Mardi 28 octobre 2025

- Présidence de M. Laurent Lafon, président -

La réunion est ouverte à 16 h 35.

Projet de loi de finances pour 2026 - Audition de Mme Rachida Dati, ministre de la culture

M. Laurent Lafon, président. - Mes chers collègues, nous accueillons aujourd'hui Mme Rachida Dati, ministre de la culture, pour la traditionnelle audition budgétaire d'automne.

Madame la ministre, votre domaine de compétence recouvre des secteurs variés, qui ont pour point commun d'exprimer de fortes attentes.

Sur le patrimoine, le projet de loi de finances (PLF) marque une rupture profonde par rapport au dernier exercice budgétaire.

En 2025, les crédits du programme 175 « Patrimoines » avaient été d'abord préservés, puis fortement renforcés par un amendement gouvernemental présenté devant le Sénat. Vous nous indiquiez alors, madame la ministre, que cet abondement était indispensable face au « mur d'investissements » qui s'annonçait, et signait votre volonté de faire du patrimoine votre « grande priorité ».

Dans le projet de loi de finances pour 2026, ce sont ces mêmes crédits qui subissent les plus importantes mesures d'économies au sein de la mission « Culture », avec une diminution de près de 20 % en autorisations d'engagement (AE). La baisse est spectaculaire sur les crédits d'investissement des opérateurs, réduits de moitié.

Nous sommes bien sûr conscients du contexte budgétaire. Néanmoins, l'ampleur de cette baisse a de quoi surprendre, alors que de nombreux chantiers sont en cours, et que le cambriolage du Louvre a mis en évidence la dégradation et l'obsolescence de certains de nos monuments les plus emblématiques. Le projet Louvre - Nouvelle Renaissance doit ainsi être mis en place, notamment dans ses aspects sécuritaires ; la commission de la culture, qui s'est rendue au Louvre ce matin, a pu constater de visu que ses installations de sécurité n'étaient pas adaptées aux enjeux auxquels doit faire face un musée de cette importance au début du XXIe siècle.

Pourriez-vous donc nous préciser, madame la ministre, quels projets et quels chantiers patrimoniaux se trouveront sinon remis en cause, du moins fortement ralentis par ce budget ? Comment envisagez-vous de prendre en compte la problématique de la sécurité, en étendant cette réflexion à l'ensemble des musées français ?

Le domaine des industries culturelles, pris au sens large, appelle également toute votre attention.

Il est à nouveau annoncé un prélèvement de 15 millions d'euros sur le fonds de soutien à l'expression radiophonique locale (FSER), comme l'année dernière. Vous aviez finalement obtenu un maintien de ces crédits ; qu'en sera-t-il cette année ?

Nous observons par ailleurs une baisse de la subvention au Centre national de la musique (CNM) de près de 7 millions d'euros, en contrepartie, il est vrai, d'un rehaussement des plafonds des deux taxes affectées. Pourriez-vous nous préciser votre vision à moyen terme de l'équilibre économique de ce nouvel opérateur ?

Vous évoquerez sans doute également à nouveau le projet de loi issu des États généraux de l'information (EGI), actuellement examiné par le Conseil d'État, et dont le calendrier d'examen reste flou. La question de la réforme de la distribution de la presse est toujours posée, à la suite de la mission Soriano. En attendant, la nouvelle baisse de certaines aides nous interroge, notamment en ce qui concerne le fonds stratégique pour le développement de la presse (FSDP).

S'agissant du cinéma, une nouvelle ponction, certes limitée, est prévue sur la trésorerie du Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC), mais ce sont surtout les velléités de diminution des crédits d'impôt qui posent question, du fait de leurs répercussions possibles sur l'industrie cinématographique nationale.

Le secteur de la création artistique continue, quant à lui, de subir les effets du fléchissement généralisé des budgets publics consacrés à la culture, que l'Observatoire des politiques culturelles (OPC) qualifie de « moment de bascule très net ». Selon son baromètre national, près de 50 % des régions, départements, communes et métropoles ont diminué, entre 2024 et 2025, leur budget culturel, et ce quel que soit leur bord politique. Ce contexte budgétaire inédit fragilise et interroge le principe des financements croisés sur lequel sont bâtis de nombreux dispositifs en faveur de la création. Tel est notamment le cas du plan Mieux produire, mieux diffuser, dont vous nous parlerez sans doute, madame la ministre. L'année dernière, vous nous aviez dit vouloir mener une réflexion globale sur le modèle économique du spectacle vivant. Un an plus tard, avez-vous avancé sur ce dossier ?

En matière de démocratisation culturelle, cette année est marquée par le déploiement de la réforme de la part individuelle du pass Culture, dont nous avions beaucoup débattu lors de l'examen du PLF pour 2025. Vous nous direz si celle-ci est désormais pleinement opérationnelle et quels en sont les premiers effets sur les comportements des jeunes. Sur le plan budgétaire, l'enveloppe consacrée à cette part individuelle continuera de décroître l'année prochaine. Si ce recalibrage tant stratégique que budgétaire du dispositif était nécessaire, nous nous interrogeons sur le contenu à venir de la politique de démocratisation de l'accès des jeunes à la culture, dont le pass était devenu le dispositif phare, et ce d'autant que sa part collective a été gelée en cours d'année, entraînant l'annulation de certaines actions d'éducation artistique et culturelle.

Enfin, les crédits de l'audiovisuel public poursuivent une trajectoire de décroissance jusqu'en 2028, avec une baisse de 71 millions d'euros l'an prochain, après une diminution déjà significative l'an dernier.

Cet effort, supporté pour une large part par France Télévisions, place les sociétés dans une situation complexe. La Cour des comptes a récemment attiré l'attention sur la fragilité du modèle économique de France Télévisions, qualifié d'impasse. Par ailleurs, la réduction des crédits de l'audiovisuel public peut avoir des conséquences économiques négatives en chaîne dans l'ensemble de la filière audiovisuelle.

Dans ce contexte, les ambitions de l'État demeurent floues, en l'absence de contrats d'objectifs et de moyens (COM). Or, étant donné la réduction des subventions budgétaires, il revient au ministère de préciser la nature des gains d'efficience souhaités. La réforme de la gouvernance adoptée au Sénat en juillet dernier est par ailleurs indispensable.

Mais ces questions, pourtant essentielles, sont parasitées par la polémique sur l'impartialité de l'audiovisuel public. Des garanties doivent être apportées afin de lever toute ambiguïté et de consolider la confiance du public.

Voilà, madame la ministre, quelques-uns des nombreux sujets sur lesquels nous attendons vos explications. Après votre intervention liminaire, vous serez interrogée par nos rapporteurs pour avis, puis par les collègues qui le souhaiteront.

Mme Rachida Dati, ministre de la culture. - Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, avant de débuter cette audition majeure relative au budget du ministère de la culture, je souhaite revenir sur le vol spectaculaire qui a eu lieu au musée du Louvre le dimanche 19 octobre. Je souhaite faire le point sur ce cambriolage qui a choqué tous les Français, et même le monde entier, mais aussi les 2 200 agents du musée.

Lors de ce vol, il n'y a pas eu de défaillance interne des dispositifs de sécurité qui étaient installés à cette date : les alarmes ont fonctionné ; les agents ont suivi à la lettre les protocoles qui doivent s'appliquer dans de telles circonstances ; les effectifs prévus étaient en salle. Il est essentiel que soit reconnue la réactivité des agents du Louvre, qui a permis d'alerter les forces de police dans la minute et de mettre en sécurité le public présent dans le musée. Pour autant, le fait que ce vol spectaculaire ait eu lieu représente bel et bien un échec.

Des failles sécuritaires ont bien existé, et il faudra y remédier. C'est tout le sens des trois initiatives que j'ai prises immédiatement.

Le lundi 20 octobre, soit le lendemain du cambriolage, j'ai adressé un télégramme, cosigné avec le ministre de l'intérieur, à l'ensemble des directions régionales des affaires culturelles (Drac) et aux préfets afin qu'ils exercent immédiatement une vigilance accrue à l'égard des espaces et des oeuvres sensibles, que l'échange d'informations entre les établissements culturels et les forces de sécurité soit renforcé et que soient recensés tous les lieux pouvant contenir des objets de valeur.

Le mardi 21 octobre, j'ai annoncé l'ouverture d'une enquête administrative dont les conclusions, rédigées sur la base de nombreuses auditions et analyses de documents internes, seront rendues mercredi soir prochain.

Le même jour, j'ai annoncé devant l'Assemblée nationale l'ouverture de la mission parlementaire confiée par le Premier ministre, sur ma proposition, à M. Jérémie Patrier-Leitus, dont le rôle sera d'émettre des préconisations rapides sur la manière de mieux sécuriser nos établissements culturels en agissant sur la gouvernance, le process, le pilotage et le financement.

Les conclusions de l'enquête administrative et de la mission parlementaire nous permettront de faire toute la lumière sur les défaillances, les manquements et les responsabilités. Je prendrai en toute transparence les mesures qui s'imposent à cet égard, d'une part, pour sécuriser très rapidement le musée, et, d'autre part, en vue d'instaurer une nouvelle organisation, plus adaptée.

À ce stade, je ne peux pas en dire plus.

J'entends certains demander qu'une tête tombe... Vous comprendrez que l'arbitraire ne peut avoir sa place dans de telles circonstances. Pour autant, les mesures que j'annoncerai seront une réponse aux manquements et aux défaillances constatés. Un tel événement ne peut pas rester sans conséquences, ni sans action immédiate en ce qui concerne les responsabilités.

Je vais désormais aborder le projet de budget du ministère de la culture pour 2026.

Chacun d'entre vous connaît le contexte dans lequel ce projet de budget prend place, et dont j'ai pleinement conscience. Je souhaite avoir avec vous un débat très éclairé sur chacune des missions du ministère de la culture, les enjeux à venir et les défis à relever, qu'il est essentiel d'identifier compte tenu des urgences auxquelles la France est confrontée et de la nécessité de rétablir nos finances publiques.

Dans ce double contexte, le projet de budget pour 2026 maintient un très haut niveau d'ambition pour la culture. Les priorités qu'il porte, que je détaillerai, ainsi que la conduite de l'action du ministère obéiront à la même ambition.

Je considère que la culture est une politique régalienne dans toutes ses dimensions : cohésion, intégration, réduction des inégalités et apprentissage tout au long de la vie des valeurs de la République. La culture française est, d'ailleurs, une valeur républicaine. Ce projet de budget en est la traduction.

Le niveau du budget total du ministère de la culture pour 2026, soit plus de 8,3 milliards d'euros, est supérieur à celui de 2023. Tous les secteurs disposeront des moyens nécessaires pour répondre aux enjeux que je viens de vous décrire.

S'agissant de la création artistique, les moyens alloués cette année au programme 131 « Création » demeureront à un niveau quasiment équivalent à celui de 2025, avec plus de 1 milliard d'euros de crédits prévus. La moitié de ces crédits, soit 450 millions d'euros, sera consacrée à nos territoires. Il s'agit pour moi d'une priorité constante depuis mon arrivée au ministère de la culture : dans un contexte où les acteurs souffrent du désengagement de certaines collectivités, l'État se doit d'être exemplaire et présent en particulier pour ceux qui sont le plus éloignés de la culture, notamment dans les territoires ruraux. Ces crédits renforceront le plan Culture et ruralité que j'ai lancé dès que j'ai pris mes fonctions : à ce jour, 60 millions d'euros y ont déjà été consacrés, en deux ans.

Les résultats sont tangibles : 70 festivals soutenus dans l'Hexagone et dans les outre-mer ; 4 millions d'euros consacrés aux projets d'artothèques dans 43 départements, afin que ceux-ci puissent enrichir leurs collections et fassent entrer l'art dans le quotidien de millions de Français ; 240 résidences d'artistes soutenues par les Drac au cours des deux dernières années. Par ailleurs, un tiers de la dotation du programme 131 contribuera au financement des 14 opérateurs nationaux de la création, qui bénéficieront de près de 363 millions d'euros.

Le soutien à l'emploi artistique se poursuivra en 2026. Dans ce contexte où tout peut être remis en cause, j'ai obtenu - et c'est un engagement que j'avais pris devant les organisations syndicales - la prorogation du fonds national pour l'emploi pérenne dans le spectacle (Fonpeps). Il n'y a donc pas de renoncement quant au soutien à l'emploi pérenne dans le spectacle.

Mon ambition en matière de création artistique, en particulier dans les territoires, est intacte : la culture doit être accessible à tous les Français et dans tous les territoires.

Le vol qui a eu lieu au musée du Louvre nous montre combien il est important de défendre et de soutenir notre patrimoine et nos musées. Il s'agit d'un engagement constant du Président de la République puisque, entre 2017 et 2025, le budget du patrimoine a augmenté de 39 %. Ceux qui affirment que le patrimoine est une variable d'ajustement ne disent donc pas la vérité.

Dans le dernier budget, alors même que les contraintes budgétaires étaient importantes, un amendement gouvernemental a permis d'abonder le budget du patrimoine de plus de 275 millions d'euros. Grâce à votre soutien, monsieur le président Lafon, le budget du patrimoine a bénéficié de cette augmentation inédite, et je vous en remercie.

Nous défendons sans relâche la conviction que le patrimoine est la première porte d'entrée vers la culture. Cette année, plus de 1,15 milliard d'euros y sera consacré. Ces crédits permettront la poursuite des projets en cours : rénovation du Centre Pompidou, qui a fermé ses portes le week-end dernier ; préservation et modernisation de plusieurs établissements - Fontainebleau, Versailles, archives nationales à Pierrefitte-sur-Seine - ; restauration du Palais de la Cité, consolidation de la Tour Saint-Nicolas à la Rochelle, etc.

Investir dans le patrimoine et dans la création artistique n'a de sens que si tous nos concitoyens, où qu'ils vivent, ont accès non seulement à la culture mais aussi aux métiers de la culture. Tel est l'objet du programme 361 « Transmission des savoirs et démocratisation de la culture », doté de 723 millions d'euros, autant de moyens permettant de poursuivre le déploiement des politiques publiques d'accès à la culture. Dans cette enveloppe, j'ai fait le choix de la formation, de la médiation, de l'égalité des chances, de l'accompagnement, du soutien aux équipements culturels et aux écoles.

S'agissant du pass Culture, j'avais dit dès ma prise de fonctions que cet outil, indispensable, devait être mieux ciblé, mieux géolocalisé - ce n'était pas le cas à l'époque - et plus diversifié pour empêcher qu'il ne devienne un outil de reproduction sociale. Pour cette raison, j'ai recentré ce dispositif sur les jeunes âgés de 17 à 21 ans, avec un bonus de 50 euros pour ceux dont les parents ont des revenus modestes et pour les jeunes en situation de handicap, afin que cet outil soit plus équitable. J'ai souhaité aussi y intégrer de la médiation, ce qui n'existait pas auparavant.

Ce dispositif ainsi renouvelé a permis de favoriser l'accès à la culture dans les territoires et de donner accès à de nouvelles formes de culture grâce, notamment, à la médiation. Davantage de jeunes ont accès à la culture, dans davantage d'endroits et sous des formes plus diverses, tout en s'ouvrant aux métiers de la culture.

Concrètement, la part individuelle du pass Culture représentait près de 12 millions de réservations en 2024. Près de 45 % de ces réservations concernent des offres Duo. C'est la preuve que le pass Culture est aussi un outil au service du partage et du lien social.

Au travers de la part collective du pass Culture, plus de 70 % des élèves du secondaire ont bénéficié d'une action d'éducation artistique et culturelle (EAC), ce qui représente une forte augmentation, laquelle est liée à la nouvelle articulation entre part collective et part individuelle du pass Culture : la première permet d'accéder à la culture et la seconde de s'autonomiser dans le domaine des choix culturels. Mais tout n'est pas parfait : il faut chercher à atteindre, encore et toujours, les populations et les jeunes qui n'ont pas accès à la culture.

Concernant la mission « Médias, livre et industries culturelles », le projet de budget prévoit une baisse d'environ 4 % par rapport à 2025. Le Gouvernement est tout à fait conscient que les médias traditionnels évoluent dans un contexte économique de plus en plus dégradé. C'est pour répondre à cet enjeu, qui est aussi un enjeu démocratique, que je présenterai prochainement un texte visant à traduire les recommandations des États généraux de l'information.

Le contexte actuel affecte notamment les éditeurs de presse. Les aides au pluralisme seront donc maintenues à un niveau de 23,2 millions d'euros, tandis que l'aide à la distribution, en baisse d'un tiers l'an dernier, sera relevée en 2026 pour accompagner la modernisation des réseaux de distribution et d'imprimerie.

La dotation du fonds stratégique pour le développement de la presse est ramenée à 13,5 millions d'euros. En cas de signature d'un contrat de modernisation sur la distribution de la presse, cette enveloppe devra être consolidée.

Un mot de la diminution des moyens alloués au fonds de soutien à l'expression radiophonique locale, en baisse de 16 millions d'euros par rapport à 2025. Je sais le rôle essentiel joué par les radios associatives : je ne doute pas que, comme l'année dernière, nous pourrons leur redonner des moyens et rétablir ces crédits.

En ce qui concerne le programme 334 « Livre et industries culturelles », ses crédits pour 2026 s'établissent à 343 millions d'euros. La baisse contenue à 2 % n'entamera pas les grands projets liés au livre et à la lecture. Je pense notamment au financement du chantier du nouveau pôle de conservation de la Bibliothèque nationale de France (BNF) à Amiens et au relogement de la Bibliothèque publique d'information (BPI) durant la fermeture du Centre Pompidou, qui sont d'ores et déjà financés.

Nous avons choisi de soutenir très fortement les bibliothèques, premier maillage culturel de notre pays, comptant plus de 15 500 établissements. Notre politique permet d'atteindre à ce jour le nombre record de près de 7 millions de personnes inscrites en bibliothèque. À la fin de l'année 2025, nous aurons signé des contrats départementaux de lecture avec 83 départements pour développer la lecture et enrichir les collections des bibliothèques rurales.

J'avais pris un autre engagement au sujet des horaires d'ouverture des bibliothèques. Cette année, plus de 250 projets d'extension de ces horaires ont été soutenus, pour une durée d'ouverture supplémentaire moyenne de neuf heures trente par semaine. Depuis le lancement de cette initiative, 15 millions de nos concitoyens en bénéficient.

Par ailleurs, certains d'entre vous m'ont adressé des courriers au sujet de la Maison du dessin de presse. Le projet a été acté, les travaux débuteront à la fin de 2026 en vue d'une ouverture en 2027. L'ensemble du financement est d'ailleurs prévu dans ce projet de loi de finances.

Pour ce qui concerne le Centre national de la musique, comme je m'y étais engagée, les plafonds des taxes affectées seront relevés de 8 millions d'euros en 2026 et respectivement portés à 58 millions d'euros pour la taxe sur la billetterie et à 21 millions d'euros pour la taxe sur le streaming. Cette mesure permettra d'éviter un écrêtement l'année prochaine, compte tenu des prévisions de recettes. La surfiscalité pesant sur le secteur lui reviendra donc intégralement, conformément à l'engagement que j'avais pris devant vous.

Vous le savez, nous prévoyons de contribuer à l'effort budgétaire à hauteur de 71 millions d'euros pour l'audiovisuel public, répartis ainsi : une baisse de 65,3 millions d'euros pour France Télévisions ; 4,1 millions d'euros pour Radio France ; 1,5 million d'euros pour l'Institut national de l'audiovisuel (INA). C'est vrai, cette trajectoire de baisse des crédits constitue un vrai défi pour France Télévisions et annonce des difficultés importantes pour son écosystème, en particulier celui de la production. Je mesure l'inquiétude qu'elle suscite.

En outre, la priorité est de donner un nouvel élan, un nouveau cap à l'audiovisuel public, en améliorant son efficacité, pour que le service public s'adresse à tous, ainsi que vous l'avez rappelé, monsieur le président. Telle est d'ailleurs l'ambition de la proposition de loi relative à la réforme de l'audiovisuel public et à la souveraineté audiovisuelle du président Lafon, que nous avons défendue ensemble et qui devrait être prochainement examinée par l'Assemblée nationale.

En ce qui concerne le CNC, après le prélèvement sur trésorerie de 500 millions d'euros déjà opéré par le PLF pour 2025, un nouveau prélèvement sur trésorerie est prévu dans le PLF pour 2026 à hauteur de 50 millions d'euros, ce montant ayant été fortement réduit par rapport à celui qui était initialement prévu. Je rappelle avec force que le financement du CNC repose sur des taxes spéciales, dont le produit est reversé aux entreprises du secteur, et ne coûte pas un euro d'argent public au budget de l'État. J'assume ce nouveau prélèvement sur trésorerie, mais il ne saurait être d'un montant supérieur ou être réitéré après 2026. En effet, ce prélèvement n'est possible qu'en raison des rendements de taxes supérieurs aux prévisions, et la trésorerie de l'institution ne peut être de nouveau réduite.

Mesdames, messieurs les sénateurs, depuis mon arrivée au ministère de la culture, j'ai tenu tous mes engagements : favoriser l'accès à la culture, réinvestir les territoires ruraux, défendre notre patrimoine, voilà ce qui guide mon action depuis le premier jour. En témoignent le plan Culture et ruralité, très opérationnel, qui se déploie encore cette année ; la réforme du pass Culture ; l'adoption de l'amendement abondant le programme « Patrimoines » dans le PLF de l'an dernier - je vous en remercie de nouveau - ; l'exonération des droits d'inscription pour les étudiants boursiers dans toutes les écoles d'art - il s'agit d'une première, ces étudiants devant payer des frais de scolarité parfois onéreux - ; la création d'une nouvelle direction générale de la démocratie culturelle, des enseignements et de la recherche dans le ministère, pour se confronter à une situation de l'apprentissage et de l'alternance très compliquée, de nombreuses écoles posant des défis de formation, de reconnaissance des diplômes, de débouchés et de suivi des étudiants ; le lancement du label Éducation populaire pour la culture, parce que les acteurs de l'éducation populaire sont des acteurs majeurs pour l'accès à la culture et la réduction des inégalités - ils n'avaient pas été reçus au ministère de la culture depuis plus de 40 ans - ; les opérations Premières pages et Ma première carte de bibliothèque - celle qui est remise au moment de la déclaration de naissance - ont rencontré un véritable engouement.

Certains ont tenté de mettre en avant un prétendu désengagement de l'État sur la culture ; les chiffres démontrent le contraire. Dans un contexte de désengagement des collectivités, j'ai souhaité que l'État et le ministère soient exemplaires. J'y insiste, la culture est un choix politique. Se désengager de la culture coûterait à mon sens plus cher à la société, notamment en matière de cohésion, que de rester engagé. L'État est au rendez-vous avec ce projet de budget pour 2026, qui témoigne du fait que l'ambition est préservée et renouvelée. Cette audition sera pour moi l'occasion de démontrer, chiffres à l'appui, que nous tenons nos engagements.

M. Laurent Lafon, président. - Madame la ministre, permettez-moi de vous interroger sur le Louvre : le Gouvernement déposera-t-il un amendement visant à augmenter les crédits pour assurer l'application du schéma directeur des équipements de sûreté du Louvre, et un autre amendement ayant pour objet d'accroître la sécurité de l'ensemble des musées ?

Mme Rachida Dati, ministre. - En Europe, nous sommes les seuls à confier au ministère de la culture et à la direction générale des patrimoines et de l'architecture une mission dédiée à la sécurité et à la sûreté de nos musées. À la demande des musées, cette direction sillonne le territoire. Nous apprenons toujours de nos échecs et des situations de crise : nous renforcerons les moyens et les financements de cette direction.

En ce qui concerne le Louvre, je ne veux ni aller trop loin ni anticiper les conclusions de l'enquête administrative. Il est évident que le projet « Louvre - Nouvelle Renaissance » a été accéléré pour faire face à la nécessité d'assurer la sûreté et la sécurité du musée. Il est prévu de doter de 450 millions d'euros le schéma directeur de sûreté et de sécurité de l'établissement, qui comprend 'un volet de 80 millions d'euros relatif aux équipements de sûreté. Dès la remise des conclusions de l'enquête, ces financements seront évidemment accélérés.

En outre, nous sommes en discussion avec les parlementaires au sujet de la création d'un fonds global dédié à la sécurité et à la sûreté de nos musées, pour déterminer les montants qui pourraient lui être affectés.

Mme Sabine Drexler, rapporteur pour avis du programme « Patrimoines ». - Madame la ministre, je vous remercie de votre présentation, très attendue par la commission de la culture. Je m'inquiète de la baisse des crédits affectés au patrimoine dans le PLF pour 2026, alors que les besoins de réhabilitation de notre patrimoine bâti sont immenses, comme vous en conveniez vous-même l'an passé.

La baisse de crédits concerne principalement les monuments historiques, qui perdent 210 millions d'euros en autorisations d'engagement et 114 millions d'euros en crédits de paiement, soit respectivement un tiers et un cinquième de leur budget de l'année dernière.

Cette baisse touchera fortement les opérateurs, notamment le Centre des monuments nationaux (CMN), qui devra pourtant absorber une activité supplémentaire liée à la réouverture des tours de Notre-Dame de Paris et du palais du Tau à Reims, tout en poursuivant notamment les restaurations de la Conciergerie ou de l'abbatiale du Mont-Saint-Michel.

Elle touchera également plusieurs dispositifs cruciaux pour l'entretien et la rénovation des monuments historiques dans les territoires : les crédits d'intervention des directions régionales des affaires culturelles (Drac) reculent de plus de 45 millions d'euros, ceux du fonds incitatif et partenarial (Fip) sont réduits de moitié, tandis que les crédits de base du loto du patrimoine sont tout simplement supprimés.

Madame la ministre, quelles perspectives pouvez-vous donc tracer pour tous les acteurs qui oeuvrent inlassablement à la poursuite des chantiers, dans des conditions de plus en plus difficiles ?

Il semble du reste que le Gouvernement envisage quelques mesures correctives ou complémentaires, sur lesquelles des précisions seraient bienvenues. Le samedi 25 octobre dernier, lors de la séance publique à l'Assemblée nationale, la ministre chargée des comptes publics Amélie de Montchalin a alerté sur la situation du château de Chambord, dont l'une des ailes nécessite des travaux à hauteur de 8 millions d'euros. Prévoyez-vous de déposer un amendement en ce sens ?

Par ailleurs, vous avez vous-même annoncé la mise en place du « fonds sûreté dédié à la sécurisation de nos sites patrimoniaux ». Les établissements de province seront-ils également concernés ?

