- Jeudi 23 octobre 2025
- Désignations de rapporteurs
- Simplification de la politique agricole commune - Communication sur les négociations relatives à la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant le règlement (UE) 2021/2115 en ce qui concerne le système de conditionnalité, les types d'intervention sous la forme de paiements directs, les types d'intervention dans certains secteurs et dans le cadre du développement rural et les rapports annuels de performance, ainsi que le règlement (UE) 2021/2116 en ce qui concerne la gouvernance des données et de l'interopérabilité, la suspension des paiements liée à l'apurement annuel des performances et les contrôles et les sanctions
- Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant le règlement (UE) nº 1308/2013 en ce qui concerne le programme en faveur de la consommation de fruits, de légumes et de lait à l'école (« programme de l'UE à destination des écoles »), les interventions sectorielles, la création d'un secteur des protéagineux, les exigences applicables au chanvre, la possibilité d'instaurer des normes de commercialisation applicables au fromage, aux protéagineux et à la viande, l'application de droits à l'importation additionnels, les règles relatives à la disponibilité des approvisionnements en situation d'urgence et de crise grave, et les garanties - Examen de la proposition de résolution européenne portant avis motivé sur la conformité au principe de subsidiarité
Jeudi 23 octobre 2025
- Présidence de M. Jean-François Rapin, président -
La réunion est ouverte à 9 h 10.
Désignations de rapporteurs
M. Jean-François Rapin, président. - Je propose de désigner rapporteurs : Cyril Pellevat, au titre du contrôle de subsidiarité de la proposition de règlement réformant le mécanisme de protection civile de l'Union européenne, la position de notre commission devant être examinée le 6 novembre prochain ; Pascal Allizard et Gisèle Jourda, pour le pacte pour la Méditerranée ; Florence Blatrix Contat et Christine Lavarde, pour l'ensemble titrisation-Union de l'épargne et des investissements ; Amel Gacquerre et Ahmed Laouedj, pour les initiatives envisagées en matière de logement ; Didier Marie et moi-même, pour le programme de travail de la Commission européenne pour 2026.
Il en est ainsi décidé.
Simplification de la politique agricole commune - Communication sur les négociations relatives à la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant le règlement (UE) 2021/2115 en ce qui concerne le système de conditionnalité, les types d'intervention sous la forme de paiements directs, les types d'intervention dans certains secteurs et dans le cadre du développement rural et les rapports annuels de performance, ainsi que le règlement (UE) 2021/2116 en ce qui concerne la gouvernance des données et de l'interopérabilité, la suspension des paiements liée à l'apurement annuel des performances et les contrôles et les sanctions
M. Jean-François Rapin, président. - Nous en venons maintenant à la séquence consacrée aux enjeux agricoles. Nous allons tout d'abord entendre une communication de Pascale Gruny sur les négociations relatives à l'omnibus de simplification de la politique agricole commune (PAC). Pascale Gruny avait demandé à ne pas traiter ce sujet par procédure écrite et il me paraît, en effet, important d'avoir une vision claire des mesures en passe d'être adoptées. Ces éléments ainsi que les inquiétudes entourant le budget alloué à la PAC dans le prochain cadre financier pluriannuel me conduiront à réunir très prochainement le groupe de suivi sur la PAC.
Nous examinerons ensuite un projet d'avis motivé présenté par Pascale Gruny sur la proposition de révision du règlement portant sur l'organisation commune des marchés. Il traduit la vigilance de notre commission sur les enjeux de subsidiarité, d'autant que nous avons déjà adopté avant l'été deux autres avis motivés, l'un sur les médicaments critiques, l'autre sur la révision de la directive Retour.
Je précise que notre réunion est bien identifiée puisque j'ai reçu hier soir un message de la filière du chanvre, soulignant l'intérêt pour elle du texte que nous examinerons. La France est, en effet, le leader européen et le troisième producteur mondial de cette plante. Toutefois, les observations de Pascale Gruny ne portent pas sur cet aspect du texte.
Mme Pascale Gruny, rapporteur. - Mes chers collègues, le 14 mai dernier, la Commission européenne a publié une proposition de règlement visant à simplifier la mise en oeuvre de la politique agricole commune. Cette initiative, qui s'inscrit dans la démarche de simplification transversale engagée en début d'année 2025 par l'exécutif européen, intervient à la suite des premières évolutions réglementaires décidées au printemps 2024 dans le contexte de la crise agricole du continent.
Sans revenir ici sur les tenants et aboutissants de ce vaste mouvement de protestation, je souligne que la complexité de mise en oeuvre de la nouvelle PAC pour la période 2023-2027 s'est rapidement trouvée au coeur des griefs exprimés par les agriculteurs. Cette complexité, qui tient, d'une part, à la mise en oeuvre d'une conditionnalité environnementale renforcée, d'autre part, à la renationalisation de la PAC au titre de la subsidiarité, s'est traduite par un accroissement significatif des charges administratives pesant sur les exploitants agricoles comme sur les États membres. Pourtant, le Sénat avait identifié cet écueil dès 2017 ! Notre assemblée n'a eu de cesse, au cours des dernières années, d'alerter les pouvoirs publics français et européens sur les effets prévisibles de cette dernière réforme.
En mai 2024, sous la pression des États membres et des organisations agricoles, la Commission européenne a dû se résoudre, dans l'urgence, à amender la politique agricole commune. Cette première « réouverture ciblée » du règlement sur la PAC s'est essentiellement traduite par un allègement de la conditionnalité environnementale, destiné à réduire la charge administrative pesant sur les agriculteurs.
