Mercredi 22 octobre 2025

Présidence de M. Laurent Lafon, président -

La réunion est ouverte à 9 h 30.

Projet de loi de finances pour 2026 - Désignations des rapporteurs pour avis

M. Laurent Lafon, président. - Chers collègues, je vous propose de reconduire la quasitotalité de nos rapporteurs, à savoir :

- Jacques GROSPERRIN pour l'enseignement scolaire ;

- Stéphane PIEDNOIR pour l'enseignement supérieur ;

- Sabine DREXLER pour le patrimoine,

- Cédric VIAL pour l'audiovisuel public ;

- Alexandra BORCHIO FONTIMP pour la recherche ;

- Michel LAUGIER pour la presse ;

- Claude KERN pour la diplomatie culturelle et d'influence ;

- Jean-Jacques LOZACH pour le sport ;

- Yan CHANTREL pour la jeunesse et la vie associative ;

- Karine DANIEL pour la création et transmission de savoirs et la démocratisation de la culture ;

- Jérémy BACCHI pour le cinéma ;

- Bernard FIALAIRE pour l'enseignement technique et agricole ;

- François PATRIAT pour le livre et les industries culturelles.

Aucune opposition n'étant exprimée, les désignations sont formellement adoptées.

Mission d'information sur les relations stratégiques entre l'État et les universités - Examen du rapport d'information

M. Pierre-Antoine Levi. - Notre mission d'information est née de la volonté de comprendre les raisons du décalage observé, lors des derniers débats budgétaires, entre l'appréciation portée respectivement par le gouvernement et les universités sur la situation financière de ces dernières, notamment sur l'évaluation de leur trésorerie.

Dès le début de nos travaux, il y a un peu plus de six mois, nous avons compris que la source des difficultés dépassait la simple évaluation comptable. Ce diagnostic non partagé constitue en réalité un indicateur avancé de la défiance qui s'est installée entre les universités et les ministères chargés de leur pilotage, et plus généralement de l'insuffisante structuration de la stratégie de notre pays pour ses universités.

Alors que la commission des finances avait dans le même temps lancé un contrôle budgétaire relatif au financement à la performance des établissements, nous avons donc décidé, en accord avec les présidents Laurent Lafon et Claude Raynal, de travailler sur le cadre plus général des relations stratégiques entre l'État et les universités.

Pour mener à bien cette réflexion, nous avons souhaité partir de la parole des acteurs universitaires. Nous avons ainsi conduit trois tables rondes et quatre déplacements, qui nous ont permis de recueillir l'appréciation des présidents, vice-présidents et responsables administratifs de 25 universités de toute taille et aux situations financières très différentes.

M. David Ros. - Ces échanges nous ont permis de mettre en évidence la carence générale de l'État dans la définition de la politique universitaire de notre pays.

Cette carence est d'abord celle du législateur. Les objectifs et les missions confiés par la loi aux universités ont en effet été progressivement sédimentés dans pas moins de 12 articles du code de l'éducation. Si chacun d'entre eux peut apparaître justifié, leur accumulation aboutit aujourd'hui à un ensemble disparate d'items de portée inégale, non priorisés, parfois inconciliables et manifestement inapplicables dans leur entièreté. Cette loi bavarde alimente la confusion des acteurs universitaires, et fait courir le risque de la dilution de leur action - particulièrement en période de contrainte budgétaire.

Cette carence est également celle du gouvernement, qui ne respecte plus, depuis 2020, son obligation de définir tous les cinq ans une stratégie nationale concertée de l'enseignement supérieur, ou Stranes, telle que voulue par le législateur en 2013.

Cette lacune n'est pas compensée par la montée en puissance des contrats passés avec les établissements, sur lesquels le ministère nous indique reporter son travail stratégique. Les faibles financements associés aux actuels contrats d'objectifs, de moyens et de performance (ou Comp) ne leur confèrent pas la portée adéquate. Leur redimensionnement annoncé sous la forme des « Comp à 100 % », dont les contours restent largement à clarifier, intégrera des priorités définies par le seul ministère, sans cohérence d'ensemble entre des instruments par nature multiples.

Notre constat est donc clair : notre pays ne dispose actuellement d'aucun cap actualisé et concerté à l'échelle nationale pour son université. Il en découle un pilotage erratique, marqué par de nombreux impensés stratégiques, et dont les établissements sont contraints d'absorber les conséquences.

Mme Laurence Garnier. - Cette absence de boussole est notamment visible dans la régulation des activités de formation. Les établissements se trouvent en effet fortement contraints par la massification de leurs effectifs, qui résulte en partie de l'évolution de la fonction du baccalauréat : sous l'effet de l'augmentation du taux de réussite, il n'agit plus comme un filtre à l'entrée du supérieur. En pratique, les universités accueillent aujourd'hui 1,6 millions d'étudiants, soit 54 % des effectifs du supérieur, qui ont été multipliés par 9 depuis 1960.

Nous avons cherché à comprendre comment la procédure d'entrée dans le supérieur issue de la loi « Orientation et réussite des étudiants » de 2018, mise en application via Parcoursup, permettait d'assurer l'appariement entre les profils des bacheliers et les attendus des formations. Notre conclusion est que cet appariement ne se fait pas, ou trop peu, pour un grand nombre de candidats. La fixation des capacités d'accueil universitaires, qui est de la compétence des rectorats, est en effet effectuée de manière à permettre l'accès de tous les bacheliers qui le demandent au premier cycle universitaire. L'exigence constitutionnelle d'égal accès à l'instruction est ainsi mise en oeuvre sous la forme d'un droit d'accès à l'université.

Cette situation est fortement préjudiciable à tout l'écosystème universitaire. Elle est d'abord source de désillusion pour les étudiants, qui se trouvent confrontés à de forts mécanismes de sélection dans la suite de leur cursus et à l'entrée dans la vie active. 36 % seulement des étudiants obtiennent leur licence en trois ans et 47 % en trois ou quatre ans : il existe donc bien une régulation des parcours universitaires. Elle se fait cependant de la plus insatisfaisante des manières, c'est-à-dire a posteriori et par l'échec.

Cette absence de sélection est regrettée par la plupart des présidents d'université que nous avons rencontrés. L'inscription d'étudiants n'ayant que très peu de chances de réussite fait peser une forte contrainte sur leur capacité à encadrer et à accompagner les étudiants, et dégrade globalement la qualité de leur formation. De nombreux établissements développent d'ailleurs des formations sélectives leur permettant de contourner cette difficulté, avec des doubles licences ou des diplômes d'établissement. Les étudiants et leurs familles se tournent quant à eux plus volontiers vers les parcours universitaires sélectifs, notamment les instituts universitaires de technologie (IUT) et le réseau Polytech.

Le coût de cet échec massif est enfin loin d'être neutre pour les finances publiques, puisqu'il est estimé par la Cour des comptes à 534 millions d'euros par cohorte d'étudiants.

M. Pierre-Antoine Levi. - Nous constatons ensuite que les universités ne sont pas seulement en manque de stratégie, mais également en manque de pilotage. La tutelle exercée par le ministère apparaît en effet lointaine, voire absente, tandis que l'accompagnement exercé par les rectorats s'apparente davantage à un ergotage administratif qu'à un pilotage stratégique.

Ces difficultés cumulées fondent enfin un manque de reconnaissance de l'université, qui constitue à la fois leur cause et leur conséquence.

Il se traduit d'abord par le déficit d'influence de l'université auprès des décideurs publics, qui sont principalement recrutés parmi les diplômés de grandes écoles, tandis que le doctorat reste peu valorisé.

En dépit de ses réussites objectives, l'université pâtit en outre d'une mauvaise image persistante auprès du grand public et des entreprises. Son activité de formation est vue comme peu exigeante et professionnalisante : un sondage Ipsos de 2023 classe à cet égard l'université en dernière position sur la plupart des items testés, derrière les grandes écoles, les BTS et les IUT.

Nous avons constaté avec surprise que cette perception se doublait d'un « signal prix » négatif : la modicité des tarifs universitaires semble avoir, de manière paradoxale, un effet négatif sur l'attractivité de certaines filières, notamment pour certains étudiants étrangers. La faiblesse des droits d'inscription ne reflète évidemment pas le coût de la formation universitaire : si le tarif de l'inscription en licence est actuellement fixé à 178 euros, la dépense annuelle moyenne de l'État pour un étudiant à l'université s'élève à 12 250 euros.

Ce manque de reconnaissance est à mettre en lien avec un manque de connaissance tout court du modèle universitaire. Reste cependant que face à l'essor des formations privées, le positionnement de l'université dans l'offre d'enseignement supérieur tend à se dégrader. Depuis 2018, les inscriptions dans le supérieur privé ont crû de 34 %, alors que les inscriptions à l'université ne progressent plus. Cette évolution doit constituer pour nous un signal d'alerte : la formation universitaire, qui constitue l'offre d'enseignement supérieur la plus accessible, indépendamment de l'origine sociale et du niveau de ressource, doit demeurer une référence de qualité pour nos concitoyens.

M. David Ros. - J'en viens à un deuxième ensemble de constats, qui concerne les effets de la carence stratégique sur le paysage universitaire. Nous relevons que les transformations impulsées par la puissance publique au cours des deux dernières décennies, qui ont visé à la différenciation des établissements ainsi qu'à leur autonomisation, se sont faites de manière fragmentée, sans vision d'ensemble, et avec de nombreux effets de bord.

Le processus de différenciation mis en oeuvre depuis 2010 a atteint l'objectif de structurer des universités « intensives en recherche » internationalement compétitives ; il a eu cependant eu des effets mal régulés au-delà de ces seuls établissements. La généralisation des financements sélectifs a favorisé la concentration des moyens sur ce seul type d'universités, tout en créant une mise en concurrence généralisée des établissements. Si l'on y ajoute la diversification des cadres de fonctionnement dérogatoires, au travers notamment du statut d'établissement public expérimental, on aboutit à une hétérogénéité croissante des établissements, qui fait courir le risque d'un éclatement de la notion même d'université.

Cette politique a en outre fait des « perdants ». Il s'agit principalement des établissements ayant une forte activité de formation pluridisciplinaire, avec un poids important du premier cycle et des filières de sciences humaines, et qui permettent l'accès des jeunes à l'enseignement supérieur dans les territoires. Pour autant, toutes les petites universités ne sont pas en difficulté : en témoigne l'exemple de l'université de La Rochelle, qui a spécialisé ses activités de formation et de recherche autour des questions de littoral ; elle est ainsi devenue une référence sur ces sujets, ce qui lui permet de mobiliser des financements compétitifs importants.

Dans l'ensemble, nous constatons cependant que le pilotage au cas par cas déployé par le ministère ne permet pas la régulation d'ensemble nécessaire au fonctionnement d'un service public de qualité sur l'ensemble du territoire.

Nous regrettons ensuite que les universités ne disposent pas des moyens opérationnels nécessaires au déploiement d'une vision stratégique - ce qui témoigne par ailleurs d'une autonomisation limitée au regard des objectifs fixés en 2007.

Cette difficulté se traduit d'abord par le sous-calibrage des fonctions support des établissements, alors que leur fonctionnement appelle des compétences de plus en plus spécialisées.

Elle se traduit ensuite par le pilotage hésitant du processus de dévolution du patrimoine immobilier, qui a obéré son attractivité et n'a pas permis sa généralisation. Le financement de ce dispositif a en effet été réévalué en cours d'application, de sorte que seuls ses premiers bénéficiaires ont aujourd'hui la garantie de disposer des moyens permettant d'assurer la gestion du patrimoine transféré. Les montants en jeu sont considérables, puisque ces universités pionnières ont bénéficié d'une dotation totale de 546 millions d'euros sur 25 ans - contrairement à celles qui ont suivi, qui doivent s'appuyer sur les dotations de droit commun des contrats de plan État-région (CPER).

Mme Laurence Garnier. - Nous nous sommes ensuite plus spécifiquement intéressés aux conditions du pilotage financier des établissements, qui fonde à juste titre leur mécontentement.

L'absence de boussole du gouvernement se traduit en effet dans les errements de la subvention de leurs coûts fixes, qui nous est apparue à la fois illisible, inéquitable, imprévisible, court-termiste et sous-calibrée.

Il s'agit d'un enjeu majeur dans la mesure où les établissements restent très dépendants de leur subvention pour charges de service public, ou SCSP, qui représentait les trois quarts de leurs ressources en 2023. La progression des ressources propres a certes été importante au cours des quinze dernières années, notamment sous l'effet de la généralisation du financement par appels à projets. Néanmoins, leur dynamisme tend à s'essouffler, et leur caractère aléatoire ne garantit pas à ce jour la couverture des activités fondamentales de formation et de recherche, qui se déploient dans le temps long.

Or, pour répartir cette SCSP, la direction générale de l'enseignement supérieur, la Dgesip, travaille depuis 2016 sans modèle de répartition. Le processus d'allocation des moyens budgétaires se fait donc principalement sur la base d'équilibres historiques, et aboutit à de fortes disparités dans la subvention allouée à chaque établissement au regard de sa population étudiante. Cette situation nourrit un sentiment d'iniquité et d'opacité chez les établissements, que l'on ne peut que partager.

Le soutien budgétaire de l'État se traduit ensuite par son imprévisibilité dans la couverture des dépenses mises à la charge des établissements. Notre rapporteur budgétaire Stéphane Piednoir a mis en évidence, dans le cadre des trois dernières discussions sur le PLF, la non-compensation répétée par l'État de dépenses salariales décidées par lui, à laquelle s'ajoute le non- respect des « marches » de crédits prévues par la loi pour la programmation de la recherche (LPR). Ces arbitrages font peser la menace annuelle d'une augmentation exogène des dépenses des universités, ce qui déstabilise bien évidemment leurs budgets et les empêche de se projeter à l'échelle pluriannuelle.

L'État manque enfin de fiabilité dans le versement des dotations, créant en outre une incertitude financière à l'échelle infra-annuelle.

M. Pierre-Antoine Levi. Le pilotage financier des établissements se caractérise en deuxième lieu par l'absence de diagnostic partagé, entre les universités et l'État, sur la situation financière de ces dernières.

Cette divergence résulte en partie de la faible lisibilité de l'état des lieux disponible, et des insuffisances de la comptabilité des établissements, qui est ce jour peu fiable et non analytique.

Elle est surtout à mettre en lien avec la défiance marquée et réciproque qui s'est installée entre les acteurs du triptyque constitué par les établissements, la Dgesip et la direction du Budget du ministère de l'économie et des finances. Nous avons pu en prendre toute la mesure au cours de nos auditions, ainsi qu'au travers des réponses écrites de la Dgesip, formulées en des termes inhabituellement sévères. Nous avons ainsi été surpris de voir que le ministère n'hésitait pas à mettre en cause la « posture » de certains présidents d'université, qui selon lui se sentiraient « extérieurs à la sphère État ».

Nous considérons pour notre part, en suivant ici la Cour des comptes, que la situation financière des universités est indubitablement préoccupante. Si les situations individuelles des établissements sont évidemment très diverses, on note cependant une nette dynamique de dégradation depuis quatre ans : le résultat consolidé des établissements est devenu déficitaire en 2024, tandis que leur capacité d'investissement s'est réduite des deux tiers depuis 2021.

M. David Ros. - Dans ce contexte, les débats que nous avons en loi de finances se focalisent sur le montant très élevé de la trésorerie agrégée des établissements, qui constitue le seul indicateur positif de leur situation financière. Tandis que le gouvernement estime que ce montant, qu'il évalue à 5,7 milliards d'euros en 2023, permet aux universités d'absorber des mesures d'économies, celles-ci font valoir que l'essentiel de ce montant est fléché vers des dépenses programmées dans le cadre des contrats d'appel à projets, et doit donc être considéré comme indisponible.

Nous avons procédé en plusieurs étapes pour éclaircir ce débat très technique.

Nous avons tout d'abord constaté que la hausse de la trésorerie des universités résulte du cycle d'encaissement de leurs recettes, les dotations des appels à projets étant souvent versés en une ou deux fois pour des décaissements programmés sur plusieurs années. Ces quelque 6 milliards d'euros ne sont donc pas à mettre en lien avec un excès d'épargne, mais avec les modalités d'encaissement des financements sélectifs.

Nous estimons ensuite que la notion de trésorerie « fléchée » - dont, contrairement à ce qu'avance le gouvernement, aucune évaluation fiable n'est à ce jour disponible - ne constitue pas un outil de gestion pertinent. Nous ne contestons pas que les fonds issus des appels à projets soient affectés, sur le plan juridique, au financement d'activités programmées par contrat. Cela signifie que lorsque ces activités ont lieu, les établissements doivent pouvoir décaisser les montants nécessaires à leur financement. Cela ne signifie cependant pas, sur le plan comptable, qu'il soit impossible pour les établissements de disposer de la trésorerie correspondante en attendant - sauf à remettre en cause le principe d'unité de caisse.

Sur la base de ce raisonnement, le gouvernement souhaite inciter les établissements à basculer vers une « gestion dynamique » de leur trésorerie, c'est-à-dire utiliser ces abondantes disponibilités pour financer certaines dépenses de fonctionnement ou d'investissement, ou absorber des mesures d'économie.

Nous estimons que les conditions de cette évolution ne sont pas réunies à ce jour. Elle impliquerait en effet une réduction des marges de sécurité financière des établissements, et donc une certaine confiance dans la garantie apportée par l'État en cas de besoin de décaissement urgent ; au regard des éléments que nous vous avons exposés, cela nous paraît hasardeux. Le caractère erratique et insuffisamment articulé de l'allocation budgétaire aujourd'hui assurée par l'État, conjugué aux insuffisances du pilotage assuré par les établissements, ferait selon nous courir le risque de compromettre gravement la soutenabilité financière des universités au profit d'un gain budgétaire de court terme.

Mme Laurence Garnier. - Sur la base de ces constats, nous avons formulé 12 recommandations déclinées en 5 axes - dont le dernier est présenté à titre exploratoire, et qui feront l'objet d'un vote distinct. Ces recommandations sont irriguées par l'objectif de recréer les conditions de la confiance entre les acteurs, qui constitue selon nous un préalable et un élément indispensables à l'amélioration du pilotage stratégique des universités.

