Mardi 28 octobre 2025

- Présidence de Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente -

La réunion est ouverte à 13 h 50.

Projet de loi de lutte contre la vie chère dans les outre-mer - Examen des amendements au texte de la commission

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous examinons les amendements au texte de la commission sur le projet de loi de lutte contre la vie chère dans les outre-mer, qui sera examiné ce jour en séance publique, à partir de 14 h 30, et éventuellement demain.

Mme Micheline Jacques, rapporteur. - En vue de l'examen de ce projet de loi de loi en séance publique, nous vous proposons deux amendements « remords », fruits notamment de nos échanges avec le Gouvernement, et un sous-amendement.

L'amendement n°  149 à l'article 2 porte sur la négociation annuelle consacrée au bouclier qualité-prix (BQP) « services » afin de spécifier qu'elle doit porter sur les services de télécommunication et l'entretien automobile, qui sont des préoccupations majeures pour nos compatriotes ultramarins.

L'amendement n°  148 à l'article 4 vise à préciser que les entreprises autres que les très grandes plateformes en ligne seront prioritaires pour l'utilisation du E-Hub en Martinique. Il s'agit de s'assurer qu'Amazon, Alibaba, Temu ou Shein ne deviendront pas les principaux utilisateurs de ce nouveau service public de gestion logistique.

Enfin, le sous-amendement n°  150 à l'amendement n°  66 rectifié de notre collègue Victorin Lurel précise le dispositif de plafonnement des marges arrière, afin qu'il soit mis en oeuvre à l'échelle d'un groupe et non d'une ligne de produits.

En outre, 132 amendements ont été déposés sur le texte de la commission, mais 12 d'entre eux ont été jugés irrecevables au titre de l'article 40 de la Constitution par la commission des finances.

Compte tenu du périmètre du texte, nous vous proposons de déclarer irrecevables, en application de l'article 45 de la Constitution, trois amendements, les amendements nos  104 et  105 de notre collègue Victorin Lurel ainsi que l'amendement n°  143 de notre collègue Audrey Bélim : le premier tend à ramener de dix à cinq ans la protection intellectuelle pour les pièces détachées visibles pour l'automobile et à compléter la liste des pièces pouvant être libéralisées ; le deuxième concerne la remise d'un rapport sur les impacts économiques et environnementaux des obligations d'économies d'énergie et de la mise en oeuvre de la taxe carbone européenne dans les outre-mer ; et le troisième prévoit la remise d'un rapport sur l'économie circulaire dans les outre-mer.

Il convient de noter qu'aucun amendement de rétablissement de l'article 1er n'a été déposé. Nous pouvons donc en déduire que sa suppression par notre commission faisait consensus au sein de notre assemblée.

À l'article 2, sur lequel 17 amendements ont été déposés, nous vous proposons d'émettre un avis défavorable aux amendements tendant à complexifier la négociation du BQP, en y associant une multitude d'acteurs, ou en élargissant outre mesure son périmètre.

À l'article 5, le rétablissement du dispositif de péréquation des frais d'approche est proposé par le Gouvernement. Nous y sommes favorables à la condition que celui-ci complète son amendement pour qu'il mentionne la participation de l'État à ce mécanisme, conformément au protocole d'objectifs et de moyens de lutte contre la vie chère signé en Martinique le 16 octobre 2024.

À l'article 8, nous proposons des avis défavorables aux amendements qui prévoient d'abolir toute différenciation entre les conditions générales de vente valables dans l'Hexagone et celles qui s'appliquent aux produits vendus outre-mer. Certaines différenciations, liées à des situations objectives, sont justifiées. Ce qui est inadmissible, et sera désormais proscrit grâce à l'article 8, c'est l'existence de discriminations au détriment des consommateurs ultramarins, c'est-à-dire des différenciations dans les conditions générales de vente dépourvues de toute justification.

De nombreux articles additionnels après les articles 8, 9 ou 10 visent à créer de nouvelles pratiques restrictives de concurrence spécifiques aux outre-mer. Nous vous proposons des avis défavorables, car les situations qu'ils visent sont déjà couvertes par des dispositions du code de commerce, c'est-à-dire l'interdiction des ententes et des abus de position dominante. Il n'est nullement besoin de venir complexifier notre droit pour agir, l'Autorité de la concurrence possédant déjà une palette d'outils juridiques très significative.

De même, à l'article 10, nous vous proposons un avis défavorable aux amendements qui visent à abaisser les seuils de contrôle des concentrations par l'Autorité de la concurrence. Si l'abaissement du seuil pour le seul commerce de détail prévu à l'article 10 est une mesure bienvenue, un abaissement généralisé des autres seuils viendrait submerger l'Autorité de la concurrence et pourrait rendre encore plus rigide le fonctionnement des économies ultramarines en bloquant systématiquement tous les projets de concentration de petite taille dans l'attente des décisions de l'Autorité.

Nous vous proposons également des avis défavorables aux amendements qui tendent à s'immiscer dans la gestion des entreprises, en imposant des séparations entre activités ou en prétendant répartir les budgets entre filiales, au détriment de la liberté d'entreprendre.

Plus généralement, nous vous proposons de confirmer la plupart des avis défavorables émis la semaine dernière lors de l'examen du projet de loi en commission.

Tels sont les avis que nous vous proposons et qui sont récapitulés dans le tableau qui vous a été distribué.

EXAMEN DES AMENDEMENTS DES RAPPORTEURS

Article 2

L'amendement n° 149 est adopté.

Article 4

L'amendement n° 148 est adopté.

Après l'article 6 quater

Le sous-amendement n° 150 est adopté.

EXAMEN DES AMENDEMENTS AU TEXTE DE LA COMMISSION

La commission a donné les avis suivants sur les amendements dont elle est saisie, qui sont retracés dans le tableau ci-après :

Article additionnel avant Article 1er (Supprimé)

Auteur

Objet

Avis de la commission

Mme CORBIÈRE NAMINZO

119

Rôle de suivi des loyers résidentiels et commerciaux par les OPMR

Défavorable

Article additionnel après Article 1er (Supprimé)

M. LUREL

28 rect.

Avancement des négociations commerciales dans les outre-mer

Sagesse

Article 2

M. LUREL

29 rect.

Faire participer les OPMR aux négociations annuelles sur le BQP

Défavorable

Mme CORBIÈRE NAMINZO

117

Appui de l'ARS pour la négociation du BQP et invitation obligatoire des associations de consommateurs

Défavorable

M. LUREL

79

Invitation obligatoire des associations de consommateurs aux négociations du BQP

Défavorable

M. LUREL

74

Fixation d'une date butoir de lancement des négociations annuelles du BQP

Défavorable

M. LUREL

75

Extension de la négociation du BQP à l'ensemble du secteur du commerce de détail

Défavorable

M. LUREL

76

Participation de toutes les entreprises du commerce de détail alimentaire aux négociations du BQP

Défavorable

M. LUREL

77

Inclusion des produits de première nécessité dans le BQP

Demande de retrait

M. LUREL

78

Élargissement des critères pris en compte pour l'élaboration de la liste des produits couverts par le BQP

Défavorable

M. SALMON

120

Intégration d'une part minimale de produits locaux dans le BQP

Défavorable

M. LUREL

80

Négociation du BQP services avec toutes les entreprises concernées

Défavorable

M. LUREL

81

Inclure la téléphonie, internet et la réparation automobile dans le BQP services

Défavorable

M. MELLOULI

121

Extension du BQP à des produits et services culturels

Défavorable

M. LUREL

82

Institution de BQP dédiés à la réparation automobile et à l'électroménager 

Défavorable

M. LUREL

83

Publicité sur la participation des entreprises aux négociations du BQP

Sagesse

Mme MALET

16 rect.

Extension obligatoire et progressive du champ du BQP à de nouveaux produits à La Réunion

Demande de retrait

Mme MALET

17 rect.

Inclusion d'une part croissante de produits alimentaires locaux dans le BQP à La Réunion

Sagesse

Mme MALET

18 rect.

Augmentation de la part du BQP dans le chiffre d'affaires des distributeurs à la Réunion

Défavorable

Article additionnel après Article 2

M. FOUASSIN

1 rect.

Inclusion au sein du BQP de produits distribués dans des emballages consignés ou réutilisables

Défavorable

Mme BÉLIM

46

Inclusion au sein du BQP de produits distribués dans des emballages consignés ou réutilisables

Défavorable

Mme MALET

142

Inclusion au sein du BQP de produits distribués dans des emballages consignés ou réutilisables

Défavorable

Mme PETRUS

38 rect. ter

Mise en valeur des produits inclus dans le BQP dans les commerces à Saint-Martin

Demande de retrait

Article 3

M. FOUASSIN

2 rect.

Déconcentration de la régulation des prix dans les outre-mer

Défavorable

Mme BÉLIM

64

Déconcentration de la régulation des prix dans les outre-mer

Défavorable

M. LUREL

84

Déconcentration de la régulation des prix dans les outre-mer

Défavorable

Mme RAMIA

20 rect.

Réglementation du prix de l'eau en bouteille 

Défavorable

Mme BÉLIM

47

Liste des « circonstances exceptionnelles » permettant à l'État de réguler les prix

Défavorable

M. LUREL

85

Pouvoir de saisine des préfets par les associations de défense des consommateurs en cas de variations excessives des prix

Défavorable

M. LUREL

86

Délai et procédure à la suite de la saisine du préfet en cas de variations excessives des prix

Défavorable

Mme PETRUS

37 rect. ter

Contenu du rapport de l'OPMR concernant la collectivité de Saint-Martin 

Demande de retrait

Article additionnel après Article 3

M. LUREL

87

Possibilité de réguler les prix en cas de situations anormales du marché ou de marges commerciales excessives

Défavorable

Mme BÉLIM

48

Doter les OPMR de la personnalité morale

Défavorable

Mme BÉLIM

106

Rapport sur les OPMR, leurs moyens et leur personnalité morale

Défavorable

M. LUREL

68

Précision sur l'encadrement des tarifs bancaires outre-mer

Défavorable

M. LUREL

34 rect.

Rapport sur la réglementation des prix des produits pétroliers

Défavorable

M. LUREL

32 rect.

Rapport sur la réglementation des prix des produits pétroliers

Défavorable

M. LUREL

33 rect.

Rapport sur les tarifs réglementés des professions du droit outre-mer

Défavorable

M. LUREL

35 rect.

Rapport sur le coût des médicaments dans les outre-mer 

Défavorable

Article 4

Mme CONCONNE

40

Suppression de l'article

Défavorable

M. THÉOPHILE

23

Réduction de cinq à trois ans de la durée de l'expérimentation du E-Hub

Défavorable

Article additionnel après Article 4

M. LUREL

30 rect.

Rapport sur la mise en place de centrales reìgionales d'approvisionnement et de stockage

Défavorable

M. LUREL

88

Contro?le de la reìpercussion des baisses de fiscaliteì sur le niveau des prix de deìtail

Défavorable

Article 5 (Supprimé)

Le Gouvernement

140

Rétablissement du mécanisme de péréquation des frais d'approche

Favorable si rectifié

M. PATRIAT

138

Expérimentation d'un mécanisme de péréquation des frais d'approche

Sagesse

Article additionnel après Article 5 (Supprimé)

Mme BÉLIM

49

Suppression du mécanisme de double taxation à la TVA applicable aux colis postaux échangés entre particuliers à destination et au départ des outre-mer

Défavorable

Article 6

M. LUREL

89

Élargissement de l'obligation de transmission de données économiques

Défavorable

M. LUREL

90

Détermination de la surface des établissements soumis à l'obligation de transmission de données

Avis du Gouvernement

M. LUREL

91

Transmission automatique des données à la DGCCRF

Défavorable

M. LUREL

70

Porter à 1 ou 2 % du chiffre d'affaires la sanction en cas de non-transmission des données économiques et modulation selon le chiffre d'affaires de la sanction en cas de non-transmission des données économiques

Défavorable

M. THÉOPHILE

25

Porter à 1 ou 2 % du chiffre d'affaires la sanction en cas de non-transmission des données économiques et modulation selon le chiffre d'affaires de la sanction en cas de non-transmission des données économiques

Défavorable

M. MELLOULI

122

Porter à 1 ou 2 % du chiffre d'affaires la sanction en cas de non-transmission des données économiques et modulation selon le chiffre d'affaires de la sanction en cas de non-transmission des données économiques

Défavorable

Article additionnel après Article 6

M. LUREL

65

Protection des entreprises qui subissent une rupture brutale d'une relation commerciale

Défavorable

Article 6 quater

Le Gouvernement

141

Nouvelle rédaction de l'article

Favorable

Article 7

M. LUREL

92

Élargissement de l'obligation de transmission des marges arrière

Défavorable

M. LUREL

93

Détermination de la surface des établissements soumis à l'obligation de transmission des marges arrière

Avis du Gouvernement

M. LUREL

94

Date de transmission des informations relatives aux marges arrière

Avis du Gouvernement

M. LUREL

95

Précisions sur les données transmises en matière de marges arrière 

Avis du Gouvernement

M. LUREL

96

Territorialisation des informations transmises par les distributeurs en matière de marges arrière

Sagesse

Mme CORBIÈRE NAMINZO

110

Transmission d'informations sur les conditions d'achat et de vente intragroupe et les bénéfices réalisés via des filiales importatrices

Défavorable

M. MELLOULI

123

Porter à 1 ou 4 % du chiffre d'affaires la sanction en cas de non-transmission des informations sur les marges arrière

Défavorable

Mme BÉLIM

50

Interdiction de gérer un commerce pendant cinq ans en cas de non-transmission des informations sur les marges arrière

Défavorable

Article additionnel après Article 7

Mme CORBIÈRE NAMINZO

112 rect.

Encadrement des taux de marges dans les situations d'oligopole

Défavorable

Mme CORBIÈRE NAMINZO

111

Plafonnement des marges pour les produits de première nécessité

Défavorable

M. LUREL

66 rect.

Plafonnement des marges arrière outre-mer

Favorable

Mme JACQUES

145

Exclusion de Saint-Barthélemy des territoires dans lesquels le plafonnement des marges arrière est appliqué

Favorable

Article 8

M. LUREL

73

Application de plein droit des conditions générales de vente prévues dans l'Hexagone aux collectivités ultramarines

Défavorable

M. LUREL

97

Élargissement du champ de l'article 8 à la Polynésie française et à la Nouvelle-Calédonie

Défavorable

M. LUREL

98

Transmission automatique et annuelle des informations demandées aux entreprises sur les conditions générales de vente de leurs produits outre-mer

Défavorable

M. LUREL

99 rect.

Encadrement dans le temps de la procédure de transmission des conditions générales de vente à la DGCCRF

Sagesse

M. LUREL

100

Précision sur les éléments relatifs aux conditions générales de vente que devront transmettre les entreprises à la DGCCRF

Sagesse

M. MELLOULI

124

Renforcement des sanctions encourues par les fournisseurs et les grossistes qui refusent de transmettre les informations demandées par la DGCCRF sur leurs conditions générales de vente. 

Défavorable

M. LUREL

101

Rétroactivité pour l'application de l'article

Défavorable

Article additionnel après Article 8

M. LUREL

42 rect.

Interdiction de toute clause d'exclusivité restreignant la liberté de fournisseurs de commercialiser leurs produits auprès de distributeurs

Défavorable

Mme BÉLIM

51

Sanctionner la discrimination commerciale que les acteurs intégrés verticalement sont susceptibles d'exercer envers leurs clients concurrents

Défavorable

M. LUREL

43 rect.

Répartition équitable des budgets de coopération commerciale entre les différents magasins approvisionnés par un grossiste

Défavorable

M. LUREL

45 rect.

Exclusion des coûts de commercialisation dans l'Hexagone des conditions générales de vente applicables aux produits vendus sur les territoires ultramarins

Défavorable

Mme JACQUES

39 rect.

Transfert de certains coûts liés à l'éloignement des territoires ultramarins pris en charge par les distributeurs vers les fournisseurs

Sagesse

Mme CORBIÈRE NAMINZO

114

Liste des justifications pouvant expliquer des différences tarifaires entre l'Hexagone et les territoires ultramarins

Défavorable

Mme CORBIÈRE NAMINZO

113 rect.

Lutte contre les clauses contractuelles dissimulées ou externalisées qui permettent de contourner les obligations de transparence

Défavorable

Article additionnel après Article 9

M. LUREL

67 rect.