Dans une résolution européenne du 17 mai 2024, élaborée sur l'initiative du groupe de suivi sur la PAC, notre assemblée a manifesté son soutien à une telle démarche, estimant que les dérogations accordées au respect de la conditionnalité permettraient d'assouplir la gestion des exploitations. Néanmoins, nous avions d'ores et déjà souligné que cette proposition législative ne constituait qu'un premier pas, qui devait impérativement être suivi d'autres initiatives du même ordre, notamment parce que certaines des pistes d'amélioration défendues par notre pays n'avaient pas été reprises par la Commission.
Dans ce contexte, dans une résolution du 21 janvier 2025, c'est-à-dire à l'aube des travaux relatifs à l'élaboration de la PAC post-2027, le Sénat a réitéré son appel à poursuivre les efforts de simplification et de réduction de la charge administrative pour remettre le travail et la rémunération des agriculteurs au coeur de la politique agricole commune.
En parallèle, conscient du caractère très perfectible de la première réouverture de la PAC, le nouveau commissaire européen à l'agriculture et l'alimentation, Christophe Hansen, s'est engagé dès janvier 2025 à présenter un nouveau paquet de mesures de simplification. Ces dernières ont été élaborées à partir de consultations des agriculteurs et des parties prenantes, ainsi que des desiderata des États membres. Conçues pour être « très ciblées et spécifiques », selon les mots de Christophe Hansen, ces mesures visent à accroître les souplesses dont disposent les États membres et se concentrent sur des catégories qui n'étaient concernées qu'à la marge par la réouverture de 2024, comme les petites exploitations, les jeunes agriculteurs ou encore les exploitations biologiques.
Selon la Commission européenne, ce deuxième volet de simplification pourrait entraîner des économies de 1,58 milliard d'euros par an pour les agriculteurs et de 200 millions d'euros par an pour les administrations nationales.
Avant de présenter succinctement les dispositions emblématiques de ce second volet de simplification, je précise que ce dernier a été élaboré en vue d'une adoption rapide, pour permettre une mise en oeuvre des mesures à compter du 1er janvier 2026.
Pour respecter ce calendrier, il faut qu'un accord politique soit trouvé dans les semaines à venir puisque la Commission doit encore travailler sur la législation secondaire et les États ajuster leurs plans stratégiques nationaux. Dans ce contexte, le Conseil et le Parlement européen se sont attachés à avancer le plus rapidement possible sur ce texte et ont adopté leur mandat de négociation respectivement le 3 septembre et le 9 octobre dernier.
Ces éléments de contexte et de calendrier étant posés, j'en viens au contenu de ce paquet de simplification, dont les grandes lignes ont été validées par les États membres et le Parlement européen, modulo quelques ajustements que je détaillerai.
Sur le fond, cette proposition reprend plusieurs demandes soutenues par la France, et réclamées par notre assemblée dans sa résolution européenne de mai 2024, ce dont nous ne pouvons que nous féliciter.
Tout d'abord, et dans la continuité des modifications opérées en 2024, la proposition législative prévoit un nouvel allègement de la conditionnalité environnementale, répondant ainsi à des demandes d'amélioration défendues par notre pays. Depuis 2024, la France réclamait en effet que les exigences afférentes à la protection des zones humides (Bonnes conditions agronomiques et environnementales - BCAE 2), les obligations de mise en place de bandes tampons enherbées le long des cours d'eau (BCAE 4) et les règles relatives à la protection des prairies (BCAE 1 et 9) fassent l'objet d'un réaménagement. C'est désormais chose faite, puisque la proposition législative assouplit notamment les BCAE 1, 4 et 9.
S'agissant en premier lieu des prairies permanentes, la Commission propose de relever, de 5 % à 10 %, le seuil de dégradation du ratio qui déclenche l'obligation de réimplanter des prairies permanentes, afin de mieux tenir compte des situations régionales de déprise de l'élevage. La Commission autorise également les États membres à allonger de 5 à 7 ans la période au-delà de laquelle une surface en prairie est qualifiée de prairie permanente. Ces modifications font écho aux attentes exprimées par les agriculteurs français, qui souhaitent pouvoir intégrer leurs prairies dans des rotations longues sans les voir requalifiées en prairies permanentes, compte tenu des obligations auxquelles sont soumises ces surfaces dans le cadre de la conditionnalité.
Pour ce qui est de la BCAE 4, relative aux bandes tampons, la Commission propose de laisser aux États membres la possibilité de reprendre une définition nationale existante des cours d'eau, dès lors que cette définition répond à l'objectif principal de la BCAE. Notre pays avait demandé dès 2024 à pouvoir bénéficier d'une telle souplesse, afin notamment de ne pas inclure les canaux fluviaux parmi les cours d'eau concernés.
La proposition prévoit, par ailleurs, que les États membres puissent aligner les exigences des normes BCAE sur les exigences nationales obligatoires existantes ; il s'agit là encore d'une mesure de bon sens, portée depuis longtemps par la France, pour des questions évidentes de simplification.
Si le Conseil a peu retouché ce volet du texte, le Parlement européen a adopté une position plus offensive, en supprimant notamment les BCAE 5 et 9 qui visent, pour la première, à protéger les sols contre l'érosion, et, pour la seconde, à protéger les prairies permanentes situées en zones Natura 2000, alors que ces normes n'étaient pas concernées par la proposition initiale.
J'en viens aux mesures visant des catégories peu concernées par la réouverture de 2024, à savoir les agriculteurs en bio, les jeunes agriculteurs et les petites exploitations.