Le premier axe vise à créer un cadre stratégique à trois niveaux : la loi, qui doit définir de manière claire et intelligible les missions et les objectifs assignés aux universités ; la concertation entre les acteurs, qui doivent se prononcer tous les cinq ans sur les grandes lignes de la politique universitaire ainsi que sur une programmation budgétaire pluriannuelle ; le contrat, en l'occurrence les Comp, qui doivent garantir l'articulation entre ces priorités et les orientations stratégiques de chaque établissement.

C'est l'objet de nos recommandations n° 1 et n° 2.

M. Pierre-Antoine Levi. - Le deuxième axe vise à améliorer la connaissance de l'université par les décideurs publics et les citoyens.

Nous souhaitons à ce titre renforcer l'information sur les caractéristiques du modèle universitaire, ainsi que sur l'investissement que réalise l'État pour sa jeunesse en prenant en charge l'essentiel du coût des formations à l'université ; c'est l'objet de notre recommandation n° 3.

Nous appelons également, par notre recommandation n° 4, à renforcer les passerelles entre l'administration d'État et le monde universitaire, afin de favoriser leur connaissance mutuelle.

M. David Ros. - Le troisième axe vise à garantir la transparence et la prévisibilité de l'allocation de leurs moyens budgétaires aux universités.

Cela suppose selon nous de rebâtir les paramètres d'allocation de la SCSP, en précisant les critères pris en compte, en affirmant le principe de la prise en charge par l'État des mesures salariales nationales, et en tenant compte des engagements de dépenses pris par les établissements dans le cadre des appels à projets avant de décider de toute mesure d'économie : ce sont les orientations de notre recommandation n° 5.

Notre recommandation n° 6 vise à ne plus accroître la part des financements sélectifs dans les budgets des établissements, afin d'aboutir à moyen terme à un renforcement de leurs ressources budgétaires.

Par notre recommandation n° 7, nous souhaitons enfin généraliser la dévolution du patrimoine immobilier pour les établissements volontaires, en faisant évoluer la dotation d'accompagnement pour garantir son attractivité et sa soutenabilité.

Mme Laurence Garnier. - Le quatrième axe vise à moderniser la fonction financière des établissements, ce qui passe selon nous par la généralisation de la comptabilité analytique (c'est notre recommandation n° 8) et la montée en compétence des services support (c'est notre recommandation n° 9).

Nous souhaitons également développer de nouvelles possibilités d'expérimentation financière, dans le but principal de financer les investissements nécessaires à la réhabilitation énergétique du bâti universitaire. Comme nous le proposons dans notre recommandation n° 11, cela peut passer par un élargissement du recours à l'emprunt, de manière très encadrée dans le contexte budgétaire, ainsi que par une expérimentation de la gestion dynamique de la trésorerie.

Nous souhaitons dans le même temps affirmer clairement, comme vient de vous l'exposer David Ros, que la mise en oeuvre généralisée de ce régime de gestion n'est pas à l'ordre du jour : tel est l'objet de notre recommandation n° 10.

M. Pierre-Antoine Levi. - L'axe n° 5, enfin, vise à ouvrir une réflexion nationale sur l'orientation étudiante et les tarifs universitaires.

Nous avons constaté tout au long de nos travaux que ces deux marqueurs très forts du modèle universitaire suscitaient des débats, en raison de certains effets négatifs pour les étudiants, les familles, les établissements et, à travers l'enjeu de finances publiques, l'ensemble des citoyens.

La manière de répondre aux questions soulevées n'a cependant fait l'objet d'un consensus ni entre les acteurs entendus, ni entre les rapporteurs. La concertation stratégique prévue par la première recommandation constituera dès lors le cadre idéal pour explorer ces sujets : c'est notre recommandation n° 12.

Permettez-moi quelques mots pour cadrer les échanges qui se déploieront à cette occasion - et sans doute dans notre salle de commission dans quelques instants.

Le débat sur la régulation de l'entrée dans le premier cycle universitaire doit viser à mettre fin à la régulation par l'échec qui existe aujourd'hui. Il devra inclure une réflexion sur la fonction du baccalauréat et l'organisation du continuum entre le lycée et le premier cycle universitaire. Nous soulignons en outre que la notion de sélection à l'université se distingue nécessairement du régime de la sélection par le concours : il s'agit avant tout d'éviter l'accueil d'étudiants dont la probabilité de réussite est très faible et n'est pas susceptible d'être augmentée par un dispositif d'accompagnement ;

Selon nous, la réflexion sur les tarifs n'est pas liée à un enjeu d'augmentation des ressources universitaires - qui ne pourrait être que limitée au regard de la modicité des tarifs actuels. Elle doit porter sur la pertinence de la prise en charge par le budget de l'État du coût de la formation des étudiants, indépendamment du niveau de ressources des familles.

Tels sont, mes chers collègues, les principaux constats issus de cette mission très riche. Nous en avons tiré d'importantes leçons pour l'examen prochain de la loi de finances. Nos échanges avec les présidents d'université ont en outre permis d'approfondir les liens que nous avions commencé à tisser dans le cadre de nos travaux sur l'antisémitisme dans l'enseignement supérieur. Nous avons enfin ouvert de nombreuses pistes de réflexion, qui pourront sans doute alimenter les travaux futurs de notre commission.

M. Yan Chantrel. - Je tiens à saluer le travail remarquable accompli par les rapporteurs. Ce rapport traduit clairement une réalité que nous connaissons tous : des universités fragilisées par l'absence de stratégie nationale, le manque de cohérence dans le pilotage et l'insuffisance des moyens. L'université fait face à des défis structurels avec des effectifs en hausse de 15 % en vingt ans, sans recrutements ni capacités d'accueil correspondants, tout en devant absorber des surcoûts et des mesures salariales non compensés par l'État. La notion de confiance figure au coeur des préoccupations.

Nous partageons les constats et recommandations du premier axe, concernant la nécessaire clarification des missions et l'instauration d'une conférence stratégique quinquennale. Nous approuvons également le deuxième axe, qui vise à améliorer l'image et la reconnaissance de l'université française. Cette prise de conscience nous réjouit particulièrement, à l'heure où l'on entend encore trop souvent, y compris au Parlement, des propos caricaturaux à l'encontre de nos universités. Nous soutenons les propositions visant à mieux valoriser l'investissement national consenti dans l'enseignement supérieur et à favoriser les passerelles entre la haute fonction publique et le monde universitaire. Nous apportons également notre soutien aux axes n° 3 et n° 4. En matière de financement, nous approuvons la refondation d'un modèle de répartition plus clair et plus équitable, la prise en charge intégrale des mesures salariales par l'État, ainsi que le nécessaire rééquilibrage entre financement récurrent et appels à projets.

En revanche, nous nous opposerons fermement à l'axe n° 5, relatif à la sélection à l'entrée du premier cycle et au rehaussement des droits d'inscription. Il n'est pas question de transiger sur le principe d'égal accès à l'instruction, à la formation et à la culture, inscrit au coeur de notre bloc constitutionnel. L'université française doit demeurer ouverte à tous, sans barrière sociale déguisée. La quasi-gratuité des études ne constitue pas une anomalie, mais un choix républicain fondamental. Les effets délétères de la marchandisation du savoir, observés dans l'enseignement supérieur privé, doivent nous inciter à éviter cet écueil.

Nous rappelons en outre qu'une hausse des frais d'inscription n'apporterait qu'une recette marginale au regard des besoins réels des universités. C'est pourquoi, si l'axe n° 5 devait être adopté par la commission, nous serions contraints de nous opposer à l'ensemble des conclusions du rapport.

M. Stéphane Piednoir. - Je félicite les trois rapporteurs pour ce travail approfondi. Cette mission répond aux nombreux signaux d'alerte exprimés dans nos territoires. La situation budgétaire des universités se dégrade, avec des budgets désormais déficitaires de manière chronique, ce qui n'était pas le cas il y a encore quelques années. Les trésoreries disponibles sont, pour la plupart, déjà fléchées vers des investissements engagés, limitant les marges de manoeuvre financière des établissements.

Les universités réclament de la clarté dans les règles qui s'appliquent à elles. Contrairement à celles des collectivités locales, leurs dotations budgétaires reposent sur un héritage historique dépourvu de cadre explicite. L'attribution de ces moyens est aléatoire et insuffisamment transparente ; cette situation est devenue intolérable. Les présidents d'université ne revendiquent pas un strict égalitarisme : ils demandent davantage de lisibilité dans la répartition de leurs ressources.

Face aux défis conjoints de la massification du nombre d'étudiants accueillis, de la rénovation énergétique de son patrimoine immobilier et de la modernisation des pratiques pédagogiques, notamment sous l'effet de l'intelligence artificielle, l'université connaît de profondes mutations, sans bénéficier d'une véritable impulsion nationale. Je soutiens pleinement la recommandation relative à la dévolution, pour les établissements qui le souhaitent, ainsi que la possibilité d'un recours encadré à l'emprunt, afin de répondre aux besoins d'investissement croissants.

La plus grande vigilance doit être maintenue sur le déploiement des contrats d'objectifs et de moyens. Il importe, parallèlement, de reconnaître aux universités un véritable droit d'initiative, notamment en matière de différenciation des droits d'inscription - en menant également une réforme globale du système de bourses.

Cette mission invite à une réflexion plus large sur la place et le rôle de l'université publique dans notre société, ainsi que sur le renforcement de son efficience. Nous nous heurtons aux paradoxes de la non-sélection et de l'ouverture à tous les bacheliers, lesquels revendiquent un droit à la poursuite d'études sans considérer l'impérieuse nécessité de leur insertion professionnelle. Faire des études ne saurait constituer une fin en soi : elles doivent permettre d'acquérir un savoir et des compétences ouvrant sur une insertion réussie. Nous avons aujourd'hui des générations de diplômés de master confrontés au chômage ou au sous-emploi. La sélection s'opère finalement par l'échec, soit au cours du parcours universitaire, soit au moment de l'entrée sur le marché du travail.

Je ne peux passer sous silence certaines dérives observées sur quelques campus, notamment récemment à Paris 8, où des actions à caractère antisémite ont été rapportées. Je salue le travail mené par Pierre-Antoine Levi sur cette question.

Nous devons collectivement redonner à l'université publique une image positive et restaurer la confiance. L'enjeu consiste à faire correspondre les profils des étudiants aux formations proposées, plutôt que d'adapter les formations à la demande immédiate, afin de construire une université utile à tous et pleinement au service de la société.

M. Pierre Ouzoulias. - Je me réjouis qu'il soit enfin possible de poser cette question fondamentale : quel rôle l'enseignement supérieur doit-il jouer pour notre société et pour la France ? J'ai toujours regretté que le classement de Shanghai soit érigé en unique référence, occultant la véritable mission de l'université. Celle-ci constitue avant tout un service public, au service de l'aménagement du territoire et de la promotion des générations futures, au bénéfice de l'économie de la connaissance. Dans ce domaine, un constat s'impose : l'Europe souffre d'un sous-investissement chronique, et la France ne fait pas exception. Nous risquons aujourd'hui d'être dépassés, faute de moyens suffisants alloués à la recherche et à la formation.

Le taux d'insertion professionnelle des étudiants demeure élevé - environ 85 % - et progresse avec le niveau de diplôme. Néanmoins, la France manque cruellement de places dans les écoles d'ingénieurs : notre pays devrait en former deux fois plus pour répondre aux besoins économiques et technologiques. Par ailleurs, de nombreux bacheliers professionnels se dirigent vers l'université, faute de places disponibles dans les IUT, qui recrutent majoritairement des bacheliers généraux.

J'attire votre attention sur la complexité inhérente à la détermination des capacités d'accueil. Nous avons adopté lundi une loi prévoyant que, pour les formations en santé, ces capacités doivent être fixées en fonction des besoins médicaux des territoires. Pour d'autres formations universitaires, cela me paraît plus ardu, alors que l'évolution du marché de l'emploi demeure largement imprévisible, en raison notamment des effets mal mesurés de l'intelligence artificielle. Face à la transformation rapide des métiers, je considère pour ma part qu'il convient de privilégier des formations généralistes, seules à même de préparer durablement les étudiants aux mutations à venir.

S'agissant enfin des droits d'inscription, je réaffirme mon attachement au principe d'universalité du service public : chacun doit contribuer à la même hauteur. La régulation tenant compte des ressources doit être opérée par l'impôt, et non par une différenciation des frais d'accès à l'enseignement supérieur.

M. Jean Hingray. - Les travaux de nos collègues rapporteurs mettent en évidence les tensions persistantes entre l'autonomie des universités et les contraintes liées à l'encadrement budgétaire. Le récent débat sur la loi de finances a illustré l'absence de diagnostic partagé sur les marges de manoeuvre réelles des établissements, avec une focalisation des discussions sur leur trésorerie et l'absence de compensation de certaines mesures salariales. Il est essentiel de clarifier les responsabilités de l'État dans le financement des missions fondamentales de l'enseignement supérieur, tout en instaurant un dialogue stratégique fondé sur la transparence et l'équité.

La recherche de ressources propres, si elle constitue une dynamique positive pour certains pôles d'excellence, ne doit pas fragiliser les universités qui assurent un maillage territorial indispensable et garantissent l'accès à une offre de formation de proximité. Le rapport formule des recommandations ambitieuses et ouvre un débat de fond, notamment à travers la recommandation n° 12.

Avec les membres du groupe centriste, nous exprimons notre soutien à l'ensemble des préconisations formulées dans ce rapport.

Mme Laure Darcos. - Je remercie les rapporteurs pour la qualité et la richesse de leur travail. Nombre de collègues de mon groupe se montrent favorables à la recommandation relative à une hausse des frais d'inscription, naturellement corrélée aux ressources des familles, car plusieurs présidents d'université nous confient qu'il sera difficile de trouver une autre voie de financement pérenne. J'y souscris également, à condition qu'elle ne s'accompagne d'aucun désengagement financier de l'État.

S'agissant de la sélection, le terme me semble particulièrement inapproprié. Dans les universités de province, une telle logique risquerait de conduire à la fermeture de certaines filières. Beaucoup de jeunes choisissent leur université avant tout pour sa proximité géographique, et n'envisagent pas d'intégrer un établissement parisien.

Le véritable enjeu, à mon sens, réside dans l'orientation, sans doute insuffisamment abordée dans votre rapport. Une orientation plus effective dès la fin du collège permettrait d'orienter davantage d'élèves vers des IUT professionnalisants et des filières concrètes. D'ailleurs, lorsque les universités remplissent pleinement leur mission, elles assurent elles-mêmes cette fonction d'orientation en première ou deuxième année.

Enfin, la baisse démographique annoncée dans les deux à trois prochaines années ne doit pas servir de prétexte à la fermeture de filières. Au contraire, elle pourrait offrir l'occasion d'améliorer les conditions d'étude et de réduire la surcharge des amphithéâtres. Je préfère ainsi parler de « régulation » plutôt que de « sélection », et j'aurais souhaité que la question de l'orientation soit explicitement intégrée aux recommandations du rapport.

Mme Mathilde Ollivier. - Je vous remercie pour cette mission d'information, qui intervient à un moment charnière pour l'enseignement supérieur. Les universités traversent aujourd'hui une crise de confiance avec l'État, marquée par des tensions budgétaires récurrentes et un manque de visibilité stratégique. Ces constats, nombreux et préoccupants, nourriront utilement nos débats budgétaires dans les semaines à venir.

Malgré les discours réaffirmant la priorité donnée à la jeunesse, les moyens alloués par étudiant diminuent depuis une décennie. Les établissements se trouvent fragilisés par un désengagement structurel de l'État, une succession de réformes et une absence de lisibilité financière. À la fin de l'année 2024, cinquante-huit universités sur soixante-quinze ont adopté un budget déficitaire.

Nous adhérons pleinement aux quatre premiers axes du rapport, qui appellent à une clarification des missions, à l'instauration d'une stratégie quinquennale partagée, ainsi qu'à la revalorisation du rôle et de l'image de l'université dans le débat public. Nous saluons également la volonté de renforcer la transparence dans l'allocation des moyens, notamment concernant la SCSP, et de clarifier la gestion des trésoreries issues des appels à projets.

En revanche, le cinquième axe suscite de profondes réserves. L'augmentation des frais d'inscription et la mise en place d'une sélection à l'entrée du premier cycle constituent, à nos yeux, une ligne rouge. Ces orientations s'éloignent de la vocation républicaine de l'université française, fondée sur l'égalité d'accès au savoir.

Toute hausse des frais, même progressive, romprait avec le principe - déjà relatif - de quasi-gratuité et accentuerait les inégalités sociales. Alors que la précarité étudiante ne cesse de s'aggraver, il serait irresponsable d'alourdir encore la charge financière des familles. Certaines situations extrêmes, comme celle de jeunes femmes confrontées à du marchandage sexuel pour accéder à un logement, rappellent l'urgence de renforcer la protection et le soutien aux étudiants.

La restauration de la confiance entre l'État et les universités passe par un engagement renouvelé de la puissance publique, non par une privatisation rampante du financement. La revalorisation des bourses, longtemps annoncée, demeure une priorité absolue. L'enseignement supérieur public doit être reconnu comme un investissement stratégique pour l'avenir du pays et le rayonnement de ses universités.

Pour ces raisons, nous voterons en faveur des quatre premiers axes du rapport, mais nous nous opposerons fermement au cinquième.

M. Bernard Fialaire. - Je tiens tout d'abord à féliciter les trois rapporteurs pour la qualité et la clarté de ce rapport. Nous avons en effet un besoin urgent d'éclaircissements sur la SCSP. Dans nos échanges avec les universités de nos territoires, nous observons des disparités considérables : par exemple, l'université de Lyon perçoit un tiers de moins par étudiant que celle de Toulouse. Cette situation crée des inégalités majeures entre établissements et souligne l'absence de critères d'attribution transparents, ce qui limite notre capacité à exercer pleinement notre mission de contrôle.

