Mardi 28 octobre 2025

- Présidence de Mme Pascale Gruny, vice-président -

La réunion est ouverte à 16 h 30.

Proposition de loi visant à libérer l'accès aux soins dentaires - Examen du rapport et du texte de la commission

Mme Pascale Gruny, président. - Notre ordre du jour appelle l'examen du rapport de Guylène Pantel et l'élaboration du texte de la commission sur la proposition de loi visant à libérer l'accès aux soins dentaires de notre collègue Raphaël Daubet, examinée en séance publique le 6 novembre.

Mme Guylène Pantel, rapporteure. - J'ai l'honneur de vous présenter les dispositions de la proposition de loi de notre collègue Raphaël Daubet, inscrite à l'ordre du jour des travaux du Sénat dans le cadre de l'espace réservé du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen (RDSE). Ce texte crée une nouvelle profession de santé : les assistants en prophylaxie bucco-dentaire.

La France est confrontée à d'importantes difficultés d'accès aux soins dentaires dues à une densité insuffisante de professionnels sur le territoire ainsi qu'à une répartition inégale des praticiens. En effet, la démographie des chirurgiens-dentistes a connu une légère baisse entre 2004 et 2010 puis une trop faible croissance jusqu'en 2019 face à la hausse de la demande liée à l'augmentation et au vieillissement de la population. Il en résulte un écart grandissant entre l'offre et le besoin de soins dentaires. Au 25 septembre 2025, on compte 49 156 chirurgiens-dentistes en activité, soit 7 000 de plus qu'il y a treize ans - la hausse s'accélère. Néanmoins, malgré cette évolution positive, les difficultés persistent. Les inégalités territoriales tendent même à s'aggraver dans les zones rurales, les praticiens se concentrant dans les centres de santé en ville. Ainsi, la profession de chirurgien-dentiste est celle qui présente les inégalités d'accès territorial les plus fortes en France.

Au sein des cabinets dentaires, la profession d'assistant dentaire, sanctionnée par un diplôme de niveau 4, consiste à « assister le chirurgien-dentiste ou le médecin exerçant dans le champ de la chirurgie dentaire dans son activité professionnelle, sous sa responsabilité et son contrôle effectif ». L'assistant accompagne le praticien lors de ses interventions en lui donnant les instruments nécessaires, qu'il nettoie, désinfecte et stérilise. Enfin, il tient à jour les dossiers des patients en fonction des demandes du praticien. Le statut et la formation actuels des assistants dentaires ne leur permettent pas de réaliser d'actes cliniques ou techniques, ni d'effectuer d'actes en bouche. Par ailleurs, ils ne peuvent intervenir sans le contrôle effectif du praticien, ce qui empêche de procéder à des délégations de tâches.

La création d'une formation de niveau 5 au répertoire national des certifications professionnelles (RNCP) constitue une attente forte de la profession, car elle permettrait une véritable délégation de certains actes sous le contrôle du chirurgien-dentiste, ainsi que la mise en place de missions « d'aller-vers » en dehors du lieu d'exercice.

Pour répondre à cette demande, nous avions adopté en 2023, dans le cadre de l'examen de la loi dite « Rist 2 », des dispositions permettant à des assistants dentaires d'obtenir une certification les autorisant à pratiquer certains actes complémentaires. Toutefois, plus de deux ans après la promulgation de cette loi, les textes réglementaires d'application nécessaires à la création du statut d'assistant dentaire de niveau 2 n'ont toujours pas été publiés. Aucun professionnel ne peut donc exercer sous le statut de niveau 2. La loi ne créant pas une profession distincte, il était impossible au pouvoir réglementaire de prévoir deux niveaux de formation différenciés pour une même profession, entraînant ainsi le maintien des assistants dentaires dans un niveau 4 de formation. Par ailleurs l'exigence de présence physique du chirurgien-dentiste pour assurer le contrôle effectif de ces assistants dentaires de niveau 2 empêche le déploiement d'actions de prévention bucco-dentaire dans les établissements médico-sociaux, scolaires ou auprès des publics vulnérables, alors même que ce volet prophylactique est un impératif sanitaire.

Dans ce contexte, cette proposition de loi est très attendue par les acteurs du secteur, chirurgiens-dentistes comme assistants dentaires. Elle crée, par son article unique, la profession d'assistant en prophylaxie bucco-dentaire. Selon la définition du Larousse, la prophylaxie désigne « l'ensemble de moyens médicaux mis en oeuvre pour empêcher l'apparition, l'aggravation ou l'extension des maladies ».

Ce nouvel assistant en prophylaxie bucco-dentaire pourra exercer deux missions bien distinctes : une mission clinique et technique, dans laquelle il doit être supervisé par un praticien ; une mission de prévention qu'il peut exercer sans contrôle effectif du praticien, hors des cabinets dentaires.

Concernant les missions exercées en cabinet, le texte prévoit que l'assistant en prophylaxie bucco-dentaire participe, « sous la responsabilité et le contrôle effectif » d'un praticien, à divers actes cliniques ou techniques actuellement exclusivement dévolus aux chirurgiens-dentistes ou aux médecins. Ainsi, l'assistant pourrait participer à la réalisation d'actes d'imagerie à visée diagnostique et d'actes prophylactiques tels que les détartrages et le contrôle des muqueuses pour repérer des pathologies, d'actes orthodontiques, comme la dépose des ligatures élastiques ou métalliques, ou à des soins post-chirurgicaux, notamment la surveillance post-chirurgicale immédiate. Élément essentiel, le texte prévoit que le nombre d'assistants en prophylaxie bucco-dentaire au sein du cabinet soit inférieur ou égal au nombre de praticiens, afin de garantir l'effectivité du contrôle et du suivi. Cette précision est souhaitée par l'ensemble des personnes entendues en audition afin d'éviter une industrialisation des soins, de type « usine à détartrage ».

Concernant les missions pouvant être réalisées en dehors du lieu d'exercice et hors du contrôle effectif du praticien, le texte confère à l'assistant la possibilité d'intervenir, dans le cadre d'actions de prévention, d'éducation à la santé bucco-dentaire et de suivi prophylactique en établissement de santé, social ou médico-social, ou scolaire. Je présenterai un amendement précisant la responsabilité du chirurgien-dentiste lors de ces actions « d'aller-vers ». Il reste en effet le seul responsable de ses salariés et devra à ce titre contrôler les éléments exposés et les actions réalisées par l'assistant.

Le texte prévoit qu'un décret en Conseil d'État fixe la liste des activités et des actes que les assistants pourront être autorisés à réaliser. Ce décret serait soumis à avis des académies nationales de médecine et de chirurgie dentaire. Je présenterai un amendement prévoyant que les ordres concernés soient également consultés lors de la préparation de ce décret.

Pour ce qui est des modalités d'accès à la profession, la proposition de loi ouvre plusieurs voies. La profession serait ouverte à toute personne titulaire d'un titre de formation français créé ad hoc et non pas uniquement aux assistants dentaires comme le prévoit le droit actuel. Cette question a été largement évoquée lors des auditions. Or, les représentants des assistants dentaires ont indiqué souhaiter que ce nouveau métier soit réservé aux seuls assistants dentaires qualifiés. La direction générale de l'offre de soins (DGOS) s'est exprimée également en faveur d'un accès réservé aux assistants dentaires dans le cadre la formation continue.

Selon la proposition de loi, les assistants dentaires bénéficieraient toutefois de facilités pour accéder à cette profession, puisqu'ils pourraient obtenir le titre dans le cadre de la formation continue, dans des conditions fixées par arrêté. Sous réserve qu'ils aient atteint un niveau de connaissance suffisant et qu'ils en soient individuellement autorisés, certains étudiants en chirurgie dentaire pourraient aussi exercer le métier d'assistant en prophylaxie bucco-dentaire durant leurs études. Enfin, pourraient être individuellement autorisés à exercer les ressortissants d'un État membre de l'Union européenne ou partie à l'Espace économique européen (EEE) ne disposant pas du titre français, mais d'un autre titre considéré comme équivalent, selon des modalités similaires à celles qui s'appliquent actuellement à l'exercice du métier d'assistant dentaire ou même de kinésithérapeute par des ressortissants européens non titulaires du titre français.

Sur ces différents points, j'ai souhaité, en accord avec M. Daubet, présenter plusieurs amendements. Tout d'abord, j'ai déposé un amendement réservant l'accès à cette profession aux seuls assistants dentaires après une durée minimale d'exercice de la profession. Cet amendement vise à revenir à l'esprit des dispositions adoptées lors de l'examen de la loi Rist 2 et répond à une demande forte à la fois des assistants dentaires et des chirurgiens-dentistes, mais également de la DGOS. Par dérogation, les étudiants en chirurgie dentaire pourraient toujours être autorisés à exercer cette profession durant leurs études.

J'ai également souhaité prévoir une procédure d'enregistrement préalable auprès des autorités avant l'entrée dans la profession ainsi que, pour les professionnels issus d'un autre État membre de l'Union européenne, un contrôle des connaissances linguistiques nécessaires à l'exercice de la profession.

Je souhaite insister sur l'importance de la prévention bucco-dentaire, véritable enjeu de santé publique. Je regrette à ce titre le manque criant de données actualisées disponibles sur la santé bucco-dentaire des Français et notamment des plus jeunes et des plus âgés d'entre eux. Dans ce contexte, la perspective de cette nouvelle profession qui sera à même d'intervenir dans les écoles et les établissements médico-sociaux pour effectuer des actions de prévention constitue un atout majeur. Dans les Ehpad, ces nouveaux assistants pourraient repérer en amont des situations et comportements à risques et faciliter ainsi l'intervention du chirurgien-dentiste dans le cas où la situation le nécessiterait.

Au sein des cabinets, ces assistants pourraient réaliser certains actes considérés comme plus simples tels que les détartrages afin que les praticiens puissent mieux prendre en charge les patients souffrant de pathologies plus complexes, et augmenter leur disponibilité. Selon le Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes, cette nouvelle profession pourrait dégager 2 ou 3 heures de temps médical journalier par cabinet.

Aussi, je vous proposerai de remplacer le terme d'assistant en prophylaxie bucco-dentaire, trop restreint par rapport à la réalité des missions et trop abscons pour les usagers du système de santé, par celui d'assistant en santé bucco-dentaire. L'appellation de cette nouvelle profession a suscité de nombreux débats lors des auditions. Il me semble que cette solution permette d'appréhender son rôle dans sa globalité.

Il me revient, enfin, de vous proposer un périmètre pour l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution. Je considère que celui-ci inclut des dispositions relatives aux conditions d'accès à la profession d'assistant en prophylaxie bucco-dentaire et à ses conditions d'exercice. En revanche, j'estime que ne présenteraient pas de lien, même indirect, avec le texte déposé, des amendements relatifs aux compétences et aux règles applicables à d'autres professions de santé ; aux modalités générales d'organisation des soins dentaires ; à la gouvernance ou au pilotage de notre système de santé.

Il en est ainsi décidé.

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale. - Je trouve ce sujet extrêmement intéressant. Je parraine un colloque dédié à la santé bucco-dentaire, qui aura lieu le 15 décembre au Sénat. Je vous y invite tous ! J'essaie de stimuler la prévention bucco-dentaire depuis des années, notamment auprès des jeunes enfants. Bien soigner ses dents et ne pas manger trop de sucre facilite la digestion et permet de se sentir bien dans sa vie.

Le colloque abordera, lors de tables rondes, les thèmes suivants : « santé bucco-dentaire : quelle place dans les plans de prévention ? », « Santé bucco-dentaire et sécurité : quelles garanties pour les patients et les professionnels ? » et « Inégalités d'accès aux soins bucco-dentaires : vers un système à plusieurs vitesses ? »

Je pensais que tous les problèmes concernant les assistants dentaires avaient été réglés par la loi Rist 2, mais ce n'est pas le cas.

Je suis favorable à tout ce qui améliore la santé bucco-dentaire.

M. Bernard Jomier. - Merci à Raphaël Daubet dont la proposition de loi répond à une demande ancienne de la profession. On ne peut que regretter que le Gouvernement n'ait pas pris les mesures nécessaires plus tôt. Stéphanie Rist, ministre, donnera-t-elle un avis favorable à une proposition de loi qui tire un trait sur le statut créé par la loi déposée par Stéphanie Rist, parlementaire ? Le Gouvernement est-il prêt à inscrire cette profession dans le code de la santé publique ?

Ce texte crée utilement le statut d'assistant en prophylaxie bucco-dentaire et en détermine les contours. Mais l'amendement COM-12 me trouble. Il prévoit, alors que le cadre n'est pas encore fixé, d'inscrire la profession dans les protocoles de coopération, qui peuvent créer des dérogations aux champs de compétences. Cet amendement n'est-il pas un peu précoce ?

Globalement, néanmoins, nous accueillons ce texte très favorablement.

M. Daniel Chasseing. - Je souhaite féliciter l'auteur de la proposition de loi, ainsi que le rapporteur. La création de cette profession d'assistant en santé bucco-dentaire soulagera les dentistes. Deux d'entre eux m'ont dit y être favorables. En effet, ils pourront recevoir plus de clients. Les assistants travailleront sous la responsabilité du praticien.

La prévention est très importante, en Ehpad comme dans les établissements scolaires. Même si comparaison n'est pas raison, les orthoptistes aident les ophtalmologistes à accueillir plus de clients.

La possibilité pour les assistants dentaires de devenir assistants en santé bucco-dentaire est très positive. Je suis très favorable à cette proposition de loi.

Mme Florence Lassarade. - Merci à Guylène Pantel pour son rapport.

Qui formera ces assistants en prophylaxie dentaire ? La formation continue se fera-t-elle au sein du cabinet ? L'exercice du détartrage par ces assistants libérera du temps pour le dentiste à condition de disposer d'un deuxième fauteuil. La mise à disposition du matériel pose un problème d'organisation interne.

Mme Jocelyne Guidez. - Merci pour cette proposition de loi. Qu'en sera-t-il des personnes handicapées ? Le seul bruit de la roulette peut les impressionner. Les assistants suivront-ils des stages spécifiques pour les accompagner ?

M. Martin Lévrier. - Merci, madame la rapporteure, pour votre présentation. Vous avez parlé de déserts dentaires. N'y a-t-il pas le risque que ces nouveaux personnels soient recrutés par les gros cabinets, ce qui entraînerait un effet contraire au but recherché en créant ce métier ?

Mme Guylène Pantel, rapporteure. - Le ministère valide cette proposition de loi.

La formation sera organisée par la profession, qui ne demande, à ce stade, pas de financement. Tout sera fait en interne. Les chirurgiens-dentistes comme les assistants dentaires nous l'ont confirmé. Des formations spécifiques à chaque public seront prévues. Le groupe de travail mis en place par la DGOS a déjà envisagé les contours de la formation qui pourrait être d'une durée de 18 mois et qui se déroulerait en alternance au sein du cabinet du chirurgien-dentiste dans lequel il est recruté.

À chaque chirurgien-dentiste correspondra un assistant, ce qui empêchera le développement d'usines à détartrage et limitera le développement de gros cabinets.

Les cabinets devront s'organiser pour installer un deuxième fauteuil, mais le dentiste libérerait ainsi deux heures par jour pour des pathologies plus lourdes.

Une très bonne hygiène bucco-dentaire dès le plus jeune âge est effectivement essentielle pour éviter les maladies futures, plusieurs études le démontrent.

EXAMEN DE L'ARTICLE UNIQUE

Article unique

Mme Guylène Pantel, rapporteure. - L'amendement COM-3 rectifié vise à remplacer le terme d'assistant en prophylaxie bucco-dentaire, qui ne permet pas d'appréhender correctement la réalité des missions exercées par cette nouvelle profession, par celui d'assistant en santé bucco-dentaire, plus large.

L'amendement COM-3 rectifié est adopté.

Mme Guylène Pantel, rapporteure. - L'amendement COM-15 tend à corriger la structure juridique du texte afin d'insérer les dispositions relatives à cette nouvelle profession au sein du chapitre III bis désormais intitulé « assistants dentaires et assistants en santé bucco-dentaire ».

L'amendement COM-15 est adopté.

Mme Guylène Pantel, rapporteure. - L'amendement COM-4 vise à modifier la liste des catégories d'actes que les nouveaux assistants en santé bucco-dentaire seraient autorisés à réaliser. Afin d'éviter qu'ils ne puissent être amenés à réaliser des actes trop invasifs en cabinet, il limite les actes orthodontiques aux seuls actes en prophylaxie. Les actes de plus haute technicité sont bien réservés aux seuls praticiens.

L'amendement COM-4 est adopté.

Mme Guylène Pantel, rapporteure. - L'amendement COM-5 rectifié a pour objet de sécuriser l'intervention, hors du lieu d'exercice, des nouveaux assistants en santé bucco-dentaire en précisant que ces derniers interviennent toujours sous la responsabilité du chirurgien-dentiste et dans le cadre d'une convention signée avec la structure d'accueil.

L'amendement COM-5 rectifié est adopté.

Mme Guylène Pantel, rapporteure. - Avis défavorable à l'amendement COM-2, qui ajoute un objectif de pertinence des soins dans le décret fixant les activités autorisées.

L'amendement COM-2 n'est pas adopté.

Mme Guylène Pantel, rapporteure. - L'amendement COM-6 prévoit que les conseils nationaux des ordres intéressés soient consultés préalablement à la publication du décret. Il vise aussi à préciser que le décret fixera les conditions dans lesquelles les actes autorisés doivent être réalisés.

L'amendement COM-6 est adopté.

L'amendement rédactionnel COM-8 rectifié est adopté.

Mme Guylène Pantel, rapporteure. - L'amendement COM-7 réserve l'accès à la nouvelle profession aux seuls assistants dentaires en exercice. Il rapproche ainsi le texte de l'esprit de la mesure adoptée par le Parlement en 2023 et répond aux demandes des représentants des assistants dentaires comme au souhait des chirurgiens-dentistes et du Gouvernement. La profession d'assistant en santé bucco-dentaire est complémentaire de celle d'assistant dentaire et peut représenter une possibilité d'évolution de carrière.

L'amendement COM-7 est adopté.

Mme Guylène Pantel, rapporteure. - L'amendement COM-9 rectifié vise à compléter les dispositions relatives aux équivalences européennes et prévoit un contrôle des compétences linguistiques lors de la délivrance de l'autorisation d'exercice pour les ressortissants de l'Union européenne ou de l'Espace économique européen.

L'amendement COM-9 rectifié est adopté.

L'amendement rédactionnel COM-10 est adopté.

Mme Guylène Pantel, rapporteure. - L'amendement COM-14 prévoit l'enregistrement obligatoire des assistants en santé bucco-dentaire auprès de l'autorité compétente afin de figurer au répertoire partagé des professionnels de santé (RPPS). Cette identification facilite la coordination entre les différents professionnels de santé impliqués dans le parcours de soins et sécurise davantage la prise en charge des patients.

L'amendement COM-14 est adopté.

Les amendements de coordination COM-11, COM-12 et COM-13 sont adoptés.

L'article unique constituant l'ensemble de la proposition de loi est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Intitulé de la proposition de loi

Mme Guylène Pantel, rapporteure. - Je propose un avis favorable sur l'amendement COM-1 rectifié bis qui met en adéquation l'intitulé de la proposition de loi avec son objet.

L'amendement COM-1 rectifié bis est adopté.

L'intitulé de la proposition de loi est ainsi modifié.

La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.

TABLEAU DES SORTS

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

Article unique : Création de la profession d'assistant en prophylaxie bucco-dentaire

Mme PANTEL, rapporteure

3 rect.

Modification du nom de la profession d'assistant en prophylaxie bucco-dentaire

Adopté

Mme PANTEL, rapporteure

15

Modification de la structure légistique du texte

Adopté

Mme PANTEL, rapporteure

4

Modification de la liste des catégories d'actes que les nouveaux assistants en prophylaxie bucco-dentaire seraient autorisés à réaliser

Adopté

Mme PANTEL, rapporteure

5 rect.

Sécurisation des conditions d'intervention des assistants en prophylaxie bucco-dentaire hors du lieu d'exercice

Adopté

Mme SOUYRIS

2

Ajout d'un objectif de pertinence des soins dans le décret fixant les activités autorisées

Rejeté

Mme PANTEL, rapporteure

6

Consultation préalable des conseils nationaux des ordres intéressés pour déterminer la liste des actes et activités autorisées pour les assistants en prophylaxie bucco-dentaire

Adopté

Mme PANTEL, rapporteure

8 rect.

Rédactionnel

Adopté

Mme PANTEL, rapporteure

7

Modification des conditions d'accès à la profession d'assistant en prophylaxie bucco-dentaire

Adopté

Mme PANTEL, rapporteure

9 rect.

Ajout des équivalences européennes permettant la transposition de la directive 2005/36 relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles

Adopté

Mme PANTEL, rapporteure

10

Rédactionnel

Adopté

Mme PANTEL, rapporteure

14

Enregistrement préalable au Répertoire partagé des professionnels intervenant dans le système de santé

Adopté

Mme PANTEL, rapporteure

11

Coordination

Adopté

Mme PANTEL, rapporteure

12

Coordination

Adopté

Mme PANTEL, rapporteure

13

Coordination

Adopté

Mme SOUYRIS

1 rect. bis

Intitulé de la proposition de loi

Adopté

- Présidence de M. Jean Sol, vice-président -

Projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2026 et projet de loi de finances pour 2026 - Audition de M. Jean-Pierre Farandou, ministre du travail et des solidarités

M. Jean Sol, président. - Nous accueillons M. Jean-Pierre Farandou, ministre du travail et des solidarités.

Monsieur le ministre, notre commission est impatiente de vous entendre sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2026 au regard des enjeux qui concernent vos champs d'action : les retraites, bien entendu, mais également la branche accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP). Deux autres textes concernent aussi notre commission : le projet de loi de finances (PLF), en particulier la mission « Travail et emploi », et le projet de loi relatif à la lutte contre les fraudes sociales et fiscales, dont la commission des affaires sociales est saisie au fond.

M. Jean-Pierre Farandou, ministre du travail et des solidarités. - Je suis très honoré d'être devant vous. Dans mes précédentes fonctions, j'ai toujours apprécié les échanges avec les sénatrices et les sénateurs. La chambre haute aborde les sujets avec profondeur et sérénité.

Vous savez d'où je viens : de la SNCF, c'est-à-dire du monde de l'entreprise, où j'ai passé 45 années, dont les six dernières comme président. Le groupe SNCF est au carrefour de nombreuses entreprises publiques. C'est un bon baromètre des inquiétudes et des attentes des Français. On dit parfois que la SNCF est un bout de la France, avec ses 150 000 cheminots répartis sur tout le territoire. À la SNCF comme dans les autres entreprises, le dialogue social, l'attention portée aux conditions de travail, le développement des compétences, la valorisation du travail, l'usure professionnelle, les retraites sont des sujets de préoccupation légitimes des salariés et des organisations syndicales, tout comme le coût de l'emploi et la compétitivité sont des sujets de préoccupation légitimes des employeurs et des organisations patronales.

Les problématiques relatives au travail, à l'emploi et à la solidarité ont toujours un écho local fort, car c'est sur le terrain que les ajustements se réalisent. En rejoignant le Gouvernement, j'ai souhaité mettre mon expérience au service des Français dans un moment de grandes difficultés sociales, économiques, politiques et géopolitiques.

J'ai mené cette réflexion en quelques heures avant de décider et j'ai préféré être dans l'action, sur le terrain, plutôt que spectateur dans les tribunes. Mais je prends ces nouvelles responsabilités avec beaucoup d'humilité. Je sais les défis nombreux, bien au-delà de ce PLFSS compliqué.

Ma méthode reste l'écoute et le dialogue. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle j'ai souhaité rencontrer certains d'entre vous le plus vite possible. Ma porte reste ouverte : je suis disponible, pour que choses avancent.

J'en viens au projet de loi de financement de la sécurité sociale, en débutant par un constat. La France dispose de l'un des meilleurs systèmes de protection sociale du monde. Nous en sommes fiers. C'est un pacte entre les Français et la nation ; c'est aussi un pacte de solidarité entre les générations. Malheureusement, les soubassements économiques de ce pacte sont fragilisés par la situation démographique. Or, les tendances démographiques sont irrésistibles. La natalité baisse tandis que la population vieillit. On atteint un ratio de 1,8 actif pour 1 retraité. En 2070, il sera de 1,4 pour 1. L'équation devient compliquée. Le mode de financement, qui repose à 65 % sur le travail, atteint lui aussi ses limites, puisqu'une partie de la dépense est universelle et non assurancielle.

Nous faisons face à des déficits croissants et alarmants. Le plafond de l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss) a été relevé à plus de 80 milliards d'euros, atteignant les limites en matière de trésorerie et de capacité à lever des fonds pour assurer le fonctionnement de nos organismes.

Le diagnostic est simple : si nous voulons préserver notre système social et le transmettre en bon état aux générations futures, nous devons trouver des solutions pour le maintenir à flot. La solidarité intergénérationnelle est essentielle : les jeunes seront un jour actifs ; les actifs seront retraités ; les retraités peuvent souffrir d'une perte d'autonomie. Chacun, dans sa vie, passe d'une branche de la sécurité sociale à l'autre.

Ce PLFSS n'a pas d'ambition structurelle. Ce n'est pas son objet : les textes budgétaires, PLF et PLFSS, n'ont qu'une portée annuelle. Aussi, il présente des réponses de court terme, tant sur le volet des recettes que sur celui des dépenses.

Réduire les dépenses n'est jamais très populaire. J'en suis conscient. Le Premier ministre l'a dit : ce PLFSS est un projet. Par conséquent, il mérite d'être amendé. Mon souhait est qu'il le soit dans le respect de notre cadre économique.

La mesure la plus forte de ce PLFSS est le gel, ou la stabilité en niveau, des prestations et des retraites. Cette année blanche nous paraît nécessaire d'un point de vue financier, parce que son rendement est de 3,6 milliards d'euros, et possible, puisque l'inflation est modérée. Nos compatriotes pourront supporter cet effort, dès lors qu'il est partagé. Je crois savoir que quelques-uns d'entre vous avaient déjà évoqué cette piste dans leurs travaux estivaux.

Cette logique d'année blanche vaut aussi pour le gel des montants des revenus utilisés pour déterminer l'application des taux réduits ou nuls de contribution sociale généralisée (CSG) sur les revenus de remplacement et par extension de l'assujettissement à la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS), la contribution additionnelle de solidarité pour l'autonomie (Casa) et la cotisation d'assurance maladie sur les retraites complémentaires.

Venant de l'entreprise, je sais combien l'emploi est décisif. Or il est créé par les entreprises. Cela suppose qu'elles soient compétitives. Il faut faire attention à rester ajusté, pour que les mesures que nous envisageons soient supportables pour les entreprises. N'alourdissons pas trop la barque de nos entreprises, qui créent de l'emploi. Or l'emploi, c'est du travail, et donc des cotisations. Tout se tient. La France est le pays de l'OCDE où les cotisations sont les plus lourdes. Les entreprises pâtissent déjà structurellement d'un handicap qu'elles ne manquent pas de rappeler.

Du côté des recettes, nous nous penchons sur les niches fiscales. Celles-ci ont été créées parce qu'on a voulu, dans un secteur considéré, envoyer un signal prix, ou plutôt un signal exonération, pour encourager une pratique.

Alors que les temps sont durs, il ne nous paraît pas anormal, du moins sur le plan intellectuel, que l'on s'interroge sur ce que sont devenues ces niches fiscales et sur la manière dont elles ont évolué par rapport à l'intention originelle qui a prévalu à leur création. N'y a-t-il pas eu une extension incontrôlée ? Il convient d'y revenir.

Par ailleurs - je serai là un peu militant -, quelle est la ressource de la sécurité sociale ? Ce sont les cotisations. Par conséquent, chaque exonération de cotisations affaiblit la sécurité sociale. Il faut donc bien réfléchir avant de créer des niches, et être conscient de leurs conséquences.

Les niches sociales sont très larges dans notre pays. Nous sommes tout à fait ouverts au débat et aux propositions alternatives à celles que nous avons faites ; d'autres pistes sont possibles. Je rappelle que le rendement de ces niches sociales est d'à peu près 1,2 milliard d'euros. Cela mérite que l'on y prête attention.

L'idée d'équité est fondamentale. Tous les contributeurs, tous les acteurs du système de protection sociale et tous les bénéficiaires doivent participer à l'effort, qu'il s'agisse des actifs, des retraités ou des opérateurs. Je respecte les professionnels pour leur savoir et leurs compétences - nous en avons besoin -, mais, au fond, tous ceux qui font partie de cet écosystème à 666 milliards d'euros doivent être solidaires d'un effort d'ajustement et de maîtrise. Cela permettra de passer le cap avant que des réformes plus structurelles puissent voir le jour dans notre pays.

Monsieur le président, je saisis bien volontiers la perche que vous m'avez tendue en évoquant le projet de loi relatif à la lutte contre les fraudes sociales et fiscales. Ce n'est pas un hasard que ce texte arrive en même temps que les projets de loi financiers : les Français ne comprendraient pas, au moment où des efforts leur sont demandés, que nous paraissions laxistes et éloignés de cette préoccupation. Bien au contraire, via le projet de loi, qui sera examiné par le Sénat le 12 novembre prochain, nous nous emparons du sujet.

Dans notre pays, la lutte contre la fraude fiscale est assez bien équipée. La direction générale des finances publiques (DGFiP) est un instrument très efficace : il est compliqué de frauder, car ses agents savent tout de nous. Sur le plan social, la lutte contre la fraude n'est pas aussi outillée, pas aussi unifiée. Il y a un effort technique à faire, ce qui suppose une loi, parce qu'il faut aussi veiller au respect des libertés. Il faut donner à nos contrôleurs du champ social les moyens de mieux faire leur métier et de lutter contre les abus, les écarts, voire les fraudes qui existent un peu partout, sans stigmatiser quiconque.

Je rappelle que le Haut Conseil du financement de la protection sociale a estimé le montant de la fraude sociale à 13 milliards d'euros. Ce n'est pas rien : c'est la moitié du déficit de la sécurité sociale. L'enjeu est important. Nous ne récupérerons certes pas 13 milliards, mais, si nous pouvons en récupérer quelques-uns, il est de notre devoir de le faire.

La volonté d'être plus efficace en la matière, sous l'impulsion du Premier ministre, est très forte au sein de l'ensemble du Gouvernement. Ce n'est pas qu'une formule. Si l'écart à la loi doit bien évidemment être puni par des mécanismes légaux, la fraude sociale et la fraude fiscale sont également moralement répréhensibles dans le moment que traverse notre pays.

L'autre grand sujet de ce projet de loi de financement de la sécurité sociale est, bien sûr, celui des retraites. Le véhicule du PLFSS a déjà été choisi par le passé pour traiter du sujet : que l'on songe à la loi de 2023. Cela avait été validé par le Conseil constitutionnel. Dès lors, rien n'empêche de le faire.

Le débat est sensible, et cette audition vous donnera l'occasion de le nourrir...

La question de la suspension est importante - je développerai ce point si vous le souhaitez. Elle peut être débattue ; elle le sera. Elle a au moins le mérite de donner du temps. Le Premier ministre m'a demandé d'utiliser ce temps pour refaire le tour du débat travail-retraite, comprendre pourquoi notre construction n'a pas totalement fonctionné et ce par quoi elle a pu pécher.

Pour ce qui me concerne - cela tient peut-être aussi à ma nature optimiste -, j'ai la conviction qu'il y a un chemin pour un accord. De fait, si l'on observe la situation avec un peu de recul, nous n'avons pas été si loin de l'obtenir. Nous l'avons manqué, à deux reprises : lors du projet de réforme de 2019-2020 ; à la sortie du conclave. Nous connaissons les raisons du blocage. On peut se demander si celui-ci était pertinent, au vu des enjeux sous-jacents. Que faudrait-il ajouter pour que ce blocage soit levé ? La chose ne me paraît pas impossible.

