Mercredi 29 octobre 2025

- Présidence de M. Jean-François Longeot, président -

La réunion est ouverte à 9 h 30.

« Entrée en vigueur du traité sur la haute mer : : et après ? » - Audition de Mmes Marina Lévy, océanologue, directrice de recherche au CNRS, Klaudija Cremers, responsable de recherche sur la gouvernance internationale de l'océan à l'institut du développement durable et des relations internationales (Iddri), et M. Charles Tellier, Ambassadeur adjoint chargé des pôles et des enjeux maritimes

M. Jean-François Longeot, président. - Notre ordre du jour est consacré à une table ronde sur les enjeux environnementaux, diplomatiques et juridiques soulevés par la mise en oeuvre du traité international de protection de la haute mer, que nous avons intitulée : « Entrée en vigueur du traité sur la haute mer : et après ? ».

Qu'est-ce que la « haute mer » ? Les espaces maritimes situés en dehors des eaux territoriales et des zones économiques exclusives (ZEE) des états côtiers ne relèvent d'aucune juridiction nationale : au-delà de 200 milles marins des côtes - soit environ 370 kilomètres - ils constituent la « haute mer » ou les « eaux internationales ». La haute mer représente 60 % de la surface des océans et près de la moitié du globe - un enjeu majeur en termes de superficie, mais aussi de par la richesse des écosystèmes qu'elle abrite.

Néanmoins, au-delà des délimitations créées par le droit international, les océans forment un tout : les mesures de protection de la biodiversité prises par les États dans les eaux relevant de leur souveraineté ne sauraient donc être efficaces si la haute mer n'est pas adéquatement protégée. La France, qui dispose du deuxième domaine maritime mondial avec près de 11 millions de kilomètres carrés de ZEE, ne peut ignorer les enjeux qui se rapportent à ces espaces.

Le traité international de protection de la haute mer, aussi appelé « accord sur le droit de la mer, la conservation et l'utilisation durable de la diversité biologique marine des eaux internationales » et plus connu sous son acronyme anglo-saxon BBNJ (Biodiversity Beyond Natural Jurisdiction), a été adopté le 19 juin 2023 par les États membres de l'ONU, après vingt ans de pourparlers. Jusque-là, les zones de haute mer ne disposaient d'aucune protection spécifique. Il comprend quatre axes : la protection d'espaces situés en haute mer, par l'établissement d'outils de gestion par zone comme les aires marines protégées ; la réalisation d'évaluations de l'impact environnemental des activités humaines susceptibles d'avoir des effets néfastes sur la biodiversité marine ; la mise en place d'un système d'accès aux ressources génétiques marines et aux informations de séquençage numérique sur ces ressources, ainsi que le partage juste et équitable des avantages découlant de leur utilisation ; enfin, le transfert de technologies marines vers les pays en développement et le renforcement de leurs capacités.

Si l'accord international date de 2023, son entrée en vigueur ne pouvait intervenir qu'après sa ratification par 60 États signataires. La France l'a ratifié en novembre 2024, après un vote définitif du Sénat. Le seuil des 60 ratifications a été atteint le 19 septembre 2025, et près de 75 États ont, à ce jour, ratifié l'accord. En conséquence, le traité pourra entrer en vigueur le 17 janvier 2026. Le moment était donc tout indiqué pour faire le point sur les enjeux liés à sa conclusion et à sa mise en application.

Nos trois intervenants, que je remercie, nous permettront d'appréhender ces enjeux à travers le point de vue, respectivement, d'une scientifique, d'un diplomate et d'une experte en gouvernance internationale.

Mme Marina Lévy, océanologue, directrice de recherche au CNRS, conseillère Océan auprès de l'Institut de recherche pour le développement (IRD), nous éclairera sur l'état des océans et plus spécifiquement sur les enjeux de la haute mer en termes de biodiversité marine et de régulation du climat.

Avec son prisme de diplomate, M. Charles Tellier nous rappellera l'historique de ce traité et le rôle diplomatique joué par la France pour sa conclusion et pour sa ratification et, le cas échéant, celui qu'elle entend jouer dans sa mise en oeuvre. Il dressera aussi le bilan de la Conférence des Nations Unies sur l'Océan (Unoc3) qui s'est tenue à Nice en juin dernier et à laquelle une délégation de notre commission avait assisté.

Enfin, Mme Klaudija Cremers, responsable de recherche à l'Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri), et spécialisée sur la gouvernance internationale de l'océan, évoquera les outils mis en place par le traité et les enjeux géopolitiques et juridiques soulevés par leur mise en oeuvre : c'est la question de l'« après ».

Mme Marina Lévy, océanologue, directrice de recherche au CNRS, conseillère océan auprès de l'Institut de recherche pour le développement (IRD). - J'irai directement à ma conclusion : la santé de la haute mer n'est pas bonne ; elle se dégrade, et de plus en plus vite. Cela a des conséquences sur l'environnement, mais aussi des conséquences humaines, économiques et sécuritaires.

On qualifie souvent la forêt amazonienne de « poumon de la planète » - en oubliant que l'océan est l'un des régulateurs principaux du climat et soutient la vie. Pour vous en convaincre, deux chiffres. L'océan a emmagasiné 90 % de la chaleur excédentaire due aux émissions de gaz à effet de serre et un tiers des émissions de CO2 liées aux combustions d'énergies fossiles : sans lui, la température moyenne de la planète serait aujourd'hui invivable. Ensuite, la haute mer abrite une biodiversité immense et encore largement inconnue. Pas moins de quatre prix Nobel de médecine et de chimie sont liés à la découverte de molécules marines. Protéger la haute mer, c'est donc protéger le système régulateur du climat planétaire et les mécanismes de la vie.

Pour comprendre la nécessité d'une protection à l'échelle internationale, il faut partir du constat scientifique. À l'occasion de l'Unoc3, nous avons mis en place le baromètre Starfish, qui dresse pour la première fois un état de santé annuel de l'océan global, assis sur la science - « annuel », car il faut pouvoir mesurer d'une année sur l'autre les effets positifs des mesures de protection ; l'océan « global », car la haute mer est une entièreté, un seul océan.

Lors de l'accord de Paris, on a retenu comme indicateur le 1,5 degré à ne pas dépasser pour la température de la planète, qui a convaincu le public et les décideurs. Mais s'agissant de l'océan, un indicateur unique est plus difficile à concevoir, tant les points de vue sont différents. Pour un surfeur, l'indicateur parlant sera la hauteur des vagues ; pour un pêcheur, le nombre de poissons disponibles ; pour une population côtière, le trait de côte et les tempêtes. Il faut trouver un narratif qui parle à chacun. C'est l'objet de ce baromètre, qui évalue l'état de santé de l'océan.

Cet état de santé résulte d'un côté de la protection qu'on apporte à l'océan, de l'autre des pressions humaines qu'il subit. L'une peut-elle compenser les autres ? Pour améliorer l'état de santé de l'océan, il faut en même temps augmenter la protection et diminuer les pressions.

Ensuite, il faut mettre en regard les avantages que l'on tire d'un océan en bonne santé et les inconvénients d'un océan en déclin, sur la base d'estimations scientifiques.

Au rang des opportunités : une économie maritime qui ne cesse de croître, un PIB équivalent au quatrième pays mondial, 134 millions d'emplois à temps plein dans le monde. L'aquaculture, en pleine expansion, représente la moitié de la production animale. Citons aussi la biotechnologie marine et les énergies renouvelables issues de l'océan - vagues, vents, marées. Globalement, l'économie maritime est donc en plein essor.