S'agissant de l'axe n° 5, la gratuité de l'enseignement supérieur a été instaurée par Édouard Herriot, qui fut mon prédécesseur en tant que sénateur du Rhône. Il n'est pas envisageable de revenir sur ce principe fondateur, ni d'introduire une sélection par l'argent, inefficace sur le plan budgétaire et profondément discriminante pour de nombreuses familles.

Il convient également de rappeler qu'un examen universitaire ne constitue pas un critère d'embauche. Certaines filières courtes, comme les IUT, se distinguent par leur efficacité et permettent, le cas échéant, des reprises d'études ultérieures. Nous devons préserver ces passerelles, essentielles à la mobilité et à la réussite des étudiants.

L'université n'a pas seulement pour vocation de délivrer des diplômes : elle transmet un savoir qui nourrit la réflexion, l'esprit critique et l'épanouissement de la jeunesse, richesse première de notre pays. C'est pourquoi je voterai en faveur des quatre premiers axes du rapport, mais je ne pourrai approuver le cinquième.

M. Max Brisson. - Je remercie nos collègues pour la qualité et l'exhaustivité de leur travail, qui ouvre une réflexion essentielle sur les relations entre l'État et les universités.

Depuis la loi LRU de 2007, l'autonomie demeure largement théorique, voire illusoire : les universités sont juridiquement autonomes, mais financièrement dépendantes, ce qui les empêche de bâtir une stratégie de long terme. Il est temps d'engager un second acte de la réforme de 2007 afin de leur garantir une autonomie financière réelle.

Le rapport formule des propositions pertinentes : repositionner l'État en stratège plutôt qu'en simple financeur, stabiliser le cadre budgétaire et diversifier les ressources. La recommandation n° 5 me semble décisive pour redonner des marges de manoeuvre aux établissements.

La refonte du système d'admission qui pourrait découler de la recommandation n° 12 apparaît également nécessaire. Parcoursup affecte aujourd'hui des bacheliers vers des formations peu attractives, poussant les universités à multiplier des cursus sans débouchés pour préserver leurs financements. Nous avons créé un droit à la poursuite d'études, sans droit à l'emploi, trompant ainsi une partie de la jeunesse.

Une régulation plus claire de l'accès au premier cycle, accompagnée d'une harmonisation des droits d'inscription et d'une réforme des bourses, s'impose pour redonner sens à notre enseignement supérieur. Les commissaires du groupe Les Républicains voteront en faveur de l'ensemble des recommandations et du rapport.

Mme Karine Daniel. - Je partage les constats présentés dans ce rapport, mais je souhaite insister sur la situation des étudiants en licence sans débouchés ou interrompant leur parcours. Lorsqu'on évoque le coût de ces formations inachevées, il convient également de considérer le coût d'opportunité : où seraient ces étudiants s'ils n'étaient pas à l'université ? Dans des formations plus onéreuses pour la collectivité ? Ou au chômage, avec un coût social bien supérieur ? L'université demeure l'option la moins coûteuse et la plus inclusive pour la société.

Je rejoins l'analyse de Bernard Fialaire : ces étudiants apprennent malgré tout, se réorientent, préparent des concours ou rejoignent d'autres filières. Leur parcours, même interrompu, participe à la construction de leur avenir. Une lecture plus fine de ces trajectoires s'impose, au-delà des 500 millions d'euros évoqués.

S'agissant des frais d'inscription, je reste attachée au principe d'universalité de l'accès à l'enseignement supérieur. Une différenciation selon les revenus familiaux serait particulièrement problématique pour les étudiants en transition entre dépendance et autonomie. L'augmentation des droits d'inscription poserait en outre un risque majeur pour la mixité sociale : elle rapprocherait le coût de l'université publique de celui du privé, créant une rupture d'égalité.

Enfin, concernant la trésorerie des universités, les travaux que je mène pour le Conseil de surveillance des investissements d'avenir (CSIA) montrent que les établissements, contraints de multiplier les appels à projets, voient parallèlement leurs moyens de fonctionnement se réduire. On leur reproche ensuite de disposer d'une trésorerie fléchée pour justifier ce désengagement de l'État. Cette situation paradoxale appelle une analyse approfondie et des réponses structurelles.

M. Jacques Grosperrin. - Je vous remercie pour ce rapport à la fois précis et éclairant. Le dernier débat budgétaire a mis en lumière la fragilité financière croissante des universités. À titre d'exemple, l'Université de Franche-Comté a dû assumer plus de 9 millions d'euros de charges non compensées.

Deux questions se posent dès lors : alors que les collectivités territoriales sont de plus en plus sollicitées pour pallier les insuffisances de la SCSP, ne conviendrait-il pas de repenser en profondeur le mode de financement de l'enseignement supérieur ? Par ailleurs, concernant le rôle des rectorats, la rénovation des contrats d'objectifs, de moyens et de performance permet-elle de mieux articuler priorités nationales et spécificités locales ?

Enfin, s'agissant de l'autonomie universitaire instaurée par la loi de 2007, le mode d'élection des présidents par leurs pairs nous interpelle. Valérie Pécresse avait, à l'époque, proposé un système de nomination par l'État ou d'élection par un comité indépendant. Si cette réforme avait abouti, nous aurions sans doute progressé plus rapidement sur la dévolution patrimoniale et la consolidation du modèle économique des universités. Il est temps, me semble-t-il, de dépasser les positions figées pour offrir à nos établissements les moyens de leur réussite.

Mme Annick Billon. - Je félicite les trois rapporteurs pour ce travail transpartisan, présentant un diagnostic lucide et des recommandations nécessaires. L'état des lieux qu'ils présentent est préoccupant. Leurs préconisations visent à renforcer la visibilité stratégique des universités, à leur assurer des financements pérennes, à consolider leur pilotage financier et à généraliser la comptabilité analytique -- ce qui devrait, à ce stade, constituer un socle de base pour tout établissement public d'enseignement supérieur. Il y a également urgence sur la réussite des étudiants.

Je souhaite insister sur l'axe n° 5, qui a suscité de nombreux échanges. À ceux qui s'opposent à une orientation plus sélective, j'aimerais poser une question simple : que propose-t-on aux 64 % d'étudiants qui n'obtiennent pas leur licence en trois ans ? Cette réalité témoigne d'une sélection déjà à l'oeuvre, mais par l'échec, avec un coût humain et financier considérable, tant pour les étudiants que pour les établissements.

L'approche préconisée par les rapporteurs ne relève pas d'une logique punitive, mais d'une recherche d'efficacité : mieux orienter, mieux accompagner, créer des passerelles entre les filières pour éviter que l'université ne devienne un lieu de désillusion. Une telle orientation sélective, fondée sur l'adéquation entre les profils et les parcours, constitue une condition indispensable à la réussite des étudiants. Déconnecter l'université du monde du travail reviendrait à l'affaiblir durablement.

M. Adel Ziane. - Je remercie les rapporteurs pour la qualité de leur travail et pour l'attention portée au terrain, notamment à travers les échanges menés avec les présidents d'université, qui attendaient depuis longtemps d'être entendus sur leurs préoccupations.

S'agissant de la trésorerie, je me félicite que ce rapport ait mis en lumière que les fonds détenus par les universités ne constituent pas une thésaurisation à long terme, mais bien des ressources affectées que l'on voudrait mobiliser pour compenser des déficits structurels. Les exemples de Lille ou de Paris 8 en témoignent clairement, révélant les difficultés persistantes de l'État à honorer pleinement ses obligations financières envers les établissements.

Sur la question des frais d'inscription, je souhaite rappeler que l'université joue un rôle fondamental dans l'accompagnement des publics les plus fragiles, conformément à l'engagement républicain que nous portons en tant que sénatrices et sénateurs. Nous devons répondre à l'enjeu d'équité territoriale, particulièrement sensible dans certaines régions.

Enfin, de nombreux présidents d'université s'interrogent sur les critères appliqués par la tutelle dans la répartition des dotations. Pourquoi certains établissements bénéficient-ils de moyens plus conséquents sans justification claire ? En outre, le recours croissant aux appels à projets perturbe la trésorerie et la comptabilité analytique, fausse les trajectoires budgétaires pluriannuelles et donne une image déformée de la gestion des établissements. Il devient indispensable de restaurer transparence et cohérence dans la répartition des moyens.

M. Pierre-Antoine Levi. - Je me réjouis de constater, à travers vos nombreuses interventions, l'intérêt marqué des sénateurs pour la question universitaire. Permettez-moi de rappeler quelques éléments de contexte relatifs à notre mission. Initialement centrée sur les relations financières entre l'État et les universités, notre démarche a dû être réorientée après le lancement, par la commission des finances, d'une mission parallèle sur le financement à la performance des établissements. Après concertation entre les présidents et rapporteurs des deux commissions, nous avons élargi notre périmètre aux relations stratégiques entre l'État et les universités, découvrant ainsi d'autres problématiques exprimées par de nombreux présidents d'université. Le rapport que nous présentons en restitue fidèlement la teneur. La marque de fabrique du Sénat repose sur la sincérité de ses travaux.

S'agissant de l'axe n° 5, nous avons volontairement adopté une approche mesurée. Le rapport ne formule pas de position normative, mais propose d'ouvrir une réflexion nationale sur l'orientation étudiante et sur les tarifs universitaires, sans remettre en cause le principe constitutionnel de l'égal accès à l'enseignement supérieur.

Enfin, je tiens à souligner la qualité du travail collectif mené, qui a permis d'aboutir à un rapport dense et exigeant avant l'ouverture des discussions budgétaires. Nos conclusions permettront d'enrichir nos débats sur le projet de loi de finances.

Mme Laurence Garnier. - S'agissant du vocabulaire employé -- sélection, régulation, orientation --, l'enjeu central réside dans l'optimisation de l'adéquation entre les formations et les profils d'étudiants, dans leur intérêt premier, mais aussi dans celui des établissements et de la Nation. L'université a pour mission fondamentale de préparer la jeunesse à une économie de la connaissance tout en favorisant son insertion dans le monde du travail.

C'est pourquoi nous avons délibérément retenu, dans l'intitulé de l'axe n° 5, le terme d'« orientation » plutôt que celui de sélection, qui ne doit en aucun cas être perçu comme un mécanisme d'exclusion. Notre démarche s'inscrit dans une logique d'accompagnement vers la réussite. Il s'agit avant tout d'un enjeu d'orientation éclairée et d'égalité des chances.

Seuls 36 % des étudiants obtiennent leur licence en trois ans, 47 % en quatre ans, et près de la moitié échouent encore après cinq ans. De nombreux établissements, à l'image d'Aix-Marseille Université, ont mis en place des dispositifs adaptés pour accompagner les profils les plus fragiles : ce sont des initiatives qu'il convient de saluer. Néanmoins, ces résultats interrogent quant à la bonne utilisation des fonds publics : cinq années d'études à un coût annuel de 12 250 euros pour un échec final appellent à une réflexion sur l'efficacité du système.

Les présidents d'université accueillent trop souvent des étudiants dont ils savent dès l'origine que le profil ne correspond pas à la formation choisie. Il nous faut les écouter pour éviter de former des générations d'étudiants exposés à l'échec et à la désillusion.

Concernant les droits d'inscription, leur augmentation ne constituerait pas une réponse structurelle au sous-financement des universités, puisqu'ils ne représentent aujourd'hui que 2,7 % de leurs budgets. La réflexion pourrait en revanche porter sur une modulation selon les revenus, accompagnée d'une refonte du système de bourses, sans effet d'aubaine pour l'État. Rappelons que l'étudiant s'acquitte de 178 euros pour une formation dont le coût réel pour la collectivité atteint 12 250 euros par an.

La précarité étudiante et la question du logement demeurent des enjeux majeurs, aggravés par l'élargissement des possibilités offertes par Parcoursup, qui favorise la mobilité géographique, mais accentue les contraintes résidentielles. La dévolution du patrimoine immobilier universitaire pourrait constituer une piste prometteuse, permettant aux établissements propriétaires d'engager directement des programmes de construction de logements étudiants.

Enfin, les présidents d'université ont souligné leurs difficultés à recruter des profils spécialisés, notamment en gestion de projets et en ingénierie immobilière. L'état très dégradé du bâti universitaire, que nous avons pu constater à Paris 8, pèse à la fois sur les conditions d'étude et sur l'attractivité des établissements.

L'objectif fondamental de notre mission reste la restauration de l'excellence universitaire française. Aujourd'hui, l'université n'attire plus que 54 % des effectifs de l'enseignement supérieur, de plus en plus d'étudiants se tournant vers le privé. Les propositions formulées visent toutes à réaffirmer l'excellence académique et le rayonnement de l'université publique.

M. David Ros. - Je remercie mes collègues pour l'intérêt manifesté à travers leurs questions. L'université représente l'avenir de notre jeunesse et de notre pays.

Les axes n° 1 à n° 4, consacrés aux moyens et à la stratégie, constituent le coeur de notre mission. Pour les territoires, le maillage des formations universitaires constitue un enjeu majeur. Les CPER ont été structurants, mais les contraintes budgétaires exigent une vision stratégique claire de l'État, au-delà des Comp et de leurs 850 indicateurs. Une vision quinquennale associant tous les acteurs s'impose.

Concernant l'axe n° 5 et sa proposition n° 12, je constate que le temps consacré à ce point dans notre débat préfigure l'attention médiatique qu'il recevra. Mon groupe a demandé le retrait de cet axe. Je trouve regrettable de compromettre l'unanimité du vote pour une simple proposition d'ouverture de débat qui aurait pu figurer dans le rapport sans constituer une recommandation. Si cet axe n° 5 est maintenu, le groupe socialiste votera contre ce rapport, et je me retirerai par cohérence et solidarité politiques.

M. Pierre Ouzoulias. - L'axe n° 5 justifierait à lui seul une mission d'information spécifique. La question ne se limite pas aux bourses, mais concerne également le logement étudiant. Les universités demandent d'ailleurs à récupérer certaines compétences du centre national des oeuvres universitaires et scolaires (Cnous), ce qui constitue un enjeu majeur méritant un traitement approfondi.

Dans cette perspective, il serait plus cohérent et plus prudent de mettre cet axe en réserve afin d'en faire le cadre d'une future mission d'information dédiée, plus complète et mieux articulée. Au nom de mon groupe, je considère donc préférable que cet axe n° 5 soit retiré du rapport.

M. Laurent Lafon, président. - Les missions d'information sont arrêtées en bureau en début d'année ; il ne m'appartient donc pas d'anticiper les travaux à venir. Il me semble par ailleurs difficile, pour cette mission comme pour d'autres, de différer l'examen des points de divergence. Il convient au contraire de les assumer et de les acter clairement.

M. Max Brisson. - Nos rapporteurs envisagent avant tout d'ouvrir la réflexion sur ces questions, sans prétendre apporter de réponses définitives.

Mme Sylvie Robert. - L'axe n° 5 dépasse le périmètre initial de la mission d'information. Je propose de retenir les quatre premiers, et de mentionner en conclusion qu'une réflexion complémentaire pourra être engagée sur les sujets abordés dans l'axe n° 5.

Mme Mathilde Ollivier. - L'axe n° 5 formule plusieurs constats que nous ne partageons pas, notamment sur la sélectivité des formations et la gratuité des frais de scolarité. Ces sujets méritent une réflexion approfondie et autonome, qui ne saurait être traitée incidemment dans une mission initialement consacrée aux relations entre l'État et les universités. Je rejoins pleinement les positions exprimées par Sylvie Robert et Pierre Ouzoulias.

M. Stéphane Piednoir. - Ouvrir un débat sur une éventuelle régulation de l'entrée dans le premier cycle universitaire relève pleinement des relations stratégiques entre l'État et les universités. Il apparaît légitime que ce sujet figure dans le rapport. L'axe n° 5 ne parle pas de sélection, mais bien d'une réflexion sur l'orientation et la régulation.

De même, la question d'un éventuel ajustement des droits d'inscription s'inscrit dans une réflexion plus large sur la réforme des bourses, explicitement mentionnée dans la recommandation n° 12. Écarter cet axe reviendrait à écarter ce chantier. Ces propositions n'ont pas valeur de décision, mais visent à ouvrir un débat, susceptible d'être approfondi dans un travail ultérieur.

Mme Annick Billon. - Je suis favorable au maintien de l'axe n° 5.

Il est procédé au vote.

Les recommandations n° 1 à n° 11 sont adoptées à l'unanimité.

La recommandation n° 12 est adoptée à la majorité.

M. Laurent Lafon, président. - Deux options sont envisageables : soit les groupes ayant émis une position défavorable sur la recommandation n° 12 s'opposent à l'ensemble du rapport et, si j'ai bien compris ce qui a été exprimé, notre collègue David Ros se retire comme rapporteur, soit ils votent en faveur de son adoption, avec la mention explicite que l'axe n° 5 n'a pas recueilli l'approbation de l'ensemble des groupes, accompagnée le cas échéant d'une contribution du rapporteur qui porte cette position.

Mme Sylvie Robert. - Nous retenons la première option et annonçons notre retrait.

M. Laurent Lafon, président. - Entendu.

La réunion est close à 11 h 20.

La réunion est ouverte à 16 h 35.

Audition de Mme Laurence des Cars, présidente-directrice du musée du Louvre

M. Laurent Lafon, président. - Nous accueillons cet après-midi Laurence des Cars, présidente-directrice du musée du Louvre, à la suite du cambriolage qui a eu lieu dimanche matin dans la galerie d'Apollon.

Madame la présidente, nous vous remercions d'avoir répondu favorablement à notre invitation, dans un délai que nous savons court.

Dimanche 19 octobre, dans les premières minutes de l'ouverture du musée du Louvre, des cambrioleurs se sont introduits, depuis les quais de la Seine, dans la galerie d'Apollon, qui abrite la collection royale de gemmes et les diamants de la Couronne, s'emparant d'un butin d'une très grande valeur. Celui-ci comprendrait notamment des bijoux des Premier et Second Empires de la reine Marie-Amélie, de la reine Hortense, de l'impératrice Marie-Louise et de l'impératrice Eugénie. Les voleurs ont laissé échapper dans leur fuite la couronne de l'impératrice Eugénie, qui a été endommagée par sa chute.