La proposition prévoit tout d'abord d'accorder aux exploitations en agriculture biologique un classement « verts par définition », c'est-à-dire qu'elles seraient considérées comme remplissant par défaut les conditions des BCAE. Contre l'avis de la France, le Conseil a souhaité étendre cette exemption aux parcelles biologiques des exploitations mixtes, c'est-à-dire mi-conventionnelles, mi-bio, et laisser le choix aux États membres de décider d'appliquer ou non la présomption de conformité. À nouveau, le Parlement européen est allé plus loin, en demandant à étendre l'exemption à l'ensemble des parcelles des exploitations mixtes ou en transition. Les eurodéputés souhaitent également que toutes les exploitations situées dans des zones Natura 2000 soient considérées comme remplissant d'office les BCAE 1 à 7.
Pour ce qui est des jeunes agriculteurs, la Commission a repris une demande forte de la France, destinée à faciliter la reprise d'exploitations par les jeunes générations. En pratique, les jeunes agriculteurs pourront bénéficier d'un accompagnement au titre du FEADER pour les investissements destinés à la mise en conformité des exploitations qu'ils reprennent au regard des normes européennes applicables, dans un délai de 36 mois à partir de leur installation.
Enfin, la Commission a proposé de doubler, de 1 250 à 2 500 euros, le montant forfaitaire auquel les petits agriculteurs sont éligibles dans le cadre du régime simplifié. Elle propose également de leur octroyer un nouveau paiement forfaitaire unique de 50 000 euros pour les aider à se développer. Tandis que le Conseil a validé ces modifications, le Parlement a souhaité réhausser à 5 000 euros le paiement forfaitaire annuel au bénéfice des petits agriculteurs et à 75 000 euros l'aide au développement. Ces assouplissements auront cependant un effet très limité en France, où ils concerneront peu d'exploitations.
La proposition introduit par ailleurs, et c'est mon troisième point, l'objectif d'un seul contrôle par an et par exploitation au sujet des demandes d'aides ou du respect de la conditionnalité. Sur ce point, notre assemblée a été entendue, puisque dans notre résolution du 17 mai 2024, nous plaidions d'ores et déjà en faveur de la mise en place d'un contrôle administratif unique. Au demeurant, ce principe de simplification a d'ores et déjà été instauré en France, à l'automne 2024.
J'en viens aux mesures destinées à garantir davantage de flexibilité dans la gestion des plans stratégiques nationaux de la PAC. La proposition prévoit ainsi d'assouplir les règles de modification des plans stratégiques nationaux, de telle sorte que les États membres ne soient plus tenus de requérir l'approbation de la Commission pour modifier les éléments non stratégiques de leurs plans. Il est également proposé de supprimer l'apurement annuel de la performance. Pour rappel, cette procédure permettait de vérifier que les dépenses des États membres au titre de la PAC correspondaient bien à leurs plans stratégiques ; les États membres devaient jusque-là justifier les écarts dépassant 2 % entre les montants prévus et les montants payés. La modification proposée, unanimement réclamée par les États membres, réduira opportunément la charge administrative liée à la gestion des PSN.
Je souhaiterais, avant de conclure, présenter de manière plus extensive le dernier volet de ce texte, relatif aux aides de crises et aux outils de gestion des risques.
La proposition législative prévoit en effet, dans une logique de simplification et de rationalisation des aides de crise, de recentrer les utilisations possibles de la réserve agricole européenne sur la réponse aux crises de marché. En pratique, la réserve agricole ne pourra plus servir à indemniser les pertes engendrées par les aléas climatiques. Dans un contexte marqué par la recrudescence des catastrophes naturelles, ce recentrage, qui était annoncé dans la Vision sur le futur de l'agriculture et de l'alimentation de février 2025, a vocation à contenir les besoins budgétaires sur la réserve agricole européenne et à inciter les États membres à optimiser les différents outils de gestion des risques. Si notre pays est favorable à ce recentrage, le Conseil comme le Parlement européen s'y sont opposés, renvoyant cette évolution aux discussions en cours sur la future PAC.
En contrepartie, la Commission a introduit la possibilité, pour les États membres, de créer de nouvelles aides de crise pour faire face aux aléas climatiques. En pratique, deux dispositifs devaient initialement être créés : le premier, reposant sur le premier pilier de la PAC, prenait la forme d'un complément d'aide directe au revenu pour venir en aide aux agriculteurs bénéficiaires de paiements directs en cas de catastrophe naturelle ayant causé la destruction d'au moins 30 % de leur production annuelle moyenne ; en parallèle, des paiements de crise étaient également introduits sur le second pilier, qui concerne tous les agriculteurs actifs et pas uniquement ceux qui perçoivent des paiements directs.
Il était prévu que les États membres fixent eux-mêmes les conditions d'éligibilité à ces aides, dont le financement devait être limité à un montant annuel maximal disponible correspondant, pour chaque État, à 3 % du total des paiements directs et du financement du FEADER par an. Ces paiements de crise avaient, enfin, vocation à être cofinancés jusqu'à 200 % par les États membres. Or, si le principe du cofinancement du FEADER a toujours été acté, tel n'est pas le cas pour les paiements directs du premier pilier. Notre pays a toujours défendu la position selon laquelle les paiements directs doivent être financés à 100 % par des crédits européens, pour prévenir le risque d'une renationalisation de la PAC, a fortiori dans le cadre des négociations sur la future PAC. Le Conseil s'est donc opposé, lors des négociations, à l'introduction de paiements de crise sur le premier pilier. Le Parlement européen ayant également amendé le texte en ce sens, cette disposition ne devrait pas figurer dans la version issue des trilogues. Les Vingt-Sept ont en revanche conservé la possibilité d'utiliser des fonds du second pilier, destinés au développement rural, pour venir en aide aux agriculteurs touchés par des aléas climatiques.