Dans ce contexte, j'ose à peine vous interroger sur ce qui constitue l'un de mes chevaux de bataille : la préservation du patrimoine bâti dans le cadre des travaux de rénovation énergétique. Comment ce sujet est-il pris en compte dans le cadre de ce projet de loi de finances, et plus largement dans les orientations quotidiennes de votre ministère ? Où en sont, en particulier, les évolutions un temps envisagées sur le développement d'un diagnostic de performance énergétique (DPE) « patrimonial » ?

Mme Karine Daniel, rapporteure pour avis des programmes « Création » et « Transmission des savoirs et démocratisation de la culture ». - Avant d'en venir à mes questions, je souhaite relayer l'inquiétude profonde et légitime des acteurs culturels - artistes, compagnies, structures de diffusion, établissements d'enseignement artistique, associations, collectivités locales - qui voient leurs moyens se réduire année après année.

La culture est aujourd'hui sous tension, prise dans un étau budgétaire : d'un côté, les collectivités locales, pourtant pilier du financement culturel, sont contraintes de réduire leurs interventions en raison de la baisse de leurs ressources ; de l'autre, l'État, qui devrait pourtant jouer un rôle de garant et de stabilisateur, réduit aussi la voilure, en particulier dans les programmes de soutien à la création et à la transmission des savoirs. De même que ma collègue Sabine Drexler, je constate plutôt des baisses de crédits que des hausses des budgets qui nous concernent. Cette double contraction des crédits, tant locale que nationale, fragilise un écosystème déjà éprouvé. Des projets sont annulés, des compagnies disparaissent, des équipes artistiques peinent à boucler leur budget, des écoles d'art craignent pour leur avenir. Derrière les chiffres, ce sont des emplois, des parcours et des ambitions culturelles qui vacillent, et nous devons nous résigner par rapport à nos objectifs d'émancipation et de cohésion.

Pour ce qui concerne le programme 131 « Création », un sujet de préoccupation majeur porte sur la situation du Fonpeps, destiné à soutenir l'emploi pérenne dans le spectacle vivant. Avec des crédits de 35,1 millions d'euros en 2025, le Fonpeps est depuis plusieurs années sous-dimensionné au regard de son utilisation réelle et des besoins qu'il est censé couvrir, estimés autour de 55 millions d'euros. Ce manque de financement conduit à d'importants retards, voire à la suspension du versement des aides aux entreprises artistiques et culturelles, alors que celles-ci connaissent déjà des difficultés de trésorerie.

Le PLF pour 2026 ne changera en rien cette situation puisque la dotation budgétaire proposée pour l'année prochaine, de nouveau de 35,1 millions d'euros, est sous-calibrée. À cette situation s'ajoute la question de la prorogation du fonds, qui arrive à échéance le 31 décembre prochain. Madame la ministre, où en est le travail interministériel actuellement en cours sur l'avenir du dispositif ? Vous engagez-vous à préserver le Fonpeps sous sa forme actuelle, qui comprend trois mesures, ou serez-vous contrainte par Bercy à réduire sa voilure ? À quel périmètre correspond la dotation prévue dans ce projet de budget : l'ancien ou le nouveau ?

Ma deuxième réflexion, plus générale, a pour sujet le financement de la politique publique en faveur de la création. De nombreux dispositifs reposent sur des financements croisés entre l'État et les collectivités ; c'est notamment le cas du plan Mieux produire, mieux diffuser. Si ce système fonctionne bien en période de stabilité budgétaire ou de croissance, sa fragilité est évidente lorsque le contexte budgétaire est dégradé. Le désengagement d'un financeur public a des répercussions en cascade sur l'ensemble de l'écosystème de la création. La situation actuelle montre que nous sommes sans doute arrivés à un point de bascule. Madame la ministre, votre ministère conduit-il une observation précise de la baisse du soutien public à la culture ? Mène-t-il une réflexion sur l'avenir du partage de la compétence culturelle et sur son financement ?

J'en viens au programme 361 « Transmission des savoirs et démocratisation de la culture », qui accuse, pour la deuxième année consécutive, une forte diminution de ses crédits, avec - 37 millions d'euros, largement imputable à la baisse de la dotation attribuée à la part individuelle du pass Culture. Alors que la réforme est en cours de déploiement, l'année 2025 semble marquée par une diminution notable des décaissements, de - 16 % à la moitié de l'année. N'est-ce pas le signe, madame la ministre, que la refonte du dispositif ne prend pas auprès des jeunes, dont le taux de satisfaction est d'ailleurs en baisse selon une enquête de la SAS Pass Culture, mentionnée dans les réponses au questionnaire budgétaire qui a été adressé à votre ministère ? Concernant la SAS, qui deviendra enfin opérateur de l'État le 1er janvier prochain - souhaitons-le ! -, pouvez-vous nous indiquer les grandes lignes de son contrat d'objectifs et de performance après cette mise à jour ?

J'ajoute que le gel de la part collective du pass Culture, qui dépend du ministère de l'éducation nationale, a des effets catastrophiques sur les actions d'éducation artistique et culturelle menées par les établissements scolaires. Cela montre bien que réduire la politique publique d'EAC à un seul outil, qui a été recentralisé, est dangereux.

Un mot au sujet de l'enseignement supérieur artistique : madame la ministre, vous avez annoncé en mars 2024 un plan global de réforme des écoles d'art. Plus d'un an et demi plus tard, qu'en est-il devenu ? Le fonds de soutien partenarial visant à un rebasage pérenne des contributions publiques aux écoles n'a pas été mis en place ; la cartographie de l'offre de formation n'a été réalisée que dans deux régions expérimentales, et nous sommes sans nouvelle des missions confiées aux instances de contrôle pour objectiver la situation financière des écoles. Quelles sont vos intentions et vos marges de manoeuvre pour réformer l'enseignement supérieur artistique public ?

Enfin, je souhaite appeler votre attention sur la mise en oeuvre du plan Culture et ruralité et du fonds d'innovation territoriale. Vous l'avez mentionné, mais de nombreux retours nous montrent que, sur le terrain, alors que ces outils sont présentés comme essentiels dans l'accompagnement des territoires ruraux et périurbains dans la conduite de leurs projets culturels, les collectivités ne savent toujours pas comment accéder concrètement à ces crédits ni selon quelles modalités ils sont déployés. Les collectivités locales et les acteurs culturels développant des projets en ruralité nous alertent sur ce point. Aussi, pouvez-vous préciser comment ces dispositifs seront effectivement mobilisables par les collectivités, et selon quel calendrier ? Quelles garanties votre ministère peut-il apporter pour que ces outils ne restent pas lettre morte, mais deviennent de véritables instruments d'équité territoriale et d'innovation culturelle dans les territoires ?

M. Cédric Vial, rapporteur pour avis des crédits de l'audiovisuel public. - Représentant 4 milliards d'euros, l'audiovisuel public est une politique importante du ministère de la culture et une ambition forte de la Nation qui, de plus, défend la francophonie et la culture française à l'étranger.

Dans le PLF 2026, sont demandés à l'audiovisuel public 71 millions d'euros d'économies, dont 65 millions à France Télévisions. Cette trajectoire est-elle appelée à se prolonger en au cours des prochaines années ? Est-ce un effort ponctuel, après les 80 millions d'euros d'économies sollicitées l'année dernière ? Comment envisager ces baisses de crédits sans redéfinir un périmètre et de nouvelles priorités pour l'audiovisuel public ?

L'État doit assigner des objectifs clairs à l'audiovisuel public. Or il donne des signaux contradictoires, notamment pour ce qui concerne France Télévisions. Après avoir acté il y a deux ans une augmentation des concours publics de plus de 10 % pour la période 2024-2028, l'État demande maintenant des économies. Dans ces conditions, sans objectifs clairs, comment mener les réformes nécessaires ?

La Cour des comptes note que ces économies rendent « inéluctables des réformes structurelles d'ampleur ». Comment comptez-vous vous assurer que ces économies répondront aux souhaits de la représentation nationale et de votre ministère ? Ces économies doivent être structurelles, mais je crains qu'elles ne se fassent au détriment de la qualité des programmes et que les rediffusions ne soient, par exemple, privilégiées.

Arte France, France Médias Monde et TV5 Monde sont toutefois relativement préservées, avec des subventions reconduites à l'identique. - ?''Cela résulte-t-il d'une volonté de préserver nos chaînes internationales ? Si c'est le cas, le ministère des affaires étrangères sera-t-il amené à contribuer davantage au financement de ces trois chaînes ? Quels sont les objectifs et les réorganisations que vous envisagez, madame la ministre, pour ces chaînes ? Où en est l'actualisation du projet de contrats d'objectifs et de moyens d'Arte ? Dans la mesure où Arte n'est pas concernée par la réforme de la gouvernance et la création d'une holding, on ne comprend pas très bien ce retard - j'ai bien conscience du contexte politique difficile. Allez-vous fixer un cap et des objectifs clairs ?

M. Michel Laugier, rapporteur pour avis des crédits de la presse. - Madame la ministre, grâce à vous, j'ai l'impression de ne pas vieillir, voire de rajeunir : les problématiques restent les mêmes d'un PLF à l'autre.

Une nouvelle fois, le PLF prévoit une diminution drastique des crédits du FSER, qui perdrait près de 16 millions d'euros. C'était 10 millions d'euros l'année précédente, mais, après nos discussions parlementaires, vous aviez décidé de rétablir ces crédits. Or les 750 radios concernées contribuent indéniablement à la préservation des liens de proximité et au pluralisme de l'information au niveau local. N'est-ce pas particulièrement dommageable pour notre démocratie, à l'approche des élections municipales, de priver ces radios d'un tel soutien ?

Après le rapport de l'inspection générale des finances (IGF) et la mission de concertation confiée à Sébastien Soriano, dont les propositions ont été reçues parfois fraîchement par les éditeurs, allons-nous enfin vers une réforme de la distribution de la presse imprimée en 2026, accompagnée d'une réforme des aides ? Le PLF pour 2026 prévoit une diminution importante des crédits du FSDP, déjà très touché en 2025 par les gels budgétaires : ne risquons-nous pas de perdre un moyen indispensable pour inciter les acteurs de cette réforme à aller de l'avant ?

Enfin, le feuilleton des droits voisins se poursuit, avec notamment la décision prise par l'Alliance de la presse d'information générale (Apig) de saisir l'autorité de la concurrence contre Meta. L'enjeu de cette affaire est considérable. Le projet de loi issu des États généraux de l'information aborde-t-il ce sujet des droits voisins ?

M. François Patriat, rapporteur pour avis du programme 334 « Livre et des industries culturelles ». - Dans le contexte budgétaire que nous connaissons, je salue les avancées et les engagements que vous avez su tenir, madame la ministre.

Le CNM voit les plafonds de ses deux taxes affectées « billetterie » et « streaming » rehaussés de 8 millions d'euros au sein du PLF 2026, ce dont nous nous félicitons, même si la diminution concomitante des dotations de l'État relativise cette progression.

En octobre 2024, la Cour des comptes estimait que cet opérateur n'avait pas de stratégie claire en matière d'attribution des aides. Elle lui avait recommandé d'investir davantage dans le développement international, l'innovation et la structuration du tissu économique pour garantir la diversité de la filière et la souveraineté culturelle. Ces recommandations ont-elles été suivies d'effets, afin d'écarter les critiques et d'installer définitivement le CNM dans le paysage de l'industrie musicale française ?

La presse a récemment évoqué la volonté du Gouvernement, à l'occasion d'un contentieux au niveau européen, de promouvoir l'idée d'une nouvelle taxe sur la pratique du téléchargement hors ligne que proposent les services de streaming, au motif que cette pratique relèverait de la copie privée. En effet, toutes les plateformes ou presque permettent d'enregistrer localement des fichiers - chansons, épisodes de série, films, documentaires, etc. Certains estiment cependant que cette taxe serait redondante avec celle qui frappe déjà les équipements à l'achat au même motif que la copie privée. Qu'en est-il de cette démarche ? A-t-elle des chances d'aboutir ?

M. Laurent Lafon, président. - Je vous lirai les questions de M. Jérémy Bacchi, rapporteur pour avis des crédits du cinéma, qui ne peut être présent.

M. Bacchi se réjouit que la ponction prévue sur la trésorerie du CNC par le PLF 2026 n'excède pas 50 millions d'euros.

En revanche, il est plus préoccupé par les attaques sur le crédit d'impôt cinéma et par les tentatives pour écrêter les taxes affectées au CNC lors de l'examen du budget en cours à l'Assemblée nationale. L'industrie du cinéma est un fleuron national, mais elle est fragile : il en veut pour preuve les effets de la baisse de fréquentation des salles depuis le début de l'année, qui met en difficulté plusieurs acteurs de la filière. Quel soutien comptez-vous apporter à celle-ci pour surmonter cette mauvaise passe ?

Par ailleurs, M. Bacchi s'inquiète des attaques récurrentes contre la chronologie des médias. Celle-ci est prise dans un véritable feu croisé en provenance de Netflix et Amazon Prime, dont les recours sont pendants devant le Conseil d'État et l'Autorité de la concurrence, qui s'est autosaisie de la question, tandis que Canal Plus a fermement conditionné ses engagements à la préservation de sa fenêtre de diffusion précoce. Pourriez-vous nous dire à quelle échéance sont attendues ces décisions juridictionnelles, et quelle sera votre stratégie pour faire face aux éventuelles remises en cause de la chronologie des médias qui pourraient en découler ?

Enfin, le Parlement européen a récemment demandé à la Commission européenne de mieux défendre la directive européenne sur les services de médias audiovisuels (SMA) face aux attaques des États-Unis. Où en sommes-nous dans le processus d'évaluation de cette directive, en cours depuis plusieurs mois, et à quelles réformes pourrait-il aboutir ?

Mme Rachida Dati, ministre. - Le budget du patrimoine a augmenté de 39 % entre 2017 et 2025. Jamais l'augmentation n'a été aussi forte en quinze ans. Le patrimoine est bien une priorité du ministère de la culture, priorité que j'ai amplifiée avec le plan Culture et ruralité, qui s'intéresse notamment au petit patrimoine des campagnes.

La baisse des crédits de paiement de 8,5 % pour le patrimoine est liée à un lissage de certains investissements ; nous avons décalé certains projets, mais aucun n'est cependant remis en cause. Les grands chantiers comme Pompidou, Fontainebleau ou Versailles et tous les chantiers liés à des situations d'urgence ne sont pas remis en cause.

Le patrimoine est donc financé, et la baisse n'est due qu'à un lissage.

Le périmètre du Centre des monuments nationaux s'élargit, car le périmètre de la préservation du patrimoine lui-même s'élargit. Il est donc essentiel que l'on pense toujours les usages dès que l'on restaure. L'usage, en soi, propose une forme de protection. Cette nouvelle dimension est intégrée dans le PLF pour 2026.

Concernant Notre-Dame de Paris, j'avais souhaité qu'une contribution soit instaurée à hauteur de 5 euros pour les visiteurs - et non les fidèles -, contribution qui serait intégralement consacrée à la restauration du patrimoine religieux. Avec douze millions de visiteurs par an, en deux ans, nous pourrions restaurer l'ensemble du patrimoine religieux français - 4 000 édifices sont en péril.

Je souhaite développer des dispositifs de financement innovants. Je pense aux nouvelles politiques tarifaires dans les musées pour les visiteurs hors Union européenne. Nous allons aussi créer un National Trust à la française, qui s'agrégera au CMN et ; s'intéressera à la restauration du petit patrimoine historique privé.

Ces nouveaux dispositifs innovants contribuent aussi au budget du patrimoine.

Il ne manque pas un euro, dans les territoires, pour le patrimoine historique et religieux. Une souscription populaire a été lancée pour la sauvegarde du patrimoine religieux : le fonds dépasse les 30 millions d'euros.

Le plan Culture et ruralité compte 100 millions d'euros sanctuarisés, et 60 millions d'euros ont déjà été dépensés. Ce plan finance notamment des résidences d'artistes et des compagnies qui contribuent directement à la vitalité des territoires ; il a permis de soutenir 300 radios associatives, 250 résidences artistiques et 250 manifestations Villages en fête.

Concernant les radios associatives, l'engagement a été tenu l'année dernière, ce sera encore le cas en 2026.

La mission Soriano a été accueillie fraîchement seulement par quelques éditeurs. Majoritairement, les éditeurs y sont favorables. Il est impératif d'aller en ce sens, sinon les territoires les plus ruraux, les plus éloignés, seront pénalisés.

Si le contrat est signé, l'État est au rendez-vous. Il est prévu 5 millions d'euros par an pendant trois ans pour accompagner les imprimeries ; 4,5 millions d'euros sont prévus pour l'aide à la distribution ; concernant le FSDP, il nous faudra être à la hauteur de nos engagements, et donc prévoir des moyens complémentaires.

Tout est une question de méthode.

La réforme de l'aide à la distribution de la presse imprimée sera mise en oeuvre au 1er janvier 2026.

Sur les droits voisins, le contentieux est pendant devant la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE). Nous attendons les résultats.

Les deux taxes affectées « billetterie » et « streaming » ont vu leur plafond rehaussé de 8 millions d'euros dans le PLF 2026. J'ai obtenu cet engagement, alors que la Cour des comptes estimait en 2024 que le CNM n'avait pas de stratégie d'investissement clair. Cet opérateur a donc mené une réforme pour garantir la diversité de la filière, conformément aux recommandations de la Cour des comptes. Un nouveau règlement des aides a été publié en 2025, avec des critères clairs et objectifs en matière de transition écologique, d'égalité et d'inclusion. Le bilan sera présenté dès 2026.

Les évolutions juridiques sur les droits voisins sont incluses dans le texte issu des EGI, texte que nous avons transmis au Conseil d'État. Il sera présenté très prochainement en conseil des ministres.

J'ai combattu lors du dernier budget pour ne pas remettre en cause les crédits d'impôt destinés au cinéma et à l'audiovisuel, qui sont un facteur d'attractivité, de croissance, d'inclusion et d'emploi des jeunes. Nous sommes les premiers au monde dans certains secteurs, notamment le gaming.

Concernant la chronologie des médias, Canal Plus a posé des conditions. Nous prenons le problème à bras le corps.

J'en viens au pass Culture. Je ne connais pas d'étude qui démontre une baisse de satisfaction. Les jeunes sont plutôt en demande. Je constate que certains, qui ne voulaient pas de la part individuelle du pass Culture, me la réclament désormais à cor et à cris - j'en suis ravie ! Nos objectifs se rejoignent : réduction des inégalités, éviter la reproduction sociale, mieux cibler l'aide. Oui, des crédits baissent, mais je préfère que les crédits servent à ceux qui en ont vraiment besoin. L'articulation entre part individuelle et part collective est essentielle. Les enfants qui bénéficient de la part collective n'ont très souvent jamais mis les pieds dans un équipement culturel. Peut-être qu'aller au musée ou au théâtre est une évidence pour certains d'entre vous, mais ce n'est pas le cas pour tous. J'ai moi-même accompagné un groupe de jeunes à la Comédie française avec un pass Culture individuel : ils avaient même du mal à entrer dans la salle ! Les acteurs de l'éducation populaire - dont vous ne m'avez jamais parlé -, je les ai intégrés dans le programme. La médiation est très importante. J'ai aussi financé des maisons des jeunes et de la culture (MJC), notamment à Paris - je pense à une MJC du XXe arrondissement qui était en péril.

Sur le pass Culture, nous sommes à la hauteur de nos ambitions et de nos engagements. Désormais, le pass Culture est géolocalisé. Le comité stratégique de la SAS Pass Culture - c'était devenu un petit club - a été revu : il inclut désormais des responsables de lycées professionnels et de centres de loisirs, des acteurs de l'éducation populaire, des personnes qui connaissent bien les difficultés d'accès à la culture. Les enfants en situation de handicap et les boursiers bénéficient d'un bonus.

Mesdames, messieurs les sénateurs, merci de votre soutien !

Mme Karine Daniel, rapporteure pour avis. - Je précise, madame la ministre, que je suis intervenue comme rapporteure, et non comme représentante d'un groupe politique. J'espère que cela est bien clair.

Mme Rachida Dati, ministre. - Merci pour cette précision. Concernant le pass Culture, nous avons un objectif commun : réduire les inégalités.

J'ai maintenu le Fonpeps, alors qu'il devait être remis intégralement en cause. J'avais pris cet engagement devant les organisations syndicales, car le maintien de l'emploi pérenne dans le spectacle vivant est essentiel.

L'État est au rendez-vous, et les baisses sont le fait des collectivités locales qui se désengagent. L'État n'est pas là pour tout compenser ; à chacun ses responsabilités. D'ailleurs, je souhaite rendre un hommage particulier à François Sauvadet, car les départements sont les premiers investisseurs dans la culture. Nous avons signé des conventions-cadres avec toutes les collectivités qui ont décidé de maintenir leur investissement dans la culture. Nous avons maintenu les aides - j'avais pris cet engagement. Tous les crédits de 2025 seront engagés.

Monsieur Vial, chacun prend sa part de responsabilité. L'effort budgétaire sur l'audiovisuel public sera progressif et étalé dans le temps. Il faudrait en fait 140 millions d'euros d'économies pour que France Télévisions revienne à l'équilibre. La Cour des comptes le disait dès 2016, et à nouveau en 2025 : France Télévisions a besoin de réformes structurelles - tel est l'enjeu de la proposition de loi Lafon relative à la réforme de l'audiovisuel public et à la souveraineté audiovisuelle. France 3 et France Bleu doivent coopérer, le cadre social doit être rénové, et la transformation numérique reste indispensable.

Le risque de la baisse des dotations, à court terme, est que les économies ne soient pas faites au bon endroit - telle est la crainte des organisations syndicales. Il faudra être vigilant sur les programmes, qui restent le coeur de métier. Beaucoup de professionnels de l'audiovisuel public ont besoin de sens : beaucoup sont découragés, mais ils comprennent qu'il faut réformer. Les priorités sont notamment le numérique - il faut s'adapter aux nouveaux usages - et la proximité - la jeunesse est très déconnectée de l'audiovisuel public. L'audiovisuel public doit retrouver toute sa place dans le champ démocratique. Je suis pour un État fort et un audiovisuel public qui reste public. C'est le sens de cette réforme.

Arte et France Médias Monde sont épargnées. Arte relève d'un traité franco-allemand. Le chancelier allemand est très favorable à l'européanisation d'Arte, pour qu'elle devienne la plateforme audiovisuelle européenne ; les crédits doivent augmenter ; tel est le sens du conseil européen du 28 novembre prochain. L'audiovisuel public européen doit être maintenu, la qualité d'Arte est reconnue. Voilà qui permet de faire face à l'administration Trump. France Médias Monde a noué un partenariat avec Deutsche Welle, beaucoup de fréquences ont été libérées en Afrique : il y a une place à prendre, pour lutter contre les ingérences étrangères et la désinformation. Voilà pourquoi ces chaînes sont préservées. Il s'agit de raisons politiques majeures ; l'enjeu démocratique est très important compte tenu de la politique américaine.

Non, le programme Mieux produire, mieux diffuser ne connaît pas de baisse de crédits : nous passons de 9 à 15 millions d'euros de 2025 à 2026. J'ai constaté que le spectacle vivant n'avait pas de modèle particulier. Il faut avant tout lutter contre les atteintes à la liberté de création et de programmation. C'est le problème majeur que connaît le secteur. Pour le spectacle vivant, pas un euro ne manque, notamment dans les territoires. Le spectacle vivant est une valeur française. Et n'oublions pas la diffusion, qui permet un accès plus large aux spectacles, ce qui consolide aussi la création.

Dans les territoires, le spectacle vivant connaît très peu de collaborations public-privé. Or ces coopérations, comme celle que j'ai signée entre le pôle Pixel et le théâtre national populaire de Villeurbanne, permettent de mixer les formes d'art, de faire plus de diffusion et de ne pas diminuer les crédits.

Mme Agnès Evren. - Depuis le vol au Louvre, drame national qui nous obsède tous, nous nous demandons comment le plus grand musée du monde a pu être si vulnérable. Je salue, madame la ministre, votre demande immédiate d'une enquête administrative - il n'y en avait pas eu pour l'incendie de Notre-Dame de Paris.

Une délégation de notre commission a visité les installations de sécurité du Louvre. Elles sont complètement obsolètes et vétustes. Le poste de sécurité central est totalement sous-dimensionné. J'en étais stupéfaite. La présidente du Louvre avait dès sa prise de fonctions, ainsi que par une note confidentielle du 13 février 2025 adressée au Président de la République, alerté sur les avaries récurrentes au sein du musée. Lors de son audition, elle a présenté une triple faille : la protection périmétrique, qui souffre d'une quasi-absence de vidéosurveillance extérieure ; des infrastructures vieillissantes, qui empêchent d'installer des équipements modernes ; la lenteur des marchés publics.

Fallait-il un tel drame pour déclencher un vaste plan de sécurisation du Louvre et de tous les musées de France ? Comment les crédits seront-ils abondés et répartis ?

Se pose aussi la question fondamentale de la responsabilité. On ne peut pas dire aux Français qu'il n'y a aucune responsabilité. L'enquête administrative permettra-t-elle d'établir clairement la chaîne de responsabilité ?

Une partie des collections de bijoux du Louvre a été transférée vendredi dans la principale chambre forte de la Banque de France, et des directives de mise à l'abri vont être envoyées par votre ministère à tous les musées de France. Si nous commençons à mettre notre patrimoine sous clef, que restera-t-il à voir ? Devrons-nous n'exposer que des copies ?

En matière de vidéosurveillance, comment se répartissent les compétences et les responsabilités entre la Ville de Paris et la préfecture de police ? Chacun se renvoie la balle. La Ville de Paris décide du nombre de caméras, et la préfecture propose les implantations. Pourtant, toutes les façades ne sont pas couvertes. Le balcon concerné de la galerie d'Apollon n'était pas couvert pas la vidéosurveillance. Comment expliquer de tels angles morts ?

Pour ce qui concerne le CNL, dans un contexte de décrochage en matière de lecture, quels moyens comptez-vous accorder au livre et à la lecture ? Pour la deuxième année, le CNL connaît une baisse préoccupante de sa subvention pour charges de service public (SCSP). Qu'en est-il du soutien aux auteurs et à la création ?

M. Adel Ziane. - Vous parlez de lissage pour les crédits du patrimoine, qui baissent de plus de 8 %. L'année dernière, vous aviez consenti une hausse de 58 millions d'euros pour la restauration du patrimoine en région ; cette année, c'est deux fois cette somme qui disparaît. Les investissements décalés dans le temps ne verront sans doute pas le jour. Les crédits de l'action « Monuments historiques et patrimoine monumental » chutent de plus de 20 %, les ramenant à une enveloppe à peine supérieure à celle de 2022. Cette baisse des moyens va creuser les inégalités territoriales. Les collectivités territoriales diffèrent leurs projets de restauration. Les conséquences peuvent être très graves, alors que 4 000 édifices sont dans un état préoccupant. Comment justifier cette baisse des crédits ?