Bien entendu, ce butin serait difficile à revendre tel quel ; il est cependant à craindre que les pierres et les métaux précieux qui le composent, qui possèdent une grande valeur intrinsèque, ne soient démontés, retaillés et écoulés séparément, ce qui représenterait une catastrophe définitive du point de vue patrimonial.

Une enquête pour vol en bande organisée et association de malfaiteurs en vue de commettre un crime a été ouverte et confiée à la brigade de répression du banditisme. Les cambrioleurs n'ont à cette heure pas été retrouvés.

Selon le communiqué publié dimanche après-midi par le ministère de la culture, les cinq agents du Louvre présents sur les lieux ont immédiatement appliqué le protocole et provoqué la fuite des cambrioleurs. La ministre de la culture a indiqué dans la journée d'hier que les dispositifs de sécurité du musée avaient bien fonctionné.

Cependant, la gravité extrême de ce cambriolage et l'apparente facilité avec laquelle il a été perpétré nous interpellent profondément, et suscitent évidemment de nombreuses interrogations de notre part. Il est donc indispensable de faire toute la lumière devant nos concitoyens sur plusieurs points.

Nous avons, tout d'abord, besoin de comprendre le déroulé exact des faits ainsi que les conditions dans lesquelles les procédures et les dispositifs de sécurité du Louvre ont été activés. La question n'est pas seulement de savoir s'ils ont bien été mis en oeuvre : il faut également établir s'ils étaient adaptés et suffisants.

La presse a évoqué un certain nombre d'éléments, souvent de manière confuse : le déclenchement ou non des alarmes, le délai dans lequel les forces de l'ordre ont été prévenues, le rôle des surveillants, le remplacement récent des vitrages ainsi qu'un déploiement insuffisant de caméras de surveillance. Quel est le nombre de celles-ci, à l'intérieur comme à l'extérieur du musée ?

Nous avons également besoin de comprendre le cadre général de la sécurité et de la sûreté du Louvre, ainsi que son évolution au cours des dernières années. Nous souhaitons également comprendre votre approche de ce sujet, alors que le Louvre entre dans une phase de grande transformation.

Mme Laurence des Cars, présidente-directrice du musée du Louvre. - Je souhaite avant toute chose vous remercier de m'avoir conviée devant votre commission pour m'exprimer sur le vol brutal qui a eu lieu au musée du Louvre le dimanche 19 octobre 2025 au matin.

Ce drame a profondément choqué les agents du musée du Louvre. Il a profondément choqué nos concitoyens. Il a profondément choqué toutes celles et tous ceux qui aiment le Louvre et admirent nos collections, bien au-delà de nos frontières. Leur émotion est à la hauteur de ce que représente le patrimoine insigne qui nous a été dérobé. Le Louvre est le musée de tous les Français ; les collections qui nous sont confiées sont des collections nationales ; notre musée porte aussi, à travers le monde, l'image de la France. Il est l'écrin de notre histoire et le symbole de nos valeurs. Les nombreux messages de solidarité et de soutien reçus du monde entier témoignent de cet écho international. Je veux en remercier les auteurs.

Mesdames et messieurs les sénateurs, je prends pour la première fois la parole depuis les faits qui se sont produits il y a un peu plus de trois jours. Depuis lors, j'ai fait face à toutes mes responsabilités. J'ai vu mon nom jeté en pâture, j'ai vu des articles de presse malveillants se diffuser et de fausses informations prospérer. Ces attaques ont aussi visé Dominique Buffin, directrice de l'accueil du public et de la surveillance, présente ici à mes côtés. À travers nous, c'est bien évidemment le Louvre et ses agents que l'on dénigre. Rien de tout cela ne m'a étonnée, mais rien ne m'a détournée de ma mission. Je veux donc aujourd'hui rétablir quelques vérités, puisque vous m'en donnez l'opportunité.

Depuis dimanche dernier, j'ai été présente aux côtés des 2 300 agents du musée du Louvre, comme eux profondément bouleversée par cette agression brutale, comme eux déterminée à rouvrir dans les meilleures conditions possibles les portes du plus grand musée du monde. C'est chose faite depuis ce matin. Cette ouverture était attendue de nos publics. Elle est notre raison d'être.

Les musées ne sont pas et ne seront jamais des forteresses ; ils sont par nature ouverts. Ils sont des lieux de découverte, d'apprentissage et de plaisir. Le musée du Louvre accueille neuf millions de visiteurs par an. Cette complexité est au coeur de notre travail. Notre mission première est de protéger le patrimoine culturel commun dont nous avons la charge, tout en le partageant avec le plus grand nombre.

L'attaque de dimanche nous rappelle douloureusement que la violence criminelle ne s'arrête pas à nos murs. Le Louvre, comme bien d'autres musées sur notre territoire et dans le monde entier, n'est pas préservé de la brutalisation croissante de nos sociétés. Dimanche, il s'est produit ce que tous les professionnels des musées redoutent matin, midi et soir : le vol des oeuvres dont nous assurons la protection. Je veux ici rendre hommage au professionnalisme et à l'engagement sans faille des équipes du musée du Louvre, qui travaillent dans des conditions difficiles au quotidien, particulièrement en ces moments éprouvants.

C'est une blessure immense qui nous a été infligée, et je la vis profondément en tant que présidente-directrice du musée du Louvre, en tant que conservatrice générale du patrimoine, et en tant que citoyenne. Je souhaite exprimer ma reconnaissance à la représentation nationale qui m'autorise aujourd'hui, tout d'abord, à apporter des éclairages objectifs et fondés sur la sûreté des collections que le Louvre abrite ; ensuite, à rendre compte des éléments factuels que nous connaissons à ce stade sur le vol de dimanche ; enfin, à présenter les mesures qui pourront être adoptées dès aujourd'hui et sur le temps plus long pour prémunir le Louvre contre de futures agressions.

En premier lieu, je vais donc apporter des éclairages objectifs et fondés sur la sûreté des collections que le Louvre abrite. Par sa violence, ce vol blesse notre institution dans sa mission la plus profonde. Il ne s'agit nullement pour moi de me dérober ou d'adopter une position de déni : malgré nos efforts, malgré notre travail acharné au quotidien, nous avons été mis en échec. Huit objets d'une valeur patrimoniale immense, témoins de l'histoire de notre pays, conservés dans le coeur historique du palais du Louvre, nous ont été arrachés. Une enquête, confiée à la police judiciaire sous l'autorité du parquet de Paris, est en cours. Elle permettra d'éclairer toutes les circonstances du vol.

Je ne veux toutefois pas laisser penser que ce vol est une fatalité. Je n'ai cessé, depuis ma prise de fonctions en septembre 2021, d'attirer l'attention de notre tutelle, de la représentation nationale et des médias sur l'état de dégradation et d'obsolescence générale du Louvre, de ses bâtiments et de ses infrastructures. Le 30 avril 2024, devant la commission des affaires culturelles de l'Assemblée nationale, je prononçais ces mots : « Pourtant, les chantiers de restauration que nous portons depuis deux ans et les réformes que nous menons pour redonner le goût du Louvre à nos visiteurs ne peuvent à elles seules pallier les difficultés structurelles de l'établissement. Le geste fondateur du Grand Louvre a fait oublier les besoins structurels d'un palais qui est aussi un musée, d'un musée qui est aussi un palais, dont des pans entiers n'ont pas été touchés par les travaux des années 1980. » J'affirmais également qu'il en résultait une multiplication d'avaries dans les espaces du musée, en soulignant l'obsolescence de nos équipements techniques et l'inadaptation de nos bâtiments face aux effets du changement climatique. Tels étaient mes propos ; ils sont, hélas, d'une brûlante actualité.

Le Louvre est non seulement le musée le plus fréquenté du monde, mais aussi un monument historique immensément vaste : 244 000 mètres carrés de plancher, 86 000 mètres carrés d'espaces muséographiques et 37 hectares de domaine, avec 33 000 oeuvres présentées dans les salles. Y mener des travaux de rénovation implique de s'engager sur la longue durée, en ne fermant que certains secteurs du musée étape par étape. Il ne serait pas concevable de fermer le Louvre au public. Ces travaux requièrent un temps considérable d'analyse et de diagnostic ; ils sont soumis aux procédures complexes et lentes des marchés publics - vous, législateurs, le savez mieux que personne. Ces transformations doivent être anticipées et programmées ; elles se déroulent nécessairement sur plusieurs années.

J'en viens au schéma directeur des équipements de sûreté. Face à la situation préoccupante des installations de sûreté du musée, que j'ai découverte plusieurs mois après mon arrivée, j'ai accéléré l'élaboration de ce schéma. Ce plan couvre tous les domaines de la sûreté : postes de contrôle dotés d'équipements modernes, dispositifs informatiques en réseau, renforcement de la vidéoprotection, contrôle anti-intrusion, système de badges. De 2022 à 2024, des études ont été menées par la maîtrise d'oeuvre spécialisée, afin de parvenir à un diagnostic complet de l'état de nos équipements et de définir le programme de travaux nécessaire. Les marchés ont été lancés à la fin de l'année 2024 pour des travaux qui commenceront au premier semestre de l'année 2026, et se poursuivront a minima jusqu'en 2033.

Ce schéma directeur des équipements de sûreté est évalué à 80 millions d'euros. Il s'intègre dans le projet « Louvre - Nouvelle Renaissance », annoncé par le Président de la République le 28 janvier dernier. Je veux ici remercier le Président de la République et la ministre de la culture. Sans leur soutien, sans leur lucidité sur l'état du Louvre, rien ne serait aujourd'hui lancé. Le montant très important de ce plan illustre l'importance de la marche technique que nous avons à franchir.

Cependant, au regard de l'urgence et des délais inhérents à un plan, j'ai demandé que des mesures rapides soient mises en place. Ainsi, depuis 2022, tous les projets de rénovation de salle ou de changements muséographiques s'accompagnent de manière systématique d'une reprise des dispositifs de sûreté, notamment en ce qui concerne l'extension de la vidéoprotection. À titre d'exemple, l'exposition « Naples à Paris », qui accueillait en 2023 les chefs-d'oeuvre du musée de Capodimonte dans la grande galerie du Louvre, a été l'occasion d'étendre le réseau de caméras numériques dans cet espace iconique, qui en disposait en nombre insuffisant.

À ce sujet, les fuites organisées sur le rapport provisoire de la Cour des comptes constituent une grave mise en danger pour la sécurité du musée. Ces éléments avaient été remis en main propre à l'équipe de la Cour, sous pli cacheté. Nous avions alerté la Cour sur le risque majeur que faisait courir au Louvre l'inscription de ces éléments dans le rapport provisoire. Je ne peux que déplorer ces fuites.

En ce qui concerne le domaine du Louvre et des Tuileries, j'ai poursuivi la sécurisation périmétrique du bâtiment et de ses abords en achevant en 2022 la pose de nouvelles grilles sur les accès au domaine qui en étaient dépourvus. S'agissant des grilles existantes, toutes classées monuments historiques, un programme de restauration est en cours depuis cette année, et s'achèvera au printemps 2026. J'ai demandé qu'il soit complété par des dispositifs antibéliers, conformément aux préconisations de la préfecture de police, dont le rapport m'a été remis en décembre 2023. Le premier de ces équipements est en cours de pose en ce moment même.

S'agissant à présent de l'amélioration de notre organisation et de nos procédures, les équipements sur lesquels s'appuie la sûreté du musée ne suffisent pas sans des équipes formées et des procédures bien appliquées. Au cours des dix dernières années, le musée a connu une baisse de ses effectifs de surveillance et de sûreté. Sous ma présidence, ces effectifs n'ont pas baissé. Depuis 2022, ils ont même progressé de 5,5 %, grâce au recrutement direct permis par le ministère de la culture.

Concernant les procédures, il est toujours nécessaire de bénéficier d'une expertise extérieure pour analyser nos méthodes de travail. Au début de cette année, j'ai demandé à la préfecture de police de mener une étude sur notre organisation de la sûreté de nuit. Le rapport a été rendu l'été dernier et nous allons en appliquer les recommandations.

Permettez-moi à présent de vous rendre compte des éléments factuels que nous connaissons à ce stade sur le vol de dimanche. Avant de vous exposer le déroulé des événements, tel que nous le connaissons, je tiens à saluer les équipes du musée du Louvre, particulièrement les agents de la direction de l'accueil du public et de la surveillance et les agents de contrôle qui ont participé à l'évacuation du public.

Nos agents, je le rappelle, ne sont pas armés. Quatre d'entre eux étaient présents au moment des faits dans la galerie d'Apollon. Ils ont suivi avec réactivité, exactitude et sang-froid le protocole de sécurité : alerter les services de police, sécuriser le périmètre et évacuer dans le calme les visiteurs présents dans les salles du musée. Grâce à leur professionnalisme, personne n'a été blessé. Dans ce cauchemar, aucune vie humaine n'a été touchée.

Je tiens aussi à saluer l'intervention des agents de notre prestataire Securitas, qui ont poursuivi, aux côtés des agents du Louvre, les malfaiteurs aux abords du musée. J'ai également une pensée pour le département des objets d'art, si douloureusement touché par ce vol, ainsi que pour tous les conservateurs du Louvre. Notre musée est un collectif et c'est en tant que collectif qu'il fait face aux événements de dimanche.

Voici donc le déroulé des faits, que je vous communique ici avec la plus grande transparence. Le dimanche 19 octobre 2025, à 9 heures 30, un camion-nacelle se positionne aux abords immédiats du musée du Louvre, quai François Mitterrand. Ce véhicule prend place sur le trottoir. Des individus munis de gilets de chantier l'entourent de plots de signalisation, simulant une opération de maintenance. À l'aide de la nacelle, ils se hissent jusqu'au balcon de la galerie d'Apollon et procèdent à l'effraction de la porte-fenêtre. Il est 9 heures 34. Le détecteur d'alarme positionné sur la porte se déclenche aussitôt et transmet un signal au poste de sécurité.

Alors que les voleurs pénètrent dans la galerie d'Apollon par l'ouverture créée, un agent posté en salle lance un appel radio au poste de commandement (PC) pour signaler l'intrusion. Il est 9 heures 35. L'évacuation de la salle est lancée. Les alarmes des deux vitrines de la galerie d'Apollon se déclenchent. Attaqué avec une disqueuse, le verre de ces deux vitrines de haute sécurité ne s'est ni brisé ni délité. À l'aide de leurs instruments lourds, les malfaiteurs ont créé des brèches au travers desquelles ils ont pu passer leurs mains.

À 9 heures 35 et 33 secondes, le chef d'exploitation du musée appelle le commissariat du Ie arrondissement pour signaler qu'un vol est en cours au musée du Louvre et demande l'intervention immédiate des forces de police.

À 9 heures 36, le bouton de télésécurité police, appelé dispositif Ramsès, est activé depuis le PC central par un chef d'équipe. Il est relié à la préfecture de police. Là encore, le protocole de sécurité est suivi à la lettre.

À 9 heures 37, un message demandant la fermeture des portes publiques et des portes réservées au personnel est diffusé.

À 9 heures 38, moins de quatre minutes après le déclenchement de la première alarme, les voleurs quittent la scène du crime par la même fenêtre de la galerie d'Apollon. Ils emportent avec eux neuf pièces issues des collections du département des objets d'art du musée. Aux abords du musée, les équipes de surveillance mettent en fuite les criminels, les empêchant de mettre le feu à leur véhicule. Dans la précipitation, les malfaiteurs laissent derrière eux la couronne de l'impératrice Eugénie, qui a été retrouvée endommagée. Elle a été analysée par le département des objets d'art ; j'y reviendrai si vous le souhaitez.

Voici donc les faits bruts, détaillés le plus précisément possible. Il nous faut maintenant en tirer les conclusions avec justesse et objectivité. Je remercie le Président de la République, qui a demandé ce matin, en conseil des ministres, une accélération des mesures de sécurisation du musée du Louvre. Je remercie la ministre de la culture et le ministre de l'intérieur pour leur soutien.

Je vais à présent vous présenter les premières mesures qui pourront être prises, dès aujourd'hui et sur le temps plus long, pour prémunir le musée du Louvre contre de futures agressions. Mises en oeuvre en coopération étroite avec le ministère de la culture, la préfecture de police et la Ville de Paris, elles sont de deux ordres.

Les premières pourraient être mises en oeuvre à court terme. Elles incluent la sécurisation des abords immédiats du Louvre, en particulier de la chaussée. Je pense, par exemple, à des dispositifs de mise à distance empêchant les véhicules de se garer aux abords immédiats de nos bâtiments. Je souhaite aussi solliciter le ministère de l'Intérieur pour étudier si l'installation d'un commissariat de police au sein du musée serait envisageable. Cette demande se justifie par la nature de l'institution du Louvre : notre musée reçoit 30 000 visiteurs par jour et 2 300 personnes y travaillent au quotidien ; il est une ville dans la ville, qui accueille déjà un détachement de la 43e compagnie de la brigade de sapeurs-pompiers de Paris.

Les autres mesures se déploieront sur le temps long, dans le cadre du projet global Louvre - Nouvelle Renaissance. Elles concernent la mise en oeuvre du schéma directeur des équipements de sûreté, que je vous ai présenté un peu plus tôt. Ce plan doublera le nombre de caméras sur les 37 hectares du domaine du Louvre. Il modernisera entièrement les accès par badge au musée. Il permettra le déploiement d'un nouveau système d'hypervision dans les postes de contrôle du musée, permettant un contrôle exhaustif et global de l'ensemble des informations du système de sûreté. Il renforcera la protection périmétrique de l'établissement, en particulier le système de vidéoprotection et de détection des intrusions, qui sera modernisé et étendu.