Mais les pressions qui pèsent sur l'océan sont multiples et de plus en plus fortes. Premier facteur : les émissions de gaz à effet de serre issues de combustibles fossiles - y compris les émissions provenant du transport maritime, qui, malgré les efforts de décarbonation, augmentent de 2,7 % par an. Deuxième facteur : la surexploitation des ressources. À l'échelle mondiale, un tiers des stocks de poissons sont exploités de manière non durable, et on estime que 75 % des grands navires de pêche opèrent sans suivi approprié. Il s'agit ici de pêche illégale, non réglementée. Troisième facteur : la pollution, notamment plastique. La production mondiale de plastique explose, à environ 400 millions de tonnes, et devrait dépasser le milliard de tonnes d'ici dix à vingt ans. On estime que 200 millions de tonnes se sont accumulées dans les rivières et les océans, se déposent au fond des océans et entrent à l'intérieur des écosystèmes marins, sans pouvoir être expulsés.

Mises bout à bout, ces pressions réduisent l'habitabilité de l'océan pour les écosystèmes océaniques, mais aussi l'habitabilité sur terre pour les sociétés humaines.

Les conséquences sont déjà visibles. Le niveau mondial des mers, du fait du changement climatique, a déjà augmenté de 23 centimètres depuis 1901, et le rythme de cette augmentation a doublé dans les années récentes. Les océans ont atteint leur température la plus élevée au cours des 64 dernières années enregistrées ; à la clé, une perte d'oxygène et une acidification rapide qui réduit leur habitabilité. Quelque 1 677 espèces marines sont menacées d'extinction. En 2024, nous avons connu le quatrième plus grand épisode de blanchiment de coraux, avec un déclin rapide des récifs coralliens mais aussi des protections naturelles contre les tempêtes, de plus en plus fréquentes.

La conclusion scientifique fait consensus : l'océan se réchauffe, son niveau monte et il perd à la fois de l'oxygène et de la vie. Sa santé se détériore et ce déclin s'accélère.

Les conséquences d'un océan en mauvaise santé ne sont plus abstraites, elles sont économiques, humaines et sécuritaires. Les tempêtes tropicales et inondations ont coûté 102 milliards de dollars pour la seule année 2023. Chaque année, 560 millions de personnes sont exposées aux cyclones tropicaux et aux inondations. Le montant des primes d'assurance maritime a augmenté de 6 % en un an, à 38,9 milliards de dollars. Le nombre de migrants décédés en mer n'a jamais été aussi élevé, en hausse de 25 % par rapport à 2022. Les coûts sanitaires liés à l'exposition au plastique, en particulier via les fruits de mer, représentent 250 milliards de dollars.

Face à ces constats, une action nationale ne suffit pas. Les courants, les poissons, les polluants, le carbone ne s'arrêtent pas aux limites des ZEE. C'est tout le sens du traité de la haute mer. Celui-ci ne pourra être efficace que s'il repose sur des données scientifiques solides, partagées et actualisées. Les outils comme le baromètre Starfish reposent sur des évaluations scientifiques. Sans ces données, nous serions aveugles. Or, avec le retrait des États-Unis, nous risquons de perdre la moitié de notre capacité d'observation de l'océan.

En France, nous avons une océanographie forte, mais qui manque de moyens pérennes. Nous, scientifiques, nous engageons à fournir cet état de santé annuel de l'océan tous les 8 juin, à l'occasion de la Journée mondiale de l'océan. Nous avons besoin de vous pour adopter les mesures et les lois nécessaires à sa protection.

M. Charles Tellier, Ambassadeur adjoint chargé des pôles et des enjeux maritimes, envoyé spécial du Président pour l'océan et les pôles. - En quoi l'entrée en vigueur de l'accord s'insère-t-elle dans une ambition française pour l'océan, sa protection et son exploitation durable ?

Il y a quatre mois, nous accueillions à Nice la troisième conférence des Nations unies sur l'océan, l'Unoc3. Une conférence historique, avec des résultats substantiels pour la préservation de l'océan.

Sans une régulation du climat par l'océan, nous sommes exposés à des risques majeurs, y compris en Europe : la fin possible du Gulf Stream, d'ici cinquante ou cent ans, entraînerait un bouleversement des températures et du régime hydrologique ; notre agriculture serait dévastée ; le besoin d'adaptation serait bien plus fort que ce qu'on imagine aujourd'hui.

La France et le Costa Rica, coprésidents, ont souhaité faire de l'Unoc3 un tournant, aussi ambitieux que la Conférence de Paris, il y a dix ans. L'Unoc3 a réuni 175 États membres de l'ONU, 64 chefs d'État et de gouvernement - mais aucun du G7 -, 12 000 délégués. Ce n'était pas une COP : pas de décision à la clé, mais une déclaration politique. Nombre de petits États insulaires en développement, de la Caraïbe ou du Pacifique, étaient présents, car la question de la montée du niveau de la mer est pour eux une question de survie. Nous avons accueilli 130 000 visiteurs dans La Baleine, la zone verte ouverte au grand public, avec des pavillons expliquant la science océanographique ou les enjeux de la préservation des espèces.

Mme Lévy l'a dit, il est crucial de préserver l'océan, qui représente 71 % de la surface de la planète. Acidification, réchauffement, pollution plastique, surpêche, perte de biodiversité marine : la crise est sans précédent. L'excès de chaleur dû au changement climatique, aux émissions de gaz à effet de serre, a été pour l'essentiel absorbé par l'océan.

Dix ans après l'accord de Paris, il était temps de mobiliser pour l'océan la même ambition politique que pour le climat terrestre. La COP21 s'en était peu préoccupée, même si celle de Belém, cette année, consacrera des journées à l'océan.

À Nice, nous avions l'occasion de transformer les bonnes intentions en engagements concrets, à travers la déclaration politique, adoptée par consensus, et les engagements de Nice, disponibles en ligne. Cette feuille de route ambitieuse constitue le véritable acquis de la conférence.

L'entrée en vigueur du traité de la haute mer, qui découle de la convention de Montego Bay, est un des éléments - peut-être la pièce maîtresse - des résultats acquis en matière de gouvernance océanique. Nous en étions à 12 ratifications en janvier dernier, nous sommes passés à 50 ratifications à Nice, puis à 61 lors de la dernière Assemblée générale des Nations Unies, et le traité entrera en vigueur le 17 janvier 2026. Ce rythme traduit un changement majeur, puisque le précédent traité sur le droit de la mer avait mis douze ans à entrer en vigueur, ce qu'on peut considérer comme habituel - l'accélération du calendrier est ici spectaculaire.

Ensuite, nous avions l'ambition d'augmenter la taille de notre coalition appelant à un moratoire ou à une pause de précaution sur l'exploitation minière des grands fonds marins. Nous en sommes à 40 pays et nous espérons que cette opposition croissante à cette activité potentiellement très destructrice d'écosystèmes dont nous ignorons quasiment tout pourra mobiliser encore plus d'États. Cela fait partie de nos objectifs pour entraver toute tentative, notamment unilatérale, d'aller forer la haute mer.

Nous avons obtenu des avancées contre la pêche illicite, qui, non documentée et non réglementée, est une activité destructrice qui fait courir le risque de surpêche, mais aussi de destruction des stocks jusqu'à un niveau où ils ne peuvent plus se reconstituer, rendant les pêcheries inutilisables.

Nous nous sommes également mobilisés sur la pollution plastique : le « Nice Wake Up Call » appelle à un traité ambitieux pour interdire la production de plastique en amont. Beaucoup de pays se contentent d'appeler à traiter la pollution et à recycler les plastiques, mais nous savons qu'il est beaucoup moins coûteux d'interdire la production que de retirer les plastiques une fois produits. Malgré ce signal politique fort, nous n'avons pas réussi à convenir d'un traité, car l'opposition de certains pays reste vive. Pourtant, la vie marine a besoin de ce traité pour subsister.

Nous avons aussi enregistré des avancées sur la décarbonation du transport maritime, avant que les États-Unis ne parviennent - en votant avec l'Iran, ce qui ne manque pas de surprendre - à en faire reporter l'entrée en vigueur ; la France, l'Union européenne et la cinquantaine de pays qui ont voté contre ce report continueront ce combat pour décarboner le transport maritime.