Nous allons donc nous donner le temps du recul en intégrant la question du travail. Pour le dire très simplement, il s'agit de répondre à la question suivante : pourquoi autant de Français, quels que soient leurs métiers - ou presque -, ont-ils, à 60 ou 62 ans, une si grande envie de quitter le monde du travail ? J'ai le sentiment que nous n'avons pas eu « l'occasion » - pour employer un terme neutre - de traiter cette question. Or il est déterminant de comprendre pourquoi les Français résistent autant à l'idée de travailler deux ans de plus ; si tel n'était pas le cas, la question des retraites se poserait différemment. C'est pourquoi il est très important que la conférence sociale aborde autant le travail que la retraite.

Concernant les retraites, je le dis tout de suite, l'objectif est de mettre à plat les différents types de régimes. Au fond, il y a, sur le sujet, une espèce de guerre de religion. En toute honnêteté, je n'ai, pour ma part, aucune idée préconçue. Ce que je souhaite, c'est que nous définissions un système de retraite qui fasse largement consensus au sein des forces vives, politiques et syndicales, et de la population.

Il est important d'essayer d'apaiser le débat et, pour ce faire, de rester factuel. J'essaierai de décrire une nouvelle fois les grands systèmes que nous connaissons - la répartition, le système par points, la capitalisation. Que signifie chacun d'eux ? Des « mix » sont-ils possibles ? Si oui, lesquels ? J'ai la conviction que nous reparlerons de la pénibilité lorsque nous évoquerons la répartition. C'est peut-être un manque sur le sujet qui peut expliquer pourquoi nous avons finalement échoué il y a quelques mois, alors que nous avons failli réussir. Quoi qu'il en soit, nous allons nous donner cette chance.

Je vous ai dit l'essentiel et vous ai donné la couleur. Je suis sûr que les questions ne manqueront pas.

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale. - Ma première question est relative au cadrage général des finances publiques, et non à la seule sécurité sociale.

Le 8 octobre dernier, dans le cadre des discussions avec les partis politiques, le Premier ministre a évoqué un objectif de déficit public pour 2026 « en dessous de 5 % » du PIB. Si l'on considère que cela correspond, par exemple, à un déficit maximal de 4,9 points de PIB, cela signifie que le déficit 2026 pourrait être augmenté d'environ 6 milliards d'euros par rapport au déficit de 4,7 points de PIB actuellement prévu. Faut-il comprendre les choses ainsi ? Si oui, cette « marge d'aggravation du déficit » a-t-elle été répartie entre État et sécurité sociale ?

Selon le texte résultant de la lettre rectificative, le coût de la suspension de la réforme des retraites est estimé, pour le système de retraite, à 100 millions d'euros en 2026 et à 1,4 milliard d'euros en 2027. Pourtant, lors de son discours de politique générale, le 14 octobre, le Premier ministre a indiqué que le coût de la mesure était « de 400 millions d'euros en 2026 et de 1,8 milliard d'euros en 2027 ». Nous comprenons qu'il s'agit, dans les deux cas, d'un chiffrage sur le seul champ du système de retraites. Comment expliquer l'écart entre, d'une part, les montants indiqués par le Premier ministre lors de sa déclaration de politique générale, et, d'autre part, le texte résultant de la lettre rectificative ?

Pour sa part, la presse a fait état de chiffrages nettement plus élevés du coût de la suspension de la réforme des retraites que ceux qui figurent dans l'exposé des motifs de l'article de la lettre rectificative. Le 8 octobre 2025, le Premier ministre a déclaré, sur France 2, que le coût de la suspension serait de « pas moins de 3 milliards d'euros » en 2027. Le même jour, Roland Lescure a annoncé que la mesure coûterait « des centaines de millions en 2026, des milliards en 2027 », et TF1-LCI a précisé que « Bercy chiffre une mise en pause de la réforme à 500 millions d'euros en 2026 et 3 milliards d'euros en 2027. » Dans ces conditions, nous comprenons que les Français soient perdus !

Nous comprenons que ces chiffrages à 3 milliards d'euros en 2027 concernent l'ensemble des administrations publiques, en prenant notamment en compte l'effet de la moindre croissance économique, et non le seul système de retraite. Pouvez-vous nous confirmer ce point ?

Mme Pascale Gruny, rapporteur pour la branche vieillesse. - Nous avons regretté que la réforme de 2023 ait pris place dans un texte purement financier et que nous n'ayons pu obtenir d'équilibres sur la pénibilité, les carrières longues et la retraite des femmes - sur ce dernier point, il y a une avancée. Nous attendons depuis 2023 la loi sur le travail que Mme Borne nous avait promise ; nous aurions pu y inscrire des dispositions qui auraient permis l'acceptabilité du report de l'âge.

Je veux d'abord rebondir sur la question de Mme la rapporteure générale. Je confirme que nous sommes un peu perdus dans les chiffres... Si l'on comprend bien, les estimations à 3 milliards d'euros en 2027 portent non sur le seul système de retraite, mais sur l'ensemble des administrations publiques. Si l'on fait un calcul rapide, l'écart d'environ 1,5 milliard d'euros pour 2027 - 1,4 milliard d'euros pour le seul système de retraite selon l'évaluation préalable ; 3 milliards d'euros pour l'ensemble des administrations publiques selon les autres déclarations - suggère que la suspension de la réforme des retraites réduirait le PIB d'environ 0,1 point en 2027. Pouvez-vous nous dire ce qu'il en est ?

Comme cela nous a été dit par vos services, nous avancerons, pour la première fois depuis 1982, l'âge d'ouverture des droits à la retraite en suspendant l'application de la réforme de 2023 pour les générations de 1964 et 1965. Avez-vous une idée du coût qu'une telle mesure va engendrer pour l'ensemble des caisses de retraite qui vont devoir recalculer des liquidations de pensions ?

L'article 43 du PLFSS pour 2026 prévoit de réformer le cumul emploi-retraite dans le sens des recommandations émises par la Cour des comptes, afin d'en limiter les effets d'aubaine et de réserver l'accès au cumul intégral aux seuls assurés ayant atteint l'âge de 67 ans. Cette mesure a pour objet d'encourager les seniors à rester plus longtemps sur le marché du travail. Or nous savons que le taux d'emploi des seniors en France est le plus faible d'Europe, malgré une légère progression. Quels outils les entreprises ont-elles à leur disposition pour continuer à former les seniors et à entretenir leur productivité ? Surtout, comme j'ai pu le demander en 2023, les entreprises vont-elles garder leurs seniors ?

Mme Marie-Pierre Richer, rapporteure pour la branche accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP). - La branche AT-MP a longtemps été excédentaire, mais sa situation financière a aujourd'hui de quoi préoccuper : à compter de 2025, une situation de déficit structurel devrait s'installer, avec des taux de déficit prévisionnels allant jusqu'à 8 % pour 2027. Il s'agira très certainement du pire déficit de l'histoire de la branche. Ce constat amène deux questions.

Si nous déplorons la situation financière en elle-même, il est peut-être encore plus regrettable que la détérioration du solde de la branche soit le fruit d'un choix politique. En effet, bien plus que la dynamique des prestations, c'est la hausse conjointe du transfert à la branche maladie et du transfert de recettes à la branche vieillesse qui plonge la branche AT-MP dans le déficit. Si je ne conteste pas la pertinence du transfert pour la sous-déclaration, ce phénomène étant bien étayé, force est de constater que les estimations qui fondent son montant sont volatiles, du fait du manque de fiabilité des données. Elles placent désormais la branche AT-MP dans une situation financière difficile. Sans les transferts aux branches maladie et l'attribution du taux de cotisation AT-MP à la branche vieillesse, la branche AT-MP afficherait un excédent prévisionnel compris entre 0,9 milliard et 1,5 milliard d'euros entre 2025 et 2029. Pourquoi avoir fait le choix de « sacrifier » la santé financière de la branche AT-MP pour tenter de résorber le déficit d'autres branches ? Le Gouvernement entend-il maintenir cette politique ?

Ma seconde question porte sur l'annexe 3 du PLFSS pour 2026, qui annonce, sans davantage de détails, une amélioration des recettes de 0,4 milliard d'euros. Pourriez-vous préciser quelles mesures sont envisagées en ce sens et indiquer si les partenaires sociaux seront partie prenante dans la définition des modalités de retour à l'équilibre de la branche ?

En tout état de cause, je crois ne pas me tromper en disant que la commission s'opposerait fermement à toute augmentation uniforme des cotisations : il ne serait pas acceptable que des employeurs vertueux, investis dans la prévention des risques professionnels, aient à payer les conséquences d'un déficit qui procède, je le répète, d'un choix politique plutôt que d'une augmentation de la sinistralité.

M. Jean-Pierre Farandou, ministre. - Concernant le cadrage général, vous avez parfaitement posé les termes du débat. L'équation de départ est un déficit de 4,7 %, et la trajectoire vise à atteindre 3 % en 2029. La dynamique est donc la bonne, puisque le déficit était à 5,4 %, et cette baisse va continuer. Il faut le faire en soi, sans parler de la pression qu'exercent sur nous la Commission européenne, les marchés, etc. C'est un élément fondamental : c'est certainement l'armature du retour à la vertu dont notre pays a besoin en matière de finances publiques.

Effectivement, le Premier ministre, par une formule tout à fait ajustée, a parlé, pour le déficit, d'un chiffre « inférieur à 5 % ». Vous avez vous-même évoqué un déficit de 4,9 %. De fait, il s'agit précisément d'atteindre ce déficit à la fin : il importe, dans ce contexte mouvant, fait de discussions, d'échanges, d'ajustements, qu'il y ait une forme de clôture. Ce déficit de 4,9 % n'est donc pas un déficit de départ : il doit permettre, in fine, de constater que les conditions d'une stabilisation de l'action gouvernementale sont réunies, ce qui permettra d'avancer et de traiter les problèmes du pays. Vous m'accorderez que ce n'est pas complètement gagné à ce jour : le processus sera difficile. Mais tels sont les termes de l'équation.

Honnêtement, je pense qu'il appartient au Premier ministre d'apprécier la manière dont il convient d'ajuster les choses, en respectant les deux conditions que j'ai évoquées : il faut que ce soit juste et pertinent. Il faut vraiment que nous puissions, par exemple, amodier les éléments d'économie qui apparaîtraient trop difficiles à supporter pour les Français ; nous serons bien évidemment attentifs à ce critère. Autre critère : nous devons faire en sorte de créer de la convergence, et non de la divergence. Ce sont ces deux critères qui, me semble-t-il, seront utilisés par le Premier ministre pour ajuster les arbitrages - finaux ou successifs - qui permettront d'assurer l'objectif de redressement des comptes, auquel il me semble que nous sommes nombreux à souscrire.

Pour ce qui concerne la lettre rectificative, effectivement, les chiffres ont bougé. Comme vous, j'ai entendu, dans la déclaration de politique générale du Premier ministre, les chiffres de 400 millions d'euros et de 1,8 milliard d'euros - on ne savait pas encore la forme que cela prendrait d'un point de vue législatif. Les calculs ont ensuite été affinés. Une première estimation avait été faite par la direction de la sécurité sociale, mais l'assiette a bougé après que nous eûmes regardé de plus près ce qu'il y avait dedans.

Mon avis peut être discuté, mais ceux qui me connaissent savent l'importance que j'attache au bon sens. Or, en l'occurrence, le bon sens a consisté à considérer que la suspension ne devait toucher que ceux qui montaient vers 64 ans, autrement dit à interrompre, pour ces derniers, le processus du recul de l'âge de départ. C'est ce raisonnement, simple, qui a conduit à une assiette un peu plus resserrée. De fait, nous avons considéré qu'il n'était pas anormal d'exclure du calcul le sous-ensemble de salariés qui n'étaient pas concernés par la montée à 64 ans : les carrières longues, qui partent à la retraite avant cet âge, parce qu'elles ont commencé à travailler tôt ; les régimes spéciaux, qui, par nature - je connais bien celui de la SNCF -, partent aussi beaucoup plus tôt. En procédant ainsi, nous avons fait baisser le périmètre, et nous sommes tombés à 100 millions d'euros en 2026 et 1,4 milliard d'euros en année pleine.

Les chiffres dépendent aussi des hypothèses que l'on retient. Par exemple, il est difficile de savoir comment se comporteront les Français : vont-ils partir plus tôt ou, au contraire, pousser jusqu'à la date prévue pour bénéficier de mécanismes de surcote ou de cotisations supplémentaires ? Sur ce point, nous ne pouvons que formuler des hypothèses ; les faits parleront.

Vous avez raison de dire que ce sont des calculs aux bornes de la caisse : les effets plus larges que vous mentionnez, et qui donneraient lieu à un doublement du coût estimé de la suspension, n'ont pas été, à ce stade, pris en compte.

Or il ne faut pas oublier que l'effort de financement porte sur les effets sur la caisse. Deux éléments doivent être pris en compte.

Tout d'abord, considérons que le coût de la suspension est bien de 100 millions d'euros pour 2026. L'an dernier, les mutuelles ont profité d'un petit effet d'aubaine, puisqu'elles ont tenu compte d'une exonération qui n'a finalement pas eu lieu. Ainsi, leurs primes ont été augmentées sans qu'aucune dépense supplémentaire n'ait finalement été induite. Il ne serait donc pas anormal de les appeler à un effort complémentaire cette année.

Pour 2027, en revanche, le coût de la suspension s'élèverait à 1,4 milliard d'euros. Le principe assez orthodoxe qui a prévalu - et nous pourrons en débattre -, c'est que les retraites paient les retraites. Plusieurs leviers sont possibles : pour notre part, nous proposons d'amplifier le mécanisme de sous-indexation, en le fixant à 0,9 point, entre 2027 et 2029. Ce principe avait d'ailleurs été accepté par les partenaires sociaux à l'occasion du conclave, à hauteur de 0,4 point.

Madame le rapporteur de la branche vieillesse, vous regrettez que la question du travail n'ait pas été assez traitée. Vous avez raison : l'une des clés pour trouver un accord est de parler du travail. Au sein de la conférence sociale sur le travail et les retraites, ce sujet tiendra une place aussi importante que celle des retraites dans les réflexions. Nous avons une sincère volonté d'écoute sur les conditions et l'organisation du travail, sur la rémunération, sur la pénibilité ou encore sur la prévention - car mieux vaut prévenir que réparer des usures excessives. Tous ces sujets sont très importants. Et s'ils sont correctement traités, ils seront de nature, j'en suis convaincu, à créer les conditions d'une convergence.

J'en profite pour dire que cette conférence ne sera pas un conclave bis. Il ne s'agira pas d'un lieu de négociation fermé, dont on ne sortirait qu'à l'apparition d'une fumée blanche, mais d'un lieu de débat, ouvert, où des experts pourront s'exprimer. Ses conclusions seront structurées et organisées pour être partagées de la manière la plus rationnelle possible. Nous n'empêcherons personne d'adopter une position idéologique, mais nous pousserons chaque acteur à argumenter pour exposer concrètement ses solutions.

Nous espérons que les travaux de la conférence seront repris par les partenaires sociaux, à la fois sur les retraites, mais aussi sur le travail.

J'ai évoqué la promotion interne. Le parcours professionnel fait partie des éléments qui peuvent convaincre les salariés de se réaliser dans l'entreprise et d'y rester un peu plus longtemps. Il n'y a pas d'âge pour progresser - la preuve, on peut devenir ministre à 68 ans !

Nous avons donc bien l'intention de nous pencher sur ce sujet fondamental qu'est le travail.

J'en viens au cumul emploi-retraite. J'ai le sentiment que, dans les années à venir, de plus en plus de personnes seront à cheval entre les deux mondes : la retraite n'apparaît plus, autant qu'autrefois, comme une césure radicale. C'est tout l'intérêt des instruments permettant de mélanger travail et retraite, comme la retraite progressive ou le cumul emploi-retraite, à des niveaux variables, en fonction de la situation de chacun.

Le cumul emploi-retraite apparaît donc comme une nouvelle philosophie du passage du travail à la retraite. Nous avons voulu clarifier cet instrument.

Disons-le clairement : nous n'encourageons pas les salariés de moins de 64 ans à y recourir. C'est assez logique, puisque cela correspond à l'âge d'ouverture des droits à la retraite. Nous incitons plutôt ces salariés à travailler.

De même, à partir de 67 ans - âge d'annulation de la décote -, on considère que le travailleur est quitte vis-à-vis du système de retraite. Dès lors, tout est possible : prendre sa retraite sans décote, continuer à travailler, ou profiter de ce système intermédiaire. Ses paramètres peuvent être discutés : ce que nous proposons dans le PLFSS, c'est qu'au-delà d'un plafond de revenu de 7 000 euros, la pension de retraite soit écrêtée.

Étant donné que nous manquons de médecins, et que nous souhaitons les encourager à travailler plus longtemps, un système particulier est prévu pour cette profession.

Le système est donc simple. Nous restons ouverts à la discussion sur le curseur.

Concernant les accidents du travail, il me semble tout d'abord qu'il faut les distinguer des maladies professionnelles. Ensuite, en tant qu'ancien patron d'entreprise, je n'ai jamais pu me résoudre à accepter que des personnes se blessent, voire décèdent, en travaillant. C'est une situation insupportable, plus que pénalement, moralement. Le dirigeant d'entreprise a la responsabilité de créer les conditions pour empêcher de tels accidents. Sur ce sujet encore, les comparaisons européennes ne sont pas flatteuses, même si certaines entreprises françaises s'en sortent bien. Sans doute devons-nous réfléchir à la culture du travail et de l'entreprise pour mieux comprendre les phénomènes profonds qui aboutissent à de telles situations.

Je reçois régulièrement la liste des salariés qui décèdent au travail : il y en a plusieurs par jour. C'est toujours un drame, qui m'interroge sur les conditions qui y ont abouti. Il ne s'agit pas de culpabiliser les dirigeants. Mais n'oublions pas que la prévention des risques professionnels est un métier. Il existe des méthodes, que nous devons déployer avec détermination, pour parvenir à réduire drastiquement le nombre de personnes qui se blessent en exerçant leur travail.

Je reconnais avec humilité que je ne maîtrise pas encore très bien les sujets économiques que vous évoquez. Comme vous, je m'interroge sur les flux entre les différentes branches de la sécurité sociale. Je n'en connais pas les tenants et les aboutissants, mais ils m'interrogent. Je sais seulement que les paramètres du mécanisme de sous-déclaration sont ajustés par une commission qui se réunit tous les trois ans. Vous vous interrogez sur la rigueur de ses travaux : laissez-moi un peu de temps pour me faire un avis personnel sur la qualité de leurs délibérations.

J'en viens au CDI senior. Il fait partie des outils à notre main. Cependant, l'un des paramètres importants reste le taux d'emploi - des jeunes comme des seniors. En effet, quand les Français travaillent, ils travaillent assez bien. Toutefois, notons qu'après avoir beaucoup augmenté dans notre pays, la productivité décroît depuis quelques années, pour des raisons à la fois complexes et multifactorielles. Cette baisse est problématique, car la productivité est liée aux salaires et à la création de richesse.

La loi portant transposition des accords nationaux interprofessionnels en faveur de l'emploi des salariés expérimentés et relatif à l'évolution du dialogue social, récemment adoptée, permettra la création de dispositifs qui améliorent l'emploi des seniors. Je pense notamment à un contrat qui permet d'embaucher des seniors en précisant leur date de départ, ce qui clarifie la situation, tant pour l'employeur que pour le salarié.

Reconnaissons cependant que si les seniors travaillent davantage, c'est bien en raison de la réforme des retraites. C'est un effet mécanique - et vertueux. Cependant, nous devons nous pencher sur les conditions de travail dans les entreprises pour donner envie aux seniors de travailler plus longtemps et aux employeurs de jouer le jeu. Vous avez raison : il ne faut pas que les entreprises mènent une politique « anti-seniors ».

Le ministère ne peut pas se substituer aux entreprises, mais nous devons trouver un moyen de mieux surveiller la bonne mise en oeuvre de cette politique. C'est en effet un enjeu majeur : si notre taux d'emploi des seniors était identique à celui de l'Allemagne, notre système serait bien plus équilibré ! Et si les Allemands y arrivent, pourquoi pas nous ? C'est un sujet que je prendrai à bras-le-corps, car il est fondamental pour le travail.

Mme Frédérique Puissat, rapporteur pour avis des crédits de la mission « Travail, emploi et administration des ministères sociaux ». - Contrairement à mes collègues, j'estime que les chiffres sont assez clairs sur la mission « Travail, emploi et administration des ministères sociaux ». En effet, celle-ci contribue très fortement à la baisse des charges pour l'année 2026 - à hauteur de 2,3 milliards d'euros, soit une baisse de 12 %, assez proche de la diminution votée dans le PLFSS pour 2025.

Cela ne nous pose pas de problème, puisque nous devons nous inscrire dans cette trajectoire de baisse de la dépense. En revanche, ce qui est plus préoccupant, c'est l'absence de trajectoire, voire de cap, sur un budget qui implique tout un écosystème et de nombreux partenaires.

L'exemple de l'apprentissage est assez révélateur. Ce dispositif intègre plusieurs partenaires - entreprises, familles ou encore centres de formation d'apprentis (CFA). L'an dernier, il avait été décidé de baisser fortement les aides aux entreprises pour 2025. Cela ne nous posait pas de difficulté. Nous avions étudié, avec votre prédécessere, les paramètres sur lesquels jouer. Les commissions des affaires sociales et des finances du Sénat avaient d'ailleurs proposé des amendements pour dissocier les entreprises de plus de 250 salariés de celles de moins de 250.

L'objectif était de faire une pause en 2026, compte tenu du temps nécessaire à la mise en place de ce système, du décalage entre la rentrée et le vote du budget et du nombre de partenaires impliqués dans ce dispositif. Surtout, nous ne voulions pas que le dispositif de l'apprentissage soit mis à mal.

Or le budget 2026 est exactement dans la même épure : il prévoit une baisse de près d'un milliard d'euros pour les aides aux entreprises.

Aussi, nous ne pouvons manquer de nous interroger. Vous êtes le bienvenu dans la commission et nous apprécions tant votre expérience que votre regard sur le budget. Cependant, la succession de ministres pose question à tous les partenaires. Sans trajectoire sur un budget qui mobilise autant d'acteurs, dans un contexte économique compliqué, nous risquons de briser des dynamiques.

Aussi, quel regard portez-vous sur cette coupe et sur cette absence de trajectoire ?

M. Olivier Henno. - Le projet de loi relatif à la lutte contre les fraudes sociales et fiscales, dont je suis corapporteur, est bien entendu nécessaire. Je songe à l'article 27, qui prévoit notamment de permettre à France Travail de retenir une part plus importante des indus versés aux bénéficiaires de l'allocation de retour à l'emploi. Cette mesure relève du bon sens.

Cependant, certaines des personnes que nous avons auditionnées avec ma collègue Frédérique Puissat ont souhaité aller plus loin. Je pense notamment à la question de l'exploitation du registre des Français établis hors de France, des fichiers de passagers de compagnies aériennes ou même des adresses IP des bénéficiaires afin de lutter contre la fraude à la résidence. Ces possibilités de consultation pourrait-elle être octroyées à certains organismes comme France travail ? Il semble que seule l'administration fiscale ait aujourd'hui des prérogatives étendues pour lutter contre la fraude.

Par ailleurs, vous venez d'affirmer que les retraites doivent payer les retraites. René-Paul Savary, qui a précédé Pascale Gruny dans ses fonctions, disait que sans réforme paramétrique, nous ne pourrions éviter une baisse du pouvoir d'achat des retraités. Or nous y sommes, monsieur le ministre. Nous devons être francs avec les Françaises et les Français, car cela équilibrerait le débat.

Enfin, j'ai la conviction, partagée par la majorité sénatoriale, que notre pays vit au-dessus de ses moyens. Il me semble que le Gouvernement actuel - dans un objectif de stabilité - prend moins en compte cette réalité que les deux gouvernements précédents.

Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2026 est annoncé avec un déficit de 17 milliards d'euros. Vous avez déjà lâché sur les retraites. Dans le débat à l'Assemblée nationale, tiendrez-vous ce cap, ou des négociations - pour de bonnes ou de mauvaises raisons ! - sont-elles prévues ? Cela conditionnera bien entendu nos débats au Sénat.

M. Jean-Pierre Farandou, ministre. - Madame la rapporteure, je vous rejoins sur la continuité des politiques publiques, d'autant plus lorsqu'elles sont nouvelles. L'apprentissage est un dispositif assez récent, qui est une véritable réussite depuis 2018. Ses détracteurs sont peu nombreux. Nous avons doté ce pays d'une nouvelle filière de formation : 10 % des jeunes diplômés passent par l'apprentissage. Nous sommes passés de 400 000 à 1 million d'apprentis, en stock, et de 300 000 à 850 000 apprentis en flux. C'est donc un vrai succès quantitatif.

En outre, l'apprentissage favorise l'égalité des chances : des jeunes accèdent à des diplômes de l'enseignement supérieur grâce à l'apprentissage et à des techniques pédagogiques plus concrètes. Le taux de poursuite d'études des apprentis atteint ainsi 35 %.

Enfin, la proximité avec les entreprises est fondamentale pour trouver un emploi - et c'est bien l'objectif de l'apprentissage ! - à l'issue des études.

Cette politique, très fortement financée par l'État, est donc globalement un succès, avec un pic à 16 milliards d'euros en 2024. C'est tout de même considérable.

Comme vous l'avez indiqué, le projet de budget prévoit un second ajustement, qui correspond à un effort supplémentaire. Cela compromet-il la politique menée ? Là encore, l'indicateur de performance, c'est le nombre d'apprentis. L'an dernier, il y a eu une petite décrue, de l'ordre de 3 %. Nous aurons bientôt les chiffres relatifs à la rentrée 2025.

Notre intention n'est pas de mettre à mal l'apprentissage. J'ai évoqué deux effets : l'effet de bosse - mais nous espérons qu'il y aura un plateau derrière - et l'effet d'efficacité. Dans une période où beaucoup d'argent public a été mobilisé dans le secteur, il a pu y avoir de la dispersion. Mais, aujourd'hui, les gens sont prêts à travailler sur l'efficacité de l'argent public. Et je demande que mon ministère se dote des capacités de contrôle de gestion, afin de savoir si l'argent déployé dans les territoires est bien utilisé.

Nous anticipons une baisse des volumes. C'est un paradoxe : si nous tenons l'exécution budgétaire, ce sera une bonne nouvelle financièrement parlant, mais cela signifiera qu'il y a bien eu une baisse des bénéficiaires, et il faudra se demander pourquoi ; inversement, si nous n'assistons pas à un déclin trop important des volumes, nous aurons un problème budgétaire. En tout état de cause, la politique publique d'apprentissage demeure une priorité du Gouvernement, et nous souhaitons travailler avec tous les acteurs concernés, notamment sur l'amélioration de la qualité des formations.

Monsieur le sénateur Henno, nous sommes prêts à aller plus loin sur la lutte contre la fraude, quitte à durcir les sanctions s'il le faut. Je vous rejoins : la fraude sociale doit bénéficier des mêmes outils que la fraude fiscale. Le ministère examinera avec attention votre proposition, qui me semble aller dans le bon sens.

Le système par répartition repose sur un triptyque : le niveau des pensions, le montant des cotisations et la durée de cotisation. La réforme adoptée en 2023 a consisté à jouer sur la durée de cotisation. Mais si l'on refuse de toucher à la durée de cotisation, il faut toucher aux autres paramètres. Nous le voyons bien aujourd'hui : revenir sur l'allongement de la durée a, par exemple, des conséquences sur notre capacité d'indexation des pensions.

La France vit-elle au-dessus de ses moyens ? Les chiffres des comptes publics le démontrent : il y a bien un déséquilibre structurel entre ce que l'État gagne et ce qu'il dépense. Et ce déséquilibre, qui s'appelle le déficit, il faut d'abord le maîtriser, ce qui est déjà compliqué. Je le rappelle, avec un déficit public ramené à 3 % du PIB, la dette serait seulement stabilisée.

Enfin, je vous laisse libre de votre appréciation quant à l'action des gouvernements passés, sur laquelle il ne m'appartient pas de me prononcer.

Mme Laurence Muller-Bronn. - Le Parlement a adopté l'accord des partenaires sociaux en faveur de l'emploi des seniors, mais le sujet est resté de côté depuis l'adoption de la réforme des retraites en 2023. Les difficultés à retrouver un emploi après 55 ans sont pourtant parfaitement documentées, en particulier par l'Unedic et la Cour des comptes. Elles tiennent, notamment, à l'absence de dispositifs adaptés. Quelles mesures comptez-vous mettre en oeuvre pour améliorer l'emploi des seniors ? Comment pourriez-vous rationaliser les dispositifs de reconversion, afin de les adapter aux compétences et aux besoins du marché ? Et ne pensez-vous pas que des mesures pour les seniors spécifiquement ciblées sur les carrières féminines - je pense au congé maternité ou à la question des proches aidants - s'imposent ?

Mme Jocelyne Guidez. - Le projet de loi de finances pour 2026 prévoit une réduction du nombre de postes financés pour les entreprises adaptées, alors même que le chômage des personnes handicapées est reparti à la hausse. Le texte acte une baisse de 22,3 millions d'euros et la suppression de 3 000 postes financés. Or ces aides ne constituent pas une subvention générale ; elles compensent les surcoûts spécifiques liés à la fragilité, à l'absentéisme et à la moindre productivité inhérente à certains handicaps. Leur diminution fragilise directement l'emploi dans les entreprises adaptées, qui opèrent dans un environnement concurrentiel. Le Gouvernement entend-il revoir cette trajectoire budgétaire ? Les entreprises adaptées réclament simplement de la stabilité et des moyens constants.

Par ailleurs, l'accord de branche du 4 juin 2024 a élargi aux salariés des entreprises adaptées le dispositif Ségur, tout en le conditionnant à des garanties de financement par les pouvoirs publics. Dans sa décision du 3 janvier 2025, la délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle (DGEFP) a refusé d'en assurer le financement tout en confirmant le caractère obligatoire de l'accord. Est-il envisagé d'exclure les établissements adaptés du bénéfice de ce dispositif ?

Mme Brigitte Bourguignon. - Nous partageons tous, je le crois, le même objectif : tenir les comptes sociaux tout en accompagnant les plus fragiles. Comme ma collègue Jocelyne Guidez vient de le rappeler, les structures d'insertion par l'économie sont actuellement très inquiètes ces derniers temps. Elles ont besoin de tenir les parcours, notamment parce que le public est difficile. Agir par à-coups, comme on le fait aujourd'hui, les fragilise. Comptez-vous garantir une pérennité des aides aux postes d'insertion par l'activité économique (IAE) ? Quel avenir envisagez-vous pour les contrats aidés ?

M. Daniel Chasseing. - Vous le savez, le nombre de personnes âgées de plus de 85 ans a doublé. Dans le même temps, nous sommes passés de 13 millions d'affections de longue durée (ALD) à 18 millions. Et la durée de vie a nettement augmenté, de plus de dix ans depuis 1980, moyennant quoi il y a près de 20 millions de retraités en 2025, contre 4 millions en 1988. Le déficit s'aggrave, malgré le relèvement de l'âge de la retraite à 64 ans. Vous proposez une année blanche ; voyons tout de même s'il n'y a pas une possibilité d'indexation pour les petites retraites. Il faut évidemment allonger la durée de cotisation. Certes, il faut aussi savoir faire des compromis, et j'espère que vous saurez en trouver avec les partenaires sociaux sans qu'il y ait trop de déficit supplémentaire. Le financement reposant à 65 % sur le travail, il faut davantage d'emplois, davantage de cotisations, sans augmenter les taxes.