Ces mesures sont essentielles et attendues. Je tiens cependant à rassurer nos concitoyens ainsi que nos partenaires nationaux et internationaux : nous avons rouvert ce matin dans des conditions garantissant la sécurité des oeuvres et des personnes.

Notre musée a subi dimanche un choc immense qui nous ébranle tous. Je prends la pleine mesure de cet événement. J'ai la conviction que nous saurons collectivement dépasser ce traumatisme et mettre en oeuvre au plus vite les mesures techniques et organisationnelles qui s'imposent. Soyez assurés que tous les agents du Louvre poursuivront avec détermination et fierté la mission première de notre musée, celle pour laquelle il a été fondé en 1793 : conserver les collections nationales, les partager avec les visiteurs et les transmettre aux générations futures.

Voilà, mesdames et messieurs les sénateurs, quelques-uns des éléments que je souhaitais rappeler. Je vous remercie de votre attention et me tiens à présent à votre disposition.

M. Laurent Lafon, président. - Confirmez-vous donc que toutes les alarmes ont fonctionné ?

Mme Laurence des Cars. - Absolument.

M. Laurent Lafon, président. - Les caméras ont-elles également fonctionné ?

Mme Laurence des Cars. - Elles ont fonctionné.

M. Laurent Lafon, président. - C'est le cas à l'intérieur, mais y en avait-il à l'extérieur ?

Mme Laurence des Cars. - C'est là notre faiblesse. Au fond, nous n'avons pas repéré suffisamment à l'avance l'arrivée des voleurs. Les faiblesses de notre protection périmétrique sont connues et identifiées.

Après le vol de 1998, qui concernait un tableau de Corot dérobé dans l'aile Sully, des caméras mobiles PTZ (Pan, Tilt, Zoom) ont été installées en 2001. Elles ont ensuite été complétées par l'installation de caméras fixes et j'ai demandé le diagnostic des équipements de sûreté en 2021, au plus vite après mon arrivée.

Le renforcement de la protection périmétrique est prévu dans le cadre du schéma directeur des équipements de sûreté. Ce schéma directeur inclut une protection périmétrique complète en vidéoprotection qui couvrira l'ensemble des façades, la pose de caméras thermiques fixes et de levée de doute, ainsi que la mise en place d'un système d'hypervision analysant la totalité des caméras exploitées sur le domaine.

M. Laurent Lafon, président. - À ce jour, il n'y a donc pas de caméra périmétrique.

Mme Laurence des Cars. - Il y en a quelques-unes, mais elles sont vieillissantes. Pour entrer dans le détail des installations, je préfère laisser la parole à Dominique Buffin. Le parc est très insuffisant et ne couvre pas l'ensemble des façades du Louvre. Malheureusement, du côté de la galerie d'Apollon, la seule caméra est posée en direction de l'ouest et ne couvrait donc pas le balcon concerné par l'effraction.

Mme Dominique Buffin, directrice de l'accueil du public et de la surveillance du musée du Louvre. - J'ajouterai un complément extrêmement important. Mme la présidente a mentionné le sujet de l'hyperviseur. Ces caméras, celles que nous avons demandé à faire installer dans le cadre du schéma directeur des équipements techniques, devront être reliées à de la détection et à de l'analyse d'images, de manière à permettre une analyse rapide par l'hyperviseur pour une exploitation plus aisée depuis les postes de contrôle.

M. Laurent Lafon, président. - Actuellement, seul un homme ou une femme observe les caméras ?

Mme Dominique Buffin. - Absolument.

M. Laurent Lafon, président. - Je donne maintenant la parole à la rapporteure de notre commission sur les sujets patrimoniaux, donc muséaux, Mme Sabine Drexler.

Mme Sabine Drexler. - Je suis frappée de constater que ce cambriolage est survenu alors que l'alarme avait été sonnée à de nombreuses reprises, au cours des dernières années, sur la dégradation de la situation matérielle du Louvre et sur son incapacité à faire face à de nombreux défis techniques.

Il y a quelques mois, dans cette même salle, M. Kim Pham, administrateur général du Louvre, nous alertait sur ce sujet. Vous avez vous-même, madame la présidente, écrit au Président de la République en janvier de cette année pour l'informer des avaries récurrentes auxquelles fait face le musée du Louvre, et dont on peut penser qu'elles s'étendent aux aspects de sécurité.

En ce qui concerne la sûreté de l'établissement, la presse se fait l'écho du pré-rapport très sévère de la Cour des comptes, qui mentionne notamment les importants retards que subirait le déploiement du schéma directeur de modernisation des équipements de sûreté - la Cour mentionne plus exactement un « report persistant ». Ces éléments doivent bien entendu être regardés avec prudence, dans la mesure où il ne s'agit pas d'un rapport définitif. M. Kim Pham avait indiqué l'an dernier devant le Parlement que le déploiement de certains éléments de ce schéma était reporté à 2026. Le retard vient-il du délai d'adoption du schéma directeur ou de sa mise en oeuvre ?

Pouvez-vous nous indiquer combien de temps le Louvre a mis pour adopter son actuel schéma directeur de sûreté, qui semble couvrir la période 2020-2029 ? Y en avait-il un avant ? L'avez-vous mis en oeuvre dès votre nomination en 2021 ? Regrettez-vous certains de vos arbitrages budgétaires en faveur d'autres projets ? D'où les retards évoqués par la Cour des comptes viennent-ils, dès lors qu'ils ne semblent pas principalement dus à des raisons budgétaires ? Quel est le calendrier de mise en oeuvre de ce schéma ? Quand les investissements ont-ils effectivement commencé, que reste-t-il à faire et de quels moyens ce schéma sera-t-il doté ?

Mme Laurence des Cars. - Je tiens à dire qu'il n'y a pas de retard dans la mise en oeuvre du schéma directeur de sûreté du Louvre. Je m'inscris en faux contre les éléments contenus dans le pré-rapport de la Cour des comptes.

Quand j'ai pris mes fonctions en septembre 2021, une réflexion était déjà en cours sur le schéma directeur de sécurité, et j'ai souhaité prendre à bras-le-corps cette question très complexe et d'une très grande ampleur. Elle nécessite des travaux d'analyse et de préparation avec des experts afin d'établir les conditions de la passation des marchés publics et de la réalisation des travaux nécessaires. Il s'agit notamment d'une question d'infrastructure et de réseau.

Notre infrastructure vieillissante ne permet pas la greffe d'équipements modernes et de toute dernière génération, en matière notamment de vidéo et de détection - elle ne les supporterait tout simplement pas. L'implantation au sein du musée des postes de sécurité, par ailleurs vieillissants, pose également d'importantes difficultés. Lorsque je suis arrivée en septembre 2021, le directeur de l'accueil et de la surveillance, le prédécesseur de Dominique Buffin, Denis Fousse, m'avait alertée sur le retard du Louvre en matière de sûreté et sur l'obsolescence des équipements. Il m'avait indiqué que je serais frappée par le contraste avec les équipements beaucoup plus modernes du musée d'Orsay, que je présidais précédemment, et dont nous avions intégralement renouvelé le poste central de surveillance. La déception et la surprise ont bien été au rendez-vous.

Vous me permettrez de ne pas entrer dans les détails de cette infrastructure de sécurité dans une instance publique, mais je tiens bien sûr à la disposition de cette commission toutes les informations sur ce sujet, sans affaiblir le musée du Louvre.

Je vais laisser la parole à Francis Steinbock pour qu'il vous précise exactement le calendrier de mise en place d'études et de mise en oeuvre de ce schéma directeur, ainsi que les budgets très importants qui y sont affectés, puisque l'ensemble est évalué à plus de 80 millions d'euros. Cette transformation massive nécessitait une phase de préparation.

Nous avons reçu les offres pour les premières phases de cet immense chantier et nous sommes en train de sélectionner les entreprises qui réaliseront ces travaux. Nous accélérons autant que nous le pouvons, dans le cadre extrêmement contraint et lent des marchés publics, pour que, si possible avant la fin de cette année et au regard de l'actualité tragique du Louvre, nous puissions notifier ces marchés et entrer en phase active de travaux au début de l'année 2026.

M. Francis Steinbock, administrateur général adjoint du musée du Louvre. - Ce schéma directeur est une nécessité. Lorsque nous sommes arrivés au musée du Louvre, un sentiment d'effarement nous a saisis en visitant les cinq PC de zone et le PC central.

Nous avons compris très rapidement que la question n'était pas seulement celle des installations d'un poste de commandement, mais s'étendait à une infrastructure globale en termes d'équipements, d'outils numériques et de caméras. Tous les sujets sont concernés, y compris les aspects électriques : pour rénover le dispositif de sûreté, il faut créer un nouveau câblage, d'une longueur estimée à plus de 60 kilomètres - et qui est à l'échelle du Louvre.

Des études ont été lancées dès 2021 pour aboutir à un schéma directeur des équipements de sûreté englobant la totalité de la question. Nous avons mené des études entre 2022 et 2024, après avoir sélectionné une maîtrise d'oeuvre technique spécialisée. Ces sujets extrêmement sensibles nécessitent d'avoir un maître d'oeuvre technique. Nous pouvons l'accompagner en interne, bien évidemment, mais le musée ne dispose pas de la technicité requise pour suivre et mener cette opération. Ce maître d'oeuvre technique a été sélectionné et tout le programme a été défini sur la période 2022-2024.

Nous avons ensuite lancé les marchés auprès des entreprises et avons, depuis le début du mois d'octobre, reçu les offres. Signe de la complexité du dossier, nous avons reçu de très nombreuses demandes de précisions de la part de ces entreprises. Nous devrons notifier ce marché à la fin de l'année 2025 ou, au plus tard, dans les premiers jours de l'année 2026. Nous avons accéléré la procédure d'analyse des offres et nous nous sommes entretenus au cours des derniers jours avec le maître d'oeuvre.

Le Louvre est immense ; on ne peut le traiter en une seule fois. Il faut donc commencer par les fondements, puis s'étendre à toutes les zones. La première tranche, qui est la tranche ferme du marché, concerne la rénovation des cinq PC de zone, répartis dans tout le musée, et la refonte complète du PC de commandement central, lequel est sous-dimensionné et mal organisé, compte tenu du fait qu'il fonctionne vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept. Nous allons intégralement revoir cet équipement et le déplacer au sein du musée, car son emplacement actuel est inadapté.

Nous allons décliner les tranches suivantes par zone géographique du palais, c'est-à-dire par aile. Nous devions d'abord travailler sur l'aile Richelieu, ou quadrilatère Richelieu, située au nord, avant d'aborder l'aile Sully puis l'aile Denon. Toutefois, au regard du projet Louvre - Nouvelle Renaissance, nous sommes en train de redéfinir nos priorités, avec un premier chantier sur l'aile Sully.

Au regard de l'incident grave de dimanche dernier, nous allons à nouveau travailler sur la protection périmétrique, sur laquelle nous avons déjà saisi notre maîtrise d'oeuvre technique et qui pose une difficulté majeure. Le maître d'oeuvre travaille déjà à la redéfinition des priorités. Ensuite, nous procéderons par aile du palais : l'aile Richelieu, en lien avec le projet Louvre - Nouvelle Renaissance, l'aile Sully, l'aile Denon et les autres.

Sur la première tranche, celle des postes de commandement, le coût est estimé, toutes taxes comprises et toutes dépenses confondues, à plus de 6 millions d'euros. Ensuite, l'aile la plus coûteuse, parce que plus grande, est l'aile Richelieu, avec une dépense estimée à plus de 12 millions d'euros. Pour les autres ailes, les montants sont compris entre 6 millions d'euros et 9 millions d'euros.

Parce que les travaux correspondants requièrent la pose de très nombreuses baies techniques, le calendrier de leur réalisation doit être étalé. Il ne serait pas suffisant de travailler uniquement le mardi, jour de fermeture du musée. Nous sommes donc contraints de procéder à des fermetures par secteur, en traitant différents sujets en même temps : le schéma directeur des équipements de sûreté, mais aussi d'autres aspects techniques. L'objectif est de ne pas avoir à refermer une zone du musée déjà traitée. La direction de l'architecture, de la maintenance et des jardins travaille à redéfinir ce plan avec notre maîtrise d'oeuvre technique.

M. Laurent Lafon, président. - Vous nous indiquez que la réflexion sur le schéma directeur a été lancée en 2021. Nous avions compris qu'il avait été arrêté en 2019.

M. Francis Steinbock. - Cette réflexion a été lancée dès 2019. D'autres opérations mentionnées par la présidente étaient liées à l'actualité, notamment le mouvement des « gilets jaunes ». Ainsi, au cours d'un très grave incident, dans les Tuileries, des grilles avaient été renversées, moment extrêmement douloureux.

La priorité avait alors été la sécurisation du domaine, choix tout à fait légitime. La première étape a consisté à créer de nouvelles grilles au niveau du tunnel Lemonnier, qui se trouve à la jonction du jardin des Tuileries et du jardin du Carrousel. Cet emplacement est totalement ouvert au public 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, avec une circulation piétonne et automobile en continu. La première étape était donc de pouvoir fermer tout le domaine en cas de nécessité.

Il fallait ensuite travailler à la réfection de toutes les grilles du palais, qui sont toutes classées monument historique. Notre architecte en chef des monuments historiques a donc eu pour mission, marché à l'appui, de restaurer leur intégrité. Si vous passez devant le palais, vous verrez que, en ce moment même, les travaux sont en cours et que de nouvelles grilles ont été posées. Par ailleurs, des grilles d'attente remplacent celles qui ont été retirées pour être traitées. L'ensemble de ce projet sera achevé au printemps 2026.

Cette priorité alors donnée à la sécurisation du domaine doit être articulée avec un schéma directeur plus orienté vers les équipements de sûreté, tels que la surveillance vidéo et les contacteurs.

M. Laurent Lafon, président. - Vous avez mentionné un coût du schéma directeur de 80 millions d'euros. Le ministère parle aussi de 80 millions d'euros de dépenses de sécurité dans le cadre du projet Louvre - Nouvelle Renaissance. Faut-il additionner ces montants ?

M. Francis Steinbock. - Le schéma directeur des équipements de sécurité est intégré dans le cadre du projet Louvre - Nouvelle-Renaissance. Il fait partie des travaux prioritaires, avec un autre schéma directeur, celui des équipements électriques.

Mme Florence des Cars. - Pour vous répondre, madame Drexler, je n'ai pas arbitré en faveur d'une priorité plutôt que d'une autre. J'ai fait de la sécurité une urgence absolue. D'ailleurs, comme Francis Steinbock vient de vous l'indiquer, les deux premiers schémas techniques de rénovation liés au projet Louvre - Nouvelle-Renaissance sont le schéma électrique et le schéma de sûreté, les deux étant, comme vous l'avez bien compris, intimement liés. Je n'insisterai pas non plus sur la structuration de nos réseaux électriques, mais, là encore, une rénovation de très grande ampleur s'impose.

Il s'agit de mener plusieurs chantiers en même temps, aussi rapidement que possible et surtout, de profiter de chaque chantier ponctuel d'aménagement muséographique ou de rénovation pour renforcer immédiatement les équipements de sûreté.

Sur la période 2022-2025, 134 caméras numériques ont été installées en complément ou en remplacement de caméras analogiques au sein des espaces muséographiques, c'est-à-dire dans les salles, au contact des oeuvres. Sur la période 2026-2027, 69 caméras numériques seront installées en accompagnement de la première phase du déploiement du schéma directeur des équipements de sûreté.

Nous sommes bien sûr loin du compte, mais nous avons mis en place ce qu'il était possible de faire dans le cadre des équipements dont nous disposions et dans le respect du code des marchés publics. J'insiste, le Louvre est un établissement public administratif et nous devons respecter ces procédures qui sont, vous le savez, assez contraignantes.

Francis Steinbock a également mentionné la sécurisation du domaine, qui a commencé en 2019 et que nous avons reprise dans une dynamique beaucoup plus large et complète.

M. Max Brisson. - Même si elle a été refusée, il est tout à votre honneur, madame la présidente, d'avoir remis votre démission aux plus hautes autorités de l'État. Notre pays donne trop souvent l'image selon laquelle ceux qui le servent au plus haut niveau ne sont jamais responsables pour que nous ne puissions pas apprécier votre geste.

Vous avez remercié deux fois le Président de la République dans votre intervention, mais avez mis beaucoup de temps à répondre aux questions très précises du président Lafon. Il a même fallu qu'il les répète pour que nous ayons un début de réponse. Vous avez finalement parlé de « points faibles », mais nous aurions aimé que vous les évoquiez dès votre intervention préliminaire, car ce sont eux qui nous intéressent. Parler de la suite est certainement utile, mais il faut revenir sur ce qui s'est passé.

Nous découvrons, cinquante ans après le casse quasiment identique de 1975, qui avait conduit à la perte de l'épée de Charles X, que les évolutions technologiques ne peuvent pas nous épargner ce drame pour la mémoire nationale. Parmi les faits rapportés par la presse, avec certainement beaucoup d'erreurs que vous rectifierez, l'on retrouve un monte-charge garé sur un trottoir en sens inverse de la circulation, qui a donc fait un demi-tour à 9 heures du matin à Paris, à moins de dix minutes de la préfecture de police ; une galerie d'Apollon qui aurait connu des incidents à répétition voilà un peu plus d'un mois, sans que l'on sache où en est l'avancée des réparations ; l'installation de nouvelles vitrines sécurisées qui n'offriraient pas le même niveau de protection ; une aile Denon sans aucune caméra dans un tiers de ses salles ; une aile Sully qui n'est couverte qu'à 60 % ; une aile Richelieu, enfin, qui est vide d'équipement de vidéosurveillance dans les trois quarts de ses salles.

Ce qui nous paraît important, madame la présidente, c'est d'établir la chaîne des responsabilités. Notre pays serait-il devenu le champion de la défausse ? « Ce n'est pas moi, ce n'est pas ma faute, ce n'est la faute de personne. » Puisque vous n'avez ni confirmé ni maintenu votre démission, pas davantage que vous n'avez démissionné lorsque vous n'avez pas eu de réponse à vos propos alarmistes, que je mets à votre crédit, nous sommes en droit de vous demander où nous en sommes, trois jours après les faits, dans l'identification de la chaîne des responsabilités. À quel moment sera-t-elle arrêtée ? Comment seront identifiés les responsables des manquements ? Qui devra rendre des comptes et comment ?