Nous avons également lancé une coalition pour la résilience côtière et pour l'adaptation des villes à la montée des eaux, en réunissant plus de 400 exécutifs locaux du monde entier, issus de nombreuses îles, régions et grandes villes côtières : près d'un milliard d'habitants de la planète étaient représentés pour lancer cette grande coalition - la fonte des glaces et la hausse du niveau des mers constituent des risques majeurs pour les populations qui vivent sur les côtes, en fait pour les deux tiers de la population humaine.

La dimension scientifique était très importante à Nice. Nous avons organisé le One Ocean Science Congress avec plus de 2 000 scientifiques du milieu marin et océanique, une première. Ils ont formulé des recommandations politiques claires aux chefs d'État et de gouvernement. La santé de l'océan n'est pas bonne, et pour avoir des données scientifiques de meilleure qualité, nous avons lancé un réseau des observatoires océaniques, porté avec l'Unesco, mais aussi un grand projet scientifique d'exploration de l'océan que nous avons appelé la mission Neptune - parce que nous préférons explorer la planète bleue que la planète rouge. Nous instituons un consortium avec l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (Ifremer), la Commission européenne et tous les pays qui comptent en matière de sciences océanographiques - le Royaume-Uni, Monaco, le Japon, la Chine et d'autres -, l'idée est de construire une alliance entre les acteurs publics de la recherche et les acteurs privés. De nombreuses fondations travaillent sur ce dossier et disposent de navires et de capacités d'exploration sous-marine : la haute mer et les grands fonds ont toujours fasciné les explorateurs, il y a un engouement des philanthropes pour ces sujets. Les données collectées par la mission Neptune aideront à situer les aires marines protégées en haute mer là où se trouvent des écosystèmes importants, notre objectif est de mieux connaître les hauts-fonds pour le jour où, peut-être, nous devrons les exploiter, ceci pour savoir où l'impact écologique sera le plus faible.

Enfin, le traité sur la haute mer encourage à découvrir de nouvelles espèces, de nouveaux gènes et de nouveaux processus biologiques, avec la perspective d'élaborer de nouvelles thérapies et de nouveaux médicaments.

En conclusion, la France a aujourd'hui un crédit et un mandat politique assez exceptionnel pour porter les questions océaniques. L'Unoc3 et les engagements de Nice nous ont donné une légitimité assez unique pour faire de ce sujet une priorité de notre action diplomatique, peut-être de notre présidence du G7. À Nice, nous avons constaté qu'il y a, au-delà des petits États insulaires en développement, une véritable appétence des pays émergents pour travailler à la protection et à l'utilisation durable de l'océan. Pour les États insulaires, par exemple l'Indonésie - qui compte plus de 300 millions d'habitants -, la question de la montée des eaux est cruciale, tout comme celle des cyclones et des événements météorologiques extrêmes. Les présidents brésilien et français ont adopté une déclaration d'action de Nice à Belém, que nous mettons en oeuvre en vue de la COP1 du traité sur la haute mer, prévue à New York ; elle portera d'abord sur des questions de procédure - comment nous allons nous organiser, comment nous déciderons de l'endroit où créer des aires marines protégées -, mais notre ambition est d'en faire une COP qui montre la voie pour que la protection de la haute mer devienne un sujet phare de la protection de la planète.

Mme Klaudjia Cremers, chercheuse associée à l'Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri). - Quelques mots sur le contexte du traité sur la conservation et l'utilisation durable de la biodiversité marine des zones ne relevant pas de la juridiction nationale, dit « traité BBNJ ». La Convention de Montego Bay, adoptée en 1982, a été négociée à une époque où l'on connaissait mal la biodiversité marine et la haute mer. Les choses ont changé, Mme Lévy a souligné les pressions qui pèsent aujourd'hui sur cette biodiversité.

En 2004, dans le cadre de l'ONU, des États ont amorcé des discussions sur la haute mer, en particulier sur le point de savoir si le droit de la mer était suffisamment protecteur, ou s'il fallait un nouveau traité ; leur conclusion a été qu'il fallait un nouveau traité, parce que le droit en vigueur contenait au moins quatre lacunes, énoncées en 2011 et que le traité sur la haute mer entend combler.

Premier point, le traité crée un processus pour établir des outils de gestion par zone, y compris les aires marines protégées. Actuellement, seulement 1 % de la haute mer est protégé par de telles aires, notamment dans le nord-est de l'Atlantique et en Antarctique. Avant le traité, il n'existait aucun mécanisme global pour les aires marines protégées mondiales ni pour leur coordination. Des organisations régionales avaient certes la compétence pour en créer, notamment en Antarctique, mais nous disposons désormais d'un système global - c'est plus satisfaisant, d'autant que l'objectif 3 du cadre mondial de la biodiversité vise à protéger 30 % de l'océan d'ici 2030, dans cinq ans.

La deuxième partie du traité concerne les études d'impact environnemental. Les activités humaines en haute mer sont de plus en plus nombreuses depuis les années 1980, des activités comme l'aquaculture sur des bateaux pourraient même s'y déployer à l'avenir. Or, avant ce traité, il n'existait pas de mesures ni même de standards suffisants pour des études d'impact environnemental. Le traité comble cette lacune en définissant les modalités de réalisation de ces études, avec les principes de consultation des parties prenantes et transparence.

Troisième élément, le traité permet de réglementer l'exploitation des ressources marines génétiques, qui intéressent surtout les industries pharmaceutiques et cosmétiques. Le régime juridique applicable à ces ressources et à la bioprospection manquait de clarté ; un système de « premier arrivé, premier servi » prévalait, de sorte que seuls certains pays pouvaient accéder à ces ressources - c'est ce qui explique que trois pays développés, les États-Unis, le Japon et l'Allemagne, détiennent 70 % des brevets, tandis que de nombreux pays en développement n'ont pas accès à cette recherche pour développer leurs propres solutions. Le traité instaure également un partage juste et équitable des avantages, monétaires et non monétaires, de ces ressources marines génétiques, c'était un point de blocage. Les avantages non monétaires incluent l'accès à des informations, y compris pour les scientifiques. Le volet monétaire s'applique en cas de commercialisation des données issues de la biodiversité marine : un fonds spécial sera créé pour aider les pays en développement à remplir leurs obligations.

Enfin, le traité aide les pays en développement à renforcer leurs capacités et prévoit un transfert des technologies marines. La Convention de Montego Bay contenait déjà des dispositions à cet effet, mais leur mise en oeuvre était limitée ; le traité va plus loin, pour que tous les pays puissent, par exemple, accéder à la science ou contribuer à des missions scientifiques.

Au-delà de ces quatre éléments, le traité établit une structure institutionnelle avec un secrétariat, une conférence des parties - comme la COP sur le climat -, ainsi que des comités scientifiques, techniques et financiers. Le seuil des 60 ratifications a été atteint en septembre dernier, deux ans seulement après l'adoption du traité par consensus - ce qui paraissait improbable dans l'état actuel du multilatéralisme. Aujourd'hui, on compte 145 signataires et 75 parties au traité, il entrera en vigueur le 17 janvier prochain et la première conférence des parties aura lieu fin 2026. Dans cette perspective, les États ont déjà tenu deux réunions de la commission préparatoire au siège des Nations unies à New York, pour mettre en place la structure institutionnelle du traité et préparer la première COP. Durant cette commission préparatoire, les États ont échangé sur la composition, le mandat et les modalités de fonctionnement des organes subsidiaires du traité. C'est un point très important pour les aires marines protégées, car toute proposition en la matière doit être évaluée par un comité scientifique et technique : il faut mettre en place cet organe le plus rapidement possible pour avancer. Les États ont aussi discuté de la mise en oeuvre du mécanisme d'échange d'informations, notamment pour les ressources génétiques marines, qui obligera les scientifiques à notifier leurs découvertes. Enfin, ils ont abordé les questions financières, enjeu principal de tout traité environnemental.