Comment comptez-vous développer le travail des seniors, qui est moins important que chez nos voisins européens ? Idem s'agissant de l'emploi des jeunes. Ne faut-il pas créer plus de centres de l'Établissement pour l'insertion dans l'emploi (Epide), notamment pour ceux qui n'ont aucune formation à l'issue de leur cursus ?

Mme Raymonde Poncet Monge. - Nous vous rejoignons sur la nécessité de prendre des mesures sur les recettes et d'autres sur les dépenses pour ramener la sécurité sociale à l'équilibre. Mais, vous vous en doutez, nous n'avons pas la même vision politique que vous.

Vous avez eu raison de le souligner, chaque nouvelle exonération affaiblit la sécurité sociale. Or, sous Emmanuel Macron, les niches sociales ont augmenté de 8 milliards d'euros - c'est la Cour des comptes qui le dit -, ce qui correspond à l'évolution du déficit de la sécurité sociale sur la même période ! Il faut y remédier. Que comptez-vous faire avec la prime de partage de la valeur, qui a explosé ? Quid de l'exonération des heures supplémentaires, qui coûte 2 milliards d'euros chaque année à la sécurité sociale, et même 4 milliards d'euros aux finances publiques en général, puisque l'exonération est à la fois sociale et fiscale ? D'ailleurs, pour les retraites, il manque précisément 2 milliards d'euros ; il n'y a donc pas que les trois paramètres que vous avez évoqués...

Et, alors que tant de niches existent, vous nous proposez une taxe de 8 % sur... les tickets-restaurant ! Je rappelle au passage que nous avons été parmi les premiers à dénoncer la manière dont ceux-ci ont été dévoyés.

Nous n'avons clairement pas la même lecture économique et politique des problèmes auxquels notre système social est confronté. N'ayant pas eu de réponse de la part de Mme de Montchalin, j'aimerais vous interroger sur les effets récessifs de votre projet de budget.

Le ton est donné dès l'article 1er. Le déficit de la sécurité sociale était de 23 milliards d'euros, au lieu des 22 milliards d'euros prévus en loi de financement de la sécurité sociale, principalement parce que la masse salariale a crû dans des proportions moindres qu'escompté et parce que toutes les recettes attendues de TVA n'ont pas été au rendez-vous. En d'autres termes, le déficit se creuse, car la dégradation du contexte macroéconomique grève les recettes. Ce n'est pas faute de l'avoir dit ! Et l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) le constate aujourd'hui. En 2024, nous avons perdu 0,4 point de PIB du fait de l'austérité budgétaire.

Monsieur le ministre, avez-vous calculé l'impact récessif des mesures présentées dans l'actuel PLFSS ? Pourquoi tabler une fois de plus sur un taux de croissance optimiste de 1 %, quand le consensus des économistes est à 0,9 %, voire à 0,7 % ? La politique de l'offre, qui est aujourd'hui plutôt une politique de la rente, crée un déficit de la demande : les carnets de commandes sont au plus bas. Pourquoi vous obstinez-vous ? Combien de temps va-t-on maintenir cette politique à fort effet récessif qui pénalise de surcroît les plus pauvres ? Le gel des prestations va toucher les 10 millions de Français qui sont sous le seuil de pauvreté.

Pour les administrations publiques (APU), l'écart entre les dépenses et les recettes est de 5,8 points de PIB - un tel taux n'avait jamais été atteint -, alors qu'il était de 3,4 % en 2017. Selon l'OFCE, la politique de l'offre a conduit à une diminution de 2,5 points de PIB.

Je fais miennes les conclusions de l'OFCE : « La dégradation du solde structurel observée entre 2017 et 2024 s'explique essentiellement par la baisse non financée des prélèvements obligatoires, et non par une dérive des dépenses publiques primaires. Bien au contraire, celles-ci ont reculé de 0,3 point de PIB potentiel sur la période. En tenant compte de la hausse de la charge d'intérêts liée à la remontée des taux souverains, la dépense publique totale, en points de PIB, est stable sur la période. »

À rebours de ce que l'on observe en Espagne, en Allemagne ou au Royaume-Uni, les recettes baissent en France. Certes, et vous l'avez dit, nos taux de prélèvements sont plus élevés. Mais c'est parce que nous avons fait le choix collectif de la sécurité sociale.

M. Martin Lévrier. - Si je me réjouis de ce que j'ai entendu sur l'apprentissage, j'ai toutefois quelques interrogations.

Selon l'économiste Bruno Coquet, le coût d'un jeune en apprentissage dans le supérieur est le double de celui d'un jeune en cursus classique. Depuis 2017, l'apprentissage s'est envolé dans le supérieur, quand il restait faible dans le pré-bac, en particulier dans les lycées professionnels. Or, à mes yeux, la richesse de l'apprentissage, c'est avant tout le pré-bac. Je m'interroge donc sur le versement des aides de 5 000 euros aux entreprises de moins de 250 salariés. Ne faudrait-il pas essayer de faire évoluer cette réforme en ciblant davantage le pré-bac ?

Par ailleurs, j'entends souvent des jeunes très diplômés et des cadres supérieurs dirent qu'ils sont en train de « recharger » leurs droits au chômage pour pouvoir partir en vacances. Je pense qu'une réflexion s'impose à cet égard. Soyons vigilants.

Mme Chantal Deseyne. - Je le rappelle, l'abattement de 10 % pour frais professionnels pour les retraités avait été mis en place pour compenser les faibles montants des pensions et la faible revalorisation des retraites en deçà de l'inflation. Or vous prévoyez de le plafonner quand, dans le même temps, vous envisagez aussi une sous-indexation des pensions. C'est, en quelque sorte, une double peine pour les retraités. Pensez-vous que c'est vraiment la solution ? Ne faut-il pas reconsidérer la valeur travail et la durée du temps de travail ?

Mme Patricia Demas. - L'instauration du forfait social de 8 % sur les avantages en nature et la hausse de dix points du forfait sur les ruptures conventionnelles pourraient détériorer le climat social dans les entreprises, alors que la qualité de vie au travail est déjà un enjeu majeur. En outre, la hausse du coût des ruptures conventionnelles risque de compliquer les restructurations, notamment dans les secteurs en mutation, comme l'industrie ou le commerce. Comment justifiez-vous de tels choix, monsieur le ministre ?

Je tiens à vous alerter sur la hausse du forfait social sur les ruptures conventionnelles. Il est nécessaire de fluidifier le marché du travail, surtout dans un contexte de chômage structurel. Prévoyez-vous une clause de revoyure pour ajuster les taux en fonction de leurs conséquences sur l'emploi et le dialogue social ?

Mme Monique Lubin. - La France, demandiez-vous, vit-elle au-dessus de ses moyens ? Je vous retourne la question : la France se donne-t-elle vraiment les moyens de maintenir son modèle social ? Et je serai même un peu provocatrice : les derniers gouvernements n'ont-ils pas organisé cette forme d'insolvabilité ?

Depuis 2017, il y a eu un grand nombre de cadeaux fiscaux ; on nous avait alors même parlé de « ruissellement ». Tous les économistes le disent aujourd'hui : il n'y a eu aucun ruissellement. Et toutes ces pertes de recettes n'ont strictement rien amené. Compte tenu du marasme dans lequel nous sommes actuellement, pourquoi ne pas revenir sur un certain nombre de ces cadeaux, en particulier aux plus fortunés ?

Je m'étonne que l'on veuille toucher aux budgets des missions locales et remettre en cause l'action des centres interinstitutionnels de bilan de compétences (CIBC).

Encore une fois, on choisit la facilité : geler les pensions, geler ceci, geler cela... Ne vous étonnez pas ensuite du climat qui règne dans ce pays ! Avez-vous prévu de revenir sur les aides aux entreprises, dont, pour un certain nombre d'entre elles - nos collègues viennent de remettre un rapport sur le sujet -, nous ne savons pas à quoi elles servent ?

Je suis très surprise que, parmi les concepteurs de ce projet de budget, personne ne se rende compte que pénaliser toujours les plus modestes et les classes moyennes, c'est pénaliser la consommation.

Mme Cathy Apourceau-Poly. - Les précédents PLFSS étaient déjà pénibles, mais celui-là, c'est le pompon ! Il va à l'encontre des principes mêmes de la sécurité sociale : financement par les cotisations sociales, solidarité générationnelle, accès universel aux soins. Il va encore aggraver les inégalités, en faisant payer les retraités et les salariés les plus fragilisés. Gel des pensions en 2026, sous-indexation des pensions à partir de 2027, remplacement de l'abattement fiscal de 10 % par un forfait de 2 000 euros, hausse des tarifs des complémentaires santé, déremboursement des médicaments, hausse du ticket modérateur et des franchises, etc. La liste est très longue.

La suspension de la réforme des retraites de 2023 n'est qu'un décalage. Et le président Larcher a déjà annoncé qu'elle serait supprimée par la majorité sénatoriale. Actuellement, le texte prévoit la suspension de la hausse de la durée de cotisation et de l'âge de départ en retraite pour les générations nées entre 1964 et 1968. Mais cela s'effectue au détriment des retraités et des travailleurs, qui vont subir une hausse de la taxe sur les contrats de complémentaire santé et une aggravation de la sous-indexation des pensions à partir de 2027. Vous avez obtenu un report de la censure, mais les travailleurs et les retraités paieront plein pot le bénéfice de cette maigre victoire. Et, en commission mixte paritaire, la droite et le bloc central retireront finalement le décalage des retraites, mais maintiendront le gel des pensions et la sous-indexation. Quels engagements prenez-vous quant au maintien de cette suspension dans le texte définitif ?

Mme Annie Le Houerou. - En général, nous ne sommes pas favorables aux exonérations de cotisations sociales, mais c'est le choix qui a été fait par les gouvernements sous Emmanuel Macron. Ces exonérations, que nous évaluons à 91 milliards d'euros, n'ont jamais cessé d'augmenter depuis 2017, au point, selon nous, de rompre avec le principe de sécurité sociale. Ne pensez-vous pas que les nouvelles taxations envisagées, par exemple sur les tickets-restaurant, soient un mauvais coup porté au pouvoir d'achat des travailleurs, en particulier des plus modestes ? Au lieu de cibler encore les plus fragiles, pourquoi ne pas ramener le point de sortie des allègements généraux de cotisation de 3 Smic à 2,4 Smic, ce qui n'aurait aucune conséquence sur le pouvoir d'achat des plus modestes ni sur l'emploi ?

Avez-vous des éléments complémentaires à nous communiquer sur la suppression de l'exonération issue de la loi du 27 mai 2009 pour le développement économique des outre-mer (Lodéom) ?

Nous partageons l'objectif de lutter contre la fraude sociale. Mais quels moyens humains comptez-vous donner aux Urssaf et aux établissements concernés pour cela ?

Mme Marion Canalès. - La suppression de plusieurs postes d'opérateurs de l'État est dans l'air. Quid de France Travail, dont les effectifs sont sous votre responsabilité ? Les crédits des missions locales ont diminué de 20 % en deux ans.

J'en viens à la sinistralité. Vous l'avez dit, il y a en moyenne deux morts par accident du travail par jour. Et on constate une surexposition à la sinistralité dans la sous-traitance, à laquelle 38 % des entreprises ont recours. Quelle est votre vision de la chaîne des responsabilités à cet égard ? Comment lutter contre un tel phénomène ?

M. Jean-Pierre Farandou, ministre. - Nous avons renforcé les dispositifs en faveur de l'emploi des seniors, et nous sommes prêts à aller plus loin. Nous sommes preneurs de toutes les bonnes idées. Des mesures concrètes ont déjà été adoptées : l'accord national interprofessionnel, fruit du dialogue social, est devenu loi et entrera en vigueur dès la publication des décrets d'application. Nous ferons pareil pour l'emploi des jeunes. Là aussi, nous travaillons sur des dispositifs qui pourraient résulter d'accords entre partenaires sociaux. En d'autres termes, nous voulons permettre d'arriver plus vite dans l'emploi et d'y rester plus longtemps.

Au demeurant, je pense qu'une réflexion sur l'organisation du travail s'impose. À partir d'un certain âge, on n'est pas obligé d'être à 100 %. Il faut s'interroger sur des formules mixtes : cumul emploi-retraite, retraite progressive, etc. Voyons pourquoi de tels dispositifs, qui ont l'air formidables sur le papier, ne marchent pas davantage. Il y a des cas - je pense que c'est vrai notamment pour les cols blancs - où un emploi à temps plein pourrait devenir deux emplois à mi-temps. J'ai en tête des expériences à la SNCF qui montrent que c'est possible. Essayons d'identifier et de traiter les freins. En tout cas, la volonté du Gouvernement est là.

Avec la formation et l'apprentissage, l'insertion est au coeur de nos priorités politiques. Il existe plein de dispositifs de retour à l'emploi. Nous avons effectivement des ambitions assez fortes en matière d'économies à cet égard. Certes, il est possible d'en débattre. Mais je voudrais que vous acceptiez l'idée d'une recherche d'efficience aussi dans ce domaine. L'État - la balle est dans notre camp - doit se doter des moyens d'être plus au clair sur ce qui marche et ce qui ne marche pas. Je pense que nous avons tout de même, ici ou là, des marges de progression sur certains dispositifs.

Je suis sensible à ce qui a été indiqué sur les établissements et services d'accompagnement par le travail (Ésat), d'autant que, comme les sommes en jeu ne sont pas énormes, il ne s'agit pas là de potentielles sources majeures d'économies.

La problématique des trajectoires et des à-coups se pose dans les mêmes termes pour l'apprentissage et l'insertion. Le propre d'un projet de budget est d'être une tranche annuelle. Or une tranche annuelle, cela masque les trajectoires. Je pense qu'il y a encore une possibilité de gagner en efficience dans le budget de 2026.

La démographie est un vrai sujet. La situation démographique de la France en 2025 n'est pas la même qu'en 1945 ou en 1990. L'heure n'est-elle pas venue, pour 2026, d'ouvrir la discussion de fond du financement de la sécurité sociale ? Si les parlementaires et les partenaires sociaux souhaitent prendre le taureau par les cornes parce que les rustines annuelles atteignent leurs limites, nous sommes prêts à avoir ce débat. La difficulté ne me fait pas peur.

Pourquoi avons-nous eu l'idée saugrenue de taxer les tickets-restaurant ? Cela a été dit, le dispositif a été dévoyé.

Mme Raymonde Poncet Monge. - Nous vous avions prévenus dès le début !

M. Jean-Pierre Farandou, ministre. - Et nous eussions dû vous écouter.

Mme Raymonde Poncet Monge. - Comme souvent !

M. Jean-Pierre Farandou, ministre. - Aujourd'hui, les tickets-restaurant sont quasiment devenus des compléments de salaire.

Mme Monique Lubin. - Il vaudrait mieux donner du salaire !

M. Jean-Pierre Farandou, ministre. - Et qui dit salaire dit aussi cotisations. Le débat sur une telle mesure n'est donc pas illégitime. Au demeurant, s'il s'agissait vraiment de salaire, le taux de cotisation serait de 40 %. Là, nous proposons 8 %.

Sur l'apprentissage, l'ambition était tout de même l'ouverture au supérieur. Certes, cela n'a peut-être pas été bien maîtrisé. Là aussi, des progrès en termes d'efficience sont sans doute à rechercher. Bien entendu, il n'est pas question de renoncer à l'apprentissage originel, notamment les certificats d'aptitude professionnelle (CAP) et les bacs professionnels.

Vous avez évoqué la mesure que nous prévoyons sur l'abattement de 10 %. Nous continuons de réfléchir à des dispositifs d'accompagnement.

Comme cela a été souligné, il existe une sorte de « droit de tirage » du chômage. Il s'agit d'ailleurs plus de cadres supérieurs que d'ouvriers ou d'employés. Il n'est pas normal de considérer que l'on peut se mettre au chômage pour aller voyager...

Mme Raymonde Poncet Monge. - Mais on parle de qui, là ?

M. Jean-Pierre Farandou, ministre. - Il s'agit de cas individuels. D'ailleurs, les partenaires sociaux sont d'accord pour discuter du sujet. Sur la rupture conventionnelle, il y a un consensus parmi eux pour dire qu'il existe quelques abus.

Nous examinerons l'efficience des missions locales, qui, comme leur nom l'indique, sont des structures locales : dans certains endroits, elles fonctionnent très bien ; dans d'autres, c'est un peu moins le cas.

Cette année, nous réduisons les allègements ; je pense que cela ne vous a pas échappé. Pour le moment, notre proposition est de maintenir l'allègement maximum à 3 Smic ; c'est ce que demandent par les entreprises.

Je crois qu'il faut beaucoup de sagesse et de prudence à propos des outre-mer. Mais, même en outre-mer, il y a des entreprises qui peuvent profiter de certaines situations. Il n'est donc pas interdit que le Gouvernement s'interroge, là aussi, sur le bon usage de l'argent public.

Je l'ai indiqué, vous avez face à vous un ministre décidé à faire progresser, avec humilité, nos résultats en matière d'accidentologie au travail. Et, en effet, dans la sous-traitance aussi, il y a des règles de droit à respecter et des responsabilités à assumer : ce n'est pas parce que l'on sous-traite que l'on n'est pas responsable des accidents du travail de ses sous-traitants. Si un véhicule législatif permettait d'apporter des précisions à cet égard, j'y serais attentif.

M. Jean Sol, président. - Monsieur le ministre, nous vous remercions de vos réponses.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 19 h 25.

Mercredi 29 octobre 2025

- Présidence de M. Jean Sol, vice-président -

La réunion est ouverte à 9 h 30.

Projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2026 - Audition de Mme Anne Thiebeauld, directrice, et M. Laurent Bailly, directeur adjoint, de la direction des risques professionnels de la Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam)

M. Jean Sol, président. - Dans le cadre de nos travaux sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2026, nous auditionnons ce matin Mme Anne Thiebeauld, directrice, et M. Laurent Bailly, directeur adjoint des risques professionnels à la Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam).

Je précise que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo. Elle est diffusée en direct sur le site du Sénat et sera disponible en vidéo à la demande.

Madame, monsieur, le PLFSS pour 2026 marque un tournant pour la branche accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP). Cette branche devrait retomber en déficit dès 2025, puis s'y maintenir de manière durable au cours des prochaines années.

Pour ce qui concerne les mesures relatives à cette branche, outre le traditionnel reversement de la branche AT-MP à la branche maladie, maintenu à 1,6 milliard d'euros, on relève principalement la réforme des conditions de reconnaissance des maladies professionnelles, à l'article 39, et l'ouverture d'un versement du capital décès aux ayants droit des non-salariés agricoles décédés à la suite d'un sinistre professionnel, prévu par l'article 40.

Je vous cède à présent la parole pour un propos liminaire. Vous voudrez bien, en particulier, nous donner la vision de votre caisse sur ce PLFSS, pour ce qui concerne la branche AT-MP. Les membres de la commission pourront ensuite vous interroger, à commencer par notre rapporteure pour la branche AT-MP, Marie-Pierre Richer.

Mme Anne Thiebeauld, directrice des risques professionnels à la Caisse nationale de l'assurance maladie. - La branche AT-MP, qui n'est pas la plus connue au sein de la sécurité sociale, présente un certain nombre de spécificités, en particulier son caractère assurantiel. Ses dépenses annuelles atteignent 17 milliards d'euros.

L'ensemble des missions de la branche contribuent à ces dépenses. La branche prévient les risques professionnels qu'elle indemnise et en répercute le coût, par un dispositif de tarification incitatif, dans les cotisations AT-MP, payées uniquement par les employeurs. À ce titre, comme vous l'avez souligné, l'ensemble de la branche, sa gouvernance paritaire et sa direction sont particulièrement sensibles au résultat financier présenté par ce PLFSS. Le déficit constaté dès cette année devrait s'aggraver au cours des années à venir, pour atteindre 900 millions d'euros en 2028.

La branche se distingue aussi par l'activité de reconnaissance du caractère professionnel des accidents et maladies, ouvrant droit à des prestations en nature et en espèces. Ce processus, auquel concourent les caisses primaires d'assurance maladie (CPAM), repose sur le compromis fondateur de 1898, dans une recherche d'équilibre entre le financement assuré par les employeurs, sous forme de cotisations sociales, et la réparation forfaitaire des conséquences de ces sinistres.

Je signale aussi que, depuis 2018, la branche est responsable de la gestion du compte professionnel de prévention (C2P), plus connu sous son nom précédent de compte personnel de prévention de la pénibilité.

L'actualité de la branche, depuis deux ans, est marquée par les importants travaux dédiés à la réforme des rentes. La gouvernance de la branche y est très étroitement associée : il s'agit d'une transposition de l'accord national interprofessionnel (ANI) signé en 2023.

Ces travaux s'inscrivent dans le cadre législatif de la LFSS pour 2025. L'article 90 de ce texte a en effet ouvert la voie à la modification de l'indemnisation de l'incapacité permanente résultant d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle, qu'elle s'effectue par rente viagère ou par indemnité en capital.

Il s'agit là d'une réforme d'ampleur, qui vise à augmenter l'indemnisation des salariés concernés. En effet, de nouveaux préjudices seront désormais indemnisés, au titre du déficit fonctionnel permanent : jusqu'à présent, la rente n'indemnisait que la part professionnelle des conséquences de ces sinistres. Cet effort supplémentaire est chiffré à 500 millions d'euros pour la branche d'ici à quelques dizaines d'années - la montée en charge sera progressive car nous parlons bien de rentes viagères. Cette charge s'inscrit ainsi dans la durée, mais, compte tenu de la trajectoire financière de la branche, il me semble important de la rappeler.

Depuis un an, les partenaires sociaux, la direction de la sécurité sociale (DSS) la direction des risques professionnels (DRP) de la Cnam travaillent activement pour définir le socle réglementaire de cette réforme, censée aboutir en juin prochain. Le calendrier est donc extrêmement tendu, compte tenu de la technicité du sujet. Nous aurons sans doute un peu de mal à tenir cette échéance.

L'année 2025 est aussi la première année de mise en oeuvre de la convention d'objectifs et de gestion (COG) AT-MP. Ce texte a été signé en juillet 2024, un peu plus tard que les COG des autres branches. Il présente des enjeux forts d'investissements supplémentaires en faveur de la prévention, qui constituent eux aussi une nouvelle charge pour la branche, dans le contexte financier que l'on connaît.

L'augmentation du budget de prévention doit atteindre 14 % chaque année en moyenne d'ici à 2028. Il s'agit, en particulier, d'augmenter le nombre de préventeurs chargés de se rendre dans les entreprises pour déployer des programmes de prévention de longue durée.

En parallèle, les aides financières aux entreprises doivent être revues à la hausse. À ce titre, le fonds d'investissement dans la prévention de l'usure professionnelle (Fipu) a été créé l'année dernière : il s'agit aussi d'une charge supplémentaire pour la branche. S'y ajoute encore l'augmentation du budget de deux organismes qui ne relèvent pas de la sécurité sociale, mais du réseau AT-MP, à savoir l'Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (INRS) et Eurogip.

Ces efforts de prévention constituent bel et bien une autre charge à imputer aux dépenses de la branche, pour des montants assez significatifs. Je pense notamment aux aides financières aux entreprises. En cumulant les deux fonds relevant de la branche, à savoir le fonds national de prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (FNPAT), notre dispositif historique, et le Fipu, récemment créé, ces crédits budgétaires atteignent 270 millions d'euros.

Ces différents facteurs concourent au déficit annoncé dès 2025, dans le contexte que connaissent l'ensemble des branches et en particulier la branche maladie. La branche AT-MP est tout spécialement concernée par la croissance des dépenses d'indemnités journalières (IJ), qui, depuis 2020, atteint 6 % à 10 % par an. En 2024 et 2025, la hausse de ces dépenses est restée à un très haut niveau. Pour 2026, on estime qu'elle va encore progresser de 8 %.

Or, contrairement à la branche maladie, la branche AT-MP verse des indemnités journalières sans limite de durée ; un article du PLFSS pour 2026 établit précisément une telle limite, fixée à quatre ans.

Le transfert au titre de la sous-déclaration de l'assurance maladie, maintenu à 1,6 milliard d'euros pour 2026, concourt également au résultat financier de la branche.

Enfin, au-delà de la conjoncture globale, qui pèse sur l'évolution des cotisations pour toutes les branches, il faut noter la réduction de recettes due à la compensation de l'augmentation des cotisations d'assurance vieillesse depuis la réforme de 2023 par une baisse pérenne de la cotisation AT-MP, avec un nouveau transfert prévu pour 2026. Les cotisations augmenteront certes légèrement au titre de 2026, mais pas suffisamment pour compenser l'intégralité du déficit.

Mme Marie-Pierre Richer, rapporteure pour la branche AT-MP. - Premièrement - vous venez de le rappeler -, à en croire les données financières du PLFSS, la branche AT-MP s'apprête à connaître un déficit historique de 1 milliard d'euros en 2026, qui devrait persister et même s'aggraver lors des exercices suivants.

Ce déficit, notamment causé par le poids des transferts en recettes et en dépenses aux branches vieillesse et maladie, est particulièrement inhabituel. Par son caractère largement assurantiel, cette branche a vocation plus que toute autre à rester à l'équilibre financier.

Les annexes au PLFSS mentionnent en conséquence, sans les détailler, des « mesures d'ajustement d'un rendement de 0,4 milliard d'euros en recettes ou en dépenses ». Pourriez-vous nous indiquer quelles sont les dispositions envisagées à ce stade ? La direction des risques professionnels de la Cnam a-t-elle des propositions pour contenir la hausse des dépenses de la branche ?

Deuxièmement, l'article 28 du PLFSS, que vous avez évoqué, ouvre la voie à un plafonnement de la durée des indemnités journalières AT-MP, lequel pourrait être fixé à quatre ans par voie réglementaire. Il s'agirait là d'une première. Cette mesure s'inscrit dans un contexte de repli de l'usage des certificats médicaux finaux par les médecins, permettant la bascule vers les prestations d'incapacité permanente et, le cas échéant, la reprise du travail.

Le nombre de certificats ainsi établis a plongé de 528 000 en 2017 à 143 000 en 2024. De quelles pistes disposez-vous pour expliquer la baisse du recours aux certificats médicaux finaux ? Comment serait-il possible d'encourager les médecins à reprendre cette pratique ?

Par ailleurs, quel regard portez-vous sur la durée de quatre ans envisagée pour le plafonnement du versement des indemnités journalières AT-MP ? La jugez-vous nécessaire pour que, dans la majorité des cas, les assurés soient guéris ou consolidés, leur ouvrant ainsi droit si besoin aux prestations d'incapacité permanente de la branche ?

Troisièmement, la reconnaissance d'une maladie professionnelle peut se faire soit sur la base d'un tableau - il s'agit de la procédure principale -, soit, pour les pathologies hors tableau ou ne répondant pas aux conditions des tableaux, par une procédure dite complémentaire. Cette seconde procédure fait intervenir un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP), composé d'un praticien hospitalier professeur des universités ou compétent en matière de maladies professionnelles, d'un inspecteur ou d'un médecin du travail et d'un médecin-conseil de la Cnam.

Par son article 39, ce PLFSS revoit la procédure complémentaire lorsque la pathologie ne répond pas à l'ensemble des conditions d'un tableau existant. Le but est de fluidifier l'accès aux CRRMP, aujourd'hui engorgés. En pareil cas, on cesserait de faire appel à ces comités : un binôme de médecins-conseils serait désormais compétent pour instruire ces dossiers.

Cette évolution - je ne vous le cache pas - suscite l'inquiétude des associations de victimes de sinistres professionnels et de certains syndicats. Ces acteurs redoutent que les médecins-conseils soient moins prompts ou moins compétents pour reconnaître le caractère professionnel d'une maladie.

Estimez-vous que les médecins-conseils présentent les garanties d'expertise et, surtout, d'indépendance suffisantes pour traiter ces dossiers sans l'appui d'un médecin du travail ou d'un praticien hospitalier ? Ne craignez-vous pas que cette situation n'entame, du moins en apparence, la légitimité de la décision de reconnaissance ou de non-reconnaissance d'une maladie professionnelle, et ne débouche in fine sur une recrudescence des contentieux associés ? C'est un risque sur lequel notre attention a été appelée au cours de nos auditions.

Enfin, l'article 90 de la LFSS pour 2025 a engagé une réforme ambitieuse des rentes AT-MP, en leur conférant un caractère dual et en modifiant leur mode de calcul. Le Sénat a soutenu cette réforme, estimant qu'elle contribuerait à moderniser les prestations d'incapacité permanente de la branche et à mieux prendre en compte les différents aspects que peut revêtir l'incapacité permanente.

L'entrée en vigueur de la réforme, prévue en juin 2026, est-elle toujours envisageable, compte tenu de l'état d'avancement de la définition des différents paramètres par les partenaires sociaux et le Gouvernement ? Prévoyez-vous des difficultés de mise en oeuvre ? Un report est-il dès à présent envisagé ?

Mme Anne Thiebeauld. - Vous le soulignez avec raison, le déficit qui se profile est de nature historique, la branche étant en excédent depuis 2012. J'observe toutefois qu'elle a déjà été en déficit avant cette période.

Cette branche, de nature assurantielle, a peut-être culturellement un peu plus vocation que les autres à être à l'équilibre financier. Cela étant, le taux de cotisation des entreprises est sa seule variable d'ajustement. Il n'existe pas d'autre levier.

C'est pourquoi, en 2026, les taux de cotisations devraient augmenter, pour un rendement de 400 millions d'euros. Mais le taux de cotisation au 1er janvier 2025, de 2,12 %, est le plus bas jamais enregistré par la branche. De mémoire, ce taux doit être porté à 2,18 %. Un tel effort ne suffira évidemment pas à compenser la totalité du déficit ; il reste possible, demain, de rehausser de nouveau ce taux de cotisation.

Notre direction n'a pas encore engagé de travaux portant sur d'autres leviers à même d'assurer un rétablissement de l'équilibre. À ce stade, le sujet reste entre les mains de la direction de la sécurité sociale. Toutefois, je ne doute pas que nous serons associés à cette réflexion dans un second temps.

Sur ce sujet, le point clef du PLFSS, c'est bel et bien la limitation de la prescription des indemnités journalières AT-MP, dont l'augmentation est désormais galopante. Elles progressent en montant, ce qui n'a rien d'anormal, dans la mesure où elles sont fondées sur le salaire. Mais elles augmentent surtout en durée, et donc en volume, comparativement aux années précédentes. Ainsi, on dénombre 82 jours d'arrêt en moyenne en cas d'AT-MP, soit cinq jours de plus qu'en 2020, sachant qu'après un mois d'arrêt l'on retient comme référence 80 % du salaire, contre 50 % pour l'assurance maladie.

Dès lors, au-delà d'un mois d'arrêt de travail, se manifeste un effet inflationniste très important, voire exponentiel, qui porte sur des durées croissantes. Il s'agit là d'un enjeu d'équilibre financier pour la branche, mais également d'une question organisationnelle pour les entreprises et sociale pour les salariés : un arrêt de longue durée constitue en effet un risque majeur de désinsertion professionnelle. Les conséquences d'un arrêt maladie de plus de 80 jours sont particulièrement fortes.

Cette mesure vise donc à réguler les dépenses, mais pas seulement. En outre, la reprise du versement des indemnités journalières à l'assuré demeure possible si son état de santé se détériore de nouveau ; il n'existe donc aucun blocage.

Concernant le certificat médical final, le constat que vous dressez est exact. Initialement, les médecins traitants en cabinet y recouraient pour mettre un terme à l'arrêt de travail des salariés. Or le volume de ces certificats a été divisé par quatre au cours des huit dernières années, ce qui marque un véritable changement de pratique. Il ne faut pas oublier qu'un praticien en cabinet de ville rencontre très peu de patients confrontés à un sinistre professionnel, d'où l'importance de son obligation de formation continue en la matière.