Obligation de dépôt des comptes par les commissaires aux comptes

Défavorable

M. LUREL

71

Transmission de diverses informations par les entreprises aux préfets, à l'Insee et aux OPMR dans les collectivités d'outre-mer 

Défavorable

Mme BÉLIM

56

Nouveau régime de sanction en cas de non-dépôt des comptes conduisant au remboursement des aides publiques versées aux entreprises

Défavorable

Mme BÉLIM

55 rect.

Nouveau régime de sanction en cas de non-dépôt des comptes conduisant au remboursement des aides publiques versées aux entreprises

Défavorable

Article 10

Mme BÉLIM

136 rect.

Prévoir que les deux membres du collège de l'Autorité de la concurrence experts des questions ultramarines sont issues de deux bassins géographiques différents

Défavorable

Mme BÉLIM

133 rect.

Suppression de tout seuil de chiffre d'affaires total mondial hors taxes de l'ensemble des entreprises ou groupes de personnes physiques ou morales parties pour le contrôle d'une opération de concentration 

Défavorable

M. LUREL

103

Abaissement de 75 à 50 millions d'euros du chiffre d'affaires total mondial hors taxes réalisé par les entreprises parties à une concentration outre-mer déclenchant un contrôle de l'Autorité de la concurrence

Défavorable

M. MELLOULI

125

Abaissement de 75 à 50 millions d'euros du chiffre d'affaires total mondial hors taxes réalisé par les entreprises parties à une concentration outre-mer déclenchant un contrôle de l'Autorité de la concurrence

Défavorable

M. LUREL

102

Abaissement à 3 millions d'euros du seuil de contrôle des concentrations pour tous les secteurs et non pas seulement pour le secteur du commerce de détail

Défavorable

Mme BÉLIM

134 rect.

Réalisation d'une opération de concentration en plusieurs fois

Défavorable

Article additionnel après Article 10

Mme BÉLIM

52

Possibilité pour l'Insee de saisir les services du ministère de l'économie dans les outre-mer lorsqu'une entreprise lui oppose le secret des affaires et régime de sanction de l'entreprise refusant de communiquer ou communiquant de manière incomplète

Défavorable

Mme BÉLIM

144 rect.

Interdiction pour un groupe de distribution de disposer d'une part de marché supérieure à un seuil fixé par décret en Conseil d'État 

Défavorable

M. THÉOPHILE

21

Interdiction des abus de position dominante dans les territoires ultramarins

Défavorable

Mme CORBIÈRE NAMINZO

115

Contrôle par l'Autorité de la concurrence des entreprises pratiquant une forme d'intégration verticale

Défavorable

Mme CORBIÈRE NAMINZO

116

Obligation de séparation juridique et comptable des activités d'importation, de distribution et de logistique

Défavorable

M. LUREL

44 rect. bis

Autonomie d'exploitation entre les activités de grossiste-importateur et de distribution au détail au sein d'un groupe intégré

Défavorable

Mme BÉLIM

135 rect.

Interdiction des opérations pouvant entraîner une part de marché supérieure à 25 % pour une même enseigne de la grande distribution dans un territoire ultramarin

Défavorable

Mme BÉLIM

53

Création d'une pratique anticoncurrentielle consistant en l'acquisition de licences de franchises ou d'enseignes nationales ou internationales dans le seul but d'en empêcher le déploiement local et la concurrence avec des commerces déjà existants

Défavorable

Mme BÉLIM

127 rect.

Création d'une pratique anticoncurrentielle consistant en l'acquisition de licences de franchises ou d'enseignes nationales ou internationales dans le seul but d'en empêcher le déploiement local et la concurrence avec des commerces déjà existants

Défavorable

Article additionnel après Article 11

M. ROHFRITSCH

27

Non-application de la loi en Polynésie française

Demande de retrait

Article 12

Mme PHINERA-HORTH

22

Maintien à 50 % en Guyane de la part de marché d'une zone de chalandise au-dessus de laquelle les commissions départementales d'aménagement commercial des territoires ultramarins peuvent saisir l'Autorité de la concurrence

Défavorable

Article additionnel après Article 12

Mme BÉLIM

54

Interdiction du géoblocage à destination des outre-mer

Avis du Gouvernement

Mme BÉLIM

132 rect.

Interdiction du géoblocage à destination des outre-mer

Défavorable

Mme BÉLIM

128 rect.

Interdiction du géoblocage à destination des outre-mer

Défavorable

Mme BÉLIM

129 rect.

Interdiction du géoblocage à destination des outre-mer

Défavorable

Mme BÉLIM

131 rect.

Interdiction du géoblocage à destination des outre-mer

Défavorable

Mme BÉLIM

130 rect.

Extension des missions de l'Arcom

Défavorable

Article 13

Le Gouvernement

139

Nouvelle rédaction de l'article

Favorable

M. LUREL

72

Décret sur la comparabilité des denrées alimentaires

Défavorable

Mme BÉLIM

58

Critères permettant de définir la substituabilité des denrées alimentaires 

Défavorable

Article additionnel après Article 13

Mme MALET

19 rect.

Définition du contenu d'un décret relatif à l'obligation pour les entreprises de la grande distribution de réserver une surface de vente dédiée aux productions régionales

Sagesse

M. SALMON

126

Définition du contenu d'un décret relatif à l'obligation pour les entreprises de la grande distribution de réserver une surface de vente dédiée aux productions régionales

Sagesse

Article 14

Mme BÉLIM

61

Relèvement de la part des marchés publics pouvant être réservés à des petites entreprises en outre-mer

Défavorable

Mme BÉLIM

62

Favoriser le réemploi dans le cadre de l'expérimentation visant à soutenir les TPE et PME ultramarines par la commande publique

Demande de retrait

Article 15

Mme BÉLIM

63

Recours aux biens issus du réemploi dans le cadre de l'expérimentation de l'obligation de sous-traitance en faveur des TPE et PME ultramarines

Défavorable

Article additionnel après Article 15

Mme BÉLIM

60

Recours à l'économie circulaire dans le cadre des expérimentations visant à soutenir les TPE et PME ultramarines dans le cadre de la commande publique

Défavorable

Mme BÉLIM

57

Réservation de marchés publics au profit des entreprises de l'économie sociale et solidaire en outre-mer

Défavorable

Article additionnel après Article 16

Mme CORBIÈRE NAMINZO

108

Conditions d'évaluation de la loi

Défavorable

La réunion est close à 14 h 00.

Mercredi 29 octobre 2025

- Présidence de Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente -

La réunion est ouverte à 9 h 30.

Audition de M. François Jackow, directeur général d'Air Liquide

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Notre commission a le plaisir d'accueillir ce matin M. François Jackow, directeur général d'Air Liquide, une entreprise française qui est un leader mondial des gaz industriels.

À titre liminaire, permettez-moi de revenir brièvement sur la genèse de l'entreprise que vous connaissez parfaitement puisque vous y avez effectué l'intégralité de votre carrière professionnelle. Air Liquide est né en 1902 après que Georges Claude, alors étudiant à l'École supérieure de physique et de chimie industrielles de la ville de Paris, eut inventé un procédé de liquéfaction de l'air - d'où le nom de l'entreprise - destiné à séparer, par distillation, l'oxygène de l'azote. L'entreprise s'est internationalisée quatre ans plus tard, en créant des unités de production à l'étranger pour remédier aux difficultés de transport des gaz. En l'espace d'une décennie, Air Liquide s'est implanté en Europe, au Japon et en Amérique du Nord. L'entreprise a fait son entrée à la Bourse de Paris en 1913, et elle constitue aujourd'hui l'une des dix plus grandes capitalisations françaises. Elle est présente dans 60 pays et emploie plus de 66 000 personnes.

Malgré ses 4 millions de clients à travers le monde, votre entreprise n'est pas la plus connue du grand public, mais elle est très appréciée des épargnants. En effet, Air Liquide est l'un des titres favoris des petits porteurs qui y voient un gage de stabilité et de croissance à long terme, comme en témoignent les résultats semestriels que vous avez publiés cet été, qui sont bons malgré un contexte national et international difficile et incertain. C'est justement le premier sujet que je souhaiterais évoquer avec vous.

La situation que traverse notre pays n'est pas sans conséquence pour les milieux économiques. D'après le gouverneur de la Banque de France, « l'incertitude politique nationale nous coûte au moins 0,2 point de croissance », soit 6 milliards d'euros. Sur le plan international, les conflits armés, la guerre commerciale et le retour du protectionnisme aux États-Unis rendent l'avenir tout aussi flou. Par ailleurs, les propos de Donald Trump sur la transition climatique de l'industrie ne sont pas rassurants, particulièrement pour un groupe comme le vôtre qui a beaucoup investi dans le domaine de la transition énergétique ces dernières années. Au regard du contexte, vous avez préféré décaler l'annonce de votre nouveau plan stratégique ; le plan Advance, qui devait se terminer en 2025, a été prolongé jusqu'en 2026. Pour quelles raisons précises avez-vous décalé l'annonce de votre nouveau plan ? Quels nouveaux risques le contexte que je viens de décrire fait-il peser sur votre activité, et plus largement sur le monde des affaires ?

Puisque nous parlons de l'avenir, j'aimerais aussi revenir sur votre politique d'investissement. Vos investissements en cours d'exécution s'élèvent à 4,6 milliards d'euros, répartis en quelque 80 projets, ce qui constitue un nouveau record pour votre entreprise. Depuis le début de l'année, Air Liquide a annoncé une opération de croissance externe en Corée du Sud pour près de 3 milliards d'euros, des projets aux Pays-Bas et en Belgique en association avec TotalEnergies pour un milliard d'euros, près de 500 millions d'euros investis à l'étranger - Allemagne, Singapour et États-Unis - pour approvisionner des fabricants de semi-conducteurs, et un nouvel investissement en France dans le cadre du projet d'hydrogène de l'axe Seine d'un montant de 50 millions d'euros. Vos investissements sont donc très majoritairement réalisés hors de nos frontières. Votre portefeuille d'opportunités dépasse aujourd'hui les 10 milliards d'euros ; quels secteurs d'activité et quelles zones géographiques vous semblent prioritaires et constitueront vos moteurs de croissance pour les années à venir ? Quelles innovations technologiques pourraient prochainement transformer votre secteur d'activité ? Des investissements en France sont-ils envisagés et pour quels montants ?

Enfin, le Parlement débat actuellement de la politique économique et fiscale de la France. Quel regard portez-vous sur l'évolution de la compétitivité des entreprises françaises ? Pour un groupe international comme le vôtre, une cotation à la bourse de Paris est-elle plutôt un avantage ou un handicap pour lever des fonds ? Plus précisément, alors qu'Air Liquide a fait de la stabilité de son actionnariat individuel et de la détention au nominatif des titres un axe fort de sa stratégie avec le versement d'un dividende régulier, quel retour d'expérience souhaiteriez-vous nous partager ?

M. François Jackow, directeur général d'Air Liquide. - Je suis honoré de pouvoir échanger avec vous et de vous faire découvrir le groupe Air Liquide, ses défis et ses opportunités, notamment dans la période de turbulences que nous traversons.

Comme vous l'avez souligné, Air Liquide est un groupe international, présent dans plus de 60 pays. Beaucoup d'entre vous connaissent déjà notre groupe, soit en tant qu'actionnaires, soit du fait de nos implantations régionales. Notre mission première est de servir l'industrie ; cela représente 85 % de notre activité, avec plus de 2 millions de clients dans le monde, dont 90 % sont des PME ou des artisans. La santé constitue 15 % de notre activité : nous fournissons 20 000 hôpitaux dans le monde et nous avons accompagnons 2 millions de patients à domicile dans les 35 pays où nous avons une activité de santé à domicile.

Notre coeur de métier, comme je l'indiquais, c'est l'industrie et le service à l'industrie. Cela signifie que nous sommes implantés là où se trouvent nos clients : c'est un élément fondamental. Nos secteurs d'activité sont aussi extrêmement diversifiés : la pharmacie, la sidérurgie, l'agroalimentaire, la fabrication des semi-conducteurs, etc. Un grand nombre de produits de la vie quotidienne, à l'image des téléphones portables ou des ordinateurs, peuvent être estampillés, d'une façon ou d'une autre, « Air Liquide inside », car nos procédés techniques ont contribué à leur fabrication.

Air Liquide - c'est une autre spécificité de notre activité - est un acteur local du tissu industriel, car nos produits, à de très rares exceptions, ne voyagent pas : soit nous nous installons à proximité immédiate des installations de nos grands clients, en construisant, par exemple, une usine à proximité d'une unité sidérurgique pour lui fournir de l'oxygène, soit nous livrons des bouteilles de gaz conditionné, dans un rayon de 200 à 300 kilomètres autour de nos centres de remplissage. Cette dimension locale nous confère une forte résilience et nous rend, dans le contexte actuel, moins sensibles que d'autres aux barrières tarifaires.

Notre présence, en outre, s'inscrit dans le long terme. Lorsque nous investissons dans la construction d'une usine pour fournir un client chimiste ou raffineur, nous signons toujours un contrat à long terme, de quinze ou vingt ans, avec notre client. Dans un contrat de quinze ans, nous finissons de rembourser l'investissement initial sept ou dix ans plus tard. Lorsque nous construisons une usine, elle est consacrée à un client ou à un bassin industriel ; nous sommes donc tributaires de leur situation économique.

Notre métier consiste à anticiper les besoins de nos clients et à réaliser les investissements pour y répondre. Ces derniers s'élèvent ainsi, comme vous l'avez souligné, à plus de 4 milliards d'euros par an.

Air Liquide est, par tradition, par culture, ou en raison de son activité, un groupe relativement discret. Aujourd'hui, cependant, dans la mesure où elle traite de problématiques d'actualité, l'entreprise est plus visible. Nous essayons de participer davantage à un certain nombre de débats et de discussions autour des grands enjeux d'avenir. Je citerai ainsi trois enjeux de société sur lesquels nous sommes positionnés et pour lesquels nous essayons d'apporter des solutions.

Le premier, qui est extrêmement important, est la diminution de l'empreinte carbone de l'industrie. Ma conviction personnelle, qui est partagée par tous les collaborateurs du groupe, est que cette thématique est destinée à prospérer, quels que soient les aléas politiques. La diminution de l'empreinte carbone est un objectif structurant pour l'industrie. En tant que producteur d'oxygène et d'hydrogène, nous utilisons donc beaucoup d'énergie, d'électricité ou de gaz naturel. Notre groupe est par conséquent émetteur de CO2, soit de façon directe, quand nous utilisons du gaz naturel pour produire de l'hydrogène, soit de façon indirecte, quand nous consommons de l'électricité, qui est plus ou moins carbonée en fonction de son origine. Toutefois, notre activité consiste aussi à apporter des solutions à nos clients pour diminuer leur empreinte carbone : injection d'oxygène dans des fours à verre ou dans des cimenteries, enrichissement du carburant par hydrogène pour produire des biocarburants, ou, de plus en plus, capture du CO2 dans des procédés fortement émetteurs comme la fabrication du ciment, la sidérurgie ou la chimie.

Le deuxième enjeu concerne la révolution des semi-conducteurs, qui est provoquée par l'essor du numérique et de l'intelligence artificielle. Cette révolution industrielle se conjugue avec des enjeux de souveraineté. Air Liquide, qui est le numéro un mondial de la fourniture de gaz extrêmement purs à l'industrie des semi-conducteurs, développe cette activité. Des usines de semi-conducteurs fleurissent un peu partout dans le monde. Auparavant, elles se situaient principalement en Asie ; désormais, elles se développent de façon très marquée aux États-Unis, mais également en Europe. Nous devons fournir des offres à très forte valeur ajoutée, de très haute technicité. La production est locale, ce qui implique que nos chaînes d'approvisionnement soient de plus en plus locales également. L'enjeu pour les pays est de localiser l'ensemble de la chaîne de valeur de cette industrie sur leur territoire.

Le dernier enjeu de société que je souhaiterais mentionner est l'évolution démographique. Nous essayons, à cet égard, d'apporter des solutions au travers de notre activité de santé à domicile. On observe, dans toutes les sociétés, un vieillissement marqué de la population et une hausse des maladies chroniques. Les études montrent qu'en France, d'ici à 2035, 40 % de la population souffrira d'une ou de plusieurs maladies chroniques. Nous participons à la réflexion sur la transformation des parcours de soins, de l'hôpital à la maison, pour développer la santé à domicile. L'enjeu est d'améliorer la personnalisation des soins et l'observance thérapeutique, de désengorger les hôpitaux et l'ensemble de la chaîne de soins. Une telle évolution aura - nous en sommes convaincus et nous pouvons le démontrer - un impact majeur sur les finances publiques : nous pourrons réduire le coût des soins, tout en fournissant une meilleure qualité de soins aux patients.