La troisième réunion de cette commission préparatoire se tiendra en mars prochain ; ce sera la dernière occasion pour les pays de préparer la première COP. Son objectif est de fournir des recommandations sur la structure institutionnelle du traité, pour le rendre opérationnel dès que possible. En parallèle, des pays préparent déjà des propositions sur les aires marines protégées en haute mer - c'est nécessaire quand on mesure le chemin à parcourir en cinq ans pour atteindre l'objectif 30-30. Le Chili, par exemple, prépare une proposition pour une aire marine protégée dans la haute mer, à côté de l'île de Pâques. À l'Iddri, nous travaillons avec les pays de la Communauté économique des États d'Afrique de l'ouest (Cédéao) pour proposer un aire marine protégée en Afrique de l'Ouest, où la pression sur la pêche est très forte.

En conclusion, le traité BBNJ est historique par sa portée, la haute mer représentant plus des deux tiers de la surface de l'océan et près de la moitié de celle du globe. Il l'est aussi par la longueur de ses négociations - plus de quinze ans - et par le contexte géopolitique troublé. Son adoption par consensus en 2023 a été considérée comme une victoire pour la diplomatie et le multilatéralisme. M. Tellier l'a dit, les accords multilatéraux récents sur l'environnement ont mis en moyenne quatre ans à entrer en vigueur, et les traités sur l'océan prennent deux fois plus de temps. La France a joué un rôle très important et son action a été efficace. Dans ce contexte, le fait que cet accord historique ait rassemblé 145 signataires et soit entré en vigueur en seulement deux ans représente une réussite exceptionnelle. Cependant, ce traité demande une participation universelle, nous avons besoin que tous les pays du monde contribuent. Les signatures et ratifications à ce jour démontrent que nous sommes sur la bonne voie, avec une représentation de toutes les régions ; de grands pays, cependant, ne l'ont pas ratifié. J'ai reçu des informations cette semaine selon lesquelles la Chine va bientôt le faire, ce qui est une très bonne nouvelle, car elle possède la plus grande flotte de bateaux pêchant en haute mer.

M. Stéphane Demilly. - Vos exposés nous parlent et nous inquiètent. Nos océans souffrent de trois maux qui nous menacent : le réchauffement, avec la montée des eaux et la perte de biodiversité et d'habitabilité ; la surexploitation des ressources, notamment halieutiques ; et la pollution plastique, un problème dont j'entends parler depuis vingt-cinq ans que je suis parlementaire. Vous rappelez que 200 millions de tonnes de plastique iraient encore dans les océans et les rivières : il faudrait parvenir à se faire entendre, car malgré tout ce que nous avons pu dire et faire, le monde continue à regarder ailleurs.

Dispose-t-on d'un véritable état des lieux scientifique de nos océans ? Existe-t-il un inventaire précis des zones de la haute mer, y compris dans les espaces peu explorés ?

Quels sont, ensuite, les pays qui traînent les pieds pour ratifier le traité ? Au-delà de ces ratifications, quels sont les moyens de contrôle et de coercition pour éviter qu'une fois de plus, les bonnes intentions ne soient qu'un coup d'épée dans l'eau ?

M. Guillaume Chevrollier. - Vous avez évoqué le contexte géopolitique, en particulier l'offensive des empires - russe et chinois - et vous avez dit que l'Unoc3 ne comptait aucun représentant du G7, alors que la France en était la co-organisatrice. Comment appréhendez-vous, à votre niveau, ces problématiques géopolitiques ? Quelle effectivité du traité peut-on attendre dans ce contexte particulier ?

M. Gilbert-Luc Devinaz. - Vous avez dit que la montée des eaux menaçait les deux tiers de la population mondiale, qui vivrait sur des zones côtières : est-ce bien cette proportion ? Si c'est le cas, il faut insister sur cette échelle du problème - et le lier aux mouvements de populations que la montée des eaux provoquera nécessairement ; cependant, à quelle échelle temporelle raisonne-t-on ?

Avec ce traité, quels seront les critères pour la définition des aires marines protégées ? Comment ce traité s'articulera-t-il avec d'autres instruments internationaux, par exemple ceux qui définissent l'exploitation minière ou la pêche ?

Quelles sont les conséquences de la posture actuelle des États-Unis ? L'administration Trump va-t-elle freiner la mise en oeuvre de ce traité ?

Enfin, l'Office français de la biodiversité doit jouer un rôle important dans ce traité. Comment lui donner les moyens de telles ambitions ?

Mme Marina Lévy. - Disposons-nous d'un état des lieux scientifique de la haute mer ? Il faut distinguer ce que nous sommes capables de mesurer, et ce qui nous échappe. Les observations satellitaires nous donnent une bonne connaissance de la température de la surface de l'océan, du niveau de la mer et des courants de surface. Nous disposons également d'une flottille d'environ 4 000 flotteurs autonomes, des robots qui observent des paramètres comme l'oxygène et l'acidité. En combinant ces observations avec les jumeaux numériques, nous réalisons des prévisions opérationnelles de l'océan et nous pouvons reconstruire l'évolution de ces éléments sur les dernières années. Nous sommes également en mesure d'établir des projections climatiques sur l'état de l'océan pour les prochaines décennies, jusqu'à la fin du siècle, selon différents scénarios socio-économiques.

En revanche, nous connaissons peu ou pas du tout l'océan profond. Il est difficile d'acquérir des données au-delà de 2 000 ou 3 000 mètres de profondeur, où le nombre d'observations diminue de manière critique.

Je signale que sur les 4 000 flotteurs dont je parle, 2 000 sont financés par les États-Unis et leur maintien est en suspens. La communauté scientifique est très inquiète : si nous perdons la moitié de cette capacité, nous risquons de devenir à moitié aveugles.

Enfin, les observations plus biologiques, comme les données génomiques ou génétiques, sont plus complexes. Elles nécessitent d'aller en mer pour récolter de l'eau, ce qui restreint leur couverture géographique et en profondeur. Il est donc beaucoup plus compliqué d'assurer un suivi temporel, alors que les satellites nous permettent de suivre les changements d'un mois sur l'autre et d'une année sur l'autre.

En ce qui concerne la biodiversité, la situation est bien plus complexe. Nous disposons d'éléments dans certaines zones et nous essayons de faire des reconstructions. Il en va de même pour les stocks de poissons : nous utilisons les données fournies par les pêcheurs eux-mêmes et celles des campagnes d'observation en mer qui permettent de reconstituer les niveaux de stock. Notre niveau de connaissance est donc variable.

Un mot sur le niveau de la mer. Lorsqu'on dit que la mer est montée de 23 centimètres, cela ne fait peur à personne ; pourtant, ce qu'il faut considérer, c'est que les événements extrêmes sont de plus en plus nombreux et surtout plus intenses, l'intensité des cyclones tropicaux, par exemple, va augmenter avec le réchauffement climatique. Les rapports du Giec soulignent que des événements extrêmes d'inondation qui survenaient une fois tous les cent ans, risquent de se produire une fois par an. Le niveau de risque augmente dans son ensemble, les tempêtes vont provoquer des surcotes, les événements extrêmes vont être de plus en plus fréquents. Lorsqu'on parle du niveau de la mer, on pense bien sûr aux îles de très faible altitude, mais il faut aussi considérer tous les événements extrêmes qui vont concerner la plupart des côtes.