La formation et l'information régulière, en particulier auprès des professionnels de santé, constituent ainsi un enjeu majeur, que nous rappelle régulièrement la commission sur la sous-déclaration.

Pour autant, notre levier réside dans la mesure du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) relative à la fin de ces indemnités journalières, plutôt que dans l'imposition d'un formulaire supplémentaire dans les cabinets médicaux, dont la mise en oeuvre serait complexe. Or nous adoptons résolument une démarche de simplification, tant pour les médecins que pour les assurés, des déclarations relatives à la reconnaissance et à l'indemnisation des accidents du travail et des maladies professionnelles. Nous nous appuierons donc sur cette disposition mettant fin aux indemnités journalières de long terme.

Cela n'empêche nullement la conduite de campagnes de contrôle par le service médical de l'assurance maladie. Les praticiens-conseils sont ainsi chargés d'examiner les arrêts de longue durée, même inférieurs à quatre ans, et peuvent à ce titre convoquer les assurés pour faire le point sur leur état de santé. Si celui-ci est consolidé, ils peuvent leur proposer de sortir de la situation précaire d'une indemnisation temporaire par des IJ en basculant vers le versement d'une rente viagère. Le travail quotidien des médecins-conseils consiste précisément à ne pas attendre quatre ans, même si cette mesure du PLFSS devait être appliquée, pour suivre l'indemnisation des assurés, au titre de la maladie comme d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle.

J'en viens à l'autre disposition importante pour la branche AT-MP, qui concerne l'organisation des comités régionaux de reconnaissance des maladies professionnelles (C2RMP), chargés de la reconnaissance des maladies professionnelles lorsque celles-ci ne relèvent pas entièrement de l'un des cent tableaux existants. Ces comités sont composés de trois experts médicaux : un médecin du travail, un médecin-conseil de l'Assurance maladie et un professeur des universités-praticien hospitalier (PU-PH).

La mesure proposée vise en particulier à alléger le traitement d'une grande partie des dossiers qui nécessitent actuellement la réunion de ces trois compétences ; en ramenant ce nombre à deux médecins-conseils, elle a pour vocation d'accélérer des délais de traitement dont la longueur est difficilement tolérable pour les assurés et leur accès aux droits. La justice nous a d'ailleurs rappelés à l'ordre, à juste titre, il y a quelques années : saisie d'un contentieux, elle ne parvenait pas à trouver de C2RMP disponible pour réunir ces trois compétences médicales, dont certaines sont rares sur le territoire.

Il est donc impératif d'alléger la procédure et d'offrir un service public de meilleure qualité, en particulier pour les dossiers de maladie professionnelle qui relèvent d'un tableau, mais pour lesquels l'assuré ne remplit pas l'ensemble des conditions. Cette disposition ne concerne pas les dossiers hors tableau, qui sont les plus complexes et pour lesquels la composition collégiale à trois médecins est préservée ; il s'agit notamment des risques psychosociaux ou des cancers professionnels, sujets pour lesquels une expertise médicale forte est strictement nécessaire. La composition des C2RMP qui les traitent n'est donc pas affectée.

Cette évolution cible les dossiers les plus nombreux, pour lesquels les C2RMP se transforment en instances de traitement presque industrielles : leur nombre est passé de 15 000 à 30 000 en dix ans ; or nos experts médicaux n'ont pas vocation à effectuer un traitement de masse, en particulier pour les troubles musculosquelettiques (TMS), qui constituent les cas les plus fréquents. Pour ces derniers, il s'agit de limiter la composition du comité à deux médecins-conseils, afin de conserver un caractère collégial.

Quant aux doutes exprimés sur la neutralité ou sur l'impartialité de ces instances, il relève pleinement du rôle légitime des médecins-conseils du service médical de l'Assurance maladie de statuer sur ces dossiers médicaux et sur l'accès aux prestations, comme ils le font déjà pour l'invalidité et pour d'autres prestations. L'organisation du service médical, qui évolue, les dote de comités d'éthique propres à préserver leur indépendance. Leur capacité à prendre en charge ces dossiers et à rendre une décision beaucoup plus rapide pour les assurés ne fait aucun doute à mes yeux. La mesure prévoit d'ailleurs également un recours amiable.

S'agissant de l'importance de la présence du médecin du travail et de sa compétence, il importe de relever que nous ne disposons pas, aujourd'hui, de la totalité des rapports de ces médecins : le processus de reconnaissance fonctionne donc actuellement sans l'intégralité de ces documents. Du reste, un texte antérieur autorise déjà, pour ces dossiers, une composition à deux membres du C2RMP, sans la présence du médecin du travail. Il s'agit d'une mesure pragmatique, qui vise à réduire des délais de traitement trop longs pour les assurés que nous protégeons.

Enfin, concernant la réforme des rentes, la tenue de l'échéance de juin 2026 soulève une réelle difficulté opérationnelle et un report pourrait être nécessaire, même s'il est encore tôt pour l'affirmer. Nous travaillons avec la plus grande intensité avec les partenaires sociaux et la direction de la sécurité sociale (DSS) pour faire avancer cette réforme complexe. Si l'échéance ne pouvait être tenue, le report ne serait que de quelques mois. Le délai est contraint, mais je ne doute pas de notre capacité à aboutir s'agissant de ce socle réglementaire.

Mme Jocelyne Guidez. - La recherche d'économies me conduit à me demander s'il est envisageable d'exclure la psychanalyse, ou des prestations s'y référant, de la prise en charge intégrale, notamment pour les patients atteints d'un trouble du neurodéveloppement.

La Haute Autorité de santé (HAS) a indiqué que cette pratique ne servait absolument à rien, cet avis est partagé par le délégué ministériel, et les associations sont vent debout sur ce sujet. J'aimerais donc connaître votre position sur le remboursement à 100 % d'une pratique dont l'inefficacité est ainsi avérée.

Mme Raymonde Poncet Monge. - L'article 39 ne soulève pas seulement une question purement quantitative. La réduction du nombre de membres de trois à deux n'est pas anodine : sur les trois compétences initiales, une seule subsiste, celle du médecin-conseil, qui est plus généraliste. Les deux compétences propres à la branche, celles des universitaires de santé au travail et des médecins inspecteurs du travail, sont donc supprimées.

Avez-vous associé à la réflexion les associations, comme l'Association nationale de défense des victimes de l'amiante (Andeva) ? Nous craignons un certain défaut de consultation, comme ce fut le cas pour la réforme de la rente.

Par ailleurs, des indicateurs de suivi seront-ils mis en place afin de vérifier que cette mesure n'entraîne pas une augmentation significative des recours et des rejets ? La question n'est pas tant celle de l'indépendance que de la compétence. Comment ce suivi sera-t-il assuré ?

Ce rétrécissement du champ de compétences me semble préoccupant : si l'article 28 était adopté, une femme sortant d'un congé de maternité, comme pour tout arrêt de plus d'un mois, ne passerait par exemple plus par le médecin du travail, seul habilité, pourtant, à déterminer sa capacité à reprendre son activité en tenant compte des contraintes de son poste de travail. Sous prétexte d'un manque de médecins, de médecins inspecteurs du travail et de PU-PH, la dimension particulière de cette profession se trouve laminée. Intégrera-t-on bientôt la médecine du travail dans l'assurance maladie, pour plus de simplicité ?

Cette réforme du fonctionnement des C2RMP intervient alors que l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses), dans un avis publié en 2024, recommande d'actualiser plusieurs tableaux de maladies professionnelles et d'en créer de nouveaux, afin de mieux prendre en compte l'évolution des connaissances scientifiques et de maladies comme l'épuisement professionnel. L'agence a identifié une quarantaine de maladies ayant un lien avéré ou probable avec une exposition professionnelle et qui ne font toujours pas l'objet d'un tableau.

Selon elle, une meilleure prise en compte de ces pathologies renforcerait la cohérence et l'efficacité du système de reconnaissance des maladies professionnelles, tout en améliorant l'accès à ce processus et en réduisant les inégalités socioprofessionnelles.

Face à ce manque, quand la création d'un tableau de maladies professionnelles sur les dépressions, par exemple, sera-t-elle engagée ? L'idéal serait un tableau assorti d'indicateurs et de conditions.

À quand une révision générale des tableaux, qui année après année tarde à venir ? Nous risquons, à défaut, l'engorgement des C2RMP, ainsi qu'une augmentation de la sous-reconnaissance comme des délais de traitement.

Certes, le PLFSS est annuel, mais une vision à long terme est nécessaire. Quand ce travail sur les tableaux de reconnaissance des maladies professionnelles commencera-t-il, assorti d'une date butoir ?

Mme Christine Bonfanti-Dossat. - Ma question porte également sur l'article 39, qui revoit les dispositions relatives à la reconnaissance des maladies professionnelles. Quelles suites seront données à la possibilité, pour le travailleur, d'obtenir un deuxième avis en cas de rejet de sa demande ? Quelles seront les voies de recours offertes en cas de désaccord ?

M. Khalifé Khalifé. - Je rejoins mes collègues sur la nécessité de mettre à jour le tableau des maladies professionnelles, devenu moins pertinent au regard des pathologies nouvelles.

Ma question porte sur la prévention. Comment l'abordez-vous ? Relève-t-elle de votre ressort ou d'autres instances ? Le bien-être au travail est un enjeu pour de nombreuses sociétés, des fondations sont créées et le patronat finance des projets pour aider les entreprises à mettre en place une politique en la matière. Comment le ministère oula sécurité sociale, notamment vos services, appréhendent-ils ce sujet ?

Le second point concerne la médecine du travail. Face aux importants délais d'attente liés au manque de médecins dans cette spécialité, des démarches sont-elles entreprises auprès du Centre national de gestion des praticiens hospitaliers et des personnels de direction de la fonction publique hospitalière (CNG) et des autorités de formation des médecins pour agréer d'autres praticiens, afin de fluidifier ce parcours ?

Mme Anne Thiebeauld. - Je botte en touche sur les deux questions qui ne relèvent pas du périmètre de la branche accidents du travail et maladies professionnelles. La question sur la prise en charge de la psychanalyse relève de l'assurance maladie ou de compétences médicales que je n'ai absolument pas. Elle est étrangère à la spécificité de la branche AT-MP, et je ne suis donc malheureusement pas en mesure de vous répondre. Vous m'interrogez également sur la formation et l'agrément des médecins du travail, qui relèvent pleinement de la sphère du travail et non de la sécurité sociale. Au titre de la branche AT-MP, j'ai des échanges réguliers avec la direction générale du travail (DGT) au sujet de ces problématiques, qui font l'objet de constats étayés, mais sur lesquelles je ne dispose pas de levier pour agir.

M. Khalifé Khalifé. - Vous pouvez alerter sur le sujet.

Mme Anne Thiebeauld. - Nous le faisons en effet et nous faisons part de nos préoccupations, notamment dans certaines régions, car le tissu des services de prévention et de santé au travail (SPST) est très hétérogène. La collaboration de ces services avec les caisses d'assurance retraite et de santé au travail (Carsat) permet de faire remonter des signalements et des alertes, mais elle donne aussi lieu, dans certains territoires, à de très bonnes coopérations.

Concernant les questions liées à l'article 39 et à la procédure de création de tableaux, je prends note des appréhensions que vous soulevez sur la réduction du nombre de compétences pour la prise en charge d'une partie des dossiers. Il faut toutefois signaler que ces dossiers ne sont déjà plus traités par trois experts, mais seulement par deux. En effet, le médecin du travail n'intervient plus sur ces cas depuis longtemps ; la présence d'une compétence propre à la médecine du travail ne sera donc pas modifiée.

En revanche, nous rencontrons des difficultés de ressources concernant les PU-PH, car il s'agit, pour les compétences imposées par le règlement, de spécialistes, et non de généralistes. Cela complique la tenue des séances, dont le nombre devrait pourtant être multiplié, compte tenu du volume de dossiers auxquels ces comités sont confrontés, alors que ceux-ci ne nécessitent pas une plus-value médicale ou une expertise telle qu'il faille convoquer un spécialiste hospitalier pour les traiter.

Pour autant, les deux médecins-conseils pourront demander un avis préalable du médecin du travail, ou solliciter un avis d'expert si la situation des assurés le nécessite. Nous ne fermons pas cette possibilité. L'idée est de mettre en place un dispositif non pas pour gérer l'exception, mais pour gérer le volume important de dossiers.

Vous appelez à multiplier les tableaux de maladies professionnelles, ce qui reviendrait à multiplier les situations dans lesquels les assurés rempliraient certains critères d'un tableau, mais pas tous. La charge de travail des comités s'en trouverait augmentée.

Même si nous supprimons, comme vous le suggérez, certaines charges sur les comités qui se réunissent pour les situations hors tableau, le nombre de personnes ne correspondant pas tout à fait à un tableau augmenterait.

La situation actuelle n'est pas tenable dans la durée. Les expertises médicales relèvent du traitement de masse, qui correspond pleinement à ce que sait faire la sécurité sociale en matière de gestion et d'accès aux prestations.

Par ailleurs, un recours restera toujours possible auprès du comité national de reconnaissance des maladies professionnelles, qui réunira bien les trois compétences. Ainsi, en amont, les médecins-conseils peuvent demander des avis sapiteurs à des médecins du travail et, en aval, l'assuré peut tout à fait former un recours au comité national si l'avis rendu ne le satisfait pas.

Par ailleurs, je vous confirme que nous avons pleinement l'intention de suivre les indicateurs de qualité de service, notamment en ce qui concerne l'évolution des contentieux. Ces indicateurs sont très précieux. Chaque année, nous faisons un bilan des contentieux avec la gouvernance de la branche AT-MP pour mesurer l'évolution des recours tant des employeurs que des salariés.

Cette réforme du CRRMP ne sort pas de nulle part : cette solution organisationnelle est préparée de longue date. La Cour des comptes la mentionnait déjà dans le rapport sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale (Ralfss) de 2021. Cela fait donc quatre ans que le sujet est sur la table. Nous avons également travaillé avec le ministère de la justice, qui nous avait alertés il y a quelques années sur nos délais de traitement.

Cette réforme ne sort donc pas de l'antichambre de la direction des risques professionnels, elle résulte d'un travail de fond et sert l'accès aux droits des assurés. Elle pèse d'ailleurs davantage en dépenses qu'en recettes dans le PLFSS.

En ce qui concerne la création de tableaux des maladies professionnelles, un rapport de l'Anses explore de nombreuses pistes. Ce faisant, il joue pleinement le rôle qui lui a été confié en 2018.

Je précise que le législateur n'a pas confié la création des tableaux à la Cnam. Cette procédure très spécifique relève des partenaires sociaux via le Conseil d'orientation des conditions de travail (COCT), dont la gouvernance ne dépend pas de la branche AT-MP.

Pour autant, si un tableau en lien avec les risques psychosociaux ou avec les maladies psychiques d'origine professionnelle devait voir le jour, comme vous l'appelez de vos voeux, j'ose espérer que nous serions mis à contribution au sujet de la reconnaissance et de l'indemnisation de ces risques professionnels.

Pour terminer, sur la partie prévention, nous nous emparons du sujet de manière dynamique. L'une des orientations de la convention d'objectifs et de gestion signée en 2024 prévoit un programme de travail sur les risques psychosociaux (RPS). Nous avons travaillé avec l'Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (INRS) pour définir un socle de référence sur les méthodes de prévention des RPS au sein des entreprises.

Si nous parlons davantage de RPS que de bien-être au travail, c'est parce que nous nous concentrons sur la question de la sinistralité. Pour autant, des méthodes de prévention existent. Nos préventeurs en caisses d'assurance retraite et de santé au travail (Carsat) sont appelés à les déployer.

Comme je l'ai dit en introduction, nous avons ciblé 28 000 entreprises sur tous les risques, dont les RPS. De notre propre initiative, nous étudions chaque année les statistiques de sinistralité de 500 entreprises et nous interpellons celles où la sinistralité est particulièrement élevée. Nous sommes donc proactifs sur ces questions.

Les entreprises peuvent par ailleurs s'adresser à leur Carsat pour bénéficier, par exemple, de subventions pour financer à hauteur de 70 % la réalisation d'un diagnostic sur les risques psychosociaux en leur sein. Cette offre de services de la branche est financée par les 270 millions d'euros d'aides financières que j'ai évoqués précédemment. Elle est d'ores et déjà accessible aux entreprises, et en particulier à celles de moins de 50 salariés, pour qui il est plus difficile de consentir à un tel investissement.

Mme Annie Le Houérou. - Je reviens sur l'article 39, qui a pour objet la simplification de la reconnaissance des maladies professionnelles. J'observe que, au nom de cette simplification, l'on réduit la capacité d'expertise des équipes de médecins décideurs en matière de reconnaissance de maladies professionnelles.

Quel est votre avis sur l'évaluation du transfert à la branche assurance maladie au titre de la sous-déclaration des accidents du travail et des maladies professionnelles ?

Quelles seront les répercussions du déficit dans lequel bascule la branche sur l'accompagnement des entreprises ? Celles-ci ne risquent-elles pas de réduire leurs actions en matière de prévention, alors que nous savons qu'elles n'en font déjà pas assez ?

Ne faudrait-il pas flécher les cotisations vers les secteurs où la sinistralité est la plus importante pour que les entreprises s'impliquent davantage dans des actions de prévention ? Ce serait une façon de mieux répondre à la pénibilité au travail. Je pense notamment aux entreprises qui ont recours à de nombreux intérimaires ou apprentis, lesquels sont particulièrement touchés par les accidents du travail.

Par ailleurs, la dotation au fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (Fiva) passe de 465 millions à 387 millions d'euros. Pouvez-vous nous expliquer cette baisse notable ?

M. Alain Milon. - Vous avez indiqué tout à l'heure que le nombre de jours d'arrêt de travail augmentait. Cette augmentation est-elle plus due à des accidents du travail ou à des maladies professionnelles ?

Par ailleurs, plusieurs de mes collègues ont évoqué les maladies psychologiques ou psychiatriques. Comment lier une maladie psychiatrique à une profession ?

Mme Anne-Sophie Romagny. - À l'heure actuelle, les services de santé qui sont placés sous la tutelle de plusieurs ministères - médecine du travail, médecine de prévention, mais aussi médecine scolaire - illustrent à eux seuls la complexité de l'action publique en matière de santé. Ces différentes branches sont essentielles pour le suivi de santé de la population. Ne pourrions-nous pas améliorer la coordination interministérielle pour optimiser les dépenses de sécurité sociale en la matière ?

En effet, nous voyons que les priorités varient d'un ministère à l'autre et que l'information circule insuffisamment. Je pense notamment aux médecins du travail, qui n'ont pas accès au dossier médical partagé (DMP) alors qu'ils estiment que cela leur faciliterait la tâche en matière de risques professionnels et de prévention.

Mme Céline Brulin. - Je souhaite à mon tour revenir sur l'article 39, qui soulève, comme vous avez pu le constater, de nombreuses questions de notre part. Vous avez présenté la réforme comme une mesure pragmatique, mais le pragmatisme ne commanderait-il pas de commencer par actualiser les tableaux des maladies professionnelles, voire d'en créer de nouveaux ?

J'ai bien compris que cela n'était pas de votre ressort, mais cela permettrait de réduire le nombre de situations qui, bien que vous les qualifiiez d'exceptionnelles, engorgent les CRRMP. J'insiste sur ce point, car j'ai l'impression que nous faisons les choses dans le désordre et que nous risquons de finir par nous en mordre les doigts.

En ce qui concerne l'article 50, je m'interroge sur le maintien à 1,6 milliard d'euros du transfert de la branche AT-MP vers l'assurance maladie au titre des sous-déclarations. Une commission d'évaluation se fondant sur des données scientifiques et épidémiologiques avait, en 2024, évalué le montant de ces sous-déclarations entre 2 milliards et 3,8 milliards d'euros.

Comment expliquez-vous une telle différence entre cette évaluation, qui semble avoir été menée de manière autonome et sérieuse, et le montant de 1,6 milliard d'euros qui a été retenu deux années de suite dans le PLFSS ? Ne trouvez-vous pas contradictoire de se priver de ce levier et de privilégier la diminution des indemnités journalières ou un plafonnement de la durée des arrêts de travail pour la branche maladie ?

Enfin, menez-vous des études prospectives sur un éventuel lien entre le report de l'âge de départ à la retraite et un accroissement des accidents du travail et des maladies professionnelles ?

Mme Marion Canalès. - Je reviendrai brièvement sur l'article 28, qui supprime la visite obligatoire de reprise du travail à l'issue d'un congé maternité. Je rappelle que 16 % des femmes qui accouchent souffrent d'une dépression post-partum, ce qui a de fortes conséquences sur les conditions de reprise du travail.

La loi du 2 août 2021 pour renforcer la prévention en santé au travail a déjà modifié les conditions de suivi des femmes enceintes ou venant d'accoucher et nous constatons un allégement progressif du suivi médical de ces femmes. Alors que les inégalités hommes-femmes persistent dans de nombreux domaines, notamment celui de la santé mentale, la lutte contre la dépression post-partum est une priorité de santé publique. Un rapport de l'Assemblée nationale l'a justement souligné.

En outre, un rapport d'information sénatorial sur le thème « L'avenir de la santé périnatale et son organisation territoriale » a rappelé que le suicide était la première cause de décès maternel dans l'année suivant l'accouchement.

Les différents rapports parlementaires nous invitent donc à renforcer l'accompagnement des femmes en post-partum plutôt que de l'alléger.

Mme Anne Thiébeauld. - En ce qui concerne l'article 39, j'entends vos interrogations quant à une réduction des compétences mobilisées pour instruire les dossiers. Toutefois, je le répète, les médecins-conseils peuvent faire appel au médecin du travail en amont et les salariés peuvent saisir l'instance de recours amiable en aval de la décision.

Je maintiens qu'il s'agit d'une mesure pragmatique, car, de fait, les médecins du travail ne traitent plus ces questions. En outre, il me semble pour le moins regrettable vis-à-vis des assurés que le délai moyen d'instruction des dossiers soit de deux ans.

Il est illusoire de croire que la création de nombreux autres tableaux professionnels résoudrait tous les problèmes. Manifestement, nos positions divergent. Pour ma part, j'estime que cette mesure nous permet d'agir dès aujourd'hui en fluidifiant le système. Je ne dis pas qu'elle répondra à toutes les difficultés et il conviendra de l'ajuster autant que de besoin tout au long de sa mise en oeuvre.

En revanche, elle a le mérite de recentrer le travail des médecins sur leur véritable rôle d'expert. À l'heure où les compétences médicales sont devenues une ressource rare, il me semble souhaitable de ne plus demander aux professionnels médicaux de traiter des masses de données qui tournent principalement autour de trois tableaux relatifs aux troubles musculo-squelettiques.

S'il est acquis qu'une hôtesse de caisse s'expose à des troubles musculo-squelettiques, il est tout de même nécessaire de passer par un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP) pour que ceux-ci soient pris en charge. Honnêtement, les services médicaux de l'assurance maladie sont tout à fait capables d'arbitrer sur ce genre de cas courants, qui sont très nombreux en volume.

Là où nous avons réellement besoin d'experts, c'est pour traiter les cas hors tableau. Si nous créons davantage de tableaux, il y aura certes moins de cas hors tableau, mais cela aura pour effet de bord de laisser sur le côté des salariés dont la situation ne correspond pleinement à aucun tableau, ce qui créera une nouvelle charge pour le traitement des dossiers dits « alinéa 6 », c'est-à-dire partiellement conforme au tableau.

J'ajoute que les CRRMP n'ont plus de marge de manoeuvre. Si la mesure prévue par l'accord national interprofessionnel consistant à élargir le recours aux CRRMP à partir de 20 % d'incapacité au lieu de 25 % devait être transposée, je ne sais pas comment ceux-ci pourraient assumer cette charge supplémentaire.

Il me semble donc pragmatique - j'insiste sur ce mot - de préserver un accès au droit qui est actuellement mis à mal par des délais d'instruction objectivement excessifs.

Plusieurs d'entre vous ont évoqué l'importance de la prévention des sinistres pour limiter le montant de la sous-déclaration, notamment en ce qui concerne l'intérim. Je vous confirme que nous menons, dans le cadre de la COG, des actions de prévention sectorielle sur l'intérim, le médico-social et le bâtiment et travaux publics (BTP).

Ces trois secteurs étant les plus sinistrogènes, ils font l'objet d'actions de prévention ciblées. Nous travaillons avec des partenaires spécifiques. Par exemple, sur l'intérim, nous travaillons avec les majors du secteur pour améliorer et diffuser largement les méthodes de prévention. L'année dernière, une réforme de la tarification du secteur de l'intérim a responsabilisé à parts égales les entreprises utilisatrices et les agences d'intérim.

Nous constatons en effet une baisse de la dotation en faveur du Fiva et du fonds de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante (Fcaata) pour 2026, mais l'augmentation de 2025 était exceptionnelle. Nous revenons en réalité à la moyenne des transferts de fonds des années précédentes, qui préserve le fonds de roulement nécessaire. Je n'ai pas d'alerte à formuler sur ce sujet.

Monsieur Milon, l'augmentation des indemnités journalières porte principalement sur les maladies professionnelles. Ces dernières années, le nombre d'accidents du travail a globalement diminué, celui des accidents de trajet est resté stable et celui des maladies professionnelles a fortement progressé, de l'ordre de 5 % à 7 % par an.

Il s'agit de petits volumes, environ 50 000 dossiers ; nous n'assistons pas à une explosion de la sinistralité, dont la dynamique dépend surtout de la baisse des accidents du travail. Pour autant, les maladies du travail et en particulier les TMS augmentent de manière significative.

Vous me demandez, si je comprends bien, comment lier un RPS à une profession. En réalité, on lie un RPS non pas à une profession, mais à une situation de travail. Selon la définition de 1998, l'accident survenu au temps et au lieu du travail est présumé être un accident du travail, un certificat médical devant attester de la réalité des lésions. Il n'y a donc pas besoin de lier un risque psychosocial à un métier.

Vous m'interrogez aussi sur la coordination interministérielle. Pour la médecine du travail et la réparation AT-MP, les instances sont bien articulées. Le plan de santé au travail (PST) 5 donne le même socle d'orientations et d'objectifs pluriannuels à la médecine du travail, à la branche AT-MP et au régime agricole. Nous avons un document structurant, fondateur et stratégique pour tous les opérateurs qui concourent à la prévention de la sinistralité.

Ce PST 5 se décline en région, via des plans d'action régionaux. Ces instances regroupent les représentants des employeurs et des salariés, les services de la médecine du travail, de la médecine scolaire ou encore la caisse d'assurance retraite et de santé au travail (Carsat) ; nous y définissons les priorités. Même si elle n'est pas idéale, l'organisation existe.

Ensuite, des contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens (Cpom) sont signés par chaque Carsat avec la direction régionale de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités (Dreets) territorialement compétente et chaque service de santé au travail, pour cinq ans, autour d'un socle commun d'action.

Les structures et la coordination existent. Ne créons pas des doublons, en imaginant de grandes agences. La médecine du travail, de niveau 1, connaît le terrain et la situation des entreprises, tandis que la Carsat, de niveau 2, fait du ciblage de sinistralité : quand ces deux niveaux se parlent, il est possible d'accompagner les entreprises.

L'accès au dossier médical partagé est un sujet qui dépasse la branche AT-MP ; se posent des questions liées au règlement général sur la protection des données et d'accès aux données. Les choses ne sont pas abouties.

Les délais de création de nouveaux tableaux sont incompressibles. En créer de nouveaux ne me semble pas être la bonne solution pour reconnaître des maladies hors tableaux. Les tableaux à l'origine de la charge de travail imposée au comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles ne sont pas anciens, à l'instar des tableaux sur les troubles musculosquelettiques. Créer de nouveaux tableaux va augmenter la charge de travail du CRRMP, qui, en l'état, ne pourra pas l'assumer.

La fourchette conclusive définie par la commission de sous-déclaration des AT-MP pour 2024 est supérieure au montant inscrit dans ce PLFSS. La trajectoire s'oriente vers la fourchette basse définie par la commission, soit 2 milliards d'euros pour 2027.

Madame Brulin, je n'ai pas bien compris votre question sur les indemnités journalières et la sous-déclaration. Je vous confirme qu'une part non négligeable de l'augmentation des indemnités journalières est liée aux seniors, en particulier au regard des maladies professionnelles. Cela est assez logique, compte tenu de la poursuite de l'activité à un âge plus avancé, au-delà même de la réforme stricte de 2023 ; par ailleurs, les situations de santé sont plus longues à se résorber avec l'âge.

La suppression des visites de préreprise pour les femmes enceintes concerne la médecine du travail ; je n'ai donc pas d'avis particulier sur le sujet.

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale. - François Bayrou avait demandé au Haut Conseil du financement de la protection sociale (HCFiPS) de travailler sur les économies possibles dans l'ensemble des branches de la sécurité sociale.

La branche AT-MP faisait l'objet de trois recommandations. Les documents du HCFiPS montraient un souhait de moderniser la branche, qui aurait pris le nom de branche « Prévention et santé au travail ». La branche doit devenir acteur de la prévention des risques au travail. Avez-vous engagé des travaux à ce sujet ?

Mme Anne Thiébeauld. - Je vous rejoins : plus nous investirons dans le domaine de la prévention, moins il y aura d'accidents ou de maladies professionnelles. Toutefois, je n'ai pas connaissance de travaux lancés sur ce thème.

M. Jean Sol, président. - Je vous remercie.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2026 - Audition de MM. Éric Blachon, président, et Renaud Villard, directeur, de la Caisse nationale d'assurance vieillesse

M. Jean Sol, président. - Dans le cadre de nos travaux sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2026, nous accueillons à présent MM. Éric Blachon, président, et Renaud Villard, directeur général de la Caisse nationale d'assurance vieillesse (Cnav).

Je vous précise que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo. Elle est diffusée en direct sur le site internet du Sénat et sera consultable en vidéo à la demande.

Le PLFSS pour 2026 prévoit que la branche vieillesse reste en déficit jusqu'en 2029, dans des proportions relativement contenues après le pic de 2025 - le déficit atteignait 6,3 milliards d'euros.

Elle contient aussi, bien entendu, certaines des mesures les plus commentées de ce PLFSS, qu'il s'agisse du gel puis de la sous-indexation des pensions de retraite, de la suspension des effets de la réforme de 2023 ou de certaines mesures d'amélioration de la retraite des femmes.

M. Éric Blachon, président de la Caisse nationale d'assurance vieillesse. - Concernant le PLFSS pour 2026, les chiffres produits par nos services montrent que les dépenses connaissent une évolution plus dynamique que celle des recettes, aboutissant en 2025 à une dégradation du déficit de la branche retraite. Cette dynamique de hausse s'observe depuis 2024, après un exercice 2023 où la branche était quasiment à l'équilibre. En 2024, le solde cumulé Cnav-fonds de solidarité vieillesse (FSV) était déficitaire de 2,6 milliards d'euros en raison d'une forte hausse des prestations, avec la revalorisation des pensions de 5,3 % en janvier 2024 et l'impact de la majoration exceptionnelle.

En 2025, le déficit devrait atteindre 5,3 milliards d'euros en raison de deux tendances conjuguées : la croissance des prestations versées, due notamment à la revalorisation des pensions de 2,2 % en janvier, et le ralentissement de la croissance de la masse salariale, qui s'établit à 1,8 % en 2025, après une année 2024 plus dynamique, à 3,3 %.

Pour 2026, le déficit atteindrait 5,8 milliards d'euros, avec une hausse des pensions attendue à 1 % en raison de la baisse de l'inflation et une reprise de la croissance de la masse salariale à 2,3 %.

Au-delà de 2026, les hypothèses retenues tablent sur une croissance plus soutenue de la masse salariale - au-delà de 3 % - et des revalorisations de pensions plus contenues grâce à une inflation maîtrisée en dessous de 2 %.