J'aimerais maintenant parler de l'activité d'Air Liquide en France, le berceau historique du groupe. La France abrite 12 000 collaborateurs sur les 66 000 que compte le groupe, qui y réalise 12 % de son chiffre d'affaires. L'activité industrielle dans l'Hexagone représente moins de 5 % de l'activité de l'ensemble du groupe, même si elle emploie 2 500 personnes, pour servir 200 000 clients industriels - de grands clients, mais aussi beaucoup de PME et d'artisans. Une part importante de notre activité en France, qui mobilise plus de 50 % de nos effectifs, concerne la santé : nous approvisionnons ainsi 2 300 hôpitaux en oxygène médical sur l'ensemble du territoire - on en a beaucoup parlé pendant la crise du covid. En outre, nous suivons quotidiennement 500 000 patients à domicile, qui souffrent principalement de maladies respiratoires, d'apnée du sommeil ou de diabète.

Certains pourraient être tentés de considérer que 12 % du chiffre d'affaires, ce n'est pas très important. Mais l'empreinte du groupe va bien au-delà de ces chiffres. En effet, nous avons plus de 12 000 fournisseurs en France et nous y dépensons 1,5 milliard d'euros par an. Globalement, on estime que plus de 35 000 emplois directs et indirects sont liés à l'activité d'Air Liquide en France, en tenant compte de nos activités commerciales. Il ne faut pas oublier non plus que la France est le territoire privilégié d'innovation et de technologie du groupe, puisque deux de ses vaisseaux amiraux en termes de technologies, de développement et d'innovation sont situés dans l'Hexagone : l'un aux Loges-en-Josas dans les Yvelines, et l'autre à Sassenage dans l'Isère. Nous avons augmenté nos effectifs en France de 40 % dans ce secteur, et les deux tiers de nos dépenses d'innovation sont aujourd'hui réalisés en France. Enfin, le pays abrite différentes fonctions centrales pour l'activité du groupe.

Air Liquide compte 900 000 actionnaires individuels, dont 80 % sont Français, qui possèdent 33 % de notre capital ; il s'agit là d'un record au sein du CAC 40. Dans le détail, 450 000 de nos actionnaires ont un portefeuille d'actions de moins de 12 000 euros, soit 72 actions. Nous sommes donc évidemment très attachés, comme beaucoup de nos actionnaires fidèles, à la performance et au respect des valeurs du groupe.

Je dirai maintenant un mot sur le contexte dans lequel le groupe évolue. Chacun peut constater que le monde actuel est agité et extrêmement chahuté. Nous avons la chance, puisque nous sommes présents dans soixante pays et que nous sommes très proches de nos clients, d'avoir une position d'observation assez unique sur les évolutions.

Je discernerai quatre tendances majeures à l'oeuvre dans l'industrie manufacturière mondiale, qui constituent, à mon sens, de véritables ruptures.

La première force à l'oeuvre dans l'industrie manufacturière est évidemment la montée irrésistible de la Chine. Celle-ci, qui représente 30 % de la capacité manufacturière mondiale, est devenue une puissance industrielle majeure, dont le potentiel est supérieur à ceux des États-Unis et de l'Europe réunis. Surtout, la Chine est devenue une force d'innovation. Je me rends plusieurs fois par an sur place : on constate, de manière spectaculaire, combien ce pays a su, depuis la crise du covid, développer, de manière accélérée, des innovations qui lui sont propres et qui, dans beaucoup de domaines, sont en avance sur ce que nous savons faire. Ils mettent en application nombre de ces innovations dans leur industrie manufacturière, ce qui contribue à leur donner un avantage compétitif. Un classement qui vient de paraître a montré que le pôle d'innovation autour de Shenzhen, Hong Kong et Guangzhou était premier au niveau mondial. La Chine devient une puissance et un centre d'innovation mondial. Elle est aussi une puissance d'exportation : elle possède 30 % de la capacité manufacturière, mais représente seulement 13 % de la consommation intérieure mondiale. Par effet domino, cette situation a des répercussions sur toutes les chaînes de production, y compris en Europe et en France.

La deuxième force, absolument majeure, a trait à la mise en avant des enjeux de souveraineté. Nous sommes passés d'une période de mondialisation convergente à une période de fragmentation de plus en plus nette, dont témoignent l'augmentation des barrières douanières et les phénomènes très visibles de relocalisation des chaînes de production et de réindustrialisation, que l'on observe dans de nombreuses zones géographiques. C'est particulièrement vrai pour les semi-conducteurs, qui sont un peu le fer de lance et l'élément le plus symptomatique de cette souveraineté industrielle, régionale ou nationale. Cette évolution est aussi à l'oeuvre dans la chimie, la sidérurgie et dans beaucoup de chaînes de valeur.

La troisième force qui dessine, et qui change la configuration de l'industrie manufacturière, est la volonté de réduire l'empreinte carbone. Il s'agit de développer un secteur manufacturier moins carboné, en prenant en compte les enjeux liés à la transition énergétique et la problématique du coût de l'énergie. Cette évolution sera durable. Elle comporte le risque de surenchérir les coûts de production, et donc d'entraîner une perte de compétitivité, mais elle représente aussi - j'en suis convaincu - une opportunité, pour l'Europe et pour la France, de moderniser notre outil de production vieillissant.

La dernière ligne de force majeure est bien sûr liée au développement du numérique et de l'intelligence artificielle, que l'on trouve désormais partout. Il s'agit d'une vraie révolution, qui offre ou qui promet des gains de productivité, mais qui change aussi la donne en termes de créativité et de création de nouvelles offres pour nos clients. Les avancées en matière d'intelligence artificielle exacerbent les enjeux de compétitivité entre les différents pays, mais posent aussi de vraies questions sociales autour de l'avenir du travail et, en particulier, celui de nos collaborateurs. Il s'agit donc de sujets sociaux et éthiques dont nous devons nous emparer.

Toutes ces évolutions du secteur manufacturier nous intéressent directement en tant que producteurs puisque nous fabriquons des usines, fournissons de l'oxygène, de l'hydrogène et de l'azote. Nos concurrents composent également avec ces différentes forces.

Mais l'effet majeur concerne nos clients. L'empreinte industrielle mondiale est en train de se transformer, ce qui a des conséquences pour nous, puisque nous sommes implantés là où sont nos clients. Il est donc important pour nous de comprendre ces transformations et d'essayer de les anticiper.

Certains secteurs connaissent une forte dynamique : il n'y a jamais eu autant d'investissements dans le secteur des semi-conducteurs. Inversement, certaines industries plus traditionnelles, comme la chimie ou la sidérurgie, souffrent et enregistrent des reculs des volumes de production très marqués.

Nous constatons donc une divergence en fonction des secteurs, mais aussi, bien sûr, en fonction des zones géographiques. Quelques poches de croissance industrielle se distinguent dans le monde : l'Inde, qui commence son histoire de développement industriel ; la Chine, qui reste une terre de croissance manufacturière ; les États-Unis, qui traditionnellement étaient un pays qui réussissait à sortir plus vite des crises et à avoir une croissance pérenne, sont aujourd'hui plutôt à l'arrêt sur le plan industriel, en raison notamment de l'instabilité et des changements politiques. L'Europe, quant à elle, est sous pression : je n'ai pas besoin d'y revenir, nous voyons tous la situation.

En France, la situation est paradoxale. La demande de nos clients baisse, et ce de manière régulière. Nous constatons ainsi une baisse marquée de l'activité de nos grands clients dans la sidérurgie, la chimie, le raffinage depuis 2019. De même, on observe, depuis maintenant trois ans et demi, une baisse de l'activité du tissu industriel composé par l'ensemble des artisans et des petites entreprises. Un grand nombre de facteurs jouent sur la compétitivité de l'industrie française : un certain nombre de problèmes sont liés à des questions structurelles de coûts ; le coût de l'énergie est ainsi deux à trois fois supérieur à celui que connaissent les États-Unis ou les pays du Moyen-Orient. Une centaine de sites industriels ferment chaque année depuis trois ans.

En même temps, les investissements du groupe Air Liquide en France sont au plus haut historique. Sur les cinq dernières années, nous avons investi plus de 3 milliards d'euros en France, dont 1,5 milliard d'euros durant les deux dernières années. Nous n'avons jamais investi autant. Nous devons, en effet, à la fois gérer l'existant et préparer le futur, ce qui peut donner une impression de faire le grand écart. Nous avons besoin de composer avec des situations très contrastées, marquées à la fois par des incertitudes conjoncturelles, mais aussi par des tendances de fond, qui relèvent de transformations structurelles.

Nous sommes contraints de nous livrer à une sorte de grand écart au niveau mondial. Nous investissons ainsi pour développer notre présence dans certains pays, comme en Corée du Sud - vous l'avez souligné, madame la présidente -, mais nous quittons aussi certains secteurs d'activité ou certaines régions. En France, nous avons été amenés à transformer notre activité de santé à domicile durant ces deux dernières années, en réduisant nos effectifs. Mais en même temps, nous recrutons pour construire le plus grand électrolyseur d'Europe en Normandie, afin de produire de l'hydrogène renouvelable, ou pour étoffer notre activité de technologie et d'ingénierie à Charenton-le-Pont, où nous avons recruté 160 personnes depuis deux ans.

Il est de notre responsabilité de procéder à ces ajustements. Nous devons nous adapter pour tenir compte de l'évolution de la situation de nos clients dans nos marchés actuels et continuer à avoir une vision à long terme pour innover et investir.

Je conclurai en revenant sur ces enjeux : s'adapter, innover et investir, qui me paraissent extrêmement importants.

S'adapter est bien sûr un impératif pour durer. Notre objectif reste d'assurer la pérennité à long terme du groupe Air Liquide, qui existe et se développe depuis plus de 120 ans. Ma responsabilité est de nous projeter sur le long terme. Cela passe, bien entendu, par une adaptation de notre empreinte industrielle. Il s'agit d'un impératif permanent, mais les évolutions s'accélèrent dans le contexte actuel. En France, les volumes qui nous sont demandés diminuent. Ainsi, lorsque la société Vencorex, l'un de nos clients, a cessé son activité à Grenoble, nous avons dû mécaniquement arrêter l'unité de production d'hydrogène qui lui était dédiée sur la plateforme du Pont-de-Claix ; vingt collaborateurs travaillaient sur ce site, mais nous avons réussi à les reclasser au sein du groupe. De même, lorsque Domo Chemicals cesse son activité, nous devons fermer nos usines qui fournissent spécifiquement cette entreprise ; là encore, nous nous sommes efforcés de reclasser l'ensemble des collaborateurs concernés.

Cette baisse de volume a des effets induits sur notre outil industriel. En France, le taux de charge de nos usines s'échelonne entre 60 % et 30 %, du fait de la baisse régulière de l'activité industrielle. Nous devons donc adapter notre outil industriel, ce qui est nécessaire pour préserver sa compétitivité et continuer à offrir à nos clients les meilleures solutions. Nous devons ajuster nos implantations et réallouer nos actifs, qui, comme je l'ai expliqué, se situent à proximité immédiate des sites de nos clients.

Lorsqu'il est nécessaire de faire évoluer nos positions existantes, les décisions sont toujours difficiles à prendre, car elles touchent à l'emploi. Nous essayons le plus souvent de repositionner nos équipes, mais ce n'est pas toujours possible à cause des choix de mobilité ou en raison de la technicité des métiers. Ce n'est qu'en dernier recours que nous supprimons des postes. Nous examinons toutes les autres options possibles, en essayant d'accompagner au mieux nos équipes dans la transition.

Si nous devons adapter l'existant, nous devons aussi préparer l'avenir. Cela suppose d'innover : c'est essentiel. Comme vous l'avez souligné, madame la présidente, Air Liquide est né d'une innovation technologique, et le groupe continue à innover, aussi bien en interne, que grâce à ses partenariats avec ses clients ou avec le Centre national de la recherche scientifique (CNRS), le Centre national d'études spatiales (Cnes), ou encore le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA).

Il est extrêmement important pour nous d'innover en France. Nous employons ainsi 500 chercheurs aux Loges-en-Josas. Nous réalisons deux tiers de nos innovations en France et y déposons 60 % de nos brevets. Il est extrêmement important d'avoir cette base en France.

Nous innovons pour nos clients, évidemment, mais l'enjeu est aussi de développer des solutions souveraines, par exemple en ce qui concerne la décarbonation de l'industrie ou pour trouver les solutions les plus innovantes pour le secteur des semi-conducteurs. Nous innovons aussi dans le domaine spatial : Air Liquide a accompagné les programmes spatiaux européens depuis le début, afin d'assurer un accès sécurisé et autonome à l'espace. Nous intervenons aussi dans le nucléaire et dans la défense, que ce soit en fournissant des équipements pour le projet international de réacteur expérimental de fusion thermonucléaire, dénommé projet Iter, ou des réservoirs cryogéniques pour les sous-marins.

Quels sont les éléments importants pour maintenir cette capacité d'innovation ? Il est essentiel, avant tout, d'offrir un cadre stable, car faire de la recherche demande du temps. Beaucoup de nos programmes de recherche s'étalent sur cinq, dix, quinze ou vingt ans, et il est extrêmement important de bénéficier d'un cadre stable pour investir dans les compétences, dans les équipes et dans les matériaux à long terme. C'est pourquoi les dispositifs qui ont été mis en place en France me paraissent extrêmement importants. On parle abondamment du crédit d'impôt recherche (CIR), qui constitue un dispositif très important permettant à la France de se différencier, sachant que beaucoup de pays nous proposent de localiser nos efforts de recherche chez eux. Un mécanisme comme l'IP Box, qui permet de loger la propriété intellectuelle en France, me paraît aussi extrêmement important.

Préparer l'avenir, c'est aussi investir. Comme vous l'avez souligné, madame la présidente, le groupe investit massivement, plus qu'il ne l'a jamais fait : les investissements se sont élevés à 4,4 milliards d'euros en 2024. En France, nous avons ainsi investi plus de 3 milliards d'euros sur les cinq dernières années. Le projet Normand'Hy représente un investissement de plus de 500 millions d'euros : il s'agit de construire le plus grand électrolyseur européen, d'une puissance de 200 mégawatts, pour produire de l'hydrogène renouvelable. Nous investissons aussi pour produire de l'hydrogène biogénique, à Grandpuits par exemple, pour alimenter une bioraffinerie, ou de l'hydrogène renouvelable à Fos-sur-Mer.

Nous investissons en Europe sur des thématiques similaires de décarbonation - aux Pays-Bas, au Danemark, en Belgique. Le groupe investit aussi dans les semi-conducteurs : il fournira la nouvelle usine située à Dresde, ce qui représente le plus gros investissement dans ce secteur en Europe.

Ces investissements sont souvent difficiles, car ils portent sur des technologies innovantes. Ils sont globalement coûteux - plusieurs centaines de millions d'euros sont investis à chaque fois - et risqués, dans la mesure où il s'agit d'ouvrir de nouveaux marchés, qui, le plus souvent, n'existent pas. Il est donc important de disposer d'un certain nombre de cadres réglementaires stables et de soutiens pour que nos clients décident de prendre des risques, et pour que nous puissions les accompagner.

J'insisterai en conclusion sur quatre points qui me semblent importants pour soutenir l'investissement.

Premièrement, il convient de se doter d'un cadre réglementaire et fiscal aussi stable que possible à long terme, dans une perspective pluriannuelle. C'est crucial, car les décisions d'investissement s'inscrivent dans la durée. Il convient de donner de la visibilité aux investisseurs.

Deuxièmement, je souhaite insister sur la simplification des normes. Notre pays a tendance à empiler et à complexifier les normes, mais aussi à surtransposer parfois les directives européennes. Les investisseurs étrangers ont horreur de la complexité administrative. De nombreux patrons étrangers me disent qu'ils ont mis de côté l'Europe, car il est, selon eux, trop compliqué et trop risqué d'y investir.

Troisièmement, il est important de veiller à la neutralité technologique. S'il revient au législateur de fixer des objectifs ambitieux lorsqu'il décide de prendre des mesures de soutien, il est préférable qu'il laisse les spécialistes, les industriels, trouver la meilleure solution pour les atteindre. Les plans en faveur de l'hydrogène comportaient ainsi beaucoup de spécifications, y compris sur la manière dont l'hydrogène devait être produit et sur la manière dont l'électricité devait être utilisée. D'autres pays préfèrent retenir un critère d'intensité carbone par molécule d'hydrogène et laissent au marché et aux acteurs le soin de trouver la meilleure solution technologique.