M. Charles Tellier. - La France dispose de l'outil Mercator pour exploiter les données opérationnelles, c'est lui qui permet d'utiliser un jumeau numérique ; il est situé à Toulouse dans l'écosystème de Météo-France. Nous menons actuellement une campagne pour transformer cette entité, aujourd'hui société commerciale, en organisation intergouvernementale, ceci pour obtenir plus de fonds de la Commission européenne dans le prochain cadre financier pluriannuel, car Mercator reçoit des délégations de crédit de Copernicus Marine. Il ne peut y avoir de souveraineté maritime sans une véritable base de données, celles que nous utilisons et créons à travers Mercator et le jumeau numérique, sont au fondement de notre souveraineté maritime future. Nous nous servons du jumeau numérique pour prévoir les risques liés aux inondations avec la montée du niveau de la mer, pour choisir les meilleures routes maritimes, cet outil est indispensable pour faire des projections et prendre des décisions fondées sur la science, que ce soit pour le trait de côte ou les stocks de pêche, parmi d'autres sujets.

Les pays qui mettent plus de temps pour ratifier le traité ne le font pas toujours volontairement, cela peut être dû à la longueur de leurs procédures législatives. C'est le cas en Allemagne, en Irlande, mais aussi en Nouvelle-Zélande, en Australie ou au Canada, où les législations secondaires doivent être validées avant la ratification. Alors que nous faisons des décrets d'application plus tard, eux font le contraire : il faut que tout soit prêt pour ratifier, leur processus législatif est donc mécaniquement plus long que le nôtre.

Je n'ai pas dit que les pays du G7 n'étaient pas représentés à Nice, mais qu'ils ne l'étaient pas au niveau des chefs d'État et de gouvernement, c'est un peu différent. Il est vrai que les pays du G7, à part la France, n'ont pas ratifié le traité. Nous savons que les Américains ne le ratifieront pas, de même qu'ils n'ont pas ratifié le traité de Montego Bay - et pour l'administration Trump, l'agenda du développement durable est contraire et hostile aux intérêts de l'Amérique. Cependant, nous retirons un espoir de la conférence de Nice, car malgré un contexte géopolitique difficile, nous y avons constaté une très forte appétence pour ce traité, beaucoup de pays sont déterminés. Les Américains vont se retrouver isolés, à New York ils sont les seuls à avoir voté contre la déclaration politique - alors que la Russie, par exemple, a voté pour. À Nice, nous avons vu un multilatéralisme environnemental ambitieux, il y a un mouvement fort des sociétés civiles et des gouvernements sont déterminés à faire avancer les choses.

La question des moyens du contrôle est centrale, elle vaut pour toutes les aires marines protégées, dont la plupart se situent actuellement dans des ZEE. La France, du reste, possède la plus grande aire maritime protégée au monde puisque la Polynésie française a décidé de protéger 4,5 millions de kilomètres carrés de sa ZEE. Pour le contrôle, il faut des navires, des garde-côtes ou des bâtiments de la Marine nationale qui patrouillent, arraisonnent et ont la capacité d'empêcher la pêche ou d'autres activités, comme le tourisme.

Il faudra donc que, collectivement, les nations se donnent ces moyens, nous savons que ce n'est pas gagné. Les satellites permettent aujourd'hui un bien meilleur contrôle qu'il y a quelques années. Nous comptons aussi beaucoup sur l'intelligence artificielle et les données nouvelles, certainement dans le cadre de partenariats public-privé, des ONG comme Global Fishing Watch ont développé de telles capacités. Elles peuvent montrer où sont les navires de pêche ; il faudra cependant, ensuite, avoir les moyens d'arrêter les navires qui pêcheraient dans les aires marines protégées, ce qui signifie des moyens pour les marines nationales.

La montée des eaux posera des questions de sécurité et de migration. Elle constitue un véritable drame humain, on le voit par exemple avec la salinisation des deltas : en pénétrant par la nappe phréatique, l'eau de mer rend inutilisables des terres très fertiles, c'est le cas dans le delta du Gange au Bangladesh et en Inde, l'agriculture devient impossible, les gens partent parce qu'ils ne peuvent plus cultiver la terre. Pour les villes très proches du niveau de la mer - en Inde, au Bangladesh, ou encore à Lagos et même à New York -, il suffit de peu pour que la situation devienne critique lors d'une forte marée. Quand la mer est montée de 20 centimètres, une forte marée suffit à provoquer des inondations. Avec le réchauffement climatique et les événements qui lui sont liés, on se retrouve avec des inondations qui empêchent l'activité humaine et économique. C'est ce qui s'est passé à New York il y a deux ans, où une partie du métro et le sud de Manhattan étaient inondés - on sait construire des barrières, mais un jour cela ne suffira pas. Je ne dis pas cela pour vous faire peur, mais si la calotte polaire de l'Arctique fond, l'élévation du niveau de la mer sera de 6 à 7 mètres - nous ne pouvons écarter que cela se produise avec un réchauffement de 3 ou 4 degrés, ce qui est proche de la trajectoire la plus probable. Et si la calotte glaciaire antarctique fondait, cela représenterait entre 60 et 70 mètres d'élévation du niveau de la mer - d'une mer qui ne serait plus salée, ce qui anéantirait une grande partie de la vie marine. On ne peut écarter cette possibilité à un horizon de 150 ans si on laissait les pires trajectoires climatiques se poursuivre... En réalité, même une hausse du niveau de la mer de 5 mètres serait cataclysmique.

La santé de l'océan et celle du climat sont liées, il faut donc travailler sur ce sujet, nous préparer et nous déplacer. Nous avons prévu le déplacement de la commune de Miquelon il n'y a pas si longtemps, car il coûte moins cher de déplacer une ville que de lutter pour la maintenir sur son lieu face à une élévation trop forte du niveau de la mer.

La gouvernance de l'océan est éclatée. Ce que nous avons voulu faire avec l'Unoc, c'est précisément de parler à la fois de la pêche illégale, de l'exploitation des grands fonds marins - et des raisons de s'y opposer - aussi bien que des aires marines protégées. Cette articulation sera difficile et il faudra que les différentes composantes du système des Nations unies se parlent davantage. C'est un des sujets sur lesquels nos diplomaties devront travailler, mais aussi la Commission européenne, qui a la compétence exclusive sur la pêche. Il faut plus de synergies, et donc exercer une pression sur les organisations onusiennes pour qu'elles collaborent mieux et que l'articulation entre les traités permette une meilleure gouvernance de l'océan.

Mme Klaudjia Cremers. - Ce n'est pas par un manque de volonté politique que certains États n'ont pas encore ratifié, mais plutôt parce que les processus sont très longs pour ce type de traité. L'an passé, la moitié des pays du monde ont eu des élections, ce qui a empêché de mener toutes les consultations interministérielles nécessaires. La Russie a déjà indiqué qu'elle ne signerait ni ne ratifierait le traité, c'est un pays clé qui traîne les pieds. Pour le reste, nous n'avons pas d'indications d'autres pays qui n'auraient pas la volonté de ratifier, à l'exception des États-Unis, qui ne sont même pas présents lors des réunions de la commission préparatoire.

Cependant, même si, en droit international, le traité n'est contraignant que pour les parties, les États signataires, comme les États-Unis, sont néanmoins tenus de s'abstenir de tout acte qui pourrait compromettre l'objet et le but du traité. Par conséquent, comme les États-Unis ont signé le traité, ils ne peuvent pas agir ouvertement à l'encontre de ses objectifs. Cela vaut par exemple pour l'exploitation des fonds marins - dans le cadre de l'Autorité internationale des fonds marins (AIFM), la Chine rappelle aux États-Unis l'obligation de respecter le multilatéralisme. Du reste, la question de l'exploitation des fonds marins est sur l'agenda, puisque le traité sur la haute mer fait une place au principe de précaution.

Comment garantir le respect du traité par les États ? Le traité prévoit un comité de mise en oeuvre et de contrôle du respect de ses dispositions, axé sur la facilitation et fonctionnant de manière transparente, non accusatoire et non punitive. Il contient aussi des dispositions sur les procédures de règlement des différends.