Enfin, la Commission a ouvert la possibilité d'adapter la méthode de calcul des pertes dans les outils de gestion des risques pour les cultures permanentes. En pratique, les États pourraient ainsi étendre jusqu'à 8 ans la période de calcul de la moyenne olympique de production prise pour référence dans le calcul des pertes, contre une période de 5 ans actuellement. Cette évolution, réclamée de longue date par la France, permettrait à l'outil assurantiel de mieux prendre en compte l'impact du changement climatique et d'étendre la couverture du risque dans notre pays.
Vous l'aurez compris, loin de se limiter à quelques ajustements mineurs dénués de portée réelle, ce paquet de simplification remodèle de nombreux aspects de la PAC, qu'il s'agisse de la conditionnalité, des mesures en faveur de certaines catégories d'exploitation, des contrôles, des outils de gestion des risques ou encore du pilotage des plans stratégiques nationaux.
Ces aménagements vont globalement dans le bon sens, comme j'ai eu l'occasion de le souligner ; ils étaient réclamés de longue date par les administrations nationales comme par les agriculteurs, pour corriger les effets néfastes de la dernière réforme de la PAC.
Ils interviennent cependant bien tardivement, puisque la PAC actuelle court jusqu'en 2027... que de temps perdu ! Il eût été plus judicieux de tenir compte d'emblée des réticences manifestées par les États membres et les organisations agricoles pour élaborer, dès 2022, une PAC forte, centrée sur les besoins et les attentes des agriculteurs et tournée vers la redynamisation de la production agricole européenne.
Les déboires de la PAC actuelle conduiront-ils la Commission à faire preuve d'une plus grande prudence, tant en termes de méthode que de contenu, s'agissant de l'élaboration de la future PAC ? Malheureusement, rien n'est moins sûr. J'en veux pour preuve les premiers jalons posés, discrètement, par le paquet simplification.
Sur la méthode d'abord, je relève qu'au Conseil, l'examen de ce texte a été confié à un groupe de travail spécifique, créé fin février pour négocier l'ensemble des omnibus de simplification engagés par la Commission. Concrètement, cela signifie que le texte n'a pas été négocié en filière agricole, sous la supervision des ministres de l'agriculture, comme c'est le cas habituellement pour les textes relatifs à la politique agricole, avec pour conséquence des débats sensiblement plus expéditifs et moins techniques.
Or, les négociations portant sur la future PAC pourraient se heurter au même écueil ; en effet, les dispositions de la PAC sont dispersées dans plusieurs règlements transversaux, dont celui sur les plans de partenariat national et régional, et seront donc en partie négociées par le groupe de travail ad hoc sur le cadre financier pluriannuel, puis par les ministres des affaires européennes. Le dossier risque ainsi d'échapper en partie aux ministres de l'agriculture ainsi qu'au groupe de travail du Conseil spécialisés dans les affaires agricoles, ce qui a conduit une quinzaine d'États membres, dont la France, à interpeller la présidence danoise dans une déclaration commune du 1er octobre. Le choix des instances de négociation chargées d'examiner les dispositions de la PAC n'a rien d'anecdotique, bien au contraire ! Il est à mes yeux essentiel pour le succès de cette politique que les éléments clés qui la composent fassent l'objet d'une approche unifiée et cohérente.
Sur le fond, ensuite, en accordant davantage de flexibilité aux États membres, ce paquet de simplification contribue indéniablement à fragiliser le caractère commun de la PAC, déjà fortement altéré par la mise en place des plans stratégiques nationaux. Parmi les mesures proposées, certaines laissent poindre le risque d'une renationalisation à bas bruit de la PAC, ce qui constitue un motif légitime d'inquiétude pour nos agriculteurs. Nous ne le répéterons jamais assez : il ne peut y avoir de marché commun sans règles communes. La PAC doit bien évidemment être simplifiée, mais pas au prix d'un démantèlement des règles applicables dans les États membres.
Ces éléments nous invitent à faire preuve de la plus grande vigilance s'agissant de la future PAC. Alors que les dernières réformes ont gravement affecté la cohérence d'ensemble de la politique agricole commune et se sont traduites par un délitement de son architecture commune, il me semble plus que jamais primordial d'opérer un retour aux fondements de la PAC et de recentrer cette politique sur les objectifs que lui assignent les traités européens : accroître la productivité agricole, assurer un niveau de vie satisfaisant pour la population agricole, stabiliser les marchés, garantir la sécurité des approvisionnements et assurer des prix raisonnables aux consommateurs.
M. Jean-François Rapin, président. - Merci pour cette présentation claire et complète, il est important que nous examinions les projets Omnibus, par lesquels des « paquets » entiers des politiques européennes sont modifiés.
M. Daniel Gremillet. - Nos travaux sont utiles, même si les avancées prennent du temps : les mesures prises l'an passé face à la crise, nous les avions proposées ici pour la plupart. Je partage l'analyse de Pascale Gruny, et je n'aurai que trois remarques : d'abord, pour souligner l'importance du sujet dans le contexte environnemental et agricole que nous connaissons -par exemple, passer de 5 à 7 ans sur les prairies n'est pas anodin, puisque nous avons gagné deux ans, avec un impact économique et environnemental certain. En ce qui concerne, ensuite, la possibilité pour les jeunes agriculteurs de bénéficier d'un accompagnement au titre du FEADER pour les investissements destinés à la mise en conformité des exploitations, je remarque que le délai de 3 ans à compter de l'installation reste un peu court ;: mieux vaudrait un délai de cinq ans, car la mise aux normes peut représenter des sommes importantes et les entreprises du BTP ne sont pas toujours disponibles - j'ai vu des jeunes devoir rembourser des aides alors que le retard n'était pas de leur fait. Enfin, nous avons dit la nécessité d'être mieux accompagnés par les assurances en cas de crise ; nous sommes confrontés sur ce point à un problème de réassurance, il faut donc avancer sur ce dossier. Le passage à 8 ans de la période de calcul de la moyenne olympique prise en compte dans le calcul des pertes constitue une avancée.