Enfin quatrièmement, lorsque l'on prend des mesures de soutien, il faut prendre en compte l'ensemble de l'écosystème et faire en sorte que les gros investissements bénéficient non seulement aux grandes entreprises, mais aussi à tout le tissu industriel. Dans le Chips Act européen, seules les grandes usines de fabrication, les « fabs », bénéficient d'un soutien, alors même que ce qui fait la puissance et la compétitivité d'un écosystème, c'est la capacité de l'ensemble du tissu industriel à fournir les gaz et les équipements nécessaires à ces grandes installations. Il convient d'utiliser tous les leviers à notre disposition pour mettre en oeuvre une certaine préférence régionale, afin de permettre à l'industrie locale et aux plus petites entreprises de se développer. Lorsque nous avons reçu des aides pour lancer le projet Normand'Hy, on nous a fixé comme exigence de recourir à des sous-traitants français pour au moins 50 % du projet : c'est ce que nous avons fait, et cela a permis d'élever le niveau de compétences d'un certain nombre d'entreprises de taille moyenne sur ces technologies de pointe.

En conclusion, j'ai montré comment le groupe Air Liquide se trouve à la croisée de défis cruciaux, dans le cadre d'une véritable métamorphose de l'industrie. Le groupe s'efforce d'apporter des solutions en ce qui concerne ces deux transitions majeures que sont la transition énergétique et la transition numérique. J'ai montré qu'Air Liquide devait faire le grand écart dans de très nombreuses situations, devant à la fois s'adapter et préparer l'avenir en innovant et en investissant. La situation est complexe mais je garde confiance car l'histoire montre que l'industrie française a traversé d'autres crises, et je suis certain que nous réussirons à surmonter également celle-ci. Quant à l'Europe, elle a, j'en suis convaincu, la capacité de réagir et de tracer une route qui lui est propre. Face à ces mutations profondes, nous avons besoin de fixer un cap de long terme, puis d'avancer de façon pragmatique pour mettre en oeuvre les priorités stratégiques identifiées.

M. Daniel Gremillet. - Dans le cadre de ses objectifs de développement durable, Air Liquide consacre 40 % de ses investissements à la transition énergétique. À cet égard, le groupe mise notamment sur l'hydrogène vert. Quelle est, à ce jour, la part d'hydrogène « gris », fortement émetteur de CO2, et d'hydrogène « vert » bas-carbone, dans la production d'Air Liquide ? Comment ces proportions vont-elles évoluer à l'avenir ? La découverte en Moselle d'un gisement de 46 millions de tonnes d'hydrogène « blanc » - hydrogène naturel - peut-elle modifier votre stratégie en ce domaine ? En outre, les dispositions prévues dans la proposition de loi de programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) en matière de production d'hydrogène vous paraissent-elles pertinentes ?

Par ailleurs, l'Agence internationale de l'énergie (AIE) estime que les technologies de capture et de stockage du CO2 pourraient contribuer à 20 % des efforts de réduction des émissions de carbone en 2050. Le groupe Air Liquide maîtrise-t-il cette technologie prometteuse ? Pensez-vous qu'elle pourra être industrialisée à un coût raisonnable, et à quelle échéance ? Le coût de production de l'hydrogène a-t-il été un grand obstacle à son développement ?

Enfin, pourriez-vous faire le point sur le projet Symbio, mené notamment avec Michelin et Faurecia ? Air Liquide devait participer à la construction du réseau, en particulier dans le domaine de la mobilité lourde.

M. Patrick Chauvet. - Air Liquide achève la construction du plus grand électrolyseur d'Europe, qui sera situé sur les bords de Seine, près du Havre. Grâce à un soutien public de 190 millions d'euros et à la signature d'un contrat avec TotalEnergies pour alimenter sa raffinerie de Gonfreville-l'Orcher, Air Liquide a décidé en 2022 d'investir 500 millions d'euros dans cette unité de production d'hydrogène renouvelable et bas-carbone de 200 mégawatts (MW). La mise en service du site Normand'Hy aura-t-elle lieu courant 2026 comme c'était initialement prévu ?

Par ailleurs, sur les 200 MW de production, la moitié est destinée à TotalEnergies pour alimenter sa raffinerie de Gonfreville-l'Orcher, et 5 % sont destinés à une start-up pour l'alimentation de sa flotte de véhicules. Votre groupe a-t-il trouvé des clients pour les 45 % restants ?

M. François Jackow. - La très grande majorité de l'hydrogène que nous produisons au niveau mondial est de l'hydrogène gris, qui est réalisé à partir de gaz naturel et qui a donc un contenu carbone assez important. La situation est en train de changer, puisque nous posséderons bientôt sept unités de production d'hydrogène bas-carbone en Europe. Il peut s'agir soit d'unités déjà existantes, qui produisent actuellement de l'hydrogène gris et qui seront transformées pour produire de l'hydrogène bleu, grâce à la capture du carbone - une usine de capture du carbone est ainsi en cours de construction à Rotterdam -, soit de nouvelles unités, qui produiront de l'hydrogène de façon électrolytique à partir d'électricité renouvelable, comme ce sera le cas en Normandie, ou à partir de biogaz issu de procédés industriels et de fermentation - il s'agit alors d'hydrogène biogénique. Air Liquide est leader en la matière. Il disposera, d'ici à trois ans, de la plus grande capacité de production d'hydrogène décarboné en Europe.

En ce qui concerne l'hydrogène blanc, de nombreuses études ont été faites. La piste est intéressante et nous l'étudions, mais le projet est loin d'être mûr pour donner lieu à des solutions industrielles ou être faisable techniquement. La question clé sera de savoir si le marché se développera de façon suffisante pour nécessiter des investissements à la fois en termes de recherche et d'exploitation. Si c'était le cas, nous pourrions nous réjouir que la France dispose de ressources d'hydrogène naturel potentiellement exploitables - ce qui reste à confirmer.

Concernant l'hydrogène et ses applications, il y a eu beaucoup d'emphase, si ce n'est d'enthousiasme, autour de ce sujet ces dernières années ; on a l'impression que le soufflet est un peu retombé. Néanmoins, notre stratégie n'a pas changé et se déroule conformément à ce qui était prévu. Le secteur industriel qui réunit aujourd'hui les conditions économiques pour utiliser de l'hydrogène bas-carbone est le raffinage, et encore dans les pays où les transpositions des normes européennes concernant les carburants renouvelables d'origine non biologique (RFNBO), les fuels bas-carbone et la réglementation RED III1(*) ont été réalisées - très peu de pays l'ont fait aujourd'hui. Sur ce point, je veux saluer les efforts de la France, qui a été pionnière en la matière, grâce à la mise en place de la taxe incitative relative à l'utilisation d'énergie renouvelable dans le transport (Tiruert), qui incitait des acteurs comme TotalEnergies à prendre des risques en la matière et à s'engager sur le long terme, même si ce mécanisme était jusqu'à présent annuel, alors que le secteur a besoin de mécanismes pluriannuels.

Si certains secteurs, comme le raffinage, ont su évoluer, les évolutions prendront plus de temps dans d'autres secteurs. La chimie et la sidérurgie se focalisent, dans le contexte actuel, sur la nécessité de repenser leur modèle pour être capables parfois de survivre. Lorsque cela sera fait, d'autres projets de décarbonation utilisant l'hydrogène émergeront.

Sur l'usage de l'hydrogène dans les mobilités, quelques flottes captives, comme celle des taxis bleus parisiens, utilisent l'hydrogène, mais le potentiel principal de développement concerne les poids lourds. L'enjeu est la disponibilité des camions et celle des stations de recharge. Nous avons décidé, en tant que fournisseurs d'infrastructures, d'aller de l'avant et nous avons mis en commun toutes nos stations-service avec celles du groupe TotalEnergies, dans cinq pays européens. Nous essayons aussi de convaincre les fabricants de camions de construire plus de véhicules à hydrogène. Certains sont implantés dans la région de Fos-sur-Mer, d'autres aux Pays-Bas.

Une autre question est de savoir comment obtenir la meilleure solution économique pour développer l'hydrogène tout en répondant aux besoins de l'industrie. Il faut abaisser le contenu carbone de l'hydrogène. Différentes technologies sont envisageables, parmi lesquelles figure la capture du carbone, ou CCUS (acronyme anglais pour Carbon Capture, Utilisation and Storage), qui est technologiquement éprouvée et qui constitue probablement l'une des solutions les plus économiques, même si à l'heure actuelle, le coût complet de la capture du carbone est supérieur au rendement de la taxe carbone européenne dans le cadre du marché européen des émissions (EU-ETS- European Trading Schemes) qui oscille entre 60 et 80 euros la tonne, alors que le coût de la capture sur l'ensemble d'une chaîne industrielle est plutôt de l'ordre de 150 à 200 euros la tonne. Des aides et des subventions sont donc nécessaires pour favoriser le développement de ces solutions qui permettent non seulement de décarboner l'hydrogène, mais aussi de très nombreux procédés industriels ; je pense notamment à la fabrication du ciment, qui est très émettrice de carbone. Nous avons ainsi un certain nombre de projets avec des entreprises, dans le nord de la France en particulier, pour décarboner la production de ciment. Cependant, on manque des dispositifs de soutien, dans cette phase de transition, pour convaincre les industriels d'investir à long terme.

Je n'ai pas de commentaires particuliers sur le projet Symbio, dans la mesure où nous ne sommes ni directement impliqués ni acteurs de ce projet. Je ne pourrai donc pas le commenter de façon précise.

Il est prévu que le projet Normand'Hy démarre en 2026. C'est un très beau chantier, et je vous invite à venir le visiter si vous êtes intéressés. Une partie des volumes seront dédiés à TotalEnergies pour alimenter sa raffinerie - j'en profite d'ailleurs pour saluer le courage des clients qui sont prêts à s'engager sur le long terme. Une autre partie des volumes seront consacrés à la mobilité. Nous avons déjà signé des contrats avec plusieurs clients et nous devrions en signer d'autres dans un futur proche, afin de développer la mobilité à l'hydrogène. Enfin, d'autres clients sont susceptibles d'être intéressés le long de l'axe Seine, puisque nous construisons une infrastructure complète, composée d'une unité de production et d'un pipeline, ce qui permettra de donner un accès à de l'hydrogène décarboné à des industriels ou à des acteurs de la mobilité.

M. Fabien Gay. - Ma première question concerne la santé à domicile. Il s'agit d'un sujet d'avenir, en raison du vieillissement de la population, du développement de pathologies de plus en plus lourdes et du fait que l'âge d'entrée en Ehpad est de plus en plus tardif. Pourtant, vous avez fait le choix, depuis deux ans, de sabrer dans l'emploi, en supprimant 1 250 postes de salariés. Certes, vous me direz que vous avez créé parallèlement 700 postes industriels, ce qui réduit le solde net à 550 postes, mais, comme il ne s'agit pas des mêmes métiers, des emplois, et donc des savoir-faire, ont été perdus. Pourtant, contrairement aux emplois industriels, les emplois dans la santé à domicile ne sont pas délocalisables. La question est donc de savoir si, véritablement, vous croyez à l'avenir de ce secteur, ou si vous comptez céder toutes vos activités au fur et à mesure ? Cela pourrait être une stratégie pour vous recentrer sur l'industrie.

Ma deuxième question porte sur la recherche et le développement (R&D) en France. Vous investissez environ 200 millions d'euros en France, et vous percevez 35 millions d'euros au titre du crédit d'impôt recherche. Nous ne connaissons pas le montant que vous recevez au titre de l'IP Box, mais il représente généralement le double ou le triple du montant du crédit d'impôt recherche. Ma question est la suivante : ne faudrait-il pas, en cette période de contraintes budgétaires, recentrer cette niche fiscale sur les activités de R&D, et en exclure les autres ? Air Liquide, qui fait de la R&D, ne serait pas concerné. Êtes-vous, en outre, d'accord avec l'idée selon laquelle ce crédit d'impôt doit bénéficier uniquement à la recherche réalisée en France, et non pas à celle qui est effectuée ailleurs en Europe ? À l'inverse, seriez-vous intéressé par une bonification en cas d'industrialisation ? Il s'agirait d'accorder un bonus aux entreprises qui font de la recherche en France, qui industrialisent et qui logent leur brevet dans l'IP Box ; est-ce, selon vous, une piste intéressante ?

Enfin, ma dernière question porte sur la transparence de l'utilisation de l'argent public et des montants perçus. Vous aviez dit, lors de votre audition par notre commission d'enquête sur l'utilisation des aides publiques aux grandes entreprises et à leurs sous-traitants, que vous étiez favorables à la transparence en la matière. Allez-vous attendre le vote d'une loi ou allez-vous agir dès cette année, notamment au sein de votre comité social et économique (CSE) ?

M. Yves Bleunven. - Le Grand Ouest, région agroalimentaire et agricole importante, a subi cet été une crise majeure d'approvisionnement de ses usines en CO2 : des ruptures de livraison et de production ainsi que des arrêts d'usines ont été observés. Cela a beaucoup inquiété les professionnels de l'agroalimentaire.

Rappelons rapidement le contexte : Air Liquide a vu sa production baisser, car le groupe capte essentiellement le CO2 dans des usines de fabrication d'engrais. Or trois usines ont fermé dans le Grand Ouest ces deux dernières années. Parallèlement, les usages du CO2 se développent, puisque celui-ci est de plus en plus utilisé dans les usines agroalimentaires pour des activités dont on n'imaginait pas, il y a quelques années, les volumes qu'elles pouvaient représenter ; je pense au bien-être animal, par exemple. L'euthanasie des animaux avant l'abattage est une pratique qui s'est répandue sur toutes les lignes d'abattage : l'étourdissement provoqué par le CO2 est un progrès en termes de bien-être animal. L'emploi du CO2 a aussi permis de mettre au point de nouvelles techniques de conservation des produits pour les conserver plus longtemps. Enfin, dans les serres et l'horticulture, on utilise de plus en plus de CO2 pour améliorer la photosynthèse ; c'est l'un des outils qui permet de lutter contre l'importation massive de tomates du Maroc, par exemple. L'ajout de CO2 dans la serre entraîne également une réduction du besoin de chauffage.

Nous nous sommes ainsi aperçus, à l'occasion de cette crise, de la dépendance de notre industrie agroalimentaire à l'égard de votre entreprise. Vos contrats font de vos clients des clients captifs, et les placent dans une situation de dépendance ; voilà qui vous oblige à agir dans ce genre de situation. Il y va aussi de notre souveraineté alimentaire. Comment comptez-vous apporter des garanties aux industriels de l'agroalimentaire, pour éviter qu'ils ne se retrouvent un peu « pigeons » - permettez-moi l'expression -, comme ce fut le cas cet été ? Ils ne peuvent pas changer de fournisseur puisque les installations dans les usines ont un tel niveau de technicité qu'ils sont dépendants d'un seul prestataire, et qu'ils doivent attendre que celui-ci trouve des solutions. Avez-vous envisagé de développer des solutions alternatives d'approvisionnement ?

Mme Marie-Lise Housseau. - Air Liquide mène une politique d'investissement particulièrement dynamique dans le monde entier, mais également en France, essentiellement dans son coeur de métier, ce qui est bien normal.

Je suis sénatrice du Tarn, où était implanté le groupe industriel Safra, qui était le seul constructeur de bus à hydrogène en France. L'entreprise a été placée en redressement judiciaire au mois de février dernier, puis rachetée par le groupe chinois Wanrun.

Vous avez affirmé que vous étiez très attaché à la souveraineté industrielle et au développement de l'écosystème local. Avez-vous envisagé d'investir dans ce type d'entreprise d'aval pour permettre de développer l'utilisation de l'hydrogène et faciliter la décarbonation ? Je vous interroge au sujet de Safra, mais ma question vaut également pour d'autres entreprises.

M. François Jackow. - Je commencerai par la santé à domicile. Pour le dire très simplement, nous sommes absolument convaincus qu'Air Liquide doit continuer à être un fournisseur de solutions de santé à domicile. C'est une façon de répondre aux besoins de la société.

La situation de la France est très particulière, car l'écosystème de la santé à domicile est à la peine et ne parvient pas à se développer, alors même que les taux de remboursement sont parmi les plus hauts en Europe - de l'ordre de 500 à 800 euros par an et par patient pour l'apnée du sommeil, contre moins de 300 euros en Espagne ou en Allemagne.

Ne souhaitant pas vendre cette activité, nous nous efforçons de la transformer et nous continuons d'y investir. Nous disposions, en France, de huit marques, de 160 sites et de 33 centres de relations clients. S'il a fallu adapter cette structure aux besoins du marché et des patients, ce qui a hélas ! emporté des suppressions de postes, nous avons accompagné tous nos collaborateurs pour trouver les meilleures solutions, si bien que dans seulement 25 % des cas, les suppressions de postes ont donné lieu à un licenciement. J'estime qu'il n'aurait pas été responsable de procéder autrement.