Sommes-nous armés pour assurer le suivi, le contrôle et la surveillance ? C'est une question clé, l'Iddri y a consacré un rapport. Nous avons examiné les aires marines protégées qui existent déjà en haute mer, dans l'Atlantique Nord-Est et en Antarctique, ainsi que de celles, très grandes et éloignées, situées dans les ZEE. Il faut savoir que si le traité définit des critères scientifiques pour les aires marines protégées, comme la présence d'espèces rares ou leur niveau de reproduction, il ne dit rien sur le niveau de protection ; il ne pose pas le principe d'interdiction des activités humaines : ce sera à chaque État ou groupe d'États de préciser lesquelles seront interdites. Dès lors, le suivi, le contrôle et la surveillance de ces activités sont décisifs, ils reposent sur des outils traditionnels, comme le contrôle en mer par des bateaux et au port, et sur des technologies nouvelles, notamment satellitaires. Il n'y a pas de cadre de gestion commun et dans les faits, la surveillance d'une aire marine protégée dépend de son objectif, de son budget, de son accès, de sa couverture, mais aussi de considérations de confidentialité et de la capacité d'analyse des données.

Nous avons constaté que la surveillance des aires marines protégées « no-take », où la pêche est totalement interdite, est beaucoup plus simple et moins coûteuse que celle des aires marines protégées à zonages multiples, où certaines activités humaines sont permises et d'autres pas. L'expérience dans l'Antarctique montre que, même en cas de gestion commune, certains pays s'engagent davantage dans la surveillance et le contrôle, en général pour des raisons géopolitiques ou de sécurité.

Enfin, les organisations existantes qui ont un mandat en haute mer, comme les organisations régionales de gestion de la pêche ou l'Organisation maritime internationale, collectent déjà beaucoup de données utilisables. Il ne faut pas dupliquer les efforts, le traité sur la haute mer vise précisément à assurer la coopération et la coordination des organismes existants.

Mme Nadège Havet. - La question de la gouvernance est importante, nous le savons bien par notre expérience des parcs naturels. Dans le Finistère, le parc marin d'Iroise fonctionne bien parce que sa gouvernance rassemble autour de la table l'ensemble des acteurs, depuis sa création. Est-ce que le traité sur la haute mer définit clairement un mode de gouvernance qui lui donne une chance d'être appliqué et respecté ?

M. Jacques Fernique. - L'action sur la haute mer, c'est-à-dire sur des espaces où, par définition, il n'y a ni souveraineté ni juridiction étatique, nécessite un multilatéralisme robuste et ambitieux. Il le faut autant pour l'objectivation des données - afin d'être clair sur les enjeux et les évolutions - que pour internationaliser les études d'impact, les décisions, les contrôles, voire les sanctions, ainsi que les financements nécessaires.

Je voudrais revenir sur la question des aires marines protégées, l'une des ambitions du traité. On connaît l'objectif de 30 % pour 2030, sachant que seulement 1 % de la haute mer bénéficie aujourd'hui de régimes de protection. L'expérience que nous avons en dehors de la haute mer montre qu'il ne suffit pas de convenir de périmètres protégés, mais qu'il faut y mettre en place des conditions effectives de protection. En Europe, la stratégie sur la biodiversité marine mise sur l'articulation 30-10, c'est-à-dire 30 % en aires marines protégées, qui s'appuient sur 10 % de ces 30 % en protection stricte. La préconisation est que les activités qui se déroulent dans ces zones en protection stricte soient uniquement celles qui sont compatibles avec l'objectif de conservation, de protection et de restauration des milieux. Sur ce point, la France a une approche différente, plutôt au cas par cas, même pour ses zones de protection forte, n'interdisant pas par principe certaines activités.

Les éléments scientifiques montrent qu'une zone protégée n'est efficace que si elle est à proximité d'une zone de protection stricte, par un effet de réserve. Quelles perspectives avons-nous pour que ces aires marines protégées de haute mer ne soient pas simplement des « AMP de papier », mais qu'elles soient un tant soit peu efficaces sur le plan écologique ?

Mme Annick Girardin. - Un mot sur le rôle actif de la France dans l'élaboration et l'adoption de ce traité sur la haute mer. Avant d'en arriver à sa ratification par une soixantaine d'États, donc son entrée en vigueur, de nombreux rendez-vous ont été organisés dans notre pays pour entraîner la communauté internationale. En 2021, au congrès mondial de l'Union internationale de conservation de la nature (UICN) à Marseille, nous avons annoncé que nous allions nous impliquer activement - nous avons voulu intégrer la mer et l'océan à la COP21 de Paris, mais cela n'a malheureusement pas été possible. Il y a également eu les Assises de la mer à Nice en septembre 2021, qui ont fait avancer le traité. Nous avons tendance à oublier le rôle important de la France, qui possède le deuxième domaine maritime mondial juste derrière les États-Unis - ce qui implique également une responsabilité particulière. Il faut bien sûr mentionner aussi le One Ocean Summit en février 2022 à Brest, où l'on a décidé que le Mercator Ocean aurait une gouvernance internationale ou une portée intergouvernementale. J'espère que nous continuons à avancer avec le financement par Copernicus, c'est essentiel, le Mercator Ocean est à Toulouse, il faut le conforter.

Je suis optimiste, mais je sais qu'il reste des questions importantes à régler. D'abord, sur le financement. Vous évoquez le fonds fiduciaire et pour avoir porté la voix de la France dans la négociation avec les États insulaires lors de la COP21, je sais que la création du Fonds vert a été décisive pour que les « petits » États et même les Brics, signent les documents ; or, nous n'avons pas été à la hauteur de nos engagements, trop rares ont été les projets financés par le Fonds vert, chacun de ces États l'a constaté et s'en souvient. Dès lors, comment fonctionnera le fonds fiduciaire ? Où en sommes-nous ? Si jamais ce devait être un leurre pour les petits États insulaires ou les Brics, si nous n'étions pas à la hauteur de leurs besoins, ce serait un échec de plus. Les engagements que nous prenons sont-ils à la hauteur ? Même s'il faut rester optimiste, il ne faut rien lâcher de nos ambitions.

Une deuxième question importante, ensuite, concerne le statut des migrants climatiques. Nous n'avons pas réussi à définir un tel statut pour les terres émergées, y parviendra-t-on pour les mers ? La Polynésie française s'est positionnée pour être un pays d'accueil pour ses voisins du Pacifique, c'est intéressant. Nous devons parler de ce sujet dans tous ses aspects, climatiques et économiques, il y a des attentes fortes. Il y a eu des déplacements de villes ou de villages, d'abord dans les îles Samoa, la France a répondu présent pour accompagner le mouvement - dans une tout autre configuration par exemple que pour le déplacement du village de Miquelon. À Saint-Pierre-et-Miquelon, le premier projet français d'accompagnement sur le long terme, nous avons la chance d'avoir un maire courageux qui a largement anticipé les choses, ce qui permet d'échelonner le projet sur des années, avec la possibilité pour des habitants de ne pas se déplacer.

Il faut aussi marquer la dimension culturelle des questions maritimes. À Saint-Pierre-et-Miquelon, comme dans beaucoup d'États insulaires, non seulement la montée des eaux est sous nos yeux, bien réelle, mais nous avons aussi la culture de la mer, nous vivons avec elle, ce qui nous fait regarder différemment la nécessité d'accepter la situation et d'agir au-delà de la simple adaptation.

J'ai deux dernières questions. Qu'en est-il de la convention de Montego Bay ou des décisions qui en découlent ? La zone économique exclusive (ZEE) est calculée à partir des points de base du pays ; quand certains de ces points qui sont des îles disparaîtront, qu'adviendra-t-il des ZEE ? Est-ce que les organisations internationales y travaillent, anticipent ?