Je veux souligner votre conclusion : nous voyons une lame de fond arriver, qui va à l'encontre de ce que prévoyaient les traités, lesquels visaient à ce que le territoire européen nourrisse les Européens : le signal donné va remettre en cause l'Europe agricole, alors qu'elle n'a jamais été aussi nécessaire et qu'on nous l'envie dans le reste du monde.
M. Didier Marie. - Je m'inquiète à double titre : les discussions sont engagées sur la nouvelle PAC mais séparément de celles sur le cadre financier pluriannuel, alors que les deux dossiers sont évidemment liés : la PAC est fondue dans une enveloppe globale où son avenir est mis en suspens. Je m'inquiète ensuite de la portée réelle de la simplification : autant la Commission est dans son rôle en simplifiant les normes, l et personne ne conteste l'objectif de simplification, autant la Commission sort de son rôle quand la simplification conduit à la déréglementation. Or, c'est le cas ici : le Parlement européen, dans une alliance politique contraire à ses habitudes, a supprimé des normes environnementales relatives à la protection des zones humides et des prairies ; il ne faudrait pas tourner le dos aux engagements pris dans le Pacte vert, comme cela a été le cas avec les Omnibus CS3D et CSRD où l'UE s'est désengagée sur le plan environnemental. Moins de paperasse, oui, mais pas au détriment de la qualité de notre alimentation et de notre environnement.
Mme Mathilde Ollivier. - Lors de la crise de l'an passé, on a beaucoup entendu que les agriculteurs français subissaient une concurrence déloyale de leurs voisins européens qui ne sont pas soumis aux mêmes standards environnementaux. L'élaboration de standards communs mettrait les agriculteurs sur un pied d'égalité - alors qu'en voulant redonner la responsabilité à l'échelon national, on prend le risque d'augmenter la distorsion de concurrence : cela me paraît contradictoire. Alors que les zones humides sont un poumon pour la captation de carbone, 60-70 % de nos sols sont de mauvaise qualité et 31 % de nos masses d'eau souterraines sont polluées : il faut agir et adopter des règles ambitieuses de protection des cours d'eau.
Mme Pascale Gruny, rapporteur. - Merci pour vos interventions. Sur l'assurance, vous avez raison, il faut avancer. Le cadre financier européen est bien sûr décisif, et il y a de quoi s'inquiéter d'après ce qui filtre des discussions. Je vous rejoins aussi pour dire que, derrière un titre laissant penser à des ajustements mineurs, cet Omnibus a une portée importante.
Les agriculteurs français ne sont pas opposés à la dérégulation, ils connaissent l'état des sols et s'en soucient - mais la Commission européenne est allée trop vite ettrop fort dans un sens, puis elle freine aujourd'hui. En réalité, la renationalisation suit le véritable détricotage de la PAC initié par la Commission et la PAC est devenue une politique de moins en moins commune. L'Allemagne soutient ses agriculteurs davantage que nous. Cette situation est préjudiciable, car nous progresserons moins en Europe si nous agissons séparément.
M. Jean-François Rapin, président. - En examinant de près les choses, nous constatons qu'en euros constants, la PAC va diminuer. La Commission rétorque que ce n'est pas le cas, dès lors que les États membres auront la capacité de mobiliser une partie de leur enveloppe nationale en faveur de la PAC ; mais l'ampleur de ce financement va dépendre de leurs marges de manoeuvre budgétaires, ainsi que des arbitrages réalisés entre les différentes politiques à financer. La France est l'un des rares pays bénéficiaires de la PAC, nous allons le rester mais nous sommes face à un véritable mur budgétaire. C'est pourquoi le groupe PAC devra prendre des positions fortes, et demander au Gouvernement de les défendre dans les négociations à venir. Nous sommes le grenier de l'UE et nous devons le rester. Il y a de toute évidence un décalage entre les chiffres et le discours, ce qui doit nous conduire à rester très vigilants pour défendre nos positions. Je crois, aussi, que nous devons faire un peu de politique : les extrêmes proposent de renationaliser la PAC, en avançant que la France disposerait alors de 7,5 milliards d'euros chaque année- mais ce qu'il faut dire clairement, ce sont les conséquences d'un tel changement : la concentration des grandes exploitations s'accélèrerait, au détriment des petites, au prix d'une plus grande paupérisation des agriculteurs. La Commission européenne penche pour la renationalisation de la PAC, nous devons nous y opposer, sur tous les bancs républicains.
Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant le règlement (UE) nº 1308/2013 en ce qui concerne le programme en faveur de la consommation de fruits, de légumes et de lait à l'école (« programme de l'UE à destination des écoles »), les interventions sectorielles, la création d'un secteur des protéagineux, les exigences applicables au chanvre, la possibilité d'instaurer des normes de commercialisation applicables au fromage, aux protéagineux et à la viande, l'application de droits à l'importation additionnels, les règles relatives à la disponibilité des approvisionnements en situation d'urgence et de crise grave, et les garanties - Examen de la proposition de résolution européenne portant avis motivé sur la conformité au principe de subsidiarité
M. Jean-François Rapin, président. - Nous examinons maintenant une proposition de résolution européenne portant avis motivé sur la conformité au principe de subsidiarité sur la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant le règlement (UE) nº1308/2013.