M. Yan Chantrel. - Merci, madame des Cars, d'avoir accepté le principe de cette audition. Nous déplorons cependant une grande absence : celle de votre tutelle, représentée par Rachida Dati, ministre de la culture, qui est tenue de rendre des comptes devant la représentation nationale. J'espère que nous aurons rapidement l'occasion de nous prêter avec elle au même exercice.

Nous sommes nombreux à être stupéfaits par les interventions de Mme Dati au cours de ces derniers jours. En dépit du bon sens, elle a indiqué hier à l'Assemblée nationale, puis répété aujourd'hui devant le Sénat, que « les dispositifs de sécurité du Louvre n'ont pas été défaillants ». Devant une telle affirmation, au vu de ce qu'il s'est passé, le monde entier nous rit au nez !

Ce matin, le journaliste Emmanuel Leclère, de France Inter, révélait que le système Ramsès, qui alerte la police d'une intrusion ou d'un braquage en cours au Louvre, n'aurait été activé qu'après le déclenchement de la deuxième alarme, lorsque la protection en verre blindé de la couronne d'Eugénie a été découpée à la disqueuse. Or, si cette alerte avait été activée dès le franchissement de la fenêtre, à 9 h 34, les cambrioleurs auraient pu être interpellés à temps. Confirmez-vous ces informations ?

Nous sommes aussi consternés d'entendre la ministre asséner, dans tous les médias, que le budget de la culture est en hausse. Mme Dati est l'une des rares ministres à avoir eu la main sur trois budgets consécutifs. Or, en 2024, en 2025 comme dans le projet de loi de finances (PLF) pour 2026, la dotation pour charge de service public du Louvre est en baisse. Pour 2026, le budget total des dotations du musée sur l'ensemble du programme diminue de 5,2 millions d'euros. Quels sont les effets de ces coupes budgétaires ? Avez-vous eu besoin de réorienter ces crédits consacrés à la surveillance et à la sécurité pour pallier des baisses dans d'autres domaines ?

Selon les chiffres de la direction des ressources humaines du musée contenus dans les rapports sociaux des dernières années, la filière « accueil et surveillance » a perdu 72 équivalents temps plein travaillé (ETPT) depuis 2019, soit 88 % des emplois statutaires détruits au sein de l'établissement sur cette période. Au total, titulaires et contractuels confondus, la direction de l'accueil du public et de la surveillance a été amputée de 55 ETPT entre 2019 et 2023, sans que son périmètre ait été modifié. Outre le retard dans le déploiement d'équipements destinés à assurer la protection des oeuvres, que déplore le rapport de la Cour des comptes, le problème ne vient-il pas aussi du fait que les équipes de surveillance sont en sous-effectif et ont été précarisées par une contractualisation croissante ?

Mme Laure Darcos. - Je vous remercie d'avoir choisi le Sénat pour votre première expression publique depuis ce drame. À voir le nombre de journalistes présents, l'on se dit qu'il serait bon qu'ils s'intéressent à la culture plus souvent... Il est regrettable qu'il ait fallu cet événement pour que le problème de la sécurisation des monuments soit mis en lumière.

Je me félicite de la nomination du député Jérémie Patrier-Leitus sur ce sujet.

Vous subissez depuis plusieurs jours des attaques personnelles, dans le cadre d'une campagne de presse savamment orchestrée par certaines personnes et relayée par plusieurs médias. Les Français ont besoin de réponses précises de votre part.

Avez-vous vraiment présenté votre démission à la ministre de la culture, comme Le Figaro en a fait état hier ?

Depuis votre arrivée, certains vous accusent de vous être davantage préoccupée de travaux d'aménagement que de la sécurité des oeuvres et des personnes. Le Canard enchaîné annonce 500 000 euros pour la rénovation d'une « salle à manger » pour votre direction et près de 900 000 euros pour la rénovation des locaux de la direction générale. Qu'avez-vous à nous dire à ce sujet ?

Par ailleurs, dès dimanche, en fin d'après-midi, plusieurs éléments sensibles relevant d'observations provisoires d'un pré-rapport de la Cour des comptes ont fuité. Qu'avez-vous à nous dire sur ces fuites ?

Plus largement, que pensez-vous de cette salve d'accusations dont vous faites l'objet depuis dimanche ?

Le courage de vos agents a permis que ce cambriolage ne fasse aucune victime. C'est déjà beaucoup.

Mme Laurence des Cars. - Dimanche dernier, après avoir constaté, aux côtés de la ministre de la culture et du ministre de l'Intérieur les conséquences de la terrible attaque que nous venions de subir, j'ai présenté à la ministre de la culture, en responsabilité, ma démission, qu'elle a refusée. Au cours de ma carrière, déjà longue, je n'ai jamais considéré que nous étions propriétaires de nos postes. C'est une règle de vie professionnelle que j'espère m'appliquer avec rigueur.

Je ne peux que constater avec vous les attaques personnelles qui circulent dans la presse, les manipulations, ainsi que les instrumentalisations politiques de cette catastrophe. Je n'ai pas de commentaire particulier à faire, je les subis profondément et douloureusement.

J'en viens à la sécurité de la galerie Apollon et aux éventuelles défaillances. Je le redis, le système de sécurité tel qu'il est en place aujourd'hui dans la galerie d'Apollon a parfaitement fonctionné. Mais la question se pose de l'adaptation de ce système à un nouveau type d'attaque, à de nouveaux modes opératoires qui n'avaient pas été envisagés et face auxquels il faut que nous réagissions.

La galerie d'Apollon a fait l'objet d'une importante rénovation au titre des monuments historiques et d'un nouvel aménagement de vitrines, décidés par mon prédécesseur et la précédente direction du département des objets d'art. Nous parlons de trois vitrines hautement sécurisées, dont je tiens toutes les caractéristiques techniques à votre disposition. Ce nouvel aménagement date de 2019, il n'est donc pas particulièrement ancien. Or, les types d'attaque envisagés à ce moment-là - et nous serons ravis de partager les documents correspondants avec vous avec vous - sont des attaques à main armée et des atteintes des vitrines par balle, car c'est le mode opératoire prédominant à l'époque pour le vol d'objets précieux ou les attaques menées contre les bijouteries. C'est donc contre cela que le Louvre se protège à cette date.

Depuis, d'autres types d'attaque ont émergé. Il y a deux ans, la préoccupation principale du Louvre était d'anticiper des actions d'activistes, généralement liées à la question climatique, qui jetaient de la peinture ou de la soupe sur des tableaux. C'était alors plutôt les peintures qui étaient visées. Toute l'équipe d'accueil et de surveillance du Louvre s'est adaptée et préparée à ce type d'attaque.

Je constate - et l'actualité récente, très dense en la matière, le confirme - un intérêt pour les objets précieux et l'existence d'attaques dont le mode opératoire rejoint celui du grand banditisme et des casses qui ont lieu dans le monde de la bijouterie. Nous sommes donc en présence d'une évolution des modes opératoires, qu'il nous faut prendre en compte et à laquelle il faut nous adapter.

Monsieur le sénateur, vous me reprochez de ne pas avoir été claire. J'assume totalement le fait que nous avons effectivement une faiblesse dans la protection périmétrique du Louvre. Je vous l'ai dit très clairement. C'est là que le bât blesse, et depuis longtemps.

Je reprends le constat général posé depuis mon arrivée en septembre 2021 : celui d'un sous-investissement chronique en matière d'équipements et d'infrastructures. Nous avons peut-être vécu dans l'illusion de l'élan donné par le Grand Louvre, ce grand élan de modernisation décidé par le président François Mitterrand, qui a pour symbole la pyramide ouverte en 1989 et qui s'est poursuivi au fil des années 1990. Ce grand chantier de modernisation a désormais quarante ans. Les installations ont surperformé et sont à bout de souffle. Surtout, ce grand chantier n'a touché que la moitié du Louvre. Vous avez fait allusion au manque de couverture vidéo dans le périmètre dit « Sully ». C'est tout à fait juste. Ce périmètre n'a pas été touché par les travaux de rénovation du Grand Louvre.

Ce constat de l'absolue obsolescence, voire de l'absence d'infrastructures techniques est terrible pour le plus grand musée du monde. C'est à partir de ce constat, et au regard de son immense succès public - sa fréquentation a atteint, je vous le rappelle, plus de 10 millions de visiteurs juste avant le Covid-19 - que j'ai commencé à réfléchir, avec l'ensemble des équipes, à un projet permettant non seulement de réparer le Louvre, de l'adapter, de le doter d'une infrastructure technique digne du musée qu'il est et des collections qu'il renferme, mais aussi de résoudre les problèmes structurels liés à sa fréquentation et à la mauvaise présentation de la Joconde.

Ce projet s'appelle « Louvre - Nouvelle Renaissance ». Il a été annoncé par le Président de la République en janvier de cette année. Je le remercie de nouveau, devant cette instance, de sa confiance et de l'élan qu'il a redonné au Louvre. Je remercie également de nouveau la ministre de la Culture d'avoir soutenu avec conviction ce projet, qui est absolument nécessaire pour redonner au Louvre les moyens de fonctionner comme un grand musée du XXIe siècle, ce qu'il a cessé d'être depuis des années - je ne peux que le constater avec vous.

J'ai sûrement des tas de défauts, j'en conviens devant vous. Je peux parfois me tromper dans mes arbitrages. Je vais revenir de façon très détaillée sur les arbitrages que vous évoquiez et les travaux qui ont été réalisés.

Mais j'ai souhaité prendre à bras-le-corps cette question. Je l'ai défendue devant la représentation nationale à plusieurs reprises, dans les médias, devant notre tutelle. Il a fallu convaincre, il a fallu beaucoup de temps. Et ce n'est qu'au moment où la ministre de la culture a pris ses fonctions que ce sujet est revenu dans les grands arbitrages du ministère et que, par l'annonce du Président de la République, la question du Louvre a été replacée au centre des préoccupations.

En tant que présidente-directrice, je suis évidemment immensément meurtrie de me rendre compte que, d'un certain point de vue, les alertes que je lançais se sont atrocement concrétisées dimanche dernier. C'est une blessure, une blessure profonde, et qui n'a pas fini de faire mal au Louvre. Mais nous la surmonterons par le travail, par les schémas directeurs, et par ce projet qui redonnera au Louvre sa capacité à accueillir un public nombreux, à présenter des oeuvres de façon satisfaisante et dans des conditions complètement sécurisées.

J'en viens aux travaux auxquels vous avez fait allusion, qui ont été repris par la presse, souvent de façon très polémique, et qui apparaissent assortis de chiffrages totalement imprécis dans le pré-rapport de la Cour des comptes.

La salle de réunion Hector Lefuel formait auparavant un espace de restauration commercial, un café, fermé en 2007. L'espace était donc vacant depuis plus de quinze ans, alors même que les équipes se plaignaient du manque d'espaces de réunion, criant dans tout le musée. C'est la raison pour laquelle il a été décidé de convertir cet espace en salle de réunion. Un équipement de visioconférence y a été installé ; l'espace est également modulable en salle de réception permettant, par exemple, l'accueil des mécènes qui soutiennent généreusement le Louvre. Cette salle de réunion n'est pas réservée à l'usage exclusif de la présidence du Louvre ; elle n'est en aucun cas ma salle à manger personnelle. J'insiste sur ce point.

Cette salle de réunion a été livrée à l'automne 2024, après des travaux de rénovation. Je serais ravie de vous y accueillir : vous verrez qu'elle n'a rien de somptuaire ou de confidentiel. Les journalistes, y compris ceux du Canard enchaîné qui ont révélé cette information, y ont eu accès et ont été passablement déçus. Le montant des travaux liés à la transformation de cet espace de restauration commerciale en salle de réunion modulable est de 497 000 euros toutes taxes comprises, pour une surface de 100 mètres carrés classée aux monuments historiques, et soumise donc à des exigences de respect du décor.

J'insiste sur le caractère provisoire du rapport de la Cour des comptes. Cela signifie que les réponses contradictoires du Louvre n'ont pas été prises en compte.

Le Canard enchaîné annonce 882 000 euros de dépenses pour « les locaux de la direction générale ». Dans cet espace, nous avons procédé à la remise en état de huit bureaux, à la rénovation standard du couloir qui en assure la desserte, ainsi qu'à celle des sanitaires correspondants. J'insiste sur ce dernier point - très trivial, j'en conviens : ces sanitaires étaient dans un état déplorable. Ils ne sont pas réservés à la direction générale, mais utilisés par toutes les équipes de passage dans cet espace ou qui ont des réunions à proximité, ainsi que par nos hôtes. Les derniers travaux remontaient aux années 1990. Les auditeurs de la Cour des comptes étaient installés, pendant leur contrôle, dans un des bureaux de cet espace. Je pense qu'ils ont pu constater leur caractère particulièrement banal. Pour ces locaux, le montant des travaux s'élève à 218 098 euros toutes taxes comprises.

Pour faire gonfler la note, Le Canard enchaîné ajoute ces travaux à la rénovation de la salle Hector Lefuel, laissant croire que tout cela est à l'usage unique de la présidence. Je vous laisse juges. Nous vous accueillerons bien volontiers dans ces espaces, qui tous - bureaux de la direction générale et de la présidence - sont ouverts pour les Journées européennes du patrimoine. Mon bureau est parfaitement visitable tous les ans.

Concernant les cinq bureaux de la direction générale mentionnés par la Cour des comptes - dont celui de l'administrateur général adjoint, celui du directeur de cabinet et celui du secrétariat -, les travaux ont été réalisés sous la maîtrise d'oeuvre de l'architecte en chef des Bâtiments de France. Leur montant s'est élevé à 53 000 euros toutes taxes comprises, et ils concernaient une nouvelle fois un immeuble classé monument historique.

Puisque nous sommes sur le terrain des questions personnelles et des polémiques possibles, j'ai par ailleurs, en responsabilité, décidé de ne pas occuper l'appartement de fonction de la présidence mis à la disposition des présidents-directeurs du musée du Louvre. Ces espaces, qui font un peu plus de 100 mètres carrés, ont été réaffectés et servent actuellement à des résidences d'artistes. Nous y accueillons en ce moment les grands artistes Elizabeth Peyton et Kader Attia.

J'avais déjà appliqué - je tiens à le dire devant cette instance - cette doctrine au musée d'Orsay que j'ai eu l'honneur de présider, et j'avais transformé à l'époque l'appartement de la présidence du musée d'Orsay en bureaux. Ce sont toujours des bureaux aujourd'hui.

Mes frais de mission et de représentation sont présentés tous les ans en conseil d'administration et n'ont jamais suscité la moindre remarque. Quant à mon salaire - je vais jusqu'au bout, car je préfère que l'on solde ces questions -, il est public, publié au Journal officiel. Il est le fruit d'une décision conjointe entre le ministère de la culture et le ministère de l'économie et des finances.

Je me permettais de revenir sur ces questions, car il y a beaucoup de dérives dans la presse ces jours-ci, et des attaques personnelles qui me meurtrissent. Je suis une fonctionnaire au service de la République, qui porte avec beaucoup de fierté les valeurs qui nous rassemblent dans cette instance. Je crois servir mon pays et la culture du mieux que je peux. Il y a des échecs. Nous vivons un échec terrible au Louvre, dont je prends ma part de responsabilité. Je le redis : j'ai présenté ma démission, elle a été refusée.

Mais que l'on ne me fasse pas de procès personnel pour des dépenses inconsidérées. La sécurisation du Louvre et de ses collections est au coeur de mes priorités. J'en ai fait les deux schémas directeurs prioritaires de mon action. J'ai été effarée de la situation de la sûreté et de la sécurité du Louvre à mon arrivée.

M. Laurent Lafon, président. - Rassurez-vous, nous n'avons pas l'habitude dans cette maison de faire des attaques personnelles, mais nous avons besoin de comprendre les processus de décision.

Nous avons bien compris que les vitres avaient été conçues pour résister plutôt à des attaques par balles qu'à des attaques à la disqueuse. Néanmoins, ce n'est pas la première fois que le Louvre subit une intrusion par une fenêtre. En 1976, le vol de l'épée de Charles X s'est fait de cette façon. Il me semble d'ailleurs que l'épée se trouvait dans la galerie d'Apollon.

Comment se fait-il qu'aucun directeur du Louvre ne se soit demandé pourquoi l'établissement ne disposait pas de vidéosurveillance à l'extérieur, sachant que ce vol avait déjà eu lieu ? Ce n'est pas une question de coût. Un musée de cette taille peut tout à fait l'assumer. Pouvez-vous nous éclairer sur le processus qui a conduit à cette erreur ?

Mme Laurence des Cars. - Je ne peux parler que de ce qui a été décidé depuis septembre 2021. J'ai fait de la sécurité, de l'infrastructure technique de sécurité et donc du schéma électrique - les caméras devant être liées à un réseau et non fictives - une absolue priorité.

M. Laurent Lafon, président. - Ce n'était donc pas le cas de vos prédécesseurs.

Mme Laurence des Cars. - Je constate avec vous que ces décisions n'avaient pas été prises.

Mme Dominique Buffin. - J'en viens à la procédure de déclenchement des alertes vers la police. Notre poste de contrôle central a le monopole de l'appel vers la police.

Les appels vers la police se font de deux manières : via une ligne téléphonique et un numéro dédié vers le commissariat central, et via le bouton Ramsès. Pourquoi procédons-nous par ces deux canaux ? Ramsès a certes l'avantage de la simplicité, mais il a l'inconvénient de ne pas donner d'informations sur la localisation de notre difficulté.