Nous sommes par ailleurs force de proposition auprès des pouvoirs publics, en suggérant des pistes d'évolution du modèle, mais aussi des pistes d'économies. Les premiers retours sont positifs, et je m'en réjouis, car notre modèle actuel est coûteux et insatisfaisant.

Nous disposons de cinq centres de R&D - en France, aux États-Unis, en Chine et en Allemagne, notamment. Le soutien que nous recevons, en particulier au travers du crédit d'impôt recherche, est - de mémoire - alloué à 97 % à des projets réalisés en France, les 3 % restants bénéficiant en très grande partie à notre autre centre européen, situé en Allemagne.

Nous sommes par ailleurs tout à fait favorables à la transparence, y compris sur la conditionnalité des aides, et nous communiquons d'ores et déjà sur le fléchage des aides que nous recevons.

Nous avons en effet connu l'année dernière, comme cela était déjà arrivé par le passé, une crise de fourniture du CO2, en particulier agroalimentaire. N'étant pas producteur de CO2, Air Liquide doit trouver des sources de CO2 impur qu'il se charge ensuite de purifier et de mettre aux normes agroalimentaires. Historiquement, la plus grande partie du CO2 utilisé dans l'agroalimentaire était issue de l'industrie et, plus spécifiquement, de la fabrication d'ammoniaque. L'engrais produit en Europe n'étant plus compétitif : sa production a chuté, et avec elle, la disponibilité du CO2. Nous avons donc développé des sources alternatives et nous continuons d'en développer, notamment en extrayant du CO2 à partir d'unités produisant de l'hydrogène, par exemple à Port-Jérôme-sur-Seine ou dans l'usine de production d'hydrogène de Grandpuits, où nous investissons dans une unité spécifique. Nous développons enfin des unités de purification du CO2 de taille plus modeste, de manière à disposer de sources de CO2 locales. Le coût de la production de CO2 au sein de telles unités est certes plus élevé, mais celles-ci ont montré leur résilience, notamment dans un contexte de tension sur la ressource.

En tout état de cause, soyez assuré, monsieur le sénateur Bleunven, que nous investissons pour assurer la continuité de la fourniture de nos clients.

En ce qui concerne les bus à hydrogène, nous estimons que si la production et la distribution de gaz relèvent de notre métier, son utilisation est le domaine de nos clients. Nous n'avons donc pas investi dans la production de bus ou de voitures à hydrogène.

Pour développer l'écosystème, ce qui, comme vous le soulignez, est une nécessité, j'estime qu'il nous faut sortir du dogmatisme et accepter, comme le fait par exemple la Chine, d'utiliser dans un premier temps de l'hydrogène bas-carbone, quelle que soit son origine. Il convient en effet de développer l'infrastructure et d'engranger les économies d'échelle qui nous permettront de produire de plus en plus de camions et de bus, avant de décarboner progressivement l'hydrogène. À défaut, nous ferions la même erreur que nous avons déjà commise en matière de panneaux photovoltaïques ou de voitures électriques.

M. Bernard Buis. - Air Liquide est présent depuis plus de soixante ans en Guadeloupe, en Martinique et en Guyane. Quelle est votre stratégie pour contribuer à la décarbonation et à la sécurité d'approvisionnement énergétique dans les outre-mer, notamment en matière d'oxygène médical, d'hydrogène pour la mobilité ou de stockage d'énergie ? Envisagez-vous une implantation dans d'autres territoires ultramarins ? D'une manière générale, en France métropolitaine, envisagez-vous d'implanter de nouveaux sites dans les villes médianes, voire dans des zones plus rurales, comme à Pierrelatte, par exemple, où vous avez déjà une petite unité ?

Par ailleurs, quel est l'impact de l'intelligence artificielle sur vos méthodes et votre organisation ?

M. Guislain Cambier. - Comme beaucoup, j'ai besoin de rêver, et l'hydrogène fait rêver. Vous avez indiqué que nous aurions bientôt la plus grande capacité de production d'hydrogène décarbonée en Europe, mais disposerons-nous d'une molécule compétitive à l'horizon 2035, et l'hydrogène sera-t-il alors accessible aux poids lourds ? En somme, à quelles conditions pouvons-nous espérer disposer d'un hydrogène de proximité et accessible ?

Mme Amel Gacquerre. - Ma question porte sur les enjeux industriels européens, précisément sur votre adaptation au phénomène de désindustrialisation et aux difficultés que rencontrent aujourd'hui certains de vos clients. Depuis 2021, la chimie européenne a en effet réduit sa production de 20 % à 25 %, tandis que les grandes entreprises de sidérurgie ont réduit leurs capacités européennes.

Quelle part de votre chiffre d'affaires paneuropéen dépend de ces secteurs en restructuration ? Avez-vous dû, ou comptez-vous, fermer des unités de production de gaz pour vous adapter à ces baisses de production ?

Où en est enfin le projet d'Artagnan, au sein du site de Dunkerque, que vous avez présenté comme un site pilote en matière de décarbonation industrielle ?

M. François Jackow. - Nous n'avons pas, à ce stade, de projet d'installation en Guadeloupe ou en Guyane. De manière générale, nous nous implantons où nos clients ont besoin de nous, et lorsque le tissu industriel est peu dense, comme dans les zones rurales, les opportunités de développement sont plus rares. Notre activité de santé, en revanche, dessert l'ensemble du territoire et contribue à répondre à un certain nombre de difficultés dans les déserts médicaux.

Nous avons été l'un des premiers groupes à donner accès à l'ensemble de nos collaborateurs aux outils d'intelligence artificielle et à les former aussi bien aux potentialités qu'aux dangers de ces derniers. Nous testons depuis plusieurs mois une application qui permet, via l'étude d'images de vidéosurveillance, de renforcer la sécurité industrielle de nos sites. Contrairement à ce que l'on pourrait penser, celle-ci est plébiscitée par nos équipes. Les outils d'intelligence artificielle sont également un support à la création et à l'innovation.

Je ne sais pas si je parviendrai à vous faire rêver, monsieur le sénateur Cambier, mais le fait est que le groupe Air Liquide se projette dans l'avenir. En matière d'hydrogène, nous continuons à tracer notre route, en dépit des difficultés que j'ai mentionnées. Nous disposerons de molécules compétitives, non pas à l'horizon 2035, mais dès 2026. Si nous percevons pour l'instant des aides et des subventions, notre objectif est de développer suffisamment d'expertise et de réaliser suffisamment d'économies d'échelle pour réduire les coûts, de sorte de nous passer des aides et de construire une économie réelle et solide.

Sur la mobilité, je répète qu'il nous faut être moins dogmatiques au regard de l'origine de l'hydrogène, car comme son nom l'indique, l'hydrogène renouvelable est dépendant de la disponibilité et du coût des énergies renouvelables. Les premières hypothèses tablaient sur un coût du renouvelable à 25 euros le mégawattheure ; nous en sommes loin. Or cela représente 60 % à 70 % du coût de la molécule d'hydrogène produite. Si nous étions moins dogmatiques, nous pourrions recourir à l'énergie moins chère et abondante que notre gisement nucléaire est en mesure de nous fournir. Nous pourrions aussi décarboner l'hydrogène plus traditionnel.

En tout état de cause, si le développement de la filière est soutenu durant quelques années, nous serons capables de mettre de grandes quantités d'hydrogène compétitif sur le marché.

Dans les Hauts-de-France, notre projet de décarbonation des deux industries les plus émettrices de CO2 que sont la fabrication de la chaux et celle du ciment est bien avancé. Les quantités de carbone captées durant la fabrication de chaux et de ciment se comptant en millions de tonnes, nous projetons d'acheminer ce CO2 par pipeline jusqu'à Dunkerque pour y créer un terminal, puis de le transporter par bateau en mer du Nord pour l'enfouir.

Là aussi, l'ensemble des maillons de la chaîne est en place. Il manque un mécanisme incitatif, le CCfD (Carbon Contracts for Difference), qui permettrait de prendre en charge, dans une phase temporaire, le différentiel entre le prix de la taxe carbone, fixé par exemple à 80 euros, et le coût de séquestration de l'ensemble de la chaîne, soit 150 euros. Dans un contexte budgétaire contraint où chacun s'efforce de surveiller les dépenses, on pourrait très bien imaginer que ce mécanisme ne soit pas monétaire, mais qu'il s'agisse d'une sorte d'allocation de crédits gratuits d'émissions. Cela permettrait, sans générer de trésorerie, de donner une compensation aux industriels qui prennent le risque de construire cette filière pour les vingt ou trente prochaines années et de mettre en place cette capture du carbone. Ce projet avance très bien, mais nos clients restent réticents, car l'équation économique ne fonctionne pas. En effet, la France n'a pas encore mis en place le mécanisme de CCfD, alors même que les Pays-Bas le font et que l'Allemagne, qui était extrêmement réticente vis-à-vis de la capture du carbone, a décidé l'année dernière de le faire également.

Enfin, pour répondre à votre question sur la restructuration de certains sites, notre responsabilité est de nous adapter au mieux aux besoins. Nous constatons une baisse des volumes qui s'installe progressivement, de sorte que nous avons dû réorganiser certaines chaînes de fournitures et certains sites, ou bien en fermer d'autres en Europe. Malheureusement, il est tout à fait possible que la situation, telle qu'elle évolue, entraîne ce type de conséquences. Encore une fois, si cela se produit, nous le ferons en responsabilité, en étudiant précisément les effets qui en découleront pour l'ensemble de nos collaborateurs et du tissu local.

M. Yannick Jadot. - Il y a quelques semaines, nous nous sommes rendus à Taïwan dans le cadre d'une délégation sénatoriale et nous avons rencontré vos équipes sur place. Les échanges que nous avons eus ont été passionnants et ont montré comment Air Liquide était présent de manière extrêmement sophistiquée dans l'industrie des semi-conducteurs. Nous vous en félicitons.

Vous avez évoqué le prix de l'électricité. Je crois me rappeler qu'une étude de l'organisme France Hydrogène indiquait qu'il fallait que ce prix soit autour de 70 euros le mégawattheure pour rendre l'hydrogène compétitif à un horizon de cinq à dix ans. Or vous venez de mentionner un prix de 25 euros le mégawattheure pour les énergies renouvelables, cible qui n'est pas atteinte. D'ailleurs, je ne sais pas quelle énergie vous permettrait de produire de l'électricité à 25 euros le mégawattheure : ce n'est ni le nucléaire ni le gaz de schiste - car nous n'allons pas en produire. Certes, les Américains ont une énergie moins chère, mais il s'agit d'une énergie extrêmement polluante que nous ne voulons pas exploiter en Europe. Comment interprétez-vous l'ambiance de défiance qui règne en France vis-à-vis des énergies renouvelables ? En effet, à un moment donné, nous risquons de manquer d'énergie renouvelable, y compris pour votre filière.

En outre, même si la période actuelle est compliquée, plus le prix du carbone est élevé, mieux cela vaut pour le fonctionnement de votre modèle économique. Comment jugez-vous l'efficacité du mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (MACF) européen, pour toutes vos activités en Europe ?

Enfin, Mme la présidente a évoqué le sujet de l'instabilité des États-Unis à l'échelle internationale. Comment envisagez-vous les perspectives de votre entreprise aux États-Unis dans les semaines, les mois ou les années qui viennent ?

Mme Anne-Catherine Loisier. - Vous n'avez pas beaucoup parlé du biogaz, alors qu'il s'agit d'un sujet qui a fait rêver un certain nombre de nos collègues. J'ai entendu dire qu'Air Liquide se désengagerait d'un certain nombre de ses unités de biogaz. Qu'en est-il ?

M. Daniel Salmon. - L'hydrogène est l'objet central de cette audition et j'y reviens encore. Quel rendement peut-on espérer atteindre par rapport à l'énergie primaire ? Les chiffres dont je dispose indiquent que le kilogramme d'hydrogène est trois fois plus cher lorsqu'il est produit à partir d'énergies renouvelables que lorsqu'il est issu des énergies fossiles. Sommes-nous toujours sur ce ratio ?

Avec une délégation de la commission des affaires économiques, nous nous sommes rendus au Maroc, au début du mois dernier, et nous avons constaté l'appétence des Marocains pour la filière hydrogène. Êtes-vous présent dans ce pays, où il y a un potentiel d'accès exceptionnel aux énergies renouvelables ? Il me semble que les électrolyseurs doivent fonctionner vingt-quatre heures sur vingt-quatre pour avoir un rendement correct. Quelle association vous semble donc la plus pertinente ? Je songe notamment aux batteries : où en sommes-nous aujourd'hui ?

Enfin, en matière d'investissement, on sait que l'action Air Liquide a toujours été un bon placement. Quel est le ratio entre la part qui est versée comme dividendes aux actionnaires et celle que vous consacrez à l'investissement et à la recherche ?

M. François Jackow. - S'agissant du prix de l'électricité, celui de 25 euros le mégawattheure était pratiqué il y a trois ou quatre ans, au moment où les premiers plans Hydrogène étaient élaborés ; telles étaient alors les hypothèses de coût de l'énergie. Aujourd'hui, pour de nombreuses raisons, l'énergie coûte plus cher, en particulier en Europe. Il nous faut bien sûr travailler sur la compétitivité de l'hydrogène. Lorsque l'on parle des énergies renouvelables, un prix de l'ordre de 50 euros le mégawattheure sera probablement plus adapté pour être en mesure de produire de l'hydrogène compétitif.

La grande question, en réalité, concerne les usages ; sur ce point, vous avez un rôle à jouer en tant que législateur, car il faut les promouvoir. En effet, l'une des erreurs qui ont été trop souvent commises dans le cadre d'un certain nombre de politiques publiques concernant l'hydrogène, a été de se focaliser sur la production et de négliger le développement des usages et de l'ensemble de la filière. Que ce soit au Maroc ou ailleurs, certains s'engouffrent dans la voie de l'hydrogène, car il y a un important soutien à la production ; sauf qu'il n'y a pas de clients. Or l'une des règles de base est tout de même d'investir lorsqu'il y a des clients. Nous avons donc été l'une des premières et des rares entreprises à sécuriser des contrats et des clients à long terme pour pouvoir ensuite faire des investissements.

Il faut mener une vraie réflexion sur la manière de faciliter les usages de la transition énergétique, que ce soit dans l'industrie ou dans la mobilité, avec probablement une première phase qui consistera à tracer une voie assez claire pour rendre les modèles soutenables sans aucune subvention ou aide. Dans cette perspective, la transposition des règles européennes est un enjeu important. En effet, la transposition de la directive européenne RED III, qui doit contribuer à stimuler les usages, n'est pas faite, et ce, dans de très nombreux pays.

M. Yannick Jadot. - Il y a un consensus dans cette commission sur le fait que la sous-transposition pose problème.

M. François Jackow. - Vous m'avez interrogé sur l'impact du MACF et sur le prix du carbone. Je suis absolument convaincu que la transition vers un monde avec moins de carbone ne pourra se faire que si la valeur du carbone est plus élevée. Autrement dit, d'une façon ou d'une autre, il faut augmenter la valeur du carbone, soit sous forme d'incitation, soit sous forme de taxe. Le MACF va dans le bon sens au niveau régional, mais la difficulté est dans les détails de sa mise en place. Il est encore trop tôt pour se prononcer sur les effets de ce mécanisme.

En revanche, un certain nombre d'industriels non européens, au premier rang desquels des acteurs chinois, sont en train de s'équiper pour décarboner leurs propres procédés afin de pouvoir importer en Europe. Encore une fois, la Chine est, de mon point de vue, la région du monde la plus cohérente dans sa politique de décarbonation à long terme. Les Chinois ont une feuille de route qu'ils respectent, ils avancent et ils gardent le cap. Cela les aide à moderniser leur industrie et les prépare à développer la vision d'une industrie manufacturière qui, demain ou après-demain, sera décarbonée. Ils investissent dans le renouvelable plus que n'importe qui dans le monde et ils convertissent leurs procédés.

Les États-Unis représentent un tiers du chiffre d'affaires du groupe Air Liquide. Nous y sommes donc extrêmement présents en tant qu'acteur local, avec des usines et des collaborateurs locaux. Pour l'instant, nous constatons une forme d'attentisme, mais la réindustrialisation tend à resurgir aux États-Unis, même si ce n'est pas forcément dans tous les secteurs. Ce phénomène est très visible dans le champ des semi-conducteurs, où une douzaine de fabs est en construction, ce qui n'était pas arrivé au cours des vingt dernières années. Une puissance industrielle est donc en train de se recréer aux États-Unis ; en tant que groupe Air Liquide, nous pourrons bénéficier de cette opportunité. La question se pose différemment si nous l'envisageons en tant que citoyens français et européens.