À l'horizon de 2029, le solde de la branche s'établirait ainsi à - 8,1 milliards d'euros en raison de la dégradation du ratio démographique du régime.

Dans ces projections, la dégradation devait initialement être partiellement contenue par la montée en charge de la réforme des retraites de 2023. Les récentes annonces concernant sa suspension nous invitent donc à reconsidérer avec prudence la trajectoire du déficit, qui pourrait être plus marquée encore.

Si le conseil d'administration apprécie la réforme du dispositif du cumul emploi-retraite, qui gagnera en lisibilité et permettra de lutter plus efficacement contre les effets d'aubaine, il s'interroge sur la clarté de certaines dispositions de ce projet de loi, qui semblent sujettes à des interprétations divergentes.

Le conseil d'administration souhaite appeler votre attention sur la capacité des services à mettre en oeuvre les dispositions de cette loi. Le travail d'orfèvre que nous demande le législateur impose des délais incompressibles ; il faut penser à la mise en oeuvre opérationnelle de cette loi.

Enfin, le conseil d'administration de la Cnav s'est exprimé le 22 octobre sur ce PLFSS en rendant un avis majoritairement défavorable. Les uns et les autres s'accordent sur la nécessité de construire un système à l'équilibre. Le conseil d'administration a été une nouvelle fois saisi sur la question de la suspension de la réforme de 2023. Hier après-midi, la commission d'étude de législation de l'assurance vieillesse, qui avait une délégation de vote, s'est de nouveau prononcée majoritairement contre ce projet par 22 voix contre, 4 voix pour et 1 abstention.

M. Renaud Villard, directeur de la Caisse nationale d'assurance vieillesse. - Je présenterai très brièvement les principales mesures relatives à la branche vieillesse contenues dans ce PLFSS, en me concentrant sur les cinq mesures qui l'impactent principalement, sans insister sur les mesures de financement transverses.

L'article 43 constitue une réforme en profondeur du cumul emploi-retraite. Il vise à la fois à simplifier et à clarifier le dispositif, mais aussi à désinciter au cumul emploi-retraite avant 67 ans. Cela explique son rendement extrêmement élevé : 2 milliards d'euros en 2030. Ce rendement est en réalité comportemental, car la réforme incitera des assurés à rester plus longtemps en activité et à profiter de la surcote.

L'article 44 concerne la non-revalorisation des prestations pour 2026, avec la prolongation, pour les exercices 2027 à 2030, d'une sous-indexation des retraites de 0,4 point. Cela fait écho à des éléments évoqués au sein de la délégation paritaire permanente du conclave sur la réforme des retraites. Par lettre rectificative, le Gouvernement a proposé pour 2027 de sous-indexer les retraites non pas de 0,4 mais de 0,9 point, afin de financer la suspension de la mesure d'âge de la réforme des retraites.

L'article 45 comporte deux mesures très directement inspirées des travaux paritaires du conclave. Il introduit deux trimestres de majoration de durée d'assurance liés aux enfants au titre des carrières longues, ce qui permettra à environ 12 000 femmes, chaque année, de bénéficier de ce dispositif, aujourd'hui très majoritairement masculin. Cet article inclut également, dans son exposé des motifs, une évolution du calcul du salaire de référence, là aussi en faveur des mères de famille, puisqu'il ne viserait non plus les 25, mais les 24 ou 23 meilleures années. Cette mesure, qui concernera potentiellement plus de 50 % des femmes, monte en charge lentement, puisqu'elle s'adresse aux futurs retraités ; son coût dépassera les 2 milliards d'euros à terme.

L'article 45 bis a eu les honneurs de la presse. Il s'agit de la suspension des mesures d'âge de la réforme des retraites ; nous aurons l'occasion d'en débattre.

Enfin, l'article 42 concerne la branche famille et l'extension du congé de naissance ; il concerne aussi très directement la branche vieillesse. Il est prévu que ce congé donne lieu à une période assimilée et soit donc couvert pour le risque vieillesse par l'attribution de trimestres au sein du régime général. D'emblée, cette articulation entre les risques famille et vieillesse avait été prévue dans le PLFSS.

Mme Pascale Gruny, rapporteur pour la branche vieillesse. - Nous réduirons pour la première fois depuis 1982 l'âge d'ouverture des droits à la retraite en suspendant l'application de la réforme de 2023 pour les générations 1964 et 1965. Avez-vous une idée du nombre d'assurés qui pourraient être impactés au régime général ? Dans quelle mesure votre service informatique pourra-t-il appliquer une telle suspension si elle était votée d'ici à la fin de l'année par le Parlement ? Avez-vous une idée du coût que le recalcul des pensions visées va engendrer pour la Cnav ?

Vous avez évoqué un manque de clarté de certaines dispositions dans ce PLFSS : pourriez-vous nous indiquer lesquelles ?

L'article 43 réforme le cumul emploi-retraite selon les préconisations formulées par la Cour des comptes. Or, celle-ci met en avant la difficulté qu'ont les caisses de retraite à contrôler le recours au cumul emploi-retraite dans la mesure où le système reposait principalement sur les déclarations des assurés. Cette obligation de déclaration est désormais supprimée, et l'étude d'impact prévoit que les caisses de retraite contrôleront le dépassement du seuil de revenus via le dispositif de ressources mensuelles qui est alimenté par les employeurs et les organismes de protection sociale. Un tel contrôle sera-t-il efficient ?

Toujours sur le cumul emploi-retraite, la réforme des retraites de 2023 a permis d'ouvrir aux retraités en cumul intégral de nouveaux droits à pension. En avez-vous déjà liquidé ? Quel coût cela représente-t-il ?

M. Renaud Villard. - Le nombre d'assurés concernés par la suspension dépendra des comportements : en année pleine, selon l'hypothèse maximale, 400 000 assurés prendraient leur retraite plus tôt ; selon nos hypothèses comportementales, ce serait seulement 250 000 personnes. Nos hypothèses de comportement restent cependant fragiles, car il est rare que l'on s'intéresse à une réduction de l'âge de départ à la retraite.

Le coût des dispositifs est totalement conforme à notre estimation : une grosse centaine de millions d'euros en 2026, exercice très partiel, et environ 1,3 milliard en 2027, en année pleine. L'effet est quasi exclusivement lié à l'âge et très peu à la durée d'assurance.

J'en viens à la faisabilité informatique. Il nous faut un délai de cinq mois, comme l'expérience me l'a montré, notamment lors de la réforme Borne. Avec neuf mois devant nous, vous avez face à vous un gestionnaire heureux ! Si la mesure devait entrer en vigueur au 1er janvier, cela serait impossible. Nous serions en conformité en mai, si bien que les dossiers de janvier à mai seraient bloqués : des assurés ne toucheraient pas leur retraite pendant plusieurs mois. À cette date, le texte n'a pas d'impact de recalcul. L'entrée en vigueur est prévue au 1er septembre 2026 : nous calculerons d'emblée les bons montants.

Passer d'un système déclaratif à un système automatique pour le cumul emploi-retraite est une bonne chose. Le système déclaratif engendre, à cause d'une méconnaissance du droit, des non-conformités, et des demandes de remboursement deux ou trois ans après. Avec le dispositif envisagé, le dispositif de ressources mensuelles (DRM), nous recevons deux mois après l'ensemble des salaires et des prestations sociales. C'est un outil construit par la Cnav pour la solidarité à la source pour la branche famille. Nous connaissons bien cet outil que nous hébergeons. L'entrée en vigueur au 1er janvier 2027 me semble compatible avec l'ambition de repérer automatiquement un retraité qui reprend une activité, afin de l'alerter immédiatement, que ce soit sur une non-conformité ou sur une reprise d'activité créatrice de droits. Il s'agit de ne pas créer un décalage temporel, souvent difficilement supportable.

Les nouveaux droits à pension pour le cumul emploi-retraite restent encore faibles, et ce pour deux raisons. Tout d'abord, le dispositif est encore récent, les cotisations ne datent que de 2023. De plus, une clause de stage a été introduite, qui exclut de facto 50 % des personnes. Le projet de loi de finances (PLF) pour 2026 prévoit de supprimer cette clause de stage, qui était difficilement compréhensible.

M. Éric Blachon. - Le cumul emploi-retraite fait l'objet d'une clarification.

Toutefois, certaines mesures manquent de clarté, comme celle qui concerne les femmes en congé maternité. Un article indique que l'employeur pourra licencier la personne en congé maternité pour faute. Nous ne comprenons pas bien comment il pourrait y avoir une situation de faute quand la personne est en congé maternité.

Mme Pascale Gruny, rapporteur. - Cela existe : la faute peut être advenue avant le congé maternité et être découverte pendant le congé maternité.

M. Éric Blachon. - Nous avons posé la question à la direction de la sécurité sociale (DSS), et nous attendons toujours la réponse.

Mme Raymonde Poncet Monge. - De quel article s'agit-il ?

Mme Monique Lubin. - Comment se fait-il que nous n'ayons pas vu cela ?

M. Éric Blachon. - Concernant les dispositions sur l'âge de départ à la retraite, nous aurons un problème de mise en oeuvre. Nous allons créer du stock, et donc du mécontentement. Préparez-vous, mesdames, messieurs les sénateurs, à avoir des mécontents dans vos permanences !

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale. - Selon le texte résultant de la lettre rectificative, le coût de la suspension de la réforme des retraites est estimé, pour le système de retraite, à 100 millions d'euros en 2026 et 1,4 milliard d'euros en 2027. Pourtant, lors de son discours de politique générale, le Premier ministre avait indiqué que le coût de la mesure était de 400 millions d'euros en 2026 et d'1,8 milliard d'euros en 2027. Nous comprenons qu'il s'agit dans les deux cas d'un chiffrage sur le seul champ du système de retraites.

Quelle est la source de ces deux chiffrages ? La Cnav a-t-elle fourni ces éléments ? Comment expliquer l'écart entre, d'une part, les montants indiqués par le Premier ministre lors de sa déclaration de politique générale, et, d'autre part, le texte résultant de la lettre rectificative ?

La presse a fait état de chiffrages nettement plus élevés. Le 8 octobre 2025, le Premier ministre a déclaré sur France 2 que le coût de la suspension serait de « pas moins de 3 milliards d'euros » en 2027. Le même jour, Roland Lescure a annoncé que la mesure coûterait « des centaines de millions en 2026, des milliards en 2027 ». Nous comprenons que ces chiffrages à 3 milliards d'euros en 2027 concernent l'ensemble des administrations publiques et pas le seul système de retraite. Pouvez-vous confirmer ce point ? Nous avons besoin d'éléments sûrs et définitifs.

M. Renaud Villard. - Une bonne partie du chiffrage vient de la Cnav. Charge au ministre de faire retravailler nos chiffres par ses services. Pour 2026, deux éléments peuvent expliquer les écarts. Le premier élément est l'analyse comportementale : les chiffres peuvent passer du simple ou double. Notre hypothèse centrale est qu'un assuré sur deux va anticiper son départ. Si tous les assurés anticipent leur départ, le coût sera double. Entre tout ou rien, la vérité est sans doute entre les deux.

Le deuxième élément concerne le périmètre des chiffrages : il est possible ou non d'inclure le dispositif lié aux carrières longues. L'effet comportemental est, dans ce cas, très important. On atteint alors potentiellement un coût de 400 millions d'euros en 2026 et 1,8, voire 1,9 milliard d'euros en 2027.

Les ordres de grandeur sont assez proches en année pleine : un peu moins de 2 milliards d'euros, en ne prenant en compte que l'effet sur la branche retraite, qui est le suivant : de moindres cotisations, et plus de prestations.

Si l'on s'intéresse à l'effet sur toutes les administrations publiques, c'est la direction générale du Trésor qui réalise les chiffrages : ainsi l'on atteint 3 milliards d'euros.

Sur le seul champ de la vieillesse, tous régimes confondus, le coût atteindra 400 millions d'euros en 2026 et 1,8 milliard d'euros en 2027, si l'on intègre les carrières longues. Les chiffres de l'étude d'impact sont d'un peu plus de 100 millions d'euros en 2026 et d'un peu moins de 1,5 milliard d'euros en 2027. Les écarts de prévision restent inférieurs à la fourchette liée à l'incertitude sur les comportements. Par conséquent, l'ordre de grandeur de 1,5 milliard d'euros ne me choque pas.

Cependant, j'appelle à la prudence. L'impact comportemental est extrêmement important et nous entrons dans une période inédite. Nous chiffrons plus facilement les augmentations de l'âge légal de départ à la retraite que les baisses.

M. Éric Blachon. - La prospective fait partie de notre mission. Face à de telles situations, il nous faut construire différents scénarios. Celui-ci semble tout à fait réaliste.

- Présidence de Mme Pascale Gruny, vice-président -

M. Daniel Chasseing. - Le déficit de l'assurance maladie est dû à une hausse plus importante des dépenses que des recettes, avec un déficit de 6 milliards d'euros en 2027. Nous atteindrions 8,1 milliards d'euros de déficit en 2029. Nous constatons une augmentation de la durée de vie de dix ans depuis 1980. Il y avait 4 millions de retraités en 1981, ils sont près de 20 millions en 2025. La dépendance augmente aussi.

Il nous faut davantage de cotisants, puisque 85 % des recettes proviennent du travail. Il faudrait à la fois augmenter le taux d'emploi des seniors - avec des retraites partielles progressives -, et des jeunes, qui est nettement en deçà de celui d'autres pays.

Le vieillissement s'accentue, les dépenses de retraite augmentent. Les pays qui nous entourent ont donc décalé l'âge de départ. En France, ce décalage n'est pas accepté, malgré les avis du Conseil d'orientation des retraites (COR) et des économistes.

Si nous revenons à un départ à 62 ans et 9 mois, quels seront les déficits ? Quels financements proposez-vous en 2026 ?

Je souhaiterais aussi plus de précisions sur le congé de naissance.

Mme Cathy Apourceau-Poly. - Vous avez parlé de la maternité et des licenciements pour faute. Pourriez-vous nous indiquer l'article concerné par cette mesure, qui est assez importante et grave ? Nous n'avons rien vu dans le PLFSS.

Mme Pascale Gruny, président. - Cela existe déjà dans le code du travail.

Mme Cathy Apourceau-Poly. - Certes, mais cela serait acté dans le PLFSS !

Ce PLFSS prévoit le gel des pensions en 2026 et une sous-indexation des pensions entre 2027 et 2030 ; s'ajoute, dans le PLF, la suppression de l'abattement fiscal de 10 % en faveur des retraités. Combien de personnes sont impactées par la sous-indexation ? Combien cela va-t-il rapporter à la Cnav ? Il y a forcément un gain, puisque les pensions ne sont pas indexées.

Selon l'annexe 9 du PLFSS, cette mesure conduira à une baisse du niveau de vie des bénéficiaires des prestations, dans la mesure où la non-revalorisation concerne à la fois les prestations de solidarité, dont les minima sociaux et les prestations familiales, pour l'essentiel sous condition de ressources. Nous allons pénaliser les retraités et, pour les plus précaires d'entre eux, ce sera une double peine.

On ne peut pas justifier cette mesure d'austérité par le taux d'épargne comparativement plus élevé des retraités - c'est la moindre des choses lorsque l'on est à la retraite. On ne peut pas non plus la justifier en expliquant que les revalorisations des pensions survenues entre 2021 et 2025 ont permis de préserver davantage leur pouvoir d'achat par rapport aux actifs - il faudrait soi-disant faire davantage participer les retraités au rétablissement de l'équilibre des comptes publics. Si l'on se compare toujours avec les moins-disants, on tire l'ensemble de la société vers le bas.

Mme Raymonde Poncet Monge. - Depuis hier, nous entendons que les partenaires sociaux étaient d'accord avec la sous-compensation. J'aimerais que l'on dise qu'il y avait trois partenaires sociaux du côté syndical, mais sans la CGT ni FO. La CGT, j'en suis sûre, n'aurait pas été d'accord pour que des mesures supplémentaires soient financées par des sous-compensations touchant tous les retraités, y compris les 2 millions de retraités qui vivent sous le seuil de pauvreté.

Cette sous-compensation visait à financer un certain nombre d'avancées qui figuraient dans un accord global. Or, si la sous-indexation de 0,4 point a bien été retenue, je n'ai pas l'impression qu'il en aille de même pour toutes les mesures de progression. Vous avez parlé des trimestres enfants et du calcul du salaire de référence. J'aimerais savoir quel est le coût des deux trimestres par enfant et du nouveau calcul du salaire de référence.

Cet accord global du conclave, qui n'a pas été finalisé, incluait aussi la réintroduction de critères de pénibilité qui avaient été précédemment exclus. Or, cela n'a pas été repris.

Bref, on retient la sous-indexation, mais pas toutes les mesures de progrès qu'elle était censée financer.

Enfin, vous m'étonnez quand vous dites que la dynamique des dépenses est plus importante que la dynamique des recettes. Ce n'est pas la tendance pointée par le COR. Nous pourrions parler en points de PIB.

Lors de la réforme de 2023, on entendait dire que la mesure allait prolonger l'activité de ceux qui étaient en emploi, tout comme le maintien dans le sas de précarité de tous ceux qui étaient au chômage ou inaptes. Vous avez désormais du recul : sur la première cohorte de 600 000 retraités, combien sont restés en emploi et combien sont restés dans le sas de précarité ? Voilà qui viendra enrichir l'analyse comportementale.

Ensuite, la sous-indexation est-elle de 0,4 ou 0,5 point en 2026 ? En 2027, elle serait de 0,9 point. Pouvez-vous nous dire combien rapporte une sous-indexation de 0,5 point ?

Mme Monique Lubin. - Pour ceux qui devaient partir à la retraite à 63 ans, et finalement pourront partir à l'âge de 62 ans et 9 mois, cela sera-t-il simple ? Craignez-vous un embouteillage ?

J'en viens à la retraite des femmes, ou plutôt des mères de famille. Quelles sont les conditions exactes de calcul du salaire de référence : parlons-nous de 23 ans ou de 25 ans ? Quelles femmes sont concernées ? Les femmes ayant eu une carrière complète ou incomplète ? Disposez-vous d'une étude d'impact ? Combien de personnes sont-elles concernées, et combien cela leur rapportera-t-il ?

Mme Laurence Muller-Bronn. - L'article 45 du PLFSS concerne la retraite des femmes. La retraite des mères de famille va-t-elle augmenter avec cette réforme du calcul du salaire de référence ? Quelles sont vos projections sur le nombre de femmes concernées et sur les gains financiers qu'elles peuvent en retirer ? D'après l'analyse de certains cabinets d'audit et de conseil en retraite privés, il semblerait que bien peu d'entre elles soient concernées. Mais peut-être pouvez-vous nous donner plus d'informations.

M. Renaud Villard. - Monsieur Chasseing, le ratio démographique va se dégrader : nous atteindrons, à la fin des années 2020, le plafond du nombre de cotisants, soit 24 millions, et ce durablement, tandis que le nombre de retraités va lui augmenter. L'effet ciseau va s'accroître. Le ratio passera, en quarante ans, de 1,5 à 1.

Mme Raymonde Poncet Monge. - Avec un flux migratoire divisé par trois !

M. Renaud Villard. - En effet, avec l'hypothèse faite par le COR d'un solde migratoire de 50 000 personnes.

En 2030, le déficit serait de 7 milliards d'euros pour le régime général. Sans la réforme de 2023, ce déficit atteindrait 14 milliards d'euros.

Le PLF crée un droit à congé de naissance pour les deux parents, indemnisé par la sécurité sociale et couvert pour le risque vieillesse, car il donnera lieu à des trimestres de solidarité, pour éviter qu'un des deux parents ne soit pénalisé dans le calcul des retraites. Il est fréquent que l'on crée un droit en oubliant les conséquences en matière de retraites. Là, ce n'est pas le cas.

Mme Raymonde Poncet Monge. - Il s'agit de trimestres gratuits ?

M. Renaud Villard. - Rien n'est gratuit ! Ces trimestres de solidarité seront financés par la solidarité nationale.

L'impact des différentes revalorisations et de la sous-indexation concernera bien l'ensemble de nos 16 millions de retraités. Pour le régime obligatoire de base, un point de sous-indexation représente 2,6 milliards d'euros. Par conséquent, 0,5 point équivaut à 1,3 milliard d'euros. Ce 0,5 point de sous-indexation est inclus dans la lettre rectificative pour financer le 1,3 milliard de dépenses nouvelles liées au gel de la réforme des retraites. Le bouclage financier est donc assuré.

En 2026, avec une indexation à zéro et une hypothèse d'inflation à 1 point, le rendement serait de 2,6 milliards d'euros. En 2027, avec la saisine rectificative, nous suivons une hypothèse de sous-indexation de 0,9 point, ce qui correspond à environ 2,4 milliards d'euros.

En 2024 et 2025, sur le seul périmètre du régime général, l'indexation des retraites a représenté une dépense importante. Comme l'a souligné Mme Apourceau-Poly, le pouvoir d'achat des retraités a été parfaitement préservé. Deux années successives de maintien intégral du pouvoir d'achat représentent 12 milliards d'euros de dépenses supplémentaires, ce qui n'a pas contribué à améliorer le solde du régime général.

Madame Poncet Monge, le conclave n'a finalement pas été conclusif, ce qui explique que toutes les conclusions n'ont sans doute pas été reprises. La sous-indexation est l'une des pistes évoquées par les organisations qui continuaient à siéger dans la délégation paritaire permanente.

Le régime complémentaire Agirc-Arrco a décidé il y a quelques jours d'un coefficient d'indexation égal à zéro, et donc de ne pas revaloriser les prestations. C'est la gouvernance paritaire qui en a décidé ainsi.

On pourrait réfléchir en points de PIB, comme nous y a invités le COR, mais un gestionnaire de retraite est beaucoup moins intelligent que le COR : je m'intéresse au solde. Le solde, en 2050, est de - 50 milliards d'euros.

Mme Raymonde Poncet Monge. - C'est avec les dynamiques que je n'étais pas d'accord !

M. Renaud Villard. - L'inconvénient du raisonnement en points de PIB est que, lors de la réforme de 2023, il a peut-être contribué à rendre peu lisible le fait qu'il y a un déficit tendanciel du régime de retraite et que ce déficit va en s'aggravant.

Les solutions sont multiples, mais pas vraiment consensuelles. Ou bien j'ai raté des épisodes...

Sur l'impact des deux mesures en faveur des mères - et non des femmes, comme l'a justement souligné Mme Lubin -, celle qui inclut deux trimestres de majoration de durée d'assurance liée aux enfants au titre des carrières longues coûte, au terme de la montée en charge, 200 millions d'euros.

La mesure sur le salaire annuel moyen coûtera, au terme de la montée en charge, 2,2 milliards d'euros. Elle est beaucoup plus lente à monter en charge, mais beaucoup plus puissante. Cette mesure concerne l'ensemble des femmes. Aujourd'hui, pour le régime général, nous calculons le salaire de référence en faisant la moyenne des 25 meilleures années. Pour une mère de famille qui aura eu un enfant, il sera calculé sur 24 années ; si elle a eu deux enfants, sur ses 23 meilleures années.

Il s'agit d'une mesure réglementaire, c'est pourquoi il n'y a pas d'étude d'impact. Elle s'appliquera sans doute au 1er septembre, comme la mesure sur les majorations de durée d'assurance pour les carrières longues, pour des raisons informatiques.

Cette mesure a des propriétés extrêmement fortes et assez ciblées. La moitié des femmes - 90 % des femmes sont des mères de famille - en bénéficieront, avec un impact d'environ 2 % sur leur pension. Elle cible de manière très forte les mères de famille qui ont eu une carrière à peu près complète, avec des salaires moyens. Les déciles 4 à 7 sont concernés, c'est-à-dire la classe moyenne.

La réforme de 2023 reste sans impact sur les inaptes ou les invalides. La réforme de 2023 n'a impacté que ceux qui sont en emploi : c'est pourquoi l'analyse comportementale est très importante. Seuls 60 % de nos concitoyens étaient impactés par la réforme de 2023, si bien que seuls 60 % sont impactés par la suspension de la réforme des retraites. L'immense majorité des personnes concernées par la réforme de 2023 étaient en emploi, soit 90 %, et 10 % étaient au chômage.

Dans l'état actuel du texte, avec une entrée en vigueur au 1er septembre, je ne vois pas de risque d'embouteillage, car nous avons neuf mois devant nous. Si des mesures devaient entrer en vigueur au 1er janvier, nous devrions bloquer des dossiers, avec des conséquences potentiellement très problématiques. Nous avons besoin de cinq mois. Les phases de test sont longues et incompressibles.

Mme Monique Lubin. - Le ratio démographique n'est pas bon, mais nous ne pouvons pas tenir compte que de cela, sinon nous irions nous jeter directement à l'eau ! Nous devons prendre en compte les gains de productivité, l'intelligence artificielle et les migrations. Les rapports du COR le soulignent.

Parler en milliards d'euros est irréel pour le Français lambda. Mais parler en points de PIB, cela permet de faire des choix politiques.

J'ai donc deux questions. Où en est le solde du système de retraites à la fin de 2025 ? Ensuite, quel est le comportement des personnes ? Combien partent à la retraite, et combien restent en emploi ?

M. Renaud Villard. - Le ratio démographique peut se piloter. Les leviers sont multiples : le taux d'emploi des seniors ; le maintien dans l'emploi ; les choix migratoires - voyez les choix de certains de nos pays voisins - ; l'insertion rapide des jeunes sur le marché de l'emploi ; les gains de productivité. Le ratio démographique n'est qu'en partie une fatalité.

Les 50 milliards d'euros évoqués représentent 2 points de PIB : ce chiffre est monstrueux ! Parler en valeur absolue permet de rappeler que le système par répartition repose sur la confiance. Si l'on recrute des jeunes en expliquant qu'ils devront cotiser non seulement pour leurs parents, mais aussi pour leurs grands-parents, cela devient plus compliqué. Face à la falaise des déficits qui s'annonce, le sujet est de la plus haute importance.

Concernant l'impact comportemental, les assurés nous surprennent de plus en plus. Les assurés partent de moins en moins avec un taux plein. La variété des situations est très grande : 15 % des Français partent avec une décote, et 15 % avec une surcote.

M. Éric Blachon. - Je m'engage à vous indiquer quel est l'article du PLFSS sur le licenciement des femmes enceintes.

Notre institution est réactive, mais nous ne pouvons pas faire des miracles. Le coût de la masse salariale de la Cnav reste très faible. N'allons pas mettre en difficulté l'institution, les élus et les premiers concernés, les retraités.

Tous les partenaires s'accordent à dire que nous devons arriver à l'équilibre de ce régime, sans quoi nous irons dans le mur. Transmettre la dette aux générations à venir n'est pas la meilleure solution. J'espère que nous trouverons bientôt des solutions pérennes.

Mme Pascale Gruny, président. - Nous vous remercions de votre participation.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 11 h 50.

- Présidence de Mme Pascale Gruny, vice-président -

La réunion est ouverte à 16 h 35.

Projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2026 - Audition de Mmes Stéphanie Rist, ministre de la santé, des familles, de l'autonomie et des personnes handicapées, et Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée chargée de l'autonomie et des personnes handicapées

Mme Pascale Gruny, président. - Mes chers collègues, nous accueillons Mmes Stéphanie Rist, ministre de la santé, des familles, de l'autonomie et des personnes handicapées, et Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée chargée de l'autonomie et des personnes handicapées.

Je vous précise que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo. Elle est diffusée en direct sur le site du Sénat et sera disponible en vidéo à la demande.

Mesdames les ministres, notre commission est impatiente de vous entendre sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2026 au regard des enjeux qui concernent les branches maladie et autonomie.

En particulier, comme nous l'avons vu avec la Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam), le PLFSS pour 2026 prévoit de fortes mesures d'économies pour la branche maladie, dont la situation financière est préoccupante. Leur montant cumulé atteindrait 7,1 milliards d'euros. Ainsi, la progression de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) serait limitée à 1,6 %, ce qui reste supérieur à l'inflation, mais ce qui correspond au niveau le plus faible depuis une dizaine d'années. On peut se demander si cela est bien tenable, notamment au regard de l'état des finances des établissements de santé.

Mme Stéphanie Rist, ministre de la santé, des familles, de l'autonomie et des personnes handicapées. - Madame le président, madame la rapporteure générale, mesdames et monsieur les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, il se dit sur les chaînes d'information en continu qu'il n'y a plus de dialogue, que chacun campe sur ses positions, que la discussion budgétaire se résume à des anathèmes et que le compromis serait impossible, de peur de se compromettre.

Pourtant, je constate l'inverse partout où se réunissent les bonnes volontés : qu'il s'agisse du travail de concertation mené au sein du conseil de la Cnam ou encore ici, au Sénat, où vous avez mené un travail transpartisan et de grande qualité, les constats sont largement partagés et le dialogue s'avère de très haut niveau. Je tiens donc à vous assurer, en préalable, que le Gouvernement est animé par le même esprit de dialogue, que nous souhaitons voir perdurer et fructifier.

Avant de venir aux détails des mesures de ce PLFSS pour 2026, je souhaite aborder deux éléments, à commencer par un rappel : ce PLFSS, comme l'a indiqué le Premier ministre, est une copie de départ. Sans usage de l'article 49, alinéa 3 de la Constitution, le texte final sera ce que le Parlement en fera et sera nécessairement bien différent du texte initial.

Le second point a trait au fait que la sécurité sociale constitue le ciment le plus profond de notre cohésion nationale : il nous appartient collectivement de ne pas en faire un simple guichet, mais bien un héritage à protéger et à faire prospérer.

À ce titre, il nous faut regarder la réalité en face : passé de 10,8 milliards d'euros en 2023 à 23 milliards d'euros en 2025, le déficit de la sécurité sociale aura plus que doublé en deux ans. Si aucune mesure complémentaire à celles qui sont proposées dans le PLFSS pour 2026 n'était prise, il atteindrait 33,7 milliards d'euros en 2029.

Nous connaissons bien les facteurs structurels qui doivent nous pousser à agir. Premièrement, la natalité est en forte baisse, avec 170 000 naissances en moins par rapport à 2010. Deuxièmement, notre population vieillit : d'ici à cinq ans, un Français sur trois sera âgé de plus de 60 ans et, pour la première fois, les personnes âgées de 65 ans et plus seront plus nombreuses que celles de moins de 15 ans. Troisièmement, les pathologies chroniques explosent : en 2035, près de la moitié de la population sera concernée par une maladie chronique. La pyramide des âges ne ment pas et, sans réforme, notre modèle social n'est plus finançable, ni à moyen terme ni à long terme.

Nous pourrions bien sûr repousser les choix et prendre la décision confortable de ne pas agir. Au contraire, nous assumons de dire qu'il nous appartient de ne pas faire peser une dette sociale insoutenable sur les générations futures. À la lecture de la « boîte à outils » proposée par le Sénat pour le financement de la sécurité sociale, je constate que cet objectif est ici largement partagé.

J'en viens aux mesures de la branche maladie. Notre système de santé a démontré sa solidité, sa capacité à protéger, à soigner et à innover. Pour le préserver, nous fixons un cap clair, à savoir son adaptation pour le protéger, renforcer la prévention et améliorer l'accès aux soins en responsabilisant chaque acteur.

En 2026, le texte prévoit ainsi que les dépenses de santé puissent continuer de progresser à hauteur de près de 5 milliards d'euros. Cette augmentation s'accompagnera de mesures de freinage, pour que chaque euro mobilisé le soit au bon endroit.

À cet effet, chacun des acteurs du système de santé sera appelé à participer. Il est d'abord prévu une augmentation modérée des montants des forfaits de responsabilité, c'est-à-dire les franchises. Dix-huit millions de Français, soit environ un assuré sur trois, continueront à en être exonérés, comme les bénéficiaires de la complémentaire santé solidaire (C2S), les femmes enceintes ou les mineurs.