Mme Pascale Gruny, rapporteur. - Le 9 juillet dernier, dans le cadre de sa stratégie pour une Union de la préparation, la Commission européenne a présenté une stratégie de constitution de stocks à l'échelle de l'Union.
Partant du constat que les chocs récents, comme la pandémie du Covid-19 ou le conflit en Ukraine, ont mis en exergue les vulnérabilités des chaînes d'approvisionnement de l'Union en produits médicaux, en énergie, en produits agroalimentaires et en matières premières critiques, cette stratégie vise à sécuriser l'accès aux biens essentiels en cas de crise graves, de longue durée, complexes et transfrontières.
Plusieurs propositions ont vu le jour pour assurer la déclinaison de cette stratégie, à commencer par la proposition de règlement sur les médicaments critiques, à propos duquel le Sénat a adopté un avis motivé, et celle relative au mécanisme de protection civile de l'Union européenne, qui va faire l'objet d'un examen approfondi au regard du respect des principes de subsidiarité et de proportionnalité.
Sur le plan agricole, la Commission a ainsi présenté, le 17 juillet dernier, ses propositions pour le prochain cadre financier pluriannuel, ainsi que pour la future politique agricole commune (PAC). Parmi les propositions de modifications du règlement portant organisation commune des marchés dans le secteur agricole (dit « règlement OCM »), figure l'introduction d'un nouveau chapitre intitulé « Disponibilité des approvisionnements en cas d'urgence et de crise grave », comprenant cinq articles destinés à mettre en oeuvre la stratégie de l'Union en matière de stockage dans le secteur alimentaire.
Avant d'entrer dans le détail de ces articles, il me semble important de préciser que les différents dispositifs proposés sont encore en cours d'analyse par les autorités françaises et n'ont encore fait, à ce jour, l'objet d'aucun échange technique avec la Commission. Comme me l'ont précisé mes interlocuteurs de la représentation permanente de la France à Bruxelles et du ministère de l'agriculture, la proposition de révision du règlement OCM va faire l'objet de nombreux échanges dans le cadre plus global des négociations sur le futur CFP et sur la PAC post-2027, qui vont durer au moins jusqu'à fin 2026, dans la perspective d'une entrée en vigueur au 1er janvier 2028.
À l'aune de ce calendrier, force est de constater que nous nous situons très en amont de la procédure législative ; néanmoins, le contrôle de la subsidiarité des textes européens doit s'exercer dans des délais très courts, puisque nous disposons seulement de huit semaines à compter de la transmission d'un texte pour émettre un avis motivé.
Or, dans le cas présent, malgré le caractère encore très parcellaire des éléments d'analyse qui m'ont été transmis, un certain nombre de réserves peuvent - et doivent - d'ores et déjà être formulées.
En effet, depuis la crise du Covid-19, puis le déclenchement de la guerre en Ukraine, les enjeux relatifs à la sécurité des approvisionnements figurent de facto au coeur des débats européens et ont justifié diverses initiatives de la Commission, pour évaluer les dépendances en termes d'importations, ainsi que les éventuelles vulnérabilités des chaînes d'approvisionnement. Cependant, la présente proposition franchit une étape supplémentaire, puisqu'elle introduit, pour la première fois dans un texte agricole, des dispositions relatives au stockage alimentaire et à la réaction face aux crises.
Or, la préparation et la réaction face aux crises relèvent de la protection civile, domaine qui constitue une compétence des États membres et dans lequel l'Union ne dispose que d'une compétence d'appui, au terme de l'article 196 du TFUE.
Par conséquent, plusieurs dispositions qui seraient introduites dans le règlement OCM ne paraissent pas conformes au respect du TFUE, en ce qu'elles ne respectent pas les prérogatives décisionnelles des États membres en matière de définition de la stratégie de préparation et de réponse aux crises.
Premièrement, le nouvel article 222 quater instaure l'obligation, pour les États membres, d'établir un plan national de préparation et de réaction face aux crises, dont le contenu serait largement encadré par la Commission. Or, selon les informations qui m'ont été transmises, près de quinze États membres sont d'ores et déjà dotés de plans nationaux destinés à mettre en oeuvre des stratégies de stockage alimentaire. Pour ces derniers, il y a tout lieu de craindre que la proposition ne vienne fragiliser les dispositifs déjà mis en place au niveau national.
En parallèle, pour les États membres ne disposant pas de stocks alimentaires dédiés, comme la France, la mise en oeuvre de ce texte nécessitera d'importants efforts de coordination et d'harmonisation, liés à l'obligation d'élaborer un plan de préparation, de créer des mécanismes de suivi et d'alerte, de répartir les rôles entre les autorités compétentes à tous les niveaux territoriaux, de définir les modalités de coopération avec les acteurs du secteur privé, ou encore de mettre en place de protocoles de communication d'urgence.
En tout état de cause, la proposition législative se traduira inévitablement par un accroissement significatif des charges administratives pesant sur les États membres.
La proposition instaure, deuxièmement, de nouvelles obligations relatives à la gestion des stocks agricoles. Si, a priori, il n'impose pas aux administrations nationales de constituer des stocks, le nouvel article 222 quinquies définit les modalités selon lesquelles les États membres devront gérer les réserves de produits agricoles, quand ils ont fait le choix d'en constituer. Ce même article confère des compétences d'exécution particulièrement étendues à la Commission, si bien que la proposition entretient un certain flou s'agissant des attentes règlementaires obligatoires qui pourraient être formulées auprès des États membres.