Nous sommes arrivés sur le marché du biogaz parce que nous avons développé des technologies uniques de purification du biogaz, qui vient de l'unité de digestion, pour en faire du gaz qui peut être utilisé soit dans les canalisations, soit directement pour produire de l'électricité ou de la vapeur. Nous sommes déterminés à nous maintenir dans ce secteur dès lors qu'il s'agit des technologies. En revanche, dans un certain nombre de pays, le fait d'avoir investi dans les unités de production a eu pour effet de nous transformer en producteur d'énergie, ce qui n'est pas notre métier. En effet, le gaz naturel ne fait pas partie des gaz que nous vendons, car nous nous concentrons exclusivement sur les gaz industriels et médicaux. La fourniture d'énergie n'est donc pas le coeur de métier de notre groupe.

Je ne commenterai pas les rumeurs qui courent dans la presse. Nous restons très attachés à la technologie, que nous souhaitons continuer à développer. En revanche, en fonction des marchés de l'énergie et de leur situation géographique, nous étudions les options qui ont un sens pour le groupe.

Mme Anne-Catherine Loisier. - Vous avez investi en Chine ?

M. François Jackow. - Nous avons en effet investi dans une unité en Chine, mais la problématique est la même : nous entrons dans la fourniture d'énergie, qui n'est pas notre coeur de métier.

Nous sommes présents au Maroc, mais nous ne sommes pas particulièrement engagés dans des projets de production d'hydrogène. Il y a aujourd'hui, à mon sens, pléthore d'opportunités de produire de l'hydrogène. Notre coeur de métier et notre valeur ajoutée sont dans la compréhension intime des besoins des clients et donc dans le développement, avec eux, d'usages économiques de l'hydrogène.

S'agissant du rapport entre les investissements et les dividendes, les chiffres de l'année dernière montrent que le groupe a versé un peu moins de 2 milliards d'euros de dividendes pour 4,4 milliards d'investissements. Nous ne voulons sacrifier ni notre politique actionnariale, car de nombreux actionnaires dépendent de ces flux réguliers, ni l'avenir du groupe et notre stratégie d'investissement. Les investissements ont augmenté de 50 % sur les quatre dernières années, ce qui démontre notre engagement sur le long terme.

Mme Marianne Margaté. - Vous avez mentionné 2 milliards d'euros de dividendes versés en 2024 et un investissement qui reste important, à hauteur de 4,4 milliards d'euros. Je souhaite vous interroger sur votre politique salariale pour favoriser une meilleure répartition de la richesse entre le capital et le travail. Se traduit-elle par des augmentations de salaire ?

En tant que sénatrice de Seine-et-Marne, je souhaite revenir sur le projet de Grandpuits, que vous menez avec TotalEnergies et qui, sur certains de ses aspects, se voit remis en cause ou, en tout cas, gelé. Je songe notamment à l'unité de production de biométhane, à la question des carburants pour l'aviation et au recyclage du plastique. Pouvez-vous nous donner des précisions sur l'avenir de ce site et les emplois qui sont liés à ces projets ?

M. Philippe Grosvalet. - Vous avez largement évoqué l'hydrogène, mais permettez-moi d'insister sur un dossier plus local, à savoir la démarche Loire Estuaire Décarbonation, sur l'estuaire de la Loire, qui vise la transition écologique, énergétique et économique du territoire.

Ce projet est inscrit dans le cadre des zones industrielles bas-carbone de l'Agence de la transition écologique, l'Ademe, et s'appuie sur une vingtaine de projets. Grâce à ses infrastructures de pointe, à ses laboratoires de recherche et aux entreprises innovantes comme le leader Lhyfe, notre territoire développe des solutions durables pour la production, le stockage et l'utilisation d'hydrogène. Ce travail collectif est la marque de notre territoire et, d'ailleurs, vous y êtes implanté, dans la commune de Montoir-de-Bretagne.

Comment se fait-il qu'un acteur comme Air Liquide ne soit pas encore partie prenante de cette démarche ? Envisagez-vous de participer à des projets collectifs sur un territoire qui a largement fait la démonstration de son implication dans la transition énergétique ?

M. Christian Redon-Sarrazy. - La transition énergétique dans l'industrie lourde ou dans les transports génère de nombreux projets.

Dans mon département de la Haute-Vienne, un projet de production de carburant de synthèse pour l'aviation, le e-SAF, vise à capter 630 000 tonnes de CO2 émises pour la production du papier ; combinées à 95 000 tonnes d'hydrogène, elles produiraient 150 000 tonnes de ce carburant par an.

Comment envisagez-vous la concurrence ou la complémentarité des projets de décarbonation dans ce secteur ?

M. François Jackow. - Pour en revenir aux chiffres, les dividendes représentent un peu moins de 2 milliards d'euros, les investissements 4,4 milliards d'euros et la masse salariale plus de 5 milliards d'euros au niveau du groupe. Nous sommes évidemment très soucieux de l'équilibre entre les différentes parties prenantes et la juste rémunération des collaborateurs fait partie de l'ADN du groupe Air Liquide.

Concernant le projet Grandpuits, il n'est pas du tout remis en cause en ce qui nous concerne, puisque nous sommes en pleine phase de prédémarrage de l'unité. J'ai eu avec le client une réunion, la semaine dernière, pour confirmer les besoins concernant notre unité. Je ne peux pas commenter les plans de notre client, mais le projet sera, à mon sens, assez unique. Nous avons plus d'une dizaine de brevets dans les technologies que nous mettons en place, de façon très innovante, à la fois pour produire de l'hydrogène décarboné et pour garantir une source de CO2 pour le secteur marchand, en particulier l'agroalimentaire.

Nous sommes très présents autour de la Loire. Si des projets correspondent à nos capacités et à notre stratégie, nous serons ravis d'y participer, comme ailleurs en France.

Nous n'avons pas le monopole des solutions et je pense qu'il est bon qu'un écosystème se développe très largement. Néanmoins, via des partenariats technologiques ou de fourniture, nous sommes ravis de contribuer à des projets.

Nous avons vu émerger un certain nombre de projets de carburants synthétiques. On nous a parfois demandé d'y participer, mais nous devons rester sur nos fondamentaux : notre métier est de fournir du CO2 et de l'hydrogène. Fabriquer des carburants relève du métier de nos clients, que nous ne cherchons pas à imiter. En revanche, fournir des projets économiquement viables est bien notre coeur de métier. La difficulté est de trouver des projets viables sur le long terme, qui apportent assez de garanties pour que nous puissions investir 300 à 500 millions d'euros. En effet, l'usine, une fois construite, ne peut pas être modifiée.

Actuellement, le marché des carburants de synthèse est très dynamique. Des solutions originales permettent de combiner de l'hydrogène, si possible décarboné, et du CO2, d'origine biogénique ou industrielle.

Mme Évelyne Renaud-Garabedian. - Air Liquide revendique une internationalisation très poussée de ses équipes de recherche. Quelle est la place des chercheurs français dans votre modèle ? Leur présence est-elle un objectif stratégique ? À quel niveau placez-vous la recherche française par rapport aux écosystèmes étrangers dans lesquels vous recrutez ?

M. Franck Montaugé. - Vous avez insisté sur l'impact défavorable des coûts de décarbonation sur la compétitivité de votre entreprise. Le climat est un bien commun mondial et ce qui n'est pas investi en sa faveur aujourd'hui coûtera bien plus cher demain. L'action mondiale actuelle est très insuffisante pour respecter l'objectif de température fixé par l'accord de Paris.

Comment fixer malgré tout un cap de long terme aux entreprises, dans une logique de compétitivité durable ? L'économiste Christian Gollier, qui a été professeur au Collège de France et membre du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec) et a reçu le prix Nobel de la paix en cette qualité en 2007, propose d'agir sur le taux d'actualisation des modèles décisionnels d'investissement et le prix du carbone.

Comment inciter des entreprises comme la vôtre à s'engager dans des investissements de court ou de moyen terme dont les taux de rentabilité sont très éloignés des standards actuels ? Comment sortir de l'arbitrage entre court et long terme en faveur du climat ?

M. Lucien Stanzione. - Vous êtes à la tête d'une entreprise innovante, à la pointe de la recherche, notamment dans les domaines du médical, des carburants ou encore de la décarbonation. Tout cela est décrit dans un gros document de 80 pages qui présente votre plan Advance. Un autre projet s'annonce, Fit, qui réorganise votre entreprise en supprimant de très nombreux emplois. Quels liens faites-vous entre le plan Advance, le projet Fit, les aides publiques octroyées aux très grandes entreprises et la redistribution des dividendes aux actionnaires ?

Mme Martine Berthet. - Merci pour vos propos inquiétants, mais aussi passionnants. Les industriels de la chimie et de la sidérurgie-métallurgie sont en difficulté, notamment à cause du coût de l'énergie. Dans mon département de la Savoie, plusieurs entreprises électro-intensives ont suspendu le fonctionnement de leurs fours pour plusieurs mois et d'autres ont décidé d'arrêter d'investir dans la décarbonation.

Vous avez évoqué la nécessité d'innover pour préparer l'avenir et défendre notre souveraineté, et cité le domaine des semi-conducteurs. Quel est votre niveau d'implication en Europe ? Quel est le degré d'avancement de vos projets dans la fabrication des semi-conducteurs ?

M. François Jackow. - Nous accordons une place prépondérante à l'innovation et à la technologie. La recherche constitue l'une des portes d'entrée dans notre groupe et concerne de nombreuses carrières. Mon prédécesseur y a débuté et je viens moi-même de ce monde.

Nous sommes un groupe international. Notre critère de recrutement est le talent. Nous n'avons pas fixé de proportion de chercheurs français dans nos effectifs, mais le fait est que nous en comptons beaucoup, parce qu'ils sont de très grande qualité. Ils ont un esprit innovant et créatif et ambitionnent de mettre Air Liquide au service de ses clients.

Nous devons nous projeter dans ce que nous pensons être le monde de demain. Nous conservons une vision optimiste parce que nous voyons des contributions pour construire ce monde, qui sera, je l'espère, meilleur. À court terme, nous avons besoin d'un cadre le plus clair possible et de stabilité. Nous avons besoin d'une visibilité pluriannuelle pour décider d'investir sur les vingt à trente prochaines années.

Pour ne pas compromettre le long terme, on peut commencer dès aujourd'hui la transition, s'en donner les moyens, accepter qu'elle ne puisse pas être parfaite et y aller étape par étape.

J'en viens au captage et à la séquestration du carbone. Si l'on ne se donne pas les moyens de mettre en place les filières, on repousse le sujet encore et encore. Or, il y a un problème de vitesse des prises de décisions en France et dans l'Union européenne par rapport à nos concurrents chinois et américains. Nous avons beaucoup d'idées, mais nous sommes incapables de les mettre réellement en place, ce qui empêche les acteurs de commencer à investir et préparer l'avenir.

Notre plan stratégique Advance dessine un cadre. Il a pour ambition d'apporter des solutions en matière de décarbonation, de semi-conducteurs, de technologies avancées ou de santé. Nous voyons émerger plus d'opportunités que jamais auparavant. Le plan Advance prévoit d'investir 50 % de plus que le plan précédent. Cela dit, il faut s'en donner les moyens. Nous avons étudié toutes les sources d'amélioration de nos propres opérations, afin de dégager une marge de manoeuvre financière pour investir plus et d'enlever des freins à la qualité de service et d'expérience pour nos clients et nos collaborateurs.

Nous allons ainsi réaliser la refonte des systèmes informatiques et de certaines organisations comme celle des achats, pour être plus efficaces et améliorer l'expérience des collaborateurs. Nous voulons nous donner les moyens de mieux servir nos clients et d'investir pour l'avenir.

Nous sommes le leader de la fourniture de gaz et de produits chimiques de très haute pureté pour l'industrie des semi-conducteurs. Nous sommes très présents sur les sites de nos clients comme à Crolles, ou à Dresde en Allemagne, mais nous fabriquons aussi des produits à très forte valeur ajoutée, extrêmement purs, par exemple dans notre centre de production de Chalon-sur-Saône, à partir duquel nous rayonnons dans toute l'Europe. Nous sommes capables de répondre aux besoins d'une industrie extrêmement exigeante sur la qualité et la technicité et continuerons à nous développer dans cette voie.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Je vous remercie, monsieur le directeur général, pour cette audition passionnante. Nous espérons qu'Air Liquide demeurera un fleuron de notre industrie et de notre économie.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

L'avenir de la filière viticole - Examen du rapport d'information

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous examinons maintenant un rapport très intéressant sur l'avenir de la filière viticole, et qui contient des propositions décoiffantes.

M. Daniel Laurent, rapporteur. - Merci, madame la présidente, d'avoir confié ce rapport à trois viticulteurs de métier. Nous avons procédé à une cinquantaine d'auditions et rencontré environ 130 personnes, en présentiel et en visioconférence. Nous sommes allés, par ce dernier moyen, en Chine, aux États-Unis, en Italie, en Espagne et en Belgique - pour rencontrer la Commission européenne. Nous avons effectué des déplacements dans nos territoires, en Bourgogne, à Bordeaux, dans l'Hérault, dans l'Aude - où nous avons constaté les effets dramatiques de l'incendie de cet été. Nous sommes allés jusqu'à Cucugnan où nous avons prié le curé pour qu'il aide la viticulture ! Nous avons vécu de bons moments : le vin, c'est la convivialité !

Notre but n'était pas de publier un rapport supplémentaire. Le dernier rapport de l'Assemblée nationale était axé sur les stratégies de marché des filières viticoles. Nous, nous avons voulu écrire un rapport qui traite du sujet de façon plus globale, qui aille au fond des problèmes, qui dise véritablement les choses, en mettant les viticulteurs et la filière viticole devant leurs responsabilités. C'est pourquoi nous avons émis 23 recommandations dont certaines peuvent être qualifiées de « décoiffantes ».

« Souvent considérée comme le fleuron de l'agriculture française, notre viticulture est aujourd'hui confrontée à des évolutions qui semblent mettre en cause ses fondements. Depuis deux ans, un certain nombre de clignotants sont au rouge. Les exportations diminuent, les parts de marché des vins français sur les marchés extérieurs s'érodent, alors que, parallèlement, la consommation domestique continue de baisser. La situation du secteur s'en ressent, la mévente entraînant un gonflement des stocks, une baisse des cours et rendant nécessaire le recours à trois distillations de crise successives. »

Ces mots sont ceux de notre ancien collègue Gérard César, dans l'introduction de son rapport, il y a 23 ans, sur l'avenir de la viticulture. Notre rapport souligne des éléments similaires.

Comment se fait-il qu'au supermarché, l'huile d'olive coûte plus cher qu'une bonne partie des bouteilles de vin ? Pourtant, notre filière vitivinicole est une filière d'excellence : pris dans une acception large, elle soutient directement ou indirectement 450 000 emplois ; elle produit une valeur ajoutée de 32 milliards d'euros et génère 6,4 milliards d'euros de recettes fiscales.

Cette filière est complexe du fait de sa longue histoire : pour la seule filière vin, on dénombre 236 organismes de défense et de gestion (ODG), qui gèrent 442 appellations d'origine protégée (AOP) et indications géographiques protégées (IGP). On y dénombre pas moins de 23 interprofessions, quand la vaste filière des fruits, légumes et production végétales spécialisées n'en compte que 10.

Néanmoins, soulignons les chiffres flatteurs de cette belle et complexe filière : 3 % d'occupation de la surface agricole utilisée (SAU) génèrent plus de 15 milliards d'euros de valeur et 16 % de la valeur totale de la production agricole du pays. Contrôlant 17 % des parts de marché mondial, notre filière vins et spiritueux dégage en 2023 un excédent à l'export de 14,7 milliards d'euros, en faisant la troisième contributrice de la balance commerciale. C'est l'équivalent de 49 Airbus A380 !

Toutefois, la filière fait face, depuis plusieurs années, à de nombreuses crises : une crise de la consommation, une crise conjoncturelle liée aux aléas internationaux, une crise structurelle et une crise climatique.

La consommation est passée de 135 litres par habitant et par an en 1960 à 41 litres en 2023 et elle continue de décroître annuellement. Cette consommation plus raisonnée n'est naturellement pas une mauvaise chose pour la santé publique, mais cette évolution va bien au-delà : nous sommes au bord d'une rupture culturelle. Les non-consommateurs et consommateurs très occasionnels représentent plus du tiers de la population. Ce constat vaut particulièrement chez les plus jeunes.