Comme je l'ai annoncé lors de mon arrivée au Gouvernement, les plus vulnérables continueront à être protégés : la France demeurera ainsi le pays avec l'un des restes à charge les plus faibles. Pour donner un ordre de grandeur, la contribution moyenne par assuré représenterait environ 42 euros supplémentaires par an, à mettre en regard du coût de la prise en charge. Nous pouvons donc nous accorder sur le fait que la participation demandée aux assurés restera modérée, puisqu'elle sera plafonnée à 200 euros par an, soit une contribution en rapport avec la protection offerte.

L'effort sera aussi abondé par la contribution des organismes complémentaires et des acteurs industriels du médicament et du dispositif médical, avec un niveau important de baisse de prix. Un effort sera également demandé aux secteurs dont la rentabilité peut être qualifiée d'excessive, afin que chaque euro versé par l'assurance maladie soit mobilisé au service des assurés.

Enfin, et je sais que c'est ici un sujet de préoccupation, le texte permet d'aller vers plus de pertinence et d'efficience pour payer le juste soin au juste prix. Nous proposons de systématiser l'utilisation du dossier médical partagé (DMP) pour mettre fin à la redondance de certains examens et diffuser massivement les outils numériques d'aide à la prescription. Parallèlement, les hôpitaux seront davantage encouragés à améliorer leur efficacité et la pertinence de leurs soins.

Outre les mesures de freinage portées par tous les acteurs, ce PLFSS pour 2026 permet de poursuivre des réformes structurelles. Aussi, la prévention poursuivra son développement avec la création d'un statut de risque chronique et la mise en place de nouveaux parcours de prévention absolument déterminants pour prévenir l'apparition et l'aggravation de pathologies chroniques, en amont de l'entrée dans le dispositif des affections de longue durée (ALD).

Ces parcours incluront des prestations aujourd'hui non remboursées, telles que l'accompagnement à l'activité physique ou les consultations diététiques. Si la Haute Autorité de santé (HAS) doit définir les critères médicaux permettant d'y accéder, le Gouvernement souhaite proposer ces parcours aux patients ayant des pathologies d'aggravation progressive pouvant entrer à terme en ALD - obésité, hypertension artérielle ou encore diabète sans complication. Du reste, je sais que le Sénat est très investi pour renforcer nos politiques de prévention et le Gouvernement saura être attentif aux propositions que vous pourrez formuler.

Nous renforçons également l'organisation territoriale de l'offre de soins. Avec la consolidation des structures de soins non programmés et la réforme de la permanence des soins ambulatoires, nous faciliterons un accès rapide, efficace et coordonné aux soins. Cette démarche passera également par la mise en oeuvre du pacte de lutte contre les déserts médicaux : un nouveau statut de praticien territorial de médecine ambulatoire sera créé et offrira un soutien financier et organisationnel à de jeunes médecins qui s'engageront à exercer deux ans dans les zones en tension. En outre, dès la rentrée 2026, les internes en dernière année de médecine générale effectueront un stage d'un an dans les zones où l'accès aux soins est difficile.

Par ailleurs, les quelque 20 000 pharmacies d'officine constituent un levier important de l'accès aux soins. Leur proximité territoriale a été identifiée depuis 2017 comme permettant de répondre à certains besoins de la population, d'où notre choix de renforcer leurs missions.

Ces mesures en faveur de l'accès aux soins seront renforcées par la mise en place d'un réseau de 5 000 maisons France Santé d'ici à 2027 sur l'ensemble du territoire, comme s'y est engagé le Premier ministre.

Enfin, et parce que je connais le travail de longue date de votre commission sur le sujet, je tiens à évoquer la grande cause nationale qu'est la santé mentale. Entre 1990 et 2020, les crédits de la psychiatrie au sein de l'Ondam sont passés de 11 % à 6 %. Depuis 2019, nous rattrapons notre retard avec une augmentation des crédits de plus de 42 %, pour atteindre près de 13 milliards d'euros en 2025, avec 53 mesures nouvelles engagées depuis 2021.

L'Ondam hospitalier de ce PLFSS pour 2026 intègre ainsi 65 millions d'euros de mesures nouvelles pour appuyer les actions en santé mentale. Le triptyque « repérer, soigner, reconstruire » sera développé en 2026.

Grâce aux efforts collectifs que je mentionnais précédemment, ce PLFSS permettra de continuer à financer des mesures très concrètes pour les Français dès 2026. Ainsi, 800 millions d'euros seront dédiés à la revalorisation des professions de santé libérales - médecins, dentistes, orthophonistes, pharmaciens, biologistes, infirmières -, ce qui représente un engagement fort pour reconnaître leur rôle essentiel sur le terrain.

Je songe également aux 200 millions d'euros alloués à la prise en charge à 100 % de véhicules adaptés aux personnes en situation de handicap et au renforcement de la prévention vaccinale, notamment contre le méningocoque ; aux 200 millions d'euros programmés pour investir dans la formation et l'attractivité des métiers à l'hôpital afin de soutenir les soignants et d'attirer de nouveaux talents ; aux 300 millions d'euros destinés à poursuivre les grandes stratégies, qu'il s'agisse de la lutte contre le cancer, des soins palliatifs, des urgences, de la pédiatrie, du handicap à l'hôpital ou encore de la périnatalité.

Je pense enfin aux moyens supplémentaires pour le secteur médico-social, dont 250 millions d'euros pour permettre le recrutement de 4 500 professionnels supplémentaires en Ehpad, ainsi que 250 millions d'euros pour la poursuite du plan 50 000 solutions dans le secteur du handicap, et enfin 100 millions d'euros pour le développement de l'habitat intermédiaire, afin d'offrir aux personnes âgées ou handicapées des solutions adaptées.

Pour ce qui concerne la branche famille, les mesures de ce PLFSS préservent les fondamentaux de son universalité tout en s'adaptant aux demandes des parents d'aujourd'hui, afin d'offrir davantage de choix concrets aux familles.

Pour l'accueil de leurs jeunes enfants, le PLFSS pour 2026 permet ainsi la création très attendue d'un congé de naissance supplémentaire, bien rémunéré. Chacun des deux parents pourra le prendre pour une durée allant jusqu'à deux mois, soit quatre mois supplémentaires en cas d'alternance. En s'ajoutant aux congés de paternité et de maternité existants, il permettra donc d'atteindre les six mois de l'enfant, dans un contexte où près de 90 % des parents estiment désormais qu'il s'agit du meilleur mode de garde pendant cette période.

Cette mesure se fera par ailleurs au bénéfice de l'égalité femmes-hommes, en incitant les deux parents à s'impliquer conjointement dès les premiers mois. Nous pourrons bien sûr avoir des débats légitimes pour affiner ce congé de naissance, d'autant que je connais la qualité des travaux menés par les sénateurs - notamment Olivier Henno et Annie Le Houerou - sur le caractère insatisfaisant du congé parental tel qu'il résulte de la réforme de 2014.

Nous avons tenu compte des résultats des concertations menées en 2024, unanimes sur le fait que le congé de naissance ne devait pas conduire à la suppression du congé parental, dans un contexte d'offres de garde encore insuffisantes. Il s'agit bien d'un droit supplémentaire et il nous reviendra collectivement, dans un second temps, de réformer le congé parental à l'aune de la montée en charge du congé de naissance et de l'amélioration de la couverture en offres de garde, afin qu'il ne soit plus un choix contraint pour les femmes, comme c'est encore trop souvent le cas aujourd'hui.

Toujours dans cet objectif d'offrir une palette de choix concrets et de qualité pour l'accueil de l'enfant, le PLFSS vient également conforter la trajectoire financière de la branche famille en accompagnant la mise en oeuvre du service public de la petite enfance pour l'offre de garde formelle, avec le déploiement en année pleine de la réforme du complément de libre choix de mode de garde (CMG), pour un coût de 600 millions d'euros par an.

Cet effort se traduit aussi par la poursuite de la trajectoire d'investissement dans la création de places de crèche : 35 000 nouvelles places sont prévues, en renforçant la dynamique avec les communes qui sont, depuis le 1er janvier 2025, les autorités organisatrices de l'accueil des jeunes enfants.

En conclusion, j'aurai à coeur de travailler avec vous sur ce PLFSS pour 2026, et je souligne la nécessité d'adopter un budget pour notre sécurité sociale d'ici à la fin de l'année si nous souhaitons que des mesures nouvelles y figurent.

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée chargée de l'autonomie et des personnes handicapées. - L'adoption du PLFSS pour 2026 est une nécessité pour pouvoir porter des mesures nouvelles, par exemple pour continuer à créer des places supplémentaires pour les enfants et les adultes en situation de handicap.

Il vous est proposé, au travers de ce texte, de poursuivre l'effort engagé à la suite de l'annonce, par le Président de la République, d'un plan de création de 50 000 solutions nouvelles lors de la Conférence nationale du handicap de 2023. Une véritable dynamique s'est enclenchée en 2025 : nous avons dépassé à ce jour les 12 000 solutions et avons bon espoir d'atteindre l'objectif de 15 000 solutions qui a été fixé pour cette année. Pour l'année à venir, une enveloppe de 250 millions d'euros devrait nous permettre d'avancer et d'atteindre la moitié de l'objectif des 50 000 solutions à la fin 2026, y compris avec le déploiement de solutions plus complexes, qui permettront de répondre à des situations plus lourdes.

Par ailleurs, ce PLFSS porte, malgré un contexte budgétaire contraint, une ambition pour l'autonomie et le handicap : l'augmentation de plus de 1,5 milliard d'euros du budget traduit bien la volonté du Gouvernement de poursuivre nos politiques publiques à destination des personnes en situation de handicap.

Ce même texte pose des jalons en vue de la réforme de la tarification des établissements et services sociaux et médico-sociaux (ESSMS) s'occupant des enfants. Ce travail, en cours depuis une dizaine d'années, commencera ainsi à prendre corps : 2026 sera une année blanche qui permettra aux établissements d'estimer l'impact de cette réforme tarifaire sur leurs budgets, tandis que nous prévoyons un budget de 360 millions d'euros pour accompagner cette réforme de la tarification et éviter tout risque financier pour leur équilibre.

Cette méthode permettra auxdits établissements de s'engager dans cette dynamique très forte de transformation de l'offre, nombre d'entre eux ayant déjà commencé à s'engager dans cette voie, mais sans être rémunérés à la hauteur des ambitions qu'ils portent. C'est tout l'objet de cette nouvelle tarification, qui représente une étape importante dans la réponse que nous apportons à nos concitoyens en situation de handicap : nous souhaitons en effet nous assurer que les professionnels construisent des réponses en fonction de leurs projets, de leurs attentes et de leurs souhaits.

Je mentionne, en outre, la poursuite du plan d'action dédié aux maisons départementales des personnes handicapées (MDPH), notamment afin de simplifier les démarches administratives de nos concitoyens. L'apport d'effectifs supplémentaires est également prévu dans ces établissements, afin de permettre un rendez-vous physique lors des primo-demandes et de mieux accompagner les personnes dans ces démarches complexes, en s'assurant d'apporter la réponse la plus appropriée.

De surcroît, 2026 sera une année pleine d'application de la réforme de la prise en charge des fauteuils roulants, qui entre en vigueur au 1er décembre 2025 : de nombreuses personnes attendent cette échéance afin de pouvoir bénéficier d'un équipement.

J'en viens à nos aînés, en rappelant que nous sommes engagés sur une trajectoire de renforcement des effectifs dans les Ephad, à la fois pour améliorer la prise en charge de la dépendance et les conditions de travail des professionnels. Là encore, je ne peux que souligner la nécessité d'adopter ce PLFSS si nous souhaitons mieux accueillir nos aînés.

Nous continuons aussi à renforcer le soutien à nos aînés à domicile, notamment avec le déploiement des centres de ressources territoriaux qui viendront appuyer les structures d'aide à domicile pour apporter du soutien aux personnes particulièrement dépendantes.

Sur un autre aspect, ce PLFSS entérine l'ambition de développer une nouvelle offre pour répondre aux besoins de nos personnes âgées puisque nous prévoyons d'investir 100 millions d'euros supplémentaires en vue de créer 10 000 places supplémentaires d'habitats intermédiaires et d'habitats partagés. Nous sommes convaincus de la nécessité de développer cette offre pour permettre à nos aînés de trouver des solutions alternatives en fonction de leur état de santé, et pour soutenir le maintien à domicile et l'autonomie.

Ce volet s'accompagne, justement, d'une stratégie de prévention de la perte d'autonomie : la Conférence nationale de l'autonomie, qui s'est récemment ouverte, prendra véritablement corps cette année, ce qui permettra de soutenir les initiatives en matière de prévention de la perte d'autonomie partout sur les territoires.

Je mentionne également, à ce sujet, le déploiement du programme Icope, qui invite nos concitoyens à effectuer leur autodiagnostic et à prendre connaissance d'une série de recommandations relatives à la préservation et au maintien de leur autonomie.

J'y ajoute la stratégie concernant les maladies neurodégénératives, qui permet à la fois d'investir dans la recherche et d'offrir des solutions pour soutenir le maintien de l'autonomie de nos concitoyens atteints de ces pathologies.

Enfin, je tiens à évoquer la question des aidants, qui représente un enjeu majeur : un Français sur cinq aide désormais un proche, cette proportion étant appelée à s'accroître du fait du vieillissement de la population. Tenant compte de cet état de fait, nous développons les solutions de répit, notamment dans le cadre du plan 50 000 solutions, et avons récemment publié le décret qu'attendait notamment Mme Guidez, là aussi afin d'apporter des réponses de qualité aux aidants.

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale. - L'article 7 du PLFSS prévoit la création d'une taxe ponctuelle sur les cotisations versées aux organismes complémentaires d'assurance maladie. Son taux a d'abord été fixé à 2,05 % pour obtenir un rendement comparable au montant d'économies qui aurait pu résulter d'un transfert de charges aux complémentaires santé sur les soins médicaux, taux qui a été abandonné après avoir été envisagé lors de la dernière loi de financement de la sécurité sociale (LFSS). Il a toutefois été réévalué à 2,25 % pour tenir compte du décalage de la réforme des retraites.

Pourriez-vous justifier le choix de faire porter sur ces organismes complémentaires, et donc in fine sur les malades, le coût du décalage de la réforme des retraites ? Sans revenir sur l'opportunité de ce décalage - vous connaissez bien, j'imagine, la position du Sénat sur la question -, n'y avait-il pas d'autres manières de financer cette mesure ?

Par ailleurs, dans son rapport intitulé Charges et produits, la Cnam semble suggérer qu'il n'est pas possible de ramener la branche maladie à l'équilibre d'ici à 2030 sans augmentation substantielle des recettes, problématique que nous avions identifiée avec Mme Poncet Monge à l'issue de notre rapport d'information intitulé Sécurité sociale : la boîte à outils du Sénat. Pouvez-vous nous indiquer votre point de vue sur le sujet ?

J'y ajoute une interrogation sur la problématique des dépassements d'honoraires souvent perçus - à juste titre - comme injustes par nos concitoyens. Des établissements, tant publics que privés, nous ont indiqué que ces dépassements finançaient des postes de personnels accompagnant les chirurgiens, ainsi que des équipements, et qu'ils ne pourraient guère fonctionner sans ces revenus.

Il me semble que les dépassements d'honoraires ont été acceptés au fil du temps dans la mesure où l'assurance maladie n'a pas suffisamment revalorisé les prix de certains actes de soins : qui décide de la révision du tarif de ces actes ? Évolue-t-il en fonction des progrès technologiques ? Il semblerait que certains médecins et chirurgiens soient contraints de pratiquer ces dépassements d'honoraires faute de voir leur travail rémunéré à son juste prix.

Sur un autre point, où en est la biologie délocalisée ? Alors qu'il s'agit d'un moyen d'aller vers des populations peu mobiles ou éloignées du soin, rien ne semble avoir évolué, la rédaction d'un arrêté d'application étant attendue depuis 2019. Il s'agit pourtant d'un moyen d'action formidable dans les territoires ruraux, ainsi que dans les Ehpad.

J'en termine avec les enjeux de production de médicaments sur notre territoire et de sécurité d'approvisionnement des patients. L'article 10 du PLFSS crée de nouvelles contributions supplémentaires pour l'industrie pharmaceutique, dans un contexte de baisse des prix.

Nous avons souvent dit qu'il était préférable que les médicaments soient produits en France, ou à tout le moins en Europe : dans un contexte de tension sur les coûts et de fragilisation de certaines lignes industrielles, il paraît essentiel que ces ajustements à la hausse puissent concilier la régulation budgétaire, le maintien de la production et la sécurité d'approvisionnement.

Pouvez-vous donc préciser, madame la ministre, la manière dont le Gouvernement entend articuler la mise en oeuvre de cette nouvelle contribution avec le dialogue conventionnel mené dans le cadre du Comité économique des produits de santé (CEPS), de façon à autoriser des révisions de prix à la hausse lorsque celles-ci sont nécessaires au maintien de la production et à la sécurisation des approvisionnements ?

Mme Florence Lassarade, rapporteure pour la branche assurance maladie, en remplacement de Mme Corinne Imbert. - Mesdames les ministres, je remplace aujourd'hui Corinne Imbert, qui n'a malheureusement pas pu se joindre à nous.

Le PLFSS pour 2026 prévoit une hausse de l'Ondam limitée à 1,6 %, contre une moyenne de 4,8 % ces dernières années. Nous nous interrogeons donc, d'une part, sur la crédibilité de cet objectif, alors que le Haut Conseil des finances publiques (HCFP) juge que les économies liées aux mesures d'efficience sont peu documentées ; d'autre part, sur la pertinence de cet objectif au regard des besoins de notre système de santé. Je pense en particulier au sous-financement des établissements de santé, qui sont déjà dans une situation particulièrement dégradée et pour lesquels le Ségur de la santé n'a pas été entièrement compensé, comme le directeur général de la Cnam l'a lui-même reconnu devant notre commission.

L'Ondam pour 2026 vous semble-t-il donc crédible et tenable sans réformes et réorganisations structurelles ? Vous avez d'ailleurs mentionné une augmentation du budget pour certains secteurs tels que la psychiatrie, et il faudra bien répercuter celles-ci.

La médecine française repose sur deux jambes : la médecine libérale et la médecine hospitalière. Or plusieurs mesures de ce PLFSS attaquent frontalement la médecine libérale, et vous avez d'ailleurs évoqué la notion de « rentabilité excessive », dont la définition m'interroge : est-elle ainsi caractérisée uniquement par comparaison, ou bien considérez-vous ces praticiens comme des rentiers, comme c'est le cas à l'article 24 ? L'article 31 prévoit pour sa part de sanctionner les professionnels n'utilisant pas le DMP, tandis que l'article 26 vise à surtaxer les dépassements d'honoraires.

Les syndicats de médecins alertent sur le fait que le secteur 1 n'est plus très rentable à l'heure actuelle, et soulignent que la médecine libérale est aujourd'hui durablement fragilisée. La mesure prévue à l'article 26 vise tous les médecins pratiquant des dépassements d'honoraires plutôt que de cibler des dépassements abusifs. Pourquoi n'avoir pas envisagé un autre équilibre ?

Enfin, le départ de Mme Vautrin à d'autres fonctions m'amène à m'interroger sur le devenir du registre des naissances qu'elle avait promis à la suite de nos travaux portant sur les maternités.

Mme Chantal Deseyne, rapporteur pour la branche autonomie. - De nouveau, la branche autonomie est relativement préservée cette année par rapport aux autres branches, avec une augmentation de l'objectif de dépenses de 3,5 %. Cette dernière est tout à fait cohérente avec le défi démographique auquel nous sommes confrontés, et je ne peux donc que m'en féliciter.

Si la hausse des moyens s'impose, elle ne doit pas nous exonérer d'un travail sur l'efficience de la dépense. Le Gouvernement annonce justement, dans le dossier de presse du PLFSS, que l'article 38 sera complété par des mesures de maîtrise de la dépense d'allocation personnalisée d'autonomie (APA) et de prestation de compensation du handicap (PCH), qui seront portées par voie réglementaire. Pouvez-vous détailler ces dernières ?

J'en viens à l'article 36, qui prévoit le lancement en 2027 de la réforme dite « services et établissements : réforme pour une adéquation des financements aux parcours des personnes handicapées » (Serafin-PH), engagée depuis une dizaine d'années, dans les structures pour enfants et jeunes adultes en situation de handicap. Le nouveau régime de financement devra notamment inciter à la transformation de l'offre. Quels seront, plus précisément, les objectifs de ces incitations tarifaires ?

Enfin, le déploiement du plan de création de 50 000 solutions médico-sociales devrait malheureusement ralentir en 2026 en raison du contexte budgétaire, alors que le manque de places en établissement reste criant dans certains territoires. L'objectif de 50 000 solutions créées à l'horizon 2030 est-il maintenu malgré ce ralentissement ? J'élargis cette question aux recrutements en Ehpad qui risquent également de connaître un freinage l'an prochain. L'objectif des 50 000 recrutements dans ces structures est-il maintenu ?

M. Olivier Henno, rapporteur pour la branche famille. - Le congé de naissance paraît, pour employer une formule à la mode, un peu « light » aux yeux du Sénat, puisque sa durée de deux mois est bien inférieure aux six mois que nous avions préconisés dans notre rapport d'information. Pourquoi ne pas avoir envisagé une refonte du maquis des congés parentaux attendue par les familles, malgré le solde excédentaire de la branche famille ?

Concernant la crise de recrutements qui affecte les métiers de la petite enfance, quelles réponses envisagez-vous ?

J'en viens à l'aide sociale à l'enfance (ASE), qui me tient particulièrement à coeur : les parcours des enfants placés sont de plus en plus chaotiques et génèrent des ruptures affectives, alors qu'ils ont besoin de stabilité. Prévoyez-vous des mesures pour sécuriser ces parcours ?

Sur un point qui dépasse le cadre du PLFSS, il semble que les allocations familiales ne seraient plus bonifiées à partir de 14 ans, mais à partir de 18 ans : pourriez-vous préciser ce point ?

En ce qui concerne la fraude sociale, les administrations sociales demandent à bénéficier des mêmes droits d'action que le fisc, notamment pour l'accès aux fichiers des données téléphoniques et des compagnies aériennes, ou encore aux comptes en banque à l'étranger : une telle évolution est-elle, selon vous, envisageable ?

Enfin, compte tenu de la nature des débats autour du projet de loi de finances (PLF) à l'Assemblée nationale, pourriez-vous dire quelques mots concernant votre volonté de tenir la ligne politique d'un déficit plafonné à 17 milliards d'euros ?

Mme Pascale Gruny, président, rapporteur pour la branche vieillesse. - L'article 44 du PLFSS prévoit de ne pas revaloriser, en tenant compte de l'inflation, toutes les prestations sociales qui le sont automatiquement au regard de l'article L. 161-25 du code de la sécurité sociale. Les représentants des administrations centrales que nous avons entendus nous ont indiqué que le législateur recourait ainsi pour la première fois à un gel qui s'appliquait à toutes les prestations : jusqu'alors, les mesures de gel ou de sous-indexation étaient ciblées afin de préserver certains publics vulnérables. Pourquoi faire un tel choix ?

Je m'interroge aussi sur la non-revalorisation de l'allocation de l'adulte handicapé (AAH) et de l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé (AEEH). Avez-vous une idée des économies générées par la non-revalorisation de ces prestations ? Ne serait-il pas possible de les exclure de la mesure ?

Mme Stéphanie Rist, ministre. - Madame la rapporteure générale, la taxe sur les complémentaires a certes été revue à la hausse à la suite de la lettre rectificative relative à la réforme des retraites.

Je rappelle qu'il est question d'une copie de départ et que le Gouvernement est ouvert aux évolutions de ce texte, en restant dans un cadre permettant de ramener le déficit en dessous de la barre des 5 % ; pour la sécurité sociale, il s'agit de suivre une trajectoire à même de maintenir la pérennité du système, et donc de contenir le déficit à hauteur de 17 milliards d'euros.

La taxe sur les complémentaires reflète le caractère partagé des efforts demandés dans ce budget, puisque les assurés comme les laboratoires de l'industrie pharmaceutique sont mis à contribution. Je m'apprête à lancer une mission associant deux personnalités qualifiées au sujet de la coordination entre ces organismes complémentaires et l'assurance maladie, car il me semble important de pouvoir travailler, pour les années à venir, à une évolution de notre modèle de financement.

Concernant les recettes, nous savons tous que le déficit est durable - notamment pour la branche maladie - en raison du vieillissement de la population, qui est synonyme d'une augmentation du nombre de maladies chroniques. Nous devons malgré tout maîtriser ces dépenses afin de préserver la soutenabilité de notre modèle de protection sociale, et il me semble indispensable d'avoir un débat de fond sur son financement pour les années à venir, là encore du fait d'une réalité démographique qui s'impose à nous.

S'agissant des dépassements d'honoraires, la cotation des actes est fixée dans le cadre de négociations conventionnelles entre les syndicats et la sécurité sociale, une nouvelle négociation étant prévue en 2026. L'article relatif aux dépassements d'honoraires évoluera probablement au fil des débats parlementaires : selon moi, le sujet doit être mis en perspective avec celui des franchises médicales et, plus largement, avec l'enjeu du reste à charge final des patients.

Un rapport remis par deux députés a souligné que les dépassements, de plus en plus nombreux, atteignent des niveaux très élevés : à titre personnel, je ne crois pas qu'il faille envisager leur interdiction, mais il conviendrait de les ramener à des niveaux plus raisonnables. La copie est entre vos mains et le débat parlementaire nous permettra d'avancer sur ce sujet.

Pour ce qui concerne la biologie délocalisée, la HAS va préciser les contours de son déploiement, qui interviendra en 2026.

J'en viens à la problématique des médicaments et de l'industrie pharmaceutique : une fois encore, ce budget, difficile et contraignant, demande des efforts à l'ensemble des acteurs, ce qui se traduit par une baisse des tarifs de 1,6 milliard d'euros pour ces entreprises.

Pour ce secteur, une mesure importante de simplification a été mise au point : d'une part, nous conservons un filet de sécurité par le biais d'une clause de sauvegarde dont le montant est suffisamment élevé pour qu'elle ne soit plus forcément déclenchée tous les ans, mais seulement lorsque les dépenses s'emballent. D'autre part, nous créons une taxe plus prévisible et plus simple pour les industriels, ce qui leur permettra d'anticiper, d'une année sur l'autre, les montants qu'ils devront acquitter.

Madame Lassarade, l'Ondam est en effet l'un des plus bas depuis longtemps : il reflète la nécessaire maîtrise des dépenses de l'assurance maladie et nous verrons comment se déroulent les débats sur ce point. Malgré tout, cet Ondam permet des mesures nouvelles, dont une enveloppe supplémentaire pour la psychiatrie, ainsi que des mesures de revalorisation pour les gardes et les astreintes des professionnels.

J'en viens à la rentabilité, en précisant que je n'entends pas stigmatiser qui que ce soit. Je rappelle que la rentabilité correspond au ratio entre l'excédent brut d'exploitation et le chiffre d'affaires, ce qui permet de constater que certains secteurs affichent des taux de rentabilité aux alentours de 27 %, là où les établissements privés lucratifs enregistrent un taux compris entre 3 % et 4 %. En tant que responsable du budget de la sécurité sociale, je me dois de m'interroger sur ces disparités, qui mettent en cause le financement de l'assurance maladie.

Des négociations conventionnelles doivent avoir lieu entre les secteurs concernés et l'assurance maladie : si ces dernières n'aboutissent pas, l'assurance maladie prendra la main pour diminuer les tarifs, comme cela a été le cas dans le domaine de la radiologie. À ce stade, les négociations ne sont pas closes et il faut donc encourager les professionnels à se remettre à la table des discussions afin de trouver des moyens d'améliorer la situation et de faire en sorte que chaque euro de la sécurité sociale soit dépensé à bon escient.

Monsieur Henno, la durée de congé de naissance est précisément de deux mois pour chacun des parents, ce qui permet, en ajoutant les congés de paternité et de maternité, d'aller jusqu'aux six mois de l'enfant.

Cette mesure est autofinancée, dans le cadre du sérieux budgétaire qui est proposé dans ce texte, grâce au décalage de la majoration des allocations familiales de 14 ans à 18 ans. Cette mesure tient compte de plusieurs travaux - notamment ceux de la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) - qui montrent que le coût d'un enfant est sensiblement plus élevé une fois entré dans l'âge adulte plutôt qu'à 14 ans.

Ce décalage permet donc de financer le congé de naissance de quatre mois, qui est rémunéré à hauteur de 70 % du salaire net le premier mois et à hauteur de 60 % du salaire net le deuxième mois.

J'en arrive à la crise de recrutement dans les métiers de la petite enfance, qui représente un défi majeur. Dans ce domaine, le travail est mené en lien avec les collectivités dans le cadre du développement du service public de la petite enfance, et nous devrons continuer à renforcer l'attractivité de ces métiers.

Pour ce qui est de l'ASE, Mme Vautrin avait travaillé sur un projet de loi que je reprendrai et que je porterai aux côtés de Gérald Darmanin, lui aussi très engagé sur ce sujet.

Enfin, la lutte contre la fraude constitue tout l'enjeu du projet de loi relatif à la lutte contre les fraudes sociales et fiscales qui vous sera soumis le 12 novembre. Le croisement des fichiers, bancaires ou autres, est au coeur des mesures envisagées.

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée. - Madame Deseyne, vous avez évoqué les dispositions relatives à l'efficience de certaines dépenses, en particulier de l'APA et de la PCH. L'article 38 doit permettre, dans le cas où la personne est indemnisée par une compagnie d'assurances, de s'assurer que le département ne prenne pas en charge les dépenses liées à ces prestations, en veillant ainsi à l'absence de doublons.

J'avais lancé, en lien avec l'association Départements de France, une réflexion visant à identifier des mesures de bonne gestion permettant de contenir des dépenses de PCH et d'APA en croissance rapide. Parmi elles figurait l'harmonisation des taux de conjugalisation, ainsi qu'une meilleure prise en compte des ressources du foyer fiscal. Les réflexions engagées ont été interrompues par la chute du précédent gouvernement, mais le processus reprend.

Quant à la réforme Serafin-PH, il est bien question d'un changement de modèle, les tarifications des établissements étant assez anciennes et ne correspondant plus à une dynamique de transformation de l'offre par laquelle nous souhaitons nous orienter davantage vers des réponses « sur mesure », en accompagnant davantage les personnes dans leur vie quotidienne, leurs projets professionnels ou leur vie scolaire.

Ce mouvement modifie les besoins de financement et la réforme, de longue haleine, vient l'accompagner. Le nouveau modèle a fait l'objet de nombreux travaux, menés en lien avec les associations et avec les représentants des ESSMS. Comme je l'indiquais précédemment, une année blanche a été prévue en 2026 pour anticiper les impacts de la réforme sur les structures, ainsi qu'un financement suffisant pour éviter que certains établissements ne soient perdants. Une partie d'entre eux se sont déjà engagés dans la démarche de transformation et doivent pouvoir bénéficier de financements adaptés.

Enfin, pour ce qui est des recrutements, nous maintenons l'objectif de 50 000 ETP pour les Ephad, même si un ralentissement sera à l'oeuvre en 2026 compte tenu du contexte budgétaire et des difficultés à embaucher. Cette démarche se conjugue à la révision des coupes Pathos, qui permettra de mieux évaluer les besoins réels des personnes en fonction de leur niveau de santé et de dépendance et d'ajuster le financement des Ehpad. Ceux-ci vont d'ailleurs bénéficier, dans vingt-trois départements, de la fusion des sections soins et dépendance.

Concernant les 50 000 solutions pour les personnes en situation de handicap, le ralentissement sera modéré en 2026. Certes, nous prévoyons un moindre nombre de nouvelles solutions, mais en privilégiant, plus que la quantité, la création d'unités nouvelles qui nécessitent davantage de temps et de ressources afin de s'adapter à des situations complexes : il peut s'agir, par exemple, de répondre aux besoins d'enfants pris en charge par l'ASE et qui souffrent également de handicap.