La stagnation des crédits de l'action « Patrimoine des musées de France » implique que les musées se tournent vers l'autofinancement. Cependant, ce modèle, qui crée une concurrence entre établissements, n'est pas viable pour tous les musées. Les crédits du Louvre baissent de 5 millions d'euros, alors qu'ils sont indispensables pour assurer la protection des collections et des visiteurs. Comment éviter que la dépendance accrue à l'autofinancement ne conduise à creuser davantage les inégalités ?

Le vol au Louvre ne doit pas faire perdre de vue les besoins de tous les musées nationaux. De nombreux vols ne font pas la une des médias. La sécurité y est insuffisante. Les musées territoriaux sont aussi en première ligne. Comment les villes, départements et régions pourront-ils assumer ce lissage s'ils doivent réaliser des investissements ? Les politiques culturelles locales seront à nouveau des variables d'ajustement. L'inquiétude est grande.

L'audit global sur la sécurité des musées nationaux concernera-t-il tout le territoire national ? Quelles mesures concrètes l'État prévoit-il pour soutenir les territoires désireux de développer leur offre culturelle ?

Mme Sonia de La Provôté. - Les festivals sont menacés par un effet ciseau ; leur modèle économique doit être repensé. Les coûts artistiques, techniques et organisationnels explosent. Où en est la feuille de route issue des concertations avec les représentants de la filière ? Qu'en est-il du fonds destiné aux festivals et du plan Culture et ruralité ? Comment comptez-vous rationaliser l'utilisation des fonds ?

Le décret « Son » a des conséquences budgétaires sur les festivals. Vous avez annoncé un groupe de travail, qui devrait faire des propositions de simplification pour le 31 octobre. Où en sommes-nous ?

J'en viens à la création. Le plan Culture et ruralité ne peut suffire à lui seul pour que l'on accède à la création dans tous les territoires. La politique de la culture est mise à mal au regard des exigences d'équité. Les crédits déconcentrés des Drac diminuent. Les collectivités voient leur budget de création s'amenuiser. Depuis le covid, la Madeleine l'emporte sur Proust.

Allez-vous produire une feuille de route indiquant clairement comment le ministère va accompagner l'accès à la culture pour tous dans les territoires ?

Ensuite, le ministère va-t-il accélérer la mise en oeuvre du plan de sécurisation des musées, avec des financements ad hoc ?

Je souligne une autre difficulté : l'accompagnement du patrimoine non inscrit ou non classé. Nous vous alertons sur la situation des conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE), qui oeuvrent justement pour ce type de patrimoine, palliant les carences d'accompagnement de l'État. La réforme de la part départementale de la taxe d'aménagement fragilise le financement de cette ingénierie essentielle à la préservation du patrimoine vernaculaire.

Mme Laure Darcos. - Le programme 361 « Transmission des savoirs et démocratisation de la culture », qui a trait au développement de la culture et à 'l'EAC, a connu une baisse de crédits assez importante en 2025. La stabilisation annoncée du budget pour l'année 2026 aura-t-elle bien lieu, madame la ministre ?

Concernant le pass Culture, notre commission n'est pas unanime sur le sort qu'il convient de réserver à la part mutualisée et à la part individuelle. Puisque nous devons faire des économies, je milite pour la suppression complète de la part individuelle et suggère de mettre l'accent sur le collège. En effet, les jeunes de 18 ans sont moins susceptibles de changer leur mode de consommation culturelle que les plus jeunes.

Pour rappel, l'arrêt d'un certain nombre de spectacles et de projets l'année dernière a été épouvantable. L'évolution que je propose est probablement le seul moyen d'aider les jeunes et leurs professeurs, qui ne sont parfois pas capés en matière de formation artistique et culturelle.

Par ailleurs, dans ma circonscription, les compagnies La Lisière et La Constellation vont recevoir le label « arts de la rue ». Cette procédure de labellisation, soit la deuxième engagée en Île-de-France, est très importante, y compris en milieu rural, car elle permet à nos concitoyens d'assister à des spectacles de rue, notamment à Cheptainville.

Il se trouve que la Drac a retiré 20 000 euros de subventions aux compagnies précitées, sur une enveloppe totale de 70 000 euros ; les 50 000 euros restants sont fléchés sur les arts plastiques. En conséquence, de nombreux projets de lecture à voix haute, en particulier à Grigny, ont disparu. Cela me semble contradictoire avec les États généraux de la lecture pour la jeunesse, dont nous attendons avec impatience les conclusions. J'espère d'ailleurs que l'éducation nationale et le service du livre et de la lecture du ministère de la culture y ont été associés.

Enfin, je veux dire quelques mots d'Amazon, mon meilleur ennemi. En effet, l'entreprise contourne systématiquement les frais de port minimum instaurés par la loi du 30 décembre 2021, dont j'étais l'auteure, et essaye de faire de ses lockers des magasins de vente au détail. En outre, Amazon est revenu sur la loi du 8 juillet 2014 en proposant une remise de 5 % sur le prix des ouvrages. J'aimerais que le ministère de la culture se saisisse de ce problème, que tout le monde dénonce dans le secteur du livre. N'attendons pas qu'une décision européenne soit prise pour agir en ce domaine !

Du reste, je vous remercie, madame la ministre, pour les propos que vous avez tenus sur les crédits d'impôt dans le secteur du cinéma, dont certains seront renouvelables en 2026. Je pense qu'il est primordial de les maintenir, y compris ceux qui s'appliquent aux tournages de films étrangers en France.

Mme Monique de Marco. - Une multitude de rapports et d'études ont démontré que le ministère de la culture dépense environ 200 euros pour un habitant d'Île-de-France, alors qu'il en dépense seulement 27 pour un habitant du Doubs. L'inégalité territoriale pour l'accès aux services et aux établissements culturels persiste. Les collectivités, qui dépendent de plus en plus de ressources nationales contraintes, n'ont pas les moyens de compenser de manière acceptable cette situation déséquilibrée.

C'est sans doute l'un des éléments qui a motivé le Gouvernement à lancer une concertation en 2024, avant l'annonce du plan Culture et ruralité, la même année. Ce plan, malgré un montant de crédits minimaliste, a le mérite d'essayer de pallier ce déficit de financement culturel dans les territoires ruraux. Or il paraît déjà menacé par le projet de budget que vous avez présenté aujourd'hui, madame la ministre.

Vous avez dit vouloir accroître le soutien aux radios associatives rurales et d'outre-mer ; nous en prenons acte. Dans cette perspective, vous comptez sur le Sénat, comme l'an dernier, pour maintenir le fonds de soutien à l'expression radiophonique locale.

J'en viens à la question du patrimoine. Comment peut-on affirmer que les monuments historiques sont des animateurs culturels du territoire, tout en baissant de 40 % les subventions d'investissement accordées aux collectivités et aux particuliers propriétaires de tels biens et en réduisant de 20 millions à 10 millions d'euros le fonds incitatif et partenarial ?

Par ailleurs, comptez-vous assurer la création de cinquante scènes culturelles de proximité soutenues par les MJC et les autres acteurs de l'éducation populaire, alors que le projet de loi de finances pour 2026 prévoit de réduire leurs crédits de 15 % ?

Quelques mots du Palais de la découverte. Cet établissement, véritable pilier de la transmission de la culture scientifique, est fermé depuis quatre ans et n'est toujours pas assuré de rouvrir, malgré une fréquentation habituellement très importante. Pouvez-vous vous engager sur un calendrier de réouverture, madame la ministre ? En outre, comment expliquez-vous la perte d'espaces de cet établissement au profit du Grand Palais ? Soutenez-vous la réorientation d'un lieu de sciences en espace privatisé ?

Enfin, vous avez dit que les musées de France allaient devoir s'adapter à une nouvelle forme de criminalité, mais qu'allez-vous exactement entreprendre en ce sens ?

M. Aymeric Durox. - Aujourd'hui, le budget du patrimoine est en forte baisse. Cette évolution est scandaleuse, ce pour trois raisons. Premièrement, ici même, lors de votre audition du 5 novembre 2024, vous aviez déclaré l'urgence patrimoniale et affirmé que le patrimoine était la grande priorité du Gouvernement. Vous aviez également rappelé que la France comptait 45 000 monuments historiques, dont 20 % en mauvais état et 5 % en péril, soit plus de 2 000 monuments exposés à un risque de disparition imminente. Malheureusement, l'année écoulée a prouvé que les promesses n'engageaient que ceux qui y croyaient, contrairement à ce que vous avez affirmé dans votre propos liminaire.

Les États généraux du patrimoine religieux (EGPR) ont signalé en 2024 la fermeture d'au moins 1 600 édifices en raison de leur vétusté ; certains menacent même de s'effondrer. Dans mon département, la Seine-et-Marne, je pourrais longuement vous parler des églises classées ou inscrites au patrimoine, comme celles de Lorrez-le-Bocage, de Soignolles-en-Brie, de Saint-Pathus ou de Valjouan, qui attendent vainement des aides depuis des années.

Après la perte de services et de commerçants, ces églises croulantes, interdites au public, donnent la douloureuse impression de villages en train de mourir, eux qui s'étaient justement construits depuis des siècles autour de leurs clochers, recouvrant notre pays d'un « blanc manteau », comme l'écrivait Raoul Glaber.

On peut aussi donner l'exemple du château de Chambord, contraint de faire une quête pour sauver son aile François Ier. Comment imaginer qu'une chose pareille se produise dans la septième puissance économique du monde ?

Deuxièmement, cette baisse des crédits du patrimoine est une hérésie financière puisque, selon les chiffres de 2019 publiés par votre ministère, le patrimoine bâti crée plus de 500 000 emplois directs et indirects et plus de 21 milliards de recettes directes et indirectes, le tout pour seulement 1 milliard d'euros d'investissements. C'est un rendement exceptionnel qu'il paraît plus logique de subventionner que de réduire. Vous l'avez vous-même reconnu, madame la ministre, mais sans aucune concrétisation.

Troisièmement, l'actualité, marquée par le casse du Louvre, nous rappelle que notre pays fait face à un grand nombre d'attaques de musées. Ces derniers apparaissent comme des proies faciles pour des malfaiteurs en quête de butins importants, pour des risques limités. En septembre 2025, des échantillons d'or d'une valeur estimée à environ 1,5 million d'euros ont été volés au Muséum national d'histoire naturelle. En septembre dernier, trois objets en porcelaine, trésors nationaux d'une valeur estimée à 6,5 millions d'euros, ont été dérobés au Musée national Adrien Dubouché de Limoges. En outre, d'après le ministère de l'intérieur, les vols dans les églises ont bondi de 30 % en trois ans.

Bref, on constate cruellement que le patrimoine de notre pays, si riche et convoité, est en danger. Alors qu'il faudrait prévoir un grand plan de sécurisation pour le préserver, vous prévoyez une baisse de crédits, madame la ministre !

Ma question est donc simple : qu'avez-vous fait depuis deux ans et que comptez-vous faire concrètement pour protéger notre patrimoine, qui subit une double attaque, à savoir l'usure du temps et la cupidité des hommes ?

Mme Annick Billon. - Je cantonnerai mes questions aux métiers d'arts, étant membre du groupe d'études qui leur est consacré.

En 2024, 3 374 entreprises ont bénéficié du crédit d'impôt en faveur des métiers d'art. La loi du 29 décembre 2023 a 'prorogé ce dispositif jusqu'à la fin du mois de décembre 2026.

Concernant la stratégie nationale en faveur des métiers d'art, lancée en 2023 pour structurer le secteur - qui comprend 281 métiers et 60 000 entreprises, dont certaines sont très petites -, la dotation de 340 millions d'euros annoncée sur trois ans ne semble pas avoir été reconduite. Quelle partie de cette somme a été réellement engagée à ce jour ?

J'en viens à la formation et à la transmission. Sur les 280 métiers d'art, seule une petite cinquantaine dispose d'une formation initiale. Le Gouvernement entend-il relancer l'offre de formation et garantir la pérennité de ces métiers qui risquent de disparaître ?

En 2025, pour la première fois de son histoire, l'Institut pour les savoir-faire français « »n'a pas été doté d'un budget pour organiser les journées européennes des métiers d'art (Jema). Ces dernières, auxquelles vingt-cinq autres pays participent, représentent tout de même 1,7 million de visites et 511 événements. Ainsi, comment garantir la pérennité de cet événement, qui sert de vitrine aux savoir-faire français ?

Du reste, je me réjouis que les crédits du fonds de soutien à l'expression radiophonique locale, en chute de 44 %, puissent être rétablis, dès lors que le Gouvernement soutiendra les amendements qui seront déposés en ce sens.

Mme Marie-Jeanne Bellamy. - Ma question concerne la culture en milieu rural. Lancé en 2024, le plan Culture et ruralité a pour objectif de renforcer la place de la culture au coeur des territoires ruraux. Il est structuré autour de trois axes : faciliter l'embauche d'artistes de manière occasionnelle ; aider les festivals à déployer une action territoriale structurante en ruralité ; renforcer l'accès direct à l'art contemporain.

Ce plan sera-t-il également l'occasion de promouvoir la culture dans les activités périscolaires, de manière mieux ciblée que le fonds de soutien aux temps d'activités périscolaires, supprimé en 2025 ?

Mme Colombe Brossel. - Comme bon nombre d'acteurs du monde de la culture, de syndicats, d'organisations professionnelles, d'institutions culturelles et d'artistes, nous dénonçons la baisse des crédits de la mission « Culture », qui est bien réelle - les chiffres sont têtus, madame la ministre.

Surtout, et de façon plus grave, le ciblage de ces coupes n'a rien d'anodin. Ainsi, les crédits du programme 131 « Création » reculent de 3 %. Ce sont bien les acteurs du spectacle vivant - festivals, compagnies et les lieux labellisés - qui en feront les frais sur tout le territoire.

Sur le terrain, les crédits déconcentrés en Drac diminuent de 3,76 %. Les crédits du programme 361 « Transmission des savoirs et démocratisation de la culture » sont, eux, en baisse de 15 %.

Les actions relevant de l'EAC, hors pass Culture, c'est-à-dire les veilles artistiques et les projets sur temps scolaire ou hors temps scolaire, endurent une diminution de crédits de 17 %.

Enfin, le budget de la participation à la vie culturelle, qui concerne les quartiers populaires, les secteurs de la justice et de la santé, s'effondre de 44 % ! La lecture et l'édition subissent la même logique. Ainsi, la subvention accordée au CNL, qui joue pourtant un rôle majeur en matière de médiation culturelle et de soutien aux auteurs, ne sera plus que de 22,4 millions d'euros, soit une baisse de 22 % en deux ans.

Comment faire bien, et même faire mieux, avec des crédits objectivement en baisse ? En l'état, cet objectif ne nous semble pas atteignable. Notre groupe restera mobilisé pour que les crédits précédemment listés soient rétablis, afin que nous puissions mener une véritable politique culturelle dans notre pays.

Cette baisse des crédits s'inscrit dans une logique d'affaiblissement du service public de la culture pour laisser la place au mécénat privé, au détriment de la diversité culturelle et de son accessibilité pour tous. Le mécénat a sa place, mais il ne saurait se substituer au désengagement du financement public. Certains décrédibilisent l'action publique en dénonçant sa supposée inefficacité, mais c'est la réduction de ses ressources qui l'empêche d'agir.

C'est la même logique qui est à l'oeuvre pour l'audiovisuel public. Après la suppression de la contribution à l'audiovisuel public en 2022, l'État poursuit son désengagement. Le budget pour 2026 prévoit une baisse de crédits de 71 millions d'euros, dont 65 millions pour le seul groupe France Télévisions. D'aucuns s'appuient sur la situation financière alarmante du groupe pour justifier le projet de reprise en main à la fois financière et politique de l'audiovisuel public, ce que nous n'avons cessé de dénoncer. Cette logique n'est pas la nôtre, madame la ministre, et nous la combattrons dans l'hémicycle !

M. Pierre-Antoine Levi. - Le programme 334 « Livre et industries culturelles » présente une trajectoire budgétaire inquiétante pour l'année 2026. En effet, les autorisations d'engagement s'établissent à 360 millions d'euros - soit plus 0,50 % par rapport à 2025 -, mais les crédits de paiement chutent à 343 millions d'euros. Cet écart de 16,6 millions d'euros entre AE et CP crée un effet entonnoir préoccupant. En clair, l'État autorise juridiquement des engagements pluriannuels qu'il ne pourra pas honorer dans les délais, car l'enveloppe de paiements effectifs sera insuffisante.

Si l'action n° 01 « Livre et lecture » progresse en à 338 millions d'euros en AE, la sous-action « Industries culturelles » accuse une baisse de 29 % en AE. Concrètement, l'effet entonnoir que j'évoquais à l'instant crée une asphyxie de trésorerie pour les acteurs de terrain : je pense au CNL ou aux bibliothèques départementales et de proximité, en particulier dans les zones rurales et ultramarines, ainsi qu'aux petites librairies indépendantes, aux auteurs et aux traducteurs. Et que dire des dispositifs d'accessibilité pour les livres adaptés aux personnes en situation de handicap !

Comment comptez-vous éviter cet effet entonnoir, madame la ministre ? Quelle garantie apportez-vous sur le calendrier effectif des décaissements, des crédits de paiement et sur la priorisation des bénéficiaires, pour éviter que les projets engagés ne restent impayés ? Quelle articulation établissez-vous entre les crédits du programme 334 et les financements de France 2030, afin que les crédits extrabudgétaires ne se substituent pas aux politiques publiques pérennes du livre et de la lecture ? Comment garantissez-vous la lisibilité et la sécurité juridique pour les acteurs ? Enfin, face à cette compression des crédits de paiement, quelles mesures concrètes prendrez-vous pour sécuriser le financement non seulement des bibliothèques dans les territoires ruraux et ultramarins, mais aussi des dispositifs de découvrabilité numérique et de la chaîne des professionnels du livre, à savoir les traducteurs, les auteurs et les librairies indépendantes ?

Mme Paulette Matray. - Alors que nous observons une concentration croissante des médias privés entre les mains de quelques grands groupes, l'audiovisuel public reste l'un des derniers garants d'une information pluraliste et indépendante - je pense que nous sommes d'accord sur ce point, madame la ministre. Or les crédits pour les avances à l'audiovisuel public sont en baisse de près de 2 % après plusieurs années d'érosion et, surtout, depuis la suppression de la redevance audiovisuelle au profit d'un financement par une part de TVA, désormais révisable chaque année de façon arbitraire.

Dans ce contexte de dépendance accrue au budget de l'État et de fragilisation financière du service public, comment le Gouvernement entend-il préserver l'indépendance éditoriale et la diversité de l'information ?

Face à des conglomérats médiatiques de plus en plus puissants, envisagez-vous de soutenir la proposition sénatoriale de création d'une contribution modernisée, progressive et affectée, qui garantirait un financement pérenne de l'audiovisuel public et assurerait une réelle protection contre la concentration et l'homogénéisation de l'information ?

M. Max Brisson. - Madame la ministre, je voudrais vous raconter la vie d'un sénateur d'une province lointaine qui a le bonheur de compter deux langues régionales. Depuis dix jours, comme l'année dernière, nos boîtes mail sont submergées de messages annonçant une baisse historique de 44 % des crédits alloués au fonds de soutien à l'expression radiophonique locale et, par là même, une remise en cause de 3 000 emplois, une mise en péril des investissements, la non-tenue d'un engagement européen et, last but not least, un affaiblissement durable du service public radiophonique en langue régionale.

Or vous nous dites que vous rétablirez ces crédits au même niveau qu'en 2025. Cela nous réjouit, mais à quoi sert ce va-et-vient, sinon à créer de l'inquiétude pour l'ensemble des mouvements associatifs, qui accomplissent leur mission dans un contexte déjà difficile ? Les sénateurs, eux, sont contraints de répondre à de multiples sollicitations. Finalement, vous promettez que tout sera renouvelé l'an prochain : merci de nous permettre de rester jeunes, madame la ministre !

Mme Rachida Dati, ministre. - Monsieur Brisson, j'ai seulement dit que je m'engageais à rétablir ces crédits au niveau de l'an dernier ; j'avais d'ailleurs obtenu gain de cause après d'âpres négociations avec le ministre du budget. Le Parlement ne s'est pas encore prononcé et ce sera à lui seul de décider si ce budget doit être maintenu. Or les parlementaires ne sont pas d'accord entre eux sur le financement des radios associatives. Bref, il n'y a pas de jeu de dupes, monsieur le sénateur : j'ai d'autres choses à faire, y compris répondre à des courriers, comme vous le faites.

Vous avez raison, madame Evren, concernant le vol survenu au Louvre, on ne peut pas dire qu'il n'y a pas eu de manquements ; les Français ne le comprendraient pas. Avant la question d'actualité au Gouvernement que vous m'avez posée mercredi dernier, vous m'aviez fait part d'un certain nombre de propositions, comme la disposition de caméras périmétriques. Sachez que je les intégrerai aux mesures qui seront annoncées dès réception du rapport d'inspection.

Du reste, je prendrai mes responsabilités pour constater les manquements et les défaillances que l'enquête administrative établira. J'ai toujours combattu l'arbitraire et je ne l'appliquerai pas à d'autres. J'attends donc de disposer d'éléments objectifs pour pouvoir prendre une décision. L'affaire est trop grave pour faire n'importe quoi, dans la précipitation, et ne pas analyser les éléments qu'on me transmet.

Je vous remercie d'avoir accompagné le président Lafon au Louvre, pour constater par vous-même l'obsolescence du matériel de sécurité.

Vous avez rappelé l'interpellation de la présidente du Louvre, lorsque j'ai été nommée ministre de la culture, ainsi que le discours du Président de la République. Notez que, dans le cadre du plan « Louvre - Nouvelle Renaissance », le schéma directeur de sécurité, d'un montant de 450 millions d'euros, comporte un volet de modernisation de la sécurité et de la sûreté. Nous veillerons à accélérer la mise en oeuvre des mesures prévues, en plus des dispositifs en cours de déploiement.

Le Louvre est soumis à un certain nombre de contraintes. Premièrement, il s'agit d'un bâtiment patrimonial, contrairement à la Fondation Vuitton ou à la Fondation Cartier, qui sont des constructions modernes facilement adaptables aux nouvelles technologies de sécurité. Il n'empêche que le Louvre devra, lui aussi, intégrer les nouvelles menaces liées à l'intrusion et aux vols.

Deuxième contrainte : les règles de passation de marchés publics. Nous ferons en sorte d'accélérer les choses, mais nous devons attendre les conclusions du rapport qui me sera remis.

J'en viens à la lecture et aux mesures qui y sont consacrées dans le projet de loi de finances pour 2026. Il est vrai que les crédits du programme 334 sont en légère baisse. En réalité, 82 % de l'ensemble des crédits ont été consommés par les trois opérateurs du programme, soit la BNF, la BPI et le CNL. Cette enveloppe financement également la Maison du dessin de presse, dont j'ai soutenu l'installation dans le 6e arrondissement de Paris, en tant qu'élue de la capitale.

Dans ce contexte contraint, Élisabeth Borne et moi-même avions lancé les États généraux de la lecture pour la jeunesse, qui nous permettront d'identifier non seulement les leviers d'action, mais aussi les doublons. Le ministère de la culture est un petit ministère qui fonctionne avec beaucoup d'opérateurs. Ainsi, les Drac, qui sont le prolongement du ministère, peuvent être redondantes avec une direction générale ou un opérateur. Il faut donc rationaliser cette organisation, ce qui suppose de recentraliser ou, à l'inverse, de déconcentrer des crédits.

Toujours en matière de lecture, nous avons mis en oeuvre la carte de bibliothèque, remise aux parents lorsqu'ils déclarent la naissance de leur enfant, et nous avons récemment créé le prix du livre pour les bébés.

Cela pourrait surprendre, mais, comme je l'avais dit lors d'une séance de questions au Gouvernement, l'accès à la lecture doit aussi concerner les gens qui ne savent pas lire. En effet, écouter les lectures permet d'intégrer la langue et constitue un moyen d'accéder à la culture.

À cet égard, les « quarts d'heure de lecture », soutenus par les parlementaires, ne sont pas de simples gadgets, comme j'ai parfois pu l'entendre. Ils rencontrent même un véritable succès, notamment parce qu'ils permettent à des individus qui ne savent pas lire de participer à des séances de lecture.

J'insiste, les personnes qui n'ont absolument aucun contact avec la lecture demeurent dans l'angle mort de nos politiques. Voilà pourquoi nous devons aller les chercher en utilisant tout type de dispositif.

Les crédits alloués au CNL sont en baisse, bien que celle-ci soit très contenue. Reste que nous maintiendrons les dispositifs ciblés sur ceux qui ont besoin d'accéder à la lecture. Dans cette perspective, nous travaillons main dans la main avec le ministre de l'éducation nationale, qui a lui-même relevé cette carence en matière de lecture et les dégâts causés par les écrans. En effet, certains préfèrent l'écran par facilité, quand d'autres n'ont pour seule culture que l'écran, sans jamais avoir accès aux livres.

Du reste, le CNL permet de favoriser la diversité de la création, qui fait aussi la spécificité de notre pays.

J'en viens aux édifices religieux. Une souscription pour la protection et la préservation du patrimoine religieux a été confiée à la Fondation du patrimoine, ce qui a permis de collecter 25 millions d'euros - j'évoquais tout à l'heure un ordre de grandeur de 30 millions et je suis ici plus exacte. En outre, le 4 juillet dernier, j'ai signé une convention avec la Fondation pour la sauvegarde de l'art français concernant les édifices religieux. Enfin, nous avons fléché des crédits du plan Culture et ruralité sur la protection du patrimoine religieux.

Le budget alloué au patrimoine a augmenté de 39 % entre 2017 et aujourd'hui. On ne peut donc pas dire qu'il soit totalement à l'abandon ou laissé pour compte. Toutefois, je reconnais qu'on ne s'en est pas préoccupé pendant de trop longues années.

Monsieur Ziane, il n'est pas vrai que nous abandonnons des projets. Le lissage de crédits implique seulement un décalage, puisqu'on étale dans le temps la soutenabilité financière des projets.

La France est éminemment patrimoniale ; c'est ce qui fait la force et la chance de notre pays. La moindre église, la moindre cathédrale - j'ai d'ailleurs assisté à la réouverture de celle de Nantes - le moindre monument, le moindre château nécessite des millions d'euros de rénovation et d'entretien.