Enfin, a-t-on des illustrations « avant-après » le traité sur la haute mer, pour mesurer son importance ?

M. Cédric Chevalier. - Il y a un décalage entre l'urgence de la situation de nos océans et le temps que l'ensemble des pays mettent à agir, même si nous avançons finalement, donc lentement - et j'entends parler de ces sujets depuis cinquante ans au moins...

La mauvaise santé des océans est-elle irréversible ?

Ensuite, qui, demain, sera autorisé, ou non, à exploiter les fonds marins ?

M. Sébastien Fagnen. - Dans ce contexte géopolitique marqué par le retour brutal de l'unilatéralisme et une forte propension au recul écologique, les avancées du multilatéralisme environnemental pour la haute mer sont une victoire en grande partie française que nous pouvons saluer.

Je suis sénateur d'un département bordant la Manche. Bien que cet espace maritime relève principalement des ZEE de la France et du Royaume-Uni, il concentre de grands enjeux maritimes et internationaux : la densité de son flux maritime, les migrations internationales, les conséquences du changement climatique avec la montée des eaux et le recul significatif du trait de côte, l'exploitation des ressources halieutiques et, du fait de sa faible profondeur, un développement accru des énergies marines renouvelables.

Ces nombreuses dimensions conduisent à s'interroger sur la déclinaison régionale des grands objectifs scientifiques, environnementaux et climatiques du traité de la haute mer, et sur la manière dont cette dimension régionale pourrait être intégrée dans la première conférence des parties l'an prochain. Le Royaume-Uni devrait être signataire du traité courant 2026 : comment les enjeux communs pour la Manche pourront-ils s'articuler avec ce que le traité de la haute mer va mettre en place à l'échelle du globe ?

M. Olivier Jacquin. - Ce que vous nous dites est tout à fait préoccupant, le défi est immense. Comment contrôler l'effectivité des engagements ? Vous semblez dire que seules les nouvelles technologies, en particulier les satellites, assureraient un contrôle : qu'en est-il, et comment articuler ces technologies avec des moyens plus classiques, qui restent indispensables ? Ensuite, quelles sanctions et pénalités prévoir, pour donner une chance à ce traité d'être respecté ?

M. Alain Duffourg. - Vous avez évoqué les matières plastiques, qui sont un élément très polluant dans nos océans. Si des scientifiques et des responsables politiques ont mis en avant la possibilité de supprimer les emballages plastiques, le commun des mortels regarde encore comme très pratiques les bouteilles d'eau en plastique : comment remplacer cette matière ? À quel coût ?

Mme Marina Lévy. - La situation est-elle irréversible ? Sur le climat, d'abord, les climatologues nous disent qu'il n'y a pas de retour en arrière possible. L'élévation du niveau de la mer, le réchauffement de l'océan et la désoxygénation vont continuer. La question est de savoir à quelle vitesse nous allons pouvoir réduire nos émissions de gaz à effet de serre pour que cette augmentation soit la plus faible possible. Le message des climatologues est de faire le plus d'efforts possible, le plus rapidement possible, pour éviter que les effets ne s'aggravent.

En ce qui concerne la pêche, nous savons qu'en instaurant des quotas efficaces, les stocks de poissons peuvent se reconstituer si l'on n'est pas allé trop loin. C'est l'une des raisons pour lesquelles les aires marines protégées sont importantes : elles permettent d'avoir des endroits où les poissons grandissent et vieillissent. Il faut aussi insister sur l'effet du changement climatique, car les espèces de poissons y sont également soumises. L'importance de ces aires marines protégées est donc d'offrir des zones où les espèces marines ne subiront plus que le seul changement climatique au lieu d'y ajouter la pêche, ce qui leur donnera peut-être plus de chance de s'adapter.

Enfin, concernant la pollution plastique, il faut savoir que les macroplastiques, comme les bouteilles d'eau, ne représentent qu'une toute petite quantité du plastique qui arrive dans l'océan : la pollution plastique est surtout sous la forme de microplastiques, via les eaux usées. Nous pouvons récupérer les macroplastiques dans l'eau, mais très peu les microplastiques, et c'est bien pourquoi il faut stopper autant que possible la production plastique, pour limiter les pressions que l'on exerce sur l'océan.

M. Charles Tellier. - Le fonds fiduciaire doit effectivement être plus efficace et plus souple que le Fonds vert. Il faut relier le sujet aux politiques d'aide publique au développement (APD), qui sont malheureusement en repli. Sauf découvertes spectaculaires, ce qui n'est pas impossible, les brevets pharmaceutiques ou cosmétiques ne suffiront pas pour abonder un fonds fiduciaire à la hauteur des enjeux et il faudra sans doute le compléter par de l'APD, des moyens qui n'iront donc pas à d'autres priorités. En réalité, il faudrait remonter l'APD à un niveau plus élevé et plus compatible avec nos responsabilités historiques.

Concernant la stratégie européenne de biodiversité, - le 30 % en 2030 et les 10 % de protection stricte -, il est assez clair que la reconstitution des stocks se fait là où il y a une protection stricte : le mécanisme d'overflow fait que la reconstitution des écosystèmes a un effet positif sur la pêche en dehors de la zone.

Le traité dont nous parlons vise la haute mer, au-delà des juridictions nationales, donc pas les ZEE : la Manche, par exemple, n'en relève donc pas. Le traité de la haute mer ne prévoit pas non plus de déclinaison régionale, géographique, mais il y a une articulation avec les organisations régionales de gestion de la pêche, ainsi qu'avec l'AIFM, basée à Kingston, qui gère l'exploration et l'exploitation future avec un code minier encore en cours de négociation - et dont on espère qu'il le restera pendant un certain temps encore.

Le modèle français a ses avantages en matière de cogestion et d'articulation des parties prenantes, mais il a aussi ses inconvénients, en particulier la difficulté à faire évoluer les régimes très spécifiques de chacune de nos aires marines protégées. Pour la haute mer, nous aurons un régime assez différent, qui relèvera de la responsabilité des États.

La question du trait de base est essentielle, elle touche au coeur des relations internationales, qui sont fondées sur les États. Quel sera le statut d'un État dont le territoire aura été submergé ? C'est ce qui va arriver aux États du Pacifique qui ne sont pas adossés à des volcans et dont les terres s'élèvent de 20 ou 30 centimètres au-dessus du niveau de la mer. Cette question a un impact direct sur la ZEE. L'idée sera sans doute de reconnaître une existence juridique à des États qui auront cessé d'avoir un territoire physique.

La question du statut des populations se pose également, car nous n'allons pas les rendre apatrides. Le statut des migrants climatiques renvoie à toutes les questions de droit humanitaire et de migration climatique, qui sont largement débattues entre les juristes du droit international, les États et les ONG. Avec le réchauffement climatique et l'élévation du niveau de la mer, il faut anticiper des mouvements peut-être massifs de population - avec la hausse des températures sur le sous-continent indien, entre le Pakistan, l'Inde et le Bangladesh, il n'est pas impossible qu'à l'horizon 2100, entre un milliard et un milliard et demi de personnes doivent changer d'habitat.

Un mot sur les aspects culturels. Dans les pays insulaires du Pacifique, le culte des ancêtres est important et si les gens ne veulent pas partir de là où ils habitent, c'est parce que leurs ancêtres y sont enterrés. Il faut prendre en compte cette dimension, au-delà de la simple capacité à héberger ces réfugiés climatiques.