Dimanche matin, le PC central a bien reçu la première alarme concernant la fracturation de la porte-fenêtre. Les agents du PC ont acquitté cette alarme en moins de dix secondes, après avoir constaté l'endroit sur le plan où elle se déclenchait et fait la comparaison avec la vidéo. Puis ils ont commencé à recevoir les appels radio leur signalant l'événement. L'appel à la police, au commissariat du Ier arrondissement, a été effectué à 9 h 35 et 33 secondes. Et, après avoir raccroché, les agents ont activé le bouton Ramsès.

M. Laurent Lafon, président. - Le personnel de Securitas est-il armé ?

Mme Dominique Buffin. - Le personnel de Securitas n'est pas armé, mais il se trouve sur nos points de contrôle visiteurs, donc aux entrées, et sécurise également les espaces extérieurs.

Le personnel de Securitas dispose de radios, sur lesquelles plusieurs informations ont circulé. Ces agents ont donc eu le réflexe, avec des agents d'intervention d'un de nos services de surveillance, de sortir sur le quai François Mitterrand pour rejoindre le véhicule des malfaiteurs, ce qui les a mis en fuite.

M. Laurent Lafon, président. - Il n'y a donc aucun personnel armé au sein du Louvre.

Mme Dominique Buffin. - Nous bénéficions du renfort d'équipes de la force Sentinelle, mais elles ne pénètrent pas dans les espaces muséographiques armées en dehors de notre demande. En l'occurrence, si on le leur avait demandé, les délais auraient été de toute façon beaucoup trop courts. Elles n'auraient pas eu le temps de rejoindre la galerie d'Apollon.

Mme Laurence des Cars. - Je reviens d'ailleurs sur une de mes propositions, partagée avec la ministre de la culture, qui défendra ce dossier avec conviction. Il s'agit de créer un commissariat, une antenne de police au sein même du Louvre. C'est une nécessité, au regard de l'importance de cet établissement et du nombre de visiteurs qu'il reçoit. Nos relations avec la police sont excellences. Les policiers interviennent beaucoup sur notre domaine, notamment en cas de présence de pickpockets ou d'opérations de fraude à la billetterie. Nous devons intensifier cette relation avec la police. La présence d'un commissariat au sein du Louvre serait de nature à renforcer l'efficacité de nos interventions, et entraînerait une dissuasion beaucoup plus forte pour toute personne voulant s'en prendre au Louvre ou à ses collections.

M. Francis Steinbock. - Il a été fait mention d'un retard dans le déclenchement de nos plans de sûreté, qui pourrait résulter d'arbitrages budgétaires réalisés en privilégiant d'autres opérations. En réalité, il n'y a pas eu de retard, mais le déploiement normal d'un projet d'une grande complexité, qui mobilise toute la maison et a nécessité la réorganisation de la direction de l'architecture, de la maintenance et des jardins.

Non seulement nous étions en retard sur les équipements, mais nous n'étions pas suffisamment bien armés en interne pour mener ce projet. La direction a donc été renforcée par des chefs de projet. Mais il n'y a pas eu de retard sur le plan budgétaire. Nous mobilisons les crédits au moment où nous savons que nous serons en mesure de les consommer. Nous faisons des budgets initiaux, et il est important que nous soyons en capacité de consommer les crédits que nous inscrivons, en autorisations d'engagement comme en crédits de paiement.

Mme Laurence des Cars. - L'organisation de la mission de surveillance est particulièrement complexe au Louvre. Elle associe des agents aux situations très variées : fonctionnaires, contractuels, à temps complet ou partiel, avec des quotités variant de 10 % à 70 %. C'est nécessaire pour assurer la continuité du service, notamment le week-end et en nocturne le mercredi et le vendredi. Cela impose de raisonner en ETPT.

À mon arrivée, la direction de l'accueil et de la surveillance regroupait des équipes aux métiers très différents, de la billetterie au suivi des logiciels. Mon projet stratégique, dès 2022, était de la recentrer sur son coeur de métier : la surveillance et la sûreté. Je voyais bien que là était la question cruciale. Sur le strict périmètre de la surveillance et de la sûreté, la réduction des effectifs entre 2014 et 2024 est de 50 ETPT, de 838 à 788 ETPT, soit -6 %. La baisse est réelle, mais n'atteint pas l'ampleur évoquée par certains. En outre, à mon arrivée en 2021, ces effectifs étaient de 747. C'est donc mon action, notamment l'organisation d'un concours exceptionnel de recrutement avec le soutien du ministère de la culture, qui a conduit à cette amélioration sensible de 5,5 %.

La baisse supérieure à 130 ETPT évoquée par certains est calculée sur tous les métiers de la filière de l'accueil et de la surveillance. Or, certains agents remplissent d'autres missions dans d'autres directions. Par ailleurs, les chiffres diffusés actuellement par les syndicats s'arrêtent en 2023 et non en 2024, année de l'arrivée des agents recrutés par le concours exceptionnel. J'ai donc bien fait de la sécurité une priorité.

Mme Catherine Morin-Desailly. - Nous sommes sous le choc. Nous nous sentons meurtris. Merci, madame la présidente, pour la franchise de vos réponses. Membre de la commission de la culture depuis une vingtaine d'années, je sais combien nous avons alerté ministre après ministre sur la vétusté du patrimoine. À chaque budget, nous menons ce combat. Il a fallu attendre l'incendie de Notre-Dame de Paris pour obtenir enfin un plan de sécurisation des cathédrales. Faut-il attendre ce cambriolage spectaculaire pour qu'enfin soit décrété un vaste plan de sécurisation de nos musées ? Les récents cambriolages de musées montrent leur fragilité.

Madame la présidente, vous qui êtes une professionnelle, qui avez présidé aux destinées d'autres musées avant le Louvre, quelles actions immédiates préconisez-vous ?

Quelle chance a-t-on de récupérer certains éléments dérobés ? Je sais bien que toutes les autorités sont mobilisées.

M. Pierre Ouzoulias. - Merci pour la loyauté de votre propos, madame la présidente. Je veux vous remercier de façon très solennelle pour votre attachement au service public. Je défends l'idée que les grandes institutions patrimoniales doivent être confiées à des personnes qui y ont mené toute leur carrière. Je mesure votre meurtrissure.

Vous avez déclaré que les bâtiments avaient superformé ; les équipes aussi. Vous avez fait face à une augmentation presque déraisonnable de la fréquentation, sans hausse des moyens à due proportion.

Votre note du 13 janvier 2025, qui ciblait tous les problèmes, a été envoyée à votre ministre de tutelle, Mme Dati. Je crois comprendre qu'elle l'a aussi été au Président de la République. Qui gère le dossier Louvre - Nouvelle Renaissance ? La Rue de Valois ou l'Élysée ? Quelles ont été les réponses de l'une et de l'autre ? Ces 80 millions d'euros proviennent-ils de crédits supplémentaires ou de vos fonds propres ?

Vous avez pris la décision très courageuse de limiter le nombre de visiteurs quotidiens à 30 000, ce qui contraint les recettes de billetterie. Vous faut-il un budget supplémentaire ? Si c'est le cas, je le défendrai lors de l'examen du projet de loi de finances.

Mme Monique de Marco. - Le monde entier s'étonne du cambriolage dont le Louvre a été victime, mais il fallait s'y attendre. En quinze ans, 200 emplois y ont été supprimés, à tel point que des salles ne sont plus accessibles par manque de personnel. La loi de finances pour 2025 a retiré 100 millions d'euros au patrimoine. Le Louvre aurait perdu 3 millions d'euros. Le PLF pour 2026 prévoit de retirer 200 millions d'euros à la culture. Sans moyens humains ni financiers, nous ne pouvons plus préserver le patrimoine français.

Madame la présidente, lors de votre prise de fonctions, en septembre 2021, vous affirmiez vouloir rendre le Louvre plus serein et accessible au public français, sans chercher la croissance infinie du nombre de visiteurs. Comment justifier alors un plan de plus de 800 millions d'euros transformant le musée en attraction touristique pouvant accueillir plus de 12 millions de visiteurs par an ? Le projet Louvre - Nouvelle Renaissance, avec l'ouverture sur la Samaritaine et le déplacement de la Joconde dans une salle souterraine, sans la moindre étude préalable, présente de nombreux risques techniques alors même que des travaux urgents de sécurisation du site et de rénovation sont en attente. Le projet Louvre - Nouvelle Renaissance s'inscrit-il encore dans une politique culturelle cohérente, ou traduit-il la volonté d'engager le Louvre dans une course à la rentabilité et à la privatisation ? Ce changement d'orientation relève-t-il de votre propre initiative ou s'inscrit-il dans une dynamique politique plus large, impulsée par l'Élysée et par Rachida Dati, ministre de la culture et candidate à la mairie de Paris ? Comme Yan Chantrel, je demande l'audition de Mme Dati, pour faire toute la lumière sur le Louvre, mais aussi les 1 200 musées de France, dont certains, faute de financements, ferment des salles, si ce n'est l'établissement entier.

M. Aymeric Durox. - « Responsable, mais pas coupable. » Cela pourrait rappeler un sketch des Inconnus ; c'est en réalité le triste spectacle auquel nous assistons depuis dimanche tant tous les responsables de cette humiliation nationale se lavent les mains des conséquences que l'honneur leur commanderait pourtant d'assumer.

La liste des manquements graves qui ont conduit à ce fiasco est longue. Comment un monte-charge aussi volumineux a-t-il pu se garer à contre-sens à la vue de tous, pendant deux heures, sur un trottoir donnant directement sur l'aile la plus sensible du palais, sans jamais être inquiété ? Ce scénario de vol, pourtant évident, avait-il été envisagé par la direction ? Si oui, existe-t-il des traces écrites de ce travail qui aurait pu vous encourager à renforcer la sécurité des fenêtres, comme au rez-de-chaussée ? La formation du personnel pose problème. Le Louvre s'appuie sur des agents de surveillance et non de sécurité comme d'autres musées à l'étranger. Prévoyez-vous de former votre personnel à intervenir en cas de vol ? Le blindage des vitrines était-il solide ? Une simple disqueuse à 250 euros a suffi à les détruire en quelques minutes. Des tests de solidité avaient-ils été effectués ? Si oui, en existe-t-il des traces écrites ?

Madame la présidente, au vu du degré d'amateurisme qui règne dans cette triste affaire, le peuple français demande des comptes. Il veut des responsables. Le premier nom est le vôtre. Vous avez d'ailleurs présenté votre démission, qui a été refusée, et je vous salue pour cette décision. Le second nom est évidemment celui du ministre de la culture, Mme Dati. J'espère que la décence la conduira à prendre la même décision.

M. Jacques Grosperrin. - Madame la présidente, vous avez dit que les Français étaient choqués par ce drame. Mais le monde entier l'est ! Nous sommes moqués par la presse internationale, à juste titre. Nous n'avons pas besoin de cela en France en ce moment.

Beaucoup de musées ont été cambriolés. Pourquoi, au lieu de remettre en cause son pré-rapport, n'avez-vous pas entendu la Cour des comptes ?

Sans revenir sur la salle à manger, le département des arts de l'Islam a été rénové alors que ce n'était pas véritablement nécessaire, et la galerie Richelieu est mal couverte par les caméras. La faillite des équipements de surveillance n'est pas seulement périmétrique : on la constate aussi à l'intérieur du musée.

Vous dites avoir proposé votre démission à la ministre de la culture. Avez-vous réellement écrit une lettre en ce sens ? La surréaction du Président de la République m'interpelle. Je n'ose croire que votre annonce de démission soit un moyen de protéger la ministre de la culture ou le Président de la République. Nous sommes en France. Des responsabilités doivent être assumées.

Je pense à nos amis du Louvre Abu Dhabi, qui donnent chaque année 18 millions d'euros au Louvre. Cela donne des moyens d'agir en faveur de la sécurité !

Vous nous avez expliqué que les agents n'avaient pas failli. Finalement, un plus grand nombre d'agents n'aurait rien changé.

Vous avez une responsabilité. Je vous demande solennellement de présenter votre démission. Les militaires, les préfets le feraient.

Mme Colombe Brossel. - Le cambriolage du Louvre a suscité, à juste titre, de vives interrogations. Comment un tel événement a-t-il pu se produire dans le plus grand musée du monde, que l'on imaginait par conséquent comme l'un des plus sécurisés du monde ?

L'ensemble des équipes du Louvre effectue un travail remarquable, dans des conditions dénoncées comme de plus en plus contraintes, voire dégradées. La question ne relève pas seulement du musée, mais bien de l'État. Yan Chantrel le rappelait à l'instant : depuis des mois, les établissements publics sous tutelle du ministère de la culture alertent sur la fragilisation de leurs moyens. Le Louvre n'y échappe pas.

Vous en êtes consciente, puisque votre note du 13 janvier faisait état d'un certain nombre de problèmes, dont celui du sous-investissement, aggravé par la croissance soutenue du nombre de visiteurs. La réaction de la ministre de la culture, Mme Dati, ne peut pas se limiter à des déclarations à l'emporte-pièce.

Confirmez-vous qu'il est prévu de baisser, en 2026, la dotation budgétaire de l'État au Louvre de 105,6 millions d'euros à 100,4 millions d'euros ? Quelle réponse votre autorité de tutelle, le ministère de la culture, a-t-elle apportée à votre note du 13 janvier ?

Vous nous avez dit qu'une accélération du plan de déploiement du schéma des équipements de sécurité du Louvre avait été demandée en conseil des ministres, ce matin. Quels engagements budgétaires ont été pris par votre autorité de tutelle pour vous accompagner ?

Mme Agnès Evren. - Merci pour vos réponses très éclairantes, madame la présidente. Les dispositifs d'alarme ont fonctionné, dites-vous. Force est de reconnaître que le plus grand musée du monde a été cambriolé en quelques minutes. C'est donc un échec. On ne peut pas dire aux Français que nul n'est responsable d'une telle faillite. Quelles leçons en tirez-vous pour mieux protéger notre patrimoine ?

La caméra extérieure ne ciblait pas le balcon menant à la galerie d'Apollon. Les voleurs le savaient-ils ? En tant qu'élue de Paris, j'aimerais savoir pourquoi certaines caméras extérieures n'ont jamais pu être installées. Confirmez-vous que la Ville de Paris a refusé ou retardé la sécurisation des abords du Louvre ? Avez-vous alerté la mairie sur ces vulnérabilités ou demandé son concours pour sécuriser les abords du musée ?

Mme Annick Billon. - Merci, madame la présidente, pour la sincérité de vos réponses et votre engagement.

Quatre malfaiteurs ; un butin inestimable ; huit bijoux ; un déroulement rapide d'une simplicité déconcertante ; une émotion nationale légitime ; une incompréhension partagée. Vous êtes meurtrie. Nous le sommes également.

Un point positif a peu été évoqué : personne n'a été blessé.

Les attaques personnelles sont malvenues et le casse du Louvre n'a pas à être utilisé dans la campagne municipale de la ville de Paris.

Le système de sécurité a été mis en cause. Qu'un monte-charge puisse, pendant plus d'une heure, être garé à contre-sens sur un trottoir sans que personne ne réagisse est étonnant. Quand on se gare mal, on attend d'ordinaire peu de temps avant de recevoir une amende !

Le 13 septembre 2025, un incident sur la porte-fenêtre de la galerie d'Apollon donnant sur la Seine aurait été signalé : un défaut qui aurait provoqué des déclenchements d'alarme intempestifs. À la suite de cet incident, l'alarme aurait été désactivée. Pouvez-vous le confirmer ? La porte-fenêtre a-t-elle été réparée et l'alarme réactivée ? C'est tout de même troublant.

Les vitrines à vérins précédentes, dotées d'un mécanisme de coffre, semblaient extrêmement efficaces. Auraient-elles fait échouer le casse ?

Est-il question d'armer les surveillants du Louvre ?

M. Jean-Gérard Paumier. - Merci, madame la présidente, de répondre avec clarté, précision et parfois, émotion.

Les extraits du rapport de la Cour des comptes que l'on a pu lire sont troublants.

Le casse du Louvre pose la question plus large de la réorientation de notre politique nationale d'investissement dans le patrimoine. En cette période de disette budgétaire durable, il faut préférer l'entretien courant aux grands projets. Le rapport sénatorial de contrôle budgétaire du Centre des monuments nationaux (CMN) de la commission des finances du 18 septembre 2024 le préconise. Notre-Dame de Paris mise à part, ces investissements sont la Cité internationale de la langue française de Villers-Cotterêts, d'un montant de 234 millions d'euros, et le futur musée des sacres de Reims, à hauteur de 36 millions d'euros. Le projet Louvre - Nouvelle Renaissance est estimé à 800 millions d'euros. Dans le même temps, le CMN évalue à 270 millions d'euros les travaux d'entretien courant des 110 monuments historiques dont il a la charge, alors qu'il ne dispose que de 25 millions d'euros. Parmi les urgences signalées : le Panthéon, les tours de La Rochelle, le Mont -Saint-Michel, les remparts de Carcassonne, le Château d'If, la Sainte-Chapelle.

M. François Patriat. - Merci, madame la présidente, de votre présence. Je suis choqué par les attaques personnelles dont vous faites l'objet. Elles ne sont ni bienvenues, ni justifiées, ni à la hauteur du problème. Au temps de l'émotion et de la compassion succède le temps de la manipulation, des accusations et des boucs émissaires. C'est facile ! Comme s'il n'y avait jamais eu de drame semblable par le passé, en France ou à l'étranger ! Le premier pays du monde en matière de sécurité a vu son président être assassiné. Il faut chercher non pas des boucs émissaires, mais des responsabilités, afin d'éclairer l'avenir et de réparer les erreurs. Le ministre de l'Intérieur a dit : « Nous avons failli. » Madame la présidente, vous assumez vos responsabilités. Vous avez donné votre démission.

Je ne vois pas en quoi une audition de Mme Dati changerait quoi que ce soit au problème de sécurité du Louvre. Elle a commandé un rapport qui, avec l'engagement du Président de la République, permettait des travaux de sécurisation. Mon seul regret est la lenteur de l'application des décisions dans notre pays. Nous devrions revenir sur le processus des marchés publics.