Ce n'est pas sans raison si le schéma directeur de sécurité du Louvre s'élève à 450 millions d'euros : les rénovations étant souvent trop chères, on les reporte. Sur cette enveloppe, 160 millions sont alloués à la sécurité au sens large et la moitié est uniquement consacrée à une remise aux normes. Retrouver un schéma électrique qui ne figure pas sur les plans nécessite parfois de démolir un mur. Les chantiers dont nous parlons sont colossaux.

''En réalité, nous n'en ferons jamais assez en matière patrimoniale, tant les contraintes de restauration sont lourdes et les bâtiments difficiles à réparer.

Il importe avant tout de ne pas se désengager. Voilà pourquoi je préfère lisser les crédits. Vous évoquiez également les crédits de paiement. Vous remarquerez que nous avons obtenu des dégels indispensables pour un certain nombre de missions.

Concernant les festivals, nous avons révisé tous les critères d'aides et de subventions, qui manquaient de lisibilité : à quelques kilomètres près, les critères d'attribution n'étaient pas forcément les mêmes. En renforçant la lisibilité des critères, on améliore aussi la réactivité. Par ailleurs, nous avons demandé des cahiers des charges plus précis, car nous décidons du renouvellement des subventions des associations sans même en connaître le bilan d'activité.

Nous prendrons une décision sur le décret « Son » d'ici au 31 octobre. Je rappelle qu'il fait actuellement l'objet d'un groupe de travail associant les ministères de la santé, de l'écologie et de la culture, qui ont parfois des intérêts contradictoires.

Les critères concernant les ensembles démontables seront également plus précis, pour assurer davantage de lisibilité, conformément aux demandes qui ont été exprimées.

Le fonds de sûreté que nous mettrons en place à la suite du casse du Louvre sera réparti entre l'échelon central - les grands opérateurs nationaux seront donc associés - et les Drac. Il permettra, avant d'engager des travaux, de mener des audits de sécurité et de recevoir un certain nombre de préconisations. Il servira, bien évidemment, à financer diverses mesures.

Pour l'heure, je ne veux pas trop brider les choses, afin que nous puissions voir tout ce qui peut être demandé. En cela, nous serons aidés par l'instruction que j'ai cosignée avec le ministère de l'Intérieur, par laquelle nous demandons à être rapprochés des Drac et des préfets afin d'obtenir le recensement de tous les musées ou équipements culturels sensibles. En l'occurrence, ils peuvent être sensibles en raison de la valeur des objets d'art exposés ou de l'équipement de sécurité -de l'établissement.

Madame Billon, les journées européennes des métiers d'art sont organisées par l'Institut pour les savoir-faire français avec le soutien du ministère de l'économie et des finances. En raison de cette cogestion, il est difficile de savoir exactement qui finance quoi. Nous avions demandé un bilan avant la tenue des Jema de 2025, sans jamais pouvoir l'obtenir. C'est pourquoi nous n'avions pas soutenu cette édition. Sachez toutefois que des échanges sont en cours pour l'année prochaine.

Le ministère soutient l'Institut pour les savoir-faire français à hauteur de plus de 1,7 million d'euros depuis 2023. Le crédit d'impôt en faveur des métiers d'art, qui s'élevait à 62 millions d'euros en 2024, sera prorogé jusqu'à la fin de l'année 2026, comme vous l'avez rappelé.

Vous avez raison, madame Darcos, la loi n'est pas respectée par Amazon, qui contourne systématiquement la réglementation et profite des contentieux pour trouver de nouveaux dispositifs. Nous devons absolument clarifier les choses pour défendre nos librairies, qui sont de plus en plus en danger, d'autant qu'Amazon a toujours un coup d'avance. Le ministère réfléchit donc à resserrer la législation, en adaptant la loi de 2021.

Madame Matray, vous m'interrogiez sur l'indépendance de l'audiovisuel public. Grâce au Sénat, notamment par l'intermédiaire de M. Vial, nous avons sanctuarisé le budget de l'audiovisuel public, qui ne l'était plus depuis le 1er janvier 2025. Ce financement n'est soumis à aucune régulation, ce qui représente une avancée importante. Vous ne pouvez donc pas dire que nous avons remis en cause le financement de l'audiovisuel public et son indépendance.

Concernant le Palais de la découverte, nous avons mis en place trois missions d'inspection sur la culture scientifique. À l'heure du complotisme et d'une remise en cause de la science, nous avons tenu à définir un projet de culture scientifique, qui sera mis en oeuvre via la Cité des sciences et de l'industrie et le Palais de la découverte, qui n'est pas situé à la Villette. Nous avions constaté que le nombre de visiteurs s'érodait et que la Cité des sciences était presque uniquement dépendante des subventions de l'État. Nous sommes donc en train de revoir le modèle de l'établissement.

Ces trois missions d'inspection, constituées bien avant l'été, rendront leurs conclusions dans deux mois environ. Nous serons ainsi en mesure de présenter une nouvelle ambition pour la culture scientifique en France.

Quant à l'existence du Palais de la découverte, elle n'est pas remise en cause.

Le budget de 'l'EAC, hors pass Culture, s'élevait à 82,4 millions d'euros en 2025 et atteindra 85,5 millions d'euros en 2026. Vous disiez être factuelle sur la baisse des crédits, madame Brossel. Pour ma part, je ne peux pas faire mieux : cette hausse est inscrite dans le projet de loi de finances, dont le détail est facilement consultable. Il n'y a donc pas de remise en cause de l'EAC ; en tout cas, ce n'est pas la politique que je défends.

Quant au diagnostic de performance énergétique patrimonial, il était à l'origine inscrit dans la loi Kasbarian. L'arbitrage a été effectué, mais les discussions sont toujours en cours. En effet, nous n'avions qu'un délai très court pour agir et la dissolution de l'Assemblée, puis le vote de la motion de censure ont retardé les choses.

Le label « arts de la rue » est récent. Il existe actuellement quinze pôles nationaux du cirque (PNC). J'ai récemment inauguré deux d'entre eux : l'un à Lyon, l'autre en plein coeur de Vénissieux. Les arts de rue, comme les arts du cirque, étaient considérés comme des arts « mineurs », si j'ose dire. Aujourd'hui, la labellisation progresse via les politiques de territoire. J'ai donné l'instruction aux Drac de nous faire remonter le plus grand nombre de projets possible pour qu'ils soient labellisés.

On compte désormais treize centres nationaux des arts de la rue et de l'espace public (Cnarep). Récemment, un soutien financier supplémentaire de 80 000 euros a été accordé au pôle de Marseille, qui est reconnu comme un pôle international de production et de diffusion (PIPD).

La ville de Chalon-sur-Saône, dont je suis originaire, a été pionnière dans le développement des arts de la rue : en témoigne le festival Chalon dans la rue. Cependant, le nombre de projets certifiés demeure faible en raison du caractère récent du label.

M. Laurent Lafon, président. - Je tenais, en cette fin de réunion, à vous faire part de notre inquiétude concernant l'impact de la réforme de la taxe d'aménagement sur les recettes des CAUE, qui jouent un rôle majeur en matière de patrimoine. Nous vous demandons, madame la ministre, de bien vouloir les relayer à votre collègue de Bercy.

Mme Rachida Dati, ministre. - Je n'ai pas intégré cet élément à la préparation du budget pour 2026, mais j'en parlerai à la ministre des comptes publics.

Mme Marie-Jeanne Bellamy. - Des crédits sont-ils fléchés en direction des activités périscolaires, notamment en matière de patrimoine ? Je crois savoir qu'un pass est offert aux personnes de 17 ans, mais qu'en est-il des plus jeunes ?

Mme Rachida Dati, ministre. - Le temps périscolaire relève des collectivités locales. Toutes les activités adressées aux enfants qui ne sont pas rattachées à un dispositif ou un support particulier sont intégrées à l'éducation artistique et culturelle, qui assure une forme de souplesse - on peut toutefois flécher des crédits vers le CNL. Je vous renvoie donc au montant de crédits que j'ai cité tout à l'heure pour ce poste budgétaire.

M. Laurent Lafon, président. - Nous vous remercions, madame la ministre.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 18 h 50.

Mercredi 29 octobre 2025

- Présidence de M. Laurent Lafon, président -

La réunion est ouverte à 9 h 35.

La sûreté des musées - Audition de MM. Patrice Faure, préfet de police de Paris, Jean-François Hébert, directeur général des patrimoines et de l'architecture du ministère de la culture, et Jean-Baptiste Félicité, chef de l'Office central de lutte contre le trafic des biens culturels (OCBC)

M. Laurent Lafon, président. - Nous poursuivons le cycle de travaux initié à la suite du cambriolage du musée du Louvre, avec ce matin une table ronde sur la sécurisation des musées.

Pour évoquer ce sujet, nous avons le plaisir d'accueillir M. Patrice Faure, préfet de police de Paris, M. Jean-François Hébert, directeur général des patrimoines et de l'architecture du ministère de la culture et M. Jean-Baptiste Félicité, chef de l'Office central de lutte contre le trafic des biens culturels (OCBC).

Messieurs, nous vous remercions d'avoir répondu à notre invitation, dans un délai que nous savons bref. Il est précieux pour notre commission de recueillir l'éclairage des spécialistes que vous êtes, chacun dans votre domaine de compétence.

En effet, le cambriolage du Louvre n'est pas un cas isolé. Au cours des dernières semaines, plusieurs musées français ont été victimes de vols, que ce soit à Paris - avec le cambriolage nocturne du Muséum national d'histoire naturelle le 16 septembre - ou dans les territoires - avec la perte de trois « trésors nationaux » du musée national Adrien-Dubouché de Limoges le 4 septembre, le vol intervenu au musée du Désert de Mialet dans le Gard, le 7 octobre, et le braquage puis le cambriolage du musée Jacques Chirac à Sarran, en Corrèze, les 12 et 14 octobre. Nous nous souvenons également du braquage du musée du Hiéron à Paray-le-Monial et du cambriolage du musée Cognacq-Jay à Paris en novembre 2024.

Cette série de vols met en évidence la vulnérabilité de nos établissements muséaux face à des intrusions aux modes opératoires très divers. Dans tous les cas, on ne peut être qu'interpellé, voire sidéré, par la facilité apparente avec laquelle des cambrioleurs, même très organisés, ont pu s'introduire dans des musées abritant des objets extrêmement précieux et venir à bout des équipements qui en assurent la protection. Les vols ont souvent été effectués en quelques minutes, à l'aide d'outils aussi communs que des disqueuses, des chalumeaux ou des tronçonneuses. Il nous faut en tirer toutes les leçons pour l'avenir.

Nous souhaitons donc comprendre quelles sont les responsabilités des uns et des autres en matière de sécurité des musées, et comment les actions des institutions que vous représentez se coordonnent. Le cambriolage du Louvre offrira à cet égard un exemple éclairant ; je pense notamment à l'articulation entre les dispositifs de vidéosurveillance du musée et ceux de la préfecture de police, qui a suscité des questions.

Quelle est donc votre analyse sur cette série d'effractions et de cambriolages ? Assiste-t-on à une évolution des modes opératoires des voleurs de biens culturels, ainsi que nous l'a indiqué la présidente-directrice du Louvre, ou à l'apparition d'une nouvelle criminalité ? Si oui, cette évolution est-elle propre à notre pays, ou peut-on la constater également à l'étranger ?

Face à cette menace, comment le dispositif de sécurité des musées doit-il évoluer ? Les faiblesses actuelles sont-elles dues à des problèmes organisationnels ou à une insuffisance de moyens ? Quelles sont les mesures prises dans l'urgence et celles qui devront se déployer à moyen terme ? Que pensez-vous de la proposition faite par Laurence des Cars, devant notre commission, d'installer un commissariat au sein du Louvre ? En aval des cambriolages, comment éviter que les biens volés soient revendus ou démontés, et donc définitivement perdus ?

Voici quelques-unes des nombreuses questions qui se posent de manière brûlante après les événements des dernières semaines. Pour commencer à y répondre, je vous propose de procéder à un propos liminaire de cinq à dix minutes, après quoi ceux de nos collègues qui le souhaitent poseront leurs questions, à commencer par la rapporteure de notre commission sur les sujets patrimoniaux, Mme Sabine Drexler.

M. Patrice Faure, préfet de police de Paris. - Vous voudrez bien m'excuser : venant de prendre mes fonctions, je ne connais pas dans le strict détail l'ensemble du sujet. Pour autant, j'ai examiné avec attention l'importante documentation mise à ma disposition par les différentes directions de la préfecture de police. Je ne suis pas habitué à fuir mes responsabilités ; je suis à la tête de la préfecture de police et c'est en cette qualité de responsable de l'ensemble de mes personnels que je viens devant vous.

Je relève deux sujets distincts dans ce dossier : d'une part, ce qui relève de la compétence du musée du Louvre ou des autres établissements concernés ; d'autre part, ce qui relève de la préfecture de police.

S'agissant des caméras, la profusion du dispositif mérite d'être soulignée : près de 1 300 dispositifs sont installés au Louvre, contre 545 au Centre Pompidou, 139 à la Fondation Cartier et 134 au musée d'art moderne de Paris.

Force est cependant de constater, comme Mme des Cars l'avait relevé en 2021, qu'un pas technologique n'a pas encore été franchi. Une partie du matériel demeure analogique, ce qui constitue un frein à la transmission des données informatiques et, par conséquent, à la qualité du traitement des images.

Le système de vidéosurveillance fait l'objet d'un arrêté préfectoral qui autorise la mise en place de ces caméras. Cet arrêté est pris après autorisation d'une commission dans laquelle se trouvent deux membres désignés par la chambre de commerce et d'industrie (CCI) de Paris, deux par le préfet de police, deux par le conseil de Paris et deux par le président de la cour d'appel de Paris. Le préfet de police signe l'arrêté d'autorisation, valant pour cinq ans, et la mairie installe les caméras.

L'arrêté préfectoral en question est caduc depuis le 17 juillet 2025 et n'avait pas fait l'objet d'une demande de reconduction. Pourquoi n'avons-nous pas pris l'initiative de solliciter le musée du Louvre pour connaître les raisons de cette non-demande ? On peut légitimement s'interroger. Le travail doit être mené en interne, et la demande aurait dû nous parvenir avant le 17 juillet. Nous allons, avec l'ensemble des services concernés, identifier les dates d'échéance de tous ces arrêtés préfectoraux, afin de pouvoir, par anticipation, solliciter l'ensemble des musées pour que les procédures soient reconduites et les arrêtés renouvelés.

Les risques d'obsolescence du système de vidéosurveillance avaient été identifiés par Mme des Cars en 2021. Dans le cadre du plan visant à une « Nouvelle Renaissance du Louvre », souhaité par le chef de l'État, un schéma directeur de la sécurité a été mis en place depuis cette date. L'étude des marchés publics a été réalisée, et la signature des marchés est désormais imminente, ce qui permettra de lancer les travaux. Ceux-ci prévoient le tirage de 60 kilomètres de câbles pour un budget de près de 80 millions d'euros, ce qui implique des délais importants. L'achèvement de ce programme de travaux n'est pas attendu avant 2029-2030.

Cette situation conduit à s'interroger sur l'écart entre le constat de 2021 et la situation actuelle, sur la prise en compte de l'urgence de la situation et sur l'existence de procédures alternatives d'accompagnement, destinées à réduire autant que possible les risques sécuritaires liés à l'obsolescence du système en attendant l'achèvement des travaux.

La question que vous posez, à la suite de l'audition de Mme des Cars, est la suivante : est-il pertinent de disposer d'un commissariat à l'intérieur du musée ? Je ne vais pas paraphraser mon prédécesseur, actuel ministre de l'Intérieur, mais je tiens à dire que j'y suis fermement opposé, pour deux raisons.

Si nous accédions à cette demande, tous les musées et infrastructures, étatiques ou non, réclameraient l'installation d'un commissariat. Nous rencontrerions évidemment des difficultés importantes, d'autant que, généralement, un cambrioleur ne reste pas sur le lieu de son méfait, mais cherche plutôt à s'en éloigner pour écouler les biens volés. Je préfère m'en tenir à la protection périmétrique.

Pour mémoire, nous disposons sur place de la brigade territoriale de contact, forte de 21 agents, qui complète l'ensemble du dispositif policier existant autour du Louvre. Depuis le début de l'année, 1 080 interventions ont été recensées aux abords du musée, avec 840 interpellations, soit une hausse de plus de 43 % par rapport à la même période de l'année précédente. Il ne s'agit évidemment pas uniquement de vols visant les « bijoux de la couronne », mais il est question de l'ensemble des faits détectés tout autour du Louvre.

Je n'imagine pas qu'un commissariat à l'intérieur du musée constituerait une solution pérenne aux difficultés que connaît le Louvre. Il est en revanche légitime de s'interroger sur la manière d'améliorer la situation.

On pourrait envisager une immense salle de supervision centralisée, regroupant l'ensemble des flux informatiques de détection. Ce dispositif existe déjà à la préfecture de police, où le système Ramses (Réception des alarmes et des messages des sites et établissements sensibles) gère près de 500 liaisons, dont une centaine concerne les infrastructures de musées.

Le véritable enjeu réside plutôt dans l'absence de recours à l'intelligence artificielle (IA) pour la détection préventive et l'anticipation de comportements anormaux. Certains logiciels, utilisés notamment dans les ports à l'étranger, permettent par exemple de repérer des mouvements suspects de conteneurs afin d'identifier ceux qui sont susceptibles de contenir des produits illicites. Si nous disposions d'un réseau de caméras numériques couplé à une IA, il serait possible d'anticiper sur l'alerte humaine des personnels chargés de la sûreté du musée, mais aussi sur l'alerte physique et informatique, vers Police-Secours, le 17, et vers le réseau Ramses.

Aujourd'hui, le corpus législatif ne nous autorise pas à utiliser l'IA pour la reconnaissance faciale - ce qui se comprend, compte tenu des enjeux éthiques très profonds - ni pour la détection de matériel. Si nous en avions eu la possibilité, la situation se serait déroulée différemment. L'intervention des forces de l'ordre a été extrêmement rapide - je le souligne sans flagornerie, car il faut rendre hommage à ceux qui sont arrivés sur place en deux minutes. Le véritable problème réside dans la longueur des délais entre la détection par un quidam à l'extérieur, sa transmission à une personne chargée de la sûreté au sein du Louvre, qui la relaie vers le poste de sécurité, puis vers Police-Secours et enfin vers Ramses. Six équipages sont donc intervenus très rapidement, mais le processus reste complexe. Si nous avions pu suivre les scooters et le matériel autour du musée, nous aurions pu traquer ces véhicules très rapidement dans Paris et la petite et grande couronne, avec une probabilité d'interception bien plus favorable.

Il ne s'agit pas de se cacher derrière des excuses. Des marges d'amélioration existent, notamment grâce au lien entre la Mission sécurité, sûreté et d'audit (Missa) du ministère de la culture, qui réalise un travail substantiel, et le Service opérationnel de prévention situationnelle (SOPS) de la préfecture de police de Paris. Ce dernier intervient à la demande des musées pour apporter son expertise, par exemple sur la sûreté de nuit ou lors de travaux importants, ses préconisations pouvant conditionner la délivrance des permis de construire.

Tout cela pourrait s'intégrer dans les plans de sauvegarde des biens culturels, pleinement opérationnels et pertinents et élaborés en collaboration avec les sapeurs-pompiers, qu'il s'agisse de la brigade des sapeurs-pompiers de Paris (BSPP) ou des services départementaux d'incendie et de secours (Sdis). Leur travail, unanimement reconnu, pourrait être décliné en plans de sûreté des biens culturels. Ces derniers impliqueraient des expertises menées par la police et la gendarmerie, qui devraient, de mon point de vue, se traduire par des obligations de résultat, et non se limiter à des avis ou préconisations, comme c'est le cas aujourd'hui. Une action beaucoup plus incisive conduirait à une amélioration globale de la sûreté et de la sécurité de ces biens culturels.

M. Laurent Lafon, président. - Monsieur le préfet, je vous remercie de nous apporter ces éclairages. Je souhaiterais néanmoins obtenir deux précisions. D'abord, vous avez indiqué que l'arrêté relatif aux caméras extérieures était arrivé à échéance le 17 juillet. Cette expiration a-t-elle entraîné une interruption des images ?

M. Patrice Faure. - Non, le flux n'a pas du tout été interrompu, mais l'autorisation était caduque. Nous sommes dans la gestion administrative d'un dossier, et non dans une gestion opérationnelle. Néanmoins, une infraction administrative existe, puisque les caméras ont fonctionné sans prorogation de cet arrêté préfectoral.

Un vrai sujet se pose au sein de la préfecture de police de Paris concernant l'anticipation, la prévention et le conseil. Il s'agit, éventuellement avec l'appui de l'IA, d'intégrer l'ensemble des échéances des arrêtés préfectoraux afin de solliciter par avance les acteurs concernés pour préparer la reconduction des autorisations et effectuer des vérifications techniques approfondies.

M. Laurent Lafon, président. - Deuxième précision : vous avez dit qu'un quidam avait appelé la police de l'extérieur.

M. Patrice Faure. - Il a contacté le personnel de sécurité du Louvre, signalant des faits inhabituels : des personnes avec des casques et une nacelle. Le poste de sécurité a ensuite alerté Police-Secours, le 17. Le flux Ramses nous est parvenu et nous sommes intervenus dans la foulée.

M. Laurent Lafon, président. - Ce qui nous a été indiqué par le Louvre, c'est que les caméras intérieures ont détecté l'intrusion via le système de vidéosurveillance interne, et que l'ensemble des dispositifs de détection se sont immédiatement déclenchés, alertant le poste de commandement. Vous nous indiquez, pour votre part, que les premières alertes adressées au PC proviennent d'une personne extérieure.

M. Jérôme Mazzariol, contrôleur général, conseiller technique chargé des affaires de police. - Un appel au 17, enregistré à 9h36, par un cycliste à l'extérieur du Louvre, signale en direct des individus casqués utilisant une nacelle et ayant percuté le mur du musée. Cet appel déclenche l'intervention des effectifs de police, arrivés sur place trois minutes plus tard, à 9h39.

M. Laurent Lafon, président. - Sans l'appel du cycliste, à quel moment les forces de police seraient-elles intervenues à partir du système Ramses et de l'alerte transmise au commissariat ?

M. Jérôme Mazzariol. - L'alarme Ramses est déclenchée par le Louvre en interne une minute après l'appel au 17, soit dès 9h37. On peut donc estimer que, même sans l'appel du cycliste, l'intervention de la police aurait été extrêmement rapide, avec à peine une minute de décalage.

M. Laurent Lafon, président. - Est-ce à dire que, parmi les six équipages intervenus, certains l'ont été à la suite de l'appel au 17 passé par le cycliste, d'autres sur alerte du commissariat du 1er arrondissement, contacté par le Louvre, et les derniers via le système Ramses, a priori piloté depuis le commissariat du 17e arrondissement ?

M. Jérôme Mazzariol. - Il s'agit d'un système de raccordement d'alarmes relié au commissariat du centre. Chaque commissariat de l'agglomération parisienne dispose d'un tel raccordement, l'ensemble convergeant vers le Centre d'information et de commandement (CIC) de la préfecture de police.

M. Laurent Lafon, président. - Cela ne signifie pas que ce sont les équipages du 17? arrondissement qui interviennent lors d'une activation du système Ramses.

M. Jérôme Mazzariol. - C'est exact.

M. Jean-Baptiste Félicité, chef de l'Office central de lutte contre le trafic des biens culturels (OCBC). - Je vous remercie de votre invitation à présenter l'Office et son action, ainsi qu'à partager une analyse des vols qui touchent actuellement les musées. Nommé chef de l'Office en août, je témoigne avec moins de trois mois de recul. Mais je m'appuie sur des équipes expérimentées, certains cadres étant présents depuis plus de dix ans, et sur le travail d'organisation et de partenariats stratégiques réalisé par mon prédécesseur.

L'Office central de lutte contre le trafic des biens culturels fête ses cinquante ans cette année. Créé en 1975 par un décret cosigné par cinq ministres, il a été intégré en 2011 au code du patrimoine, qui définit ses missions. Certaines présentent des caractéristiques proches de celles des offices centraux de police judiciaire : centralisation du renseignement, complexité des enquêtes menées et coopération internationale.

La première de ces missions, mentionnée dans le décret de 1975 et dans le code du patrimoine, consiste à étudier, en collaboration avec le ministère de la Culture, la direction nationale de la sécurité publique (DNSP) et la direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN), « les mesures propres à assurer la protection des biens culturels et la prévention des vols les concernant ». Cette mission initiale de sûreté trouve son origine dans l'augmentation des vols constatée à l'époque, plus particulièrement dans les lieux de culte et les demeures privées. C'est également la raison pour laquelle l'Office entretient un lien particulier avec la Missa du ministère de la culture, au sein de laquelle trois référents sûreté sont des policiers réservistes. Comme tous les offices centraux de police judiciaire, l'OCBC est chargé d'établir un état annuel de la menace dans son champ de compétence, en l'occurrence les atteintes aux différents lieux en relation avec les biens culturels.

La particularité de l'Office est de participer, avec la direction générale des patrimoines et de l'architecture (DGPA) et dans le cadre d'une directive européenne sur les restitutions, au mécanisme qui permet de récupérer les biens et trésors nationaux illicitement sortis du territoire. La DGPA est responsable des biens à l'étranger, tandis que l'OCBC est compétent pour ceux qui sont entrés illicitement en France.

Ce mécanisme s'inscrit dans une logique de long terme, cohérente avec l'administration d'un fichier des biens culturels. L'OCBC administre le fichier Treima, qui recense tous les biens culturels volés, et alimente également le fichier Psyché d'Interpol, les vols comme celui du Louvre pouvant présenter un volet international. L'OCBC a contribué à de belles restitutions, notamment au château de Thoiry, au musée du Louvre et au musée des Invalides.

L'OCBC intervient dès le flagrant délit dans les vols de musées et poursuit certaines affaires grâce au renseignement, en s'appuyant sur la « carte d'identité » de chaque bien culturel pour l'identifier.

L'Office compte un effectif resserré d'une trentaine de personnes, avec un pôle opérationnel d'une vingtaine de policiers et un pôle stratégie-renseignement d'une douzaine de spécialistes, dont une analyste juridique et une archéologue.

En raison de son effectif limité, l'OCBC travaille en étroite collaboration avec le ministère de la Culture, les forces de sécurité intérieure et le monde marchand. Mon prédécesseur a mis en place un plan d'action national, structuré par des comités interministériels se réunissant deux fois par an.