M. Laurent Burgoa. - En qualité de rapporteur pour avis de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » dans le cadre du PLF, j'observe avec intérêt les conséquences de l'article 44 du PLFSS pour 2026 sur les dépenses sociales.

En effet, le gel des prestations et pensions concerne également le montant de l'AAH, du revenu de solidarité active (RSA) et de l'aide universelle d'urgence pour les victimes de violences conjugales. Nous aurons à coup sûr des débats sur le périmètre de ce gel, notamment concernant l'AAH, qui représenterait 160 millions d'euros d'économies.

J'entends aussi bien les voix qui s'élèvent pour souligner la singularité de la politique d'autonomie que celles qui insistent sur l'importance d'un gel uniforme pour renforcer l'acceptabilité et la lisibilité de la mesure.

En revanche, ce qui relève du courage politique ne doit pas tourner à l'acharnement. Comment justifiez-vous, madame la ministre, de réduire, en sus de cette mesure déjà difficile, le bénéfice de la prime d'activité pour les bénéficiaires de l'AAH au sein du PLF ?

Quant au financement des mandataires judiciaires à la protection des majeurs (MJPM), dont l'activité ne cesse d'augmenter du fait du vieillissement de la population, le budget prévoit une augmentation de 2 % des crédits - soit 15 millions d'euros - alors que l'extension de la prime du Ségur à cette profession coûte, dans le même temps, 34 millions d'euros. Afin de résoudre l'équation, vous comptez sur « une mesure d'efficience à venir en 2026 ». Pouvez-vous préciser ce point et nous assurer que vous ne financerez pas le Ségur par une augmentation des mesures de placement exercées par les mandataires ?

Mme Chantal Deseyne. - Je relaie une question d'Alain Milon : l'expérimentation du dispositif d'accès direct, arrivé à échéance en juillet 2025, a démontré toute sa pertinence pour accélérer la mise à disposition de médicaments innovants au bénéfice des patients, et renforcer l'attractivité du système de santé français, en complément des dispositifs d'accès précoce existants.

L'article 34 du PLFSS pour 2026 va dans le bon sens : il vise à harmoniser les dispositifs d'accès dérogatoire et à clarifier leur articulation, en recentrant notamment l'accès direct sur les médicaments innovants disposant de données cliniques définitives. Toutefois, selon l'étude d'impact annexée à cet article, la publication du décret d'application n'est envisagée que pour le premier semestre 2026, si le calendrier est respecté.

D'ici là, plusieurs innovations thérapeutiques demeurent en attente, alors qu'elles pourraient relever du dispositif d'accès direct. Cette situation risque de créer une période de rupture pour les patients comme pour les établissements de santé, alors même que la dynamique engagée par l'expérimentation a démontré son efficacité et son utilité.

Quelles dispositions le Gouvernement entend-il prendre pour éviter cette discontinuité, notamment en prolongeant temporairement le dispositif expérimental jusqu'à la publication du décret, afin de garantir la continuité des soins, de prévenir toute errance thérapeutique et de préserver l'attractivité de la France pour l'innovation en santé ?

Mme Anne Souyris. - L'efficience est très présente dans ce texte, mais qu'entend-on par là ? S'agit-il d'économies quantitatives ou d'apprécier ce qui est utile pour le patient ? Dans un contexte de financiarisation de la santé, un certain nombre d'actes - par exemple, des radios panoramiques systématiques chez le dentiste - ne sont pas utiles aux patients et coûtent cher à la sécurité sociale. Pouvez-vous donc préciser cette notion d'efficience ? Des objectifs sont-ils fixés afin de lutter contre la financiarisation ?

Le PLFSS prévoit une baisse des tarifs de remboursement de certains actes dont la hausse paraît suspecte. On comprend bien l'idée. Mais ce qui serait intéressant, ce serait d'empêcher la prescription d'actes, d'ailleurs toujours par les mêmes structures, qui ne servent à rien. La simple baisse des tarifs de remboursement aura pour seul effet d'augmenter le reste à charge pour les patients. Est-ce vraiment utile en termes d'économies ? Et n'est-ce pas contreproductif en termes de qualité des soins et du point de vue du principe d'égalité ?

Je salue la prise en charge, prévue à l'article 19, de prestations d'accompagnement préventif dédiées pour les ALD. C'est vraiment une avancée. Toutefois, ce qui est indiqué à la dernière ligne de l'exposé des motifs m'inquiète un peu : « En parallèle, le Gouvernement saisira la HAS sur les critères d'admission en affection de longue durée afin de clarifier l'articulation avec ce nouveau dispositif. » J'espère que ce ne sera pas un prétexte pour revoir ces critères à la baisse ; nous avons déjà eu quelques petits signaux d'alerte.

Dans ce PLFSS, il n'y a rien, ou presque, sur la santé environnementale. Or, du point de vue de la prévention, nous aurions intérêt à avoir une véritable réflexion, par exemple, sur le lien entre le réchauffement climatique et les questions de santé publique.

Je n'ai pas bien compris en quoi consistaient les maisons France Santé, notamment en termes de structuration. S'agit-il de centres de santé ? De maisons de garde ? De nouvelles structures de permanence des soins ?

L'expérimentation relative aux haltes soins addictions, dont trois évaluations ont montré le caractère extrêmement positif, en termes tant de santé publique que d'économies pour la sécurité sociale, prend fin cette année. J'espère que ces structures seront pérennisées.

Mme Jocelyne Guidez. - À mon sens, la psychanalyse pourrait faire partie des prestations non efficientes ; nombre d'associations, le délégué interministériel à la stratégie nationale pour les troubles du neurodéveloppement et la HAS ne reconnaissent pas l'efficacité de cette pratique. Serait-il envisageable d'exclure la psychanalyse ou des prestations s'y référant d'une prise en charge intégrale ?

Le PLFSS pour 2026 prévoit une baisse de 22,3 millions d'euros d'aides aux postes pour les entreprises adaptées, soit la suppression de 3 000 postes financés. Cela fragiliserait directement l'emploi dans les entreprises adaptées. Le Gouvernement entend-il revoir la trajectoire budgétaire appliquée à ces entreprises adaptées ?

Dans le même esprit, l'extension du Ségur aux entreprises adaptées, prévue par un accord de branche du 4 juin 2024, va contraindre les employeurs à verser une prime, alors même que leur situation financière ne le permet pas. C'est incompréhensible. Est-il envisagé d'exclure les entreprises adaptées du Ségur ?

Mme Maryse Carrère. - Dans le dossier de presse qui nous a été communiqué, il est évoqué une baisse du taux de remboursement des cures thermales. Mais aucune disposition en ce sens, semble-t-il, ne figure dans le texte qui a été transmis à l'Assemblée nationale. Réduire la prise en charge des cures thermales reviendrait à fragiliser près de 500 000 patients. La mesure de déremboursement partiel est-elle abandonnée ? Ou bien envisagez-vous de procéder par voie réglementaire ? En réponse à un député, vous avez indiqué qu'une telle évolution permettrait de faire rentrer dans le « droit commun » le remboursement du thermalisme. Pourriez-vous nous préciser ce que vous entendez par « droit commun » ?

Nous avons noté dans le PLFSS pour 2026 une augmentation de l'objectif des dépenses de la branche autonomie de 3,5 %. Y aura-t-il suffisamment de financements pour couvrir les besoins réels des Ehpad en matière de personnels, d'entretien, de matériel, d'investissement et de revalorisation des salaires ? Selon de nombreux rapports, la trajectoire financière prévue ne permet pas d'atteindre les objectifs annoncés, notamment les 0,8 équivalent temps plein (ETP) par résident à l'horizon 2030 dans les Ehpad.

Mme Marie-Pierre Richer. - Je relaie une question posée lundi dernier lors du colloque de l'Association pour la prise en compte du handicap dans les politiques publiques et privées (APHPP). L'article L. 821-3 du code de la sécurité sociale prévoit que les indemnités de fonction des élus locaux doivent être en partie exclues du calcul des ressources pour l'allocation aux adultes handicapés (AAH), mais aucun décret d'application n'a été publié à ce jour. Ce sont donc les règles de droit commun sur les revenus d'activité qui s'appliquent en pratique. À l'approche des élections municipales, le Gouvernement entend-il publier rapidement le décret, afin de rendre effectif le droit de toute personne handicapée à exercer un mandat électif dans les mêmes conditions que tout autre citoyen ?

Mme Laurence Muller-Bronn. - Plusieurs rapports préconisent d'exclure les soins en ostéopathie des contrats responsables des mutuelles, ce qui suscite une vive inquiétude parmi ces professionnels de santé, mais également chez les patients. Je le rappelle, l'ostéopathie est une profession de santé agréée, dont l'efficacité en termes de prévention et de soulagement des douleurs chroniques en fait un soin plébiscité par les malades. Si ces rapports n'ont heureusement pas conduit le ministère à prendre une telle mesure d'exclusion de l'ostéopathie, pouvez-vous nous assurer que ce ne sera pas le cas ? Un décret est-il en préparation à cet égard ? Si oui, pouvez-vous nous en détailler le contenu ?

Le PLFSS comprend un volet sur le financement des unités de soins palliatifs. Actuellement, plus d'une vingtaine de départements en sont totalement dépourvus. L'engagement qui a été pris de déployer ces unités sur l'ensemble du territoire sera-t-il concrétisé ? Si oui, dans quels départements et à quelle échéance ?

Mme Brigitte Bourguignon. - Élaborer un PLFSS, c'est, certes, mobiliser des moyens et fixer des orientations, mais c'est parfois aussi savoir assouplir les règles, afin que les dispositifs votés puissent devenir réellement efficients, et accompagner l'innovation.

Vous avez évoqué le maillage territorial. Dans certains territoires ruraux, l'installation d'officines et de pharmacies fait cruellement défaut. Je connais dans mon département des communes de moins de 2 500 habitants qui ont des projets en la matière, mais qui ne sont pas suffisamment accompagnées. Dans sa déclaration de politique générale, le Premier ministre a abordé cette problématique. Nous avons besoin de visibilité.

La semaine dernière, nous avons auditionné M. Lecerf, président du conseil de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA). L'une de nos priorités partagées est d'éviter les ruptures de parcours pour les personnes âgées entre le domicile et les Ehpad. Il existe des solutions innovantes : l'habitat intermédiaire en fait partie. Le problème est qu'il manque toujours un acteur ou un morceau de financement à la clé. Pourquoi ne pas utiliser les expérimentations au titre de l'article 51 pour couvrir les projets concernés pendant vingt-quatre ou trente-six mois, avec un calendrier lisible et, si possible, un guichet unique et une clause de revoyure ? Dans une période où les Ehpad manquent de place et où les domiciles ne sont plus sécurisés, je pense que nous ne pouvons plus attendre pour tester de solutions pragmatiques.

Mme Céline Brulin. - « Volonté de dialogue », dites-vous...

À peu près tout le monde juge l'Ondam que vous proposez intenable. Or lorsque l'Ondam pour 2025 a subi un dépassement de 0,5 %, le Gouvernement a pris des mesures d'économies, sans consulter le Parlement ni les acteurs concernés, et certains professionnels, comme les kinésithérapeutes, entre autres, ont vu leur revalorisation retardée de six mois. Le fait de présenter cette année un Ondam aussi faible ne signifie-t-il pas qu'il est quasiment certain qu'il sera dépassé et donc que le Gouvernement prendra demain des mesures qui ne sont pas sur la table aujourd'hui, mais qu'il conviendrait d'annoncer dès à présent, ne serait-ce que pour la clarté des débats et la démocratie ?

Vous indiquez que, sur les franchises médicales et les participations forfaitaires, l'effort demandé serait « modéré ». Je n'utiliserai pas ce qualificatif, puisque vous prévoyez un quadruplement de ces franchises et participations forfaitaires en trois ans.

Vous avez aussi dit que la protection sociale des Français était, en quelque sorte, « offerte ». Non, elle ne l'est pas ! Ce sont nos concitoyens, salariés et employeurs, qui cotisent. Je crois qu'il est toujours utile de le rappeler...

On entend également qu'il faut « responsabiliser » les patients. C'est peut-être vrai pour certains. Mais lorsque 6 millions de Français n'ont pas de médecin traitant, lorsque nous subissons des pénuries de médicaments, qui doit être « responsabilisé » ?

Les complémentaires santé vont répercuter sur leurs assurés l'effort de plus de 1 milliard d'euros qui leur est demandé.

Je vous rejoins sur les dépassements d'honoraires, qui sont un vrai problème éthique, économique et social. Mais le fait de les taxer va se répercuter sur les patients, qui n'ont parfois pas d'autre choix que de consulter ces professionnels pratiquant des dépassements. Pourquoi ne pas plutôt plafonner ces dépassements, voire les interdire, afin d'éviter qu'une éventuelle taxation ne se répercute sur les patients ?

Voilà quelques années, une réflexion avait commencé à s'amorcer pour que le financement, notamment, des hôpitaux - j'élargirai le propos à la santé en général - ne soit pas uniquement basé sur des tarifications à l'activité. Un financement plus populationnel, par forfait, était envisagé. Cette réflexion semble avoir disparu des radars... Le mode actuel de financement encourage de fait la multiplication des actes, quand d'autres systèmes permettraient peut-être de limiter ceux qui sont inutiles, voire inefficients.

Dans sa « volonté de dialogue », le Gouvernement est-il prêt à ouvrir le débat sur les exonérations de cotisations sociales, qui représentent aujourd'hui à peu près quatre fois le montant du déficit de la sécurité sociale ? Les exonérations sur les seuls apprentis ne me semblent pas être la cible à privilégier...

M. Daniel Chasseing. - Le déficit de la sécurité sociale, de 23 milliards d'euros en 2025, atteindra peut-être 30 milliards en 2027. Le nombre de retraités augmente, passant de 4 millions en 1980 à 20 millions en 2025. La suspension de la réforme des retraites va représenter un coût supplémentaire de 7 milliards d'euros en 2030, année où le déficit du système de retraites atteindra 14 milliards d'euros. La hausse du nombre de personnes de plus de 85 ans va entraîner une augmentation des besoins de prise en charge dépendance et ALD.

La CNSA privilégie le maintien à domicile et la création de maisons d'autonomie ou maisons partagées. Dans ce cas, il faut augmenter le nombre de postes en services de soins infirmiers à domicile (Ssiad) et en services d'aide et d'accompagnement à domicile (Saad), ainsi que dans les Ehpad, où il n'y aura alors plus que des personnes très dépendantes. Quelle est votre vision à cet égard, madame la ministre ?

Avec mes collègues Céline Brulin et Jean Sol, nous avons remis un rapport sur la dégradation de la santé mentale, première cause de suicide des 12-24 ans. Nous avons noté de problèmes de manque de personnel : le nombre de pédopsychiatres a diminué de 40 % depuis 2010 alors celui des enfants hospitalisés a doublé au cours de la même période. Or nous avons aussi constaté combien les infirmiers en pratique avancée (IPA) en psychiatrie étaient utiles aux équipes médicales. Pourquoi ne pas commencer par augmenter le nombre de postes en IPA psychiatrie ? Michel Barnier avait parlé de « grande cause nationale ». Il n'y a pas de grande cause nationale sans financements.

Mme Marion Canalès. - L'article 28, qui supprime la visite obligatoire de reprise du travail lors d'un retour de congé maternité, ne va pas vraiment, me semble-t-il, dans le sens de la santé des femmes. Qu'en pensez-vous ?

Les groupes privés de crèches ont une pratique de plateforme d'intermédiation. Ils se rémunèrent en prélevant à leur profit une partie du prix de la réservation facturée à l'entreprise réservataire. Il y a là un vrai sujet.

Dans le département de la Gironde, 150 personnes relevant normalement de la politique du handicap sont prises en charge par l'ASE.

Je préférerais parler de fiscalité « sanitaire » ou « de santé », plutôt que « comportementale ». Si la fiscalité ne fait évidemment pas tout, on peut tout de même faire beaucoup, notamment en matière de prévention. Soyons offensifs.

À l'instar de ma collègue Anne Souyris, je salue l'avancée prévue à l'article 19 tout en m'interrogeant sur la signification de ce qui est indiqué dans l'exposé des motifs quant aux critères d'admission au sein du statut des ALD...

Le Sénat a adopté un texte très important sur la lutte contre le narcotrafic. Mais nous aimerions bien aussi des engagements forts de la part du ministère de la santé, qui reste muet sur la question des stupéfiants.

Nous aimerions bien aussi l'entendre sur le protoxyde d'azote. Le ministre Neuder avait évoqué une interdiction de la vente aux particuliers ou, au moins, aux mineurs. Je pense qu'il est temps de passer à la vitesse supérieure.

Mme Monique Lubin. - Voilà quelques années, nous avions obtenu des engagements gouvernementaux sur la création de cinq résidences de répit partagé. Les crédits pour les deux premières ont été mobilisés. Les mesures de financement des trois autres auraient dû figurer en loi de finances pour 2024, ce qui n'a pas été le cas. Et, à ma connaissance, elles ne figurent pas non plus dans le PLFSS pour 2026. Qu'en est-il réellement ?

Mme Corinne Féret. - Nous vous rejoignons sur un point : il faut qu'un PLFSS soit voté. Mais pas à n'importe quel prix ! En l'occurrence, votre projet ne va pas du tout dans le sens de la justice sociale.

À nos yeux, le « forfait de responsabilité », dont Mme de Montchalin a parlé voilà quelques jours, consiste à culpabiliser bon nombre de nos concitoyens : doublement des franchises, remise en cause des arrêts de travail, remise en cause des critères des ALD, etc. C'est particulièrement injuste de s'attaquer ainsi à ceux qui sont les plus fragiles : car quand on est malade, on est bien en situation de fragilité.

Vous n'avez pas répondu : le gel prévu à l'article 44 concerne-t-il toutes les prestations sociales ? Car ce qui est indiqué n'est pas très clair. Et si cela concerne bien toutes les prestations sociales, c'est, là encore, particulièrement injuste !

Vous voulez aussi geler l'AAH et d'autres prestations perçues par les personnes en situation de handicap. Dois-je vous rappeler que le quart de ces dernières vivent sous le seuil de pauvreté ?

Certes, 3,5 milliards d'euros de plus pour la branche autonomie, c'est une belle somme. Mais cela reste malheureusement très en deçà des besoins pour accompagner nos aînés dans leur vie d'aujourd'hui et leur vie future.

On parle chaque année d'une loi Grand âge, qui ne vient jamais. Pour accompagner encore une fois nos aînés, que ce soit à domicile ou dans des établissements, il faudrait ajouter 9 milliards d'euros de plus par an d'ici à 2030. C'est une somme colossale. Mais le vieillissement de la population est incontournable. La cinquième branche a bien été créée, mais il faut des moyens en plus.

L'an dernier, nous avions été alertés sur la situation financière extrêmement dégradée, voire catastrophique de la plupart des Ehpad publics dans nos territoires. Malheureusement, la situation ne s'est pas améliorée. Est-il prévu de reconduire dans ce PLFSS le fonds d'urgence de 300 millions d'euros que nous avions adopté pour les accompagner ?

Mme Émilienne Poumirol. - Je pense que l'Ondam ne signifie plus rien aujourd'hui ; nous aurions besoin d'une vision plus structurelle, à cinq ans ou dix ans.

Quand nous réclamons la transparence sur les prix des médicaments, on nous oppose toujours le fameux « secret des affaires ». Nous avons des médicaments dont les prix sont extrêmement élevés, voire exorbitants, alors qu'ils n'ont rien d'innovant et qu'ils sont déjà amortis. Travaillons à la baisse des prix des médicaments trop chers.

Nous avons été alertés par des directeurs de centres hospitaliers universitaires (CHU) : les centres de soins non programmés viennent leur prendre des urgentistes. Il y a là un vrai risque de financiarisation de la santé. Il faut s'y attaquer.

Les docteurs juniors, que nous avons auditionnés la semaine dernière avec Corinne Imbert, sont très mécontents du mode de financement retenu, qui est particulièrement complexe. Eux proposent des solutions plus simples. Il faut avancer sur la simplification de cette rémunération, afin de répondre, au moins en partie, au problème des déserts médicaux.

Dans les centres d'oncologie, nous avons du mal à garder nos radiothérapeutes. Dans le privé, ils gagnent cinq fois plus. Cinq fois plus ! Les 200 millions d'euros supplémentaires que vous avez annoncés en faveur de l'attractivité dans les hôpitaux sont sans doute utiles, mais que comptez-vous faire pour véritablement lutter contre un tel déséquilibre entre les salaires du public et ceux du privé ?

Mme Cathy Apourceau-Poly. - Le PLFSS prévoit l'entrée en vigueur de la tarification dite Séraphin-PH dans le secteur médico-social. Celle-ci est très décriée par les professionnels, qui y voient un risque de logique de rentabilité au détriment de l'humain. Comment comptez-vous les protéger contre les risques de dégradation à la fois de leurs conditions de travail et des conditions de prise en charge ?

Nous reconnaissons tous que des effectifs supplémentaires sont nécessaires dans les MDPH. Mais, dans mon département, le Pas-de-Calais, qui n'est tout de même pas très riche, l'APA et la PCH n'ont été compensées, respectivement, qu'à 33 % et à 36 % par l'État. C'est donc le conseil départemental qui met la main à la poche. Qui va donc payer les emplois supplémentaires dans les MDPH ? Surtout que l'on s'apprête encore à ponctionner 4,7 milliards d'euros sur nos collectivités territoriales !

J'aimerais évoquer l'ASE. Dans notre département, nous avons 7 000 enfants placés, dont 18 % en situation de handicap. Certains vont d'ailleurs à l'école en Belgique, et on leur paye un taxi pour faire le trajet. Je pense que nous avons le devoir de les accueillir dans des structures en France ; en plus, cela permettrait de faire des économies. Je reçois beaucoup d'assistantes familiales. Nous sommes en surcapacité partout. Et les salaires de ces assistantes ne sont pas très importants. J'aimerais que l'on fasse de la question des enfants placés à l'ASE une priorité.

Mme Stéphanie Rist, ministre. - L'expérimentation sur l'accès direct a effectivement pris fin. Nous menons actuellement les concertations pour voir comment les choses peuvent évoluer.

Qu'est-ce que l'efficience ? Pour moi, ce qui est le plus efficient, c'est de ne pas être malade ! Le PLFSS contient une mesure destinée à éviter d'arriver en ALD ; c'est de la vraie prévention. L'assurance maladie va dépenser de l'argent pour éviter qu'il y ait plus de malades. Il y a un changement culturel à opérer, mais je pense que c'est l'avenir, surtout compte tenu de notre démographie. Des soins qui ne sont pas remboursés actuellement vont être pris en charge pour éviter que les gens ne tombent plus malades. Cela diminuera le nombre d'ALD.

J'en viens aux tarifs des actes de radiologie. L'assurance maladie paye parfois pendant cinq ans l'amortissement de matériel amorti au bout de trois, et ce delta de deux ans finit dans la poche du professionnel ! Nous tenons compte de cette réalité dans les discussions sur la baisse des tarifs.

Je crois effectivement qu'il faut aller vers de plus en plus de pertinence. Le PLFSS comporte une mesure visant à faire développer des outils numériques qui permettent d'être plus pertinents, notamment dans la prescription.

Dans les prochains jours, le Premier ministre aura l'occasion de préciser sa vision des maisons France Santé, qui sont, à mes yeux, un vrai levier dans l'accès aux soins.

L'expérimentation des haltes soins addictions, dont les rapports d'évaluation ont en effet confirmé l'intérêt, prend fin cette année. Mon cabinet est en train de travailler avec l'ensemble des parlementaires et des acteurs concernés sur les suites à y apporter.

Monsieur Chasseing, je vous rejoins sur l'importance de la psychiatrie. Entre 1990 et 2020, le budget de la psychiatrie avait diminué. Depuis 2020, nous l'avons augmenté de 42 % ; il y a là un vrai effort financier. Vous avez raison : c'est avec l'ensemble des professionnels - médecins scolaires, infirmières scolaires, IPA, etc. - que nous allons y arriver.

Madame Canalès, vous connaissez mon engagement sur la santé des femmes. Des mesures relatives à la ménopause viendront peut-être enrichir le texte au cours du débat ; c'est l'avantage de ne plus avoir recours au 49.3.

Plusieurs intervenants ont évoqué l'ASE. Nous continuons de mettre en oeuvre le plan lancé par Catherine Vautrin pour renforcer le placement en accueil familial, avec une enveloppe de 55 millions d'euros dans le PLF.

Je relie la question des addictions en général à celle de la santé mentale.

À ma connaissance, le PLFSS ne prévoit aucune modification s'agissant de la psychanalyse.

La mesure réglementaire relative aux cures thermales, qui représente une économie de 200 millions d'euros, consiste à passer à un mode de remboursement non ALD. C'est pour cela que j'ai parlé de « droit commun ». C'est une diminution, pas un déremboursement.

Sur les contrats responsables des complémentaires, il est prévu d'augmenter le délai de renouvellement des lunettes et des audioprothèses. Il n'est pas prévu d'action sur l'ostéopathie.

Neuf unités de soins palliatifs ont été ouvertes en 2025. À ce stade, quatre sont prévues en 2026. Nous restons sur la programmation prévue de 1 milliard d'euros.

Le PLFSS comporte bien une mesure permettant d'autoriser l'ouverture d'une pharmacie dans les villes de moins de 2 500 habitants.

Je rappelle que l'Ondam pour 2025 a été tenu grâce au mécanisme d'alerte.

Je maintiens l'expression « forfait de responsabilité ». Et non, responsabilité ne veut pas dire culpabilité : élever un enfant pour qu'il devienne responsable, ce n'est pas vouloir qu'il devienne coupable. Collectivement, tous les secteurs vont devoir faire des efforts. Individuellement, les quelque 15 000 personnes qui consultent 25 généralistes par an ont peut-être aussi une responsabilité...

Et non, ce ne sont pas les plus fragiles qui seront touchés. Un assuré sur trois - cela représente 18 millions de personnes - ne paye pas les franchises ; les plus fragiles sont donc préservés.

Je rappelle que cela permet aussi de financer les mesures telles que le déploiement des maisons France Santé, ainsi que les mesures de prévention.

Concernant le financement à l'activité, les transformations sont en cours dans le secteur hospitalier, les financements d'expérimentations se faisant de plus en plus sur la base de forfaits.

Madame Poumirol, nous devons en effet donner des perspectives pour les dix prochaines années : j'ai ainsi annoncé que nous préciserons, d'ici à la fin de l'année, les perspectives en matière d'investissements pour les établissements de santé, afin que les efforts fournis s'accompagnent d'une vision d'avenir et que les équipes hospitalières puissent se projeter.

S'agissant des centres de soins non programmés, la mesure prévue permet une régulation, avec une forme d'autorisation de l'agence.

Enfin, les docteurs juniors arriveront dans les territoires à partir de septembre 2026 : j'ai indiqué hier aux syndicats étudiants que ces praticiens étaient fort attendus, et que nous veillerons à leur apporter une rémunération et un encadrement appropriés.

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée. - Monsieur Burgoa, vous évoquez le gel des prestations, dont celui de l'AAH : il est bien question d'une mesure générale de gel des prestations, sans distinction. Ce coup de frein est justifié par la nécessité de revenir sur une trajectoire de réduction du déficit : nous convergeons pour refuser de consacrer 70 milliards d'euros aux seuls intérêts de notre dette et devons donc agir pour alléger celle-ci, même si cela implique de prendre des mesures difficiles. Je rappelle qu'il est question d'un gel, et non pas d'une baisse des prestations, sans oublier que la mesure s'inscrit dans un contexte de faible inflation.

Dans le même ordre d'idées, la suppression de la prise en compte de l'AAH dans l'attribution de la prime d'activité ne fait plaisir à personne - moi y compris -, mais je précise qu'il s'agit de remédier à un dysfonctionnement, dans la mesure où un adulte en situation de handicap qui travaille davantage ne bénéficie pas d'un revenu supplémentaire : mécaniquement, ce dernier stagne, puis diminue, et il convient donc de corriger cette anomalie structurelle à terme.

Pour autant, il est exact que la mesure aura des répercussions sur le revenu des personnes, puisque le retrait de l'AAH du calcul aboutira à une diminution, voire à une suppression de la prime d'activité. Ce n'est certes guère satisfaisant, mais nous suivons une logique de recherche de réformes de structure qui doivent permettre de revenir à des logiques plus saines dans l'orientation de la dépense publique et des prestations sociales. Sur ce point également, nous débattrons et le Parlement votera.

Concernant la question des mandataires judiciaires, je tiens à vous assurer que la prime Ségur a été prise en compte et que les économies de fonctionnement portent sur les fonctions support, et non pas sur celles qui sont en lien avec l'accompagnement des personnes. Pour autant, il nous faudra revoir le fonctionnement de cette prestation : plusieurs travaux, conduits par l'Igas et par l'inspection générale des finances (IGF), sont en cours afin d'élaborer une refonte de la mesure de protection des majeurs.

Madame Guidez, je vais être très claire : la psychanalyse n'a pas sa place dans l'accompagnement et dans la prise en charge des personnes atteintes de troubles du neurodéveloppement. Je partage totalement la position de la HAS sur le sujet.

Même si la situation budgétaire est - vous le savez - très contrainte, l'enveloppe dédiée aux entreprises adaptées reste à 478 millions d'euros, ce qui est tout de même important. Avec mon collègue ministre du travail, nous veillerons à faire en sorte que d'éventuels gels ou mises en réserve n'entraînent pas une baisse par rapport à 2025.

Je prends bonne note de votre interpellation quant à l'application de la prime Ségur dans les entreprises adaptées. Nous examinerons cette question avec attention.

Madame Carrère, nous connaissons bien les problèmes liés au financement des Ehpad. Des mesures structurelles importantes sont mises en oeuvre. Le fonds d'urgence que vous avez voté pour 2025 est en train d'arriver dans les territoires. Vingt-trois départements expérimentent la fusion des sections soins et dépendance ; une évaluation aura lieu en 2026, l'objectif étant de pouvoir aller vers une généralisation. La révision des coupes Pathos est également prévue dans le PLFSS, ce qui permettra de mieux réajuster les enveloppes. Et les 4 500 ETP supplémentaires que j'ai évoqués viendront soutenir les équipes.

Il reste que les prix d'hébergement dans les Ehpad sont trop bas. Or le financement de ces établissements dépend aussi des choix politiques qui sont faits en la matière.

Madame Richer, le cumul de l'AAH avec l'indemnité pour les élus locaux est effectivement prévu dans la loi. Des caisses d'allocations familiales ont d'ores et déjà intégré ce dispositif. Certes, le décret annoncé s'est un peu perdu dans les méandres des changements gouvernementaux... Je vais reprendre cela en main. Vous avez raison : c'est le moment d'envoyer un message très fort pour rappeler qu'il faut avoir des candidats en situation de handicap sur les listes aux élections municipales.

Je profite de l'occasion pour faire une nouvelle fois la promotion de la fameuse boîte à outils dédiée aux élus locaux. Je souhaite que celle-ci puisse aussi nourrir la réflexion des candidats : intégrer les questions d'accessibilité au moment de l'élaboration des programmes, c'est se donner la garantie d'avoir des projets véritablement inclusifs pour nos communes. Je vous invite vraiment à la consulter - elle est disponible en ligne et dans les préfectures - et à la faire connaître auprès de vos collègues et des élus locaux.