Cette crise du vin touche surtout le vin rouge. Il est tout à fait notable qu'en 2023, pour la première fois, la production de vin blanc soit devenue majoritaire. L'évolution des goûts est bien là : préférence pour les vins légers, frais, pour les boissons peu voire non alcoolisées, succès de la bière qui a su miser sur des unités de fabrication ultra-locales.

On constate en outre une véritable rupture générationnelle, due, bien souvent, à l'absence de transmission des codes du vin, ce qui contribue à dissuader tout un public de se tourner vers une boisson trop souvent considérée comme élitiste.

En conséquence, la viticulture française arrache, notamment dans le Bordelais et en Occitanie, tant et si bien que notre surface de 780 000 hectares en 2023 passera probablement sous la barre des 700 000 hectares ces prochaines années.

À cette première crise, de temps long, s'ajoute une crise que la viticulture n'aurait su prévoir : l'attrition de deux de ses principaux marchés, la Chine et les États-Unis.

En Chine, le marché s'est violemment refermé en raison de problématiques socio-économiques internes affectant lourdement les importations de vin. En parallèle, un différend commercial avec l'Union européenne a conduit le pays à imposer des droits de douane provisoires à la filière spiritueuse, puis, récemment, dans le cadre d'un accord imparfait, à instaurer un régime de prix minimum.

Aux États-Unis, la filière chiffrait déjà à 560 millions d'euros les pertes liées au premier mandat du président américain et le second est marqué par l'imposition de 15 % de droits de douane aux importations européennes, sans parler d'un taux de change particulièrement défavorable, renchérissant d'environ 10 % le prix des vins vendus.

Enfin, à ces chocs commerciaux majeurs, il convient d'ajouter la crise climatique, qui frappe durement une filière déjà éprouvée. Tout le monde a en mémoire le terrible incendie des Corbières, dans une zone où les viticulteurs enchaînent les aléas climatiques d'année en année.

Les aléas entraînent des fluctuations majeures de la production, mettant à risque la viticulture et contribuant à affaiblir le taux de couverture assurantielle en raison de la problématique de la moyenne olympique. En conséquence, la filière voit ses indicateurs économiques plonger. État des stocks, rémunération, résultats d'entreprises : les signaux sont au rouge.

Face à ce constat, nous proposons 23 recommandations dont je vous livre la principale : l'organisation par la ministre de l'agriculture, Annie Genevard, d'assises de la viticulture française au premier semestre 2026. En effet, nous montrons dans le rapport que si la filière souhaite sortir la tête de l'eau, elle doit absolument nouer un pacte de confiance entre ses composantes amont et aval, c'est-à-dire entre les producteurs et les négociants. C'est toute la filière, dans son ensemble, qui a son destin entre ses mains.

Ces assises de la vitiviniculture devront être le lieu des compromis mutuels. Il faut faire intervenir davantage le négoce dans la production, en levant, sous forme d'expérimentation, le verrou législatif l'empêchant d'intégrer des ODG en échange d'un engagement formel du négoce, contrôlable et contrôlé par l'État, à développer sans délai les leviers de sécurisation du revenu de l'amont. Ces leviers existent. Mes collègues vont vous en parler.

M. Henri Cabanel, rapporteur. - Avec mes deux corapporteurs, nous avons réalisé un travail important, à la fois au Sénat et sur le terrain. Nous avons souhaité que cette mission soit la plus large possible, et après près de 58 heures passées à entendre les acteurs de la filière, après nos déplacements dans l'Aude, l'Hérault, le Bordelais et en Bourgogne, nous nous sommes forgé la conviction que pour sortir de l'ornière, il nous faut une stratégie. Vous m'entendez depuis toujours répéter dans l'hémicycle que sans stratégie nationale, la filière va dans le mur, car les enjeux sont multiples. Sur le terrain, nous avons noté l'hétérogénéité des exploitations, qu'elles soient individuelles ou coopératives. Celles qui ont compris les enjeux et élaboré des stratégies s'en sortent mieux que les autres.

Nous nous sommes montrés prudents sur la question brûlante de l'arrachage. Pourquoi arracher ? Pour réduire encore et toujours notre potentiel productif et laisser nos parts de marché se faire irrémédiablement grignoter par des acteurs ayant une stratégie de conquête bien en place ? Cette réflexion est aussi valable pour les dispositifs, très coûteux, de financement de distillation de crise. Allons-nous demander 100 millions d'euros tous les deux ans pour distiller des surplus invendables car déconnectés des attentes du marché ? Je rappelle que les soutiens financiers de crise à la viticulture s'élèvent, depuis 2015, à plus d'un milliard d'euros. Nous proposons de conditionner les futures aides à la distillation à une analyse du positionnement de l'opérateur et de ses débouchés. Le cas échéant, si cela s'avère effectivement indispensable, l'aide à la distillation doit s'accompagner d'une obligation d'arrachage temporaire ou permanent.

Cependant, nous montrons, dans le rapport, que bien d'autres outils existent, à la main des ODG, mais aussi des interprofessions, en lien avec les pouvoirs publics. Le premier instrument, et non des moindres, est constitué par les aides de l'Union européenne ouvertes dans le plan stratégique national (PSN). La viticulture dispose d'un budget annuel d'environ 270 millions d'euros, qu'elle ventile en cinq mesures d'aide à finalités différentes. L'une d'elles est l'aide à la restructuration et à la conversion du vignoble, plus couramment appelée « aide à la plantation ». Nous proposons de donner une véritable direction à ces aides en ne rendant éligibles que les plans collectifs, qui témoignent donc d'une stratégie collective pour répondre à une demande. Nous proposons en outre d'instaurer une bonification pour les stratégies collectives incluant la plantation de variétés résistantes aux maladies et au changement climatique, car il s'agit là d'un levier fondamental dans un contexte de retraits brutaux d'autorisation de produits phytopharmaceutiques pour les viticulteurs, en conventionnel comme en bio.

Les ODG ont d'autres outils à leur disposition, dont la mise en place de volumes complémentaires individuels (VCI) pour lisser la variabilité interannuelle des volumes produits, par la mise en réserve d'un pourcentage de la récolte d'une année. Mentionnons aussi les autorisations de plantation, qui peuvent être limitées au niveau régional, en lien avec les ODG. La durée de vie des droits à la plantation devrait être portée à huit ans dans le cadre du paquet « vin » actuellement en cours d'adoption à Bruxelles, ce qui permettra par exemple de réaliser de l'arrachage temporaire.

Enfin, nous recommandons dans ce rapport de mettre en oeuvre, en sus d'une régulation de la production, une régulation de la commercialisation. Cette régulation est rendue possible par le droit de l'Union européenne et est déjà appliquée depuis fort longtemps en Champagne ou en Charente, mais aussi depuis peu en IGP Pays d'Oc. Elle a, premièrement, le mérite de mettre les deux familles, production et négoce, autour de la table. Elle permet ensuite, en cas d'accord sur le diagnostic et la stratégie, de déterminer pour chaque exploitation un besoin individuel de commercialisation, accompagné d'un système de réserve, parfois surnommé « réserve climatique ». Si l'exploitant souhaite commercialiser davantage de volumes, il devra justifier de l'existence d'un débouché. Ainsi, nous évitons d'inonder un marché de volumes invendables et, par conséquent, de tirer les prix vers le bas. Nous recommandons à chaque interprofession de se saisir de cet outil très puissant de régulation, mais aussi de coopération.

Le paquet Vin contient lui aussi tout une boîte à outils pour mieux réguler la filière, et notamment la possibilité de fixer la délivrance d'autorisations de plantations nouvelles à 0 % dans certaines zones en tension.

Enfin, dans ce rapport, nous constatons que le fait que 95 % de notre viticulture soit sous signes officiels d'identification de la qualité et de l'origine (Siqo) ne nous a pas empêchés de perdre nos clients et de ne pas convaincre les jeunes consommateurs de boire du vin, pour la simple raison que la connaissance des appellations est très limitée en dehors des spécialistes.

Nous recommandons un choc de communication par la mise en commun d'une fraction du budget des interprofessions dans le but de communiquer sur la marque France. Certains de nos voisins communiquent sur la marque nationale, comme l'Italie, et en bénéficient pleinement.

Nous plaidons en outre pour revenir sur l'abandon de l'entrée de gamme et développer, dans les territoires qui s'y prêtent, une viticulture mécanisée capable d'alimenter certains marchés comme celui des vins d'apéritif ou des vins mousseux issus de fermentation en cuve close, actuellement pourvus par l'étranger. Cela nécessite, encore une fois, l'engagement des deux parties et donc des contrats pluriannuels.

Enfin, cet effort sur la demande doit se traduire par l'augmentation des aides à la promotion dans les pays tiers, financées par la baisse de certaines aides non essentielles en matière d'investissement.

Il s'agit là d'un effort global : communication, investissement et logique partenariale afin de réussir à pérenniser la filière.

M. Sebastien Pla, rapporteur. - J'invite chacun à lire ce rapport qui contient nombre de données actualisées sur une filière peu documentée jusqu'à présent.

Nous avons besoin d'orienter nos efforts vers la demande pour produire ce que l'on est capable de commercialiser. Cela implique des efforts de l'amont viticole qui ne sauraient se faire sans contrepartie. En effet, le corollaire d'une attention plus marquée à la demande est la sécurisation du revenu du producteur.

Les outils existent, mais il convient d'accepter de se mettre autour de la table, de s'écouter et de partager les mêmes stratégies.

Nous recommandons tout d'abord que les interprofessions publient enfin les indicateurs de coûts de production prévus par les lois Égalim. Il est certes difficile de définir les coûts en viticulture tant celle-ci est hétérogène selon les terroirs et les modes de culture, mais ce n'est pas impossible. Des exemples existent.

Nous recommandons ensuite de mettre en oeuvre des accords de durabilité prévus par le droit de l'Union européenne qui permettent aux interprofessions ou, en cas de désaccord, aux producteurs, de publier des prix d'orientation, outils décisifs de cette construction des prix en marche avant dont nous avons tant besoin pour mieux définir le partage de la valeur.

En outre, nous nous interrogeons : pourquoi la viticulture n'a-t-elle pas d'organisations de producteurs, alors que le droit européen permet qu'elles négocient des contrats pour le compte de leurs membres ? Nous demandons donc au Gouvernement la publication du décret permettant la reconnaissance de ces organisations de producteurs dans le champ viticole.

Enfin, nous ne pouvions parler de revenu sans mentionner la situation difficile de nos coopératives viticoles, qui assurent tout de même 40 % de la production nationale, et même 68 % des volumes produits en IGP. Les caves coopératives sont des amortisseurs sociaux indispensables dans nos territoires. Elles ne fonctionnent pas du tout de la même manière que les grosses caves nationales. Leur modèle traditionnel, fondé sur de la vente en vrac et des petites unités, parfois en concurrence dans un périmètre très réduit, est totalement mis à mal par les évolutions de la demande évoquées par Daniel Laurent. Les coopératives doivent urgemment, là encore, adopter une vision stratégique, se regrouper, se restructurer. Elles le font déjà, mais ont besoin d'un accompagnement conjoncturel fort. Aussi, nous demandons au Gouvernement, à l'issue de la publication du rapport sur la situation des coopératives qu'il a commandé, d'honorer son engagement pris devant nous en loi de finances pour 2025 : dédier 10 millions d'euros au soutien aux coopératives viticoles.

Cette crise risque, une fois encore, dans de nombreux territoires, d'entraîner de la déprise. S'il n'est pas facile de s'installer en agriculture, cela l'est d'autant moins lorsque votre secteur d'activité est en crise. Nous recommandons ainsi de rapidement donner vie à l'aide au passage de relais figurant dans la loi d'orientation agricole.

Si sécuriser le revenu de l'amont viticole est une impérieuse nécessité, notre rapport souligne aussi le besoin de simplification et de stabilité des normes frappant la viticulture. Aussi, nous invitons l'administration à enfin mettre en oeuvre ce principe du « dites-le nous une fois » demandé par la viticulture. En 2024, avaient été recensés pas moins de 86 déclarations possibles et 54 portails répartis entre les administrations et les organismes professionnels. C'est une véritable jungle. Cela ne peut plus durer.

À l'échelon européen, nous invitons le Gouvernement à oeuvrer en faveur de la mise en oeuvre du guichet unique dédié au paiement de l'accise, sur le modèle de ce qui existe déjà pour la TVA, et qui devrait lever une barrière majeure à la capacité d'exportation de nos producteurs. Il est actuellement plus facile d'exporter aux États-Unis qu'au sein de l'Union européenne. Ce n'est pas normal.

Nous sommes, en outre, dans une filière confrontée à une diversité de taxes dont il convient d'assurer la stabilité. Je rappelle que parmi les trois plus grands producteurs de vin européens, seule la France a fait le choix de pénaliser sa propre filière en l'assujettissant à l'accise. Je sais que quelques parlementaires qui ignorent l'écosystème viticole souhaitent introduire une fiscalité comportementale...

Nous voulons de la simplification et de la stabilité.

Dans notre rapport, nous soulignons aussi la nécessité de réfléchir à la diversification comme outil de sécurisation des revenus de la filière. En la matière, avec 12 millions d'oenotouristes par an, chiffre en croissance constante, nous avons un levier puissant tant de diversification que de valorisation de la production, alors même que nous avons bien conscience que faire de la publicité pour notre terroir est, en viticulture, un exercice contraint par la loi Évin.

Nous abordons par ailleurs la résilience économique et climatique, qui doit passer par le développement de variétés résistantes. Dans l'Aude, la chambre d'agriculture nous expliquait qu'à parcelle équivalente, l'indice de fréquence de traitement (IFT) du cépage souvignier gris était de 2 alors que celui du chardonnay était de 13. En conséquence, le coût d'intervention à l'hectare était de 97 euros pour le premier et de 609 euros pour le second. Outre l'intérêt en matière de résilience, il y a un véritable intérêt économique à développer ces variétés, et nous formulons des propositions en ce sens.

La résilience d'une filière dépend, enfin, de la résilience de toutes ses composantes. Ainsi, nous alertons sur la situation délicate des pépiniéristes viticoles, partenaires indispensables de l'amont, de même que des distilleries viticoles, tout aussi indispensables, à l'aval. Nous formulons des propositions pour les soutenir.

En conclusion, nous sommes confiants dans le fait que la viticulture française détient la capacité de sortir par le haut de cette crise, tout simplement parce qu'elle en a toutes les ressources. C'est un secteur économique d'excellence. Nous plaidons pour l'organisation sans délai d'assises de la viticulture, où chacun devra être amené à prendre ses responsabilités.

C'est en jouant en équipe que la filière viticole fera face aux défis dressés sur son chemin. Il y a bien un avenir pour elle.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Merci aux trois rapporteurs pour ce travail, mené avec passion.

M. Franck Montaugé. - Merci à tous les trois pour ce travail aussi remarquable que nécessaire et urgent. Je m'interroge sur le vote de ce rapport, qui formule des recommandations nombreuses aux conséquences importantes. Dans mon territoire, la viticulture occupe une grande place, et je voudrais pouvoir discuter avec mes interlocuteurs locaux avant de voter. Je suis convaincu de la qualité du rapport après en avoir parcouru les recommandations. J'y suis plutôt favorable à titre personnel. Néanmoins, je voudrais voter en connaissance de cause, en fonction d'une lecture approfondie et des discussions avec mes interlocuteurs. Est-il possible de décaler le vote ?

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - J'entends ces réflexions légitimes. Nous sommes attendus. Ne pas voter ce rapport, sa publication ou ses 23 recommandations serait dommageable.

Je suis plutôt favorable à ce que nous votions aujourd'hui, comme sur tous les rapports d'information depuis la reprise de nos travaux parlementaires. Cela n'empêche pas chacun de sonder son territoire.

M. Daniel Laurent, rapporteur. - Nous sommes attendus. Il y a urgence. Vous connaissez les difficultés des territoires viticoles. Tout a été organisé pour que le rapport soit publié le plus rapidement possible après les vendanges.

Je voudrais tranquilliser Franck Montaugé. Nous avons rencontré 130 personnes, dont de très nombreux représentants des filières viticoles, et nous sommes allés largement, grâce à la visioconférence, en Europe et à l'étranger. Jusqu'à présent, la viticulture ronronnait, en courbant l'échine pendant les crises. Elle n'a pas pris de décisions systématiques pour avancer dans le bon sens. Ce rapport formule des recommandations décoiffantes, mais qui vont dans le bon sens.