Le comité d'action national de lutte contre le trafic des biens culturels réunit sept ministères, dont la culture, l'intérieur, l'économie et les finances - avec un rôle majeur des douanes -, l'enseignement supérieur et la recherche, et les affaires étrangères. Cette instance permet une approche globale des phénomènes traités, comme le pillage, qui nous conduit à collaborer avec les archéologues et les directions régionales des affaires culturelles (Drac).

Nous participons aussi à l'observatoire du marché de l'art organisé par le ministère de la culture, le sujet de l'écoulement des biens volés étant lié au contrôle du secteur marchand.

Enfin, dans le cadre du renseignement criminel, nous organisons des réunions régulières avec les services de renseignement du premier et du second cercle, pour échanger sur des sujets spécifiques tels que le blanchiment ou les antiquités de « sang ».

J'en viens à l'analyse de l'Office s'agissant des vols commis dans les musées : sur une quinzaine d'années, le nombre de faits est proche d'une vingtaine chaque année, soit un volume assez limité qui ne permet guère d'établir des statistiques. Ce chiffre est à mettre en perspective avec le nombre d'établissements culturels, soit près de 1 200 musées de France et environ 10 000 espaces muséaux au total sur le territoire. De la même manière, le nombre de vols dans les églises ne permet pas de parler d'un contentieux de masse si on le rapporte au nombre d'édifices.

Néanmoins, nous observons une accumulation de faits graves dans la période la plus récente : en septembre et en octobre, pas moins de sept musées ont été visés dans le cadre de faits commis en réunion, avec violence et parfois avec arme. L'OCBC est cosaisi dans plusieurs enquêtes dont je ne pourrai pas vous présenter le détail, me bornant à une analyse plus large. Pour prendre des faits un peu plus anciens, nous avons été confrontés en 2024, à deux jours d'écart, au vol de tabatières au musée Cognacq-Jay et à un vol au musée du Hiéron à Paray-le-Monial.

Les enquêtes révèlent des similarités avec les pratiques de la criminalité organisée, avec une segmentation des missions, un recrutement par messagerie cryptée, des préparatifs assez importants et des contre-mesures visant à entraver les investigations.

S'agissant des biens visés, la recherche de l'or est une constante : tel a été le cas au Muséum d'histoire naturelle, affaire dans laquelle le butin était composé de pépites d'or, mais également en province, des croix huguenotes en or ayant été récemment dérobées au musée de Mialet.

Les bijoux et les pierres précieuses sont aussi visés, tandis que le vol commis au musée Adrien-Dubouché de Limoges laisse entrevoir l'émergence d'un phénomène européen de vols de porcelaines chinoises. À la fin de l'année 2019, l'OCBC avait d'ailleurs réussi à empêcher un vol au musée chinois du château de Fontainebleau, dont les auteurs, venus d'Espagne, avaient vraisemblablement des commanditaires.

J'aurais tendance à être pessimiste : nous avons suivi de près les débats qui ont eu lieu au Sénat autour du narcotrafic et, si je pouvais penser, en arrivant à l'Office, que je rejoignais une niche un peu en dehors du temps, je me suis aperçu que la criminalité organisée cherche aussi sa place dans le secteur des biens culturels.

Souvent, les vols sont découverts à l'occasion des récolements, les musées devant disposer d'un inventaire précis afin de pouvoir déclarer les objets volés puis les tracer. Les larcins sont parfois internes ou menés avec des complicités parmi le personnel, comme cela a été le cas à Reims avec le vol de pièces d'or.

Nous avons également pu observer des pratiques astucieuses : l'Office a ainsi participé à une enquête commune avec la Géorgie portant sur des vols de livres de Pouchkine, qui étaient remplacés par des fac-similés dans des bibliothèques européennes, la Bibliothèque nationale de France (BNF) ayant aussi eu à subir ce genre de faits.

Les auteurs de la criminalité organisée, nationale et internationale, sont donc actifs dans le vol de biens culturels, et nous nous interrogeons sur l'avenir compte tenu de la multiplication des faits. Le vol du Louvre évoque celui qui a été commis au musée de Dresde en 2019, avec un butin de plus de 100 millions d'euros et des vitrines brisées à la hache. En matière de porcelaine chinoise, des vols sont intervenus en Belgique, en Hollande et en Allemagne, ce qui nous amène à nous pencher sur le sujet dans le cadre d'Europol.

Sans vouloir jouer les Cassandre, j'ajoute à cette liste l'attaque à l'explosif d'un musée aux Pays-Bas afin de dérober le trésor des Daces - également en or, mais d'une valeur historique sans doute supérieure à celle des métaux qui le composent -, sans oublier une tentative de vol de toiles d'Andy Warhol, là aussi à l'aide d'explosifs.

Nous partageons l'ensemble de ces données avec la Missa, afin de pouvoir intervenir auprès des responsables des établissements muséaux et de les éclairer sur l'état de la menace. Nous devons adapter le niveau de sûreté aux nouveaux modes opératoires, mais aussi adopter une approche qui dépasse la seule sécurité physique et technique, en renforçant la traçabilité des objets dans le secteur marchand et en surveillant les filières de recel.

M. Jean-François Hébert, directeur général des patrimoines et de l'architecture du ministère de la culture. - Je remercie votre commission pour l'intérêt qu'elle porte à la protection du patrimoine de notre pays : ce fut le cas lorsqu'il s'est agi de relativiser les critiques régulièrement adressées à nos architectes des Bâtiments de France (ABF), la commission ayant alors joué un très précieux rôle de modérateur, et c'est à nouveau le cas aujourd'hui avec le vol survenu au Louvre le dimanche 19 octobre.

Ce vol est un traumatisme, non seulement pour le musée et ses équipes, mais aussi pour l'ensemble du monde des musées. J'ai évidemment une pensée pour les conservateurs et tous les agents qui veillent sur nos collections : après l'incendie, qui est un risque majeur, le vol est ce qu'ils redoutent le plus.

Outre les monuments, qui occupent une place importante dans le patrimoine de notre pays en contribuant à son attractivité, nous disposons d'un autre bien commun au travers de nos collections publiques, qui figurent parmi les plus riches au monde. Ces dernières sont réparties sur l'ensemble du territoire, et notamment dans les musées : 1 220 établissements bénéficient de l'appellation « musées de France », dont 61 musées nationaux, qui appartiennent à l'État ; la quasi-totalité des autres établissements relève des collectivités territoriales. Tous ces musées ont, à l'égard de leurs collections, la responsabilité non seulement de les conserver, de les enrichir, de les étudier, mais aussi de les présenter au public le plus large.

Conserver les collections passe par la mise en oeuvre des procédures que sont l'inventaire, le récolement, la conservation préventive et la restauration, mais aussi et surtout la sécurisation.

Protéger les collections publiques n'est pas une tâche aisée compte tenu de la diversité des menaces qui pèsent sur elles, dont l'incendie, les inondations, le vol, mais aussi les dégradations. Je voudrais rappeler à cet égard les actions très médiatisées des « activistes du climat », qui, il y a deux ans, essayaient d'asperger de liquide certains chefs-d'oeuvre de nos musées pour attirer l'attention sur leur cause.

Les menaces évoluent. Après les attentats qui ont été commis à partir de 2015, puis les manifestations violentes qui ont eu lieu aux portes des musées, la pression s'est d'abord exercée sur les personnes, mais ce sont désormais les collections elles-mêmes qui sont prises pour cibles. Depuis quelques années, les casses visant des porcelaines chinoises se sont développés à travers toute l'Europe, notre pays en ayant été récemment victime avec le vol survenu à Limoges.

Si le nombre de vols - une vingtaine chaque année - est relativement réduit au regard du nombre de musées, chacune de ces agressions représente une atteinte à notre patrimoine. En matière de sûreté, le ministère de la Culture assure une mission de conseil auprès de l'ensemble des musées de France : au même titre que la sécurité incendie, la sécurité et la sûreté doivent être au coeur des préoccupations des responsables des musées. Plus la menace évolue, plus il convient d'être vigilants afin d'adapter en permanence les procédures.

Au lendemain du vol survenu au Louvre, j'ai adressé un courrier à ces responsables afin de leur rappeler les risques qui pèsent sur nos collections et les préconisations de sécurisation à mettre en oeuvre, parmi lesquelles celle de réaliser l'inventaire des objets exposés présentant un risque de vol, mais également celle de procéder à leur retrait des salles d'exposition si une série de conditions n'est pas réunie. Nous rappelons régulièrement toutes ces mesures à l'ensemble des musées, et nous avions d'ailleurs préparé cette instruction avant même le vol survenu au musée du Louvre.

Plus largement, les personnels doivent être formés à la détection de comportements suspects, par exemple lorsqu'un visiteur pose des questions ou s'approche trop près des menuiseries ou des vitrines : nous avons ainsi déjoué de nombreuses atteintes aux oeuvres grâce à la vigilance des agents.

La direction générale des patrimoines et de l'architecture - et en son sein le service des musées de France - exerce un contrôle scientifique et technique attaché à la qualité de musée de France. Chacun de ces établissements doit élaborer un projet scientifique et culturel (PSC) détaillant ses activités et les publics visés. L'un des volets de ce contrôle concerne la sûreté des collections. Le travail de récolement est à ce titre essentiel, car il permet de vérifier la liste et l'état des objets abrités par le musée : en cas de vol, ce travail préalable permet de communiquer avec l'OCBC - avec lequel les relations sont extrêmement fluides - en lui envoyant des photos des objets dérobés.

Afin de nous aider dans notre tâche de conseil auprès des musées, nous disposons de l'appui de la Missa, composée de quatre pompiers, de trois policiers et d'un expert en sûreté spécialisé dans les archives et les biens archéologiques. Cette mission réalise des analyses de risques, effectue des diagnostics et formule des préconisations afin d'améliorer le niveau de sûreté dans les établissements. Nourrie par quarante ans d'expérience, elle produit régulièrement des fiches sûreté - que je tiens à la disposition de la commission -, qui sont régulièrement actualisées et transmises aux professionnels des musées.

Cette mission doit également s'assurer que les conditions de sûreté sont réunies lorsqu'un musée national prête une oeuvre à un musée territorial ou à l'étranger : elle examine alors le dossier et vérifie que l'objet sera conservé dans des conditions permettant de prévenir tout risque de disparition, même si le risque zéro n'existe pas. En 2024, 190 dossiers de ce type ont été examinés.

Enfin, la Missa dispense des formations dans des écoles telles que celles du Louvre ou de Chaillot, et est à la disposition de tous les musées qui en font la demande.

J'en reviens aux 61 musées nationaux, dont 41 dépendent du ministère de la Culture. La tutelle sur le musée d'Orsay ou encore le château de Versailles est exercée au moyen d'une série d'outils. Chaque présidente ou président d'établissement reçoit, au moment de sa nomination, une lettre de mission signée par la ministre et lui fixant une série d'objectifs ; en cas de renouvellement, une nouvelle lettre lui est remise. Nos relations avec les établissements sont par ailleurs régies par des contrats d'objectifs et de performance (COP), l'atteinte d'objectifs annuels pesant pour 20 % dans la rémunération des dirigeants d'établissements. Il serait possible, au vu de l'actualité, d'y ajouter un objectif relatif à la sûreté.

L'administration que j'incarne siège au conseil d'administration de ces établissements, que nous essayons d'accompagner dans la mesure des moyens que le Parlement inscrit dans les lois de finances. Les musées nationaux sont particulièrement exposés du fait de leur notoriété et du caractère extraordinaire de leurs collections : la sûreté constitue nécessairement un axe essentiel de leurs politiques.

Les mesures de sûreté sont souvent inscrites dans des « plans sûreté » bien identifiés, mais tel n'est pas toujours le cas. Je peux d'ores et déjà annoncer que la compilation de ces mesures dans un document ad hoc sera désormais obligatoire, de manière à pouvoir en assurer un suivi plus efficace.

Nous veillerons également à ce que la sûreté figure en bonne place dans les programmations d'investissements de ces établissements, qui doivent mener en permanence des chantiers dans plusieurs directions - réfection de salles, renforcement de la sécurité incendie, etc. Si la sûreté est l'une des composantes de ces chantiers, je pense qu'il faut veiller à ce que ces plans de sûreté soient mieux articulés avec l'ensemble des programmations qu'ils ne l'ont été jusqu'à présent.

Pour prendre l'exemple du château de Fontainebleau, que j'ai eu l'honneur de présider pendant onze ans, nous avons pu - avec le soutien très actif du ministère - mettre en place un schéma directeur de restauration globale, c'est-à-dire un schéma directeur qui rassemblait l'ensemble des programmes que j'évoquais. La mise en oeuvre de ce schéma a été lancée après trois ans d'études approfondies ayant permis de dessiner une véritable radiographie du château de Fontainebleau, qui est un monument extraordinairement complexe. Sur cette base, nous avons tracé une perspective pluriannuelle articulée en trois phases de cinq ans.

Ce chantier a commencé en 2015 et j'ai pu échanger la semaine précédente avec l'actuelle présidente du château : nous nous sommes réjouis ensemble du fait que la commission de sécurité avait enfin donné un avis favorable à l'ouverture du monument, malgré les risques d'incendie qui pèsent sur l'édifice. À l'inverse, j'avais ouvert le château sous ma propre responsabilité onze années durant, alors que cette commission avait rendu un avis défavorable en raison de l'absence de certaines installations. Au terme de dix ans de travaux, nous avons donc réussi à ouvrir le château dans de bonnes conditions ; il en va de même en matière de sûreté, avec les progrès qu'ont été l'installation de nouveaux postes de contrôle (PC), la modernisation des postes d'accueil et l'installation de caméras périmétriques.

Certes, ces travaux s'inscrivent dans le temps long, mais l'intégration réfléchie de ces opérations d'amélioration de la sûreté dans des plans plus globaux constituera un atout en termes de suivi. J'ajoute que ces plans de long terme n'excluent absolument pas de mener des travaux d'urgence : tous les schémas directeurs comportent un volet dédié aux travaux urgents, notamment ceux qui ont trait à la sécurité incendie et à la sûreté.

Cette approche globale a sans doute fait défaut au Louvre pendant plusieurs années. Le musée s'est évidemment soucié de sa sûreté, mais la multitude de projets d'investissements lancés concomitamment a peut-être occulté le caractère prioritaire des mesures à mettre en oeuvre dans ce domaine particulier.

La situation a changé en 2023 lorsque Rima Abdul-Malak, alertée au cours de l'été sur la situation critique dans laquelle se trouvait le musée par manque d'entretien, a donné son feu vert à l'élaboration d'un schéma directeur que l'on appelait à l'époque « climatique et technique ». J'ai eu la grande joie d'annoncer au conseil d'administration du Louvre que la ministre avait décidé, sur proposition de Laurence des Cars, de lancer ce schéma directeur pluriannuel, intégrant évidemment la sûreté.

Un an plus tard, l'enveloppe financière allouée à ce projet a été fixée par Rachida Dati, lors de l'annonce par le Président de la République du projet « Louvre-Nouvelle Renaissance ». Ce schéma directeur est financé par deux types de ressources : d'une part, un engagement de subvention de l'État à hauteur de 10 millions d'euros par an - point qui a été inscrit au budget du Louvre en 2025 et qui le sera en 2026 si le Parlement vote ce budget ; d'autre part, la tarification différenciée que la ministre a mise en place pour les grands établissements qui reçoivent énormément de visiteurs - notamment extracommunautaires -, qui devrait générer une recette estimée à 20 millions d'euros.

En conclusion, il faut tirer tous les enseignements possibles du vol dont le Louvre a été victime. Outre l'enquête judiciaire qui est en cours, Rachida Dati a annoncé une série de mesures, tandis qu'une enquête administrative a été confiée à l'inspection générale des affaires culturelles (Igac), avec le concours de la Missa, afin de vérifier que les mesures d'urgence prises par le Louvre sont adéquates. En outre, la ministre et le Président de la République ont demandé au musée d'accélérer le déploiement de son schéma directeur de sûreté : si les appels d'offres ont été lancés, il convient désormais d'accélérer.

D'autres mesures concerneront l'ensemble des musées, à commencer par un recensement des objets les plus exposés. Outre ma demande adressée aux responsables d'établissements, le ministre de l'Intérieur et la ministre de la Culture ont sollicité les préfets afin de recenser, dans tous les départements, les endroits les plus sensibles et les plus exposés.

Sur la proposition de la ministre, une mission sur la sécurisation des lieux patrimoniaux a également été confiée par le Premier ministre à un député, Jérémie Patrier-Leitus.

S'y ajoute la création d'un « fonds sûreté », à l'image de ce qui a été fait pour l'ensemble des cathédrales appartenant à l'État après l'incendie de Notre-Dame. Pour ce qui concerne le ministère, nous nous organiserons pour assurer la mise en oeuvre et le suivi de l'ensemble des recommandations que formulera la mission parlementaire. La Missa sera évidemment mobilisée, aux côtés du service des musées de France, pour instruire les demandes qui parviendront au fonds sûreté, dont le montant n'est pas encore connu.

D'un mal doit sortir un bien : si rien n'effacera le traumatisme que j'évoquais au début de mon intervention, je peux témoigner de la capacité des acteurs du patrimoine à se mobiliser pour relever les défis qui se présentent à eux.

L'incendie de Notre-Dame avait ainsi révélé la vulnérabilité de nos cathédrales au risque d'incendie, vulnérabilité que nous ne mesurions pas. Six ans plus tard, une seule des 87 cathédrales qui appartiennent à l'État - celle de Montauban - ne répond pas encore aux normes de sécurité, pour la simple raison qu'elle est fermée au public en raison d'un contentieux. Sans prétendre que les autres cathédrales sont préservées de tout danger, elles ont toutes atteint le niveau de sécurité incendie requis pour limiter au maximum les risques.

J'ai donc bon espoir que nous parvenions à accomplir la même chose en matière de sûreté, en conjuguant des mesures d'urgence et un travail au long cours.

M. Laurent Lafon, président. - Combien de fois la Missa est-elle intervenue auprès du Louvre ces dernières années ?

M. Jean-François Hébert. - Elle n'est intervenue qu'assez peu, le Louvre ayant directement pris contact avec la préfecture de police, ce qui est tout à fait légitime. À la demande de la ministre, nous réaliserons désormais des audits systématiques dans les musées nationaux, alors qu'ils étaient jusqu'à présent effectués à leur demande.

Je tiens à la disposition de la commission la liste des établissements audités par la Missa, en insistant sur le fait que nous veillerons à mener cet exercice de manière périodique : un audit de sûreté pourrait ainsi être produit par la Missa tous les quatre ou cinq ans.

M. Laurent Lafon, président. - La préfecture de police a donc été davantage impliquée dans les interventions auprès du Louvre.

M. Jean-François Hébert. - Oui.

M. Laurent Lafon. - Y compris s'agissant du système de vidéoprotection intérieure ?

M. Vincent Annereau, chef du service opérationnel de prévention situationnelle à la préfecture de police. - S'agissant du musée du Louvre, le service opérationnel est intervenu à plusieurs reprises au cours des dix dernières années, mais sur des points particuliers. Nous sommes intervenus, par exemple, sur la périmétrie du Louvre, car l'établissement craignait des attaques aux véhicules-béliers, notamment via le jardin des Tuileries.

Nous sommes également intervenus au moment des Jeux Olympiques, car l'établissement a voulu fonctionner normalement pendant cette période. Nous avons donc veillé à ce que les visiteurs du Louvre ne puissent pas pénétrer, via le musée, au sein du périmètre protégé. De plus, nous avons aussi mené, en 2010, des études concernant les contrôles d'accès au sein du Louvre : qu'il s'agisse de l'entrée par la galerie du Carrousel ou de l'entrée par la pyramide, des contrôles sont systématiquement effectués pour s'assurer que les visiteurs ne soient pas porteurs d'effets dangereux.

Notre dernière intervention date du mois de janvier 2025, lorsque la direction du Louvre a sollicité le préfet de police pour une étude portant sur le fonctionnement du service nocturne : deux équipes travaillent de nuit au Louvre et un audit de leur mode de fonctionnement était nécessaire.

Je peux témoigner du fait que la direction du Louvre avait pleinement conscience de la nécessité de porter un regard neuf sur le dispositif de sûreté de l'ensemble du musée.

M. Laurent Lafon, président. - Pour autant, elle ne vous a pas associé spécifiquement à l'élaboration du schéma directeur.

M. Vincent Annereau. - Certes, mais nos recommandations relatives au fonctionnement du service de nuit, notamment à propos de la nécessité de moderniser l'outil informatique, ont été prises en compte, et ce schéma directeur a été porté à notre connaissance.

Mme Sabine Drexler, rapporteur pour avis sur les crédits budgétaires des patrimoines. - En tant que rapporteur pour les crédits du patrimoine, je me réjouis de la tenue de cette table ronde consacrée à la sécurisation de nos musées et de leurs collections. En effet, ces lieux sont bien plus que des espaces d'exposition : ils incarnent notre mémoire, notre histoire et notre identité collective. L'augmentation récente des cambriolages, les atteintes au patrimoine et bien sûr le cambriolage du Louvre nous rappellent à quel point ils sont vulnérables.

Il s'agit désormais de déterminer la manière de renforcer la protection de ces établissements, d'interroger les moyens financiers, techniques et humains qui sont mobilisés, mais aussi de mieux coordonner les acteurs publics et privés autour de cet enjeu. Il nous faut également tenter de répondre à une question centrale : comment faire en sorte que nos musées restent des lieux de confiance, d'accès et de transmission, tout en assurant la préservation durable de leurs trésors ?

Monsieur Hébert, vous avez évoqué la création d'un fonds de sûreté. Alors que nous entrons dans la période budgétaire, pourriez-vous nous donner quelques chiffres sur les moyens financiers dont disposent actuellement les musées pour assurer la sécurité et la sûreté de leurs bâtiments et de leurs collections ? La dépense correspondante est-elle consolidée et suivie à l'échelle nationale ? Tous les musées sont-ils dotés d'un outil de programmation en matière de sûreté, à l'image du schéma directeur du Louvre ?

Enfin, observez-vous un impact des cambriolages de musées sur leur fréquentation, que ce soit en raison de la crainte légitimement suscitée chez les visiteurs, ou de la perte de certains éléments centraux de leurs collections ?

Monsieur le préfet de police, avez-vous formalisé des relations avec certains musées parisiens afin de renforcer leur protection ? À la suite du cambriolage du musée du Louvre, allez-vous opérer des changements dans votre organisation afin de tirer toutes les leçons de cette catastrophe ?

Enfin, au-delà des vols et des cambriolages, quelles sont les autres menaces qui pèsent sur la sécurité des musées et de leurs visiteurs ? Comment faire pour anticiper les dégradations ?

Monsieur Félicité, pourriez-vous nous décrire le circuit classiquement suivi par les cambrioleurs de musée pour revendre les pièces volées ? Vous avez également décrit les biens patrimoniaux les plus recherchés par les cambrioleurs : de ce point de vue, quels sont selon vous les musées les plus exposés au risque de vol ?

M. Jean-François Hébert. - Nous avons une mission de conseil vis-à-vis des 1 200 musées de France et ne sommes pas en capacité de faire la synthèse budgétaire des mesures engagées par les établissements afin d'améliorer leur sûreté. Cet effort englobe en effet des mesures d'organisation, des dépenses de personnel et des dépenses d'investissement.

En revanche, nous suivons en détail les actions menées par les musées nationaux. Le musée d'Orsay, par exemple, a accompli des efforts notables de modernisation. Pour reprendre l'exemple des caméras, l'obsolescence assez rapide de ces équipements impose des investissements réguliers. C'est un ensemble de mesures qui concourt à la sûreté. Une fois encore, nous devons améliorer le suivi des dépenses de sûreté au travers des plans dédiés que j'évoquais précédemment.

Il faudra très probablement engager des dépenses supplémentaires et analyser les résultats du recensement des lieux à risques. En fonction des montants qui seront alloués au fonds sûreté, il nous faudra répartir les sommes entre les établissements territoriaux et nationaux. La ministre a évoqué deux niveaux de décision, avec d'un côté les directions régionales des affaires culturelles (Drac) pour les musées territoriaux, et de l'autre côté la Missa et le service des musées de France pour les établissements nationaux.

Il paraît malaisé de donner un montant aujourd'hui : j'insisterai davantage sur l'importance de mener un effort constant, à l'image du plan « sécurité cathédrales », qui a produit des effets considérables au bout de six ans, avec des investissements à hauteur de 12 millions d'euros par an. Un effort prolongé de même nature devrait permettre de hisser le niveau de sûreté dans nos musées.

J'ajoute d'ailleurs - sans vouloir alourdir la note - que de magnifiques collections sont abritées à la BNF, mais aussi dans des bibliothèques municipales et dans divers monuments : si le point d'entrée est celui des musées, n'oublions pas les autres lieux.

M. Jean-Baptiste Félicité. - Il est parfois difficile pour les voleurs de revendre des objets tels que les tabatières dérobées au musée Cognacq-Jay, qui ont été récupérées. Si les ventes entre particuliers sont difficilement détectables, il est plutôt question d'un marché noir impliquant des acteurs de la criminalité : c'est ainsi que l'OCBC a pu, aux côtés de la section de recherches de Toulouse, récupérer des tableaux de Bernard Buffet qui avaient été dérobés à un particulier.

Les derniers vols médiatisés d'objets dans les églises visent une revente pour les métaux précieux - or ou argent - dans des boutiques en France, ou par le biais de brocantes ou d'antiquaires. En théorie, ces marchands sont astreints de tenir un registre permettant de connaître l'identité du déposant, mais il s'agit d'une règle française et non pas d'une norme européenne, le franchissement des frontières permettant donc de bénéficier d'un plus grand anonymat pour la revente illicite d'objets, notamment s'ils sont fondus.

Internet, enfin, est très utilisé pour proposer des objets, ce qui contraint les forces de l'ordre à développer des capacités de surveillance en recourant à l'intelligence artificielle (IA) : nous sommes en train de développer des outils de ce type, notamment à l'aide de financements européens.

Les biens et les musées les plus exposés sont visés par les directives cosignées par le ministre de l'Intérieur et la ministre de la Culture, avec une demande de recensement dans des délais relativement courts - d'ici la mi-novembre. J'espère que cette approche sera maintenue dans la durée.

M. Patrice Faure. - Je tiens d'abord à rendre hommage à l'ensemble des acteurs, qu'il s'agisse des personnels de la culture ou des entreprises délégataires des missions de sûreté, qui sont tous attachés à réaliser au mieux leurs missions.

