critères fera l'objet d'échanges avec le Gouvernement dans la perspective de la séance. Avis défavorable.
L'amendement COM-47 n'est pas adopté.
Mme Micheline Jacques, rapporteur. - L'amendement COM-65, qui vise à préciser les critères permettant de définir la comparabilité des denrées alimentaires, devra lui aussi faire l'objet d'échanges avec le Gouvernement. Avis défavorable.
L'amendement COM-65 n'est pas adopté.
L'article 13 est adopté sans modification.
Mme Micheline Jacques, rapporteur. - Le décret proposé au travers de l'amendement COM-1 rectifié n'améliorerait pas l'application de l'obligation de réserver une surface de vente dédiée aux productions régionales prévue par la loi relative à la régulation économique outre-mer de 2012. Avis défavorable.
L'amendement COM-1 rectifié n'est pas adopté.
Les amendements COM-37, COM-62, COM-64, COM-66, COM-68, COM-69, COM-71, COM-72 et COM-73 sont déclarés irrecevables en application de l'article 45 de la Constitution.
Mme Micheline Jacques, rapporteur. - L'amendement COM-74 tend à relever de 20 % à 33 % la part des marchés publics des acheteurs ultramarins pouvant être réservés à de petites entreprises, à titre expérimental pour cinq ans. Néanmoins, il faut avant tout que les acheteurs publics s'approprient cette expérimentation et la mettent en oeuvre.
L'amendement COM-74 n'est pas adopté.
Mme Micheline Jacques, rapporteur. - L'amendement COM-23 rectifié quater vise à restreindre le périmètre de l'expérimentation visant à réserver une part des marchés publics ultramarins aux TPE et PME. Cela ne semble cependant pas souhaitable dans la mesure où ces entreprises constituent l'écrasante majorité du tissu économique des outre-mer. Avis défavorable.
L'amendement COM-23 rectifié quater n'est pas adopté.
Mme Micheline Jacques, rapporteur. - L'amendement COM-75 a pour objet de réserver une part des marchés faisant l'objet de l'expérimentation à des biens issus du réemploi ou du recyclage à l'échelle locale. Toutefois, cela viendrait la complexifier inutilement, alors que son objectif est précisément de soutenir l'activité économique locale. Avis défavorable.
L'amendement COM-75 n'est pas adopté.
L'article 14 est adopté sans modification.
Article 15
L'amendement rédactionnel COM-85 est adopté. En conséquence, l'amendement COM-76 devient sans objet.
Mme Micheline Jacques, rapporteur. - L'amendement COM-77 vise à ouvrir, dans le cadre de l'expérimentation, la possibilité d'introduire dans les plans de sous-traitance liés à des marchés de travaux une obligation de recours à des biens et matériaux issus du réemploi local. Cependant, à ce jour, rien n'empêche les titulaires des marchés publics de le faire.
L'amendement COM-77 n'est pas adopté.
L'amendement rédactionnel COM-89 est adopté.
L'article 15 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Mme Micheline Jacques, rapporteur. - L'amendement COM-63 porte sur la réservation de marchés publics au profit des entreprises de l'économie sociale et solidaire en outre-mer, ce qui dérogerait au principe de non-discrimination issu de la directive marchés publics de 2014. Avis défavorable.
L'amendement COM-63 n'est pas adopté.
Mme Micheline Jacques, rapporteur. - L'amendement COM-67 vise à s'inspirer de l'exemple de la ville de Saint-Denis-de-La-Réunion pour imposer aux grandes collectivités territoriales ultramarines de réaliser dans le cadre de leurs marchés publics au moins 35 000 heures d'insertion au profit de jeunes chômeurs chaque année. Or le code de la commande publique permet déjà d'imposer qu'au moins 30 % des heures d'un marché soient effectuées par des jeunes de moins de 25 ans.
L'amendement COM-67 n'est pas adopté.
Mme Micheline Jacques, rapporteur. - L'amendement COM-70 vise à ouvrir la possibilité d'intégrer des clauses liées à l'économie circulaire dans le cadre des marchés publics qui relèvent des expérimentations des articles 14 et 15. Il est cependant satisfait, car chaque acheteur public est libre de définir des clauses environnementales.
L'amendement COM-70 n'est pas adopté.
Article 16
L'amendement de correction COM-86 est adopté.
L'article 16 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Mme Micheline Jacques, rapporteur. - L'amendement COM-17 vise à imposer la réalisation d'une évaluation des effets économiques et sociaux de la loi, sous douze et vingt-quatre mois. Cependant, il sera très difficile d'isoler les effets spécifiques des mesures contenues dans le projet de loi. Mieux vaut interroger la ministre en séance publique. Avis défavorable.
L'amendement COM-17 n'est pas adopté.
L'amendement COM-78 est déclaré irrecevable en application de l'article 45 de la Constitution.
Le projet de loi est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Les sorts de la commission sont repris dans le tableau ci-dessous :
Désignation d'un membre du bureau de la commission
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Mes chers collègues, en raison du départ de notre commission de Pierre Médevielle, nous devons procéder à la désignation d'un vice-président pour le groupe Les Indépendants - République et Territoires (LIRT).
À cette fin, je vous rappelle les termes l'article 13, alinéa 6, du Règlement du Sénat : « Pour la désignation des vice-présidents, les groupes établissent une liste de candidats selon le principe de la représentation proportionnelle, en tenant compte de la représentation déjà acquise à un groupe pour les postes de président et de rapporteur général. Le nombre des vice-présidents est, le cas échéant, augmenté pour assurer l'attribution d'au moins un poste de président ou de vice-président à chaque groupe. »
Le groupe LIRT m'a informée qu'il souhaitait désigner comme vice-président Vincent Louault. Je vous propose d'entériner cette désignation.
M. Vincent Louault est désigné vice-président.
La réunion est close à 12 h 45.