S'agissant de l'exploitation des grands fonds marins, l'AIFM décide l'allocation des permis d'exploration - l'Ifremer, par exemple, en détient deux pour la zone de Clarion-Clipperton, dans le Pacifique, où se trouve l'îlot français de Clipperton. L'AIFM est aussi, comme le prévoit le traité de Montego Bay, l'institution où se négocie le code minier, car l'exploitation des grands fonds marins est prévue : l'AIFM est même appelée à constituer à terme un cadre multilatéral pour cette exploitation. Cependant, le code minier n'est pas prêt, et il faudra ensuite toute une série de régulations pour le mettre en oeuvre et les permis d'exploitation sont accordés au titre d'une exploitation future. Tel est l'enjeu de la pause de précaution, ou du moratoire, que la France et quarante autres pays ont décidé de proposer. Dès lors que nous ne savons pas ce qu'il y a dans les grands fonds marins, ni si une éventuelle exploitation serait extrêmement dommageable pour ces écosystèmes méconnus, la précaution s'impose. Nous voulons mobiliser une masse critique d'États pour que ce moratoire de précaution l'emporte : notre ambition est de doubler le nombre de pays dans la coalition d'ici à la prochaine assemblée générale de l'AIFM. Celle-ci poursuivant ses travaux sur le code minier, nous voulons créer une minorité de blocage pour que l'adoption de ce code, si elle a lieu, intègre la question de la pause de précaution. Le risque, sinon, c'est qu'un code minier n'encourage des pays à se lancer dans l'exploitation des fonds marins, quand bien même la capacité des industriels à exploiter est loin d'être établie.

Avec l'administration Trump, il pourrait y avoir une sorte de foire d'empoigne où des États, estimant avoir la technologie et pouvoir s'affranchir du droit international en haute mer, se lanceraient dans l'exploitation des grands fonds marins. Les États-Unis ont annoncé qu'ils comptaient lancer l'exploitation dans leur ZEE, ce que nous ne pouvons manifestement pas leur interdire. En haute mer, en revanche, ce serait une violation flagrante du droit de la mer et du régime international de protection des grands fonds marins. Le traité sur la haute mer pourra protéger toute la colonne d'eau : l'idée n'est pas de protéger seulement des stocks de poissons, la biodiversité, mais les écosystèmes jusqu'aux grands fonds marins.

La question se pose effectivement des moyens de contrôle et de mise en oeuvre. Les nouvelles technologies sont très utiles, elles donnent la capacité de prouver les infractions, ce qui sera le plus déterminant. En haute mer, il est impossible de voir un bateau de pêche au-delà d'une certaine distance, alors que les satellites, couplés avec les nouvelles technologies, permettent d'identifier les navires. Concernant la pêche, il est encourageant que la Chine se soit finalement décidée à entrer dans le régime des mesures du ressort de l'État du port, en particulier parce que les États signataires ont obligation - en vertu d'un traité de la FAO - de contrôler la pêche dans les ports où elle est débarquée, avec les mentions précises du bateau, du volume et du lieu de la pêche. C'est un moyen efficace de lutter contre la pêche illégale. Le fait que la Chine, qui dispose de la plus grande flotte hauturière au monde, intègre ce régime, constitue une avancée significative. La France prendra la présidence du comité de l'accord sur les mesures du ressort de l'État du port pour 2026 et 2027, nous y porterons des mesures ambitieuses pour lutter contre la pêche illégale, notamment sur la question des bénéficiaires effectifs, il faut de la transparence sur le capital qui se trouve derrière les flottes : comme cela se passe avec les hydrocarbures, nous savons que des licences de pêche sont accordées à des pêcheurs locaux qui sont des hommes de paille au service d'intérêts qui n'ont pas le droit de pêcher, nous le voyons par exemple dans le golfe de Guinée. Le contrôle sur l'identité du bénéficiaire effectif du capital derrière les flottes est donc essentiel.

Mme Klaudjia Cremers. - Les modalités de gestion des aires marines protégées sont encore à définir, notamment l'articulation entre le traité et les organisations existantes. Un principe clé est que le nouveau traité ne peut porter préjudice à ces organisations, les États pêcheurs y ont fait très attention pendant les négociations. Les organisations régionales de gestion de la pêche ont des mandats, ils restent entiers ; cependant, le nouveau traité inclut des obligations de consultation.

À l'instar de la gouvernance du parc marin d'Iroise, tous les acteurs sont autour de la table pour les aires marines protégées : les États ont seuls la compétence pour les proposer, mais leurs propositions font intervenir de nombreux acteurs non étatiques - scientifiques, ONG, pêcheurs... Ce processus de consultation est inclus dans le traité, c'est décisif pour l'efficacité future des aires marines protégées, pour éviter les conflits.

La qualité des aires marines protégées est garantie par le comité scientifique et technique. C'est ce qui rend si importantes les discussions préparatoires actuelles : bien que techniques, elles sont cruciales, car les membres du comité auront un avis à donner sur la qualité de ces aires. C'est aussi une raison pour laquelle les pays veulent être parties au traité : seuls les membres peuvent envoyer des experts à ce type d'organisme.

La question du financement est cruciale. Le traité sur la haute mer n'inclut pas de chiffres et se limite à la création d'un mécanisme de financement. Un chapitre est dédié au renforcement des capacités et au transfert des technologies marines pour les pays en développement, ce qui ne suscite pas beaucoup de désaccords. L'objectif est de s'assurer que ces pays puissent aussi contribuer à atteindre les objectifs du traité. Aux côtés du financement étatique, de nombreuses fondations philanthropiques ont déjà alloué des fonds pour aider les pays à ratifier et à mettre en oeuvre ce traité. La Commission européenne a également dédié 50 millions d'euros à sa mise en oeuvre.

Ce traité porte sur la haute mer, mais les scientifiques parlent souvent du principe de connectivité écologique, qui fait qu'en protégeant les espèces en haute mer, on améliore la situation des ZEE. C'est très important pour des régions comme l'Afrique de l'Ouest, où la surpêche est très présente et où les moyens de contrôle peuvent manquer.

Quelle place des nouvelles technologies dans la surveillance et le contrôle ? L'Iddri a travaillé sur le sujet, après avoir constaté que, lors des négociations, ces nouvelles technologies étaient présentées comme l'alpha et l'oméga de la surveillance et du contrôle. Nous montrons que, même si ces technologies sont très pertinentes, les patrouilles traditionnelles par bateau restent très importantes, car elles sont assez dissuasives. Nous le voyons dans l'Antarctique, où seuls 27 bateaux pêchent : l'existence de patrouilles par des bateaux de surveillance a un effet dissuasif. Nous évoquons aussi le fait que tous les États du pavillon n'ont pas la volonté ou la capacité d'effectuer le contrôle, le suivi et la surveillance de leurs bateaux. Le rôle des États du port est également très important. Il faut aussi s'assurer que les systèmes juridiques nationaux sont préparés, par exemple, à la preuve par images satellitaires, ce n'est pas le cas partout. Nous soulignons enfin que la surveillance et le contrôle sont plus efficaces si les organisations travaillent ensemble et partagent le plus de données sur l'activité humaine en haute mer.

M. Jean-François Longeot, président. - Je vous remercie pour la qualité de vos réponses. Ces sujets sont devant nous ; nous les connaissons. Si nous ne faisons rien, nous ne pourrons pas dire que nous ne savions pas.

Le 18 octobre 2021, une audition sur le bilan et les perspectives du congrès de l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) nous avait déjà alertés. François Sarano, océanographe, plongeur professionnel et ancien conseiller scientifique du commandant Cousteau, nous avait dit que le constat d'une catastrophe en cours était déjà ancien, mais il avait eu aussi cette note d'espoir en nous disant que la mer est incroyablement résiliente pour des raisons d'ordre physique et biologique. Il avait rappelé l'exemple de la réserve des Calanques, qui ne comptait qu'un seul mérou à sa création et où, dix ans plus tard, on ne les compte plus. Nous devons nous remémorer ces propos, être résilients, et très attentifs.

Ces échanges nous ont beaucoup apporté. Maintenant, c'est à nous d'agir, sur tous les sujets, y compris celui des déplacements de populations, nous devons agir concrètement - et chacun ici en est convaincu.

La réunion est close à 11 h 45.