Comme l'a souligné Jean-François Hébert, c'est sans doute une vision globale qui fait le plus défaut, chaque acteur se cantonnant à son domaine.

Pour ce qui concerne la préfecture de police, nous proposerons, dans le cadre du renouvellement des arrêtés préfectoraux relatifs à la vidéoprotection, d'avoir une vision plus exhaustive de la sûreté. Cela pourrait conduire à imposer, comme nous le faisons déjà pour les établissements recevant du public (ERP), des mesures plus contraignantes dont le respect déterminerait la reconduction de l'autorisation préfectorale.

En outre, un corpus administratif devra permettre de vérifier que la démarche relative à la sûreté s'inscrit à la fois dans le temps court, le temps moyen et le temps long, et qu'elle englobe la mise à jour des logiciels, des matériels et des procédures, de manière à ce que les responsables d'établissement disposent d'une vision d'ensemble intégrant des échelles de risques. En cas de danger, nous pourrions ainsi préconiser des mesures temporaires permettant de maintenir l'ouverture de l'établissement.

Quant à la diversité des risques, plusieurs progrès ont été accomplis, qu'il s'agisse de se protéger du risque incendie, du risque d'envahissement à l'occasion des manifestations telles que celles des « gilets jaunes » ou encore du risque d'« ensoupement » lorsque des militants viennent projeter des liquides non dangereux sur les oeuvres. Ces différents aspects ont certes été pris en compte, mais de manière compartimentée : sans avoir été éludée, la sûreté n'a pas été inscrite au sein d'une vision globale susceptible d'améliorer la situation.

Mme Colombe Brossel. - Monsieur Félicité, l'Italie dispose d'une force autrement plus imposante avec les carabiniers pour la protection du patrimoine culturel (TPC), qui comptent plus de 300 agents spécialisés. Répartis en seize unités régionales, ces derniers sont dotés de pouvoirs d'enquête propres, disposent d'une base de données interconnectée et sont présents sur tout le territoire. En comparaison, l'OCBC compte 34 agents installés à Nanterre et ne dispose pas d'un maillage territorial équivalent.

Les moyens actuels dont nous disposons, qu'ils soient humains, techniques ou budgétaires, permettent-ils à la France d'assurer une surveillance efficace et réactive de son patrimoine, ainsi que la mise en oeuvre de l'ensemble des mesures de prévention que vous avez exposées ? Alors que nous sommes en plein débat budgétaire, faudrait-il envisager un alignement, au moins partiel, sur le modèle italien, notamment en matière de déploiement régional et d'investigation numérique ?

Monsieur Hébert, les chiffres que vous avez donnés, ainsi que ceux communiqués par la ministre hier, appellent une clarification : vous faites état, en cohérence avec les propos de la présidente du Louvre et de la ministre de la culture, du déploiement d'un schéma directeur comprenant un investissement à hauteur de 10 millions d'euros par an, mais nous ne retrouvons absolument pas ces chiffres dans le PLF. Celui-ci fait apparaître une enveloppe d'environ 100 millions d'euros pour le Louvre - en baisse de 5 millions d'euros -, qui se décompose ainsi : 89 millions d'euros de crédits de fonctionnement, 6 millions d'euros - et non pas 10 millions d'euros - sur le schéma directeur et 9,7 millions d'euros de crédits d'investissements, qui ne semblent toutefois pas être spécifiquement fléchés.

Quelle est la véracité de ces chiffres et comment se traduisent-ils dans le PLF ? Comment pouvons-nous agir à l'occasion du débat budgétaire ?

Mme Pauline Martin. - Permettez-moi une touche d'humour dans cette situation dramatique : « Écoutez-moi bien. Il suffit de poser une échelle contre un mur, de grimper au premier étage. D'ailleurs, il n'y a qu'un étage. Ensuite, on casse un carreau, on fait dix mètres, on brise la vitre d'un coup de marteau et, hop, on a la main sur l'objet. Ah, si je n'étais pas enfermé ici, je vous assure, ce serait vite fait ». Cette citation est issue du livre Appelez Fantômette, oeuvre de Georges Chaulet parue en 1961.

Soixante-quatre ans plus tard, la formule de ce célèbre roman pour enfants est toujours d'actualité. Devrons-nous encore attendre soixante-quatre ans pour tirer les soixante kilomètres de câbles que vous avez évoqués ?

Auditionnée hier, la ministre de la culture nous a indiqué que l'on ne relève aucune défaillance, mais des « failles », ce qui me rappelle la formule désormais célèbre « responsable, mais pas coupable ».

Si la responsabilité de la sécurité du Louvre est commune à la Ville de Paris, à la préfecture de police et au musée, ce partage place le musée au centre du débat, notamment sur le nombre et l'efficacité des caméras de surveillance. Comment les autorités que vous représentez trouvent-elles leur place dans ce jeu où l'on se renvoie les responsabilités ?

Par ailleurs, le Louvre étant un établissement public national, l'État doit pouvoir aider l'État. Vous confirmez refuser l'ouverture d'un commissariat au sein du musée, alors que certains évoquent la mise en place de rondes aléatoires des forces de police, en sus de l'opération antiterroriste Sentinelle. Est-ce une solution envisageable ?

Le réaménagement de la grande entrée par l'esplanade Saint-Germain-l'Auxerrois, prévu dans le plan « Louvre-Nouvelle Renaissance », soulève également des interrogations : le musée souhaiterait pouvoir fermer cet espace en dehors des horaires d'ouverture, tandis que la Ville semble opter pour un accès permanent. Quel est votre point de vue sur la question ?

Enfin, nous avons mené plusieurs auditions sur l'héritage des Jeux Olympiques de 2024. Vous avez évoqué les caméras à analyse algorithmique installées, à l'époque, à titre expérimental. Leur utilisation sera-t-elle actée et facilitée afin de renforcer la sécurité des grands sites culturels ?

M. Pierre Ouzoulias. - Merci, monsieur le président, d'avoir cité le vol commis au musée Jacques Chirac en Corrèze, musée qui abrite de véritables chefs-d'oeuvre, dont une paire de bottines dites « santiags » offerte par Bill Clinton et un maillot de football dédicacé par Zinedine Zidane. Je vous rassure : ces deux pièces sont encore en place !

Je tiens à saluer, monsieur Félicité, votre prédécesseur, le colonel Hubert Percie du Sert, qui avait accompli un travail considérable et que j'avais eu le plaisir d'accueillir lorsqu'il avait lancé un plan national visant à améliorer le partage du renseignement, qui associe toujours sept ministères : seul un gendarme pouvait obtenir ce résultat !

À cette occasion, nous avions évoqué l'encadrement du marché de l'art, sur lequel peuvent se retrouver les pièces dérobées. J'ai interrogé à plusieurs reprises le ministère de la culture sur la convention d'Unidroit de 1995, qui a été signée par la France en 1997, mais jamais ratifiée. Ce texte offrirait-il aujourd'hui des moyens supérieurs à notre pays, notamment dans la constitution de la preuve ?

Par ailleurs, le rapport d'information consacré au patrimoine religieux qu'Anne Ventalon et moi-même avons rendu en juillet 2022 avait permis de mettre en exergue un véritable problème s'agissant des moyens mis à la disposition des conservateurs des antiquités et objets d'art, avec un logiciel complètement obsolète qui ne permet pas de transférer les données à l'OCBC.

Il existe là une vraie difficulté, car il est question d'une base de données gigantesque, qui permettrait sans doute de suivre plus facilement le parcours des objets arrivant sur le marché de l'art.

Vos projets intègrent-ils donc le travail des conservateurs des antiquités et des objets d'art et la remise à niveau des logiciels dont ils disposent ?

Mme Sonia de La Provôté. - Il me semble que la sûreté est consubstantielle à la mission d'un musée, qui plus est national, puisque celui-ci a une responsabilité particulière vis-à-vis de biens d'intérêt général qui sont autant d'éléments majeurs de notre histoire : on n'imaginerait pas qu'un hôpital fonctionne sans que la question des déchets et des circuits d'hygiène ait été réglée, et traiter la question des musées sans aborder celle de la sûreté, ou du moins en la considérant comme un élément parmi d'autres paraît quelque peu décalé.

On a le sentiment que cinq interlocuteurs - en comptant le cycliste - sont intervenus dans la chaîne d'événements et de réactions à ce vol, ce qui révèle la grande complexité du système et des circuits d'information. Malgré les problèmes d'obsolescence du matériel et d'interopérabilité, les personnes qui ont réagi et sont intervenues se sont montrées, d'une manière assez extraordinaire, capables de pallier les carences.

Le plan de prévention et de sûreté est assujetti à une autorisation : cette dernière est-elle donnée par défaut ou est-elle assortie de préconisations d'amélioration conférant au plan un caractère plus réaliste et opérationnel ? On ne peut se contenter de dire que l'on pourrait menacer de ne pas donner l'autorisation, ou proposer des primes si les chantiers sont menés à bien : à un moment donné, il faut que des mesures opérationnelles soient mises en oeuvre.

Quelles actions ont été entreprises depuis 2021 ? La présence obligatoire d'un certain nombre de personnels a-t-elle été décidée en attendant l'échéance de 2030 ?

Mme Laure Darcos. - Nous savons très bien, sans vouloir accuser qui que ce soit, que le commerce des diamants et autres pierres précieuses se fait beaucoup à Anvers. N'avez-vous pas la possibilité de court-circuiter, dans les vingt-quatre heures qui suivent un braquage, les principaux revendeurs cotés à Anvers, afin d'essayer de récupérer les pièces avant qu'elles ne soient desserties ?

Je souhaiterais avoir davantage de précisions concernant les pierres et les diamants qui ont été volés, et m'interroge quant à l'état de la couronne de l'impératrice Eugénie, qui a l'air d'avoir été très endommagée : sera-t-il possible de la réparer ?

Je tiens par ailleurs à saluer Jean-François Hébert du fond du coeur pour ces années formidables, marquées par les souvenirs des combats communs que nous avons menés.

Mme Monique de Marco. - Comment la coopération entre les services s'articule-t-elle à partir de la constatation d'un vol tel que celui qu'a subi le musée de Limoges ?

Pouvez-vous nous apporter des précisions sur les différents fichiers utilisés à l'échelle nationale et européenne ? Tous les pays coopèrent-ils dans ce domaine ?

Mme Agnès Evren. - Monsieur le préfet de police, dès lors qu'il est question de la répartition des compétences en matière de vidéoprotection à l'extérieur du musée, j'ai l'impression que la Ville de Paris, la préfecture et le musée se renvoient la balle.

Vous avez indiqué que la préfecture de police avait omis de prendre un nouvel arrêté en juillet 2025. Or la mairie de Paris ne semble pas s'en être inquiétée, tandis que le musée n'a pas non plus déposé une demande de reconduction. Pourriez-vous nous éclairer sur cette chaîne de responsabilité et nous indiquer à quelle étape de la procédure la Ville intervient ?

Par ailleurs, il semble que seules cinq caméras soient installées pour couvrir 1,3 kilomètre de façades extérieures du Louvre. Avez-vous reçu des demandes pour ajouter de nouveaux équipements de ce type ? Si oui, quelle est la procédure à venir et à quelle échéance la protection périmétrique du Louvre pourra-t-elle être renforcée ?

Enfin, la presse a évoqué une note d'alerte du renseignement selon laquelle la menace criminelle contre les musées semble se renforcer. Pourriez-vous nous éclairer sur ce point ?

M. Jacques Grosperrin. - Le plus vieux musée de France est celui de Besançon, créé en 1694, qui n'a à ce jour subi aucun vol. Le Louvre avait, quant à lui, déjà subi le vol d'un tableau d'Antoine Watteau en 1939, et la presse avait déjà déploré le manque de personnel qui est encore évoqué de nos jours.

Sans vouloir revenir sur l'audition de Mme Laurence des Cars la semaine dernière, j'ai le sentiment que chacun cherche à dédouaner ses services et ses tutelles respectives, ce que je peux comprendre. Néanmoins, les interrogations de nos concitoyens sont fortes et il y a bien eu un dysfonctionnement, notamment au niveau des vitrines censées protéger nos trésors : sont-elles véritablement efficaces pour déjouer des vols ou d'autres méfaits ? Estimez-vous que les investissements réalisés sont suffisants pour assurer la protection des objets ?

Vous avez aussi mentionné de nouveaux équipements et de nouvelles pratiques : je suis pour ma part persuadé que l'utilisation de l'IA sera un élément déterminant à l'avenir. Existe-t-il un guide des bonnes pratiques pour la surveillance des musées ?

Si je ne souscris guère à l'idée d'installer un commissariat dans l'enceinte du musée, peut-être que quelques policiers nationaux pourraient être positionnés pour intervenir en urgence. En outre, il me semble qu'un effort de recrutement ou de montée en compétences des agents devrait être accompli.

Enfin, certains musées semblent plus indiqués que d'autres pour abriter des objets de valeur : la Tour de Londres protège ainsi de manière efficace les bijoux de la reine.

M. Max Brisson. - Audition après audition, l'art de la défausse progresse, l'organisation des pouvoirs publics en tuyaux d'orgue nous permettant d'espérer un titre de champions du monde dans cette discipline. Chacun se protège et le summum du raffinement sémantique a été atteint hier lorsque la ministre a évoqué l'absence de défaillances, tout en reconnaissant malgré tout des « failles ». Choisissez le mot que vous préférez, monsieur le préfet de police, mais y a-t-il eu des défaillances ou des failles ?

Comment expliquer qu'un monte-charge ait pu se garer sur un trottoir en contresens de la circulation et opérer un demi-tour quai François Mitterrand, à 9 heures du matin, en plein coeur de Paris ? Pour ce qui vous concerne, une chaîne de responsabilités sera-t-elle établie ? Le mot « sanction », qui n'est jamais prononcé, peut-il être envisagé dans le débat ? Ou est-ce que l'irresponsabilité est la règle ?

De surcroît, je suis très surpris, monsieur le préfet de police de Paris, par l'expiration de l'arrêté d'autorisation des caméras. Vous dites qu'une telle situation ne devrait plus se produire grâce à l'IA. Dieu merci, nous avons su renouveler des arrêtés avant que l'intelligence artificielle ne progresse !

Je songe d'ailleurs aux maires des 36 485 communes de France, qui ne bénéficient pas de la même bienveillance quand ils oublient de renouveler un arrêté.

M. Jean-François Hébert. - Monsieur Brisson, une enquête administrative est en cours et la ministre a indiqué qu'elle en attendait les conclusions avant d'en tirer les conséquences en termes de responsabilités respectives. Sans entrer dans d'inutiles polémiques ou dans des débats sémantiques, il me semble que la ministre a indiqué que le dispositif existant avait fonctionné, ce qui n'empêche pas l'existence de défaillances : dans le cas contraire, nous n'aurions pas besoin de mener des enquêtes, et il me semble qu'il y a là un faux procès.

Concernant le budget, madame Brossel, le programme 175 est mis à contribution dans le cadre du redressement des finances publiques et la quasi-totalité des opérateurs est associée à cet effort, dont le Louvre. Le montant de la subvention de l'État diminue donc bien de 5 millions d'euros pour le musée ; il n'en demeure pas moins que l'amendement au budget dédié au patrimoine voté l'année précédente permettra, si le budget pour 2026 est voté, de maintenir une enveloppe de 10 millions d'euros au titre du schéma directeur. Par ailleurs, si le conseil d'administration du musée vote bien la tarification différenciée en fin d'année, le budget du Louvre intégrera une recette prévisionnelle de 20 millions d'euros, contrebalançant ainsi la diminution de la subvention. Ces éléments ne sont pas visibles dans le PLF, car ils relèvent du budget de l'opérateur et de ses ressources propres. De surcroît, les emplois du Louvre seront maintenus dans le budget qui vous est soumis.

Monsieur Ouzoulias, nous avons lancé une inspection de l'Igac sur les modes de travail des conservateurs d'antiquités et d'objets d'art, profession que je tiens à saluer tant elle accomplit un travail irremplaçable sur l'ensemble du territoire. Nous devons donc les aider, leurs frais de mission étant insuffisants et leur système informatique méritant une mise à niveau. Ce rapport a été remis au cabinet de la ministre et devra permettre de se pencher sur cet aspect informatique, car il est impératif qu'ils puissent transférer le plus facilement possible les données qu'ils collectent.

Quant à la couronne d'Eugénie, le département des objets d'art a jugé qu'il serait possible de la restaurer dans son état initial.

Monsieur Grosperrin, l'enjeu des personnels doit être abordé finement : les agents d'accueil étaient en nombre suffisant dans la galerie Apollon et, s'ils doivent assurer la sûreté des oeuvres, ils n'ont pas vocation à aller au contact de malfaiteurs qui peuvent être armés.

Si la piste d'un commissariat a été écartée, la ministre a indiqué aux organisations syndicales qu'elle n'imaginait pas que les agents d'accueil et de surveillance puissent être armés. Peut-être faudrait-il envisager le regroupement de certains objets dans des salles particulières, en faisant appel à des sociétés de sécurité privées dont les salariés pourraient être armés : je ne dis pas que nous allons retenir cette option, mais il nous faut ouvrir la réflexion à ce sujet.

M. Jean-Baptiste Félicité. - La TPC italienne compte effectivement un effectif dix fois plus important que celui de l'OCBC et dispose d'une base de données, Leonardo, dans laquelle sont enregistrés tous les biens des collections publiques, tandis que nous ne répertorions que les objets volés dans notre fichier Treima. J'ajoute que notre modèle, plus souple, repose davantage sur la complémentarité dans la mesure où l'Office central peut travailler avec des unités locales ou régionales de police et de gendarmerie.

Pour reprendre l'exemple du vol commis à Limoges, l'OCBC a été immédiatement contacté par le parquet et cosaisi du dossier : la gravité des faits a justifié que la saisine soit ensuite reprise par la juridiction interrégionale spécialisée (Jirs) de Bordeaux. Nous pouvons donc agréger des moyens au gré des besoins.

Les fichiers englobent le fichier Treima que j'évoquais à l'instant et qui comporte plus de 97 000 objets volés. S'y ajoute une base d'Interpol dénommée Psyché à laquelle contribue fortement la France, tout particulier pouvant avoir accès aux photos des objets via l'application ID-Art.

Tous les pays européens ne disposent pas d'une base spécifique recensant les objets volés. Des travaux sont en cours pour mettre en contact les services d'enquête de l'ensemble des États membres : le développement d'un fichier européen pourrait être nécessaire à cet effet. De plus, tous les pays ne disposent pas d'une force spécialisée pour enquêter sur ce type de vols. La Grèce a récemment annoncé la création d'un service dédié.

J'en viens à la note du renseignement évoquant une hausse de la menace criminelle : si nous ne disposons pas des 350 carabiniers de la TPC, l'OCBC dispose d'un réseau d'une centaine de correspondants - policiers comme gendarmes - sur le territoire et dispense régulièrement des sessions de formation afin de former les agents aux spécificités de ce contentieux.

Nous tâchons de maintenir des liens par des échanges réguliers et n'excluons pas d'organiser des réunions avec les Drac afin de décliner les directives ministérielles récentes visant à renforcer la vigilance et la sûreté.

Pour ce qui est du marché d'Anvers, nous avons diffusé largement les informations relatives aux objets volés, notamment auprès de la police belge, mais il n'existe pas de parade absolue.

Concernant le marché de l'art et la convention d'Unidroit, monsieur Ouzoulias, je vous répondrai ultérieurement.

M. Patrice Faure. - Des rondes supplémentaires ont été organisées dès avant ma prise de fonctions, le nombre d'interpellations ayant déjà augmenté de 43 % par rapport à l'année précédente. Une réunion d'état-major élargi permettra de se pencher, entre autres, sur l'opportunité de déployer un système analogue à Sentinelle.

Pour ce qui concerne les recherches algorithmiques et le recours à l'IA, la préfecture de police a pu mener une expérimentation pendant les Jeux Olympiques, mais celle-ci a été stoppée. Nous gagnerions bien sûr énormément du temps si le corpus législatif venait à les autoriser, notamment pour suivre des véhicules.

Monsieur Brisson, je suis désolé de vous avoir choqué, mais je rappelle que nous sommes en quelque sorte un fournisseur de services en matière d'arrêtés préfectoraux, ce qui n'empêche pas de mieux s'organiser pour anticiper davantage le renouvellement desdits arrêtés, en lien avec les collectivités. J'ai d'ailleurs un grand respect pour ces dernières et en particulier pour les plus petites, et je n'oublie pas que notre mission consiste à servir le public. Vous avez probablement raison : il nous revient de contacter les collectivités plus en amont dans le cadre de la reconduction des arrêtés, afin qu'elles nous sollicitent plus rapidement, dans le souci d'une plus grande efficience.

Les équipages de la préfecture de police sont arrivés dans un délai extrêmement bref - en moins de deux minutes -, ce qui n'empêche pas de constater l'existence de failles. Je ne cherche aucunement à échapper à mes responsabilités et des sanctions seront prises si nécessaire, car nous sommes, une fois encore, au service du public.

Vous m'avez également interpellé quant à l'absence de réaction face à l'arrivée d'un monte-charge aux abords du musée. Depuis de très nombreuses années, des travaux incessants sont effectués dans la capitale, et la vigilance a été à l'évidence atténuée par l'habitude de voir des camions et des grues, qui semblent être une banalité. Là aussi, les caméras de surveillance et les algorithmes seraient utiles pour détecter des mouvements inhabituels, en venant aider les humains, et non pas en se substituant à eux.

M. Vincent Annereau. - Nous n'avons pas été saisis de demande d'installation de nouvelles caméras pour l'instant. Le dispositif de vidéoprotection devra à l'évidence être redéployé, aux abords immédiats du Louvre comme à l'intérieur du musée.

Pour ce qui concerne les abords, des équipements plus « intelligents » et en nombre plus important auraient sans doute permis de détecter plus tôt l'attaque et de donner l'alerte. En la matière, les principes sont « dissuader, détecter au plus tôt, essayer de ralentir et alerter » : en l'espèce, c'est la détection précoce qui a vraisemblablement péché, notamment du fait de l'habitude évoquée par le préfet et de l'absence d'IA, ce qui a permis au camion de stationner sans être détecté.

M. Laurent Lafon, président. - Combien de caméras de la préfecture de police étaient-elles installées sur la voie publique au niveau de ce quai ?

M. Jérôme Mazzariol. - Au total, sept caméras étaient actives sur le périmètre du musée.

M. Laurent Lafon, président. - L'une d'entre elles avait-elle bien dans son champ de vision la galerie d'Apollon et l'emplacement où s'est arrêtée la nacelle ?

M. Jérôme Mazzariol. - Je rappelle que ces caméras sont séquentielles et qu'elles ne filment pas un endroit de manière fixe. L'une d'entre elles permet effectivement de disposer d'un visuel sur la scène des faits.

M. Laurent Lafon, président. - En matière de sécurité, qui est juridiquement responsable des abords du musée ? Est-ce l'établissement public, avec des compétences clairement établies, ou y a-t-il un flou dans la répartition des compétences ?

M. Vincent Annereau. - Le Louvre est responsable de sa sûreté pour tout ce qui concerne l'intérieur du bâtiment, tandis que les forces de police sont habilitées à pénétrer dans les lieux en cas de crime ou de délit flagrant. Pour les abords immédiats du Louvre, c'est bien la police nationale, et non le musée, qui est compétente.

Si on raisonne en termes de périmétrie, c'est-à-dire en s'attachant à la limite entre le domaine public et le domaine privé du Louvre - comme en l'espèce avec ce camion qui vient se coller à la façade -, les deux entités peuvent être compétentes en même temps, puisque les forces de police interviennent concomitamment à l'alerte donnée par les agents du Louvre.

M. Laurent Lafon, président. - Merci pour vos réponses, messieurs.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 11 h 35.

La réunion est ouverte à 16 h 30.

Projet de loi de finances pour 2026 - Audition de M. Philippe Baptiste, ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'espace

M. Laurent Lafon, président. - Nous poursuivons notre séquence budgétaire avec l'audition de M. Philippe Baptiste, ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'espace.

Le projet de loi de finances pour 2026 prévoit d'ouvrir 31,5 milliards d'euros de crédits pour la mission interministérielle « Recherche et enseignement supérieur », la Mires, soit 566 millions d'euros de plus qu'en loi de finances initiale pour 2025. Sur le périmètre de votre ministère, monsieur le ministre, qui correspond aux programmes budgétaires 150, 231 et 172, les crédits pour 2026 sont de 27 milliards d'euros, en hausse de 176 millions.

En ce qui concerne, tout d'abord, les crédits de l'enseignement supérieur, vous avez peut-être pris connaissance du rapport adopté la semaine dernière par notre commission sur les relations stratégiques entre l'État et les universités, dont le processus annuel d'allocation des moyens budgétaires des établissements constitue un pilier central. Nos rapporteurs, Laurence Garnier et Pierre-Antoine Levi, ont formulé plusieurs préconisations pour améliorer le processus de définition et de répartition de la subvention pour charges de service public (SCSP) ainsi que le diagnostic porté sur les marges de manoeuvre financières des universités, notamment en ce qui concerne leur trésorerie.

Ils ont plus largement mis en évidence les faiblesses et les carences de l'État dans la définition de sa stratégie universitaire, et regrettent que votre ministère ne satisfasse plus à l'obligation qui lui est faite par la loi d'adopter et de mettre en oeuvre une stratégie nationale de l'enseignement supérieur (Stranes) concertée. Comment, monsieur le ministre, accueillez-vous ces constats et ces propositions ?

S'agissant, ensuite, du secteur de la recherche, cette année a été marquée par la revoyure de la loi du 24 décembre 2020 de programmation de la recherche (LPR), menée au printemps dernier « en interne », selon l'expression de votre ministère. Si nous comprenons parfaitement votre démarche de concertation avec les acteurs de l'enseignement supérieur et de la recherche (ESR), monsieur le ministre, nous regrettons que les parlementaires n'aient pas été associés à ce travail, d'autant que nous vous avions fait part de notre intérêt et de notre disponibilité lors de votre audition le 9 avril dernier. Le Gouvernement de l'époque avait pourtant été content de trouver le Sénat lors de l'élaboration de la LPR...

Quelle est la traduction de cette revoyure dans le projet de budget 2026 ? Comment celui-ci concilie-t-il poursuite du déploiement de la LPR et contrainte budgétaire ? Alors que la question de la souveraineté de notre recherche, dans un contexte international très troublé, est de plus en plus prégnante, quelle orientation stratégique comptez-vous donner à la politique de recherche, avec quels moyens et selon quelle gouvernance ?