Je partage l'engagement de Mme Bourguignon et de Jean-René Lecerf en faveur de l'habitat intermédiaire, qui répond vraiment à une demande de la part des personnes âgées et des personnes en situation de handicap. Dans ce PLFSS, nous avons prévu d'investir 100 millions d'euros dans le soutien à la création de places d'habitat partagé. Plusieurs missions sur le modèle économique de cet habitat intermédiaire rendront d'ailleurs bientôt leurs conclusions. Faut-il passer par des expérimentations de type article 51 ? Je ne sais pas si c'est le bon cadre, mais je propose de continuer cette réflexion.

M. Chasseing a évoqué des créations de postes dans les Ssiad et les Saad. Comme je l'ai indiqué, le PLFSS prévoit bien des ETP supplémentaires dans les Ehpad. D'où l'importance qu'il soit voté ! J'ai assez confiance dans la Haute Assemblée pour cela ; mais vous connaissez la situation qui est celle de l'autre chambre... Ne pas voter de PLFSS, c'est renoncer à la possibilité d'avoir plus de postes en Ssiad et en Saad et c'est se priver des effectifs supplémentaires qui sont d'ores et déjà prévus pour les Ehpad, alors qu'ils sont - cela vient d'être rappelé -, ô combien, nécessaires.

Madame Lubin, vous avez évoqué les cinq résidences de répit partagé : deux projets sont d'ores et déjà lancés, tandis que les trois autres devraient suivre de manière imminente. Je peux en tout cas vous assurer que ces projets verront le jour.

Madame Féret, je vous rejoins sur les enjeux du grand âge et la nécessité de se projeter par le biais d'une programmation pluriannuelle, mais les soubresauts gouvernementaux ne nous aident pas à remettre le métier sur l'ouvrage, ni à engager une réflexion en profondeur sur le financement de la dépendance, alors qu'il s'agit d'un chantier structurant : nous aurions, là aussi, besoin de stabilité.

En revanche, la Drees a documenté les besoins de manière territorialisée, ce qui permettra d'anticiper les besoins qu'il faudra couvrir, avec de fortes disparités selon les territoires. Je souhaite engager un travail avec les acteurs du secteur, les agences régionales de santé (ARS) et les départements pour que nous puissions examiner ces besoins, anticiper et vous présenter un plan Grand Âge. En parallèle, il nous faut absolument réfléchir à un financement de la dépendance qui intégrerait les enjeux de financement de la protection sociale que nous avons déjà évoqués.

Enfin, madame Apourceau-Poly, je vous assure que Serafin-PH n'est pas un système de tarification à l'acte et que je le refuserais si tel était le cas. Le nouveau dispositif prévoit des dotations forfaitaires et des dotations variables en fonction de la complexité des situations d'accompagnement, le tout dans une logique de « sur-mesure ».

Une fois encore, nous sommes persuadés que l'auto-détermination des personnes en situation de handicap doit guider la réponse qui leur est apportée. Trop ancien, notre système de tarification doit évoluer en prenant le temps nécessaire, en lien avec les professionnels du secteur et avec une vigilance particulièrement sur les financements.

Quant au financement des départements pour l'APA et l'AAH, un engagement a été pris sur la stabilisation du taux, qui avait tendance à diminuer en raison de la rapide progression des dépenses. Françoise Gatel et moi-même discutons avec les départements afin de déterminer la manière dont nous accompagnerons l'objectif d'une compensation à 50 %.

Je tiens à souligner, pour terminer, que ce PLFSS pour 2026 prévoit 300 millions d'euros supplémentaires pour aider les départements à assumer ces dépenses.

Mme Pascale Gruny, président. - Merci de votre participation, mesdames les ministres.

La réunion est close à 19 h 10

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Jeudi 30 octobre 2025

- Présidence de Mme Pascale Gruny, vice-président -

La réunion est ouverte à 10 h 35.

Projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2026 - Audition de M. Damien Ientile, directeur de l'Urssaf Caisse nationale

Mme Pascale Gruny, président. - Dans le cadre de nos travaux sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2026, nous auditionnons ce matin M. Damien Ientile, directeur de l'Urssaf Caisse nationale.

Je vous précise que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo. Elle est diffusée en direct sur le site internet du Sénat et sera consultable en vidéo à la demande.

Monsieur le directeur, l'Urssaf Caisse nationale est au coeur du financement de la sécurité sociale et est, en quelque sorte, le réceptacle naturel de ses difficultés.

Cela se traduit, dans le PLFSS pour 2026, par une demande de forte augmentation de la demande d'autorisation d'emprunt à court terme par l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss), qui passerait de 65 milliards à 83 milliards d'euros. Je rappelle que, depuis cette année, l'Agence est autorisée à recourir à des emprunts de plus de 12 mois, à condition que la durée moyenne des emprunts reste inférieure à 12 mois.

Ce sont autant de manifestations des tensions que créent, d'une part, l'accumulation de lourds déficits au fil des ans et, d'autre part, l'impossibilité de procéder à de nouveaux transferts de dette à la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades). On peut, avec la Cour des comptes, se demander jusqu'à quand une telle situation restera gérable.

Monsieur le directeur, votre propos liminaire vous permettra de nous livrer votre vision de ce PLFSS, de la situation financière de votre caisse et, plus généralement, de la sécurité sociale. Nous attendons également votre expertise sur les mesures de recettes, parfois très importantes, qui figurent dans ce PLFSS.

M. Damien Ientile, directeur de l'Urssaf Caisse nationale - Madame le président, madame la rapporteure générale, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiendrai un propos liminaire relativement court présentant les éléments qui me semblent importants.

Les recettes que nous collectons et qui financent la sécurité sociale sont assises sur le dynamisme de l'économie, notamment sur celui de la masse salariale, puisque la majorité des cotisations et contributions que nous collectons en dépendent.

Pour l'année 2025 - et c'est un point qui est également apparu lors de la réunion de la commission des comptes de la sécurité sociale -, nous observons une assez forte résilience de l'économie, et donc de la masse salariale. Nous le constatons grâce à nos indicateurs, que nous suivons chaque mois de manière très réactive, puisque nous analysons le mois précédent. Il s'agit principalement du taux de reste à recouvrer ou, pour le dire de manière moins technique, du taux d'impayés, qui se situe à un niveau relativement bas, inférieur à 1 %. Ce niveau est comparable à celui qui prévalait avant la crise du covid en 2019 et qui était déjà historiquement bas.

Cela montre donc une bonne capacité de paiement des cotisations par les entreprises.

Nous observons aussi la masse salariale mois après mois. Nous formulons pour l'année 2025 une hypothèse d'évolution de 1,9 %. Ce chiffre est inférieur aux prévisions initiales du PLFSS pour 2025, mais il correspond aux révisions qui ont été faites et qui, pour l'instant, se confirment. Enfin, lorsque nous comparons les cotisations que nous attendions et celles que nous avons collectées jusqu'à maintenant, nous constatons un écart négatif de 1 milliard d'euros. Rapporté à une grandeur de l'ordre de 300 milliards d'euros, cet écart reste cependant extrêmement limité à ce stade de l'année, ce qui témoigne d'une bonne tenue de cette collecte.

Cela ne signifie pas que certaines entreprises n'ont pas de difficultés. Je ne voudrais pas dévoiler un tableau trop rose, car tel n'est pas le cas. Néanmoins, lorsque nous regardons nos chiffres à ce jour, nous constatons une bonne résistance des données macroéconomiques sur lesquelles sont assises les cotisations.

Le PLFSS pour 2026 prévoit un ensemble de mesures de redressement des comptes sociaux qui permettraient de ramener le déficit de la sécurité sociale de 23 milliards d'euros en 2025 à 17,5 milliards d'euros en 2026. En tant qu'Urssaf Caisse nationale, nous assurons, notamment, le financement de ce déficit. Pour la pérennité des comptes, il est donc important qu'ils puissent être redressés. Les projections jusqu'à 2029 sont à peu près de cet ordre. Le déficit ne disparaît donc pas, mais nous avons en tout cas une marge de résorption assez forte.

Le plafond d'emprunt, c'est-à-dire l'emprunt maximum sur les marchés financiers auquel l'Urssaf peut recourir pendant l'année pour financer le complément qui n'est pas apporté par les cotisations, passerait de 65 milliards d'euros maximum en 2025 à 83 milliards d'euros en 2026. Il s'agit donc d'une augmentation importante, mais qui est cohérente avec la prévision que nous faisons des besoins de financement. Autrement dit, lorsque nous faisons notre prévision pour 2026, nous arriverions à 79 milliards d'euros de besoins de financement au maximum dans l'année 2026, ce qui laisse une marge, qui n'est pas énorme, de 4 milliards d'euros.

Le plafond de 83 milliards d'euros est cohérent avec les besoins que nous estimons aujourd'hui, mais il est dépendant du vote de l'ensemble des mesures qui sont comprises dans le PLFSS pour 2026. Autrement dit, si certaines mesures de recettes ou de dépenses sont abandonnées, il serait souhaitable que le plafond soit augmenté à due concurrence. C'est un élément qui est important dans la mécanique de la discussion parlementaire : il vous faut bien voir la traduction des différentes mesures qui seront modifiées en recettes et en dépenses sur le plafond d'emprunt.

Notre problème, à l'heure actuelle, c'est que nous ne savons pas quel sera l'avenir de ces textes, puisque nous ignorons dans quelles conditions ils pourront être adoptés, étant donné la configuration politique actuelle et les annonces du Gouvernement. Cette situation nous dépasse et nous devons faire avec cette incertitude.

Néanmoins, ce que je peux dire, c'est que nous avons besoin, à partir du 1er janvier 2026, de conserver notre capacité d'emprunter. Cela signifie que si les textes financiers, notamment le projet de loi de financement de la sécurité sociale, n'étaient pas adoptés avant la fin de l'année, nous aurions besoin d'une loi spéciale, comme cela a été le cas pour 2025.

Enfin, je veux évoquer le projet de loi relatif à la lutte contre les fraudes sociales et fiscales présenté par le Gouvernement, même s'il ne fait pas l'objet de l'audition d'aujourd'hui. Une bonne partie des mesures qu'il contient concernent les Urssaf, avec le recouvrement des cotisations sociales et la lutte contre les fraudes en la matière. Ce sont des mesures que nous soutenons et qui, pour une bonne part, ont été travaillées avec l'Urssaf à partir de remontées de terrain venant des inspectrices et inspecteurs du recouvrement.

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale. - Monsieur le directeur, quand Mme Poncet Monge et moi-même vous avons auditionné voilà quelques mois, vous avez souligné que, sur la base des prévisions à moyen terme de la LFSS pour 2025, le « pic » de besoin de financement annuel de 2020 - pendant la crise du covid -, soit environ 90 milliards d'euros, serait nettement dépassé dès 2027.

Pour mémoire, ce « pic » de 2020 a impliqué, pour son financement, le recours à la Caisse des dépôts et consignations et à un pool de banques.

Le PLFSS pour 2026 prévoit, d'ici à 2029, une trajectoire de déficit qui, bien que plus faible, demeurerait élevée. On pourrait considérer en première analyse que cela ne bouleverse pas la situation. Confirmez-vous ce point ?

Le PLFSS prévoit de transférer de la sécurité sociale vers l'État environ 3 milliards d'euros correspondant au gain résultant pour la sécurité sociale en 2026 de la réforme des allégements généraux de 2025 et 2026.

Quelle appréciation portez-vous sur ce transfert ? En se plaçant exclusivement du point de vue de l'Acoss, faut-il considérer qu'il est malvenu, en ce qu'il dégrade encore un peu plus la capacité de l'Acoss à se financer ?

Ma deuxième question porte sur la lutte contre la fraude aux cotisations.

Entre les campagnes 2012 et 2023, la part du travail dissimulé détecté par des contrôles aléatoires est restée stable. Ainsi, l'augmentation des fraudes détectées dans le cadre de l'activité de lutte contre la fraude ne proviendrait pas d'une augmentation de la fraude, mais bien d'une efficacité plus grande des contrôles. Si cela peut sembler rassurant, cela suggère aussi que la lutte contre la fraude n'a pas permis de réduire celle-ci. Qu'en pensez-vous ? Que faudrait-il faire concrètement pour que la lutte contre la fraude aux cotisations permette réellement de réduire l'encours de la fraude ?

Ma dernière question, qui m'a été suggérée par ma collègue Nathalie Goulet, porte sur les entreprises éphémères. Lors d'une audition par la commission d'enquête sur la délinquance financière, dont elle était le rapporteur, vous aviez indiqué qu'il vous serait utile de disposer d'une définition, d'un guide pratique pour repérer les entreprises éphémères qui sont, d'après elle, des chevaux de Troie de la fraude à l'Urssaf et à la TVA, ainsi que du crime organisé. Cela vous semble-t-il toujours d'actualité ? Confirmez-vous que c'est un besoin qu'il faut combler ?

M. Damien Ientile. - Pour répondre à votre première question, l'amélioration de la situation des comptes permise par ce projet de loi de financement de la sécurité sociale serait substantielle, avec un ensemble de mesures qui susciteront un certain nombre de débats. Il ne faut pas sous-estimer l'importance de ces mesures. Néanmoins, vous avez raison, elles ne ramènent pas les comptes à l'équilibre. C'est un objectif sur plusieurs années. Elles ne suppriment donc pas le problème auquel nous faisons face, à savoir l'accumulation de déficits annuels dans les comptes de l'Urssaf Caisse nationale et, à un moment donné, une difficulté de financement possible.

Le chiffre de 90 milliards d'euros dès 2027 est tout à fait exact. Si le PLFSS est voté en l'état et que les prévisions sont justes, nous arriverions à 78 milliards d'euros d'endettement dans nos comptes à la fin de l'année 2026. Si vous rajoutez 15 à 20 milliards d'euros de déficit en 2027, il est vrai que, courant 2027, nous arriverons à environ 90 milliards d'euros, ce qui est très élevé, notamment sans perspective claire de reprise de dette par la Cades.

D'ailleurs, 2027 est une date intéressante. Si l'on fait des projections, disons mathématiques, on observe que, courant 2027, nous assisterions à un phénomène de croisement des courbes, la dette accumulée dans les comptes de l'Acoss devenant supérieure à la dette qui reste à amortir au sein de la Cades. C'est un problème, puisque la vocation de l'Urssaf Caisse nationale n'est pas de financer de la dette à long terme.

Les mesures d'amélioration prévues dans ce PLFSS sont extrêmement utiles et intéressantes d'un point de vue purement financier. Néanmoins, elles n'apportent pas une solution définitive et pérenne aux problèmes que nous avions évoqués ensemble.

Concernant le transfert des recettes supplémentaires liées à la réduction des allégements généraux, il s'agit en effet d'une réforme structurelle qui entrera en vigueur en 2026. Celle-ci change la forme des allégements généraux de cotisations patronales en la simplifiant avec un seul dispositif qui part de 1 SMIC et qui se termine à 3 SMIC. Sur deux ans, en 2025 et en 2026, cela rapportera un peu plus de 3 milliards d'euros de recettes supplémentaires, d'après les estimations du Gouvernement. Ces recettes supplémentaires seront transférées à l'État, puisque ces allégements généraux avaient fait l'objet d'une compensation à titre forfaitaire.

Je ne porte pas de jugement d'opportunité sur ce choix. Je ne peux faire qu'un constat d'ordre factuel : ce sont 3 milliards d'euros qui ne figureront pas dans nos comptes.

Selon nos estimations, la fraude se stabilise sur dix ans autour de 1,5 % du total des cotisations sociales. Ce pourcentage reste limité et je profite de cette audition pour dire que l'immense majorité des entreprises paient leurs cotisations rubis sur l'ongle et déclarent leurs salariés. Il s'agit donc d'un phénomène qui, heureusement, concerne une minorité, même si c'est toujours trop.

Pour aller plus loin, le projet de loi relatif à la lutte contre les fraudes sociales et fiscales contient par exemple des mesures renforçant le mécanisme de solidarité financière. Ce mécanisme permet de remonter les chaînes de sous-traitance en cascade et de s'assurer que les sous-traitants sont en situation régulière vis-à-vis de leurs obligations déclaratives auprès des Urssaf.

Une autre manière d'aller plus loin est de rendre plus effectif le recouvrement des créances frauduleuses. Aujourd'hui, les processus de détection s'effectuent soit par des statistiques, soit par des détections sur le terrain. Je salue au passage le travail formidable de nos inspectrices et de nos inspecteurs, qui ne sont pas si nombreux pour détecter la fraude. Une fois qu'un redressement a été notifié, encore faut-il le recouvrer. Or, nous savons que cette étape est plus difficile.

Vous avez mentionné les entreprises éphémères. Là encore, le projet de loi actuellement en discussion permettra de rendre certains processus de recouvrement plus efficaces, car plus rapides. Les entreprises éphémères nous posent en effet des difficultés : une fois identifiées, notifiées et redressées, elles sont en mesure d'organiser rapidement leur disparition et le transfert de leurs actifs. Un décret issu de la LFSS pour 2024 est en cours de mise en oeuvre. Il permet de notifier les transmissions universelles de patrimoine et de les connaître, ce qui devrait réduire la capacité de transférer le patrimoine à des sociétés étrangères de manière trop rapide et invisible. Ce décret est en cours de mise en oeuvre, mais beaucoup reste à faire.

M. Emmanuel Dellacherie, directeur de la réglementation, du recouvrement et du contrôle de l'Urssaf. - Le projet de loi relatif à la lutte contre les fraudes sociales et fiscales comporte une mesure importante pour améliorer le recouvrement des créances frauduleuses : l'institution de la flagrance sociale, un dispositif calqué sur la flagrance fiscale existante. Ce mécanisme permettra en effet d'engager plus rapidement des saisies conservatoires dans le cadre des contrôles. S'il est adopté, il nous dispensera de devoir en informer en amont les entreprises redressées. L'expérience montre en effet que, lorsque nous procédons à cette information préalable auprès d'entreprises éphémères, celles-ci en profitent pour faire disparaître leurs actifs et vider leurs comptes bancaires.

Mme Raymonde Poncet Monge- Je ne sais si c'est le fruit de notre travail en commun pour notre récent rapport Sécurité sociale : la boîte à outils du Sénat, mais mes questions rejoignent celles qu'a posées Élisabeth Doineau. Il existe une certaine unanimité sur l'insincérité de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) et, par conséquent, le risque très probable d'un déclenchement de la procédure d'alerte dès le premier semestre de 2026. Sans vouloir être de mauvais augure, tous les acteurs le soulignent. Je m'inquiète en particulier du fait que vous ne disposiez que de 4 milliards d'euros de marge. En effet, compte tenu du montant des dépenses qui sont en jeu, si nous dépassons l'Ondam, nous risquons d'atteindre très vite vos marges de dépassement. Aussi, je m'étonne que l'on n'étudie pas l'éventualité d'une reprise partielle de dette par la Cades. Comme nous l'indiquions dans notre rapport, la nécessité d'un nouveau transfert de dette à la Cades nous semble assez mécanique. La question se posera de toute façon en 2027, mais si les prévisions sont insincères, elle risque de se poser plus tôt.

En ce qui concerne la fraude sociale, je vous rejoins sur le fait que la majorité des entreprises ne fraudent pas, tout comme la majorité des bénéficiaires de prestations sociales. C'est une évidence. J'aimerais cependant connaître les moyens, humains et autres, dont vous disposez. Les inspecteurs et contrôleurs financiers ont ceci d'intéressant que non seulement ils s'autofinancent, mais aussi qu'ils rapportent, me semble-t-il, plus qu'ils ne coûtent. Vous mentionnez un décret en cours de mise en oeuvre. En matière de répression des fraudes, il faut être un peu plus volontariste. On met beaucoup de temps à prendre certaines mesures. Quelle est donc, sur plusieurs années, l'évolution de vos effectifs ? Si la fraude aux cotisations est le fait d'une minorité, elle représente tout de même, si mes chiffres sont bons, deux tiers de la fraude sociale.

M. Damien Ientile. - C'est plutôt la moitié.

Mme Raymonde Poncet Monge- Soit. En tout état de cause, beaucoup de choses sont faites en matière de fraude sociale : on en parle souvent, il y a des contrôles. Qu'en est-il des cotisations ? Je poserai la même question à d'autres pour ce qui est de la fraude fiscale.

Mme Annie Le Houerou- Je rejoins Raymonde Poncet Monge sur l'absence de réflexion autour de la reprise de la dette par la Cades et sur les moyens de contrôle que l'Urssaf met en oeuvre. Ces derniers doivent être suffisamment nombreux pour mener à bien les contrôles et récupérer les sommes issues de la fraude.

J'ai deux questions complémentaires concernant l'article 4. Si je comprends bien, son objectif est d'améliorer les outils de recouvrement des cotisations sociales. Le Gouvernement évalue à 5,3 millions d'euros le rendement de cet article. Or vous disiez qu'il existe un décalage de 1 milliard d'euros entre les cotisations attendues et les cotisations « encaissées ». L'article 4 vise-t-il ce public qui ne paie pas ses cotisations ? Dans ce cas, je vois un écart entre les chiffres que vous nous donnez et ceux qui sont affichés par le Gouvernement.

Ma deuxième question concerne la situation des hôpitaux. Dans le PLFSS 2026, la progression de l'Ondam est de seulement 1,6 %, alors même que les hôpitaux doivent financer la nouvelle augmentation du taux de cotisation à la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL). Or de nombreux hôpitaux sont déjà en très grande difficulté budgétaire. On sait donc dès à présent que le taux d'augmentation des dépenses ne leur permettra pas d'assurer un bon fonctionnement. Avez-vous une évaluation des « impayés » de cotisations Urssaf de nos hôpitaux ?

M. Laurent Burgoa. - Je voudrais vous poser deux questions au nom de Frédérique Puissat et d'Olivier Henno, tous deux rapporteurs du projet de loi relatif à la lutte contre les fraudes sociales et fiscales.

L'article 21 du projet de loi confère un caractère immédiatement exécutoire aux contraintes qui appellent le recouvrement de cotisations pour travail dissimulé. Le mécanisme de l'opposition à contrainte n'est pas suspendu. Aussi, un justiciable pourrait former opposition à une contrainte et, dans le même temps, saisir le président du pôle social du tribunal judiciaire d'un recours pour suspendre son exécution provisoire. Ma première question est simple : allez-vous prendre le risque de faire exécuter des contraintes qui pourraient être frappées d'opposition, auquel cas l'Urssaf pourrait, in fine, être condamnée à restituer des sommes saisies si l'opposition était jugée fondée ?

L'article 22 renforce par ailleurs les obligations de vigilance du maître d'ouvrage pour lutter contre le travail dissimulé dans le cas de sous-traitances. Le secteur du bâtiment nous a alertés sur les difficultés que rencontrent les entrepreneurs pour vérifier l'authenticité des attestations de vigilance, qui certifient le paiement des cotisations sociales. Que mettez-vous en oeuvre pour aider les entreprises à accomplir ces formalités imposées par le code du travail ? Comment pourrait-on simplifier ces démarches ?

M. Damien Ientile. - Madame Poncet Monge, lorsque j'ai parlé de la justesse des prévisions, je faisais référence aux prévisions macroéconomiques. En effet, comme nos cotisations sont très indexées sur la masse salariale, qui elle-même dépend de la croissance et de l'inflation, tout écart entre les réalisations et les prévisions aura nécessairement un impact sur nos cotisations. Une baisse d'un point de pourcentage de la masse salariale représente environ 2,5 milliards d'euros de cotisations. Ainsi, si la croissance de la masse salariale est à 1,3 % au lieu des 2,3 % attendus, alors nous aurons un manque à gagner de l'ordre de 2,5 milliards d'euros.

Mme Raymonde Poncet Monge. - Selon le consensus des économistes, les prévisions de croissance sont optimistes.

M. Damien Ientile. - Ces prévisions nous semblent cohérentes avec nos observations. En ce qui concerne plus spécifiquement l'Ondam, le dernier rapport à la commission des comptes de la sécurité sociale n'exclut pas une légère sous-exécution de l'Ondam 2025.

Mme Émilienne Poumirol. - Ah bon ?

M. Damien Ientile. - Il n'y a donc pas d'insincérité observable. Pour l'année 2026, la question n'est pas celle de l'insincérité, mais de la mise en oeuvre ou non des mesures sous-jacentes à l'Ondam. Cela rejoint mon propos introductif : toutes les prévisions que nous faisons, y compris en ce qui concerne notre plafond et nos besoins de financement, dépendent de la mise en oeuvre des mesures prises dans le cadre du PLFSS ou qui y sont annoncées et qui seront prises par voie réglementaire. À ce stade, on peut donc dire que le plafond tel qu'il est prévu est cohérent avec nos besoins de financement. En revanche, si certaines mesures venaient à être abandonnées, il faudrait alors l'accroître à due concurrence.

La reprise de dette par la Cades est une mesure qui, à un moment donné, sera probablement nécessaire. Comme le disait notre président du conseil d'administration, Marc Poisson, lors de la réunion de la commission des comptes de la sécurité sociale, l'Acoss n'a pas vocation à être une Cades bis. Cette question est donc tout à fait légitime.

J'en viens à la question des moyens affectés aux inspecteurs et contrôleurs du recouvrement, ainsi qu'à toutes les personnes qui, au sein de l'Urssaf, concourent à la lutte contre la fraude, à la notification des infractions, puis à leur recouvrement. Cette mission a été considérée comme prioritaire par le Gouvernement et par les partenaires sociaux dans le cadre de notre convention d'objectifs et de gestion 2023-2027. C'est donc l'un des domaines dans lesquels nous avons eu la possibilité de procéder à des recrutements supplémentaires.

Ainsi, nous recrutons cette année 140 inspecteurs et contrôleurs. Ils entreront en formation en 2026 et seront opérationnels après une année de formation. Lorsque nous aurons déployé notre plan de recrutement, nous atteindrons un effectif d'environ 500 inspecteurs et contrôleurs du recouvrement.

Ces moyens restent tout de même relativement limités par rapport à l'enjeu. Au-delà des moyens humains, nous utilisons aussi des outils techniques de détection et des outils juridiques, que vient renforcer le projet de loi relatif à la lutte contre les fraudes sociales et fiscales. Nous devons en effet offrir à nos agents tous les outils nécessaires à l'accomplissement de leur mission. Ce n'est donc pas qu'une question d'effectifs, même si ce point est bien sûr très important. En tout cas nous pourrons prochainement disposer de promotions renforcées.

M. Emmanuel Dellacherie. - Consacrer 145 équivalents temps plein (ETP) supplémentaires à la lutte contre la fraude était prévu dans la convention d'objectifs et de gestion 2023-2027 signée avec l'État. Tous ces recrutements d'inspecteurs et de contrôleurs ont été réalisés. Une partie de ces agents sont encore en formation, on ne voit donc pas encore le plein effet de ces recrutements sur le terrain, mais nous sommes d'ores et déjà assurés de respecter l'objectif qui nous est assigné, à savoir l'affectation de 30 % de l'ensemble de nos effectifs de contrôle, soit plus de 500 agents, à la lutte contre la fraude d'ici à 2027. Au-delà de ces moyens nouveaux, nous avons fait le choix d'allouer à la lutte contre le travail dissimulé certaines ressources consacrées jusqu'alors aux contrôles d'assiette classiques.

M. Damien Ientile. - La fraude sociale est estimée à 13 milliards d'euros par an ; selon les évaluations du Haut Conseil du financement de la protection sociale (HCFiPS), fondées elles-mêmes sur nos propres données chiffrées, la moitié environ de cette somme vient de la fraude aux prélèvements obligatoires, le reste de la fraude affectant les prestations versées.

Concernant l'article 4 du PLFSS 2026, qui vise à améliorer les procédures de recouvrement, madame Le Houerou, vous citez le chiffre de 5 millions d'euros pour l'évaluation de son rendement. Ce chiffre n'est pas à mettre en relation avec le milliard d'euros que j'évoquais : ce chiffre-ci correspondait à l'écart entre, d'une part, les prévisions faites en début d'année sur le montant total des cotisations que nous espérions collecter et, d'autre part, la réalisation de notre collecte à ce jour. Cet écart résulte notamment d'une révision à la baisse de la masse salariale : sa croissance avait été estimée à 2,5 % dans le PLFSS 2025, mais serait plutôt de 1,9 %. La baisse constatée des cotisations par rapport aux estimations n'est donc pas liée à une volonté de ne pas payer ou à de la fraude.

Les dispositions de l'article 4 doivent permettre d'augmenter l'efficacité du recouvrement social en particulier dans le cadre des procédures collectives ; on aura un an pour établir le montant définitif d'une créance sociale. En outre, l'inscription automatique du privilège de la sécurité sociale facilitera l'effectivité du recouvrement. Il est difficile de mesurer l'effet financier d'une mesure juridique ; l'estimation du rendement est donc forcément un peu prospective, et il faudra une clause de revoyure.

M. Emmanuel Dellacherie. - Le privilège automatique des créances Urssaf, qui est d'un an aujourd'hui, sera rallongé ; le délai exact sera précisé par décret. L'intérêt de cette mesure est d'éviter des situations de redressement ou de liquidation judiciaire où l'Urssaf n'aurait pas le temps d'inscrire le privilège, donc ne parviendrait pas à recouvrer certaines sommes dans le cadre de la procédure collective. L'estimation de 5 millions d'euros devra être confirmée ex post, mais ce rendement devrait découler de l'amélioration de la prise en charge de ces situations. Je conviens que l'effet financier serait en tout état de cause assez limité par rapport aux sommes en jeu.

M. Damien Ientile. - Je veux revenir sur les cas des hôpitaux et de la CNRACL. Certains hôpitaux ont des dettes envers l'Urssaf, car ils ne sont pas en mesure de payer leurs cotisations ; ce phénomène, déjà significatif, prend de l'ampleur. Par ailleurs, au sein de l'endettement de l'Urssaf Caisse nationale, un segment spécifique, de l'ordre de 10 milliards d'euros, voire 12 milliards au moment le plus important de l'année, est consacré à la CNRACL, puisque notre caisse a la mission de verser des avances à certains régimes déficitaires. Il est important de l'avoir à l'esprit quand on réfléchit au plafond d'emprunt de l'Urssaf Caisse nationale - 65 milliards d'euros en 2025. Nous assumons dans nos comptes le déficit cumulé de la CNRACL et toute mesure qui diminuerait les recettes de celle-ci aurait un impact sur nos comptes et nos besoins de financement. L'article du PLFSS qui fixe le plafond d'emprunt de l'Acoss, à 83 milliards d'euros cette année, définit aussi, au sein de cette somme, celui de la CNRACL.

Enfin, Monsieur Burgoa, s'agissant de la mesure portant sur les contraintes du projet de loi relatif à la lutte contre les fraudes sociales et fiscales, actuellement, quand une contrainte est proposée, un débiteur frauduleux peut lui faire opposition, ce qui suspend la contrainte et empêche de saisir les biens ou sommes en jeu. Certains débiteurs mal intentionnés profitent du temps de cette suspension pour faire disparaître les actifs. C'est contre ce phénomène que nous entendons lutter. Le projet de loi dispose que l'opposition à contrainte ne sera plus suspensive ; nous pourrons donc procéder à des saisies à titre conservatoire, qui pourront être restituées si la décision définitive l'impose.

M. Emmanuel Dellacherie. - Je précise que rien ne changera dans les procédures de recouvrement forcé qui ne sont pas liées à des situations de travail dissimulé.

La solidarité financière est un autre point important. Les donneurs d'ordre ont déjà la capacité de vérifier, sur le site de l'Urssaf, par le biais d'un numéro de sécurité, l'authenticité de l'attestation remise par le sous-traitant. Nous sommes très soucieux de faciliter ces démarches, qui peuvent revêtir une grande importance pour les entreprises, par exemple dans de gros chantiers de BTP où beaucoup de sous-traitants interviennent. Notre système permet déjà une vérification assez simple, mais nous sommes ouverts à l'améliorer, en lien avec les fédérations professionnelles, si celles-ci estiment qu'il peut encore être simplifié.

Mme Pascale Gruny, président. - Merci beaucoup de vos réponses.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 11 h 25.