M. Henri Cabanel, rapporteur. - Je comprends l'interrogation de Franck Montaugé, car ce rapport est riche de recommandations.

M. Franck Montaugé. - Je ne dis pas qu'elles sont trop nombreuses !

M. Henri Cabanel, rapporteur. - Ce rapport est issu d'un travail transpartisan et les auditions étaient ouvertes à tous. Je comprends toutefois que chacun souhaite en rendre compte dans les territoires.

La viticulture est une filière excessivement complexe et hétérogène. Il est évident que nous essayons d'être cohérents avec la vision des parlementaires que nous sommes. Certaines recommandations, notamment en Pays d'Oc, vont décoiffer. Nous allons être critiqués, c'est sûr, mais nous avons essayé de prendre un maximum de hauteur dans l'intérêt de la filière nationale.

Lors de toutes nos auditions, nous avons commencé par dire : « Vous n'avez pas fait le job ! ». En effet, la filière a ronronné sans prendre la mesure des enjeux de baisse de la consommation et de changement climatique. Forcément, nous n'avons pas fait plaisir à nos interlocuteurs.

Par nos propositions, nous essayons de répondre à tout cela, en écoutant tout le monde, en allant tant dans des régions où la viticulture se porte bien, comme la Bourgogne, que dans d'autres où c'est moins le cas. Nous avons essayé d'être les plus cohérents possible, malgré l'hétérogénéité de la filière. Je connais une IGP très importante dans ma région dont les représentants ne souriront pas, mais nous avons agi dans l'intérêt de la filière. Nous avons essayé de travailler en cohérence pour dégager une vision claire de l'avenir, en sachant que tout le monde devra fournir des efforts. Nous prônons l'union. Sans union, ce sera un échec.

La France a encore, dans le monde, l'image d'un pays de vin. Cette vision doit être partagée par tous les bassins viticoles.

M. Sebastien Pla, rapporteur. - Je ne voulais pas cosigner un rapport pour qu'il prenne la poussière. Ce ne sera pas le cas de celui-là. Depuis vingt ans, chacun, dans la filière, a sa propre vision des choses et les pouvoirs publics répondent au coup par coup. Cela coûte très cher pour un résultat assez défavorable. Ayons le courage de dire les choses, même si cela ne fera pas plaisir à tous puisque chacun défend son pré carré sans tendre la main aux autres ni dégager une vision générale et partagée. Celui qui est en amont dit que celui qui est en aval profite de lui, alors que peut-être que le premier ne produit pas ce que le second est capable de vendre. Personne ne se parle. Alors, oui, nous allons être vivement critiqués !

M. Franck Montaugé. - J'ai bien entendu vos explications. Quelle est la position de la coopération viticole française sur vos propositions ? Henri Cabanel a fait allusion aux problèmes sur son territoire. Est-ce lié à la fusion suggérée entre Confédération nationale des producteurs de vins et eaux-de-vie de vin à appellations d'origine contrôlées (Cnaoc) et de la confédération des vins IGP de France (Vins IGP) ?

Qu'en est-il de la dimension budgétaire ? Le caractère d'urgence appelle un engagement du ministère de l'agriculture. On l'interpelle, mais il ne répond pas.

M. Henri Cabanel, rapporteur. - Nous sommes en accord sur ce dernier point. Nous devons continuer à faire pression sur le Gouvernement pour que les engagements envers la restructuration des caves coopératives soient tenus, notamment le déblocage des 10 millions d'euros promis. Nous rencontrerons la ministre de l'agriculture bientôt.

Daniel Laurent l'a largement évoqué : il existe une multitude d'organisations. Dans le Languedoc, il y a quatre interprofessions ; il en faut une, voire deux, mais pas quatre ! Il faut concentrer les budgets. Nous demandons à la filière de réduire le nombre d'acteurs.

M. Franck Montaugé. - Vous vous attaquez à une dimension culturelle importante.

M. Henri Cabanel, rapporteur. - Nous avons auditionné de nombreux acteurs. Nous avons pris en compte leurs remarques, mais il est impossible de tous les contenter. Nous mettons en avant l'impérative nécessité d'être unis. Il faudra que chacun mette de l'eau dans son vin, si je puis dire.

Il y a une vraie hétérogénéité, même au sein d'un même bassin viticole. Certaines coopératives ont très bien compris les enjeux, mais ce n'est pas le cas de toutes.

M. Daniel Laurent, rapporteur. - La Champagne et la région de Cognac ont su équilibrer leur production et leur vente. Beaucoup de choses pourraient être faites sur d'autres territoires.

Mme Évelyne Renaud-Garabedian. - Avec Yannick Jadot, je suis rapporteur de la mission d'information sur la nouvelle donne du commerce international. Lors des nombreuses auditions que nous avons menées, nos interlocuteurs, qu'ils soient économistes, chercheurs, avocats, représentants des douanes ou des fédérations professionnelles, nous ont déclaré qu'il n'y avait pas de hausse significative des droits de douane, de façon générale à l'échelle nationale. Je crains que ce diagnostic macroéconomique rassurant ne fasse oublier des filières en première ligne, comme la viticulture, dans les négociations. La filière vin est-elle bien défendue à l'occasion des négociations des accords de libre-échange et comment s'assurer qu'elle ne soit pas sacrifiée dans un compromis global ? La France met deux, trois ou quatre ans pour prendre une décision, alors que Donald Trump décide en une heure. À tout moment, les montants des droits de douane peuvent augmenter considérablement.

M. Daniel Laurent, rapporteur. - Nos ministres de l'agriculture et de l'économie interviennent auprès de la Commission européenne. Malheureusement, nous subissons, l'Union européenne n'arrivant pas à entrer dans un rapport de force constructif avec la Chine et les États-Unis.

M. Lucien Stanzione. - Ce rapport formule nombre de propositions décoiffantes. Daniel Laurent est venu dans le Vaucluse. On aurait aussi pu organiser des auditions dans la vallée du Rhône.

M. Henri Cabanel, rapporteur. - Nous avons auditionné Inter Rhône.

M. Lucien Stanzione. - On ne peut pas nier le travail considérable de nos collègues. Mais je sais que des professionnels sauteront au plafond quand ils liront certaines recommandations.

Il faudrait des points d'étape au cours de la rédaction des rapports pour être tenus informés.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Compte tenu de l'agenda et de la charge de travail, c'est impossible. Ne nous leurrons pas.

Mme Marie-Lise Housseau. - Je veux vous confirmer l'urgence. Les élus de mon territoire ont été sollicités cet été par Vinovalie dont la situation est désastreuse, alors que cette coopérative, jugée exemplaire, a réalisé beaucoup d'efforts de restructuration. Leurs banques historiques ne veulent plus les aider à surmonter leurs difficultés de trésorerie. Je retrouve dans ce rapport un certain nombre de points évoqués par les responsables, qui m'ont bien rapporté les intérêts divergents des viticulteurs. Le cognac, qui produit du vin blanc, a asséché le marché des viticulteurs du Tarn.

Je pense qu'il faut faire confiance aux rapporteurs et voter ce rapport.

M. Daniel Salmon. - Merci aux rapporteurs pour leur important travail. Je rejoins les propos de Franck Montaugé sur la méthode d'adoption des rapports. Nous découvrons des préconisations sur table, or, nous ne sommes pas tous experts de la matière. Les recommandations de ce rapport me semblent très positives, mais j'aurais besoin d'approfondir certains points.

La filière viticole appartient à notre culture, elle façonne nos paysages, mais elle est mal en point de façon structurelle et durable. Il faut, en effet, prendre de la hauteur.

On peut regretter la baisse de la consommation de vin, mais l'alcool fait encore 49 000 morts par an en France et selon le directeur de la police d'Ille-et-Vilaine, 80 % des violences intrafamiliales sont liées à des problèmes d'alcool.

Le sujet des assurances n'est abordé que dans la dernière recommandation. Il est fondamental. Les aléas climatiques entraînent une production erratique.

L'installation-transmission pose aussi problème. Toute une génération s'apprête à partir à la retraite, or, une grande partie des jeunes n'ont pas la même vision que leurs aînés. Alors que la SAU de la vigne n'est que de 3 %, la viticulture consommerait 20 % des pesticides utilisés dans notre pays. Le modèle doit sans doute évoluer pour attirer davantage les jeunes.

La construction du prix doit être davantage étudiée. Où est la marge ?

La diversification est essentielle. C'est là que se trouve la résilience. La monoculture est néfaste. Il ne faut pas mettre tous ses oeufs dans le même panier !

Il me paraît essentiel de travailler sur les débouchés du vin.

M. Bernard Buis. - Merci pour ce rapport important qui met les pieds dans le plat. La baisse de la consommation est phénoménale. Or, la tendance ne changera pas. Il faut en être conscient. Des sommes ont été massivement versées à la filière viticole depuis des années, à fonds perdu. Cela doit cesser. Désormais, il ne faut produire que ce que l'on est capable de commercialiser.

Ce rapport fera prendre conscience à tous les territoires des éléments sur lesquels il faut avancer ensemble.

Il faut cesser la monoculture et privilégier la culture différenciée. Les vignobles du Tricastin, dans la Drôme, ont été restructurés et les agriculteurs s'en sortent bien.

Je voterai ce rapport sans état d'âme.

Mme Anne-Catherine Loisier. - Je salue les rapporteurs, qui se sont rendus en Côte d'Or, tout petit vignoble qui a toujours jugulé les crises, par une collaboration fructueuse entre producteurs et négociants.

Le sujet de la transmission reste majeur.

Une stratégie en faveur des vins de France à l'étranger doit être adoptée. C'est ainsi qu'on luttera contre nos concurrents italiens, bien plus organisés.

Les viticulteurs de Côte d'Or m'ont sollicitée pour que la filière entre davantage dans le dispositif Égalim. Qu'en pensez-vous ?

M. Serge Mérillou. - Je voterai ce rapport, ne serait-ce que par confiance envers les rapporteurs. La situation du monde viticole est pire que ce que j'imaginais il y a encore quelques mois : suicides, découragement. Le Bordelais est au bord du précipice. L'arrachage de vignes modifie le paysage. Si le rapport décoiffe, tant mieux ! Il faut redonner confiance à cette filière.

M. Denis Bouad. - Je voterai ce rapport.

La recommandation n° 3 vise à « sanctuariser, dans le cadre du débat sur les agences, l'existence de l'Institut national de l'origine et de la qualité (Inao) ». Alors que l'État s'en désengage budgétairement, il faut demander cette sanctuarisation avec force.

Dans le Gard, on dénombre 46 caves coopératives. Je dis depuis trois ans qu'il faut en supprimer la moitié, mais je prêche dans le désert. Ces caves n'ont plus de liquidités. Le Crédit agricole a des encours qui font peur.

Chez moi, le changement climatique et le manque d'eau posent la question de l'avenir de la viticulture.

Ce rapport décoiffe : tant mieux.

M. Yannick Jadot. - Je confirme les propos d'Évelyne Renaud-Garabedian. Il est aberrant de voir, dans les grandes foires internationales, les stands de l'Italie, de l'Espagne, puis ceux de chaque région française.

Avez-vous traité la question de la financiarisation de certaines appellations et de son impact sur la gestion de ces filières ?

Qu'en est-il de la demande et de l'offre de nouvelles méthodes de production ? Une bouteille sur quatre, ou sur cinq, est issue de la viticulture biologique. Il y a de nouveaux modes de production, de nouveaux usages, de nouveaux clients.

M. Henri Cabanel, rapporteur. - La consommation d'alcool doit être modérée : pas plus de deux verres par jour et pas tous les jours. Les exemples cités par monsieur Salmon sont liés à l'addiction à l'alcool.

Notre rapport aborde largement les cépages résistants, qui divisent par trois à cinq l'usage d'intrants. L'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae) a été précurseur en la matière, mais la filière ne s'en est pas saisie. Nous voulons une surprime à la plantation pour ces cépages. L'avenir de la viticulture bio passera par là.

Le vignoble français bio est le premier au monde, avec 24 % des surfaces viticoles plantées en bio.

En ce qui concerne les subventions et l'impression que l'argent versé à la filière est dépensé à fonds perdu, permettez-moi de vous faire part d'une anecdote : chaque année la chambre d'agriculture de l'Hérault organise une réunion à l'occasion des vendanges, avec le préfet, les élus, tous les acteurs, etc. Je n'en ai raté aucune : à chaque fois, la filière a demandé des subventions. Certes, la chambre d'agriculture joue son rôle de syndicat, mais cela signifie qu'il y a un manque de stratégie, en amont, concernant l'utilisation de cet argent, et que nous devons aussi, en tant qu'élus, être vigilants quant à l'emploi de l'argent public.

Il est vrai que les vignerons de Côte d'Or n'ont pas de problème pour vendre leurs productions, mais ils rencontrent des difficultés pour transmettre leur exploitation. Les terres du vignoble bourguignon ont été surévaluées : les viticulteurs sont riches, certes, mais ils se rendent compte qu'ils ne peuvent plus transmettre leurs terres. Il faut trouver des solutions.

Sur la loi Égalim, il convient de généraliser la publication des indicateurs de coûts de production. En outre, l'IGP Pays d'Oc s'est saisi d'outils complémentaires prévus par le droit européen. Nous devons encourager cela car il est vrai qu'il est problématique de trouver des bouteilles de Bordeaux à un euro dans certains supermarchés.

En ce qui concerne l'Institut national de l'origine et de la qualité, nous recommandons de le sanctuariser et que l'État respecte son engagement d'augmenter sa contribution à son financement. Nous devons faire confiance à cet organisme qui nous semble indispensable.

Nous demandons à l'État de tenir son engagement de verser les 10 millions d'euros promis pour accompagner la restructuration des caves coopératives. Le département de l'Hérault a pris de l'avance et a déjà entamé cette politique de restructuration depuis une dizaine d'années. Toutefois cette politique ne sera efficace que si elle s'accompagne d'un changement de stratégie : si l'on fusionne deux coopératives qui vont mal, celle qui sera issue de la fusion ira mal.

En ce qui concerne l'eau, je suis très clair : les parlementaires qui disent qu'il y aura assez d'eau pour tous les usages agricoles mentent ! Il n'y aura pas assez d'eau pour tout le monde ! L'agriculture a besoin d'eau, mais il faut qu'elle soit utilisée à bon escient. Pour être équitables à l'égard de ceux qui manquent d'eau, nous préconisons d'instaurer un financement public pour la restructuration des sols, de même que la PAC fournit des financements publics pour l'irrigation. Il s'agit que le peu d'eau de pluie qui tombe soit utilisé de manière optimale.

Je déplore, comme Yannick Jadot, que la France ne fasse pas bloc à l'occasion des salons. Nous l'avons dénoncé plusieurs fois. C'est un handicap pour nos exportations : si nous sommes bons en valeur, nous sommes très mauvais en volume. Nous exportons entre 12 et 13 millions d'hectolitres de vins, quand nos concurrents italiens en exportent 21 ou 22, de même que nos concurrents espagnols, car ils sont groupés et déploient une stratégie commerciale qui nous fait défaut.

La financiarisation du foncier pose des problèmes. On le constate en Bourgogne. Une loi foncière est nécessaire.

M. Yannick Jadot. - Les vignerons sont propriétaires en Bourgogne. Ce n'est pas le cas dans le Bordelais.

M. Henri Cabanel, rapporteur. - Pas tous, mais il y a une volonté de mainmise de la part d'un grand groupe français, qui fait de la spéculation foncière et fait exploser les prix. Une loi est nécessaire.

M. Daniel Laurent, rapporteur. - Dans ce rapport transpartisan - j'insiste sur ce point -, nous formulons des recommandations décoiffantes, mais indispensables, sur la base des données que nous avons recueillies dans l'essentiel des régions, afin de garantir l'avenir de la viticulture. La viticulture va mal. Pour se redresser, elle doit prendre son destin en main.

M. Sebastien Pla, rapporteur. - Nous émettons des préconisations. Celles-ci ne sont pas obligatoires. Toutes ne pourront pas être mises en oeuvre par le législateur ou par Bruxelles : nombre d'entre elles relèveront de l'action des professionnels du secteur, s'ils le souhaitent. C'est un travail collectif. Il était de notre responsabilité de faire des préconisations susceptibles parfois de heurter les uns ou les autres, mais un sursaut est nécessaire, car la filière continue de perdre des parts de marché.

Les recommandations sont adoptées.

La commission adopte le rapport d'information et en autorise la publication.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 12 h 45.


* 1 Directive européenne du 18 octobre 2023 sur les énergies renouvelables.