M. Philippe Baptiste, ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'espace. - S'agissant de la stratégie nationale de recherche et d'innovation (SNRI), dans une vie antérieure, j'avais participé à sa définition. Je pourrais la caractériser en disant que tout était prioritaire, quels que soient les sujets et quelle que soit la granularité, pour une capacité de priorisation peu satisfaisante...

Cela n'enlève rien pour autant à l'obligation de présenter une stratégie nationale en matière de recherche et d'innovation. Je vous propose donc qu'elle soit articulée autour des agences de programme, qui portent aujourd'hui les grands défis sociétaux correspondant aux priorités sur lesquelles nous devons nous concentrer, dont le numérique, l'écologie, l'environnement, la santé ou encore l'énergie.

M. Laurent Lafon, président. - Je vous interrogeais plutôt sur la Stranes.

M. Philippe Baptiste, ministre. - Certes, j'ai plutôt évoqué la SNRI, mais les deux stratégies sont proches.

S'agissant de la LPR, je sais le rôle qu'a joué le Sénat. Un travail de revoyure a effectivement été mené avec les acteurs de l'ESR. Je n'ai pas eu l'occasion de venir vous le présenter, le calendrier politique ayant quelque peu percuté les consultations, ce dont je me désole. Je suis bien évidemment à votre disposition pour revenir vous présenter les trois sujets principaux : renforcer l'attractivité des carrières et des parcours scientifiques, simplifier et rendre plus efficace le financement de la recherche et développer la recherche partenariale. Ces différentes priorités n'ont de sens qu'au travers du budget dont nous discutons.

Je vous avais présenté les priorités du ministère il y a quelques mois ; elles n'ont pas beaucoup changé et tiennent en peu de mots : garantir les conditions qui nous permettent de préparer un avenir collectif en investissant dans notre jeunesse, d'une part, dans les leviers de notre souveraineté, présente et future, d'autre part, en les ancrant dans les territoires.

L'enseignement supérieur français continue de former des chercheurs au meilleur niveau. Cette année encore, nous avons eu la fierté de compter deux lauréats du prix Nobel, en physique et en économie. Leur réussite est le fruit d'investissements consentis depuis des décennies. Ainsi, Philippe Aghion avait bénéficié d'une bourse de thèse grâce au gouvernement de Raymond Barre. Nous parlons donc bien d'investir sur des temps très longs, qui dépassent les questions d'alternance politique, ce qui est difficile à envisager dans un monde politique contraint par des échéances de plus court terme. L'Organisation européenne pour la recherche nucléaire (Cern) et d'autres grands équipements s'inscrivent dans la même logique.

Or, depuis plus de quinze ans, l'investissement dans la recherche stagne à 2,2 % du produit intérieur brut (PIB), alors que, dès 2000, la cible était de 3 % du PIB. Ce taux a été largement dépassé par l'Allemagne, les États-Unis, la Corée du Sud, Israël ou la Suisse. Cet écart est problématique à deux titres.

D'une part, cet argent manque à nos laboratoires publics de recherche et à la recherche fondamentale. D'autre part se pose la question de l'investissement de nos entreprises dans la recherche. Ainsi, dans le détail de l'effort de recherche, on constate, certes, un manque de la part de l'État, mais surtout un immense retard de nos entreprises sur les activités de recherche et développement (R&D). Tout cela a des conséquences majeures sur le type d'activités industrielles qui sont menées dans le pays et, par conséquent, sur notre capacité à créer des produits et des emplois, en d'autres termes, sur notre potentiel de croissance.

Cette année encore domine le besoin de redresser nos finances publiques. Malgré cela, le Gouvernement a donné un gage en permettant une progression du budget de notre ministère. En 2026, celui-ci s'établit à 28,9 milliards d'euros, spatial compris, répartis en quatre programmes. 15,6 milliards d'euros, soit 54 % du budget, sont consacrés au programme 150 « Formations supérieures et recherche universitaire », ce qui représente une progression d'un peu moins de 160 millions d'euros, soit 1 % de plus par rapport à la loi de finances initiale pour 2025. Le programme 172 « Recherches scientifiques et technologiques pluridisciplinaires » - qui finance principalement les grands organismes nationaux de recherche - est lui doté de 8,2 milliards d'euros, soit une progression de 44 millions d'euros. Le programme 231 « Vie étudiante » bénéficie de 3,2 milliards d'euros. Enfin, 1,8 milliard d'euros sont alloués au programme 193 « Recherche spatiale ».

Ces budgets constituent avant tout un socle indispensable au fonctionnement du système d'enseignement supérieur et de recherche. Ce sont eux qui permettent de payer les enseignants-chercheurs, les ingénieurs et les techniciens qui font fonctionner les petits, les moyens et les gros équipements. C'est ce qui fait tourner les laboratoires et les amphithéâtres.

Par ailleurs, nous entendons mobiliser ces fonds au service de notre stratégie, à commencer par la poursuite de la mise en oeuvre de la LPR, à laquelle votre assemblée a largement contribué. À ce titre, 87 millions d'euros supplémentaires sont prévus pour le programme 150 et 34 millions d'euros pour le programme 172. Ces 121 millions d'euros financent en particulier la poursuite des mesures statutaires en faveur des jeunes chercheurs, des personnels des bibliothèques et des ingénieurs techniques, ainsi que du repyramidage des chargés et des directeurs de recherche. Pour être transparent, nous avions prévu de faire un peu plus : cette marche est inférieure à celle qui est prévue dans la LPR et une partie de la revalorisation des autres personnels ne pourra pas être effectuée cette année. J'insiste néanmoins sur le bénéfice apporté aux jeunes et aux titulaires d'un contrat doctoral. Ainsi, à compter du 1er janvier 2026, leur rémunération sera portée à 2 300 euros, contre moins de 1 800 euros il y a cinq ans. La LPR produit donc bien des effets de revalorisation très nets et très concrets sur les bourses de thèse, par exemple.

Les financements fléchés par la LPR, pérennisés en 2026, permettront également d'investir dans les équipements et dans les infrastructures indispensables à une recherche de très haut niveau, dont la flotte océanographique et les grands équipements de physique de Saclay ou Grenoble, éléments extraordinaires qui font rayonner le pays.

On entend souvent un discours un peu morose sur les universités et sur la recherche. Sans nier les difficultés, soyons fiers de nos grandes universités, de nos grands laboratoires, qui sont très attractifs et qui sont au meilleur niveau international aujourd'hui.

Le programme 172 permet de soutenir les organismes publics de recherche placés sous la tutelle ou la cotutelle du ministère - le Centre national de la recherche scientifique (CNRS), l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), etc. -, qui couvrent tous les champs disciplinaires. Une part importante de ce programme est dédiée au financement de la recherche sur projets via l'Agence nationale de la recherche (ANR), modalité d'organisation et de financement de la recherche que l'on trouve dans tous les grands pays. Les crédits de l'ANR s'élèvent aujourd'hui à 1 milliard d'euros par an. Le financement de la recherche en France s'appuie aussi sur des crédits récurrents, non ciblés sur des projets, qui sont essentiels pour la recherche fondamentale, la liberté dans la conduite des travaux de recherche et le bouillonnement d'idées des équipes.

Ensuite, plus on monte en maturité dans les projets en se rapprochant de l'industrie, plus il faut prendre des risques. C'est le rôle que devraient jouer les grands opérateurs de recherche. Il faut donc bien une vision stratégique, avec de grands programmes qui tendent vers l'industrialisation, mais aussi une recherche fondamentale correctement financée.

Je voudrais ici mentionner que le niveau de crédits alloués au dispositif de la convention industrielle de formation par la recherche (Cifre) est maintenu en 2026, à 73 millions d'euros. Ces thèses Cifre sont un élément essentiel de transfert, au sens où elles permettent d'envoyer de jeunes doctorants dans des entreprises. Une partie du coût est indirectement prise en charge par l'État, et cela permet de créer un lien immédiat entre le laboratoire d'origine du jeune chercheur et l'entreprise. Ce transfert de fait évite les achoppements autour de la propriété industrielle. Ce système, concret, fonctionne bien : il faut absolument le préserver.

De manière plus générale, ce budget permettra d'accroître la performance des établissements d'enseignement supérieur, notamment grâce aux contrats d'objectifs, de moyens et de performance (Comp). Ils sont le levier principal, pour le ministère, de la déconcentration de l'action publique, afin d'assurer un pilotage au plus près des territoires et des établissements. C'est le même effort d'efficacité et de lisibilité qui m'a conduit à présenter un projet de loi sur la régulation de l'enseignement supérieur privé, qui, je j'espère, pourra être débattu rapidement.

À partir de 2026, les Comp couvriront l'intégralité de la stratégie des établissements. Ils auront vocation à mettre autour de la table tous les acteurs, tous les financeurs d'un établissement qui le souhaitent, en particulier les collectivités territoriales, les régions, mais aussi l'État. C'est l'endroit où nous devrons discuter concrètement de la carte de formation, en tenant compte des spécificités du territoire, des bassins d'emploi, des besoins et des zones blanches de formation. Cette discussion stratégique n'a pas lieu aujourd'hui.

Nous sommes au milieu d'une expérimentation avec un grand nombre d'établissements des régions Provence-Alpes-Côte d'Azur et Nouvelle-Aquitaine, avant une généralisation dès l'an prochain. C'est une petite révolution, qui doit nous amener à déconcentrer l'action du ministère. En effet, si celui-ci comporte beaucoup d'opérateurs, il reste très concentré. Cette petite révolution interne s'appuiera, en particulier, sur les rectorats. À ces fins, une enveloppe de 45 millions d'euros figure dans le programme 150, en complément des 100 millions d'euros déjà déployés pour la mise en oeuvre des Comp.

Le budget 2026 doit aussi nous permettre de poursuivre la lutte contre la précarité étudiante. Un étudiant précaire est un étudiant qui ne peut pas bien étudier, qui ne peut pas aller bien. Nous agissons pour la santé mentale des étudiants, mais nous devons aussi et avant tout leur garantir des conditions de vie décentes. Voilà pourquoi la subvention pour charges de service public (SCSP) du Centre national des oeuvres universitaires et scolaires (Cnous) augmentera de 15 millions d'euros en 2026, ce qui la portera à 163 millions d'euros.

Grâce à un budget d'investissement maintenu, pour la troisième année consécutive, à 120 millions d'euros, le réseau pourra aussi poursuivre les plans de réhabilitation et de construction engagés. Je rappelle aussi l'engagement de la Banque des territoires, qui atteint 5 milliards d'euros, pour la rénovation et l'extension du parc de logements étudiants. Ainsi, 45 000 nouvelles places doivent être construites dans les deux prochaines années, dont 30 000 au titre de logements sociaux. Si, au cours d'exercices précédents, nous avons eu du mal à tenir nos annonces, tel ne devrait pas être le cas pour celle-ci, grâce à une mobilisation des préfets, des recteurs, de la Banque des territoires et du Cnous. La première précarité, pour les étudiants, est celle du logement.

Enfin, comme vous le savez, le spatial fait désormais pleinement partie des attributions du ministère. S'il concerne plusieurs de mes collègues, nous essayons d'avoir un point de coordination politique unique. Son financement revêt une importance particulière cette année, en raison de la conférence ministérielle de l'Agence spatiale européenne (ESA) : les budgets du spatial doivent se déployer pour les trois prochaines années en Europe. La question est donc celle de la contribution française à l'ESA, mais aussi du budget national du spatial. Cela concerne aussi bien la défense que les grandes coopérations internationales avec des pays situés hors d'Europe, dont le Japon, les Émirats, l'Inde, les États-Unis ou, historiquement, la Chine. Les semaines que nous vivons constituent à ce titre un moment clé.

Au-delà du projet de loi de finances, la mobilisation des financements issus de France 2030 et des fonds européens est une priorité. Pour ces derniers, la France doit faire mieux. Nous devrions avoir un retour à la hauteur de notre contribution, c'est-à-dire 17,5 %, mais nous en sommes loin. J'ai insisté fortement sur la nécessité d'une mobilisation de notre écosystème de recherche en direction des appels d'offres européens. Ces derniers ne permettront cependant pas de résoudre à eux seuls le sous-financement global de l'enseignement supérieur et de la recherche en France. L'atteinte de la cible de 17,5 % n'apporterait que 200 millions d'euros supplémentaires.

Je m'efforce également de travailler avec l'Europe pour qu'elle finance de grandes infrastructures de recherche. La France en a beaucoup, qui sont, certes, très attractives, mais aussi très coûteuses.

Le ministère dont j'ai la charge a vu son périmètre s'étendre avec l'espace. J'insiste sur l'importance du temps long et des investissements pluriannuels. Ils traduisent notre capacité à nous projeter dans l'avenir, non seulement pour la recherche académique, mais aussi pour les industries de demain, dans tout le pays et dans tous les territoires.

Mme Alexandra Borchio Fontimp, rapporteure pour avis des crédits de la recherche. - En 2025, la marche prévue par la LPR a été amputée des deux tiers. Ce premier accroc dans la trajectoire de programmation avait suscité l'inquiétude des acteurs de la recherche. Vous les avez réunis en mars dernier dans le cadre de concertations sur la revoyure de la LPR, où il a bien sûr été question du financement de la recherche. Or les parlementaires n'ont été ni associés à cette revoyure, qu'ils ont pourtant inscrite dans la loi, ni informés de ses conclusions. Qu'en est-il ressorti, notamment pour l'élaboration du projet de budget 2026 ? Excluez-vous toute actualisation législative de la LPR ? J'ai bien pris note des trois grands sujets que vous venez d'évoquer :l'attractivité des carrières, le financement de la recherche et le développement de la recherche partenariale.

Nous voudrions également comprendre dans quelle proportion la sixième marche de la LPR sera effective et connaître précisément les mesures dont le financement ne serait pas intégralement assuré l'année prochaine.

Ma deuxième interrogation porte sur la trajectoire financière de l'ANR, dont les autorisations d'engagement dépassent aujourd'hui le milliard d'euros. Son réarmement budgétaire a permis d'atteindre de bons résultats en termes de taux de succès aux appels à projets et de taux de préciput. Faut-il d'aller au-delà ou une stabilisation est-elle envisageable ?

Ma troisième question concerne les priorités stratégiques de la politique publique de recherche dans un contexte budgétaire contraint. Les nouvelles agences de programmes ont pour mission d'identifier les domaines de recherche dans lesquels investir en priorité. Quels programmes ont été retenus, pour quel calendrier de mise en oeuvre ? Par ailleurs, comment comptez-vous clarifier la relation des agences de programmes à leur organisme national de recherche (ONR) hôte ?

Ma quatrième question a trait au chantier de simplification de la recherche. Vous avez demandé aux acteurs de l'ESR de mettre en oeuvre la délégation globale de gestion (DGG) dans les unités mixtes de recherche (UMR). Comment votre ministère compte-t-il accompagner les laboratoires dans cette démarche ? D'autres formes de simplification, comme celle des appels à projets de l'ANR, très attendue par la communauté de recherche, sont-elles également prévues ?

Enfin, ma dernière question concerne deux dispositifs de recherche, les instituts Carnot et les sociétés d'accélération du transfert de technologies (Satt), qui jouent un rôle d'interface entre la recherche publique et le secteur privé, mais dont vous avez à plusieurs reprises pointé les limites, ce qui fait débat. Quel sort comptez-vous réserver à ces structures ? De manière plus générale, où en est le chantier de la recherche partenariale ?

M. Stéphane Piednoir, rapporteur pour avis des crédits de l'enseignement supérieur. - Cette année encore, les conséquences financières de mesures décidées par l'État sont laissées à la charge des établissements. Je fais bien entendu référence au relèvement du taux de cotisation au compte d'affectation spéciale (CAS) « Pensions », mais également au régime de la protection sociale complémentaire, sans aucune compensation de la part employeur, pour une dépense que vous avez évaluée à 60 millions d'euros hier à l'Assemblée nationale.

L'habitude est donc désormais bien ancrée de laisser chaque année à la charge des établissements tout ou partie des mesures sociales ou salariales décidées par le seul Gouvernement. Je trouve cette situation très choquante sur le principe et délétère sur le fond, car elle soumet les établissements à la menace annuelle d'une augmentation exogène de leurs dépenses contraintes. Cela complique la préparation de budgets pluriannuels, pourtant préférables d'un point de vue stratégique pour la formation et la recherche.

L'an dernier, un arbitrage de dernière minute avait permis la compensation intégrale du CAS « Pensions ». OEuvrez-vous pour qu'il en aille de même cette année ? Quid des années suivantes ?

L'année 2026 sera marquée par le déploiement des nouveaux Comp, ou Comp100 %, qui suscitent de fortes interrogations. Sur ce point, vous avez partiellement répondu quant à la construction du programme 150 : pouvez-vous confirmer que l'enveloppe de 44,5 millions d'euros est totalement affectée aux Comp100 %, sans couvrir les Comp lancés en 2023 ?

J'aimerais ensuite comprendre comment les moyens budgétaires des établissements, et notamment leur SCSP, seront définis dans le cadre des Comp100 %. Quelle sera votre base de départ ? Partirez-vous du dernier montant de la SCSP ou la reconstruirez-vous enfin, à partir de critères objectifs propres à chaque établissement ? Plusieurs présidents d'université craignent que l'exercice ne donne finalement lieu qu'à davantage d'évaluation et de contrôle, sans moyens supplémentaires. La mise en oeuvre de ces outils pourrait pourtant être l'occasion de se pencher enfin sur la correction d'inégalités de dotations historiques, comme le préconise le rapport de nos collègues Garnier et Levi.

En ce qui concerne la vie étudiante, je regrette le choix fait par le Gouvernement de réguler la dépense en matière de bourses par le gel de leur barème, c'est-à-dire par l'inaction. Comme souvent en matière d'enseignement supérieur, la régulation intervient donc en laissant filer plutôt que par une mesure réfléchie et pilotée. Monsieur le ministre, quelles perspectives pouvez-vous nous donner sur ce point ?

Sur la mise en oeuvre de la loi dite Levi du 13 avril 2023 visant à favoriser l'accès de tous les étudiants à une offre de restauration à tarif modéré, je constate que le conventionnement doit se poursuivre, avec toutefois une enveloppe en baisse de 3 millions d'euros par rapport à l'année dernière. Comment expliquez-vous ce recul sur un dispositif qui doit continuer à se déployer ?

Au-delà du programme 150, je continue de m'interroger sur le fait que les financements de l'apprentissage bénéficient au développement de formations de piètre qualité, voire frauduleuses. L'examen du projet de loi relatif à la régulation de l'enseignement supérieur privé, que vous avez déposé, ayant été retardé, envisagez-vous de prendre des mesures d'encadrement par voie réglementaire ? S'agissant des cotisations sur les contrats d'apprentissage, au développement massif, êtes-vous en accord avec votre collègue chargé du travail, selon lequel des cotisations salariales et patronales devraient être mises en oeuvre, comme pour tout employé ?

Enfin, les établissements publics expérimentaux (EPE), créés par l'ordonnance du 12 décembre 2018, se retrouveront sans statut législatif à partir de 2028, ce qui suscite l'inquiétude légitime des acteurs engagés dans ces nouvelles formes de gouvernance. Le projet de loi de régulation de l'enseignement supérieur privé comporte une disposition sur ce point ; que prévoyez-vous pour le cas où il ne pourrait pas être adopté prochainement ? Les transformations nécessaires doivent en effet être anticipées par les établissements. Je m'interroge également sur la nécessité de prévoir une inscription du statut d'établissement-composante dans la loi.

M. Philippe Baptiste, ministre. - Objectivement, une actualisation législative de la LPR n'est pas nécessaire. Il n'y a pas d'outil spécifique dont nous ayons besoin immédiatement. Cela étant, et bien évidemment, cela ne nous dispense aucunement de vous présenter le résultat des travaux de concertation et nos orientations stratégiques.

Comme je vous l'ai dit, notre stratégique de recherche repose à la fois sur un socle de soutien à la recherche fondamentale - il s'agit du moyen de soutenir les bons projets et de bons laboratoires, de manière très pluridisciplinaire, sur l'ensemble des champs - et sur des priorités thématiques, pilotées par les cinq agences de programmes que j'ai mentionnées tout à l'heure. Celles-ci travaillent actuellement sur leur stratégie et sur leurs grandes priorités. Nous pourrions d'ailleurs organiser une présentation de leurs travaux devant votre commission. En regard de cela, des programmes et équipements prioritaires de recherche (PEPR) vont être mis en oeuvre, autant de briques stratégiques susceptibles d'être présentées à la commission.

J'en viens aux Comp, qui ont, à mon sens, deux objectifs. Le premier est de mettre autour de la table tous les acteurs, les financeurs comme ceux qui sont directement intéressés par l'enseignement supérieur dans un territoire donné, ainsi que l'État, afin de susciter la discussion stratégique sur les priorités. Par exemple, à Angers, monsieur Piednoir, quelles sont les spécificités du bassin d'emploi ? Comment se projeter demain ? De quels métiers l'avenir est-il fait ? De quel type de formation aurons-nous besoin ? En effet, sans réduire l'université à la simple préparation à un métier, c'est aussi cela qu'attendent les familles, les entreprises et les jeunes. Il faut donc débattre de ces sujets, et que l'État participe aux discussions.

J'aimerais expliciter nos priorités au niveau national. Aujourd'hui, nous devons former plus de personnes dans le domaine médical, dans les sciences, les technologies, ainsi que des ingénieurs et des techniciens. Cette question me semble absolument centrale, alors que, actuellement, nous n'avons pas cette discussion territoire par territoire.

En outre, les Comp sont le moyen de répondre à des questions très simples. Par exemple, un jeune Meusien bachelier ne peut suivre que deux formations d'enseignement supérieur dans son département. Cela est, bien évidemment, intolérable. Nous devons évoquer cette question avec l'université, en prenant en compte l'ensemble des formations disponibles dans la région, afin de progresser.

Le second objectif a trait au financement. Il convient de mettre en cohérence, d'une part, les financements des régions, qui, bien qu'elles n'y soient pas obligées, financent très souvent les universités, soit directement, soit au travers des contrats de plan État-région (CPER), et, d'autre part, les fonds et les priorités de l'État. Or ce travail, aujourd'hui, n'est pas complètement fait. Nous ne pouvons éluder le sujet de la SCSP et de difficultés ponctuelles. Malheureusement, les universités sont plus nombreuses à se plaindre de sous-dotations que de surdotations. La question du rééquilibrage est donc complexe.

C'est d'autant plus vrai qu'il n'y a pas de modèle, avec une hétérogénéité considérable des universités, en particulier en matière de recherche. La différence est grande entre des physiciens des hautes énergies, dont les recherches coûtent parfois des dizaines de milliers d'euros par heure, d'un côté, et des gens comme moi, qui font des mathématiques ou de l'informatique, n'ayant besoin que d'un ordinateur portable tous les cinq ans. Se contenter de diviser le budget de l'université par le nombre d'étudiants n'aurait donc aucun sens. Ce serait mentir que d'affirmer que j'ai la solution pour résoudre ce problème dès demain matin. En revanche, tenir compte de ces différences, des sous-dotations et des surdotations est une manière d'ouvrir le dialogue.

Quant à la DGG, certains laboratoires de recherche et les UMR relèvent de plusieurs financeurs, comme l'Inserm, le CNRS ou des universités, chacun d'entre eux participant à la gestion de la structure de recherche selon des règles différentes Ainsi, le directeur de laboratoire se retrouve avec trois ou quatre carnets de chèques d'interlocuteurs qui ne communiquent pas entre eux. Cela nuit à l'efficience de la dépense publique et à la compréhension de ce qui est dépensé. Or cela fait vingt ans que j'entends parler de cette difficulté, tandis que les progrès sont extrêmement faibles.

Beaucoup de choses ont été essayées. On a demandé aux acteurs de s'entendre, mais ils n'y arrivent pas, pour de nombreuses raisons, ce qui empêche de trouver un délégataire unique des crédits. On a demandé des systèmes informatiques qui pouvaient se parler ; cela n'a pas pu se faire, pour mille et une raisons ... Ce que je demande aujourd'hui aux établissements, c'est de désigner un gestionnaire unique du laboratoire de recherche d'ici à 2026, faute de quoi nous le désignerons nous-mêmes. La gestion de crédits n'est pas la valeur ajoutée du CNRS ou d'une université. Vous pouvez donc compter sur mon énergie pour régler ce problème.

J'en arrive à la non-compensation de mesures obligatoires : mesures Guerini, CAS « Pensions », protection sociale complémentaire (PSC). Il est objectif que les enseignants-chercheurs, les chercheurs, les ingénieurs et les techniciens bénéficient de mesures obligatoires nécessaires, mais pas intégralement financées. Pour cette année, cela représente 60 millions d'euros, notamment au titre de la PSC, et ce sera plus en 2026, qui sera une année pleine. À ce stade, je n'ai pas de solution évidente. Toutefois, il convient de relativiser, puisque cette somme équivaut à 0,3 % de la SCSP globale des établissements. Sans que ce soit facile, trouver ce montant n'est donc pas non plus totalement inaccessible.

Ensuite, si beaucoup d'établissements votent un budget initial en prévoyant un déficit, bien peu sont effectivement dans cette situation en fin d'année, en raison souvent de sous-exécutions massives. Ainsi, nous aidons les établissements en difficulté. En revanche, quand certains ne respectent pas certains critères, comme leur trajectoire de ressources humaines, nous nous montrons plus intrusifs. Le rectorat peut alors prendre la main.

Enfin, même si mes collègues universitaires n'aiment pas que je rappelle ce chiffre, le niveau de trésorerie des universités atteint 5,6 milliards d'euros, dont une majorité est certes fléchée sur des projets et des programmes engagés : recherche, jouvence d'équipements, etc. Mais cela laisse tout de même plus de 1 milliard d'euros libres d'emploi, répartis sur 70 établissements, montant qui croît d'année en année.

Il est donc vrai que certains établissements sont en difficulté, qu'ils doivent parfois recruter moins qu'ils ne le voudraient. Il reste que la trésorerie n'est pas toujours employée. En outre, celle-ci a gonflé au travers de nombreux contrats, lesquels ont parfois pâti d'un manque d'ingénierie. Nous devons donc revoir nos modes de contractualisation et créer des dispositifs plus simples. Mais la situation budgétaire des établissements, ce n'est pas Zola, non plus !

Concernant l'ANR, son budget d'intervention a beaucoup progressé grâce à la LPR. Initialement inférieur à 17 %, ce qui était très bas, le taux de succès aux appels à projets est monté à 25 %, soit un projet financé sur quatre, ce qui est raisonnable. Il faut le stabiliser à ce niveau, avec une difficulté toutefois : les autorisations d'engagement (AE) ont été définies en fonction de la trajectoire de la LPR, alors que les crédits de paiement (CP) sont quelque peu en deçà de ce qui était prévu. Ce léger effet ciseau ne devrait cependant pas obérer de manière significative le maintien du taux de succès que nous connaissons aujourd'hui.