Il m'a été indiqué que la constitution de stocks de produits agricoles n'était pas nécessairement la voie privilégiée par les autorités françaises pour répondre à l'enjeu de préparation et de résilience. Ces réflexions, dans notre pays, s'inscrivent dans le cadre de la stratégie de résilience dans le domaine de la défense et de la sécurité nationale, autour des deux objectifs principaux qui sont de répondre à une urgence vitale, et d'assurer la souveraineté économique du pays et la continuité économique des activités. En pratique, différents leviers d'action sont mobilisés en synergie pour répondre à ces objectifs, comme l'adaptation des chaînes de production, la mobilisation de la chaîne logistique, le recours ponctuel à des stocks, ou encore le renforcement des capacités de production sur le territoire national.
Dans ce contexte, la question des stocks stratégiques s'avère indissociable de celle, bien plus large, de la stratégie de préparation et de réaction face aux crises.
Troisièmement, le nouvel article 222 septies crée pour les États membres une obligation de partage des données « en temps réel ». Ainsi, en cas de crise grave ou d'urgence, la Commission européenne pourra, « exiger des États membres et des opérateurs qu'ils lui communiquent des rapports en temps réel sur les stocks publics et privés [...] en vue de garantir l'approvisionnement de ces produits dans l'Union ».
Indépendamment de la charge administrative qu'elle crée pour les États membres, cette disposition interroge sur le rôle central qu'elle confie à la Commission. Il y a tout lieu de croire que la proposition pose les premiers jalons d'une mutualisation des stocks stratégiques nationaux. Cette hypothèse est d'autant plus crédible que le nouvel article 222 quinquies, relatif aux réserves de produits agricoles, précise expressément que la Commission pourra adopter des actes d'exécution fixant les règles « relatives à la mise en oeuvre de mécanismes volontaires de solidarité et d'assistance mutuelle par lesquels les États membres mettent une partie de leurs réserves à la disposition d'un autre État membre confronté à de graves pénuries ». Si, à ce stade, la proposition n'impose aucune obligation de partage des stocks, il n'en reste pas moins qu'elle esquisse cette possibilité en rendant obligatoire le partage des données en matière de réserves agricoles.
Quatrièmement, enfin, de grandes inconnues subsistent quant à la gouvernance envisagée pour le futur mécanisme européen de préparation et de réaction aux crises de sécurité alimentaire (nouvel article 222 sexies). En pratique, ce dispositif semble s'inspirer du mécanisme européen permanent de préparation et de réactions aux crises de sécurité alimentaire (EFSCM), dispositif sui generis mis en place dans le cadre du plan d'urgence destiné à garantir l'approvisionnement et la sécurité alimentaires, adopté en 2021 à la suite de la pandémie du Covid-19.
Si le choix d'un organisme spécifiquement dédié à la sécurité des approvisionnements dans le secteur agricole va dans le bon sens, en écartant la perspective d'une gouvernance globale et transversale des stocks dans les différents secteurs, nous n'avons que très peu d'informations sur le rôle exact que la Commission entend jouer dans ce mécanisme, ni sur les prérogatives qui seraient les siennes au sein de cette instance. Rien ne garantit, à ce stade, que la Commission européenne ne s'arroge des compétences décisionnelles directes, cantonnant les États membres à un rôle essentiellement logistique.
Voici, mes chers collègues, les différents points de vigilance identifiés après analyse de ce texte ; sur cette base, je vous propose d'adopter le présent avis motivé, par lequel le Sénat estime que les articles 222 quater, 222 quinquies, 222 sexies et 222 septies de la proposition de révision du règlement OCM ne sont pas conformes, dans leur rédaction actuelle, au principe de subsidiarité.
M. Didier Marie. - Ce sujet n'est pas anecdotique. Cette proposition de règlement européen, issue du rapport que l'ancien président finlandais Sauli Niinistö a rendu il y a un an à la Commission européenne, vise à doter l'Union et les États membres d'outils de préparation et de capacités de réaction face aux crises, tirant des enseignements de la crise sanitaire et de l'agression russe contre l'Ukraine. Il y a un consensus large sur la nécessité de constituer des stocks stratégiques dans de nombreux domaines comme l'énergie, la défense, le sanitaire, ou encore l'agroalimentaire. Reste à en définir les modalités, c'est l'objet de cette proposition de règlement, sur laquelle les autorités françaises ne se sont pas encore prononcées. Il me semble qu'un problème de subsidiarité se poserait seulement si la Commission européenne devenait le gestionnaire des stocks stratégiques. Or, ce n'est qu'un risque dans les textes que nous examinons : dans ces conditions, il me semble que notre avis motivé devrait être moins comminatoire et qu'il devrait davantage appeler à la précaution sur la répartition des rôles, par exemple.
M. Jean-François Rapin, président. - À quels paragraphes faites-vous référence, plus précisément ?
M. Didier Marie. - Au paragraphe 9, la rédaction peut faire entendre que nous réfuterions la constitution de stocks stratégiques, alors qu'elle est utile, par précaution.
M. Jean-François Rapin, président. - Ce paragraphe 9 indique plutôt que l'obligation faite par le projet de règlement aux États membres d'établir un plan national dont le contenu est défini par la Commission européenne ne respecte pas le principe de subsidiarité.
M. Didier Marie. - Je ne suis pas sûr que ce paragraphe soit lu de la sorte, je crains qu'on y voie une réticence de notre part à la constitution de stocks stratégiques.