M. Michel Laugier. - Quelles sont les responsabilités à l'extérieur du musée ? Qu'est-ce qui dépend du musée, de la préfecture de police et de la Ville de Paris ?

M. Laurent Lafon, président. - Quel est l'état de la couronne de l'impératrice Eugénie abandonnée par les malfaiteurs ? Combien de caméras sont en fonctionnement à l'intérieur du Louvre ?

Mme Laurence des Cars. - Je serai prudente quant à la divulgation d'informations relatives à la sécurité du Louvre. Nous tenons les éléments à votre disposition, mais il serait malvenu de dévoiler ici toute l'architecture de sécurité du musée.

La porte-fenêtre de la galerie d'Apollon donnant sur le balcon a été restaurée et renforcée lors des travaux de restauration achevés le 27 novembre 2004, sous la maîtrise d'oeuvre de l'architecte en chef des monuments historiques. La fenêtre porte des vitrages Stadip Protect anti-effraction, un verre de Saint-Gobain de 10 millimètres d'épaisseur. Elle est dotée d'un système de verrouillage électrique avec deux points de condamnation - un point bas et un point haut -, en remplacement des précédents systèmes de fermeture historiques à tiges, maintenus à titre décoratif dans ce monument historique.

Un incident est effectivement survenu le 13 septembre 2025. Les réparations ont été réalisées et les contacts de porte, tout comme le verrouillage des ouvrants, au point haut et au point bas, étaient parfaitement opérationnels le 19 octobre.

Il a été fait mention de vitrines anciennes. Nous réaffirmons que les vitrines installées en décembre 2019 représentaient un progrès considérable en termes de sécurité tant le degré d'obsolescence des anciens équipements était avéré et aurait mené, sans remplacement, à retirer les oeuvres de la vue du public.

Jusque dans les années 1980, les joyaux, moins nombreux, tenaient dans une seule vitrine fonctionnant de la façon suivante : à la fermeture du musée, le plateau descendait dans un coffre-fort et deux volets se refermaient. Le lever et la descente étaient automatiques via une minuterie, réglée sur les heures d'ouverture du musée. Ce système des années 1950 posait des questions de sécurité, y compris pour la conservation des oeuvres, puisqu'en s'abaissant, le plateau créait des vibrations, entraînant des accidents sur certaines des oeuvres. Un nouveau mécanisme a donc été créé au début des années 1980. Il fonctionnait par un système de vérins levant et abaissant des volets latéraux, là encore selon un système de minuterie lié aux horaires d'ouverture du musée. Cet équipement était devenu inopérant et obsolète en raison de phénomènes de blocage dans la descente des volets latéraux ; plusieurs accidents ont été déplorés, mettant là encore les oeuvres en danger. En outre, si une descente des volets latéraux était possible hors minuterie, elle ne pouvait se faire que manuellement, par un agent qui en avait l'autorité, en l'occurrence le conservateur, via l'ouverture du bas de la vitrine avec clé et code, et en aucun cas de manière automatique par un simple bouton. À l'issue d'études de 2014, trois nouvelles vitrines de haute joaillerie présentant toutes les garanties nécessaires ont été commandées. Ce sont deux de ces vitrines qui ont été attaquées.

Les verres n'ont pas été brisés, mais fendus. Les voleurs ont pu passer la main, mais le verre a résisté. On voit bien que ce sont des vitrines de très haute qualité, mais adaptées à une attaque par arme, comme nous l'anticipions en 2019, et non à l'utilisation d'outils tels que ceux qui ont été employés dimanche.

Je laisse Mme Buffin répondre sur le stationnement du véhicule.

Mme Dominique Buffin. - La question de M. Laugier est déterminante quant à notre compétence en matière de vidéoprotection. L'axe relève de la préfecture de police de Paris. Même avec des caméras nec plus ultra et une couverture parfaite, nous sommes limités par la législation et la réglementation relatives à la vidéoprotection. Juger du stationnement d'un véhicule, pendant plusieurs heures, sur le quai François-Mitterrand relève d'une analyse que nous ne serions pas en droit de faire. L'établissement public du musée du Louvre rend des comptes sur sa vidéoprotection à la préfecture de police, et non l'inverse.

M. Laurent Lafon, président. - Avez-vous demandé à la préfecture de police l'installation de caméras ?

Mme Dominique Buffin. - Sur cet axe, je n'ai pas d'information en ce sens ; en revanche, nous avons eu des échanges prolifiques avec la préfecture de police concernant d'autres espaces, qui ont mené à l'installation de caméras, notamment dans le jardin du Carrousel.

Mme Laurence des Cars. - C'était dans le cadre des Jeux Olympiques.

Mme Dominique Buffin. - Les agents chargés de l'accueil et de la surveillance du musée du Louvre relèvent du code du patrimoine et non du code de la sécurité intérieure. Leur armement n'est pas envisageable.

Je penche davantage vers la proposition de Mme la présidente de s'appuyer sur des renforts d'effectifs de police plutôt que de recourir à des équipes de sécurité privée armées.

Mme Laurence des Cars. - Le projet Louvre - Nouvelle Renaissance part de constats que j'ai effectués dès mon arrivée en septembre 2021 et qui se sont affinés, quant à l'obsolescence des équipements techniques, la dégradation du bâtiment et les problèmes structurels d'accueil du public.

La pyramide, geste magnifique décidé dans le cadre du projet du grand Louvre, a été conçue pour accueillir 4 millions de visiteurs par an. En 1989, on pensait que ce chiffre ne serait pas atteint. Elle a été conçue comme une entrée unique pour l'ensemble du Louvre. Si vous voulez admirer des tableaux de Poussin, vous devez cheminer 25 minutes depuis la pyramide, et ce, sans vous tromper - notre signalétique n'étant pas toujours d'une clarté absolue. Notre établissement est dépassé par sa fréquentation. Cette réalité du monde touristique actuel s'impose à nous. Il faut vivre l'attractivité du Louvre comme une chance. Le problème n'est pas d'accueillir 10 millions de visiteurs, mais de mal les accueillir.

Je m'appuie sur l'ensemble de ces constats, celui d'un Louvre congestionné sous la pyramide, mais aussi celui d'une présentation de la Joconde dans la salle des États, qui propose une collection admirable à laquelle le public jette à peine un regard, tant il est concentré sur la file d'attente pour parvenir au tableau de Léonard de Vinci.

L'esprit du projet Louvre -Nouvelle Renaissance est de sauver le Louvre du piège d'une fréquentation purement touristique, alors qu'il est au coeur de notre histoire et de nos valeurs, celles de la transmission d'un patrimoine, d'un certain rapport au monde, de la reconnaissance de l'égalité des cultures et des civilisations. La vocation universelle du Louvre est au fondement de sa fondation sous la Révolution française ; elle est ce qui distingue la France dans son approche du patrimoine et de la culture. Le Louvre ne se résume pas à la Joconde. Il compte neuf départements de conservation. Grâce au ministère de la culture et au Président de la République, j'ai pu créer le neuvième, dédié au département des arts de Byzance et des chrétientés en Orient, qui ouvrira ses portes dans deux ans. Cette ouverture sera accompagnée d'un ensemble de rénovations, notamment sur les arts de l'islam et de Rome. Pour la première fois, nous ferons dialoguer ces grands phénomènes civilisationnels, qui ont occupé les mêmes territoires dans l'histoire du monde. Nous quittons le cloisonnement pour un récit global.

Il faut que le visiteur de demain, qu'il entre par la pyramide ou par une entrée créée du côté de la colonnade, accède rapidement aux collections qui l'intéressent et circule avec aisance dans l'ensemble des départements du Louvre, afin de voir leur beauté et leur diversité. Actuellement, nous vivons des phénomènes de concentration terribles, mais aussi la désertion de certaines salles. Il faut faire respirer l'entièreté du Louvre. C'est le seul musée au monde à présenter une architecture qui s'écrit sur huit siècles, d'une beauté admirable.

Nous voulons, par le projet Louvre - Nouvelle Renaissance, mettre en valeur ce patrimoine. Le projet de nouvelle entrée mettra en valeur la colonnade, que nous devons à Perrault, Le Brun et Le Vau.

Le Louvre est une alchimie extraordinairement complexe, et c'est bien cette réalité qui est au coeur du projet Louvre - Nouvelle Renaissance.

Il faut redonner à nos concitoyens le goût du Louvre en facilitant l'accès aux collections. Nous avons notamment pour mission de service public de doubler le nombre de collégiens accueillis. Le cap que nous a fixé le Président de la République, c'est que tous les collégiens d'une même tranche d'âge aient l'occasion de visiter les collections publiques à un moment de leur scolarité.

Je n'ai pas à insister devant vous, qui représentez notre pays, sur l'importance de ce lieu de cohésion, à même d'offrir un récit commun à notre pays. C'est cela, la grande mission du Louvre. En tant que présidente-directrice, je me dois d'avoir une vision permettant de concilier la venue de tous nos visiteurs étrangers - le monde entier vient à Paris pour admirer le Louvre - et la transmission de ce patrimoine, qui suppose de donner un meilleur accès à nos concitoyens et d'augmenter la fréquentation de proximité, notamment francilienne et parisienne.

Dans ce cadre, la rénovation des infrastructures est absolument essentielle. Si nous nous contentons de réparer les infrastructures techniques, nous buterons sur les mêmes problèmes que par le passé.

Tous mes prédécesseurs, que j'ai amplement consultés lors de l'élaboration de ce projet, vous diront que l'on a réfléchi vingt-cinq fois à un nouvel emplacement pour la Joconde. Certaines décisions se sont d'ailleurs révélées tout à fait inappropriées et ont dû être corrigées immédiatement. Il faut un emplacement réservé à cette oeuvre. À cette fin, un concours a été lancé en juin dernier. Au total, cinq agences chargées de proposer un projet ont été retenues ; la liste en a été publiée il y a quelques jours. Ce sont cinq des plus grandes agences mondiales, cinq des plus grands talents contemporains, étrangers et alliés à des agences françaises, qui vont contribuer à écrire un nouveau chapitre de l'histoire du Louvre.

La question du financement est évidemment très importante. À ce titre, il faut distinguer le financement des schémas directeurs, au coeur des questions qui nous réunissent aujourd'hui, et le schéma des nouveaux espaces.

M. Francis Steinbock. - Au sujet des schémas techniques, deux décisions ont été prises.

Premièrement, Mme la ministre de la culture a annoncé l'attribution sur plusieurs années d'une subvention annuelle de 10 millions d'euros, venant s'ajouter aux subventions versées par l'État, afin de lancer les schémas directeurs. C'est sur cette base que nous allons pouvoir engager le schéma directeur des équipements électriques et le schéma directeur des équipements de sûreté.

Mme la ministre a également annoncé une tarification différenciée, qui s'appliquera aux visiteurs dont la résidence est extérieure à l'Espace économique européen (EEE) à partir de la mi-janvier 2026. Toutes les équipes se sont aussitôt mobilisées afin de mettre en oeuvre cette mesure qui, selon les estimations, devrait rapporter environ 20 millions d'euros supplémentaires par an. Nous sommes encore en train de discuter le montant de cette surtarification dans le cadre de notre préparation budgétaire.

Je précise que, pour 2026, nous n'avons pour l'instant pas eu de notification de notre dotation, que ce soit en fonctionnement ou en investissement. Aucun courrier n'est arrivé. Nous préparons donc notre budget sur la base d'estimations, mais le ministère devrait nous communiquer rapidement les éléments nécessaires.

Deuxièmement, nous allons mettre en oeuvre un ensemble de schémas. Nous avons déjà parlé du schéma directeur des équipements de sûreté, qui représente un montant de 80 millions d'euros. Nous sommes également dotés d'autres schémas très importants.

À en croire la presse, nous avons beaucoup tardé à élaborer notre schéma de désenfumage, qui devait initialement être lancé au début de 2022. Ce schéma n'est pas fini : reste la tranche Napoléon, qui représente 11 millions d'euros. Mais, si cette tranche n'a pas été lancée, ce n'est pas parce que nous avons « traîné » ; ce n'est pas parce que nous avons rendu des arbitrages budgétaires défavorables. C'est tout simplement parce que, lorsque la maîtrise d'oeuvre a commencé à mener ses études, elle a constaté que les documents mis à sa disposition ne correspondaient pas aux ouvrages exécutés. Les équipes de la direction de l'architecture, de la maintenance et des jardins ont donc dû retravailler avec le maître d'oeuvre pour tout mettre à plat.

Les circulations mécanisées sont essentielles pour nos visiteurs, d'autant plus qu'au Louvre les niveaux se comptent en dizaines, et pour cause, il y a des marches partout. L'accessibilité s'en trouve largement compliquée. Nous dénombrons quarante-six ascenseurs, trente-deux escalators, trente et un élévateurs - et je pourrais continuer la liste. Les schémas dont il s'agit représentent un coût de 8 millions d'euros.

À ce titre, la prochaine opération prévue sera assez spectaculaire : c'est le remplacement des grands escalators de l'aile Richelieu. Cette opération sera extrêmement complexe à mener, les escalators devant être acheminés par morceaux. Par définition, nous n'avons pas un seul équipement standard : nous n'avons que des équipements spécifiques, ce qui a nécessairement un coût.

En outre, les réseaux de sprinklage sont essentiels à la conservation de nos oeuvres. Ils relèvent d'ailleurs d'une obligation réglementaire. Le plan de rénovation du sprinklage va représenter un coût de 7 millions d'euros. Il est inutile d'insister sur son importance pour nos différentes réserves, en particulier les réserves des arts graphiques, qui renferment des trésors absolument inestimables. Il s'agit d'une question absolument centrale.

De manière beaucoup plus triviale, sur l'aile du bord de l'eau, où se situe une partie des bureaux de la conservation, nous devons intégralement refaire le dispositif de chauffage, de ventilation et de climatisation. Ce chantier représente plus de 1 million d'euros. Ce petit point est certes très technique, mais il illustre l'ampleur du sujet.

Plus largement, nous allons élaborer un plan Climat pour assurer l'adaptation du bâtiment et de nos équipements techniques, en travaillant sur nos huisseries, nos verrières et nos toitures. À cette fin, nous avons mandaté François Chatillon, architecte en chef des monuments historiques, qui travaillera d'ailleurs également sur l'aspect « monument historique » du projet Louvre - Nouvelle Renaissance, afin qu'il mène un recensement exhaustif des huisseries. Nous disposons d'un premier état patrimonial, dressé par le précédent architecte en chef des monuments historiques, que nous allons mettre à jour.

En parallèle, nous devons revoir en intégralité les dispositifs de chauffage, de ventilation et de climatisation. Dans ce cadre, nous travaillons également aux questions de géothermie.

M. Laurent Lafon, président. - À ce stade, concentrons-nous sur les travaux prévus pour 2026 : avez-vous besoin de crédits supplémentaires pour « accélérer » la mise en oeuvre du plan de sécurité - puisque c'est le terme qui a été utilisé en conseil des ministres ?

M. Francis Steinbock. - Ce plan est en cours d'analyse et sa notification est prévue toute fin d'année ou, au plus tard, en tout début d'année 2026. Nous travaillerons ensuite, avec la maîtrise d'oeuvre et les sociétés chargées de le déployer, à déterminer si l'on peut accélérer sa mise en oeuvre. Je pense en particulier aux caméras de surveillance en périmétrie. On voit bien qu'il s'agit du sujet le plus important.

Mme Laurence des Cars. - La couronne de l'impératrice Eugénie a été assez endommagée, non pas par sa chute, mais probablement par l'extraction de la vitrine. Le verre ayant bien résisté, les ouvertures pratiquées par les voleurs étaient très étroites. Les différents objets dérobés, et particulièrement la couronne, ont donc été écrasés lors de la sortie de la vitrine.

Saisie dans un premier temps par la police judiciaire, cette couronne a été récupérée hier par le département des objets d'art. Les premiers constats laissent entendre qu'une restauration est délicate, mais possible. Il faut évidemment rester prudent - il s'agit d'un premier constat d'état -, mais l'objet semble pouvoir être sauvé.

Madame la sénatrice, face au trafic d'oeuvres d'art, le Louvre est extrêmement engagé. Je pense notamment au trafic d'icônes provoqué par la guerre en Ukraine : ce trafic est suivi de très près dans le cadre de la création du nouveau département des arts de Byzance et des chrétientés en Orient. Nous accueillons d'ailleurs actuellement dans nos réserves un certain nombre d'oeuvres du musée Khanenko de Kiev, à la suite d'une opération d'évacuation de chefs-d'oeuvre.

Comme vous le savez, nous disposons d'une réserve très importante à Liévin, près du Louvre-Lens. Cette réserve, qui a le statut de réserve refuge, peut accueillir des oeuvres lorsque des conflits ou des catastrophes naturelles créent des désordres en matière patrimoniale. De même, nous sommes très impliqués en Irak ou encore au Liban. L'action internationale du Louvre est extrêmement riche.

Sur ces questions, il faudrait sans doute interroger les représentants l'Office central de lutte contre le trafic des biens culturels (OCBC). Dans les domaines dont il s'agit, cette institution est en première ligne et fait preuve d'une grande compétence. Nous travaillons avec elle quotidiennement sur ces différentes questions.

De mon côté, j'ai renforcé les équipes de conservation pour étudier la provenance de l'ensemble des collections du Louvre, que ce soit dans une logique rétrospective ou en vue de nouvelles acquisitions.

M. Laurent Lafon, président. - Pouvez-vous nous préciser le nombre de caméras en fonctionnement ?

Mme Laurence des Cars. - Si vous me le permettez, je vous transmettrai ces données de manière confidentielle.

M. Jacques Grosperrin. - Avez-vous présenté votre démission par écrit, ou exprimé l'intention de démissionner ?

Mme Laurence des Cars. - J'ai présenté ma démission à Mme la ministre de la culture, qui l'a refusée. Je ne peux pas être plus claire sur ce sujet.

M. Laurent Lafon, président. - Madame la présidente-directrice, madame, messieurs, merci de ces éclairages, qui étaient à mon sens absolument nécessaires.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 18 h 40.