Sur la loi Levi, il y a bien une baisse faciale dans le budget, mais, comme vous le savez, il s'agit d'une dépense de guichet. Peut-être son montant a-t-il été surestimé pour la première année. Quoi qu'il en soit, nous ne fermerons pas le guichet.

Vous avez mentionné le projet de loi de régulation de l'enseignement supérieur privé. Il me semble absolument impossible de mettre en oeuvre ses mesures par voie réglementaire, de même que pour la prolongation du statut des établissements publics expérimentaux. Il faut absolument que nous arrivions à adopter ce texte dans des délais raisonnables, compte tenu des difficultés du moment.

Concernant l'apprentissage, il faut être prudent. Nous avons bien constaté des abus, raison pour laquelle nous avons élaboré des régulations avec le ministère du travail. Il faut tout de même rappeler un point essentiel : la plupart des formations en apprentissage, y compris dans le supérieur, sont vertueuses et plébiscitées par les jeunes, par beaucoup d'entreprises, même si les dispositifs ont quelque peu changé, et par les familles. Le système fonctionne. Nous devons donc arriver à maintenir l'effort.

Enfin, les instituts Carnot font actuellement l'objet d'un débat. Je précise qu'ils constituent un mécanisme de financement qui réabonde des laboratoires de recherche travaillant avec l'industrie. Ainsi, un contrat avec un industriel mobilise des forces de recherche. Ce réabondement, d'une certaine manière, récompense le travail accompli de la sorte en permettant de maintenir le financement de la recherche de base. Le principe est donc vertueux : plus vous travaillez avec l'industrie, plus vous avez de moyens pour la recherche fondamentale. Créé il y a une vingtaine d'années, ce dispositif s'est montré assez efficace.

Cependant, il convient de noter que les acteurs qui en bénéficient restent à peu près les mêmes depuis vingt ans. En effet, cela suppose un lien professionnel étroit avec les entreprises, la marche à franchir étant haute. Voilà pourquoi seuls quelques très gros acteurs ont réussi à se faire labelliser et captent les fonds Carnot. En outre, les récentes injections de financement sur les instituts Carnot n'ont eu qu'un faible effet sur l'activité contractuelle.

Il faut donc remettre à plat ce dispositif. Si certains des bénéficiaires actuels, qui pourraient être touchés, protestent fortement contre une ouverture du dispositif - je ne doute pas que vous les avez entendus -, je serai ferme sur cette question importante.

Quant aux Satt, certes, elles ont permis de professionnaliser le métier du transfert de technologies, mais leurs coûts de fonctionnement sont considérables. Alors que j'occupais d'autres fonctions, j'avais dit que tout cela serait très coûteux et je constate, sans grande surprise, que je ne m'étais pas trompé. Ainsi, pas moins de 600 emplois parapublics ont été créés dans les Satt, ce qui est massif, mais seule une partie d'entre eux aident effectivement les entreprises. Cela mériterait un sérieux recentrage sur l'essentiel.

En particulier, alors qu'elles devaient dégager des ressources financières, les Satt en sont venues à gérer des contrats de recherche au profit des universités, ce qui n'a aucune valeur ajoutée, si ce n'est que les gestionnaires en question sont quatre fois mieux payés que leurs homologues dans les universités. Nous travaillons actuellement sur cette question.

Mme Karine Daniel. - Malgré des augmentations, les budgets restent en deçà des besoins et de la trajectoire de la LPR.

Dans nos échanges avec les établissements universitaires, la question du glissement vieillesse technicité (GVT) revient régulièrement. Comme vous l'avez mentionné, il est compensé de manière incomplète pour les organismes de recherche. Quant à la PSC, environ 100 millions d'euros restent à la charge des universités. Enfin, seule la moitié du coût des mesures Guerini est compensée, l'autre devant être prélevée sur le fonds de roulement, d'où un effet de ciseaux pour les universités et les établissements.

Je voudrais également insister sur les montants de fonds de roulement que vous avez mentionnés, dont une partie est le fruit d'appels à projets.

M. Philippe Baptiste, ministre. - Absolument.

Mme Karine Daniel. - Je réalise actuellement, pour le compte du Comité de surveillance des investissements d'avenir (CSIA), un rapport sur l'utilisation de ces fonds par les établissements d'enseignement supérieur et de recherche. Dans ce cadre, nous constatons, et les établissements le confirment, que ces fonds sont fléchés. Ainsi, les universités qui se mobilisent le plus sur les appels à projets ont l'impression de subir une double peine, puisque, lorsqu'elles obtiennent des appels à projets fructueux et des crédits importants, leur trésorerie les place en première ligne face aux baisses de crédits de fonctionnement.

M. Philippe Baptiste, ministre. - Cela n'a jamais été le cas à ce stade.

Mme Karine Daniel. - Certes, cela n'a jamais été le cas, mais c'est la crainte qui prévaut, au vu des discussions en cours. En effet, ce sont parfois les universités les plus dynamiques, ou qui ont mobilisé des moyens pour répondre à ces appels à projets, qui se retrouvent en porte-à-faux et inquiètes quant aux frais de fonctionnement. Au-delà, 58 de nos 70 universités déclarent des budgets en déficit. La tendance est tout de même inquiétante et nous recevons de nombreuses alertes sur ce sujet.

J'aborde un dernier sujet, qui nous tient tous à coeur, comme l'a souligné Stéphane Piednoir : la vie étudiante. L'alignement des bourses, sachant que notre démographie reste croissante, nous préoccupe, de même que les enjeux de la précarité étudiante.

Mme Laurence Garnier. - M. Levi et moi-même avons présenté les conclusions de la mission d'information sur les relations stratégiques entre l'État et les universités.

Je souhaiterais évoquer un premier point important : le manque de confiance des acteurs, en général, dans l'université française - étudiants, familles, acteurs économiques, entreprises et haute administration de l'État, qui, pour une grande partie, n'a pas fréquenté l'université française. Ce manque de confiance confine parfois à la défiance, et vient nuire à l'image et au travail de nos universités.

Les frais d'inscription et l'orientation des étudiants lors de l'entrée à l'université doivent être évoqués. Nous pouvons envisager ces deux questions d'un point de vue budgétaire ou du point de vue de la transmission des savoirs et de la formation.

Il faut former le mieux possible nos étudiants au coût le plus juste pour nos finances publiques, qui n'est pas le coût le plus bas. Nos étudiants paient 178 euros par an en licence, pour un coût réel de formation de 12 250 euros. Notre impôt paie la différence. Plusieurs présidents d'université nous ont parlé d'un signal négatif envoyé aux familles françaises : la quasi-gratuité renvoie une image de mauvaise qualité de la formation, selon eux. Quelle est votre analyse, monsieur le ministre ?

Concernant l'orientation des étudiants, je rappelle que seuls 36 % des étudiants obtiennent leur licence en trois ans, 47 % en quatre ans, et 50 % en cinq ans. Ainsi, 50 % des étudiants n'obtiennent pas leur licence, même après cinq ans. Cela coûte 550 millions d'euros par cohorte, selon la Cour des comptes. S'ajoutent le coût humain, les désillusions. Notre université est sélective, et elle sélectionne a posteriori et par l'échec. Cet échec pèse sur le fonctionnement des universités, sur la qualité de la formation et sur nos finances publiques. Qu'en pensez-vous ?

Vous nous indiquer que la trésorerie des établissements est de 5,6 milliards d'euros, dont 1 milliard d'euros libre de tout fléchage. Or Bercy et la Cour des comptes nous ont dit qu'il est impossible de connaître le montant de la trésorerie libre d'emploi. D'où vient ce chiffre, et comment est-il construit ?

M. Pierre Ouzoulias. - « La recherche n'est pas une dépense, c'est un investissement. Elle conditionne notre indépendance et notre capacité de progrès. » Tels sont les mots de Raymond Barre lors du débat budgétaire de 1976 sur la recherche. Il ajoutait : « La recherche publique doit être préservée même en période de rigueur économique. » Vous aurez tout entendu, y compris un communiste citer Raymond Barre !

Il nous faut un exercice de vérité. Nous devons, devant la représentation nationale, admettre que la loi du 24 décembre 2020 de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030, dite LPR, n'a pas été respectée. Cela remet en cause l'exercice même des lois de programmation. Plusieurs lois de programmation sont en cours, et la LPR est la seule qui n'est pas respectée. La France a un problème avec son université et avec sa recherche. La France n'aime pas ses universités. Si les élites qui nous gouvernent étaient davantage passées par les universités, les choses seraient différentes. La clause de revoyure de la LPR doit faire l'objet d'un débat public.

Vous dites qu'il faut retrouver un équilibre entre les crédits récurrents et les appels d'offres. Les crédits récurrents viennent défendre le champ disciplinaire. Les appels d'offres sont en train de casser une réflexion disciplinaire qui reste fondamentale. Les disciplines rares sont particulièrement en difficulté. Or nous ne pouvons pas demander aux universités de mener des politiques qui ne concernent que quelques étudiants. Une politique nationale doit assurer que dans chaque domaine la France dispose d'au moins quelques chercheurs. N'abandonnons pas le caractère universaliste de la recherche française !

Je vous mets en garde contre la DGG. Les tutelles qui gèrent les UMR ne peuvent plus faire face à la charge administrative que représentent les appels à projets. Si vous imposez une seule tutelle, cela signifie que toute la charge lui reviendra. Il nous faudrait renforcer les moyens de l'ingénierie gestionnaire si nous voulions persévérer dans cette politique d'appels à projets.

M. Pierre-Antoine Levi. - La loi visant à favoriser l'accès de tous les étudiants à une offre de restauration à tarif modéré impose un bilan annuel. Les décrets d'application ont été publiés en juillet 2024. L'aide bénéficie aux 100 000 étudiants situés en zone blanche, avec des montants différenciés - 40 euros par mois pour les boursiers, 20 euros pour les autres, avec une majoration de 10 euros pour les étudiants ultramarins.

Pouvez-vous dresser un bilan ? Combien d'établissements ont été identifiés, combien de conventions de partenariat ont été nouées par les Crous (centres régionaux des oeuvres universitaires et scolaires) ? Dans quelles villes l'offre est-elle accessible ? Quels sont les progrès en matière de résorption des inégalités territoriales ? Quand le bilan sera-t-il transmis au Parlement ?

La loi relative à la lutte contre l'antisémitisme dans l'enseignement supérieur était très attendue. Les universités doivent monter une mission « égalité et diversité », avec les moyens adéquats, et nommer en son sein un référent pour prévenir les actes d'antisémitisme, avec des obligations de formation et de signalement, ainsi que de nouvelles procédures en matière disciplinaire. Les événements récemment survenus à Paris 8 montrent qu'il est urgent de rendre cette loi opérationnelle.

Vous avez dit que flécher directement les moyens irait à l'encontre de l'autonomie des établissements et que les universités bénéficieraient d'une enveloppe globale pour faire leurs choix. Étant donné le contexte budgétaire, ne craignez-vous pas que les universités ne consacrent pas les moyens nécessaires à ces missions obligatoires ?

Quel est le coût moyen de la mise en conformité pour les établissements ? Si les moyens manquent, le Gouvernement envisage-t-il de créer une enveloppe spécifique ? Comment allez-vous vérifier que les établissements répondent à leurs obligations légales ?

Entre le vote d'une loi et son effectivité, il y a souvent un gouffre. Cette loi ne peut rester lettre morte.

Mme Mathilde Ollivier. - Formation, recherche, vie étudiante : les crédits qui sont au coeur de la vie universitaire stagnent, voire reculent en euros constants.

Je veux m'intéresser au programme de lutte contre la précarité étudiante et à la non-indexation des bourses sur critères sociaux. Que de reculs ! Les files de distribution alimentaire ne se sont pas résorbées. Des étudiants ne mangent pas à leur faim. La réforme des bourses semble ne plus être à l'ordre du jour. Comment comptez-vous avancer sur la précarité étudiante ?

Vous avez évoqué l'objectif de 17,5 % de financements européens à travers le programme Horizon Europe. Quelle est la stratégie du ministère pour aider les établissements à aller chercher les fonds européens, notamment les plus petites universités ?

La mise en oeuvre de l'accord de protection sociale complémentaire (PSC) est décalée de sept mois. Comment l'expliquez-vous ?

Une enquête de Libération s'intéresse aux contrats de mécénat entre les entreprises et les universités. Certains contrats bâillonnent des universités : il leur devient alors interdit de dénigrer les entreprises en question. Comment accompagner les universités pour que ces contrats n'empiètent pas sur leur liberté académique ?

M. Max Brisson. - Les établissements d'enseignement supérieur privé d'intérêt général (Eespig) sont exclus, sans réelle justification, de nombreux dispositifs de soutien à la recherche, alors même qu'ils participent activement à la dynamique de recherche et d'innovation française.

La France cherche à renforcer son attractivité scientifique et à encourager la recherche partenariale. N'est-il pas indispensable de garantir un accès équitable aux dispositifs publics pour l'ensemble des acteurs reconnus par l'État, y compris les Eespig ? Leur contribution, notamment en matière de recherche appliquée et technologique, pourrait constituer un levier stratégique pour atteindre nos objectifs de souveraineté scientifique et industrielle.

Je reviens sur la sécurité des professeurs et des étudiants dans nos campus. Beaucoup a été fait, mais nous voyons les actes antisémites et l'apologie du terrorisme proliférer - je vous rappelle l'épisode dramatique de Paris 8.

Au-delà de vos réactions face à ce type d'actes odieux, quelles mesures envisagez-vous pour lutter plus efficacement contre le fléau de l'antisémitisme ? Comment comptez-vous, le plus rapidement possible, mettre en oeuvre l'excellente loi relative à la lutte contre l'antisémitisme dans l'enseignement supérieur de MM. Fialaire et Levi ?

M. Bernard Fialaire. - La diminution de la subvention pour charge de service public (SCSP) par étudiant est perçue comme particulièrement inéquitable. Le ministère devrait être capable de nous donner des éléments objectifs ; cela rassurerait.

Atteindre les 3 % de PIB consacrés à la recherche semble une gageure. Le président du Medef m'a alerté sur notre retard. Aux États-Unis, les entreprises consacrent deux fois plus d'argent à la recherche et accordent deux fois moins de dividendes. Comment inciter le secteur privé français à participer davantage au financement de la recherche ?

Les étudiants ont besoin d'une meilleure information. Ils ne savent pas ce qu'est la contribution de vie étudiante et de campus (CVEC). Des informations pourraient être données sur son utilisation en début d'année.

On nous a souvent parlé du tutorat : que prévoyez-vous en la matière ? Je ne pense pas qu'aux études de médecine, mais à toutes les disciplines, pour que les étudiants réussissent mieux leur licence.

Mme Paulette Matray. - Je m'adresse à vous comme sénatrice de Saône-et-Loire, mais aussi comme ancienne assistante sociale et ancienne maire de Marigny, petit village de 167 habitants. Je souhaite alerter le Gouvernement sur les conséquences concrètes de la fracture territoriale, qui compromet gravement l'égalité entre tous les jeunes face à l'avenir.

Dans nos territoires ruraux, j'ai vu des jeunes pleins de volonté se heurter à des obstacles que d'autres ignorent : la distance, le coût, l'isolement. Pour beaucoup, l'ambition d'intégrer une filière sélective à Lyon, Dijon ou Paris s'éteint face à la réalité des kilomètres et à la difficulté de partir loin de chez soi. Quand 70 % des formations postbac se concentrent dans les métropoles, les études deviennent un parcours du combattant et aboutissent trop souvent à un renoncement.

En Saône-et-Loire, cette inégalité se traduit par des chiffres alarmants. Seuls 4 % des élèves de troisième en 2005-2006 ont accédé à une grande école dans les neuf ans suivants, et presque 0 % aux établissements les plus sélectifs. Ce constat local illustre une tendance nationale, documentée par l'Institut des politiques publiques et l'Institut Terram. Malgré l'augmentation des effectifs entre 2006 et 2016, le recrutement dans les grandes écoles demeure concentré socialement et géographiquement.

Si le PLF pour 2026 prévoit des moyens pour l'enseignement supérieur, la recherche et l'espace, le programme « Vie étudiante », la CVEC ou encore le renforcement des dotations rurales via le fonds d'investissement pour les territoires (FIT), aucune mesure spécifique ne corrige aujourd'hui le déséquilibre structurel de l'offre de formation d'excellence.

Monsieur le ministre, vous avez parlé de dialogue et de la nécessité d'être au plus près des territoires. Pourrions-nous aller plus loin et parler de décentralisation, afin qu'il existe une véritable répartition territoriale de l'offre de formation et d'excellence ? L'enjeu dépasse la seule question sociale : il s'agit de cohésion républicaine et d'égalité face à l'avenir.

Quelle action le Gouvernement entend-il engager pour bâtir une réelle démocratisation territoriale de l'enseignement supérieur, y compris dans ses filières d'excellence, afin que l'ambition ne dépende pas du code postal ?

M. Adel Ziane. - Concernant les événements graves de Paris 8, je voulais faire une précision complémentaire, à la suite de la question au Gouvernement de M. Levi. Le sujet doit être pris très au sérieux. J'ai été très vite en contact avec le président de l'université. Il a très vite saisi le procureur de la République et il a diligenté une enquête administrative.

Concernant le budget, un an après le PLF pour 2025, rien n'a changé : 80 % des universités ont présenté un budget initial en déficit. Cela en dit beaucoup sur le malaise ambiant.

À Paris 8, malgré un plan de rétablissement de l'équilibre financier, l'université a connu deux exercices déficitaires consécutifs. Le résultat prévisionnel de 2025 reste négatif, à hauteur de 5,6 millions d'euros, ce malgré un prélèvement continu. Le fonds de roulement est passé de 28 millions d'euros en 2021 à 3,8 millions d'euros en 2025. Nous devons savoir ce que représente le milliard d'euros de trésorerie non fléchée. Paris 8 souffre aussi d'une sous-dotation chronique : la dotation par étudiant est inférieure de 15 % par rapport à la moyenne nationale. Comment expliquer une telle disparité entre établissements ? Il faudrait plus de transparence.

Nous avions tenu l'année dernière une table ronde sur l'accueil des étudiants étrangers. Il y va du rayonnement et de l'attractivité de la France. La suppression des aides personnalisées au logement (APL) pour les étudiants étrangers extracommunautaires pourrait être très problématique.

France Universités, le 15 octobre dernier, a publié un rapport intitulé « Défendre et promouvoir la liberté académique ». Que pensez-vous des 65 recommandations du rapport ?

Je souhaiterais aussi vous parler prochainement de ma proposition de loi visant à garantir la liberté académique des chercheurs et des enseignants-chercheurs, l'indépendance des travaux de recherche et la transparence des fonds privés affectés à l'enseignement supérieur et à la recherche.

M. Philippe Baptiste, ministre. - Les chiffres de la réussite des étudiants peuvent sembler inquiétants. Je voudrais cependant faire deux remarques.

Les redoublements sont nombreux, mais 200 000 dossiers sur un million de dossiers Parcoursup concernent des réorientations. Jamais les taux n'ont été aussi élevés. Les jeunes changent de voie en cours d'étude. C'est un phénomène global nouveau ; nous devons essayer de valoriser cette dynamique.

Le taux d'échec est inquiétant. Cependant, nous confions aux universités une mission impossible ! Le taux de réussite au baccalauréat est de 96 %, contre peut-être 75 % il y a quinze ans : nous avons ouvert les vannes ! L'université accueille des étudiants pour lesquels on a trouvé une place au chausse-pied. Je rappelle que 25 % des bacheliers professionnels ne savent pas lire un texte simple. Comment dire ensuite aux universités que leurs résultats ne sont pas bons ? Si nous tirons le fil, cela pose plein de questions. Pour certains bacheliers professionnels, il faudrait une année de propédeutique, alors que le taux de succès des bacheliers professionnels en licence est inférieur à 8 %. Le taux de réussite des mentions « très bien » est d'environ 80 %. La question de l'orientation est mal traitée au lycée. Il faudra traiter ce sujet de fond.

Concernant les frais d'inscription, il existe un grand nombre de diplômes à côté du système LMD (licence-master-doctorat). Pour ces diplômes, les frais d'inscription sont librement fixés. Il me semble que les conditions politiques pour ouvrir le débat sur les frais d'inscription en LMD ne sont pas réunies. Je suis profondément convaincu que, pour la prochaine élection présidentielle, il faudra un débat de fond.

Concernant l'accueil des étudiants non communautaires, ces derniers ne bénéficient pas des APL ; très peu ont accès au système des bourses, par manque d'années de résidence en France. Ces étudiants doivent présenter des ressources qui leur permettent de vivre en France. Je suis profondément convaincu que nous devons continuer à accueillir massivement des étudiants internationaux. Des filières entières, notamment techniques et scientifiques, dans les laboratoires de recherche, sont désertées par les Français : 50 % des doctorants y sont non communautaires. Sans étudiants étrangers, comment allons-nous faire de la recherche et réindustrialiser le pays ?

Le système ne fonctionne pas bien. Nous n'arrivons pas à prioriser les étudiants ni les pays d'accueil. Le système des bourses n'est pas efficace. Les droits différenciés sont mal appliqués. Il existe des irritants pour la droite comme la gauche, mais il faudra revoir la politique d'accueil des étudiants internationaux.

Les bourses de l'enseignement supérieur sont le seul dispositif d'aide sociale qui n'est pas indexé. Il n'y a pas de revalorisation cette année, cela est vrai. Cela fait 35 millions d'euros de moins dans le budget, car l'effet de seuil fera sortir des étudiants du système des bourses. Il va falloir revoir les choses. Les seuils créent des problèmes, il faut linéariser par le haut - linéariser par le bas est impossible, tous les étudiants descendraient dans la rue. Revoir le système coûte 400 millions d'euros. Je n'ai pas cet argent, je le regrette, mais, un jour, nous devrons réformer.

J'en viens au bilan de la loi Levi : 65 000 étudiants bénéficient des nouveaux dispositifs d'aide à la restauration, avec 211 conventions d'agrément signées à la fin de 2024. Nous sommes en deçà de l'objectif de 100 000 étudiants aidés, et il faudra faire mieux.

L'enveloppe budgétaire pour les Eespig est aussi contrainte. Malheureusement, je ne peux pas actionner la planche à billets pour accueillir de nouveaux établissements sous ce statut. Il faudrait que tous ces établissements puissent bénéficier des dispositifs d'enseignement supérieur et de recherche et répondre aux appels d'offres correspondants ; c'est ce qui est prévu dans le texte actuellement en discussion à l'Assemblée nationale.

La fracture territoriale est un enjeu majeur. Quand on naît dans le 7e arrondissement de Paris ou dans la Meuse, les chances sont radicalement différentes.

Cependant, je suis tiraillé entre deux positions. En matière de recherche, nous devons concentrer les laboratoires, pour dégager une masse critique et partager les grands équipements. Cela plaide pour des regroupements dans les grandes métropoles. Toutefois, se pose aussi l'exigence d'égalité d'accès aux études. Je vois là une forme de tension permanente. Ouvrir des antennes coûte très cher. Les collectivités s'impliquent et offrent le gîte et le couvert, mais il faut rémunérer les enseignants-chercheurs. Nous avons créé des campus connectés, qui fonctionnent si le nombre d'étudiants est assez important au sein d'un même campus. Continuons à travailler sur la question, via des contrats d'objectifs et de performance.

Le milliard d'euros de trésorerie libre d'emploi est un chiffre issu de la direction générale de l'enseignement supérieur et de l'insertion professionnelle (Dgesip). Les situations sont très hétérogènes. Personne ne pense à des ponctions sur les trésoreries fléchées, cela n'aurait pas de sens. Sur la trésorerie libre d'emploi, la question se pose.

Entre disciplines, entre établissements, les situations sont très différentes. Que faire avec les universités qui accueillent peu d'étudiants et font une très bonne recherche, comme Sorbonne Université ? Que faire avec celles qui ont beaucoup d'étudiants, mais une recherche moins bien placée au niveau international ? Je n'ai pas de modèle : il faut tout regarder au cas par cas, et je suis hostile à tout modèle général.

Je n'ai pas de solution de financement pour la protection sociale complémentaire dans ce budget. Concernant le décalage de la mise en oeuvre, le seul engagement de l'État était qu'elle soit mise en place en 2026 : or l'année 2026 finit en décembre. Cette mise en oeuvre sera effective, mais peut-être avec l'argent des opérateurs. Je pense que les choses seront lancées dans les établissements en mai.

J'ai lu le rapport de France Universités sur la liberté académique. Partout dans le monde, notamment aux États-Unis, les libertés académiques sont attaquées. Cela doit nous amener à réfléchir sur ce qui se passerait dans notre pays si certaines majorités moins ouvertes à la polyphonie académique arrivaient au pouvoir. Un projet de modification de la Constitution propose d'y inscrire ces libertés académiques. Le chemin ne sera cependant pas simple. Ne pourrait-on pas l'inscrire dans la loi ?

Le mécénat est une bonne chose. Nous devons trouver des partenariats public-privé, mais certainement pas au prix de bâillons. Le ministère est prêt à donner un cadre.

Sur la lutte contre l'antisémitisme, je ne souhaite pas trop corseter l'utilisation des moyens des universités. Nous devons laisser une grande autonomie aux établissements. L'obligation est d'ordre législatif, et nous ferons un suivi et un bilan, via les recteurs.

Dans certaines disciplines rares, les chercheurs se comptent sur les doigts d'une main. Le CNRS, la Dgesip et la direction générale de la recherche et de l'innovation (DGRI) travaillent sur la question. Le point de vigilance est bien identifié.

Concernant Horizon Europe, les derniers résultats du European Research Council (ERC) ne sont pas bons. Précédemment, nous avions peu de dépôts, mais un bon taux de succès. Mes prédécesseurs ont donc fortement incité les établissements à déposer des dossiers, ce qu'ils ont fait, mais les taux de succès se sont effondrés. Les organismes de recherche s'en sortent bien, mais les universités sont à la traîne. Elles doivent se mobiliser. Nous travaillons en menant des stratégies d'influence auprès de la Commission européenne, et nous nous intéressons à l'utilisation des fonds de la Commission pour financer les structures de recherche.

M. Laurent Lafon, président. - Merci, monsieur le ministre, pour la précision de vos explications et la franchise de vos propos très appréciée de notre commission.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 18 h 30.