Mme Pascale Gruny, rapporteur. - Attention, il faut bien comprendre que notre pays ne privilégie pas toujours le stockage de précaution, il y a d'autres outils à mobiliser - et nous devons avoir la maîtrise de notre préparation face aux crises, c'est l'application même des traités puisqu'il s'agit d'une compétence nationale.
M. Didier Marie. - Au paragraphe 10, la proposition d'avis écrit que la nouvelle obligation pour les États membres d'établir un plan national de préparation et de réaction face aux crises, « dessine en creux la perspective d'une mutualisation des stocks agricoles à l'initiative de la Commission européenne » : ici aussi, attention à la formulation - je comprends qu'on alerte contre le risque d'une mutualisation obligatoire, qu'on demande des précisions, mais pourquoi écrire que l'obligation de mutualiser est déjà dans le texte, qu'est-ce à dire que le texte « dessine en creux » une telle obligation ? Cette formulation me gêne.
M. Daniel Gremillet. - Les stocks sont une chose, mais la préparation face aux crises est plus large, il faut parler aussi de la distribution - car rien ne sert de stocker si on ne peut pas distribuer les stocks. Pendant la crise sanitaire, on a vu l'importance de la distribution, il faut en tenir compte ; c'est vrai pour l'alimentaire, aussi bien que pour l'énergie. C'est aussi ce qui donne tout son sens à la subsidiarité, il faut la préserver. En réalité, nous devons nous projeter dans la crise et voir comment on pourra continuer à produire en cas de crise grave, de conflit - c'est aussi important que la constitution de stocks, il faut en parler.
Mme Audrey Linkenheld. - Ce sujet est majeur, puisqu'on parle en réalité de la capacité de l'Europe à faire face à des crises fortes qui, malheureusement, risquent de se produire encore. Je me demande si on ne confond pas obligation de résultats et de moyens ; nous souhaitons une Europe plus directive face aux crises, cela passe par des obligations de moyens, avec des plans nationaux - ou bien s'attache-t-on à des obligations de résultats, ce qui nous contraint à suivre des recommandations européennes forcément bureaucratiques ? Et je rejoins Daniel Gremillet : suffit-il de prévoir qu'en cas de crise on aura des réserves, y compris de produits fabriqués ailleurs, alors que ce qui compte, c'est aussi de produire en Europe et de pouvoir continuer à le faire en cas de crise ?
Mme Pascale Gruny, rapporteur. - D'après mes informations, il n'y a pas eu d'échanges techniques entre la Commission européenne et les États membres en amont de la présentation de cette proposition législative, alors que nous sommes sur une compétence nationale. La crise sanitaire a fait que nous demandons plus d'Europe pour se protéger des risques de crise, mais il faut faire attention à la manière dont nous le faisons et respecter les prérogatives des États membres.
M. Didier Marie. - S'il y a une carence de dialogue, il faut la signaler. Cependant, sur le fond, nous sommes d'accord pour que la Commission européenne se dote d'outils face aux crises qui peuvent se produire, notamment géopolitiques. Cela se traduit par des initiatives pour créer des stocks de médicaments et d'énergie. La Commission doit jouer un rôle de coordination et d'incitation à ce que les États membres se dotent d'outils nouveaux. La Commission européenne deviendrait-elle responsable de cette préparation, serait-elle l'autorité gestionnaire des stocks ? Ce serait un problème. Ou bien reste-t-elle incitatrice, coordinatrice, y compris en gérant de l'information sur les stocks ? Cela peut être utile. En réalité, le débat porte sur le niveau de subsidiarité. Nous formulons aujourd'hui un avis motivé, pas une résolution, nous devons faire attention à ne pas remettre en cause la nécessité de constituer des stocks stratégiques. C'est pourquoi je pense qu'il faut atténuer l'aspect comminatoire de la rédaction.
M. Jean-François Rapin, président. - Je crois que notre rapporteur en est bien d'accord - je lui fais confiance pour vous donner satisfaction. Il me semble important que notre vote soit unanime sur cet avis motivé, ce sera un point de départ plus solide pour la suite du processus : nous n'en sommes qu'au tout début, nous avons du temps pour y revenir en adoptant un avis politique et une proposition de résolution qui examineront plus en avant les limites de la subsidiarité, comme vous vous en inquiétez utilement - ce qui est le cas de chacun d'entre nous.
M. Daniel Gremillet. - Nous voterons cet avis motivé, il est très important de s'exprimer sur la préparation des crises à l'échelle du continent européen, car la constitution de stock n'est qu'une dimension du problème, il ne faut pas négliger la production ni la distribution.
M. Didier Marie. - Ni la mutualisation possible entre pays européens, c'est un élément important également. Nous avons exprimé des réserves, elles sont prises en compte, nous voterons cet avis motivé : l'unanimité du Sénat est effectivement un levier pour être mieux entendus.
Mme Pascale Gruny, rapporteur. -
Je propose la rédaction suivante du paragraphe 10 : « par ailleurs, l'article 222 septies, que la proposition de règlement COM(2025) 553 final propose d'introduire dans le règlement (UE) n° 1308/2013, crée une nouvelle obligation pour les États membres, en cas de crise grave ou d'urgence, de partage des données en temps réel s'agissant de l'état des stocks publics et privé. Ceci pourrait permettre une mutualisation des stocks agricoles à l'initiative de la Commission européenne, ce qui n'apparaît pas conforme au principe de subsidiarité »
La commission adapte la proposition de résolution européenne portant avis motivé à l'unanimité.
M. Jean-François Rapin, président. - Merci à tous.
La réunion est close à 10 h 45.